La transfiguration sur le Thabor. - Jésus se transfigure sur le mont Thabor. (Du 8 au 18 avril 1823.) (8 avril, 21 Nisan.) Ce matin, de bonne heure, Jésus, avec quelques disciples, partit de l'hôtellerie d'Adadremmon et fit environ trois lieues à l'est pour aller à Kisloth-Thabor, qui est située au pied du Thabor, du côté du midi. Les disciples qu'il avait envoyés prêcher la veille vinrent les uns après les autres le rejoindre sur le chemin. A Kisloth, une troupe nombreuse de voyageurs venant de Jérusalem se rassembla autour de Jésus. Il les enseigna et guérit quelques malades. Dans l'après-midi, vers deux ou trois heures, il envoya les disciples à droite et à gauche dans les endroits situés autour du Thabor, pour y enseigner et y guérir. Lui-même retint près de lui Pierre, Jean et Jacques, et gravit la montagne avec eux. Il monta par un sentier qui faisait plusieurs détours sur le flanc du Thabor. Ils auraient pu arriver plus vite : mais ils firent environ deux heures de marche, parce que Jésus s'arrêta souvent avec eux à des endroits et à des grottes où des prophètes avaient séjourné, leur donna divers éclaircissements et pria avec eux. Ils n'avaient pas emporté de quoi manger : Jésus le leur avait défendu, leur disant qu'ils seraient abondamment rassasiés. Sur le sommet de la montagne, d'où l'on a une vue très belle et très étendue, il y avait un emplacement spacieux entouré d'un terrassement couvert de gazon et d'arbres touffus. Le sol était couvert de fleurs et d'herbes odoriférantes. Il y avait un réservoir caché dans le rocher, et en tirant une cheville on en faisait jaillir une eau très limpide et très fraîche. Les apôtres lavèrent les pieds de Jésus et les leurs, et se rafraîchirent. Jésus se rendit avec eux dans un enfoncement situé devant un rocher, et où s'ouvrait l'entrée d'une grotte semblable à un portail : elle ressemblait à la grotte de l'agonie, au jardin des Oliviers : il y avait un caveau où l'on pouvait descendre. Jésus continua à leur donner des enseignements ; il leur parla, entre autres choses, de la prière qui se fait à genoux, et leur dit qu'ils devaient maintenant prier avec ferveur, les mains élevées. Il leur enseigna aussi l'oraison Dominicale, en y entremêlant quelques pas. sages des Psaumes. Ils firent cette prière agenouillés et rangés en demi cercle. Jésus s'agenouilla vis-à-vis d'eux, appuyé contre un rocher qui sortait de terre, et il leur fit à diverses reprises une instruction admirable, pleine de profondeur et de suavité, laquelle traitait de la création et de la Rédemption. Je l'ai entendue, mais je suis si malade et si oppressée, que je n'en puis rien reproduire. Jésus parla avec une tendresse Il avait dit en commençant qu'il voulait leur montrer qui il était, qu'ils allaient le voir glorifié, afin que leur foi ne fût pas ébranlée lorsqu'ils le verraient outragé, maltraité, défiguré et livré à la mort. Le soleil était couché et le jour baissait, mais ils ne s'en aperçurent pas, tant ils étaient captivés par ce qu'il y avait de surhumain dans son langage et dans toute sa personne. Jésus devint de plus en plus lumineux, et je vis apparaître autour de lui des esprits célestes. Pierre aussi les vit, car il interrompit Jésus et lui dit : " Maître, que veut dire ceci "? Jésus lui répondit : " Ils viennent me servir "! Mais Pierre, dans son enthousiasme, étendit les mains en avant et s'écria : " Maître, nous voici! nous voulons vous servir en toutes choses ". Je ne me souviens plus de la réponse de Jésus. Mais il continua à enseigner : or, avec ces apparitions d'anges autour de Jésus, des courants successifs d'odeurs suaves se répandirent dans l'air, et les disciples sentirent en eux comme un rassasiement extraordinaire et un enivrement céleste. Cependant le Seigneur devenait de plus en plus lumineux, et il était pour ainsi dire diaphane. Le cercle dans lequel ils se trouvaient était tellement éclairé au milieu des ténèbres de la nuit, qu'on pouvait distinguer aussi bien qu'au grand jour les moindres brins d'herbe de la prairie. Comme cette lumière allait toujours croissant, les disciples, sous l'empire du ravissement intérieur qu'ils éprouvaient, se voilèrent la tête et se prosternèrent à terre où ils restèrent immobiles. Il était environ minuit lorsque je vis dans son plus grand éclat cette manifestation de la gloire divine. Je vis descendre du ciel une voie lumineuse le long de laquelle je vis se succéder des anges de l'apparence la plus diverse. Quelques-uns étaient petits et se montraient tout entiers, d'autres ne montraient que leurs visages qui se détachaient dans la lumière ; plusieurs apparaissaient revêtus d'habits sacerdotaux, d'autres ressemblaient à des guerriers. Tous avaient un caractère particulier qui les distinguait. Avec eux venaient, sous des formes diverses, la consolation, la force, la joie et la lumière : ils étaient continuellement en action et en mouvement. Les choses se passaient ainsi vers minuit. Les apôtres étaient prosternés sur leurs faces, plutôt ravis en extase que dormants ; alors je vis trois formes lumineuses paraître près de Jésus dans la lumière. Je ne les vis qu'au moment où elles entrèrent dans la sphère lumineuse. Elles parurent venir d'une façon toute naturelle, comme quelqu'un qui passe d'un endroit plongé dans les ténèbres dans un endroit éclairé. Deux d'entre elles paraissaient plus distinctement et ressemblaient davantage à des corps : elles adressaient la parole à Jésus, et s'entretenaient avec lui ; c'étaient Moïse et Elie. La troisième ne parlait pas, elle était plus légère et plus incorporelle ; c'était Malachie. En ce moment un accès de toux me réveilla. J'entendis Moïse et Elie saluer Jésus, et celui-ci s'entretenir avec eux de la Rédemption des hommes par sa Passion. Leur rencontre me parut quelque chose de parfaitement simple et naturel, car déjà je m'étais accoutumée à la lumière dont ils brillaient. Moïse et Elie ne parurent pas sous la forme de vieillards décrépits comme lorsqu'ils avaient quitté la terre, ils étaient dans toute la fleur de la jeunesse. Moïse, plus grand, plus imposant et plus majestueux qu'elle, avait sur le front comme deux excroissances : Il était revêtu d'une longue robe. On reconnaissait en lui un homme d'une grande énergie et un législateur sévère, mais avec un caractère frappant de pureté, de droiture et de simplicité. Il dit à Jésus combien il se réjouissait de le voir, lui qui l'avait tiré d'Egypte ainsi que son peuple, et qui maintenant encore voulait le racheter. Il rappela plusieurs figures prophétiques de son temps, et dit des choses pleines d'un sens très profond sur l'agneau pascal et sur l'Agneau de Dieu. Elle avait une tout autre apparence ; il y avait en lui quelque chose de plus gracieux, de plus aimable et de plus doux. Mais tous deux avaient un aspect très différent de celui que présentait l'apparition de Malachie : on pouvait voir en eux, dans leurs figures et dans tout leur extérieur, quelque chose d'humain et qui rappelait une vie antérieure : on reconnaissait même dans leurs visages des traits de famille. Malachie faisait une tout autre impression : il avait quelque chose de surhumain comme un esprit angélique : c'était comme une pure force, comme une mission sous forme sensible. (La Soeur s'efforce d'exprimer cette pensée en d'autres termes qu'il est impossible de reproduire à cause de leur obscurité, à laquelle ne contribue pas peu le dialecte bas allemand dont elle se sert.) il y avait chez lui quelque chose de plus impassible et de plus immatériel que chez les autres. Or Jésus leur racontait tout ce qu'il avait eu à souffrir jusqu'alors et tout ce qui l'attendait encore. Il leur raconta toute sa passion point par point : Elie et Moise témoignèrent à plusieurs reprises combien ils en étaient touchés et réjouis : ils ne parlaient que pour compatir à ses peines, pour le consoler, pour lui exprimer leur vénération, pour louer et glorifier Dieu. Ils rappelèrent souvent les figures prophétiques qui se rapportaient à ce que Jésus disait, et ils louaient Dieu d'avoir Pris son peuple en pitié de toute éternité. Quant à Malachie, il gardait le silence. Cependant les prophètes se séparèrent de Jésus et disparurent dans l'obscurité, Elie et Moïse au levant, Malachie au couchant. Et Pierre, tout hors de lui, s'écria dans un transport de joie : " Maître, il fait bon ici, faisons-y trois tentes, une pour vous, une pour Moïse et une pour Elie " ! Il ne lui fallait pas d'autre paradis, plongé comme il l'était dans d'ineffables délices : et par ce nom de tentes, il entendait des lieux de repos dans la gloire, des demeures de bienheureux. Il parla ainsi dans le délire de la joie et dans un état de ravissement extatique, sans savoir ce qu'il disait. Ce fut quand ils revinrent à l'état de veille ordinaire que je vis une nuée blanche et lumineuse venir sur eux, comme la rosée du matin s'étend sur les prairies. Je vis alors le ciel ouvert au dessus de Jésus et une représentation de la très sainte Trinité, telle que je la vois souvent, où Dieu le Père apparaît sous la forme d'un vieillard semblable à un Pontife suprême, ayant à ses pieds d'innombrables troupes d'anges et de figures célestes rangées par hiérarchies : un torrent de lumière se répandit sur Jésus, et une voix semblable au doux murmure d'un souffle léger se fit entendre au-dessus des apôtres : " C'est mon Fils bien-aimé en lequel je me complais ! Ecoutez-le "! Alors les apôtres furent saisis de crainte : ils se prosternèrent la face contre terre : ils reprirent conscience d'eux-mêmes pour la première fois : le souvenir du glorieux spectacle dont ils avaient été les témoins leur fit sentir profondément leur faiblesse et leur misère, et ils tremblèrent devant Jésus, auquel son Père céleste avait rendu en leur présence cet éclatant témoignage. Alors Jésus alla à eux, les toucha et leur dit : " Levez-vous et, ne craignez point "! Les apôtres se levèrent et virent Jésus seul. Il était environ trois heures du matin ; l'on voyait le ciel blanchir à l'approche de l'aube du jour, et des nuées chargées de rosée planaient sur la contrée au-dessous d'eux. Ils étaient très intimidés et très pensifs. Jésus s'entretint avec eux, leur dit qu'il leur avait fait voir la transfiguration du Fils de l'homme pour fortifier leur foi, afin qu'ils ne fussent pas ébranlés lorsqu'ils le verraient livré pour les péchés du monde entre les mains des méchants, afin qu'ils ne se scandalisassent pas de ses abaissements dont ils devaient aussi être les témoins, et afin qu'ils pussent alors fortifier les faibles. Il rappela aussi la foi de Pierre, à qui Dieu avait fait connaître tout cela antérieurement, et parla du rocher sur lequel il bâtirait son Eglise. Alors ils prièrent encore et descendirent au lever de l'aurore par la pente nord-ouest de la montagne. En descendant, Jésus leur donna encore divers enseignements touchant ce qu'ils avaient vu, et il leur dit qu'ils ne devaient parler de cette vision à personne jusqu'à ce que le Fils de l'homme fût ressuscité d'entre les morts. Cet ordre les fit beaucoup réfléchir : ils étaient, du reste, fort émus et plus respectueux qu'auparavant : depuis qu'ils avaient entendu la voix qui disait : " Ecoutez-le "! ils éprouvaient des inquiétudes et des remords en pensant à leurs doutes et à leur incrédulité passée. Mais en descendant la montagne, à mesure que la lumière du jour, se répandant sur la terre, les ramenait à leurs impressions accoutumées, ils se firent part les uns aux autres de la surprise où les avait jetés ces paroles : " Jusqu'à ce que le Fils de l'homme soit ressuscité d'entre les morts "! Cependant ils n'osaient pas encore interroger Jésus à ce sujet. (9 avril.) Jésus n'était pas encore arrivé au pied de la montagne que déjà l'on venait à sa rencontre avec un grand nombre de malades qu'il guérit et consola Tous furent saisis, à sa vue, d'une crainte respectueuse, car il y avait en lui quelque chose d'extraordinaire, de surnaturel et de lumineux. Un peu plus bas, une foule nombreuse, dans laquelle il y avait quelques scribes, était rassemblée autour de ses disciples, qu'il avait envoyés, la veille, dans le pays d'alentour. Cette troupe qui revenait de la fête, s'était trouvée avec les disciples dans l'endroit où ils avaient passé la nuit et les avait accompagnés jusqu'ici pour y attendre Jésus. Ces gens étaient en pourparler avec les disciples, mais lorsqu'ils virent Jésus, ils coururent au devant de lui, le saluèrent et furent frappés d'étonnement en le voyant, car le reflet de sa transfiguration était encore sur lui. Les disciples en outre soupçonnèrent à la contenance des trois apôtres, lesquels suivaient Jésus d'un air plus pensif et plus timide que de coutume, qu'il avait dû se passer entre eux quelque chose d'extraordinaire. Cependant Jésus leur demanda quel était le sujet de leur discussion. Là-dessus, un homme d'Amthar, ville située dans les montagnes de la Galilée, et où s'était passée l'histoire du pauvre Lazare et du mauvais riche, sortit de la foule, s'agenouilla devant Jésus et le supplia de venir en aide à son fils unique. Il était lunatique et possédé d'un démon muet qui le jetait tantôt dans le feu, tantôt dans l'eau, et l'agitait par des convulsions fréquentes pendant lesquelles il souffrait horriblement et poussait des cris affreux. Il l'avait déjà amené à ses disciples lorsqu'ils étaient venus à Amthar, mais ils n'avaient pas pu le guérir et c'était là le sujet de leur discussion avec lui et avec les scribes. Alors Jésus s'écria : " O génération incrédule et perverse! combien de temps encore me faudra-t-il être avec vous, combien de temps encore me faudra-t-il vous supporter? S Puis il ordonna à cet homme de lui amener le jeune garçon. L'homme rentra dans la foule et en sortit de nouveau tenant par la main l'enfant que, pendant son voyage, il avait porté couché en travers sur son des comme une brebis. Il pourrait bien avoir neuf ou dix ans. Sitôt qu'il vit Jésus, il commença à faire des contorsions effrayantes et le mauvais esprit le jeta violemment par terre. Il se tordait et se débattait, sa gorge se serrait, il se roulait aux pieds de Jésus, et l'écume lui venait à la bouche. Jésus lui ordonna de se tenir tranquille et il obéit. Alors Jésus demanda au père depuis combien de temps son fils était affligé de ce mal, et il répondit : " Depuis ses premières années. Ah ! si vous en avez le pouvoir, secourez-nous! Prenez pitié de nous "! Alors Jésus dit : " Si vous pouviez croire. Tout est possible à celui qui croit ". Et le père s'écria, en pleurant : " Je crois, Seigneur! aidez mon incrédulité ". Sur ces paroles prononcées à haute voix par le père, le peuple, que la crainte avait retenu à quelque distance, se rapprocha : Jésus leva la main sur l'enfant avec un geste menaçant et dit à l'esprit impur : " Esprit immonde et muet! je te l'ordonne, sors de lui et n'y reviens jamais ". Alors l'esprit poussa des cris horribles par la bouche de l'enfant, le tordit violemment et sortit de son corps. L'enfant resta étendu par terre, pâle et sans mouvement, comme s'il eût été mort, et comme on essayait vainement de le faire revenir à lui, beaucoup de gens crièrent du milieu de la foule : " il est mort ! il est vraiment mort "! Mais Jésus lui prit la main, le releva plein de vigueur et de santé et le rendit à son père avec une exhortation. Celui-ci remercia Jésus en pleurant et en chantant des cantiques de louanges, et tous les assistants glorifièrent la puissance de Dieu. Tout cela se passa à un quart de lieue à l'est de ce petit endroit voisin du Thabor où Jésus, l'année précédente (le 23 novembre ou 3 Kisleu), avait guéri le riche lépreux près duquel l'avait appelé un jeune garçon qui l'attendait sur le chemin. Jésus ne resta là que jusque vers neuf heures du matin. Il n'entra pas dans le bourg ni nulle part ailleurs : mais, ayant encore guéri quelques malades, il se remit en route, passa devant Cana après avoir traversé la vallée des bains de Béthulie et alla jusqu'à la petite fille de Dothaïm, située à trois lieues de Capharnaum, et près de laquelle avait eu lieu la conversion de Marie-Madeleine. Ils suivirent, la plupart du temps, des chemins de traverse et s'écartèrent des routes fréquentées pour éviter la foule qui revenait en troupes de Jérusalem. Ils marchaient par groupes séparés, et Jésus se joignait tantôt à l'un, tantôt à l'autre. Sur ce chemin, les apôtres, qui avaient été témoins de la transfiguration, s'approchèrent de Jésus et lui demandèrent l'explication de ses paroles de la nuit précédente : " Jusqu'à ce que le Fils de l'homme soit ressuscité d'entre les morts ", car ils n'avaient cessé d'y penser et d'en parler entre eux. " Les docteurs de la loi, lui dirent-ils, assurent qu'Elie doit venir avant la résurrection ". Jésus leur répondit : " il est vrai qu'Elie viendra auparavant et rétablira tout. Mais je vous le dis, Elie est déjà venu : ils ne l'ont pas connu, mais ils ont fait de lui ce qu'ils ont voulu, ainsi que cela est écrit. De même aussi le Fils de l'homme aura à souffrir de leur part ". Il leur dit plusieurs autres choses desquelles ils conclurent qu'il voulait parler de Jean-Baptiste. Pendant les visions de ces derniers jours et des jours précédents, Anne Catherine fut assaillie successivement par diverses maladies dont elle s'était chargée et qui lui rendirent très difficile de communiquer ce qu'elle avait vu. Ses souffrances lui firent aussi oublier beaucoup de choses et ce ne fut qu'une semaine après qu'elle répéta ce qui suit. Sur le chemin du Thabor à Dothaïm, un homme des environs d'Aser-Michmethath, est venu trouver Jésus et l'a prié de faire entre son frère et lui le partage de leur héritage. Là-dessus, le pèlerin lui lut les discours de Jésus qui se rattachent à cet incident dans l'Evangile de saint Luc, et elle répondit : " Je me souviens que Jésus a dit tout cela sur ce chemin et pendant les jours suivants " (Luc, XII, 15-29). Quelques disciples avaient pris les devants pour préparer les logements à Dothaïm : lorsque Jésus fut arrivé à l'hôtellerie, ils se firent laver les pieds et prirent quelques rafraîchissements, puis les disciples allèrent avec lui à l'écart, car il y avait là beaucoup de Pharisiens et de scribes revenant de Jérusalem et aussi d'autres voyageurs. Ils lui demandèrent pourquoi ils n'avaient pas pu chasser ce démon muet et Jésus leur répondit : " à cause de votre incrédulité : car si vous aviez de la foi comme un grain de sénevé, vous pourriez dire à cette montagne : Retire-toi d'ici, et elle se retirerait, et rien ne vous serait impossible. Mais cette espèce de démons ne se chasse que par le jeûne et la prière ". Il leur donna encore divers enseignements sur ce qui était nécessaire pour surmonter la résistance du démon : il leur dit que la foi donnait aux actes la vie et la force, mais qu'elle-même était fortifiée par le jeûne et la prière, moyens par lesquels on enlevait tout pouvoir sur soi-même à cet ennemi qu'on voulait chasser d'autrui. Il dit encore beaucoup de choses sur les diverses espèces de possession et sur ce qu'il y avait à faire pour délivrer ceux qui en étaient affligés. Ce soir, la sainte Vierge et quatre autres femmes de sa famille arrivèrent de Jérusalem ici. Elles avaient avec elles quelques serviteurs de Lazare et des ânes chargés de provisions de toute espèce pour la communauté. Les femmes les plus âgées montaient alternativement sur les ânes. Ayant appris le départ de Jésus, elles-mêmes étaient parties de Jérusalem le jour suivant et elles s'étaient un peu arrêtées en route. Jésus s'entretint quelques moments avec elles, puis il alla à un repas auquel les Pharisiens l'avaient invité. Ces Pharisiens s'étaient enquis, sur toute la route, de ce que Jésus avait fait et dit : or, au dernier jour de sabbat, ses disciples avaient cueilli, près d'Atharoth, quelques épis dont ils avaient mangé les grains, ce qui avait été rapporté aux Pharisiens par leurs espions, et ils firent des reproches à Jésus sur ce point et sur ce que ses disciples, contrairement à toutes les traditions des écoles des rabbins, laissaient de côté beaucoup de prescriptions, comme celles de se laver les mains avant le repas et de faire certaines purifications. Jésus eut avec eux, à ce sujet, une contestation prolongée et il répondit, entre autres choses, ce que rapporte l'Evangile en pareille circonstance. Remarque. Saint Matthieu (XII--,1-8), saint Marc (II, 23-28), saint Luc (VI, 1-6), rapportent les réclamations faites par les Pharisiens à propos de ce que les disciples cueillaient des épis comme ayant eu lieu antérieurement, peu de temps avant la guérison de l'homme à la main desséchée, laquelle a été racontée par Anne Catherine, à la date du 14 janvier ou 13 Sebat. En racontant maintenant pour la première fois cet incident relatif aux épis et les reproches auxquels il donna lieu elle ne se met nullement en contradiction avec les saints Evangiles, car le fait qui y est mentionné se rapporte sans aucun doute à une époque précédente où pareillement les blés étaient mûrs et Anne Catherine a oublié d'en faire mention. Mais maintenant elle voit ce même fait se répéter de la part des disciples et le Sauveur faire les mêmes réponses à l'ancien reproche des Pharisiens, ainsi qu'il avait coutume quand des cas semblables se reproduisaient à diverses reprises. (10 avril.) Ce matin, Jésus enseigna encore à Dothaïm et dans les environs, et plusieurs disciples vinrent le rejoindre. Après midi, il alla en droite ligne à Capharnaum où l'on faisait une réception solennelle aux gens qui revenaient de la fête. Il avait été invité avec les disciples à un repas que donnaient les Pharisiens, et comme ils allaient se mettre à table, le disciple Manahem de Koréah amena à Jésus un jeune savant de Jéricho, que le Seigneur avait déjà refusé une fois et qui lui demanda de nouveau à être admis parmi ses disciples '. Il s'était adressé à Manahem qu'il connaissait. Ce jeune homme avait de grands biens à Samarie, et Jésus lui avait dit antérieurement qu'il lui fallait d'abord renoncer à tout. Il revenait maintenant, après avoir tout réglé et partagé avec les gens de sa famille, cependant il s'était réservé une propriété et il était fort préoccupé des moyens de pourvoir à son entretien. C'est pourquoi Jésus ne l'admit pas et il se retira fort mécontent. Les Pharisiens se scandalisèrent beaucoup à ce sujet, car ils étaient favorables à ce jeune homme et ils reprochèrent à Jésus de parler toujours de charité et de manquer lui-même de charité ; de parler des fardeaux impossibles à porter qu'imposaient les Pharisiens et d'imposer lui-même des fardeaux insupportables. Ce jeune homme était savant, disaient-ils, et il ne voulait avoir près de lui que des ignorants : il ne permettait pas des choses dont on ne pouvait se dispenser et trouvait bon qu'on désobéît aux prescriptions traditionnelles : puis ils revinrent encore sur la violation du sabbat, les épis arrachés, les purifications, etc. Jésus leur répondit comme à l'ordinaire et les confondit. Note : La première rencontre de Jésus avec ce jeune homme a été racontée dans le tome II, page 56. (11 avril.) Hier déjà, j'avais vu des Pharisiens aller de côté et d'autre pour recueillir un impôt destiné au temple. Ce matin, Jésus se trouvait avec les disciples dans la maison de Pierre qui est en face du lac. Les habitants interpellèrent Pierre devant la maison pour lui demander si son maître ne payait pas les deux drachmes. Pierre répondit que si, et lorsqu'il entra dans la maison, Jésus lui dit : " Qu'en penses-tu, Simon ? de qui les rois de la terre exigent-ils le tribut et le cens, de leurs enfants ou des étrangers "? ñ " Des étrangers ", répondit Pierre, et Jésus lui dit : " Les enfants en sont donc exemptés. Mais pour ne pas les scandaliser, jette ton hameçon dans la mer et dans la bouche du premier poisson qui y mordra, tu trouveras un statère 1 : paye alors pour moi et pour toi "! Pierre, dans la simplicité de sa foi, alla à sa pêcherie, jeta à l'eau un des hameçons qui se trouvaient là, puis il le leva et y prit un très gros poisson. Il lui ouvrit la bouche et trouva une pièce de monnaie oblongue, de couleur jaunâtre, qu'il donna ensuite aux habitants pour lui-même et pour Jésus. Le poisson était si gros, qu'au repas du midi il suffit pour les rassasier tous (Matth, XVII, 23-26). Après cela Jésus demanda aux disciples sur quoi avait roulé la contestation qu'ils avaient eue la veille sur le chemin de Dothaïm. Ils se turent, car il s'était agi de savoir qui était le plus grand parmi eux. Mais voyant leurs pensées, il s'assit et leur dit : " Que celui qui veut être le premier, soit le dernier de tous, le serviteur de tous ". Il leur donna des enseignements dans ce sens et leur expliqua pourquoi il n'avait pas admis le disciple qui s'était présenté la veille. Note : Statère : Pièce de quatre drachmes Après le dîner, accompagné des douze et de tous les disciples, il se rendit à Capharnaum où l'on donnait une espèce de fête populaire aux gens qui revenaient de Jérusalem. Les rues et les maisons étaient ornées de fleurs et de guirlandes de verdure. Les enfants, les vieillards, les femmes et les élèves des écoles allaient à la rencontre des arrivants, lesquels marchaient comme en procession le long des rues et visitaient dans leurs maisons leurs amis et les gens considérables du lieu. Les Pharisiens et beaucoup d'autres frayèrent très amicalement avec Jésus et les disciples, tantôt marchant avec eux, tantôt allant de leur côté. Jésus s'arrêta aux maisons de plusieurs pauvres gens et de quelques personnes de ses amies. On lui amena les enfants, il les bénit et leur fit des présents. Sur la place du marché où se trouvaient, en face l'une de l'autre, l'ancienne synagogue et la nouvelle bâtie par Cornélius, il y avait d'un côté des salles devant les maisons. Ce fut là que les jeunes élèves des écoles saluèrent Jésus, et beaucoup de mères s'approchèrent de lui avec leurs enfants. Jésus pendant toute la marche avait enseigné en différents endroits. Ici il bénit les enfants, les enseigna et fit distribuer à tous, aux riches comme aux pauvres, de petites robes fournies par les bienfaitrices de la communauté et que les saintes femmes venues de Jérusalem avaient apportées. Ils reçurent aussi des fruits, des tables à écrire et d'autres cadeaux. Pendant qu'on faisait cette distribution, Jésus enseigna encore les disciples et le peuple, et comme les disciples lui demandèrent de nouveau qui était le plus grand dans le royaume des cieux, Jésus appela la femme d'un marchand aisé, laquelle se tenait à quelque distance sous la porte d'une maison avec son enfant de quatre ans. Ayant baissé son voile, elle s'avança avec l'enfant qu'elle remit entre les mains de Jésus, après quoi elle se retira. Jésus embrassa l'enfant, le plaça en face de ses disciples, et comme beaucoup d'autres enfants l'entouraient, il parla ainsi : " Quiconque ne devient pas semblable aux enfants n'entre pas dans le royaume des cieux ; quiconque reçoit un enfant en mon nom me reçoit, et non seulement moi, mais aussi celui qui m'a envoyé. Celui qui s'humilie comme cet enfant, celui-là est le plus grand dans le royaume des cieux ". Comme Jésus parlait de recevoir en son nom, Jean l'interrompit pour lui dire qu'ils avaient rencontré un homme qui chassait les démons en son nom, quoique ne faisant pas partie des disciples, et qu'ils l'en avaient empêché. Jésus les réprimanda à ce sujet, après quoi il reprit son enseignement qui dura longtemps. Anne Catherine mentionna encore l'interrogation adressée par Pierre pour savoir combien de fois on devait pardonner et la parabole du roi qui fait rendre leurs comptes à ses serviteurs : du reste elle dit avoir entendu dans cette circonstance tout ce qui se trouve dans le dix huitième chapitre de saint Matthieu. Jésus ayant achevé ce qu'il avait à dire touchant l'enfance et l'estime qu'on en doit faire, bénit le petit garçon de quatre ans, qui était nu à l'exception d'un linge autour des reins et qui était tout à fait aimable. Il l'embrassa, se fit donner des fruits et une petite robe dont il lui fit présent, puis il fit signe à la mère et le lui rendit en lui adressant quelques paroles prophétiques sur l'avenir de l'enfant, lesquelles ne furent comprises que plus tard : car il fut disciple des apôtres et reçut le nom d'Ignace. C'est lui qui devint saint Ignace évêque et martyr. Je fus extraordinairement touchée à la vue d'une femme qui pendant toute la procession et l'instruction de Jésus se tint toujours dans la foule, couverte de son voile. Son émotion et sa joie la mettaient continuellement comme hors d'elle-même et elle répétait souvent à mi-voix, cependant de manière à être entendue des femmes qui l'entouraient, lesquelles en étaient touchées et édifiées, les paroles : " Bienheureuses les entrailles qui vous ont porté! Bienheureuses les mamelles qui vous ont allaité! Mais bienheureux surtout ceux qui entendent la parole de Dieu et qui la gardent "! Elle répétait ces mots du plus profond de son coeur, faisant des gestes touchants et versant des larmes abondantes, à chaque petite pause que faisait Jésus dans son discours, à la fin de chaque phrase qui sortait de sa bouche, et elle exprimait ainsi son émotion, sen attendrissement et son admiration profonde. La vie, la présence, l'enseignement plein d'amour du Rédempteur, étaient pour elle l'objet d'une sympathie indicible, entraînante, à laquelle elle se laissait aller avec la simplicité d'un enfant. Cette femme était Léa, épouse d'un Pharisien malveillant de Césarée de Philippe et soeur du défunt mari d'Enoué, l'hémorrhoïsse de Césarée. Le 19 Kisleu (8 décembre), assistant ici même à la prédication de Jésus, elle avait déjà fait entendre cette exclamation : " Bienheureuses les entrailles qui vous ont porté, etc. ", et Jésus lui avait répondu : " Bienheureux surtout ceux qui entendent la parole de Dieu et la gardent ". Depuis ce temps elle avait continuellement à la bouche son exclamation d'alors en y ajoutant la réponse de Jésus, et ces paroles étaient devenues pour elle une prière fervente et affectueuse. Elle était allée visiter les saintes femmes et avait donné à la communauté une grande partie de ce qu'elle possédait. Jésus continua à donner des enseignements du même genre sur la place du marché, jusqu'au moment de l'ouverture du sabbat : alors il enseigna à la synagogue. La lecture traitait de la purification des lépreux et de la famine de Samarie qui avait cessé si promptement à la suite de la prophétie d'Elisée. Il traita encore beaucoup d'autres sujets. (12 avril.) Dans l'après-midi, j'ai vu Jésus à Bethsaïde avec les apôtres et quelques disciples. Plusieurs disciples absents sont revenus soit de leur mission, soit de leur pays où ils étaient allés. Une partie d'entre eux venait de l'autre côté du lac, de la Décapole et de Gergesa ; leurs vêtements étaient tout en lambeaux et ils avaient grand besoin de se refaire. Ils furent reçus au bord du lac avec beaucoup de témoignages d'affection et on leur prodigua les soins les plus empressés. Ils furent conduits dans la maison d'André où on leur lava les pieds ; puis on leur prépara des bains, on leur donna d'autres habits et enfin on leur apprêta un repas. Comme Jésus s'empressait à les servir et mettait lui-même la main à l'oeuvre, Pierre lui dit : " Seigneur, pourquoi les servir vous-même? Laissez-nous ce soin ". Mais Jésus répondit qu'il était envoyé pour servir, que ce qu'on faisait pour eux, on le faisait pour son Père. Puis il enseigna de nouveau sur l'humilité, dit que celui qui s'abaissait au-dessous de tous les autres pour les servir deviendrait le plus grand de tous, toutefois que celui qui par un autre motif que la charité, s'abaissait pour aider le prochain, non en vue de soulager un frère dans le besoin, mais afin de devenir le premier à ce prix, n'était qu'un hypocrite et un flatteur, et qu'il perdrait sa récompense, car c'était lui-même qu'il servait et non son frère. Il y avait bien là soixante-dix disciples : mais il y en a encore plusieurs à Jérusalem et dans les environs. Jésus fit encore aujourd'hui aux apôtres une admirable et profonde instruction que j'ai entendue tout entière, dans laquelle il dit en termes très clairs qu'il n'avait pas été engendré par un homme, mais conçu du Saint-Esprit. A cette occasion il parla de sa mère en termes pleins de vénération. Il l'appela le vase très pur et très saint, le vase choisi après lequel tous les siècles avaient soupiré, qu'avaient appelé de leurs veux les coeurs de tous les hommes pieux et la bouche de tous les Prophètes. Il leur interpréta le témoignage rendu par son Père céleste lors de son baptême : il ne fit pas mention de celui qui avait été rendu sur le Thabor. Il appela heureuse et sainte l'époque qui l'avait vu naître, et dit comment l'alliance du genre humain avec Dieu était rétablie par lui. Il parla avec une grande profondeur de la chute de l'humanité et de sa séparation du Père céleste, du pouvoir de Satan et des mauvais esprits sur elle, dit comment la naissance de la Vierge sans tache si longtemps désirée, avait réalisé l'avènement du royaume de Dieu sur la terre, et comment par lui et en lui tous recevaient de nouveau la qualité d'enfants de Dieu. C'était par lui qu'était rétabli le lien naturel et surnaturel, le pont entre Dieu et l'homme : quiconque voulait y passer, devait le faire avec lui et en lui, mais il fallait pour cela renoncer aux choses de la terre et aux jouissances de ce monde. Il dit aussi comment le pouvoir des mauvais esprits et leur influence sur le monde et sur les hommes étaient ruinés par lui, et comment la malédiction que ce pouvoir avait fait tomber sur l'homme et sur la nature pouvait être détruite en son nom par l'intime union avec lui dans la foi et la charité. Il y eut quelque chose de très grave et de très solennel dans les discours qu'il tint à ce sujet. Ils ne comprirent pas tout et ils furent très émus parce que Jésus parla de sa passion. Les trois apôtres qui avaient été avec Jésus sur le Thabor étaient depuis ce temps continuellement livrés aux réflexions les plus sérieuses. -` Tout cela se passa pendant et après le sabbat. Les disciples logèrent, les uns à l'hospice de Capharnaum, les autres dans la maison de Pierre devant la ville. Tous étaient entretenus aux frais de la communauté, à peu près comme des religieux le sont par leur ordre. (13 avril.) Je me souviens seulement qu'aujourd'hui dimanche, Jésus alla avec les disciples au nord de Capharnaum, vers la montagne où il avait donné aux apôtres leur première mission ; que pendant environ deux heures il alla de côté et d'autre, visitant les moissonneurs, et qu'il enseigna alternativement ces gens et les disciples. On travaillait alors à la moisson. Les blés avaient bien six pieds de haut : on les coupait à une hauteur commode, à dix-huit pouces à peu près au-dessous de l'épi. Les épis étaient plus grands et plus serrés que chez nous, et pour empêcher les tiges de verser, on divisait les champs en petits compartiments entourés d'un treillage. Les faucilles dont on se servait différaient des nôtres : elles ressemblaient plutôt à l'extrémité d'une crosse d'évêque : ils coupaient avec la main droite une masse d'épis qu'ils soutenaient par derrière de la main gauche de façon à ce qu'elle leur tombât dans les bras. Ils les liaient ensuite en petites gerbes. C'était un travail pénible, mais qui pourtant se faisait assez promptement. Tout ce qui tombait appartenait aux pauvres glaneurs qui allaient à la suite des moissonneurs. Près des bergers Jésus amenait aussi de diverses manières des questions comme celles-ci : Ce troupeau est-il à vous ? Ces brebis appartiennent-elles à plusieurs troupeaux? Comment les gardez-vous ? pourquoi vont-elles dispersées? etc., etc., et il liait à cela ses enseignements sur la brebis perdue ou sur le bon Pasteur. Ils passèrent la nuit dans un campement de bergers entre l'enseignement et la prière. (14 avril.) Aujourd'hui Jésus alla dans une vallée qui se détourne vers l'ouest et qui est dans une situation plus élevée que Capharnaum. Il avait à sa droite la montagne de Saphet, et comme la veille, enseignant tantôt ses disciples, tantôt des bergers et des moissonneurs, il parcourut des vallées et des contrées solitaires. Il fit l'énumération de tous les devoirs d'un bon pasteur, se fit à lui-même l'application de ce qu'il avait dit et parla de la mort qu'il allait subir pour ses brebis. Il donna en outre des directions aux disciples et leur dit comment dans leurs courses ils devaient tenir des discours du même genre à ces gens délaissés et isolés et répandre parmi eux la bonne semence. Cet enseignement pacifique et charitable donné sur les chemins, dans la solitude, avait quelque chose de singulièrement touchant et pénétrant. Dans l'après-midi, ils revinrent vers l'est, mais un peu au nord du point d'où ils étaient partis, et ils entrèrent dans la petite ville de Lekkum, située à une demi lieue du Jourdain, et que les six apôtres avaient visitée au commencement de leur première mission. Jésus n'y était pas encore venu. Ceux des habitants qui étaient allés à Jérusalem étaient de retour, et il y avait parmi eux des scribes et des Pharisiens. J'entendis quelques-uns des gens de la ville parler du massacre des Galiléens à ceux des disciples qu'ils connaissaient déjà pour avoir été visités par eux. Mais on n'en dit rien encore à Jésus : les disciples en général étaient sobres de paroles avec lui, et ne se pressaient pas de lui rapporter ce qu'ils entendaient dire. (15 avril.) Lekkum est une bourgade de peu d'importance, mais assez commerçante ; elle est à une demi lieue environ du Jourdain et à deux lieues de l'endroit où ce fleuve entre dans le lac. Les habitants sont tous juifs ; seulement, sur les points les plus éloignés du centre, il y a des cabanes habitées par de pauvres paiens, de ceux que souvent les caravanes laissent en route. Tout le monde s'y occupe activement de la culture du coton ; on le prépare pour le filage et on le tisse ; on fabrique aussi des couvertures et quelques étoffes ; les enfants eux-mêmes sont employés à des travaux de ce genre. On donnait ici aujourd'hui la bienvenue solennelle à ceux qui revenaient de Jérusalem, ainsi qu'on l'avait fait dernièrement à Capharnaum. Les rues étaient ornées de fleurs et de guirlandes de feuillage : les nouveaux arrivés faisaient des visites chez tous leurs amis, les élèves des écoles allaient à leur rencontre. Jésus visita plusieurs gens âges dans leurs maisons, et guérit quelques malades. Il fit une longue instruction sur la place du marché, devant la synagogue, s'adressant d'abord aux enfants réunis qu'il caressa et qu'il bénit, puis aux adolescents et aux jeunes filles qui étaient là avec leurs maîtres pour prendre part à la fête. Lorsque ceux-ci furent rentrés chez eux, il fit successivement à divers groupes d'hommes et de femmes de belles et profondes instructions sur le mariage, entremêlées de comparaisons de toute espèce. Je ne puis pas bien répéter tout cela ; je suis trop malade. Il dit que la nature humaine était mélangée de beaucoup de mal, lequel devait être éliminé et dompté par la prière et la mortification ; que lorsqu'on cédait à ses passions brutales, on semait des passions brutales ; que l'oeuvre de l'homme le suivait et portait accusation contre lui ; que notre corps était fait à l'image du Créateur, et que Satan voulait la détruire en nous ; que les excès amenaient à leur suite le péché et la maladie, que tout excès était un désordre et une monstruosité Il les exhorta à la chasteté, à la tempérance et à la prière. C'était la continence, la prière et la chasteté des parents qui avaient donné au monde les saints et les prophètes. Il expliqua tout cela par des comparaisons tirées de l'ensemencement du blé, de l'enlèvement des mauvaises herbes et des pierres (symboles de la sensualité, du vice et de la stérilité spirituelle), des intervalles de repos laissés à la terre et de la bénédiction que Dieu donne aux champs qui ont été acquis par des voies légitimes. Il donna aussi une place considérable dans ses enseignements à des digressions étendues sur la culture de la vigne et sur le retranchement des branches gourmandes : il y a de même en nous des pousses sauvages qu'il faut retrancher parce qu'elles ne donnent que du bois et des feuilles, mais point de raisin ; c'est-à-dire des enfants mal nés, inutiles, lesquels n'apportent aucune bénédiction et ressemblent aux mauvaises herbes qui étouffent le bon grain. Il parla aussi des ceps de qualité supérieure qui sont les familles pieuses ; des vignes améliorées, qui sont les races relevées et converties, etc. Il parla d'Abraham, le chef de leur race, de sa sainteté, de l'alliance qui avait eu pour signe la circoncision ; il dit comment tous ses descendants étaient maintenant abâtardis par suite de leur indocilité et de leur fréquent mélange avec les païens : il parla du maître de la vigne qui envoie son fils et de ce qui devait arriver à celui-ci. Tous les assistants étaient très émus et plusieurs versaient des larmes La plupart ne le comprenaient pas, mais beaucoup se sentaient intérieurement portés au bien. Ce qui engagea surtout Jésus à leur donner ces enseignements, fut qu'ils s'adressaient à des gens qui n'avaient jamais été instruits de tous ces mystères, et qui vivaient sans retenue dans le mariage. Comme pendant le voyage de Jérusalem et le temps pascal, ils se tenaient ordinairement séparés de leurs femmes, et que cette séparation touchait à son terme, il les exhorta en général à user du mariage avec modération et avec retenue ; il leur dit aussi que le mariage avec la convoitise charnelle qui l'accompagnait était pour des mariés pieux un souvenir de la chute de l'homme et de la dégradation qui en avait été la conséquence, et qu'il devenait pour eux une oeuvre de pénitence. Il enseigna encore touchant l'efficacité de la bonne volonté dans la prière et le renoncement, et sur la coopération à la grâce. Il leur dit que quand ils se retranchaient quelque chose dans le boire et le manger et qu'ils se privaient d'une partie de leur superflu, ils devaient le déposer avec confiance entre les mains de Dieu et le prier de vouloir bien en faire profiter les pauvres bergers du désert ou d'autres indigents, et que le Père céleste, comme un économe fidèle, exaucerait leur prière si eux-mêmes, en fidèles serviteurs, faisaient part aux pauvres qui leur étaient connus ou à d'autres qu'ils rechercheraient charitablement, de ce qu'il leur donnait avec surabondance. C'était ainsi qu'on coopérait fidèlement, parce que Dieu travaillait avec ses serviteurs fidèles et agissant en esprit de foi. Il fit à ce sujet une comparaison tirée du palmier mâle qui, par son amour et son désir, procure la nourriture et l'accroissement au palmier femelle séparé de lui, sans entrer en contact avec lui. Vers le soir, ils passèrent le Jourdain et se dirigèrent vers Bethsaide-Juliade. (16 avril.) Ces jours-ci, Anne Catherine fut à peine en état de parler, ce qui naturellement rendit ses communications très défectueuses. Jésus a enseigné à Juliade. Là aussi on donnait une fête aux gens qui arrivaient de Jérusalem. Je vis Jésus en compagnie des disciples, de quelques Pharisiens et scribes, et d'autres personnes considérables de Juliade se promener et enseigner. On lui raconta ici comment les Galiléens avaient été égorgés dans le temple. J'appris à cette occasion qu'une centaine de personnes de Jérusalem avaient été massacrées avec cent cinquante séditieux, partisans de Judas de Gaulon, car ceux-ci avaient déterminé beaucoup de gens, en leur faisant peur, à aller avec eux présenter leurs offrandes. Ces gens s'étaient ainsi adjoints aux agitateurs qu'ils savaient prêts à se révolter contre l'empereur et à lui refuser l'impôt, et ils avaient partagé leur sort. Jésus fit à ceux qui lui racontaient cela la réponse qu'on lit dans l'Evangile ; il raconta aussi la parabole du figuier (Luc, XIII, 1-9). (17 avril.) Je ne me souviens plus que d'une chose! c'est que je vis Jésus parcourir un pays parsemé de jolies collines, situé entre Juliade et le lac, au pied de la montagne des Béatitudes : il y donna des enseignements aux disciples. Cette contrée solitaire est charmante : elle est extrêmement fertile, couverte de verdure, remplie de chameaux et d'ânes qui paissent tranquillement, et peuplée d'oiseaux et d'animaux sauvages de toute espèce, ce qui la fait ressembler à un parc. Il y a des sentiers qui serpentent et vont aboutir au rivage : on y trouve aussi plusieurs sources. Elle est exposée au soleil et on voit briller toute la surface du lac. La grande route qui mène à Juliade passe le long le Jourdain. Ici la contrée est solitaire. Le soir, ils traversèrent le Jourdain et allèrent à Bethsaïde. (18 avril.) Ce soir, Jésus enseigna, à l'occasion du sabbat, dans la synagogue de Capharnaum. On lut des chapitres du Lévitique relatifs au sacrifice expiatoire annuel, à l'obligation de sacrifier devant le tabernacle, à la défense de se nourrir du sang des animaux, et aux degrés de parenté qui rendent le mariage illicite. On lut aussi des passages d'Ezéchiel sur les péchés de la ville de Jérusalem (Lévit. XVI-XIX. Ezéch. XXII). Je me souviens encore que Jésus assista avec les disciples à un repas donné chez un Pharisien dont la maison était située à l'extrémité de Capharnaum, non loin de la demeure du centurion Cornélius. On ne cessa de l'espionner. Il y avait là un hydropique qui implora son assistance, et Jésus demanda aux Pharisiens s'il était permis de guérir le jour du sabbat. Comme ils ne répondaient rien, se contentant de l'observer attentivement, il imposa les mains au malade et le guérit. Celui-ci s'étant retiré après lui avoir rendu grâces, Jésus dit aux Pharisiens, comme il avait coutume de faire en pareille occasion, qu'aucun d'eux, si son boeuf ou son âne tombait dans une fosse le jour du sabbat, ne se ferait faute de le retirer. Ils se scandalisèrent et ne trouvèrent rien à répondre. Le Pharisien n'avait invité que ses parents et ses amis, et lorsque Jésus vit que ces Pharisiens prenaient les meilleures places à table, il dit que quand on était invité à un repas, il ne fallait pas se mettre aussitôt au haut bout : car un personnage plus considérable pouvait arriver, et le maître de la maison pouvait vous obliger à lui céder votre place, à votre grande confusion. Au contraire quand on se mettait au bout inférieur, le maître de la maison vous disait : " Mon ami, montez plus haut " ! et cela vous faisait honneur. Car qui s'élève, sera abaissé, et qui s'abaisse sera élevé. Après cela Jésus dit aussi à son hôte que celui qui invitait à un repas ses parents, ses amis, ses voisins riches dont il recevait à son tour les invitations, n'avait pas droit à une récompense : tandis qu'en invitant des pauvres, des boiteux, des aveugles et d'autres gens nécessiteux, qui ne pouvaient pas rendre ce qu'on faisait pour eux, on s'assurait le bonheur d'être récompensé lors de la résurrection. Comme là-dessus un des convies s'écria : " Heureux celui qui prendra son repas dans le royaume de Dieu " ! Jésus se tourna vers lui et raconta la parabole du grand festin (Luc, XIV, 1-24). Jésus avait chargé ses disciples de faire venir un grand nombre de pauvres à la porte de la maison : il demanda aux Pharisiens si c'était pour lui qu'ils avaient fait préparer ce repas et comme ils répondirent que oui, il les remercia et lorsque les convives furent rassasiés, il fit distribuer aux pauvres tout ce qui resta. Passant alors avec ses disciples sur la propriété du centurion Zorobabel, il gagna une belle contrée solitaire située entre Tibériade et Magdalum, et comme beaucoup de personnes le suivaient, il leur dit que quiconque voulait marcher à sa suite et être son disciple, devait l'aimer plus que ses parents les plus proches, bien plus, l'aimer plus que soi-même et porter sa croix après lui : que quiconque voulait construire une tour, devait d'abord faire le calcul de la dépense, qu'autrement il ne pourrait aller jusqu'au bout et deviendrait un objet de risée : que quiconque voulait faire la guerre, devait d'abord s'assurer que son armée était égale à celle de l'ennemi, et si elle ne l'était pas, demander la paix : enfin, que pour devenir son disciple, il fallait renoncer à tout. (Luc, XIV, 25-35.) |