Jésus sur les confins de la Pérée septentrionale et de la basse Galilée. - Jésus à Gaulon, - à Regaba, - à Césarée de Philippe, -chez Enoué, -à Argob, -dans la forteresse de Regaba, -à Chorozaim. (Du 5 au 24 mars) (5-8 mars.) La fête durait encore aujourd'hui : toutefois il était permis de voyager, et Jésus fit environ quatre lieues jusqu'à Gaulon. La route qu'il suivit tournait à l'ouest autour de hautes montagnes. Gaulon est tout au plus à deux lieues du Jourdain : des paiens et des Juifs y habitent. Jésus y vint avec quelques disciples seulement, et il fut très bien accueilli Il y avait encore là quelques gens qui n'avaient pas été guéris et auxquels Jésus rendit la santé. On enseigna aussi et on baptisa. Tout cela ne dura guère qu'une heure et demie : ils allèrent ensuite au midi, et ayant fait deux lieues, ils arrivèrent tout contre Argob. Cet endroit est dans une situation élevée, à deux lieues à peu près du coude que fait le Jourdain entre le lac Mérom et Bethsaïde-Juliade, en face de Lekkum qui est situé sur la rive occidentale. De là Jésus fit encore deux lieues dans la direction du levant ; il passa derrière la montagne des Béatitudes, en cheminant toujours sur des hauteurs, et il arriva très tard devant Regaba, forteresse située dans la montagne. Ils s'assirent sur l'herbe pour se reposer dans un endroit solitaire qui est devant la ville, et ils attendirent plusieurs des leurs, qui déjà, depuis Nobah, s'étaient dispersés de différents côtés. Lorsque les quinze se furent réunis de nouveau à Jésus, ils entrèrent dans l'hôtellerie préparée ici pour eux. Regaba est un de ces bourgs des Gergéséniens dont j'ai parlé à l'occasion de la délivrance des possédés de Gergesa. C'était le plus avancé vers le nord, et l'un des mieux disposés. Gaulon et l'autre petit endroit étaient à l'extrême limite du territoire du tétrarque Philippe. Le pays des Géraséniens avait, à ce qu'il me semble, certains privilèges qui en faisaient un district à Part. Jésus alla aussi à Gaulon. (6 mars. ) La plupart des habitants, tant Juifs que paiens, sont déjà baptisés, et la plupart des malades ont été guéris sur la montagne des Béatitudes. Jésus a passé toute la journée à visiter diverses personnes, qu'il a consolées instruites et affermies dans la foi. Note : Anne Catherine se trouvant dans un état d'épuisement complet ne put dire que peu de chose ce jour-là, et pas beaucoup plus le jour suivant. (7 mars.) Jésus fit aujourd'hui comme il avait fait la veille : mais il vint de tout le pays pour le sabbat, une innombrable multitude de personnes, et en outre une caravane arriva d'Arabie. Tous ces gens amenaient un très grand nombre de boiteux, d'aveugles, de muets et d'autres malades, et ils devinrent si incommodes par l'ardeur avec laquelle ils se pressaient en foule autour de lui, qu'après la synagogue il s'enfuit de la ville sur une montagne déserte. Une partie des disciples alla avec lui : les autres restèrent et s'efforcèrent du mieux qu'ils purent de mettre un peu d'ordre dans cette multitude. (8 mars.) Jésus a enseigné aujourd'hui sur une montagne Près de Regaba : le peuple l'avait suivi. Il parla de l'oraison dominicale, dit qu'il fallait éviter de prier en public et avec ostentation, et indiqua à quelles conditions on pouvait être exaucé. Il guérit aussi plusieurs personnes, puis il revint à Regaba et se rendit à la synagogue. Dans ces derniers temps, il a fréquemment enseigné sur la prière, soit en route, soit dans les écoles. Il y avait avec lui quelques disciples qui ne s'étaient pas trouvés présents à son explication complète et détaillée de l'oraison dominicale. Ils lui dirent : " Apprenez-nous donc à prier comme vous avez fait pour les autres ". Alors il leur expliqua de nouveau le Pater, et les mit en garde contre l'ostentation hypocrite dans la prière. Regaba est située sur un point très élevé, et l'on y a une vue admirable. On peut voir par-dessus d'autres hauteurs les navires qui voguent sur le lac, et la vue s'étend au delà de Génésareth jusqu'au mont Thabor. Au-dessus de la ville, qui n'est pas très grande, s'élève sur un rocher un édifice carré avec de grandes murailles à pic qui ont l'air d'être taillées dans le roc : il y a beaucoup de caveaux et de chambres. Des soldats y tiennent garnison. Plus haut est une plate-forme sur laquelle il y a des arbres. La vue qu'on a de là est d'une grande beauté. Ce doit être la citadelle. Il y a d'ici au lac environ cinq lieues dans la direction du sud-ouest, trois à quatre dans la direction de l'ouest jusqu'à la montagne des Béatitudes, cinq jusqu'à Bethsaïde-Juliade, et sept à huit au sud-ouest jusqu'à l'endroit où Jésus chassa les démons qu'il envoya dans le corps des pourceaux. Césarée de Philippe peut être à quatre ou cinq lieues d'ici, au nord-est. J'entendis dire que Jésus irait de ce côté : on y va d'ici par un chemin de caravanes qui franchit une haute montagne. Jésus a traversé une fois ce chemin en venant ici. C'est là qu'habite l'hémorrhoïsse qu'il a guérie. Il s'y trouve aussi des Pharisiens. Jésus parla à plusieurs reprises des mauvais jours qui allaient venir. Il dit une fois que son assomption était proche. Il désignait peut-être par ce mot sa transfiguration, après laquelle on devait le poursuivre partout et chercher à se défaire de lui. Depuis la scène tumultueuse de Capharnaum, il n'a plus parlé en public du pain de vie ni de la nécessité de manger sa chair et de boire son sang. Son principal but, en exposant cette doctrine, avait été d'éprouver les disciples et d'éliminer les mauvais, afin de n'avoir pas à les traîner continuellement à sa suite. Le pays voisin de Regaba est très beau, mais assez sauvage : au nord-est il est tout à fait dépouillé, stérile et rocailleux. On ne voit pas ici de beaux arbres fruitiers comme à Génésareth, mais il vient beaucoup de blé sur les plateaux ; il y a aussi, sur les montagnes où Jésus se réfugia, des pâturages étendus, avec de l'herbe longue, de l'herbe courte qui est encore meilleure, et des plantes de toute espèce : on y voit errer de grands troupeaux d'ânes et de vaches, quelques-unes avec des cornes très larges et des mufles noirs qu'elles relèvent habituellement : d'autres portent la tête plus basse et les cornes en avant : il y en a qui ont les cornes brisées. On voit aussi là de grands troupeaux de chameaux qui, dans le lointain, paraissent tout petits ; souvent ils dorment sur leurs jambes, en s'appuyant pour cela à des arbres ou à des rochers. Dans une contrée où l'on trouve des arbres qui ressemblent à des hêtres, j'ai vu errer beaucoup de pourceaux : peut-être que les païens de tout le pays d'alentour envoient les leurs ici, depuis le dommage qu'ils ont éprouvé à Gergesa. Il y a ici de grands arbres, des châtaigniers, je crois, et d'autres espèces : dans la contrée plus déserte du nord-est, il n'y a que de petits arbres tordus. On voit ici beaucoup de petits fruits et de jolis arbustes. Je n'ai jamais vu les Juifs ni les païens fumer la viande : ils font sécher le poisson au soleil et le salent. L'eau fait défaut dans ces régions élevées : on a des citernes pour recueillir celle qui tombe du ciel, et on apporte l'eau de source dans des outres. (9-12 mars.) Aujourd'hui, Jésus alla avec ses compagnons à Césarée de Philippe : la caravane y était déjà ; il arriva vers midi. C'est à peu près à cinq lieues au nord de Regaba. Jésus eut toujours à suivre les hauteurs. Il laissa à sa gauche le lac Phiala : la contrée qu'il traversa était souvent sauvage et stérile. La ville est assise entre cinq collines, et le site est très beau : d'un côté elle a vue sur les montagnes. Elle a une belle ceinture de jardins et d'avenues, et est bâtie en grande partie à la manière païenne, avec beaucoup de colonnes et d'arcades. Il s'y trouve environ sept palais et plusieurs temples païens. Cependant les paiens et les juifs habitent des quartiers séparés. Devant la ville, et plus bas qu'elle, est un grand et bel étang au milieu duquel se trouve un petit édifice que l'on peut faire tourner sur lui-même. L'eau en jaillit dans l'étang et se décharge ensuite dans le Jourdain. Il y avait en outre dans la ville païenne un puits très profond surmonté d'une construction très élégante : l'úil y plongeait à une grande profondeur : je crois que ce puits communiquait, à travers la montagne, avec les sources qui forment le lac Phiala. Je vis aussi devant la ville des arcades et des conduits voûtés où l'eau coulait comme dans des caves et sur des ponts. Jésus est récemment venu tout près de cette ville sans y entrer : c'était, je crois, parce que le tétrarque Philippe s'y trouvait : maintenant il est parti. Le reste des apôtres est en route pour se rendre ici. Jésus fut très bien accueilli : on s'attendait à le voir, car la caravane avait annonce son arrivée. Il lut reçu devant la ville près du puits par des gens de bien, parmi lesquels étaient des parents de l'hémorrhoïsse qu'il avait guérie : ils lui lavèrent les pieds et lui offrirent la réfection habituelle. Il entra, à peu de distance de la synagogue, dans une hôtellerie de Pharisiens. Il vint bientôt des malades et d'autres personnes. Les apôtres opérèrent quelques guérisons. Ici aussi il y a des Pharisiens malveillants. dont quelques-uns ont déjà assisté aux réunions de la commission de Capharnaum, où ils sont remplacés par d'autres. (10 mars.) Aujourd'hui Jésus guérit et enseigna sur une colline devant la ville : on avait amené des malades étrangers de tous les pays. Souvent ils s'écriaient : " Seigneur, ordonnez à un de vos disciples de nous secourir ". Le soir, Jésus mangea avec les Pharisiens, et ils lui dirent des choses piquantes sur ce qu'il ne se faisait accompagner que par des gens de bas étage et évitait de frayer avec les gens instruits. (11 mars.) Ce matin Jésus enseigna devant la ville sur une éminence en présence d'un nombreux auditoire : il guérit beaucoup de malades et ses disciples firent de même. On distribua ensuite beaucoup d'aumônes, des aliments et aussi des vêtements. Enoué, l'hémorrhoisse qui demeure ici, et son oncle encore païen s'étaient entendus avec les disciples pour pourvoir à ces libéralités. Je crois que Jésus a déjà conféré hier avec cette famille, car l'oncle doit être baptisé aujourd'hui dans sa maison. Les trois apôtres et presque tous les disciples que Jésus avait envoyés d'Ornithopolis à Tyr, dans le pays de Khaboul et à Aser, vinrent ce matin le rejoindre devant la ville. Il y a toujours quelque chose de très touchant dans la manière dont ils s'accueillent lorsqu'ils se revoient après une absence : ils se prennent les mains et s'embrassent. C'était ici qu'il leur avait donné rendez-vous. Les autres disciples, aidés de quelques personnes qui étaient là, leur lavant les pieds, après quoi ils se joignirent aux autres pour distribuer des aliments et des aumônes et aussi pour opérer des guérisons. Vers midi Jésus avec tous ses disciples et ses apôtres, qui étaient bien une soixantaine, alla dans la maison de l'oncle d'Enoué où on lui fit une réception solennelle à la manière paienne, avec des tapis étalés sous ses pieds, des branches d'arbres et des guirlandes. L'oncle vint à la rencontre de Jésus, entre Enoué et la fille de celle-ci, et les deux femmes se jetèrent aux pieds du Seigneur. On offrit à Jésus et aux siens une très belle collation déjà préparée dans une salle. C'était en partie à la prière de ce vieillard que Jésus était venu ici. Il voulait se faire baptiser avec plusieurs autres païens, mais il avait des scrupules à l'égard de la circoncision et il eut à cause de cela un entretien particulier avec Jésus. Jésus ne s'expliqua jamais en public à ce sujet : il ne prescrivait jamais la circoncision quand des cas semblables se présentaient : mais il ne disait pas non plus qu'on dût la laisser de côté. Toutefois, quand de pieux vieillards païens se faisaient baptiser et lui communiquaient confidentiellement leurs perplexités à ce sujet, il les consolait et leur disait que s'ils ne voulaient pas se faire Juifs, ils pouvaient s'en tenir là, à la condition de croire et de pratiquer ce qu'il leur avait enseigné. Ces gens vivaient alors en dehors du culte paien : ils priaient, faisaient des aumônes et devenaient chrétiens sans avoir passé par le judaïsme. Même vis à vis des apôtres, Jésus ne s'expliquait pas sur ce point de peur de les scandaliser : aussi je ne me souviens pas que les Pharisiens qui épiaient tout en aient jamais fait un chef d'accusation contre Jésus, même au moment de sa passion. Note : Après la descente du Saint-Esprit, ils furent agrégés à l'Eglise par la réception du saint sacrement de baptême, sans avoir été circoncis préalablement. Dans la cour intérieure de la maison qui était pavée de belles dalles on avait tendu entre des arbres et des guirlandes de fleurs une tente de belle étoffe blanche ouverte par en haut, et au-dessus de cette ouverture était suspendue une belle couronne. L ;e fat sous cette tente que le baptême fut administré. Jésus enseigna encore auparavant : il s'entretint aussi en particulier avec chacun des néophytes. Ils lui ouvraient entièrement leur coeur, lui faisaient connaître leur vie passée, et Professaient la foi qu'ils avaient en lui ; après quoi il leur remettait leurs péchés ils furent baptisés par Saturnin' avec ne l'eau puisée dans un bassin que Jésus bénit préalablement. Après cela il y eut encore un grand repas auquel tous les disciples prirent part avec les amis de la maison. Le repas était à la mode païenne : la table était plus haute que chez les Juifs : les convives étaient couchés sur des espèces de lits, les pieds tournés du côté opposé à la table : ils avaient le coude appuyé sur un coussin. La table était découpée en sorte que chacun des convives en avait une partie devant lui : peut-être aussi étaient ce de petites tables séparées ajoutées les unes aux autres. Chacun avait de petits plats devant lui : au milieu de la table étaient dressés de grands plateaux couverts de mets. Enoué depuis sa guérison n'était plus reconnaissable : elle avait pris de l'embonpoint et paraissait forte et bien portante : elle s'assit à table à côté de son oncle, ainsi que sa fille, belle personne de vingt et un ans environ. Mais pendant le repas la mère et la fille se levèrent et se retirèrent : elles revinrent ensuite, la mère se tenant un peu en arrière, la fille couverte d'un beau voile et portant à la main un petit verre d'une blancheur semblable à celle de l'albâtre et plein d'une essence parfumée. Elle alla se placer derrière Jésus et brisa le petit vase au-dessus de sa tête, puis elle passa les deux mains sur sa chevelure à droite et à gauche, et la frotta légèrement depuis les oreilles jusqu'à la nuque ; alors, ramassant les extrémités de son long voile, elle en essuya la tête du Sauveur, après quoi elle sortit de la salle. A la tin du repas on envoya beaucoup de choses aux pauvres rassemblés devant la maison. Cette maison n'était pas celle que l'oncle habitait antérieurement : c'en était une autre où il était venu tout récemment s'établir avec Enoué, pour éviter les rapports trop fréquents avec les païens et le voisinage` de leurs temples : cependant elle n'était pas précisément dans le quartier des Juifs. Enoué était fille de son frère ou de sa soeur : elle avait embrassé le judaïsme et s'était mariée à un Juif qui était mort. Tout son bien lui venait de ses parents paiens : en entrant dans leur nouveau ménage, ils avaient mis de côté beaucoup de blé, de vêtements et de couvertures pour les pauvres. Jésus enseigna et raconta des paraboles pendant le repas. (12 mars.) Césarée de Philippe est située à environ quatre lieues à l'est de Leschem ou Laïs qui est l'endroit où la Syrophénicienne vint trouver Jésus : toutefois elle est un peu plus au sud. Ces deux villes sont différentes. Note : Cette assertion donne à penser qu'Anne Catherine voyait à cette occasion l'erreur de plusieurs écrivains, qui confondent ces deux noms et de deux villes qui n'en font qu'une seule. Ce matin, les paiens célébraient une fête près du beau puits qui est dans la ville. La fête se rapportait aux propriétés bienfaisantes de l'eau. Il y avait dans le voisinage du puits une place ornée de colonnes et divers édifices consacrés au culte. On fit fumer de l'encens sur des trépieds et je vis une troupe de jeunes filles couronnées de fleurs. La fête avait lieu devant une idole d'une forme singulière : on eût dit trois ou quatre figures assises des à des. On voyait sur toutes les faces des têtes, des mains et des pieds : les coudes étaient collés au corps et les mains étendues en avant. Le puits était surmonté de magnifiques colonnes, et de tous les côtés l'eau se déversait dans des bassins. Elle coulait par un côté vers un emplacement pavé en belles dalles et entouré de murs, de salles et de citernes : c'était là que les Juifs avaient leurs bains. Jésus alla encore avec les, disciples et quelques apôtres à l'auberge voisine de la synagogue : les Pharisiens le contraignirent avec des manières très polies d'entrer avec eux à la synagogue et de leur donner diverses explications. Les apôtres le suivirent et il y eut encore d'autres auditeurs. Les Pharisiens avaient préparé différentes questions captieuses sur le divorce, car il y avait à Césarée beaucoup de querelles de ménage fort embrouillées et Jésus avait réconcilié quelques époux qu'il avait remis dans la bonne voie. Ils se mirent à disputer là-dessus avec Jésus d'une façon très impertinente. Ensuite ils l'interpellèrent de nouveau sur ce qu'il permettait à ses disciples. Il y avait avec eux un jeune homme qui leur avait porté des dénonciations contre Jésus Il était riche et instruit ; antérieurement il avait voulu, comme bien d'autres, s'imposer à Jésus comme disciple, et Jésus lui avait prescrit plusieurs conditions que je ne me rappelle plus bien, par exemple de quitter son père et sa mère, de donner tout son bien aux pauvres et d'autres choses. Ici encore il s'était de nouveau adressé à Jésus, mais il voulait garder son bien et l'administrer, et Jésus l'avait éconduit. Il était maintenant avec les Pharisiens et ils demandèrent raison à Jésus de ce qu'il exigeait des hommes des choses inouïes ; le jeune homme mit encore en avant toute sorte d'allégations fort confuses sur des discours tenus par Jésus ( j'ai oublié de quoi il s'agissait), et il somma les apôtres d'en rendre témoignage, car il les avaient entendus. Les apôtres furent fort embarrassés : ils n'étaient pas préparés de pareilles interpellations et ne surent que répondre ; sur quoi les Pharisiens reprochèrent encore à Jésus qu'il courait le pays avec des ignorants, et que s'il avait repoussé ce jeune homme, c'était parce qu'il était trop savant pour lui. Jésus leur répondit en termes très sévères, mais ils répliquèrent par des injures, et il les laissa là pour se remettre en voyage. Devant la ville, Jésus donna des instructions aux apôtres et aux disciples qu'il envoya à l'est et au nord-est dans des endroits assez éloignés. Ils avaient à faire un long et pénible voyage du côté de Damas et de l'Arabie, pour visiter des villes où ils n'étaient pas encore allés. Jésus lui-même, accompagne de deux disciples, revint à Regaba, et il prit encore des chemins détournés, mais pas tout à fait les mêmes qu'il avait suivis récemment. Partant de Césarée, il laissa le lac Phiala à gauche et n'alla pas autant à l'ouest qu'il l'avait fait dernièrement en se rendant à Gaulon ; cette fois il passa par des points plus élevés et situés au midi, se dirigeant vers Argob, tandis que dans son voyage précédent il avait passé à deux lieues de cette ville. Argob est dans une situation très élevée, à environ deux lieues du Jourdain. A l'époque des Juges, elle avait été enlevée au roi Og avec tout le district qui en dépendait, par Jaïr, fils de Manassé. Il y a de Césarée ici quatre lieues en ligne directe : Jésus allant à Gaulon avait fait un détour de deux lieues à l'ouest. (13 mars.) Hier Jésus accompagné seulement de deux disciples, alla de Césarée de Philippe a Argob et il entra chez des Lévites près de la synagogue. Il arriva tard. La plus grande partie de la population d'Argob est juive : les païens en petit nombre qui y habitent sont pauvres et travaillent pour les Juifs. Presque tout le monde s'occupe de la préparation du coton. Je vis des femmes, des enfants et des hommes filer et tisser. La ville est située à une grande hauteur et souffre du manque d'eau : on l'y apporte dans des outres et l'on remplit ainsi une citerne. Le matin, Jésus enseigna sur une place publique et guérit quelques malades il visita ensuite dans leurs maisons d'autres malades et des gens âgés qu'il guérit et consola. La plupart des habitants étaient déjà baptisés : il n'y avait pas ici de Pharisiens. On a d'Argob une vue très étendue sur la haute Galilée qui est de l'autre côté du fleuve : on a aussi en face de soi la montagne des Béatitudes et l'on domine Bethsaide-Juliade qui offre un point de vue remarquablement beau. Dans l'après-midi, Jésus et les deux disciples, suivis de plusieurs personnes de la ville, qui leur firent la conduite jusqu'à une certaine distance, se dirigèrent vers la hauteur qui est à l'est, du côté de Regaba : mais ils s'arrêtèrent à deux lieues de cette ville dans une cabane qui servait d'hôtellerie à des bergers et près de laquelle campent souvent des caravanes qui suivent ce chemin trois fois l'année, maintenant, vers le temps de Noël et une autre fois encore. Quatre des plus jeunes disciples vinrent le trouver ici : ils portaient avec eux des provisions de bouche et venaient, je crois, d'auprès des amis de Jérusalem : ils avaient passé par Capharnaum. Ils ne faisaient pas partie de la troupe qui avait travaillé ici avec Jésus. Je crois que le Seigneur célébrera le sabbat dans la citadelle de Regaba dont j'ai parlé dernièrement. Il y a là une école et des Juifs pauvres y habitent. ( 14 mars. ) Les disciples qui étaient venus hier rejoindre Jésus portaient sur le des et sur la poitrine deux paquets attachés l'un à l'autre par dessus les épaules. Ils avaient sur le des de légères corbeilles d'écorce où étaient entassés les uns sur les autres de larges poissons fendus en deux, calés et desséchés sur la poitrine, ils portaient un certain nombre de pains arrangés de manière à tenir le moins de place possible, et aussi des vases avec des rayons de miel. Ils s'entendent bien mieux qu'on ne le fait chez nous Ce matin, Jésus fut encore entouré d'une immense foule de peuple venue pour l'écouter, et bientôt la presse fut si grande qu'il lui fallut se dérober et se réfugier dans le désert. Ce ne fut qu'un peu après midi qu'il arriva à la citadelle de Regaba, située sur une montagne, derrière la ville. Il s'y trouvait une foule très nombreuse dont faisaient partie beaucoup de gens des caravanes. Cette citadelle est comme taillée dans le roc il y a cependant à l'entour quelques groupes de maisons, et dans l'intérieur, il y a aussi plusieurs maisons et une synagogue. Jésus fut rejoint ici par six des apôtres qui étaient allés à l'est de Césarée dans les endroits les plus voisins. Les autres avaient poussé plus loin. Ils sont allés dans un endroit nommé Astaroth qui n'est pas éloigné du lac Phiala. Ceux qui étaient ici étaient Pierre, André, Jean, Jacques le Majeur, Philippe et Jacques le Mineur. Plusieurs Pharisiens, parmi lesquels il y en a de Capharnaum, sont venus ici pour espionner Jésus. La synagogue était tellement remplie, que tout le monde était obligé de se tenir debout. Jésus enseigna à l'occasion du sabbat sur la construction du palais de Salomon et sur la consécration des vêtements sacerdotaux (III Reg., VI-VII., Exod., XXVIII). Il parla aussi sur des textes de Jérémie, pris, je crois, dans les Lamentations, et dit à cette occasion, que maintenant on le cherchait, on voulait l'avoir, on se pressait en foule autour de lui, mais que dans peu de temps tous l'abandonneraient, l'injurieraient et le maltraiteraient. Il avait raconte à Césarée la parabole du mauvais riche et du pauvre Lazare et récemment encore celle du fils du maître de la vigne que les vignerons mettent à mort. (15 mars.) Aujourd'hui Jésus a guéri un grand nombre de malades, surtout des aveugles : dans ces derniers temps, il avait aussi délivré beaucoup de possédés, ce que j'ai oublié de dire. Le soir, à la synagogue, les Pharisiens ont eu de violentes contestations avec lui. C'était sur des points tout à fait neufs et très importants : je m'en souvenais bien et pourtant je l'ai oublié. Plus tard, après le repas, il y eut des contestations encore plus vives. Ils lui reprochèrent de nouveau de chasser les démons par Béelzébub il leur répondit que leur père était le père du mensonge. Il dit aussi que Dieu ne demandait pas des sacrifices sanglants : je l'entendis parler du sang des agneaux et des génisses, et du sang innocent qu'ils devaient verser, après quoi leur culte prendrait fin. Cela les rendit furieux : ils reproduisirent tous leurs anciens griefs et l'attaquèrent aussi sur ce qu'il ne voulait pas admettre à sa suite ce jeune homme de Césarée de Philippe lequel, disaient-ils, était trop savant pour lui. J'ai oublié toute la marche de cette dispute : mais les Pharisiens furent tellement transportés de fureur, que Jésus et ses disciples s'éloignèrent et s'enfuirent dans le désert. J'ai vu qu'ils le firent espionner par des gens armés de gros bâtons. Entre autres injures qu'ils lui dirent, ils le traitèrent de Samaritain, et il raconta alors la parabole du bon Samaritain et celle du grain de blé qui tombe sur un sol pierreux. Il avertit ses disciples, à la face des Pharisiens, de se tenir en garde contre ceux-ci. Il dit qu'ils n'offriraient plus en sacrifice le sang des génisses. mais du sang humain, que ceux qui croiraient en l'agneau immolé seraient réconciliés par ce sacrifice et que les meurtriers seraient condamnés. Jamais encore il ne les avait attaqués si hardiment. (16-17 mars.) Hier soir, Jésus se retira dans le désert au midi de Regaba et il y passa la nuit. Il y a là beaucoup de vallons avec des pâturages et des abris tout à fait retirés : quelques emplacements bien exposés sont couverts de plantations d'oliviers. Ses disciples le rejoignirent là. Le matin, je le vis en route pour Chorozaïn : il expliqua aux disciples pourquoi il ne voulait pas admettre ce jeune homme, car eux-mêmes n'avaient pas pu le comprendre. Ils arrivèrent d'assez bonne heure à Chorozain. (17 mars.) Aujourd'hui, Jésus se trouvait avec ses compagnons à Chorozaïn, qui est à peine à quatre lieues au midi de Regaba et à trois lieues environ à l'est du lac au delà du bureau de péage de Matthieu. La ville est habitée par des Juifs et par des païens, dont beaucoup travaillent le fer. Ici aussi une grande foule de peuple suivit Jésus : on avait porté sur le chemin qu'il suivait à travers la ville, beaucoup de malades couchés sur leurs grabats. En allant à la synagogue, il guérit un grand nombre d'hydropiques, de paralytiques et d'aveugles. Il annonça, en termes prophétiques, au milieu des interruptions continuelles des Pharisiens, ses souffrances futures et sa douloureuse Passion. Il parla du sacrifice expiatoire qu'ils offraient sans interruption, mais qui ne les empêchait pas de persévérer dans leurs péchés et leurs abominations, puis il en vint à dire quelque chose du bouc émissaire, qu'à un jour marqué ils chassaient de Jérusalem dans le désert avec tant d'ardeur et de fracas, et qu'après l'avoir chargé de leurs péchés, ils faisaient mourir dans les précipices il les accusa d'être altérés de sang et dit, en faisant une allusion encore incompréhensible pour eux, que le temps approchait où ils chasseraient et mettraient à mort avec des cris tumultueux un innocent qui les aimait, qui avait tout fait pour eux et qui portait réellement sur lui leurs péchés Là-dessus, les Pharisiens firent grand bruit et l'accablèrent d'invectives : mais Jésus sortit de la synagogue ils le suivirent et le sommèrent de s'expliquer plus clairement : mais il leur répondit qu'ils ne pouvaient pas le comprendre quant à présent. Pendant que Jésus était au milieu de cette foule bruyante, on lui présenta un sourd-muet pour qu'il le guérit. Cette guérison est de celles qui sont mentionnées dans l'Evangile. C'était un berger des environs, un homme bon et pieux : il fut conduit à Jésus par ses proches qui le prièrent de lui imposer les mains. Alors Jésus le fit emmener hors de la foule, mais les Pharisiens le suivirent et il le guérit en leur présence, afin qu'ils vissent qu'il opérait ses guérisons en vertu de la prière et de la foi en son Père céleste et non par le démon Jésus mit ses doigts dans les oreilles du sourd-muet, les mouilla ensuite avec de la salive et lui toucha la langue ; puis il leva les yeux au ciel en soupirant et dit à cet homme : " Ouvre-toi " ! L'homme recouvra sur-le-champ la parole et l'ouïe : il rendit grâces à son bienfaiteur et reçut les félicitations de ses proches transportés de joie comme lui Jésus leur ordonna, suivant sa coutume après de semblables guérisons, de ne pas en parler ni en faire part, parce qu'il résultait souvent de là que plusieurs faisaient servir au péché les organes dont l'usage venait de leur être rendu et en étaient punis par des rechutes. Cependant la foule se pressait toujours plus nombreuse autour de lui, car une caravane venait d'arriver, et je vis Jésus avec ses compagnons se rendre à deux ou trois lieues de la, au bureau de péage de Matthieu. Mais comme là aussi le peuple accourait en foule, Jésus, laissant là deux disciples, s'embarqua avec les autres et se dirigea du côté de Bethsaïde-Juliade ils débarquèrent dans les environs et jusqu'à la nuit ils restèrent dans la solitude au pied de la montagne des Béatitudes Jésus parla de son voyage à Jérusalem et de sa prochaine assomption Pendant la nuit ils passèrent le Jourdain pour se rendre sur le bord occidental du lac et ils s'abouchèrent avec des messagers de Lazare dans la maison d'André (18 mars.) Ils partirent avant le jour de Bethsaïde pour repasser sur l'autre rive du lac Jésus fit une instruction sur la montagne qui est au delà du bureau de péage de Matthieu Il y avait beaucoup de monde, notamment des païens de la Décapole et des gens des caravanes On avait amené un très grand nombre de malades, portés sur des ânes ou sur des civières : Jésus les guérit. Tous n'étaient pas nés aveugles, boiteux, muets, etc. Il y en avait plusieurs qui l'étaient devenus, et quelques-uns même qui l'étaient redevenus après avoir été guéris Aujourd'hui Jésus, entre autres choses, enseigna sur la prière ; il dit où et comment il fallait prier et parla de l'ardeur et de la persévérance dans la prière qu'il s'exprima en ces termes : " si un enfant demande du pain, son père ne lui donne pas une pierre : ni au lieu d'un poisson, un serpent, ni pour un oeuf, un scorpion ". Il cita aussi comme exemple, des païens à lui connus, lesquels avaient une telle confiance en Dieu qu'ils ne lui demandaient absolument rien, se bornant à lui rendre grâces pour fout ce qu'ils recevaient, et il ajouta : " Si les esclaves et les étrangers ont une telle confiance, quelle confiance ne doivent pas avoir les enfants du Père "? Il parla des actions de grâces à rendre après une guérison ou une conversion, et de la punition de ceux qui retombaient, disant que l'état de leur âme devenait pire qu'auparavant. Voilà tout ce qui me revient à la mémoire. Cependant la presse devint si grande qu'il s'éloigna de nouveau, après avoir annoncé pour le jour d'après, une grande instruction sur une haute montagne. Ils passèrent la nuit dans l'ancienne habitation de Matthieu. (19 mars.) Ce matin Jésus se rendit avec les disciples sur une montagne située à l'est de la montagne des Béatitudes. Le peuple accourut de tous côtés : car il y avait des campements disséminés dans toute la contrée, sur les hauteurs et dans les vallons, et on s'enquérait partout de l'endroit où Jésus se rendait. Il n'y eut pas de guérisons aujourd'hui : Jésus traita de nouveau des huit Béatitudes et dit qu'il voulait achever ce qu'il avait a dire sur ce sujet : il enseigna sur la septième et la huitième béatitudes : c'était là qu'il s'était arrêté la dernière fois. Vers le soir, pour se dérober à la foule qui le pressait, il alla avec les apôtres et les disciples s'embarquer sur le navire de Pierre et ils naviguèrent au midi, mais ils ne descendirent pas à terre parce que la multitude, elle aussi, était montée sur des barques et le suivait. Je crois qu'ils reviendront demain de très bonne heure et que la seconde multiplication des pains va avoir lieu. La tête de Jean-Baptiste n'a pas encore été retirée du cloaque de Machérunte. Apres Pâque tout ce qui reste de la suite d'Hérode quittera la ville et c'est alors qu'on curera le cloaque. (20 mars.) Ce matin Jésus est débarqué de nouveau vis-à-vis de Bethsaïde, près Au petit Chorozaïn. Il monta avec ses compagnons une bonne lieue au nord-est derrière la montagne où avait eu lieu la première multiplication des pains, et arriva au sommet d'une autre montagne plus élevée que celle-ci. Elle était située à droite dans le désert de Chorozaïn, à deux lieues et demie à l'ouest de Regaba dont la position est encore plus élevée. Sur la hauteur où Jésus enseigna, il y avait un emplacement spacieux, à peu de distance du chemin qu'il avait suivi récemment en allant de Césarée de Philippe à Regaba. C'était un endroit où l'on passait quelquefois : des voyageurs venaient à y camper et l'on y voyait des restes de retranchements ; il y avait aussi un tertre et un long bloc de rocher de forme quadrangulaire, semblable à un grand banc de pierre dénudée où les voyageurs se reposaient et mangeaient. Ce n'en était pas moins un endroit très solitaire et très écarté. Plus bas on rencontrait de petites vallées et des bouquets de bois où erraient des ânes et d'autres animaux herbivores. Une partie du peuple était déjà sur la hauteur, d'autres arrivaient de tous les côtés. Jésus fit là sa dernière instruction sur les huit béatitudes, et il termina ce qu'on appelle vulgairement le sermon sur la montagne. Sa parole fut singulièrement éloquente et touchante. Il y avait là beaucoup d'étrangers et de païens : l'assistance montait bien à quatre mille personnes, sans compter les femmes et les enfants. Vers le soir il fit une pause et dit à Jean que ce peuple le suivait depuis trois jours et qu'étant au moment de les quitter pour longtemps, il ne pouvait se résoudre à les laisser partir affamés comme ils l'étaient Jean répondit : " Nous sommes ici en plein désert : il faut aller bien loin pour trouver du pain : devons-nous recueillir pour eux des baies sauvages et les fruits qui sont restés aux arbres dans quelques endroits " ? Jésus lui dit alors de demander aux autres combien de pains ils avaient. Ceux-ci répondirent : " Sept pains et sept petits poissons ". Ces poissons étaient toutefois de la longueur du bras. Là-dessus Jésus leur ordonna de prendre aux assistants tout ce qu'ils avaient de corbeilles vides et de placer sur le banc de pierre les pains et les poissons. Pendant qu'ils exécutaient ses ordres, Jésus reprit son instruction qui dura encore une bonne demi heure. Il dit aujourd'hui en termes très clairs qu'il était le Messie. Il parla aussi de la persécution qui le menaçait et de son assomption prochaine. Ce jour-là ces montagnes devaient s'ébranler et cette pierre se fendre (en disant cela il montra le banc de pierre), cette pierre près de laquelle il avait annoncé la vérité sans pouvoir la faire accepter. Il s'écria : " Malheur à Capharnaum et à Chorozain "! Il nomma plusieurs autres villes du pays qui toutes sentiraient, le jour où il quitterait la terre, qu'elles avaient repoussé le salut qui leur était offert. Il parla des grâces faites à cette contrée à laquelle il avait rompu le pain de vie : mais il ajouta que ces grâces seraient recueillies par les voyageurs qui passaient, que les enfants de la maison jetteraient le pain sous la table tandis que les étrangers, les petits chiens, comme avait dit la Syro-phénicienne, ramasseraient les miettes et en feraient part à des villages et à des bourgades tout entières qu'elles vivifieraient et rempliraient d'ardeur. Il prit ensuite congé de ses auditeurs, les supplia encore une fois de faire pénitence et de se convertir, puis il redoubla ses menaces et dit que cette instruction était la dernière qu'il ferait dans ce pays : les assistants pleuraient, s'étonnaient et ne comprenaient ses paroles qu'à moitié. Cependant il leur ordonna de se placer sur les pentes de la montagne. Les apôtres et les disciples les rangèrent et les firent asseoir suivant l'ordre qui avait été observé la fois précédente. Jésus bénit et partagea les pains et les poissons comme il l'avait fait alors, et les disciples allèrent à droite et à gauche avec des corbeilles porter à chacun sa portion. Plus tard on recueillit sept corbeilles pleines de morceaux qui furent distribués aux pauvres voyageurs. A midi, il s'était trouvé un grand nombre de Pharisiens dans son auditoire, mais ensuite ils étaient descendus dans les vallées habitées par des bergers. Vers le soir, il en était revenu un certain nombre qui avaient entendu en partie ses paroles menaçantes et qui avaient été témoins de la multiplication des pains, après quoi ils s'étaient retirés de nouveau pour délibérer avec les autres sur ce qu'ils diraient à Jésus quand il descendrait. Ces Pharisiens formaient une troupe d'une vingtaine de personnes qui, sous prétexte de visiter les synagogues, avaient suivi Jésus jusqu'ici, formés en petits groupes et se relayant successivement pour l'espionner. C'étaient eux qui avaient disputé contre lui à Césarée de Philippe, à Nobah, à Regaba et à Chorozaim, et ils faisaient sans cesse leurs rapports à Capharnaum, soit en personne, soit par des messagers. Jésus congédia le peuple qui pleurait, rendait grâces et le glorifiait à haute voix. Il ne put se dérober à leurs hommages qu'avec peine et il descendit vers le lac avec ses disciples pour gagner la rive du sud-est et se porter sur les confins de Magdala et de Dalmanutha. Mais avant qu'il fût arrivé au lieu où il devait s'embarquer, au-dessus du bureau de péage de Mathieu, les Pharisiens vinrent le trouver à une bonne demi lieue du lac, au pied de la montagne où s'était faite la première multiplication des pains, et sachant qu'il avait parlé de tremblements de terre et de signes menaçants dans la nature, ils lui barrèrent insolemment le chemin pour discuter avec lui et ils lui demandèrent de leur faire voir un signe dans le ciel. Il leur fit la réponse qui est rapportée dans l'Evangile. Mais je l'entendis aussi leur faire le compte des semaines après lesquelles le signe du prophète Jonas devait être donné, et ce compte aboutissait précisément à son crucifiement et à sa résurrection. Ensuite il les quitta et se rendit avec les apôtres au bord du lac près de la barque de Pierre : d'autres disciples avaient déjà tout préparé et ils gagnèrent d'abord le large, puis ils se laissèrent dériver dans les ténèbres. suivant la direction du courant du Jourdain : sortant ensuite du courant, ils gouvernèrent un peu à l'est et dormirent sur le navire dans le voisinage de Magdala et de Dalmanutha. (21 mars.) Je n'ai pas vu Jésus descendre à terre non plus que les disciples. Ils continuent à ramer jusqu'au milieu du lac où est le courant du Jourdain ; alors ils laissent dériver la barque et ne se servent que du gouvernait. Ils dorment, s'entretiennent ensemble et à certaines heures de la nuit ils font des prières en commun : quand ils veulent remonter, ils sortent du courant, se rapprochent de la terre et rament : quand le vent est contraire, des matelots descendent à terre et tirent le navire avec des cordes. Hier, ils avaient jeté l'ancre près du territoire de Magdala et de Dalmanutha et ils passèrent la nuit sur le navire. Ce matin ils se rapprochèrent de l'autre rive, et étant sortis de nouveau du courant, ils remontèrent à la rame le long du bord occidental, parce qu'ils s'aperçurent qu'ils avaient oublié leur provision de pain et qu'ils n'avaient qu'un seul pain pour eux tous. Ici Anne-Catherine raconta sommairement ce que leur dit Jésus du levain des Pharisiens et les reproches qu'il leur adressa à ce sujet, tels qu'ils sont rapportés par saint Matthieu et saint Marc (Matth. XV, 5-13. Marc, VIII, 14-22). Aujourd'hui vendredi ils remontèrent lentement le lac et Jésus leur fit diverses instructions. Il parla de sa glorification prochaine, de sa passion et des persécutions qui l'attendaient. Il leur dit plus clairement que Jamais qu'il était le Messie. Ils écoutaient tous ces discours et même ils y croyaient : mais ils les oubliaient aisément parce qu'ils ne pouvaient pas parvenir à les mettre d'accord avec leurs idées bornées et charnelles et qu'ils laissaient prendre le dessus à leurs imaginations accoutumées. Ils ne cherchaient donc pas à les approfondir et n'y voyaient qu'un langage prophétique obscur et mystérieux. Il parla aussi de son voyage à Jérusalem et de la persécution qu'il aurait à subir : on devait, disait-il, se scandaliser encore de lui et les choses en viendraient au point qu'on le poursuivrait à coups de pierres. Il dit encore que quiconque ne renonçait pas à ses biens et à ses proches et ne le suivait pas avec foi dans la voie des tribulations, ne pouvait être son disciple. Il parla des voyages et des travaux qui restaient à faire avant les événements qu'il annonçait et du retour de plusieurs de ceux qui s'étaient séparés de lui. Ils l'interrogèrent alors pour savoir si celui qui avait demandé à aller d'abord ensevelir son père serait de ceux-là et s'il ne l'admettrait pas parmi ses disciples, car il leur semblait qu'il le méritait. Mais 3ésus leur dévoila les pensées de cet homme qui n'avaient pour objet que les biens de ce monde : j'appris à cette occasion que ces mots " ensevelir son père " étaient une locution figurée qui signifiait le règlement et le partage de l'héritage entre lui et son vieux père, ce qu'il voulait faire pour se séparer du vieillard et s'assurer ce qui lui revenait. Lorsque Jésus parla de l'attachement de cet homme aux biens temporels, Pierre dans son ardeur laissa échapper cette exclamation : " Grâce à Dieu ! je n'ai jamais eu de semblables pensées quand je vous ai suivi ". Mais Jésus le réprimanda et lui dit qu'il n'aurait pas dû parler de cela avant d'y avoir été autorisé Ils arrivèrent à Bethsaide dans l'après-midi et ils allèrent dans la maison d'André pour prendre un peu de nourriture et pour se procurer du pain et des aliments à emporter. Ils ne furent pas gênés cette fois par l'affluence du peuple : parce que la multitude ne savait pas où était resté Jésus et s'était dispersée de divers côtés Il y avait à Bethsaide un homme d'un grand âge qui était aveugle de naissance : jusqu'à présent Jésus s'était abstenu de le guérir. Cette fois on le lui amena encore, et comme ils étaient sur le point de retourner à leur navire, il implora l'assistance de Jésus. Le Seigneur le prenant par la main le conduisit à quelque distance, et là, en présence de ses apôtres et de ses disciples, il humecta de sa salive les yeux de l'aveugle, puis il lui imposa les mains et lui demanda s'il voyait quelque chose Cet homme ouvrit les yeux et regardant fixement il répondit : "Je vois les hommes qui marchent grands comme des arbres. "Alors Jésus lui mit de nouveau les mains sur les yeux et les lui fit rouvrir : cette fois il vit toutes choses fort distinctement. Jésus lui dit de retourner chez lui et de remercier Dieu, mais de ne pas courir la ville pour parler de sa guérison et en faire parade. Après cela Jésus s'embarqua vers trois heures avec les apôtres : ils descendirent de l'autre côté du lac un peu au-dessous de l'entrée du Jourdain, et remontant la rive gauche du fleuve. Ils prirent le chemin de Bethsaïde-Juliade. Ils rencontrèrent sur ce chemin les autres apôtres et les disciples qui avaient été envoyés à l'est de Césarée de Philippe : ils se réunirent à eux au bas de la montagne dans la contrée où avait eu lieu la première multiplication des pains et tous ensemble continuèrent leur route vers Bethsaïde-Juliade, s'arrêtant souvent et écoutant les enseignements de Jésus (Anne Catherine pense que Juliade est à une demi lieue en remontant le Jourdain). Jésus parla encore de sa glorification et des dangers qui le menaçaient, et les apôtres le prièrent de ne plus les envoyer au loin afin qu'ils pussent être près de lui pour le défendre. Ils arrivèrent à Bethsaide-Juliade où on avait préparé une hôtellerie à leur usage. L'arrivée de Jésus avait été annoncée par des gens qui allaient là pour le sabbat : on vint amicalement à leur rencontre, et dans l'hôtellerie on leur offrit la réfection et on leur lava les pieds. La ville avait parmi ses habitants beaucoup de paiens qui saluèrent le Seigneur de loin Jésus enseigna dans la synagogue devant un nombreux auditoire : il s'y trouvait beaucoup de scribes et de Pharisiens de l'endroit : il y avait dans la ville une école supérieure où l'on enseignait les sciences religieuses et profanes. Après cela il fit encore une très belle instruction sur le quatrième commandement : " Tu honoreras ton père et ta mère afin de vivre longtemps sur la terre ". Cette a longue vie sur la terre fut pour lui le sujet d'explications admirables et d'une grande profondeur. Il y fut dit qu'un fleuve devait forcément tarir si l'on bouchait sa source, etc. Mais je ne puis plus bien me rappeler tout cela. Il y eut ensuite un festin très solennel où figurèrent les enfants des écoles assis à une table à part. Ici aussi Jésus a raconté et expliqué la parabole des ouvriers dans la vigne. (22 mars.) Juliade est une ville toute nouvelle qui n'est pas encore achevée : elle est très jolie et bâtie à la mode paienne avec des arcades et des colonnes. Elle s'étend le long du Jourdain, et dans le quartier oriental, où elle e st adossée à une hauteur qui la domine, on rencontre beaucoup de maisons dont une partie est creusée dans le roc. Aujourd'hui Jésus enseigna de nouveau dans la synagogue : il visita les écoles et je le vis aussi faire une promenade. Les habitants le suivirent, l'accostèrent, l'interrogèrent sur la vraie doctrine et sur ce qu'ils avaient à faire, et le prièrent de les instruire. Il leur dit entre autres choses qu'ils ne suivraient pas sa doctrine s'il la leur exposait et que la curiosité seule les poussait. Déjà plus d'une fois dans ce pays ils l'avaient entendu exposer sa doctrine : que lui voulaient-ils donc avec leurs interrogations? Croyaient-ils par hasard qu'il eut d'autres enseignements à leur donner? N'avait-il pas encore enseigné hier et aujourd'hui? Ils l'accompagnèrent toutefois jusqu'à un endroit où ils avaient des biens et des chantiers de constructions remplis de pierres et de pièces de bois, et ils se mirent à vanter la beauté de leur architecture moderne. Alors Jésus leur parla en paraboles où il était question de l'homme qui bâtit sur le sable et de celui qui bâtit sur le roc, de la pierre angulaire que les architectes rejetteraient et de la ruine future de leurs édifices. On lui amena sur le chemin plusieurs malades, des paralytiques, des hydropiques et aussi un couple de possédés idiots qu'il fallait porter : il les guérit tous. Le soir Jésus fit la clôture du sabbat et les Pharisiens disputèrent encore avec lui, mais sans y mettre précisément du mauvais vouloir : seulement ils montrèrent beaucoup de froideur et prirent des airs d'importance. Marie et d'autres saintes femmes sont à Béthanie depuis plusieurs jours. (23 mars.) Aujourd'hui Jésus a quitté Juliade assez tard dans la matinée, en compagnie des douze apôtres et d'une trentaine de disciples : à une lieue à peu près au nord de Juliade, ils passèrent devant un pont de pierre qui traverse le Jourdain et qui semble faire partie d'une grande route. Les habitants de Juliade accompagnèrent Jésus jusqu'à une certaine distance Il gravit ensuite les hauteurs un peu au nord-est et arriva à un village appelé Sogané, situé dans la contrée ou le Jourdain entre dans le lac Mérom, a une lieue et demie à peu près de Césarée de Philippe. Le Jourdain ressemble ici à un ruisseau et il coule dans un lit très profond. Les habitants de l'endroit s'empressèrent autour de Jésus et lui demandèrent de les instruire. Il enseigna et guérit jusqu'au soir. Pendant tout le chemin il avait donné aux disciples et aux apôtres des instructions préparatoires et il s'était souvent arrêté. Le soir, accompagné des disciples et des apôtres, il revint à une lieue au sud-est dans la montagne ou plutôt sur un haut plateau coupé de ravins et où s'élevaient plusieurs collines. Les disciples et les apôtres lui racontèrent tout ce qu'ils avaient vu, entendu et fait dans leur dernier voyage Quand la nuit fut venue, il se sépara d'eux et leur dit après qu'ils eurent pris un peu de nourriture, de prier et de se reposer. (24 mars.) Déjà hier soir pendant la marche, et plus tard dans l'entretien qui avait eu lieu pendant la nuit au milieu des collines, avant qu'ils se séparassent pour prendre du repos, la conversation avait roulé sur l'impression et l'effet produits par Jésus, son enseignement et ses oeuvres, dans les endroits où les disciples avaient passé, enseignant et guérissant. Jésus les avait écoutés, leur avait expliqué plusieurs choses, leur avait fait des réprimandes et donné des ordres : il avait parlé de son voyage à Jérusalem pour la fête, de sa glorification et de la manifestation prochaine de son royaume! comme aussi de la destination que chacun d'eux devait y avoir. Le soir il les avait aussi exhortés à prier et à se préparer, parce qu'il avait à leur communiquer des choses graves et importantes. Jésus lui-même resta en prière, couché ou debout, pendant la plus grande partie de la nuit, ainsi qu'il avait coutume de faire avant certains actes solennels. ils se réunirent de nouveau avant le jour et firent la prière ; puis, comme on s'était remis à parler de quelque chose qu'ils avaient raconté la veille, Jésus s'adressa aux apôtres et à quelques anciens disciples (ceux-ci se tenaient en dehors du cercle), et les interrogea en ces termes : " Qui les hommes disent-ils que je suis "? Or, les apôtres se tenaient rangés en cercle autour de lui : Jean était à sa droite, puis venait son frère Jacques : Pierre était le troisième. Alors les disciples et les apôtres rapportèrent diverses opinions sur Jésus qu'ils avaient recueillies ça et là ; ils dirent comment les uns le prenaient pour Jean-Baptiste, les autres pour Elle, d'autres encore pour Jérémie ressuscité d'entre les morts : ils citèrent encore divers autres prophètes pour lesquels on le prenait. Quand ils eurent fini de parler, il ne leur répondit pas tout de suite, mais garda quelques moments le silence jusqu'à ce qu'ils fussent redevenus parfaitement calmes. Il avait l'air très sérieux, comme s'il allait se passer quelque chose de considérable : pour eux, ils avaient les yeux fixés sur lui et attendaient avec une sorte d'anxiété ; alors il dit : " Et vous, pour qui me prenez-vous "? Aucun ne se sentait disposé à répondre : mais Pierre se sentit tout à coup rempli d'énergie et d'ardeur ; il fit vivement un pas en avant dans le cercle et faisant de la main un geste d'affirmation solennelle, il dit d'une voix haute et forte comme parlant au nom de tous : " Vous êtes le Christ, le Fils du Dieu vivant ". Jésus lui répondit avec beaucoup de gravité : sa voix était puissante et comme créatrice, il y avait dans toute sa personne quelque chose de solennel et de prophétique ; il paraissait lumineux et comme élevé de terre lorsqu'il prononça ces paroles : " Tu es heureux, Simon, fils de Jonas ! car ce n'est pas la chair ni le sang qui te l'ont révélé, mais mon Père qui est dans le ciel ! Et moi je te dis : Tu es un rocher et sur ce rocher je bâtirai mon Eglise, et les portes de l'enfer ne prévaudront point contre elle, et je te donnerai les clefs du royaume des cieux ; ce que tu lieras sur la terre sera lié dans le ciel et ce que tu délieras sur la terre sera délié dans le ciel ". Je vis que les paroles de Jésus qui était une prophétie faisaient sur Pierre une impression profonde, produite par le même esprit qui lui avait fait confesser la divinité de son maître. Il en fut complètement pénétré. Quant aux autres apôtres, ils paraissaient tout stupéfaits : ils se regardèrent les uns les autres et ils regardèrent avec une sorte d'effroi Pierre et Jésus, lorsque Pierre dit avec tant de véhémence : " vous êtes le Christ Fils de Dieu "! Jean lui-même laissa voir si clairement combien il était bouleversé, que plus tard sur le chemin, Jésus, marchant seul avec lui, lui reprocha sévèrement le trouble où ces paroles l'avaient jeté. (Elle ne se souvient plus en quels termes.) Le soleil se levait lorsque Jésus adressa à Pierre cette allocution. Elle reçut un caractère de gravité et de solennité plus marqué de cette circonstance, que Jésus s'était retiré à l'écart dans la montagne avec les disciples et leur avait ordonné de prier. Les autres apôtres ne comprirent pas parfaitement ses paroles : Pierre seul en eut le sentiment, et je remarquai que les autres continuaient encore à les interpréter d'une façon toute terrestre. Ils se figuraient que Jésus voulait donner à Pierre dans son royaume la charge de grand prêtre, et j'entendis plus tard Jacques en parler à Jean sur le chemin, et exprimer l'espoir que vraisemblablement son frère et lui auraient les premières places après Pierre. Cependant Jésus dit encore très clairement aux apôtres qu'il était le Messie promis : il fit l'application à sa personne de tous les passages des prophètes et dit que maintenant ils allaient se rendre à Jérusalem pour la fête Alors ils revinrent au sud-ouest vers le pont du Jourdain. Pierre était encore tout plein des paroles de Jésus sur le pouvoir des clefs : sur le chemin il s'approcha de lui pour lui demander des instructions et des éclaircissements sur certains points qui restaient obscurs pour lui, car dans l'ardeur de sa foi et de son zèle, il s'imaginait que sa tâche allait commencer immédiatement ; d'autant qu'il ne savait pas encore qu'il y fallait pour conditions préalables la passion du Christ et la descente du Saint-Esprit. Il interrogea donc le Seigneur pour savoir si dans tel ou tel cas il pouvait délier les péchés, et je me souviens qu'il dit quelque chose des Publicains et de l'adultère public : mais Jésus le tranquillisa en lui disant qu'il apprendrait tout cela à fond, que c'était tout autre chose que ce qu'il croyait, qu'une autre loi allait venir, etc. Ils continuèrent leur chemin et Jésus, tantôt sans cesser de marcher, tantôt s'arrêtant et les rangeant en cercle autour de lui, commença à leur faire connaître tout ce qui allait arriver : il leur dit qu'ils allaient se rendre à Jérusalem, qu'ils mangeraient l'agneau pascal chez Lazare et qu'ils auraient ensuite à supporter bien des fatigues, des travaux et des persécutions il leur annonça en termes généraux beaucoup de voyages et beaucoup d'événements : il leur dit aussi qu'il ressusciterait d'entre les morts un de leurs meilleurs amis, qu'il soulèverait par là de grandes colères et qu'il serait obligé de s'enfuir. Il ajouta qu'un an après ils retourneraient à la fête, qu'un d'eux le trahirait, qu'il serait maltraité, flagellé, injurié et livré à une mort ignominieuse, qu'il mourrait pour les péchés des hommes et ressusciterait le troisième jour. Il expliqua cela en détail, le prouva par des textes des prophètes et se montra très affectueux et très grave. Pierre fut tellement attristé de l'entendre dire qu'il serait accablé d'outrages et mis à mort, que dans son zèle il s'approcha de Jésus pour lui parler en particulier, lui adressa de vives remontrances et s'écria qu'il n'en pouvait être ainsi, qu'il n'admettrait Jamais cela. Il aimait mieux mourir que de supporter pareille chose ! "à Dieu ne plaise, Seigneur, lui dit-il, il n'en sera pas ainsi pour vous! "Mais Jésus se tourna vers lui d'un air très sévère et lui dit vivement : " Arrière, Satan! tu m'es un sujet de scandale, tes sentiments ne sont pas selon Dieu, mais selon les hommes! "Ayant ainsi parlé, Jésus passa outre et Pierre resta consterné : il réfléchit à ce que Jésus avait dit précédemment, que ce n'était pas en vertu de la chair et du sang, mais par une révélation de Dieu qu'il l'avait proclamé comme étant le Christ, tandis que maintenant il le traitait de Satan, d'homme qui ne parlait pas selon Dieu, mais selon les sentiments et les désirs de l'homme, parce qu'il voulait mettre obstacle à sa Passion : faisant cette comparaison, il s'humilia et considéra Jésus avec de plus vifs sentiments d'admiration et de foi Cependant il était accablé de tristesse parce que ses doutes sur la réalité de la passion du Sauveur se dissipaient de plus en plus. Je vis alors Jésus, les apôtres et les disciples divisés en groupes séparés qui se succédaient auprès du Seigneur, passer le pont du Jourdain et laissant à droite la montagne où les apôtres avaient reçu leur mission, se diriger vers le sud-ouest, au delà de l'extrémité occidentale de la vallée de Capharnaum. Ils prirent alors la direction du midi, et tantôt écoutant les instructions de Jésus, tantôt faisant de courtes haltes pour prendre quelques rafraîchissements, ils continuèrent leur voyage jusqu'à la nuit, marchant très vite, ne s'arrêtant nulle part et évitant même autant que possible les lieux habités. Ils arrivèrent ainsi aux hôtelleries voisines du lac de Béthulie, où Lazare attendait Jésus avec quelques disciples de Jérusalem. (25 mars.) Jésus se réunit ici à Lazare dans l'hôtellerie. Il lui avait fait dire par Judas, assez longtemps auparavant, qu'il voulait manger la Pâque avec les siens dans sa maison de Béthanie, et j'ai oublié de dire que Lazare était déjà venu récemment à Capharnaum pour s'entretenir à ce sujet avec Jésus. Il y avait huit jours, Jésus avait trouvé à Bethsaide des messagers de Lazare qui lui avaient annonce que celui-ci l'attendait près du lac des bains, et il l'y trouva en effet. Lazare était venu au devant de Jésus pour lui donner, ainsi qu'aux disciples, quelques informations touchant cette fête de Pâque. Il dit à Jésus qu'on craignait un soulèvement pendant la fête. Je ne me souviens qu'en partie des motifs qui le faisaient prévoir. Il raconta que Pilate voulait lever une nouvelle taxe sur le temple, laquelle devait être employée, si je ne me trompe, à élever une statue de l'empereur : qu'il demandait aussi qu'on fit certains sacrifices en l'honneur de ce prince et qu'on lui donnât en public certaines appellations honorifiques très respectueuses. Mes souvenirs sont un peu confus, mais il y avait trois points principaux. Ces projets devaient être mis à exécution, mais les Juifs avaient préparé un soulèvement pour s'y opposer : un grand nombre de Galiléens devaient y prendre part, et à leur tête un certain Judas, un homme de Gaulon, qui avait beaucoup de partisans et qui prêchait ouvertement contre la domination étrangère et le tribut que les Romains imposaient. Lazare pensait donc que Jésus ferait bien de ne pas prendre part à la fête, parce qu'elle pouvait donner lieu à de grands désordres. Mais Jésus répondit à Lazare que son heure n'était pas encore venue, et qu'il ne lui arriverait rien cette fois ; que ce soulèvement serait seulement la figure prophétique d'un soulèvement beaucoup plus grand qui aurait lieu un an après, lorsque l'heure du fils de l'homme viendrait et qu'il serait livré entre les mains des pécheurs. Dans la matinée, Jésus envoya dans divers lieux les apôtres et les disciples divisés en groupes séparés : il ne garda auprès de lui que Simon, Thaddée, Nathanaël Khased et Jude Barsabas. Les autres devaient se rendre à la fête, soit en descendant la vallée du Jourdain, soit en passant par Ephraim, à l'ouest du mont Garizim ; ils devaient en outre visiter quelques endroits où ils n'étaient pas encore allés. Lazare partit avec les disciples. Jésus leur défendit d'aller dans les villes des Samaritains et leur donna encore diverses règles de conduite. Je le vis plus tard visiter des bergers à l'est du Thabor, et après une forte journée de voyage arriver tard sur le bien de Lazare à Ginnim où il passa la nuit. (26 mars.) Le mercredi soir, Jésus est arrivé à Lebona, non sur la hauteur où est le château, mais dans la ville. Plusieurs amis l'y attendaient, entre autres, les parents de Manahem, ce jeune aveugle qu'il avait guéri à Koréah. Note : Le 16 mars 1823 était le mercredi de la semaine Sainte : c'est ce qui fait que les communications sont si écourtées, parce qu'à cette époque de l'année la voyante participait ordinairement à toutes les souffrances de la Passion du Sauveur. (27 mars.) à Lebona, Jésus guérit dans les maisons quelques malades de sa connaissance. Les parents de Manahem l'emmenèrent à Koréah, où ils habitaient. Il y guérit quelques lépreux et d'autres malades, mais dans des maisons et comme en secret. A Koréah aussi, on lui parla du soulèvement qui menaçait d'éclater à Jérusalem : mais il répondit que son heure n'était pas encore venue. |