CHAPITRE SECOND

Jésus dans la Samarie

Jésus enseigne à Salem, - à Aruma, - à Thanath, - à Silo, - à Michmethath, - à Méroz et à Dothan. - Vocation de Judas Iscariote.

Du 16 octobre au 4 novembre 1822.

(16 - 20 octobre) En quittant son dernier séjour, Jésus alla à deux lieues au nord, dans un endroit où se trouvait au bord de la forêt une des hôtelleries préparées pour lui. Je crois qu'on y avait déjà fait les dispositions nécessaires. Il alla ensuite un peu à l'est à travers la forêt et, franchissant une hauteur, il descendit dans les champs où les gens de Salem travaillaient près d'énormes monceaux de blé. Il les enseigna, puis il alla avec eux a Salem qui était située un peu plus bas, à une lieue environ du Jourdain.

Avant Salem on voyait déjà des jardins et de belles avenues : la situation de cette ville est très agréable : elle n'est pas très grande, mais plus propre et plus régulière que beaucoup d'autres dans les environs. Elle est bâtie en forme d'étoile autour d'une fontaine placée au centre. Toutes les rues aboutissent à la fontaine et les avenues traversent les rues : mais tout cela est assez mal entretenu. La fontaine est sacrée à leurs yeux, car l'eau en était autrefois mauvaise comme à celle qui est près de Jéricho, et Elisée la rendit bonne comme l'autre en y jetant du sel et en y versant de l'eau où l'on avait plongé l'objet sacré. On a bâti au-dessus un bel édifice : au milieu de la ville, près de la fontaine, se trouve un grand château en ruines avec de très grandes fenêtres vides. Il y a une grosse tour ronde fort élevée, surmontée d'une plate-forme avec une galerie au-dessus de laquelle s'élève une perche supportant un drapeau. Aux quatre côtés de cette tour, aux deux tiers environ de sa hauteur, de grosses boules sont suspendues à des poutres qui font saillie en dehors des fenêtres. Ces globes qui brillent au soleil sont placés dans la direction de diverses villes : ils sont là comme souvenirs du temps de David. Il résida quelque temps en ce lieu avec Michel et lorsqu'il se fut réfugié dans le pays de Galaad, Jonathas lui faisait des signaux relativement à Saul et à sa persécution, à l'aide de ces boules qu'il suspendait, tantôt d'une façon, tantôt d'une autre, suivant qu'ils en étaient convenus, et David pouvait les voir. Je crois aussi qu'il déposa un écrit que David y prit, mais Je ne sais plus bien le détail. La Soeur indiqua encore diverses directions de ces boules, mais confusément.

Jésus fut très bien accueilli dans cet endroit : les gens qu'il avait trouvés ramassant la moisson l'accompagnèrent jusqu'à la ville et on vint de Salem à sa rencontre. On le conduisit, lui et ses disciples, dans une maison, on leur lava les pieds et on leur donna d'autres chaussures et d'autres habits pendant qu'on battait et qu'on étendait les leurs. On donnait souvent ainsi aux voyageurs des vêtements de rechange. Mais Jésus ne les accepta pas : il avait le plus souvent un second habillement qu'un disciple portait. Ils conduisirent ensuite Jésus à leur belle fontaine où il prit une réfection.
Il y avait autour de la fontaine beaucoup de malades de toute espèce ; ils étaient même couchés tout le long de certaines rues et il se mit aussitôt à opérer des guérisons. Il alla tranquillement de l'un à l'autre et guérit jusque vers quatre heures, après quoi il assista à un repas dans l'hôtellerie et enseigna dans la synagogue. Il fut question dans cette instruction de Melchisédech et aussi de Malachie qui avait résidé ici et annoncé dans ses prophéties le sacrifice selon l'ordre de Melchisédech. Jésus leur dit que ce temps était proche et que ces prophètes auraient été heureux de voir et d'entendre de telles choses, etc. Les habitants étaient tous de moyenne condition, ni pauvres, ni riches, mais bien intentionnés et pleins d'affection les uns pour les autres. Les docteurs de la synagogue étaient également bien disposés. mais il y avait dans le voisinage plusieurs Pharisiens qui venaient souvent ici et qui étaient à charge aux docteurs de l'endroit et aux habitants. La ville avait certains privilèges : un district qui l'entourait, et d'autres endroits voisins lui appartenaient. Jésus séjourna volontiers ici et il fortifia les habitants dans leurs bonnes dispositions

(17 octobre.) Le matin Jésus visita, à une lieue au sud-est de Salem, un jardin de plaisance, situé dans l'angle formé par le Jourdain et le petit cours d'eau qui vient d'Acrabis se jeter dans le fleuve. Il y a dans cette contrée semée de collines trois petits viviers l'un au-dessus de l'autre qui tirent leur eau de cette petite rivière. Il y a ici des bains que l'on peut chauffer. Beaucoup de personnes allèrent avec lui. On peut de là très bien voir Ainon, de l'autre côté du Jourdain : quelques personnes allèrent se promener sur l'autre rive du fleuve. Vers midi, ils revinrent à Salem. Il y vint plusieurs Pharisiens d'une ville assez grande, située à deux lieues à l'ouest prés d'une montagne. Prés de là, à environ une lieue au nord-est, se trouve une ville récente comme cachée dans un coin, où habitait le pieux Jaïre dont Jésus a ressuscité la fille, il y a peu de temps. Parmi les Pharisiens dont il vient d'être parlé se trouvait un frère de Simon le lépreux de Béthanie, qui était l'un des plus importants parmi les siens. Il y avait aussi des Sadducéens. Aujourd'hui ils étaient ici en qualité d'hôtes, car il était d'usage que les docteurs s'invitassent réciproquement pendant les jours qui suivaient la fête des Tabernacles. Il était venu encore des docteurs d'autres endroits.--On donna aujourd'hui à Salem, dans une maison destinée aux fêtes publiques, un repas auquel Jésus assista ainsi que tous ces docteurs Ils craignaient que Jésus n'enseignât à Salem le jour du sabbat, ce qu'ils auraient vu avec peine, parce que par ailleurs les habitants ne les goûtaient pas beaucoup, et le frère de Simon, à cause de cela, invita Jésus à venir à Aruma pour le jour du sabbat, ce que celui-ci accepta. Phasaël est une ville moderne où Hérode séjournait quand il était dans le pays. Il y a des palmiers autour de la ville : dans le voisinage est la source d'une petite rivière qui se jette dans le Jourdain à peu près en face de Sukkoth. Les habitants que Jaïre avait rendus meilleurs qu'ils n'étaient semblent être venus là comme colons. Phasaël a été bâti par Hérode. C'est une petite ville moderne située au nord-est d'Aruma, enfoncée dans une gorge de la montagne et cachée par un bois du côté de la vallée du Jourdain.

Note : En regardant une carte de Kloeden, reproduite sur une grande échelle et où les noms des lieux n'étaient pas écrits, elle marqua la situation d'Aruma au levant du mont Garizim, un peu plus au nord que celle qui est donnée sur la carte ordinaire de Kloeden. Cet endroit serait, selon elle, sur la pente septentrionale d'une montagne près d'un bassin. La montagne s'élève au midi derrière la ville et il n'y a pas de vue de ce côté : à l'ouest est une autre montagne couverte de bois et il n'y a pas de vue sur Sichem ; au nord-est, entre les montagnes. on voit la plaine qui s'étend de Sichem à Samarie : à l'est, par-dessus la côte boisée qui sépare Aruma et Sichem, on aperçoit de l'autre côté du Jourdain, les montagnes de Galaad. Le juge Abimélech a résidé ici. La ville doit être ancienne, car Jacob aussi y a séjourné lorsqu'il se cachait pour échapper à Esaû.

(18 octobre.) Aujourd'hui vendredi 27 Tisri, Jésus alla à Aruma qui est à deux lieues de Salem, en franchissant un coteau couvert de bois. Les Pharisiens ne le reçurent pas devant la porte. Il entra avec sa robe relevée, par la porte de la ville, accompagné de sept disciples les moins connus parmi ceux qui étaient avec lui. Il fut reçu là par quelques habitants bien intentionnés, suivant l'usage du pays : c'est là qu'on reçoit les voyageurs qui arrivent avec leur robe relevée, car ceux qui se présentent, la robe flottante, ont déjà reçu l'hospitalité devant la porte. Ils le conduisirent dans une maison où ils lui lavèrent les pieds, nettoyèrent ses habits et lui offrirent quelque chose à manger.

De là Jésus alla à la synagogue dans le logement des prêtres où se trouvait. frère de Simon et plusieurs autres Pharisiens et Sadducéens venus de Thébez et d'autres endroits. Ils prirent avec eux divers livres de l'Ecriture et allèrent avec Jésus à un jardin de plaisance ou l'on prenait des bains, situé devant la ville : ils s'entretinrent avec 3ésu. s sur les passages de l'Ecriture qui devaient être lus aujourd'hui à l'occasion du sabbat : c'était comme une préparation à la prédication. Ils furent très polis et très obséquieux vis-à-vis Jésus et le prièrent de donner ce soir une instruction, mais de ne rien dire pourtant qui excitât de l'agitation dans le peuple : du moins ils le lui donnèrent à entendre. Jésus répondit avec beaucoup de fermeté et très nettement qu'il enseignerait ce que contient l'Ecriture, la vérité : il parla aussi de loups revêtus de peaux de brebis. Vers trois heures ils allèrent prendre un repas dans la maison du frère de Simon : il avait une femme et des enfants que Jésus salua.

Il y avait beaucoup d'étrangers des deux sexes, qui mangèrent séparément avec les femmes. Le soir Jésus enseigna dans la synagogue. Il parla de la vocation d'Abraham et de son voyage en Egypte, de la langue hébraïque, de Noé, d'Héber, de Phaleg, de Job, etc., et j'eus beaucoup de visions à l'occasion de cette instruction. Elle roulait sur le chapitre XII de la Genèse et sur des textes d'Isaïe. Il dit que déjà dans la personne d'Héber Dieu avait séparé les Israélites, car il avait donné à ce patriarche une nouvelle langue, la langue hébraïque, qui n'avait pas de rapport avec les autres dialectes de ce temps, afin de séparer entièrement sa race de toutes les autres. A une époque antérieure, Héber, de même qu'Adam, Seth et Noé, parlait la langue mère primitive ; mais, lors de la construction de la tour de Babel, elle s'était perdue et confondue dans plusieurs idiomes différents. Alors, Dieu pour séparer entièrement Héber, lui donna une langue sainte particulière, la vieille langue hébraïque : sans elle, sa race ne serait pas restée pure et séparée des autres. Jésus enseigna là-dessus et sur tout ce qui concernait la vocation d'Abraham.

(19 octobre.) Jésus logeait ici dans la maison de Siméon, frère du lépreux : Simon de Béthanie aussi est originaire de cet endroit : celui d'ici avait de la capacité et de l'instruction : celui de Béthanie lui était inférieur, avec de plus grandes prétentions. Dans cette maison tout était bien ordonné, et, quoiqu'on ne traitât pas Jésus avec la vénération qu'inspire la foi, cependant les règles de l'hospitalité étaient très bien observées à son égard. Il avait une belle couche dans un endroit séparé et un oratoire pour son usage : les vases et le linge pour la toilette étaient très convenables, et le maître de la maison avait pris les dispositions nécessaires pour que le service fût bien fait ; sa femme et ses enfants se montraient peu. Jaire de Phasaël, l'homme dont Jésus avait ressuscité la fille, était aussi venu ici pour le sabbat, et il avait parlé à Jésus ; il vit les disciples et se promena avec eux. Sa fille, ressuscitée par Jésus, n'était pas à Phasael ; elle était allée voir les jeunes filles de l'école d'Abelmehola : beaucoup de jeunes filles s'y réunissaient ces jours-là, de même que le jeudi, 26 Tisri, les hommes s'étaient rendu des visites. Je ne sais pas quelle fête c'était. Abelmehola peut être à cinq lieues de Phasaël. Les serviteurs de Zorobabel, le centurion de Capharnaum, étaient aussi venus à Ainon et sur les bords du Jourdain pour la fête des Tabernacles : cela me revient maintenant à la mémoire. Ils avaient déjà reçu le baptême antérieurement : l'un d'eux était allé de Machérunte à Ophra avec cet homme de l'île de Chypre qui voulait voir Jésus, et il était revenu avec lui à Capharnaum. Je crois que cet homme de Chypre est devenu disciple de Jésus. Jésus eut un disciple natif de cette île, qui s'appelait Mnason : je ne sais pas si ce n'est pas cet homme.--Jésus enseigna encore le matin à la synagogue sur la vocation d'Abraham et sur des textes d'Isaïe. J'ai vu, à cette occasion, beaucoup de choses touchant les patriarches.

A midi, il sortit de la ville pour aller dans la partie occidentale, où se trouvait un grand édifice fort ancien : il fallait sortir par le côté du midi et gagner la partie occidentale en longeant les murs. Cette maison était comme une habitation commune pour des vieillards et des veuves âgées. Ce n'étaient pas des Esséniens, mais ils suivaient aussi un certain règlement de vie et portaient de longs vêtements blancs. Jésus enseigna quelque temps les uns et les autres, et les consola : j'ai oublié les détails.

Jésus se rendit ensuite à un grand repas qui dura jusqu'au sabbat. Je ne vois jamais Jésus manger beaucoup dans les repas de ce genre : il va d'une table à l'autre ; il enseigne et raconte presque tout le temps : le soir, il y eut une fête à la synagogue et dans les maisons. Quand le sabbat fut fini, on célébra la fête de la dédicace du temple de Salomon ; la synagogue était toute illuminée : au milieu était une pyramide de flambeaux. Ce n'était pas proprement le jour de cette fête, laquelle tombait, à ce que je crois, à la fin de la fête des Tabernacles : on la célébrait aujourd'hui par translation. Jésus enseigna sur la Dédicace : il rappela comment Dieu était apparu à Salomon et lui avait dit qu'il voulait maintenir Israël et le temple, si son peuple lui restait fidèle ; mais qu'il le détruirait s'il s'éloignait de lui. Jésus appliqua cela au temps présent, disant que le moment était arrivé, et que, s'ils ne se convertissaient pas, le temple serait détruit. Il parla là-dessus avec beaucoup de force. Les Pharisiens se virent à disputer avec lui, et prétendirent que Dieu n'avait pas ainsi parlé à Salomon, mais que c'était une invention poétique et une imagination de Salomon. La dispute fut très vive, et je vis Jésus parler avec beaucoup de chaleur ; il se manifesta dans toute sa personne quelque chose qui les intimida, au point qu'ils osaient à peine le regarder. Il leur parla, en citant des textes empruntés à la lecture du jour du sabbat, des altérations et falsifications des vérités éternelles, de l'histoire et de la chronologie des anciens peuples païens, des Egyptiens, par exemple, et il leur demanda comment ils osaient faire des reproches à ces païens, quand eux-mêmes en étaient arrivés à rejeter ce qui les touchait de si près, ce qui leur avait été transmis par une tradition si sainte, la parole du Tout Puissant, sur laquelle était fondée son alliance avec son saint temple, et à la traiter de fable et d'invention, suivant leurs caprices et leurs convenances. Il certifia et répéta encore une fois la promesse de Dieu à Salomon, et leur dit qu'à cause de leurs altérations et de leurs interprétations criminelles, la vengeance de Jéhova ne tarderait pas à s'accomplir : car là où la foi à ses promesses les plus saintes était ébranlée, là aussi étaient ébranlés les fondements de son temple. Il leur dit : " Oui ! le temple sera renversé et détruit, parce que vous ne croyez pas aux promesses, parce que vous ne savez pas discerner les choses saintes et les honorer ; vous-mêmes travaillerez à sa destruction, rien n'en sera épargné ; il sera réduit en poussière à cause de vos péchés ! " Jésus parla à peu près dans ces termes et en indiquant que, par le nom de temple, c'était lui-même qu'il désignait, ainsi qu'il le dit plus clairement avant sa passion : "Je le rebâtirai en trois jours. "il ne s'exprima pas cette fois en termes aussi précis, mais cependant assez clairs pour qu'ils sentissent dans leur effroi et dans leur colère, ce qu'il y avait de surprenant et de mystérieux dans ses paroles. Ils murmurèrent et furent très mécontents ; mais Jésus ne s'en inquiéta pas, et il continua son instruction avec tant d'éloquence, qu'ils ne trouvèrent plus rien à répondre et que, malgré eux, ils se sentirent intérieurement dominés. Au retour de la synagogue, ils lui donnèrent la main, cherchèrent en quelque sorte à s'excuser, et parurent vouloir faire la paix, au moins extérieurement. Jésus prononça encore, avec beaucoup de douceur, quelques paroles pleines de gravité, puis il quitta l'école, dont les portes furent fermées.

Je vis Salomon devant le temple, près de l'autel : debout sur une colonne, il parla au peuple, et adressa à Dieu une belle prière. La colonne était assez haute pour que tout le monde put le voir. On y montait par l'intérieur : au-dessus était une plate-forme assez spacieuse avec une espèce de siège ; la colonne n'était pas fixée au sol : on pouvait la transporter ailleurs. Je vis ensuite Salomon dans le château de Sion : il n'était pas encore dans son nouveau palais. C'était dans ce lieu que Dieu avait parlé à David, notamment quand Nathan fut venu le trouver. Il y avait là une terrasse surmontée d'une tente, sous laquelle il dormait. Salomon y était en prière. Alors une lumière dont la splendeur ne peut se rendre, vint l'entourer, et il en sortit une voix : j'ai vu cela et j'ai entendu les paroles. Ce fut une répétition de la promesse de Dieu, telle qu'elle se trouve consignée dans la Bible. (III. Reg. IX, 2, etc.)

Salomon était un bel homme, bien pris dans sa taille : il ne manquait pas d'embonpoint, et ses membres étaient moins décharnés et moins anguleux que ceux de la plupart des gens qui l'entouraient ; ses cheveux étaient bruns et lisses ; il avait la barbe courte et bien tenue, des yeux bruns très perçants, un visage rond et plein avec des joues un peu larges. A cette époque, il n'avait pas encore cette multitude de femmes païennes auxquelles il se livra plus tard. Il avait à la vérité plusieurs femmes, mais il s'en abstint rigoureusement pendant tout le temps de la dédicace du temple.

Jésus ne guérit pas en public à Aruma, pour ne pas donner de scandale : en outre les malades étaient intimidés par la présence des Pharisiens et ils ne s'adressaient pas à lui pendant le jour. Ce fut pour moi un spectacle singulièrement touchant de le voir, pendant ces deux nuits, en compagnie de deux disciples, parcourir les rues au clair de la lune, s'arrêter devant quelques petites portes où des gens l'attendaient humblement, puis entrer dans les cours et guérir plusieurs malades. C'étaient des gens pieux qui croyaient en lui et lui avaient fait adresser des suppliques par les disciples. Cela pouvait se faire sans éclat et sans bruit : car les rues de la ville étaient très silencieuses : elles n'étaient bordées que par les murs des cours intérieures où il y avait de petites portes. Toutes les maisons avaient leurs fenêtres tournées vers l'intérieur, donnant sur des cours et de petits jardins. Les malades attendaient Jésus avec impatience. Je me souviens entr'autres d'une femme affligée de pertes de sang que deux servantes portèrent toute enveloppée dans une cour. Dans cette tournée nocturne, Jésus ne s'arrêta pas longtemps près des malades. Ordinairement pour réveiller leur foi, il leur demandait s'ils croyaient que Dieu pouvait les guérir et qu'il avait donné à quelqu'un pouvoir pour cela sur la terre. Je ne puis pas bien exprimer cela. Il fit aussi baiser sa ceinture à la femme affligée de pertes de sang et lui dit quelques paroles dont le sens était à peu près celui-ci : " je te guéris par le mystère de cette ceinture ", ou bien peut-être : " par l'intention à laquelle est portée cette ceinture, depuis le commencement jusqu'à la fin ". A d'autres il en posait les bouts sur la tête. Cette ceinture était une bande d'étoffe longue et large, elle était portée tantôt dans toute sa largeur, tantôt pliée et plus étroite ; les extrémités qui se terminaient par des houppes, tantôt étaient raccourcies, tantôt pendaient dans toute leur longueur.

La vallée qui est au levant d'Aruma et qui se dirige de l'est à l'ouest vers Sichem, puis au nord jusqu'au delà de la montagne qui est au nord-est de Sichem, était couverte de bois : à l'est de cette montagne qui est au milieu d'une plaine devant Sichar était la partie qu'on appelle le bois de Mambré. Ce fut là qu'Abraham planta d'abord ses tentes et que Dieu lui apparut et lui promit une heureuse postérité. Il y avait là un grand arbre, dont l'écorce était moins rude que celle du chêne : il portait à la fois des fleurs mâles et femelles séparées et des fruits. Je l'ai déjà décrit dans le pays de Basan. C'est l'arbre dont les noix servaient à faire des têtes pour les bâtons de pèlerins. Le Seigneur apparut près de cet arbre. C'est aussi là que Jacob enterra les idoles lorsqu'il s'éloigna de Sichem. Mais c'est un autre arbre qui a succédé au premier. On fait un breuvage avec le suc qui en découle.

La route en partant de Sichem longe le côté gauche du bois et tourne autour du mont Garizim. Au nord, en avant du bois, il y a dans la plaine une ville bâtie en mémoire du séjour d'Abraham. Il doit en rester des traces. Elle est à trois lieues au nord d'Aruma, à deux lieues au nord-ouest de Phasaël et s'appelle Thanath-Silo.

(20-21 octobre.) Le matin, Jésus parla encore avec beaucoup de sévérité contre les Pharisiens, dit qu'ils avaient perdu l'esprit de la religion, ne tenant qu'à des coutumes et à des observances qu'ils conservaient comme des écorces vides pendant qu'ils laissaient le fruit se perdre. Ils soutinrent contre lui la sainteté de ces formes, mais ils furent enfin réduits au silence lorsque Jésus leur opposa l'exemple des paiens pour lesquels Satan a fini par remplir des formes restées vides. Plus tard Jésus alla à trois lieues au nord, vers une ville située dans la vallée qui est en avant de Samarie et où Abraham vint habiter d'abord. On trouve avant d'y arriver, une hôtellerie établie par Lazare pour la communauté : elle est confiée aux soins d'une famille de Nazareth alliée de loin à celle de Jésus : je ne me rappelle plus les noms. Jésus y passa la nuit.

(21 octobre.) Aujourd'hui Jésus alla de côté et d'autre dans les champs où des hommes et des femmes travaillaient à amasser de grands monceaux de blé. Jésus fit une longue instruction aux paysans assemblés : il se tenait sur un monticule près de l'arbre d'Abraham et d'un puits creusé par ce patriarche. Abraham avait eu une contestation pour ce puits avec un homme de Sichem qui ne voulait pas tolérer sa présence en ce lieu et à la suite de laquelle il alla ailleurs. Cet homme lui acheta le puits et Jésus parla aujourd'hui du prix de cette vente à propos de laquelle il donna des explications. Il raconta aussi une parabole sur les différentes espèces de terroir et sur la culture qui leur convient. Ces gens étaient des esclaves et habitaient des cabanes mobiles pendant le temps des travaux des champs. Ils étaient de la religion samaritaine.

La ville qui est tout auprès de cette contrée et dont j'ai oublié le nom ne se composait autrefois que de quelques cabanes : Abraham lorsqu'il s'éloigna établit ici les familles de quelques-uns de ses esclaves appartenant à une catégorie inférieure : elles s'allièrent par la suite aux habitants du pays. Abraham avait beaucoup d'enfants des deux sexes qu'il avait eux de plusieurs femmes avant de venir dans la terre de Chanaan Il reçut de Dieu l'ordre de laisser les femmes et de prendre avec lui les enfants : car se rattachant par lui à une meilleure souche, ils étaient destinés à améliorer diverses races étrangères, quoiqu'ils ne dussent pas contribuer à la formation du peuple de Dieu lequel devait sortir de Sara et seulement après qu'Abraham aurait reçu la bénédiction. Sara était réellement soeur d'Abraham, étant fille de Tharé, mais d'une autre mère. Sa mère tirait son origine des enfants de Joctan, fils d'Héber, et Abraham descendait de Phaleg, un autre fils de celui-ci. Ainsi les deux races s'unissaient de nouveau dans Abraham et Sara.

La plupart des membres de la nombreuse famille d'Abraham étaient ses enfants : il y avait eu en Chaldée des mariages entre frères et soeurs. Il les dota tous et prit soin d'eux. Ils étaient encore avec lui en Egypte. Lorsqu'il habita près d'Hébron, il les établit dans un bon pays, voisin de Zoar, sur les bords de la mer Morte. Ce fut là que Loth pécha avec ses filles. Il s'y trouvait plusieurs tribus inférieures et ignorantes : c'étaient comme des esclaves dont les descendants d'Abraham devinrent plus tard les chefs et les rois et avec lesquels leur postérité s'allia pour relever la race. Dans tout ce qui se faisait à cette époque, même en matière de religion, la principale préoccupation était d'associer et de diriger les races humaines de façon à ce qu'elles ne tombassent pas plus bas et qu'elles s'améliorassent selon la chair et selon l'esprit.

La ville de Thanath-Silo, près de laquelle se trouvent l'hôtellerie de Jésus et le puits d'Abraham, se rendit Coupable de trahison dans la guerre des Machabées :

elle prit parti pour Antiochus et Judas s'en empara et le châtia sévèrement. La mère des sept Machabées habita aussi cet endroit : elle alla ensuite à Jérusalem Le martyre de ses fils eut lieu à Jérusalem près de la montagne du temple. J'ai vu beaucoup de choses à ces sujet, mais je les ai oubliées.

Ce soir, commençait la nouvelle lune du premier de Marcheswan et les habitants de Thanath-Silo vinrent prendre Jésus à son logis et le conduisirent dans la ville. Il enseigna à la synagogue, mangea avec les docteurs, et revint passer la nuit à l'hôtellerie devant la ville. C'était la fête de la nouvelle lune, des guirlandes de fruits étaient suspendues devant la synagogue et les autres édifices publics.

(12 octobre.) Aujourd'hui Jésus guérit dans la ville un très grand nombre de malades de toute espèce qui s'y étaient rassemblés : il y en avait notamment beaucoup qui avaient un côté paralysé ou les bras perclus : il s'y trouvait aussi des possédés et des femmes affligées de pertes de sang. Il bénit plusieurs enfants malades et d'autres qui ne l'étaient pas. Ceux qui avaient les mains ou le côté paralysés avaient gagné, la plupart du temps, leur maladie dans les travaux des champs et en se couchant sur la terre humide après de fortes sueurs occasionnées par le travail : j'ai vu pareille chose dans les champs voisins de Gennabris en Galilée. Jésus se rendit ensuite dans la plaine où l'on faisait la moisson et là aussi il opéra beaucoup de guérisons. Vers midi les gens de la ville apportèrent des aliments dans des corbeilles et il y eut un grand repas sous une cabane de feuillage qui était encore debout. Jésus fit alors une grande instruction, dirigée spécialement contre les sollicitudes superflues et exagérées touchant la subsistance. Il cita l'exemple des ils qui ne filent point et qui pourtant sont plus magnifiquement vêtus que Salomon dans toute sa gloire : il dit encore beaucoup de belles choses à propos des animaux d'espèces différentes et des divers objets qui se rencontraient dans le pays. Il enseigna aussi qu'on ne devait pas profaner le sabbat et les jours de fête par un travail fait en vue du gain. Il leur était permis, disait-il, de travailler par charité, de sauver des hommes ou des animaux, mais ils devaient laisser la moisson et les récoltes à la garde de Dieu et ne pas travailler le jour du sabbat chaque fois qu'il y avait une menace de mauvais temps. Il fit sur tout cela une instruction très belle et très détaillée ; c'était tout à fait dans le genre du sermon sur la montagne, car il y répéta souvent : " Bienheureux ceux-ci, bienheureux ceux-là ". 

Les gens de l'endroit en avaient grand besoin, car ils étaient extraordinairement intéressés et avides, soit comme agriculteurs, soit comme commerçants, et ils accablaient leurs serviteurs de travail. Etant, en outre, chargés de recueillir la dîme dans toute la contrée, ils retenaient souvent fort longtemps ce qu'ils avaient reçu et en tiraient des profits usuraires. Ils trafiquaient des produits de leurs champs. Je vis aussi de vieilles gens aller de côté et d'autre avec des ouvrages en bois, dont le voisinage de la forêt leur facilitait la confection Je les vis spécialement faire en grande quantité des talons de bois qu'on mettait sous les sandales. Il n'y avait pas de Pharisiens ici. Les gens étaient quelque peu grossiers et intéressés : ils étaient aussi très fiers de leur descendance d'Abraham. Mais les fils qu'Abraham avait installés ici n'avaient pas tardé à dégénérer : ils s'étaient alliés avec les Sichémites, et lorsque Jacob vint dans le pays, ils avaient déjà perdu l'usage de la circoncision Jacob avait l'intention de rester à demeure dans ces plaines, mais il en fut empêché par l'enlèvement de Dina. Il connaissait les enfants d'Abraham qui habitaient ici, et il leur envoya des présents. Dina était allée se promener près du puits voisin de Salem : elle avait ensuite été invitée à venir dans les environs par les gens auxquels son père avait fait des présents. Elle avait des servantes avec elle, et la curiosité la poussa à se promener seule dans le pays : ce fut là que le Sichémite la vit et la séduisit dans le champ ou dans la forêt. Ces sortes d'attentats étaient alors envisagés d'un autre oeil qu'aujourd'hui : les gens de cette époque étaient plus sensuels : ils ne faisaient pas au. tant de résistance, ils étaient aisément entraînes, et n'étaient retenus que par les lois sacrées de la famille et le mystère des races. Du reste, ils ressemblaient aux troupeaux au milieu desquels ils vivaient. Dina, l'innocente, s'éloigna du troupeau et ce fut sa perte.

(22 octobre.) Dans la matinée, Jésus avait encore enseigne et guéri a Thanath-Silo. Il ne faut pas s'étonner de la quantité des malades, car à peine sait-on qu'il est quelque part, qu'on les y amène de tous les villages et de toutes les cabanes de la contrée. Cet endroit était habité par des Samaritains et par des Juifs qui vivaient à part les uns des autres ; cependant les Juifs étaient en plus grand nombre. Jésus enseigna aussi les Samaritains, mais il se tint sur le territoire appartenant aux Juifs, pendant que les Samaritains se tenaient à l'extrême limite de leur quartier, à un endroit où aboutissait une rue. Il guérit aussi des Samaritains. Les Juifs ici avaient moins de haine contre eux, parce qu'en général ceux de cet endroit prennent les choses assez légèrement, notamment en ce qui touche l'observation du sabbat.
Jésus guérit ici de plusieurs manières différentes. Il guérit quelques malades à distance par un regard ou par une parole : il en toucha quelques-uns : à d'autres il mit les mains sur la tête : il y en eut sur lesquels il souffla, ou qu'il bénit, ou dont il frotta les yeux avec de la salive. Plusieurs le touchèrent et furent guéris : il rendit la santé à d'autres qui étaient éloignes, sans même se tourner vers eux. Il me semble que dans les derniers temps de sa vie publique. Il guérit en général plus vite qu'au commencement. J'étais portée à croire que les guérisons s'opéraient suivant des modes si différents, pour montrer que son action n'était pas liée à telle ou telle manière de procéder, et que son pouvoir était le même, de quelque façon qu'il s'y prît ; mais Jésus dit lui-même dans un passage de l'Evangile que telle espèce de démons se classe autrement que telle autre. Certainement il guérissait chaque malade de la façon qui était appropriée son mal, à son degré de foi et à sa nature, de même qu'aujourd'hui encore il châtie différemment ou convertit différemment chaque pécheur. Il ne renversait pas l'ordre de la nature. seulement il la délivrait de ses liens. Il ne tranchait pas le noeud, il le dénouait. et il n'y en avait aucun qu'il ne pût dénouer, car il avait les clefs de tout, et en tant qu'il était devenu Homme-Dieu, il agissait selon les formes humaines qu'il sanctifiait. Déjà précédemment il m'a été enseigné que ces différents procédés dont il usait étaient symboliques et figuratifs, pour enseigner à ses disciples les formes qu'ils devaient suivre dans chaque occasion. A cela se rapportent les diverses formes des bénédictions de l'Eglise des consécrations et des sacrements.

Il y avait près de Thanath-Silo un grand nombre de jardins plantés de figuiers. Jésus, en quittant la ville, se dirigea vers le midi ; plusieurs personnes de l'endroit l'accompagnèrent. Il suivit ensuite, dans la direction du nord-est, une route assez large qui conduit à Scythopolis. Il laissa alors Doch à sa droite et à sa gauche Thébez, placée à l'extrémité orientale de la montagne sur laquelle est située Samarie. Il descendit du côté de la vallée du Jourdain, dans une autre vallée où naît un cours d'eau qui se jette dans le fleuve. Il était venu là à sa rencontre une troupe de gens désireux de l'entendre, spécialement des ouvriers samaritains. Ils l'attendaient et il les enseigna. A gauche sur la hauteur, était un petit endroit consistant en une longue rangée de maisons, et qui s'appelle Aser-Michmethath. Jésus y entra vers le soir. Abelmehola peut être à sept lieues d'ici. Cet endroit est sur le chemin que suivaient Marie et les saintes femmes quand elles voulaient aller en Judée par les montagnes, sans passer par Samarie : la sainte Vierge y a aussi passé avec saint Joseph lors de la fuite en Egypte. Ce soir-là, Jésus alla encore au puits d'Abraham et au jardin de plaisance qui est devant Aser-Michmethath, et il y guérit plusieurs malades, entre autres deux Samaritains qu'on y avait amenés d'ici. Il fut très bien accueilli par ces gens : ils étaient très bons ; chacun d'eux voulait le recevoir chez soi, mais il entra en avant de la ville chez une famille patriarcale dont le chef s'appelait Obed, et on l'y reçut très affectueusement, lui et tous ses disciples. Le chemin de Thanath Silo ici est beaucoup meilleur et plus large que celui qui mène à Jéricho par Acrabis : celui-ci est extraordinairement étroit, pierreux et rocailleux, au point que les bêtes de somme y passent difficilement avec leur charge.

J'ai vu qu'au temps des Juges, il y avait une prophétesse qui pratiquait des sortilèges de toute espèce sous l'arbre voisin du puits d'Abraham et donnait des consultations qui réussissaient toujours mal. Elle y faisait pendant la nuit toutes sortes de cérémonies à la lueur des flambeaux et menait ensemble des animaux et des figures étranges. Mais tous ses artifices frappaient à faux et ses conseils réussissaient mal : c'est la même que, dans le dernier voyage à Azo dans le pays de Basan, je vis clouée sur une planche par les Madianites chez lesquels elle s'était fait passer pour un homme. Elle habitait dans la forêt et faisait ici ses sortilèges. Cet arbre est le même sous lequel Jacob enfouit les idoles dérobées aux Sichémites.

J'ai vu aussi que saint Joseph, la sainte Vierge et l'enfant Jésus se cachèrent et se reposèrent une nuit et un jour dans le voisinage de cet arbre, lors de la fuite en Egypte. La persécution d'Hérode était connue et il était peu sur de voyager. Je crois aussi que dans le voyage de Bethléem, lorsque Marie souffrit tant du froid, ce fut près de cet arbre qu'elle se sentit si réchauffée.

Comme cette nuit j'étais allé en vision de chez moi dans cet endroit de la terre promise, pour voir le jour correspondant de la vie de Jésus, je passai par Lebona, ville située au midi du mont Garizim, et j'y vis saint Joseph apprendre son métier de charpentier lorsqu'il se fut enfui d'auprès de ses frères. Il pouvait bien avoir vingt ans : je le vis habiter et travailler dans une vieille muraille qui allait de la ville à un rebord étroit de montagne : c'était comme une route conduisant à un château en ruines. Il y avait des logements dans les murs. Je le vis entre de hautes murailles où étaient pratiquées des ouvertures, travailler à de longues pièces de bois auxquelles on adaptait les cloisons de clayonnage. Il était très bon et très pieux. Plus tard il passa près d'ici avec Marie, et je crois qu'il vint une fois visiter avec elle son ancienne résidence. Il travailla encore dans un autre endroit avant son union avec Marie : c'était près d'un cours d'eau qui se jette dans la mer : il me semble que ce n'était pas loin d'Apheké, patrie de Thomas.

(24 octobre.) Aser-Michmethath est à cheval sur une arête de montagne qui court vers la vallée du Jourdain : le versant méridional appartient à la tribu d'Ephraïm : le versant septentrional à celle de Manassé. Si je ne me trompe, Michmethath est sur le côté d'Ephraïm, Aser sur celui de Manassé et les deux ne forment qu'une seule ville, Aser-Michmethath, au milieu de laquelle passe la limite des deux territoires. La synagogue est placée à Aser dont les habitants ont dans leurs coutumes quelque chose qui les distingue et les met un peu à part. Michmethath, la partie éphraïmite de la ville, s'élève en amphithéâtre sur le penchant de la montagne : au-dessous, dans la vallée, est une petite rivière près de laquelle Jésus enseigna encore les Samaritains qui étaient venus à sa rencontre. Un peu plus haut devant la ville est une belle fontaine autour de laquelle il y a, comme de coutume, un jardin de plaisance avec des bains. La source, à laquelle on descend par un bel escalier, est contenue dans un bassin revêtu de maçonnerie au milieu duquel s'élève un bel arbre sur une terrasse ; à l'aide de ce réservoir on peut remplir d'eau plusieurs citernes creusées à l'entour et où l'on se baigne. Jésus guérit ici, hier soir, deux femmes samaritaines.

Jésus reçut ici des habitants un accueil hospitalier et il alla loger dans la maison d'un homme respectable et de moeurs patriarcales, nommé Obed. C'était comme une maison de campagne située en avant de Michmethath. Obed était comme le principal personnage de l'endroit. Les habitants de cette partie de la ville étaient pour la plupart alliés les uns aux autres et plusieurs familles avaient pour chefs des enfants ou neveux d'Obed. Il était pour eux tous un ami et comme un supérieur : il s'occupait de leurs affaires, et les dirigeait dans leurs travaux agricoles et le soin de leurs troupeaux. Sa femme vivait encore : elle habitait avec la portion féminine de la famille une partie séparée de la maison. C'était une petite vieille juive encore très alerte. Elle tenait une espèce d'école et enseignait toutes sortes de travaux manuels aux jeunes filles des autres familles. Du reste dans toute cette maison rien ne se faisait qu'avec sagesse et charité. Obed avait dix-huit enfants dont quelques-uns n'étaient pas encore mariés. Deux de ses filles l'étaient à Aser, la partie de la ville qui était sur le territoire de Manassé, et cela ne lui plaisait pas beaucoup, comme je l'appris par ses entretiens avec Jésus, parce que les gens y étaient moins bons et avaient une autre manière de vivre.

Le matin Jésus enseigna près de la fontaine : il y avait bien quatre cents personnes sur la rampe de gazon qui l'entourait et où étaient pratiqués des degrés. Il parla en termes très clairs de l'avènement du Messie et de sa mission, de la pénitence et du baptême. Il prépara aussi au baptême quelques personnes parmi lesquelles étaient des enfants d'Obed. Jésus alla ensuite dans les champs avec Obed visiter diverses habitations : il enseigna et consola les serviteurs et les vieillards qui étaient restés pour garder le logis pendant que les autres allaient à sa prédication.

Obed parla beaucoup avec lui d'Abraham et de Jacob qui avaient résidé dans cette contrée et des aventures de Dina. Les habitants de Michmethath se considéraient comme de la race de Juda. Holopherne, l'aventurier mède, avait entièrement dévasté cet endroit, lors de son invasion : alors leurs ancêtres étaient venus de la Judée s'y établir, avec la ferme résolution d'y vivre ensemble pieusement selon les anciennes moeurs, et ils avaient fait ainsi jusqu'à présent. Obed avait tout à fait les moeurs des Israélites pieux : il s'attachait spécialement à suivre l'exemple de Job ; il dotait richement ses fils et ses filles et chaque fois qu'il mariait un de ses enfants, il faisait des aumônes abondantes aux pauvres et au temple.

Jésus bénit beaucoup d'enfants que leurs mères lui avaient amenés. Il y eut dans l'après-midi un grand repas autour de la maison d'Obed et dans la cour, sous des cabanes de feuillage. Presque tous les habitants de Michmethath y prirent part et spécialement tous les pauvres du pays. Jésus fit le tour des tables, bénit, enseigna et distribua des aliments avec beaucoup d'affabilité. Il raconta des paraboles. Les femmes étaient assises à part sous le feuillage. Jésus alla ensuite voir quelques malades dans les maisons et les guérit. Il bénit encore beaucoup d'enfants que leurs mères lui présentèrent successivement. Il y avait là une très grande quantité d'enfants, surtout près de la femme d'Obed qui les instruisait. Obed avait un petit garçon d'environ sept ans avec lequel Jésus s'entretint beaucoup et qu'il bénit : il vivait aux champs près d'un frère plus âgé. Il était très pieux et s'agenouillait souvent la nuit dans les champs pour prier. Le frère aîné ne voyait pas cela avec plaisir, ce qui faisait de la peine à Obed. Jésus donna des avis à ce sujet. Je me souviens confusément que cet enfant est venu se joindre aux disciples avant la mort de Jésus. D'Aser-Michmethath on voit à l'orient les montagnes qui sont au delà du Jourdain, à une lieue au nord de Sukkoth et de l'embouchure du Jabok. Dans la guerre des Machabées, Michmethath rendit de grands services aux Juifs et fut très fidèle à leur cause. Judas Machabée y séjourna à diverses reprises. Obed prenait Job pour modèle en toutes choses : il menait avec les siens une vie presque semblable suivant la justice et les vieilles moeurs patriarcales.

Les habitants de l'autre partie de la ville étaient de la tribu d'Aser.

(25 octobre.) Jésus alla aujourd'hui avec les disciples dans la partie septentrionale de la ville, laquelle a le nom d'Aser, et se trouve située sur le territoire de Manassé, au versant opposé de La montagne. Il y avait là, près de la synagogue, beaucoup de Pharisiens assez mal disposés à l'égard de Jésus, et d'autres hommes pleins d'orgueil. Ils s'associaient à des gens qui avaient à lever des impôts et des redevances pour les Romains, et se livraient ainsi à l'usure. Jésus y enseigna dans la matinée et guérit plusieurs malades. Les Pharisiens et ces autres orgueilleux montrèrent de la froideur et du mécontentement, parce que Jésus s'était d'abord arrêté chez les gens simples et rustiques de Michmethath. Ils n'aimaient pas Jésus, et pourtant ils auraient voulu, par amour-propre, qu'en qualité de savant, il vint chez eux avant d'aller chez leurs voisins dont ils dédaignaient la simplicité.

Note : C'est peut-être de là qu'est venue la tradition que Job avait en ce lieu un bien de campagne mentionné dans l'Itinerarium Hierosolytanum.

Vers midi, Jésus, accompagné de ces gens, revint à la fontaine qui est en avant de Michmethath, et y prépara au baptême. Plusieurs confessèrent leurs péchés en général, d'autres allèrent trouver Jésus en particulier, lui confessèrent leurs péchés en détail et le prièrent de les leur remettre en leur imposant une pénitence C'étaient Saturnin et, si je ne me trompe, José Barsabas, qui baptisaient : d'autres disciples imposaient les mains. Cela se faisait dans une grande citerne destinée a prendre des bains. Après le baptême, Jésus prit un peu de nourriture, et ils allèrent ensuite à Aser pour le sabbat. Jésus enseigna sur des textes de la Genèse (XVIII, 23, etc.) : il parla de la destruction de Sodome et de Gomorrhe, et exhorta à la pénitence en termes très sévères : il parla aussi des miracles d'Elisée. Les Pharisiens furent très peu satisfaits, car ensuite, pendant le repas, il leur reprocha de mépriser les Publicains, tandis qu'eux-mêmes pratiquaient l'usure, seulement plus secrètement et avec plus d'hypocrisie. Il passa la nuit chez Obed.

(26 octobre.) Le matin, Jésus enseigna dans la synagogue d'Aser sur Abraham et sur Elisée : il guérit ensuite plusieurs malades, parmi lesquels des démoniaques et des hypocondriaques. Dans l'après-midi il y eut un grand repas dans l'hôtellerie. C'étaient les Pharisiens qui avaient fait l'invitation, mais Jésus y convoqua beaucoup de pauvres ainsi que les gens de Michmethath, et il fit tout payer par ses disciples. Pendant le repas, il eut à subir de violentes contradictions de la part des Pharisiens, et à cette occasion il raconta la parabole du débiteur injuste qui voulait qu'on lui remît sa dette, tout en restant sans miséricorde à l'égard de ses débiteurs, etc. Il leur en fit l'application parce qu'ils pressuraient les pauvres pour leur extorquer les redevances, puis faisaient des mensonges aux Romains et s'appropriaient l'argent : en outre, ils élevaient arbitrairement le taux des redevances et n'en rendaient que le tiers aux Romains. Ils voulurent se justifier, mais il leur dit : " Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu. Ils finirent par se mettre très en colère, et par dire que cela ne le regardait pas.

(27 octobre.) Hier au soir commençait un jour de jeûne en mémoire de ce que Nabuchodonosor fit crever les yeux à Sédécias. Aujourd'hui Jésus resta encore à Michmethath chez Obed, les autres allèrent se promener un peu comme c'était la coutume les jours de jeûne. Jésus enseigna dans la campagne chez des bergers et en outre près du puits d'Abraham. Il parla du royaume de Dieu, dit qu'il s'éloignerait des Juifs pour aller aux païens et que les païens auraient la préférence. Obed lui dit à ce propos que s'il parlait ainsi aux païens, cela pourrait les rendre orgueilleux. Jésus lui expliqua amicalement pourquoi il leur donnait de tels enseignements et que c'était précisément à cause de leur humilité qu'ils seraient préférés. Il avertit aussi Obed et tous les siens de se tenir en garde contre une certaine tendance qu'ils avaient à se croire justes et à être contents d'eux-mêmes. Ils se séparaient des autres à quelques égards : ils se sentaient heureux et satisfaits de leur vie simple et modeste, de la régularité qui y présidait, du bien qui en résultait : cela pouvait aisément, conduire à l'orgueil. Jésus à cette occasion raconta la parabole des talents. Il enseigna aussi les femmes dans un jardin de plaisance séparé où elles avaient leurs bains, et où il y avait de beaux massifs de verdure. Jésus les enseigna en leur racontant la parabole des vierges sages et des vierges folles. Il était debout au milieu d'elles : elles étaient assises en cercle sur une terrasse, les unes au-dessus des autres : la plupart avaient un genou en terre et l'autre relevé, s'appuyant dessus avec les mains. Dans de semblables occasions, toutes les femmes avaient de longs voiles qui les enveloppaient ; ceux des riches étaient d'étoffe plus fine et plus transparente : ceux des pauvres d'étoffe commune et grossière. Au commencement elles étaient entièrement voilées : pendant l'instruction elles se découvrirent à leur commodité.

Jésus fit baptiser ici une trentaine d'hommes. C'étaient pour la plupart des gens de service venus de loin qui ne s'étaient rendus ici qu'après l'emprisonnement de Jean. Jésus était allé avec les gens du pays dans les vignes qui mûrissaient ici pour la seconde fois.

(28-31 octobre.) Le matin, Jésus quitta Michmethath avec cinq disciples : deux disciples de Jean sont partis d'ici pour Machérunte. Il redescendit du côté par où il était venu. La petite rivière qui coule dans la vallée au midi d'Aser-Michmethath a sa principale source dans la fontaine où Jésus avait fait baptiser. Il alla à l'ouest et fit environ trois lieues dans la vallée, longeant la base méridionale des montagnes sur lesquelles sont situées Thébez et Samarie. Il enseigna quelques bergers sur la route et arriva vers midi sur le bien qui composait la principale part de Joseph dans la succession de Jacob (Genèse, XLVIII, 32). Il est situé dans la vallée au midi de Samarie et s'étend de l'est à l'ouest sur une largeur d'une demi lieue et sur une longueur d'une lieue. Un ruisseau coule dans la vallée vers le couchant. Des vignes qui sont sur la partie la plus élevée on voit Sichem au midi, à environ deux lieues. Il y a de tout : des vignes, des pâturages, du blé, du fruit et de l'eau : il s'y trouve des bâtiments en bon état qui sont occupés par un métayer. Je crois que ce bien appartient maintenant à Hérode. C'est la maison où, il y a peu de temps, pendant que Jésus était à Sichem, la sainte Vierge l'attendit avec les autres femmes et où il guérit le petit garçon. (Voir le tome II, page 196.) Les gens qui habitent ici sont bons. Il fit une instruction à une grande réunion de peuple et prit part à un repas champêtre. Cet héritage particulier de Joseph n'était pas le champ voisin de Sichem que Jacob acheta d'Hémor : c'était un beau territoire à part, où habitaient des Amorrhéens qui étaient venus en troupe s'établir là au milieu d'une autre population. Je crois qu'il était compris dans la vente faite à Jacob, mais il fallait le délivrer de ceux qui l'occupaient, car il ne voulait pas les avoir pour voisins, de peur que son peuple ne se mêlât avec eux. Il y eut à ce sujet une espèce de duel ou de combat, non pas à mort, mais pacifique. La terre devait appartenir à celui qui enlèverait ou briserait l'épée ou le bouclier de son adversaire : le vaincu devait se retirer. Il y avait en outre une autre épreuve où il s'agissait de toucher un but avec une flèche. Jacob et le chef des Amorrhéens se mesurèrent en présence d'une troupe de leurs gens. Jacob l'emporta sur son adversaire et celui-ci fut obligé de se retirer. Après le combat ils firent un traité d'alliance. Cela se passa peu de temps après l'achat du terrain. Jacob demeura environ onze ans près de Sichem.

Jésus en partant d'ici remonta la montagne dans la direction du nord-est ; il alla à deux lieues à l'est de Samarie, à Méroz, ville située au versant méridional d'une montagne sur le côté septentrional de laquelle se trouve Atharoth. Méroz est située un peu plus haut que Samarie, plus haut aussi que Thébez qui est au midi, et qu'Aser-Michmethath qui est au levant.

Jésus n'était pas encore venu à Méroz. La ville était entourée d'un fossé desséché dans lequel parfois s'amassait un peu d'eau de pluie. Cet endroit avait un mauvais renom dans Israël à cause de la mauvaise foi des habitants. J'ai entendu diverses choses concernant ce lieu, le champ de Jacob, la prophétie de ce patriarche au moment de sa mort, et aussi touchant l'histoire de Débora. Mais je n'en ai pas retenu grand chose et je suis trop malade pour recueillir mes souvenirs C'est à Méroz que s'établirent les descendants d'Aser où de Gad, l'un et l'autre fils de Zelpha, servante de Lia. Ces fils, outre leurs enfants légitimes, en avaient eu d'autres dont les mères étaient des servantes et même des femmes païennes de Sichem. C'est de ceux-ci que Méroz fut peuplée : on ne voulut pas les admettre dans les tribus et par la suite ils se montrèrent lâches et peu fidèles dans la guerre des Israélites contre Sisara. Ils avaient reçu de l'argent des ennemis et n'avaient pas pris part à la lutte. Ils furent poussés à agir ainsi par des faux prophètes qui se trouvaient parmi eux. Ils eurent aussi des rapports avec la prophétesse Abinuem, qui fut clouée sur une planche à Azo par les Madianites. Dans d'autres occasions encore, ils s'étaient rendus coupables de trahison et ils étaient tombés par là dans le mépris. Méroz était un endroit séparé des autres et où l'on vivait dans l'isolement : de là venait que les habitants étaient restés étrangers à beaucoup de bonnes choses et aussi à beaucoup de mauvaises. Ils étaient arriérés, oubliés et dans une sorte de décadence. J'ai vu à cette occasion quelque chose touchant la victoire remportée sur Sisara et j'ai entendu le cantique de Débora. Il fut composé pour elle, au moins en partie, par un homme, par Barach, à ce que je crois, et il fut chanté par elle devant le peuple assemblé. On prononça alors une malédiction contre Méroz. (Judic,V , 23.) C'était une chose dont il ne fallait pas parler aux habitants. (La Soeur croit que dans le cantique de Débora il y avait des allusions au Messie et aussi que Méroz ne devait être délivrée de son opprobre qu'à la venue de Jésus.) Les habitants de Méroz s'occupaient principalement de la préparation des peaux de bêtes. Ils fabriquaient du cuir, et apprêtaient des fourrures qu'ils cousaient ensemble pour en faire des vêtements : ils faisaient avec leur cuir des sandales, des courroies, des ceintures, des boucliers, des pourpoints de soldats. Ils allaient sur des ânes chercher les peaux, quelquefois fort loin, et ils les apprêtaient en partie dans une citerne où arrivait l'eau de la fontaine de la ville. Mais comme celle-ci venait elle-même d'ailleurs par un aqueduc et qu'ils n'en avaient pas toujours en abondance ; ils tannaient les peaux à Iscariot ; ainsi s'appelait un endroit où il y avait des marécages, situé à deux lieues à l'est de Méroz et peu éloigné de Michmethath dans la direction du nord. C'était un coin de terre triste et désert ou se trouvaient quelques habitations : il y avait une gorge arrosée par une source et se dirigeant vers la vallée du Jourdain : c'était là qu'ils préparaient leurs cuirs. Judas ou ses parents avaient demeuré assez longtemps dans cet endroit et il en portait le nom.

Jésus fut accueilli avec beaucoup de joie par les pauvres habitants de Méroz qui savaient qu'il allait venir. Ils vinrent a sa rencontre devant la ville, lui apportèrent des habits et des sandales et voulurent nettoyer et battre ses vêtements. Jésus les remercia et alla avec ses disciples dans une hôtellerie de la ville où on lui lava les pieds et où on lui donna à manger. Les Pharisiens vinrent le trouver et le soir il fit dans la synagogue devant une nombreuse assistance une grande instruction sur le serviteur paresseux et sur le talent enfoui. Il compara les habitants de la ville à ce serviteur. N'ayant reçu qu'un talent, en qualité de fils des servantes, ils auraient dû le faire fructifier, mais ils l'avaient enfoui, or, le maître allait venir, et ils devaient se hâter de lui faire produire quelque chose. Il leur reprocha aussi leur peu de charité envers leurs voisins et leur haine pour les Samaritains.

Les Pharisiens ne furent pas contents de lui, mais le peuple en fut d'autant plus satisfait : car il était fort opprimé par les Pharisiens, et cet endroit était tellement oublié que personne autre ne venait à leur aide .

Après l'instruction Jésus alla devant la porte orientale de la ville dans une hôtellerie que Lazare avait fait installer pour lui et ses disciples, près d'une propriété rurale qu'il possédait dans ce pays. Barthélémy, Simon le Zélateur, Jude Thaddée et Philippe vinrent l'y trouver : ils avaient déjà auparavant parlé aux disciples, et il les reçut amicalement. Ils prirent part au repas et passèrent la nuit ici. Jésus avait déjà vu plusieurs fois Barthélemy et l'avait appelé intérieurement : il avait aussi parlé de lui aux disciples Simon et Thaddée étaient ses cousins : Philippe était aussi allié à sa famille, et faisait déjà partie de ses disciples, de même que Thaddée. Il avait déjà désigné tous ceux-là pour le suivre pendant son dernier séjour à Capharnaum, lorsque, près de la pêcherie de Pierre, il annonça qu'il faudrait bientôt marcher à sa suite, et que Pierre demanda si instamment d'être laissé dans sa maison comme incapable.(Voir tome II, p. 284.) Ce fut alors que furent dites des paroles de Pierre que l'Évangile place beaucoup plus tard.

Judas Iscariote aussi était venu à Méroz avec eux : toutefois ce soir il n'était pas encore près de Jésus, mais dans une maison de la ville où il logeait souvent. Barthélémy et Simon parlèrent à Jésus de Judas avec lequel ils avaient fait connaissance, comme d'un homme entendu, intelligent et serviable, qui désirait beaucoup être admis parmi ses disciples. Jésus, en les entendant ainsi parler, soupira et parut contristé. Comme ils l'interrogeaient à ce sujet, il dit : " il n'est pas encore temps de parler de cela, mais il faut y réfléchir ". Il enseigna encore les assistants pendant le repas, et ils passèrent la nuit ici. Les disciples nouvellement arrivés venaient de Capharnaum, où ils s'étaient réunis chez Pierre et chez André. On leur avait donné là des commissions, et ils apportaient à Jésus quelque argent recueilli par les saintes femmes pour les frais du voyage et pour les aumônes. Judas les avait rencontrés à Naïm et les avait accompagnés jusqu'ici. Il avait fait alors connaissance avec presque tous les disciples. Il était allé récemment dans l'île de Chypre : il y avait fait des récits multipliés sur Jésus, sur ses miracles et sur tous les jugements qu'on en portait, les uns l'appelant le fils de David, les autres le Messie, et la plupart le tenant pour le plus grand des prophètes, ce qui avait rendu les païens et les Juifs de ce pays encore plus désireux de voir Jésus, dont on leur avait déjà raconté beaucoup de choses merveilleuses à la suite de son séjour à Sidon et à Tyr. Le païen de l'île de Chypre, qui était venu dernièrement trouver Jésus à Ophra, avait été envoyé par son maître, par suite de ces discours de Judas, et Judas était revenu avec lui. Pendant ce voyage, j'ai vu Judas dans une grande ville au-dessous de Sidon, dont le nom signifie comme ville des oiseaux (Ornithopolis). Je crois que les parents d'un disciple originaire de la Grèce y demeuraient alors ou y vinrent plus tard : j'ai une idée confuse que c'étaient les parents de Saturnin. A l'occasion de ce voyage, Judas alla encore dans une autre ville de la tribu de Manassé où Jésus a été. J'en ai oublié le nom, et je ne sais plus bien pourquoi je vis son séjour dans cette ville. Lorsque Judas apprit que Jésus devait venir dans la contrée de Méroz où il était, très connu, il se rendit à Dabbeseth près de Barthélémy qu'il connaissait déjà, et l'engagea à aller avec lui a Méroz et à le présenter à Jésus. Barthélémy y consentit, mais il alla d'abord à Capharnaum avec Jude Thaddée pour voir les disciples qui s'y trouvaient. Barthélémy, Thaddée et Philippe se rendirent alors à Tibériade, où ils prirent avec eux Simon le Zélateur, puis à Naïm, où ils retrouvèrent Judas qui était venu au-devant d'eux. Il les pria de nouveau de le proposer à Jésus comme disciple. Il leur avait plu par son esprit avisé, son obligeance et son habit agréable.

Judas Iscariote pouvait alors avoir vingt-cinq ans. Il était de taille moyenne, et son extérieur n'était pas déplaisant. Il avait des cheveux très noirs et une barbe roussâtre. Il était très soigné dans ses vêtements, et plus recherché sous ce rapport que le commun des Juifs il était grand parleur, officieux, et se donnait volontiers de l'importance. Il aimait à parler sur le ton de la familiarité de gens distingués par leur rang ou leur sainteté, et il prenait de grands airs là où on ne le connaissait pas. Mais lorsque quelque personne mieux informée lui donnait un démenti, il se retirait tout confus. Il était ambitieux et intéressé.

Il avait toujours visé au succès, il aspirait à la réputation, aux emplois, aux distinctions, à la richesse, sans s'en rendre encore bien compte. Ce qu'il vit de Jésus l'attira fort : les disciples ne manquaient de rien ; l'opulent Lazare prenait parti pour Jésus ; on croyait u il fonderait un royaume : on tenait toute sorte de propos où il était question d'un roi des Juifs, du Messie, du Prophète de Nazareth. Les miracles et la sagesse de Jésus étaient dans toutes les bouches : Judas fut pris d'un grand désir d'être appelé son disciple et d'avoir part un jour à sa gloire, qu'il croyait devoir être une gloire selon le monde. Depuis longtemps déjà il avait recueilli partout des renseignements sur Jésus, et il colportait les nouvelles qui le concernaient : il avait fait connaissance avec plusieurs de ses disciples, et enfin il s'était rapproché de lui. Il désirait particulièrement faire partie de son entourage, parce qu'il n'avait aucune occupation déterminée et qu'il était un demi savant. Il s'était aussi livré aux spéculations et au trafic, et son avoir, qu'il avait reçu de son père naturel, touchait à sa fin. Dans les derniers temps, il avait fait toute espèce de commissions d'affaires et de courtages pour bien des gens qui se servaient de lui, et il déployait dans ces occasions beaucoup d'activité et de savoir-faire. Son père était mort, et le frère de celui-ci, nommé Siméon, vivait de la culture de ses champs à Iscariot, un petit endroit d'environ vingt maisons, dépendant de la ville de Méroz, et situé à peu de distance à l'est de cette ville. Ses parents y avaient séjourné un certain temps, et il avait résidé le plus souvent après leur mort, ce qui lui avait fait donner le nom d'Iscariote. Ses parents menaient une vie errante, car sa mère était danseuse et chanteuse. Elle tirait son origine de la famille de Jephté, de celle de sa femme, à ce que je crois, et du pays de Tob (où Jephté s'était réfugié, parce que c'était vraisemblablement le pays de sa femme) : c'était la contrée où Saul avait battu les Amalécites. Sa mère s'occupait aussi de poésie ; elle composait des chansons et des paraboles, et les chantait en s'accompagnant de la harpe. Elle apprenait aussi à danser à l'autres jeunes femmes, et colportait d'un endroit à l'autre des modes et des parures de femmes. Son mari n'était pas auprès d'elle lorsqu'elle conçut ce malheureux fils dans les environs de Damas, à la suite d'une liaison avec un militaire d'un grade élevé, si je ne me trompe. Je crois que son époux légitime, un Juif de race, était alors à Pella. Lorsque, dans le cours de sa vie errante, elle eut mis Judas au monde à Ascalon, elle s'en débarrassa en l'exposant. C'était une histoire comme celle de Moïse : Judas aussi, peu de temps après sa naissance, fut exposé au bord d'un cours d'eau, et on le fit recueillir par des gens riches et sans enfants, chez lesquels il reçut une éducation distinguée ; mais plus tard il devint un mauvais sujet, et par suite d'une supercherie il revint chez sa vraie mère où il fut comme en pension. J'ai aussi une idée vague que le mari de sa mère, un Juif qui habitait à Pella, le maudit lorsqu'il eut connaissance de son origine. Judas possédait un peu de bien qu'il tenait de son père naturel ; il était très avisé et savait toute sorte de choses. Après la mort de ses parents, il résida la plupart du temps à Iscariot, chez son oncle Siméon, qui était tanneur, et qui se servit de lui pour son trafic. Du reste, jusqu'à présent, il n'était pas encore tout à fait perverti, mais il était bavard, ambitieux, cupide et inconsistant. Il n'était pas non plus libertin ni irréligieux. mais il se conformait exactement à toutes les observances des Juifs. Il se présente à moi en ce moment comme un homme qui peut aussi facilement se tourner vers le bien que vers le mal. Avec toute sa dextérité, son affabilité et son obligeance, il avait dans je visage une expression triste et sinistre qui avait pour cause son avarice, sa cupidité et l'envie secrète que lui inspiraient même les vertus d'autrui.

Le 21 février 1821, Anne Catherine avait raconté ce qui suit sur Judas qui lui faisait grande pitié : Judas est un petit homme nerveux. ramassé, d'ailleurs officieux, adroit et parlant volontiers. Il n'était pas précisément laid, il y avait dans sa physionomie quelque chose d'avenant, de flatteur, et pourtant de repoussant et de bas. Ses parents ne valaient rien : sa mère l'avait conçu dans l'adultère ; le mari de celle-ci avait dans son nom quelque chose comme Béel ; c'était une signification qui se rapportait au diable. Le vrai père de Judas avait encore du bon, et il en était venu quelque chose à Judas. Lorsque, plus tard, il revint près de sa mère qui l'avait éloigné de son mari, il y eut à cette occasion une querelle violente entre les deux époux, et elle lui donna sa malédiction. Elle gagnait sa vie à l'aide de tromperies de toute espèce : son mari et elle étaient faiseurs de tours. Ils exerçaient toute sorte de métiers et ils étaient tantôt à leur aise, tantôt dans l'indigence.

Au commencement, les disciples le goûtaient assez parce qu'il était toujours prêt à rendre service : il nettoyait même les chaussures. Il était d'une agilité extraordinaire et faisait, dans les premiers temps, de grandes courses pour la communauté. Je ne l'ai jamais vu faire de miracles. Il était toujours jaloux et envieux, et, vers la fin de la vie de Jésus, il était las de la vie errante qu'il menait, de l'obéissance qui lui était imposée, et de ce qu'il y avait dans cette existence de mystérieux et d'incompréhensible pour lui.

(29 octobre.) Au milieu de la ville de Méroz, il y a un puits très bien disposé. Il reçoit l'eau par un conduit de la montagne voisine, située au nord de la ville. Il y a tout autour cinq enceintes avec des réservoirs dans lesquels on fait couler l'eau du puits au moyen de pompes. Dans la partie la plus éloignée du centre, on trouve aussi quelques petits édifices dans lesquels on peut prendre des bains. Tout cet espace peut être fermé. Aujourd'hui, dans ces passages autour du puits, on avait apporté sur leurs lits un grand nombre de malades de la ville, regardés comme incurables, et on avait placé les plus malades dans les maisonnettes qui sont à l'extrémité du pourtour. Il y a dans cette ville un nombre extraordinaire de gens atteints de graves maladies, car elle est déchue, méprisée et laissée à l'abandon. Il s'y trouve de vieilles gens hydropiques ou paralytiques depuis longues années et d'autres infirmes de toute espèce. Jésus se rendit là avec ses disciples, à l'exception de Judas qui ne lui avait pas encore été présenté. Les Pharisiens du lieu et quelques étrangers venus d'ailleurs, étaient présents : ils se tenaient près du réservoir du milieu d'où l'on pouvait tout voir ; ils furent étonnés et en partie scandalisés des miracles de Jésus, car c'étaient pour la plupart de vieilles gens très attachés à leurs idées : ils n'avaient jamais accueilli ce que l'on en disait qu'en hochant la tête d'un air capable, en ricanant et en levant les épaules, et ils n'y avaient aucune foi ; mais maintenant ils ne pouvaient s'empêcher d'être surpris et dépités en voyant les malades incurables de leur ville contre les maux desquels ils avaient espéré que Jésus échouerait, remporter leurs lits et revenir chez eux guéris et chantant des cantiques Quant à Jésus, il enseignait ces malades, leur donnait des avis et des consolations et ne faisait aucune attention aux Pharisiens. Toute la ville était pleine de joie et retentissait du chant des cantiques. Cela dura jusqu'à midi.

Alors Jésus retourna à son logement près de la porte orientale. Sur son chemin, il fut poursuivi par les cris de quelques possédés tout à fait furieux qu'on avait laissé sortir du lieu où ils étaient renfermés. Jésus leur ordonna de se taire : ils se turent aussitôt et vinrent, pleins d'humilité, se jeter à ses pieds : il les guérit et leur enjoignit de se purifier. Jésus, partant de son logis avec les disciples, sortit de la ville par un chemin assez montant qui en contournait la partie septentrionale, et alla jusqu'à une certaine distance de la maison des lépreux, qui était de ce côté. Il ordonna alors à ses disciples de s'éloigner, et comme il y avait là deux chemins, ils prirent celui du nord qui s'élevait sur la pente de la montagne. Jésus alla à la maison des lépreux, les fit sortir, les toucha, les guérit et leur enjoignit de se présenter aux prêtres pour la purification légale. Il prit ensuite, au nord, un chemin qui rejoignait celui qu'avaient suivi les disciples.

Judas Iscariote était venu se joindre à eux, et Barthélémy et Simon le Zélateur le présentèrent à Jésus, en lui disant : " Maître, voici Judas dont nous vous avons parlé ". Jésus le regarda très amicalement, mais avec un air de tristesse inexprimable, et Judas, s'inclinant, lui dit : " Maître, je vous prie de me permettre d'avoir part à votre enseignement ". Jésus lui répondit avec beaucoup de douceur ces paroles prophétiques : " Tu peux en prendre ta part, si lu ne veux pas la laisser à un autre ". Ce furent à peu près ses expressions et je sentis qu'il faisait une allusion à Mathias qui prit la place de Judas parmi les apôtres, et aussi au marché, par suite duquel il devait vendre son maître. Les termes dont Jésus se servit comprenaient plus de choses, mais j'y sentis cela.

Après cela Jésus parla et enseigna, et ils gravirent tous ensemble la montagne au sommet de laquelle s'était rassemblée u ne multitude de gens, venus de Méroz, d'Atharoth qui est située au nord sur le penchant de la montagne et généralement de toute la contrée : il s'y trouvait beaucoup de Pharisiens de ces divers endroits. Déjà les jours précédents, Jésus avait fait annoncer par les disciples qu'il ferait là une instruction, et les disciples de Galilée y avaient été convoqués, vraisemblablement par Judas. Jésus fit ici une instruction sévère sur le royaume de Dieu, sur la pénitence, sur l'abandon où était ce peuple et sur l'obligation où ils étaient de s'arracher à leur paresse. Je savais encore ce matin tout ce qu'il dit, mais maintenant je l'ai oublié. Il n'y avait pas de chaire en cet endroit, on prêchait sur un monticule entouré d'un fossé circulaire, avec un revêtement en maçonnerie sur le bord duquel se tenaient les auditeurs.

La vue est ici très belle et très étendue : on voit au delà de Samarie, de Méroz, de Thébez et de Michmethath : mais on ne domine pas le mont Garizim : on a en face de soi les vieilles tours du temple qui le surmonte. Au sud-est, la vue s'étend jusqu'à la mer Morte ; à l'est, au delà du Jourdain sur Galaad ; cependant en regardant de côté vers le nord on aperçoit le Thabor et on a une échappée de vue dans la direction de Capharnaum. Lorsque le soir vint, Jésus dit qu'il enseignerait encore le lendemain dans ce même endroit. Beaucoup de gens passèrent ici la nuit sous des tentes parce qu'ils étaient trop éloignés de leurs demeures. Jésus s'en retourna avec les disciples à l'hôtellerie qui est devant Méroz, et tout en marchant il donna beaucoup d'enseignements sur le bon emploi du temps, sur la longue attente du salut, sur sa proximité, sur le renoncement à tout, sur les conditions exigées pour le suivre, sur la charité envers les nécessiteux, etc. Dans l'hôtellerie, Jésus prit un repas avec les disciples. Sur la montagne il a fait distribuer aux pauvres l'argent que les disciples avaient apporté de Capharnaum, et Je remarquai à cette occasion que Judas regardait cet argent avec une attention où se trahissait la cupidité. Jésus enseigna dans l'hôtellerie pendant le repas et encore assez avant dans la nuit. Je ne l'ai pas vu aller se coucher. Ce fut aujourd'hui la première fois que Judas fut à table avec Jésus et passa la nuit sous le même toit.

(30 octobre.) Le matin, Jésus se rendit de nouveau au haut de la montagne et il y fit pendant toute l'après-midi une grande instruction à peu près dans le genre du sermon sur la montagne. Il y avait là une grande foule de peuple. On distribua des aliments, du pain, du miel et des poissons tirés d'étangs alimentés par les petits cours d'eau des environs. Jésus avait chargé ses disciples de préparer des provisions pour les pauvres vers la fin il parla de nouveau de l'unique talent que les gens de ce pays avaient reçu comme fils des servantes et qu'ils avaient enfoui, et il fit de vifs reproches aux Pharisiens qui ne faisaient qu'opprimer le pauvre peuple et le laissaient engagé dans l'ignorance et le péché . Il se trouvait ici des Samaritains convertis et Jésus demanda aux Pharisiens pourquoi ils les haïssaient, pourquoi ils n'avaient pas depuis longtemps ramené ces gens à la vraie doctrine. Les Pharisiens pleins de dépit se mirent aussi à l'attaquer, lui reprochant particulièrement qu'il laissait trop de liberté à ses disciples, qu'ils n'étaient pas assez stricts en ce qui touchait les jeûnes, les ablutions, les purifications, l'observation du sabbat, l'attention à éviter les publicains et les sectaires, etc., qu'ils ne menaient nullement le genre de vie qu'avaient coutume de suivre les disciples des prophètes et des docteurs de la loi.

Jésus leur répondit par le précepte sur l'amour du prochain : aimez Dieu par-dessus toutes choses et votre prochain comme vous-même : c'est là le principal commandement. Il demandait de ses disciples qu'ils apprissent à l'observer au lieu de voiler des vices intérieurs sous des observances extérieures. Comme il s'était exprimé à cette occasion en langage un peu allégorique, Philippe et Thaddée lui dirent : " Maître, ils ne vous ont pas compris. "Alors Jésus parla en termes parfaitement clairs et plaignit le pauvre peuple ignorant et pécheur de ce qu'avec toutes leurs observances légales et extérieures, ils l'avaient laissé se gâter à ce point : il déclara hautement que ceux qui agissaient ainsi n'auraient pas de part à son royaume. Il redescendit alors la montagne pour aller à son hôtellerie qui était à peu près à une demi lieue de l'endroit où il avait enseigné et à une égale distance de la ville Sur son chemin on avait apporté sur des litières une grande quantité de malades de toute espèce qui attendaient sous des tentes ; on les avait rassemblés là de tout le pays. Jésus les guérit en employant différents procédés et il leur donna des consolations et des avis.

Là se trouvait aussi Lais, une veuve païenne venue de Naim, afin d'implorer l'assistance de Jésus, pour ses deux filles, Sabia et Athanie, qui étaient horriblement possédées par le démon et enfermées à Naïm dans des chambres de sa maison. J'ai vu ces pauvres créatures dans un état de frénésie complète : elles étaient jetées violemment de côté et d'autre, mordaient et frappaient tout ce qui les entourait : personne ne pouvait en approcher. Quelquefois elles restaient étendues par terre, les membres contractés par des convulsions et livides comme des cadavres. Leur mère était venue ici avec des serviteurs et des servantes montés sur des ânes. Elle était à quelque distance et attendait avec la plus vive impatience que Jésus vînt près d'elle, mais il se détournait toujours pour aller à d'autres. Elle ne pouvait pas se contenir et criait souvent lorsqu'il se rapprochait d'elle : " Ah ! Seigneur ayez pitié de moi ! " Mais Jésus ne semblait pas l'entendre. Les femmes qui étaient avec elle lui disaient qu'il fallait crier : " Ayez pitié de mes filles ! " puisqu'elle-même n'avait rien : mais elle répondit : " Elles sont ma chair, et s'il a pitié de moi, il aura aussi pitié d'elles ! " et elle continua à crier. Jésus lui dit alors : " il est convenable que je rompe le pain aux gens de ma maison avant de le rompre aux étrangers ". Elle répondit : " Vous avez raison, Seigneur : j'attendrai volontiers et même je reviendrai si vous ne voulez pas m'assister aujourd'hui, car je ne suis pas digne de votre assistance ! " Jésus avait terminé ses guérisons, les malades emportaient leurs lits et se retiraient en chantant des cantiques de louange : il ne se détourna pas vers cette malheureuse femme et il sembla vouloir s'en aller : alors elle fut fort attristée et elle se disait : " Hélas ! il ne veut pas me porter secours ". Dans ce moment Jésus se tourna vers elle et lui dit :

" Femme, que désirez-vous de moi ? " Elle était voilée et se jeta à ses pieds disant : " Seigneur, secourez moi ! mes deux filles sont à Naïm, tourmentées par le démon : je sais que vous pouvez les secourir, si vous le voulez car tout a été mis en votre pouvoir ". Jésus lui répondit : " Retournez chez vous : vos filles viennent au-devant de vous. Mais purifiez-vous ! ce sont les péchés des parents qui sont sur ces enfants ". Il lui dit ceci en particulier et elle lui répondit : " Seigneur, je pleure depuis longtemps sur ma faute : que dois-je faire ? " Jésus lui dit alors qu'elle devait restituer le bien mal acquis, mortifier son corps, prier, jeûner, faire l'aumône et prendre pitié des malades. Elle pleura beaucoup, promit de faire tout cela et partit toute joyeuse. Les deux filles de cette femme étaient le fruit de l'adultère, ses trois enfants légitimes vivaient loin d'elle et elle possédait encore quelque chose qui leur appartenait. Elle était fort riche et malgré tout son repentir elle vivait dans le bien-être font les gens de distinction. J'eus le spectacle de ce qui se passait à Naim : je vis les filles enfermées dans des chambres séparées : lorsque Jésus parla à leur mère, elles tombèrent sans connaissance, et Satan sortit de leur corps, semblable à un sombre nuage. Je les vis pleurer abondamment, puis, complètement transformées, appeler leurs gardiennes et Leur faire voir qu'elles étaient guéries. Je vis qu'on leur rendit la liberté, qu'elles prirent un bain et s'habillèrent : puis quand elles surent que leur mère était allée trouver le Prophète de Nazareth, elles coururent à sa rencontre, accompagnées de beaucoup de personnes de leur connaissance. Elles allèrent à peu près à une lieue de Naïm, trouvèrent là leur mère et lui racontèrent tout. La mère retourna à la ville. et les filles avec leurs gardiennes et les serviteurs se rendirent aussitôt à Méroz, pour se présenter devant Jésus, parce qu'elles avaient entendu dire qu'il y enseignerait encore le lendemain. Le moment où la mère vit ses filles venir au devant d'elle fut extrêmement touchant.

Pendant que Jésus achevait ses guérisons, Manahem, le disciple aveugle guéri à Coréa, que Jésus avait envoyé à Lazare, était revenu de Béthanie ici avec les deux neveux de Joseph d'Arimathie, et Jésus s'entretint avec eu'. Les saintes femmes leur avaient donné de l'argent et des présents pour la bourse de la communauté. Pendant ce temps Dina, la Samaritaine, s'était rendue près des saintes femmes à Capharnaum, et avait apporté une riche contribution. Véronique et Jeanne Chusa avaient aussi été à Capharnaum, près de Marie. A leur retour elles avaient rendu visite à Madeleine, en qui elles avaient trouvé beaucoup de changement. Elle était triste et sa folle paraissait déjà faire place à de meilleurs sentiments. En revenant à Béthanie elles prirent avec elles la Samaritaine. Il y a une autre veuve âgée et riche qui est allée trouver Marthe, et qui a donné tout son bien pour le trésor de la communauté. Dans une occasion précédente, j'ai parlé d'une femme âgée alliée à Jésus, qui demeure devant Béthanie, et fait souvent des voyages pour la communauté : c'est de celle-là qu'il s'agit : elle s'appelle Anne et elle est fille naturelle de Cléophas, aujourd'hui défunt, lequel l'avait eue avant son mariage avec Marie, la fille aînée de sainte Anne. (Elle est donc, du côté paternel, soeur de Marie de Cléophas et de ses frères, qui sont encore distinctes de Jean, et desquels. jusqu'à présent il a été peu parlé

Elle s'était mariée à Nazareth et était devenue veuve. Deux de ses fils, qui furent plus tard disciples, sont aujourd'hui employés à la pêche sur le navire de Zébédée. Marie la Suphanite est allée trouver son mari, et je crois qu'ils reviendront ensemble à Ainon.

Jésus fut invité à un repas par les Pharisiens, et ils lui demandèrent si ses disciples, qui étaient des jeunes gens sans expérience, peu faits pour frayer avec des savants, en seraient aussi. Jésus répondit affirmativement : " car, disait-il, quand on l'invitait, on invitait aussi ceux de sa maison : qui ne voulait pas d'eux ne voulait pas de lui non plus ". Ils l'engagèrent alors à amener ses disciples avec lui, et tous allèrent à la ville, dans la maison destinée aux fêles, où Jésus enseigna encore et expliqua des paraboles.

Le bien qu'avait Lazare dans le voisinage de l'hôtellerie consistait en belles pièces de terre et en plusieurs vergers où il y avait de belles avenues. Ceux qui en avaient soin y habitaient et vendaient les fruits. Mais maintenant ils étaient en outre spécialement chargés de l'hôtellerie. Le séjour prolongé que Jésus devait faire ici était chose convenue avec Lazare lors de leur dernière rencontre à Ainon. Les saintes femmes étaient venues alors pour tout préparer, et les gens du pays attendaient Jésus.

(31 octobre.) Le matin, Jésus enseigna à Méroz, près du puits, et il reprocha de nouveau aux Pharisiens l'abandon où ils laissaient le peuple. Après le repas, il alla de nouveau sur la hauteur, et fit une instruction dans le genre de celle qui est connue sous le nom de sermon sur la montagne : en prenant congé de ses auditeurs, il leur expliqua de nouveau la parabole du talent enfoui. Il y avait des gens qui campaient là depuis trois jours déjà : ceux auxquels les provisions faisaient défaut furent rangés à part, et les disciples leur fournirent des aliments et ce qui leur était nécessaire. Dès hier on a prié Jésus de visiter plusieurs autres endroits. Aujourd'hui, 'oncle de Judas, Simon d'Iscariot, un vieillard pieux, basané et robuste, lui a demandé de venir demain à Iscariot et Jésus le lui a promis.
 

Des malades qui pouvaient encore marcher étaient venus attendre Jésus à la descente de la montagne, et il les guérit. C'était dans un endroit peu éloigné, sur le chemin qui était entre son logis et le bien de Lazare, un peu au-dessous du lieu où les disciples avaient distribué des aliments. Ici, à l'endroit même où Laïs, la païenne de Naïm, s'était prosternée la veille devant Jésus, l'implorant pour ses filles malades, celles-ci, Athanie et Sabia, maintenant guéries, étaient venues attendre le Seigneur, accompagnées de leurs serviteurs et de leurs servantes. Elles se prosternèrent à ses pieds ainsi que toute leur suite, et lui dirent : " Seigneur, nous ne nous sommes pas jugées dignes d'entendre vos paroles, et nous vous attendions ici pour vous remercier au lieu même où vous nous avez délivrées de la puissance de l'ennemi ". Jésus leur dit de se relever, et il loua la patience, humilité et la foi de leur mère, qui avait attendu, comme une étrangère, qu'il eût distribué le pain à ceux de sa maison. Mais maintenant elle appartenait aussi à sa maison car elle avait reconnu le Dieu d'Israel dans sa miséricorde, et il était envoyé par le Père céleste pour distribuer le pain a tous ceux qui croiraient à sa mission et feraient pénitence. Il fit ensuite apporter des aliments par ses disciples, présenta aux jeunes filles et à chaque personne de leur suite un morceau de pain et une part de poisson, et il leur fit, à cette occasion, une belle et profonde instruction que j'ai malheureusement oubliée : après quoi il gagna son hôtellerie avec les disciples. L'une des jeunes filles avait vingt ans, l'autre vingt-cinq. Elles étaient très blanches et très pâles par suite de Leur maladie et de leur vie renfermée.

(1er novembre) Le matin, Jésus partit de son hôtellerie, et fit, en compagnie des disciples, une petite lieue à l'est pour aller à Iscariot. Il y a là environ vingt-cinq maisons ; elles sont situées au fond d'une gorge, sur un terrain marécageux, et rangées en ligne le long d'une eau noirâtre et couverte de joncs. formant, à l'aide de retenues, des mares où l'on prépare les cuirs. Souvent il n'y a pas assez d'eau, et il faut en faire venir d'autres sources. Le bétail de Méroz vient ici pâturer : on tue sur place les animaux dont on a besoin, on les écorche et on tanne leurs peaux. Cette gorge est attenante à la partie septentrionale de Michmethath. Le métier de tanneur est considéré par les Juifs comme un métier inférieur, à cause de la mauvaise odeur que répand la préparation des cuirs. Ils emploient pour tanner les peaux des animaux morts, des esclaves païens et d'autres gens de bas étage, qui ont à Méroz un quartier à part. A Iscariot, il n'y a que des tanneries, et il m'a semblé que la plupart des maisons appartenaient au vieux Simon, l'oncle de Judas.

Judas était fort aimé de son vieil oncle, et lui était utile dans son commerce de cuirs : il l'envoyait, tantôt avec des ânes pour acheter des peaux non préparées, tantôt dans les villes maritimes pour y vendre des cuirs apprêtés. Il était habile et rusé dans son métier de courtier et de trafiquant. Il n'était pas encore perverti : s'il avait su se vaincre sur de petites choses, il ne serait pas allé si loin La sainte Vierge lui donna souvent des avertissements. Son caractère était très vacillant. Il était capable d'un repentir très vif, mais jamais durable. Il avait toujours en tête un royaume de ce monde, et comme le succès paraissait de plus en plus incertain, il se mit à amasser de l'argent. Il avait fait quelquefois de bons bénéfices, et lorsque Madeleine versa son onguent sur Jésus, il s'irrita de ce que le prix ne lui en fût pas remis à titre d'aumône. Ce fut à la dernière fête des Tabernacles où assista Jésus. qu'il commença à tourner à mal. Lorsqu'il trahit Jésus pour de l'argent, il n'imaginait pas que celui-ci fût mis à mort : il croyait qu'il recouvrerait sa liberté ; et, quant à lui, il voulait seulement gagner son argent. Il m'a toujours beaucoup contristée.

Judas se montrait à Iscariote très obligeant et très serviable : il était la tout à fait comme chez lui. Son oncle, le tanneur Simon, reçut Jésus et les disciples à l'entrée du village : il leur lava les pieds et leur offrit la réfection accoutumée. Cet homme est très actif et très robuste. Jésus fut dans sa maison avec les disciples ; j'y ai vu une femme, des enfants et des domestiques : je crois que c'est sa famille.

Jésus entra à l'autre extrémité du bourg ; il y a là, dans un champ, un jardin d'agrément où sont encore les cabanes de feuillage. Tous les gens de l'endroit y étaient rassemblés, et Jésus fit une instruction sur la parabole du semeur et des divers terrains où tombe la semence : il exhorta ses auditeurs à préparer une bonne terre pour son instruction qu'ils avaient déjà entendue en partie sur la montagne. Il prit aussi debout un petit repas avec ses disciples et la famille, et le vieux Simon pria encore Jésus de faire participer son neveu Judas, dont il vanta les qualités, à son enseignement et à son royaume. Jésus lui fit une réponse du même genre que celle qu'il avait faite à Judas lui-même, disant : " qu'il était permis d'y prendre part a quiconque ne voulait pas céder sa part à autrui ". Jésus n'opéra pas de guérisons ici : les malades avaient été déjà guéris sur la montagne.

Dans l'après-midi, Jésus revint avec ses disciples dans la direction de l'ouest, presque jusqu'à l'hôtellerie à sa gauche la montagne où il avait enseigné, et à sa droite une autre montagne. Il laissa Atharoth à gauche, tourna un peu au nord-est, puis encore au nord, et côtoya une montagne dans la direction de Dothan. De cette ville, la vue plonge dans la vallée qui est à l'est de la plaine d'Esdrelon. On a, au levant, des montagnes au-dessus de soi, et au couchant. on domine la vallée.

Jésus était accompagné sur ce chemin par trois groupes de personnes qui suivaient cette roule séparément, et qui revenaient de sa prédication sur la montagne pour aller célébrer le sabbat dans divers endroits. Il se joignit alternativement à ces groupes. A partir de l'hôtellerie, il y avait près de trois lieues jusqu'à Dothan. C'est un endroit qui est bien aussi considérable que Munster. J'ai vu qu'Élisée devait y être arrêté par les soldats de Jéroboam mais que ceux-ci furent frappés d'aveuglement. Deux grandes routes passent par Dothan, qui a cinq portes et autant de rues. Une de ces routes va de la Galilée à la Samarie et à la Judée, l'autre vient d'au delà du Jourdain, et conduit, à travers la vallée, à Apheké et à Ptolémaïs, sur le bord de la mer. On fait ici le commerce de bois. Les montagnes de cette contrée et celles `1ui avoisinent Samarie sont encore très boisées ; elles sont beaucoup plus dépouillées au delà du Jourdain, près d'Hébron et au bord de la mer Morte. je vis dans le voisinage plusieurs endroits où l'on apprêtait le bois. C'étaient des enfoncements de terrain recouverts de toiles tendues : on y équarrissait des poutres qui devaient servir à la construction des navires ; on apprêtait aussi de longues baguettes pour les cloisons en clayonnage. Devant les portes, sur les grandes routes qui se croisent à Dothan. on trouve plusieurs hôtelleries.

Jésus alla à la synagogue avec les disciples : on y était déjà assemblé. Il s'y trouvait beaucoup de Pharisiens et de docteurs. Ils devaient savoir d'avance que Jésus viendrait, car ils se montrèrent très empressés à le recevoir sur la place qui était devant la synagogue, à lui laver les pieds et à lui présenter la réfection accoutumée. Ensuite ils le firent entrer et lui donnèrent les livres de la loi. L'instruction eut pour sujets la mort de Sara, le second mariage d'Abraham avec Cétura. et la dédicace du temple de Salomon.

(2 novembre.) Après l'instruction du sabbat, Jésus alla devant la ville, dans l'hôtellerie, où il trouva Nathanaël le Fiancé, deux des fils de Cléophas et de la soeur aînée de sa mère, et encore deux autres disciples qui tous s'étaient réunis ici pour le sabbat, en sorte qu'il se trouvait près de lui environ dix-sept disciples. Les gens de la maison, qui est sur les propriétés de Lazare, près de Ginéa, et où Jésus était allé récemment lors de son voyage à Atharoth, étaient aussi venus ici pour le sabbat.

Dothan est une ancienne ville bien bâtie et agréablement située : elle est adossée à des montagnes qui ne l'empêchent pas de s'étendre, et elle voit en face d'elle la belle plaine d'Esdrelon. En outre, les montagnes ici sont moins abruptes et moins déchirées qu'ailleurs ; ce sont de grandes terrasses qui s'élèvent les unes au-dessus des autres, et il y a de meilleurs chemins. Les maisons sont bâties à l'ancienne mode comme du temps de David : plusieurs ont, aux angles de leurs toits en terrasses, des tourelles surmontées de grosses boules rondes, dans l'intérieur desquelles on peut s'asseoir, et d'où la vue s'étend dans toutes les directions. C'est du haut d'une tourelle de ce genre que David regarda Bethsabée. Il y a aussi sur les toits des galeries avec des rosiers et même avec des arbres.

Le matin, Jésus alla à la synagogue où il enseigna : puis il parcourut les rues et entra dans les cours de plusieurs maisons où se trouvaient des gens malades. Les habitants se tenaient aux portes pour implorer son secours, et il entrait chez eux accompagné de deux disciples. On adressait aussi aux autres disciples des demandes qu'ils lui transmettaient. Il guérit ainsi plusieurs personnes : il se rendit aussi à un endroit écarté où étaient les lépreux, et il les guérit. Il y avait beaucoup de lépreux dans la ville, peut-être à cause des rapports fréquents avec les marchands étrangers qui passaient par là. Outre le commerce de bois, on faisait dans cet endroit beaucoup d'autres trafics. On y apportait des tapis, de la soie brute et des objets du même genre, qu'on déchargeait et qu'on réexpédiait.

Je vis des marchandises de cette espèce déposées chez un homme malade que Nathanaël de Cana, qui logeait chez lui avait dès hier prié Jésus de visiter. Il y alla vers midi. C'est une maison de très belle apparence, avec des cours et des galeries : elle n'est pas loin de la synagogue. Elle est habitée par un homme riche âgé d'environ cinquante ans. Il s'appelle Issachar ; il est très malade d'une hydropisie et il a épousé, il y a peu de jours, une jeune femme de vingt-cinq ans, nommée Salomé : mais le mariage n'est pas encore consommé. Cette union a été motivée par une prescription de la loi, dont je ne me souviens pas à présent ; il y a entre eux une relation comme celle qui existait entre Ruth et Booz le bien doit échoir à Salomé. Les méchantes langues de la ville, surtout les Pharisiens. s'occupaient beaucoup de ce mariage, et c'était le sujet de toutes les conversations. Mais Issachar et Salomé avaient mis leur confiance en Jésus et ils avaient déjà espéré le voir la dernière fois qu'il avait passé dans le voisinage.

Cette maison avait déjà reçu la visite de Jésus du vivant des parents de Salomé ; car, lorsque Marie, pendant sa grossesse, était partie de Nazareth avec saint Joseph pour aller voir Elisabeth, elle avait fait là sa première station. C'était un peu avant les fêtes de Pâques. Joseph alla d'Hébron à la fête avec Zacharie ; lorsqu'il revint à Hébron, avant de retourner chez lui, Marie s'arrêta encore ici. Jésus, étant encore dans le sein de sa mère, avait donc reçu l'hospitalité dans cette maison, et il y venait aujourd'hui, trente et un ans plus tard, en sa qualité de rédempteur, pour récompenser, dans la personne du fils malade, cette oeuvre de charité des parents.

Salomé était l'enfant de cette maison et la veuve du frère d'Issachar qui était lui-même veuf de la soeur de Salomé. La maison et tout le bien devaient revenir à celle-ci. Ils étaient tous deux sans enfants, et les seuls rejetons d'une bonne souche. Ils se marièrent, espérant que Jésus, dans sa bonté, guérirait Issachar. Salomé comptait sur son alliance avec saint Joseph ; elle était originaire de Bethléhem, et le père de Joseph avait coutume de donner le nom de frère à son grand père, quoiqu'ils ne fussent point frères selon la chair Elle comptait au nombre de ses ancêtres un descendant de la famille de David, qui, je crois, avait été roi, lui aussi. Son nom ressemblait à Ela. C'était par suite de cette ancienne liaison que Joseph et Marie avaient logé ici.

Issachar était de la tribu de Lévi. A l'entrée de la maison, Salomé vint au devant de Jésus avec ses suivantes et ses serviteurs : elle se jeta à ses pieds et le pria de guérir son mari. Jésus entra avec elle dans la chambre du malade. Il était couché sur son lit, enveloppé dans des linges. Il était hydropique et complètement paralysé d'un côté. Jésus Je salua et lui parla avec bonté. Le malade se montra très ému et très affectueux : il ne pouvait pas se redresser. Jésus pria, le toucha et lui donna la main. Alors il se redressa, mit un autre vêtement et se leva de son lit : puis lui et sa femme se prosternèrent devant Jésus. Le Seigneur leur donna des avis, les bénit et leur promit qu'ils auraient des enfants : après quoi il sortit avec eux de la chambre, en présence de tous les gens de la maison qui s'étaient rassemblés et qui ressentirent une grande joie. Pendant la journée d'aujourd'hui. on garda le silence sur cette guérison.

Jésus et les disciples prirent ici un peu de nourriture : Issachar invita le Seigneur a loger chez lui cette nuit avec tous les siens et à y accepter un repas après la synagogue, ce à quoi Jésus consentit. Il alla alors à la synagogue où il enseigna, mais vers la fin, les Pharisiens et les Sadducéens entrèrent en dispute avec lui. A propos du mariage d'Abraham avec Cétura, il en était venu à parler du mariage en général, et il dit quelque chose dont je ne me souviens plus bien. Les Pharisiens étaient d'avis que Cétura aurait dû être mieux partagée par Abraham l. Ils En vinrent aussi à parler du mariage d'Issachar avec Salomé et blâmèrent hautement, comme une chose insensée, l'union d'un homme de cet âge et si infirme avec une jeune femme. Jésus répondit qu'ils s'étaient mariés conformément aux prescriptions de la loi, et s'étonna qu'ils osassent blâmer leur conduite, eux qui tenaient si fort à la loi. Ils demandèrent comment il pouvait, dans ce cas, tenir pour l'observation de la loi. Un homme de cet âge et si malade, disaient-ils, hors d'état d'avoir des enfants, ne pouvait pas par là même accomplir la loi : cette union n'était qu'un scandale Jésus leur répondit que sa foi lui avait assuré une postérité. " Voulaient-ils mettre des bornes à la toute-puissance de Dieu ? Ce malade avait-il contracté ce mariage par suite d'une convoitise charnelle ou pour obéir à la loi ? s'il avait confiance en Dieu et croyait que Dieu pouvait l'assister, il avait bien agi. Mais ce n'était pas là la cause de leur mécontentement, ils avaient espéré que cette famille s'éteindrait sans héritiers et qu'ils pourraient s'approprier ses biens. Il mentionna aussi plusieurs personnages pieux, d'un âge avancé, dont Dieu avait récompensé la foi en leur donnant une postérité, et dit encore beaucoup de choses sur le mariage, de manière à réduire les Pharisiens au silence, malgré la rage dont ils étaient pleins.

Note : Si elle avait pu dire ce qu'elle entendait par ces paroles, on trouait certainement ici d'autres expressions. Depuis quelque temps elle a beaucoup de peine à parler et en conséquence s'exprime avec peu de clarté.

Lorsque le sabbat fut fini, Jésus quitta la synagogue et revint avec ses disciples dans la maison d'Issachar, où il y eut un grand repas. Issachar était assis à une table avec Jésus et les disciples alliés à sa famille ; sa femme allait et venait, s'occupant du service. Auparavant Jésus guérit encore, à la chute du jour et à la lueur des flambeaux, plusieurs malades qui s'étaient rassemblés devant la synagogue et près de la maison d'Issachar.

Les autres disciples mangeaient dans une salle voisine : là, se trouvaient Judas Iscariote, Barthélémy et Thomas avec son frère et un beau-frère (il avait encore deux autres beaux-frères). Ils étaient partis hier d'Apheké qui est à sept lieues, et étaient arrivés ici le soir pour le sabbat. Ils logeaient dans la maison d'Issachar où Thomas était bien connu par suite de relations de commerce. Il n'avait pas encore parlé à Jésus mais seulement à ceux des disciples qu'il connaissait, car il n'était nullement indiscret. Jacques le Mineur aussi était venu de Capharnaum pour le sabbat, et en outre, un certain Nathanaël, fils d'Anne, cette fille naturelle qu'avait eue Cléophas avant son mariage et dont j'ai dit qu'elle était à présent auprès de Marthe. C'était le plus jeune de ses fils qui était employé dans la pêcherie de Zébédée : il était âgé d'environ vingt ans, très doux et très aimable ; il avait un peu du caractère de Jean. Il avait été élevé dans la maison de son grand-père Cléophas et on l'avait surnommé le petit Cléophas pour le distinguer des autres Nathanaël. J'ai appris cela à ce sabbat ou j'entendis Jésus dire : " Appelez-moi le petit Cléophas. "

On mangea au repas des oiseaux, du poisson, du miel et du pain. Il y avait ici une quantité énorme de tourterelles et de pigeons de toute espèce, et d'autres oiseaux de couleurs variées. Ils couraient comme des poulets autour des maisons. Ils avaient ici de belles excursions à faire dans les plaines de Jezraël. Pendant le repas, Issachar parla de la mère de Jésus, rappela qu'elle était venue dans cette maison lorsqu'il était jeune et raconta ce que ses parents lui avaient souvent dit de sa jeunesse, de sa beauté et de sa piété. Joseph était alors un homme déjà avancé en âge. Il espérait que Dieu qui l'avait guéri par l'intermédiaire du fils de Joseph, lui donnerait aussi une postérité. Il ne connaissait pas l'origine divine de son Sauveur. Les disciples logèrent tous ici. Il y avait autour de la maison de grands portiques avec des colonnes : on y plaça des cloisons entre lesquelles on leur prépara des couches. Dothan est une vieille ville fortifiée : parmi les habitants, il y en a de très bons et de très mauvais. Dothan avec ses solides maisons à la vieille mode fait le même effet, par rapport aux autres villes du pays, que Cologne chez nous par rapport aux autres villes allemandes.

(3 novembre.) Ce matin, Jésus s'est promené avec les disciples dans les jardins qui sont devant la ville et il s'est entretenu avec eux. Quelques disciples ont été dans la ville et aux environs convoquer à une instruction que Jésus doit faire vers midi et à un repas qu'Issachar donnera pour fêter sa guérison. Thomas qui était allé avec eux, s'approcha ici du Seigneur et le pria de le recevoir au nombre de ses disciples : il voulait le suivre, disait-il, et faire tout ce qu'il lui dirait ; son enseignement et ses miracles qu'il avait vus, l'avaient convaincu que Jean et ceux de ses disciples qu'il connaissait avaient dit la vérité par rapport à lui. Il le priait de permettre qu'il eût part à son royaume. Jésus lui dit qu'il le connaissait et savait d'avance qu'il viendrait à lui. Thomas ne voulait pas le croire et assurait n'y avoir jamais pensé auparavant, car il n'était nullement enclin à se séparer du reste des hommes ; il n'avait pris son parti que tout récemment, convaincu par les miracles de Jésus Le Seigneur lui répondit : " Tu parles comme Nathanael, tu te crois sage et tu dis des choses folles. Le jardinier ne doit-il pas connaître ses arbres, le vigneron ses ceps, et quand il cultive sa vigne, ne doit-il pas connaître les serviteurs qu'il veut y envoyer " ? Il parla aussi, par manière de comparaison, de ceux qui veulent cueillir des figues sur les ronces.

Deux disciples de Jean, envoyés vers lui par le précurseur, lesquels avaient déjà assisté à sa prédication sur la montagne de Méroz et vu les miracles qu'il y avait opérés, s'entretinrent également ici avec Jésus, après quoi ils retournèrent à Machérunte. Ils faisaient partie d'un groupe de disciples qui étaient venus y résider et auxquels Jean faisait des instructions devant sa prison. Ils lui étaient fortement attachés, et comme ils n'avaient encore rien vu des actions de Jésus, Jean les lui envoya afin qu'ils reconnussent la vérité de ce qu'il disait à son sujet. Il lui fit aussi demander par eux de parler ouvertement et clairement, de dire qui il était et de fonder son royaume sur la terre. Ils dirent à Jésus qu'ils étaient persuadés de tout ce que Jean annonçait de lui et lui demandèrent s'il ne viendrait pas bientôt le délivrer de sa prison. Jean, disaient-ils, espérait être délivré par lui et le désirait vivement ; il était temps qu'il établît son royaume et rendît la liberté à leur maître : ils croyaient que ce serait un miracle plus utile que ses autres guérisons. Jésus leur répondit qu'il savait bien que Jean avait le désir et l'espoir d'être délivré de cette prison, qu'il en serait délivré en effet, mais que son précurseur qui lui avait prépare les voies, ne croyait pas qu'il allât à Machérunte le remettre en liberté. Ils devaient faire connaître à Jean ce qu'ils avaient vu et lui dire qu'il accomplirait sa mission.
Je ne sais pas si Jean savait que Jésus serait crucifié et que son royaume n'était pas de ce monde : je pense qu'il croyait, lui aussi, que Jésus convertirait le peu e le délivrerait et établirait sur la terre un royaume saint. Vers midi, Jésus revint à la ville dans la maison d'Issachar, où il s'était déjà rassemblé beaucoup de monde et où la maîtresse de la maison et tous ses gens étaient occupés à préparer les mets et tout ce qui était nécessaire pour le repas. En sortant de la maison d'Issachar par la porte de derrière, on rencontrait une place spacieuse où se trouvait une belle fontaine publique entourée de diverses constructions. Cette fontaine était comme sainte, car Élisée l'avait bénie : une belle chaire de pierre s'élevait à côté et des enceintes avaient été disposées à l'entour pour qu'un nombreux auditoire pût entendre, à l'ombre d'arbres touffus, les instructions données du haut de cette chaire. On y faisait plusieurs fois dans l'année, spécialement à la Pentecôte, des prédications publiques. Il y avait en outre, auprès de la fontaine, des armoires et de longs bancs de pierre ou d'étroites terrasses sur lesquelles on donnait à manger aux caravanes ou aux troupes de voyageurs qui allaient à Jérusalem pour la fête de Pâques. La maison d'Issachar, à raison du voisinage, avait vue sur cette fontaine, et comme cette maison était une espèce d'entrepôt de roulage, la partie qui donnait sur la place était disposée en conséquence : les caravanes y embarquaient ou déballaient des marchandises sans que ce fût pourtant une hôtellerie publique. C'était une entreprise comme celle du père de la fiancée de Cana en Galilée (Voir t. I p. 402) La belle fontaine qui se trouvait là avait seulement cela source était située à une grande profondeur et qu'il fallait se donner beaucoup de peine pour pomper l'eau qui coulait dans des bassins placés tout autour.

Une grande quantité de personnes s'étaient rassemblées là sur l'invitation de Jésus et d'Issachar, et Jésus du haut de la chaire fit au peuple une instruction sur l'accomplissement de la promesse, sur l'approche du royaume de Dieu, sur la pénitence et la conversion et sur la manière d'implorer la miséricorde de Dieu et d'accueillir les grâces et les miracles. Il parla aussi d'Elisée qui avait enseigné ici, dit comment les Syriens, ayant voulu s'emparer de lui, avaient été frappés d'aveuglement, comment Elisée les conduisit à Samarie entre les mains de leurs ennemis comment il les fit héberger et au lieu de les livrer à la mort leur rendit la vue et les renvoya à leur roi : ; il appliqua tout cela au Fils de l'homme et aux persécutions des Pharisiens. Il enseigna encore longuement sur la prière et sur les bonnes oeuvres, parla de la prière du Pharisien et de celle du Publicain, dit que lorsqu'on jeûnait il fallait se bien vêtir et se parfumer, et non faire parade de sa dévotion aux yeux du peuple. etc., etc. Les gens de l'endroit qui étaient très vexés par les Pharisiens et les Sadducéens furent fort consolés par la prédication de Jésus. Mais les Pharisiens et les Sadducéens furent transportés de rage en voyant cette réunion joyeuse et en écoutant dans l'assistance Issachar, rendu à la santé, s'occuper avec les siens et les disciples de Jésus, à distribuer joyeusement des aliments au peuple qui s'était établi tout le long des bancs de pierre, ils devinrent tellement furieux qu'ils se précipitèrent avec impétuosité sur Jésus. Ils firent mine de vouloir se saisir de lui et ils se mirent encore à l'injurier pour avoir guéri le jour du sabbat Jésus les engagea à l'écouter tranquillement ; il les fit ranger en cercle autour de lui et, faisant usage de la façon de parler proverbiale qui lui était familière, il dit aux plus considérables d'entre eux : " Si vous étiez au fond de ce puits le jour du sabbat, ne demanderiez-vous pas qu'on vous en retirât ? " Il continua son instruction sur ce ton, en sorte qu'ils se retirèrent les uns après les autres, couverts de confusion. Mais Jésus quitta la ville avec quelques-uns de ses disciples et descendit dans la vallée qui court du midi au nord, le long de la partie occidentale.

Issachar a fait d'abondantes distributions à Dothan. Il a envoyé aux hôtelleries de la communauté des ânes chargés de provisions de toute espèce : il a repris aux disciples leurs provisions de bouche qui étaient trop vieilles et leur en à donné de meilleures à la place. Il leur donna aussi pendant le repas des coupes semblables a celles qui étaient à Cana et des urnes aplaties faites d'une matière blanche avec des anneaux servant à les suspendre et des bouchons faits d'une espèce d'éponge fortement comprimée. Il y avait dedans un breuvage rafraîchissant et aussi du baume. Il donna aussi à chacun des disciples de l'argent destiné à des aumônes et à d'autres dépenses.

Judas Iscariote revint d'ici chez lui ainsi que plusieurs autres disciples. Jésus n'en garda que neuf environ avec lui, parmi lesquels étaient Thomas, Jacques le Mineur, Jude Barsabas, Simon Thaddée, le petit Cléophas, Nathanael, Manahem et d'autres encore.

Lorsque Jésus fut parti, il y eut une explosion de paroles et d'injures de la part des Pharisiens. Ils dirent aux pauvres gens qui étaient là rassemblés : " On voit bien qui il est, il s'est fait bien payer par Issachar. Ses disciples sont des vagabonds et des paresseux qu'il nourrit et régale aux dépens d'autrui. s'il avait quelque idée de ses devoirs, il resterait chez lui et nourrirait sa pauvre mère ; son père était un pauvre charpentier ; quant à lui, un métier honnête n'est point son affaire, il court le monde et trouble la tranquillité du pays ". 

Lorsqu'Issachar faisait ses distributions, il ne cessait de dire : " Prenez, de grâce, prenez ! Cela n'est pas à moi : cela appartient au Père céleste : c'est lui qu'il faut remercier : ce n'est qu'un prêt qu'il m'a fait ".