CHAPITRE NEUVIEME


Séjour de Jésus dans le pays des trois Rois.

Du 21 novembre au 11 décembre.
Jésus quitte Cédar et arrive à une ville de tentes habitée par les adorateurs des astres.- Fête nocturne.-Jésus chez une tribu de bergers. - Un globe merveilleux.- Jésus part pour la ville des trois Rois - Arrivée au chef-lieu.- Jésus est reçu solennellement par le roi Mensor. - Mensor raconte au Seigneur l'histoire de l'étoile.- Le Sauveur se fait reconnaître et enseigne. Il visite le temple des rois. - Célébration d'une fête de trois jours.-Conversion d'une femme idolâtre.- Jésus fait une grande instruction.

21 novembre.- Je suivis cette nuit le chemin de la croix dans la Jérusalem actuelle : il est caché sous des décombres et interrompu par des constructions ; mais je pus passer à travers tous les murs et je vis en même temps la Passion du Seigneur. De là je pris le chemin que Jésus avait suivi pour son voyage, et lorsque je fus arrivée près du figuier qu'il avait maudit en dernier lieu, j'eus des visions qui se rapportaient à la trente-troisième almée de Jésus-Christ. J'allai sur ses traces jusqu'à Cédar et je le suivis.

Je vis le Seigneur quitter Cédar, accompagne des trois jeunes gens et de plusieurs amis ; il passa la rivière et se dirigea du côté du désert en traversant la ville païenne. Lorsqu'ils la traversèrent, on y célébrait une fête, j'entendis des réjouissances bruyantes et je vis des nuages de fumée : on sacrifiait devant un temple. Ces païens étaient fort hostiles aux Juifs de l'autre rive, cependant plusieurs étaient allés à Cédar lors du dernier sabbat : ils avaient vu Jésus et avaient entendu de loin son instruction. Quelques-uns se rapprochèrent des Juifs après son départ et les questionnèrent amicalement sur ses enseignements

Jésus fut accompagné assez loin par une vingtaine de personnes, parmi lesquelles Salathiel, le jeune Tite, Eliud, le mari de la femme adultère, et Nazor, le chef de la synagogue. Le chemin se dirigeait d'abord au levant, puis au midi ; il était uni, quoique situé entre deux crêtes de montagnes, et traversait alternativement des pâturages, un sol de sable jaune ou blanc et un terrain semé de cailloux blancs. Ils arrivèrent enfin à une plaine couverte de verdure et virent s'élever devant eux parmi des palmiers une grande tente entourée de plusieurs autres plus petites ; alors Jésus congédia ses amis de Cédar : il les bénit et ils retournèrent chez eux. Cela se passait dans l'après-midi.

Jésus continua son chemin jusqu'à la ville de tentes des adorateurs des étoiles. Le jour déclinait déjà lorsqu'il arriva près d'un grand et beau puits, placé dans un petit enfoncement, et entouré d'un mur de terre assez bas. Il y avait près de ce puits une grande cuiller à puiser. Le Seigneur but et s'assit près du puits, les jeunes gens lui lavèrent les pieds, ce qu'il fit à son tour pour eux. C'était touchant à voir. Il y avait dans cette plaine de beaux palmiers, des prairies et des groupes de tentes dispersées sur une grande étendue ; tout cela était dominé par une tour ou une pyramide avec des degrés ; elle était d'une assez grande hauteur, mais qui pourtant ne dépassait pas celle d'une église ordinaire. On vit paraître de divers côtés des hommes qui regardèrent de loin Jésus d'un air surpris et

A peu de distance du puits se trouvait la principale tente. Elle avait plusieurs sommets pointus, et se composait d'un grand nombre de chambres dépendant les unes des autres et séparées par des cloisons grillées ; la partie supérieure était recouverte de peaux de bêtes. Prise dans son ensemble, elle était belle et habilement construite. De cette espèce de château de tentes sortirent cinq hommes qui s'avancèrent vers Jésus, tenant à la main des branches d'arbres d'espèces différentes : celle de l'un d'eux était couverte de petites feuilles jaunes ou de fruits de même couleur ; celle d'un autre, de baies rouges ; un troisième portait une branche de palmier ; un autre encore, un sarment de vigne avec ses feuilles et une grappe de raisin. Je ne me souviens pas bien de tous les détails. Ils avaient une espèce de jupon de laine fendu sur les côtés, et allant de la ceinture aux genoux ; le haut du corps était couvert, jusqu'au creux de l'estomac, d'une jaquette bouffante d'une étoffe de laine très fine et presque transparente, avec des manches qui allaient à la moitié de l'avant-bras ; ils étaient nus depuis le creux de l'estomac jusqu'à la ceinture. C'étaient des hommes blancs avec des barbes noires, courtes et crépues ; leurs cheveux étaient longs et bouclés ; ils avaient un bonnet dont les bords pendaient tout autour de la tête, et qui était comme tordu par en haut. Ils s'avancèrent d'un air bienveillant vers Jésus et ses compagnons, les saluèrent et les invitèrent à entrer dans la tente, en leur présentant les branches qu'ils portaient à la main. Ils donnèrent à Jésus la branche de vigne ; celui qui le conduisait en avait une pareille On fit asseoir Jésus et les siens dans une des chambres de la tente, sur une espèce de banc recouvert de coussins avec des franges qui pendaient en avant ; on leur offrit aussi à manger : c'étaient des fruits, si je ne me trompe. Le Seigneur ne s'entretint qu'un moment avec ces gens. Ils conduisirent leurs hôtes par un passage qui longeait plusieurs chambres à coucher séparées et garnies de lits de repos matelassés, dans une partie de la tente qui servait de salle à manger. Au centre s'élevait une colonne qui soutenait la tente, et qui était ornée de guirlandes de feuillage, de branches de vigne, de grappes de raisin et d'autres fruits : tout cela avait une telle apparence de réalité que je ne savais pas si c'était naturel ou artificiel. Ils dressèrent là une petite table ovale de la hauteur d'un escabeau, formée d'une planche mince qui se dédoublait et dont les pieds, repliés en un faisceau, s écartaient pour la supporter ; ils la couvrirent d'un tapis bariolé sur lequel étaient figurés plusieurs petits personnages habillés comme eux Ils mirent sur la table des vases à boire et de la vaisselle qu'ils tirèrent d'un compartiment de la tente ; des tapis étaient suspendus devant tous ces compartiments, en sorte qu'on ne pouvait pas en voie l'intérieur.
Jésus et les disciples se mirent autour de la table sur un tapis. Leurs hôtes apportèrent du pain ou plutôt des gâteaux au milieu desquels était marquée une empreinte et aussi des fruits de toute espèce et du miel. Eux-mêmes s'assirent sur des espèces de tabourets ronds, les jambes croisées sous eux : devant eux était une espèce de guéridon sur lequel ils posèrent un plat. Ils servirent leurs hôtes à tour de rôle. Il y avait en outre devant la tente des serviteurs qui préparaient tout. Je les vis aller dans une autre tente où ils prirent des oiseaux qu'on mit à la broche dans une cuisine. Cette cuisine était un foyer placé sous une espèce de hutte en terre d'où la fumée s'échappait par en haut. Elle était revêtue de maçonnerie à l'intérieur. On servit ces oiseaux arrangés d'une façon singulière : je ne sais comment cela se faisait, mais ils étaient garnis de toutes leurs plumes et on les aurait crus vivants.

Quand le repas fut fini, ils conduisirent leurs hôtes à l'endroit où ils devaient coucher et le Seigneur demanda de l'eau. Lorsqu'elle eut été apportée, les disciples lui lavèrent les pieds et il leur rendit à son tour le même service. Ces gens en furent surpris et interrogèrent Jésus. Il leur fit une réponse qui me parut être un enseignement à leur adresse, et je crois qu'ils se proposèrent d'adopter, eux aussi, cet usage.

Lorsque le Seigneur et les disciples furent couchés, les cinq hommes sortirent de la tente, revêtus de manteaux qui étaient plus longs par derrière que par devant et où pendait sur le des un large morceau d'étoffe. Il était nuit et ils se dirigèrent vers un temple dont la forme était celle d'une pyramide quadrangulaire. Il n'était pas construit en pierre, mais en matériaux légers, tels que du bois et des peaux de bêtes, si je ne me trompe. Des degrés placés à l'extérieur permettaient de monter jusqu'au sommet. Ce temple était situé dans un fond autour duquel le terrain se relevait en amphithéâtre, formant des terrasses avec des degrés pour s'asseoir et des parapets. Ces enceintes étaient coupées par des passages qui donnaient accès aux différents compartiments, et les passages eux-mêmes étaient garnis de barrières légères et élégantes. Plusieurs centaines de personnes s'étaient déjà réunies dans cette espèce de cirque qui entourait le temple. Les femmes se tenaient derrière les hommes, puis venaient les jeunes filles et enfin les enfants. Des globes étaient placés par endroits sur les degrés de la pyramide. On les illuminait, et alors ils faisaient l'effet des étoiles du ciel, dont ils imitaient jusqu'au scintillement. Je ne sais pas comment cela était arrangé. Ces globes étaient ranges dans le même ordre que certaines constellations.

La pyramide était creuse à l'intérieur et pouvait contenir un grand nombre de personnes. Au milieu s'élevait une haute colonne de laquelle partaient des solives qui aboutissaient aux parois. Sur ces solives étaient disposées des lumières qui s'élevaient jusqu'au sommet de la pyramide et c'était par là qu'étaient éclairés les globes placés au dehors. Un jour singulier régnait dans l'intérieur : c'était un crépuscule semblable à un clair de lune : on voyait au-dessus de soi comme un ciel semé d'étoiles où figuraient la lune, et tout en haut, au point central, le soleil. Tout cela était imité avec infiniment d'art et produisait une certaine impression d'effroi, car en bas dans le temple, il n'y avait qu'un jour très faible à la lueur duquel on apercevait trois idoles placées autour de la colonne. L'une était comme un homme avec une tête d'oiseau : elle avait un long bec crochu et je vis qu'on y introduisait en guise d'offrandes toute sorte d'aliments, comme des oiseaux et d'autres objets semblables qui retombaient sous la partie inférieure du corps ; une autre de ces idoles avait une tête presque semblable à celle d'un boeuf : elle était assise ou plutôt accroupie. On lui mettait des oiseaux entre les bras comme on y aurait mis un petit enfant. Elle avait aussi dans le corps des trous où il y avait du feu, et il y avait en face une table pour les sacrifices où l'on immolait et découpait des animaux qu'on brûlait ensuite. La fumée s'échappait, comme par un conduit, dans la terre ou en dehors du temple. On ne voyait de flamme nulle part : mais ces hideuses figures, dont la troisième était une horrible et indécente figure de femme, brillaient d'une lueur rougeâtre dans le demi-jour.

La foule qui les entourait faisait entendre des chants étranges : c'était tantôt une voix seule, tantôt un choeur nombreux : à des accents plaintifs succédaient tout à coup des cris perçants. Ils criaient surtout ainsi tous ensemble quand ils voyaient paraître la lune ou certains autres astres. Je crois que leurs cérémonies idolâtriques durèrent jusqu'au lever du soleil.
Je m'éloignai pendant cette scène et j'allai à Cédar en passant par le quartier paien. Je vis revenir ceux qui avaient accompagné Jésus : leurs proches venaient à leur rencontre. Je vis aussi que les paiens les arrêtaient et les questionnaient avec curiosité. mais amicalement, touchant cet homme qui avait fait de grandes choses parmi eux. Je vis ces paiens stupéfaits et comme bouleversés de tout ce qu'ils entendaient : je vis qu'ayant été Jusque-là très malveillants pour leurs voisins, ils prenaient maintenant de tout autres sentiments et formaient le projet de les visiter désormais et d'entretenir des relations avec eux. Déjà quelques-uns s'étaient trouvés à la dernière instruction du sabbat. Ces païens avaient un autre culte que ceux que j'ai vus cette nuit : c'était plus grossier et plus abominable. Ils fabriquaient beaucoup d'idoles et faisaient de temps en temps des sacrifices en plein air.

Je me remis en voyage par une route qui allait toujours en descendant et j'arrivai dans le pays où mourut Saint Clément.

22 novembre .-- Ce matin, je vis Jésus se disposant à quitter les gens chez lesquels il était. Il ne leur donna qu'un petit nombre d'instructions. Comme ils lui demandaient qui il était et où il allait, il parla du royaume de son Père, dit qu'il en était sorti pour visiter des amis qui étaient venus le saluer aussitôt après sa naissance, qu'après cela il irait en Egypte pour revoir des compagnons de sa jeunesse et les inviter à le suivre, parce qu'aussitôt après il retournerait à son Père. Il leur parla aussi de leur culte idolâtrique pour lequel ils se donnaient tant de peine et sacrifiaient tant de victimes : il leur dit qu'il fallait adorer le Père qui avait créé tout ce qu'ils voyaient, et ne pas offrir leurs victimes à des images qui étaient l'ouvrage de leurs mains, mais les donner à leurs frères indigents.

Les habitations des femmes de cette tribu sont tout à fait retirées et séparées des tentes des hommes. Chacun d'eux avait toute une troupe de femmes dans une tente : elles avaient de longs vêtements, portaient à leurs oreilles des joyaux de toute espèce et étaient coiffées d'un bonnet très haut : Jésus loua cet usage de tenir les femmes à part et dit qu'il était bon qu'elles vécussent retirées ; mais il blâma sévèrement leurs habitudes de polygamie. Il les exhorta à n'avoir qu'une seule femme et à la traiter comme une esclave. Ils trouvèrent dans ses enseignements quelque chose de si attachant et de si surhumain qu'ils le prièrent de rester parmi eux : ils voulaient lui amener un vieux prêtre plein de sagesse, mais Jésus n'y consentit pas.

Ils lui apportèrent alors d'anciens écrits qu'ils feuilletèrent. Ce n'étaient pas des rouleaux de parchemin, mais des feuilles épaisses, semblables à de l'écorce d'arbre, où étaient gravés toute sorte de caractères formant des courbes bizarres. Ces feuilles ressemblaient un peu à du cuir épais. Ils prièrent instamment le Seigneur de rester avec eux et de les instruire. Mais il leur dit qu'ils auraient à le suivre quand il serait retourné à son Père, qu'alors il les ferait convoquer.

Avant de partir, le Seigneur inscrivit pour eux avec un bâton pointu, sur la pierre dont le sol de la tente était formé, cinq noms de sa généalogie. Cela me parut consister seulement en quatre ou cinq lettres entrelacées parmi lesquelles je reconnus une M. Elles étaient profondément gravées. Ils admirèrent beaucoup cette inscription, lui témoignèrent un grand respect et firent plus tard un autel de la pierre où elle était tracée. Je la vois maintenant à Rome, cachée dans un mur à l'un des angles de l'Eglise de Saint Pierre. Pourvu que les ennemis de l'Eglise n'aillent pas la prendre là !

Jésus ne leur permit pas de l'accompagner : il passa devant la tour des idoles et se dirigea au midi avec ses disciples, à travers les tentes dispersées au loin. Il parla à ses compagnons de la sympathie avec laquelle l'avaient accueilli ces païens pour lesquels il n'avait rien fait, tandis que les Juifs endurcis et ingrats l'avaient persécuté méchamment, malgré les bienfaits dont il les avait comblés.

Jésus et ses compagnons marchèrent tout le jour et d'un pas très rapide. Je ne me souviens plus où il passa la nuit. Il me semble qu'il lui faut faire encore quelques journées de voyage représentant bien une centaine de lieues avant d'arriver au pays des trois rois.

24 novembre. --
Le vendredi soir, un peu avant le sabbat, je vis Jésus, dans le voisinage de quelques tentes de bergers, se reposer prés d'un puits avec ses compagnons qui lui lavèrent les pieds, ce qu'il fit aussi pour eux. Alors il commença à célébrer le sabbat, priant avec eux, les enseignant, et montrant ainsi, même sur une terre étrangère, combien était mal fondé le reproche que lui faisaient les Juifs de ne pas sanctifier le sabbat. Il dormit cette nuit en plein air, à côté du puits, en compagnie des trois jeunes gens. Il n'y avait pas dans cet endroit de bergers établis à demeure ni qui eussent des femmes avec eux : ils y avaient seulement une résidence près de pâturages situés à une grande distance de leur séjour ordinaire.

25 novembre. --Aujourd'hui les bergers s'assemblèrent autour de lui et l'écoutèrent. Il leur demanda s'ils n'avaient pas entendu parler de ces gens, qui trente trois ans auparavant, avaient été conduits par une étoile en Judée pour y rendre leurs hommages au roi des Juifs nouveau-né "  Oui, certainement ", lui répondirent-ils, et alors le Seigneur leur Ait qu'il était ce roi des Juifs et qu'il voulait à son tour visiter ces hommes.

Ils témoignèrent une joie naïve et le prirent en grande affection : ils lui firent dans un endroit entouré de palmiers un beau siège formé de marches de gazon s'élevant les unes au-dessus des autres : ils détachaient et enlevaient le gazon avec de longs couteaux de pierre Ou d'os, et le siège fut bientôt prêt. Le Seigneur s'y assit et il les enseigna en leur racontant de charmantes paraboles : et ces gens. au nombre de quarante environ l'écoutèrent avec une simplicité d'enfant et prièrent avec lui.

Vers le soir ils défirent une tente et, l'ajustant avec une autre ils arrangèrent une espèce de grande salle où ils préparèrent pour tous un repas composé de fruits, de lait de chamelle et d'une espèce de bouillie roulée en boulettes. Le Seigneur ayant bénit ce qui lui était servi, ils lui demandèrent pourquoi il faisait cela ; quand il le leur eut expliqué, ils le prièrent de bénir aussi ce qu'ils mangeaient, et il condescendit à leur désir. Ils lui demandèrent de leur laisser des mets bénits par lui et comme ils lui présentaient des choses délicates et qui devaient se gâter promptement, il demanda des aliments plus inaltérables et qui pussent se conserver longtemps. Les boulettes blanches qu'il bénit pour eux étaient faites de riz. Il leur dit qu'il faudrait remplacer ce qu'ils en mangeraient par du riz nouveau, qu'alors cela ne se gâterait jamais et ne perdrait jamais la bénédiction.
Les rois mages ont déjà appris en songe que Jésus vient les voir.

26 novembre.-- Je vis de nouveau le Seigneur enseigner sur le trône de gazon. Il parla de la création du monde, de la chute du premier homme et de la promesse faite par Dieu de l'en relever. Il leur demanda s'ils n'avaient pas le souvenir d'une promesse qui leur eût été faite ? Mais ils n'avaient conservé qu'un petit nombre des traditions sur Abraham et aussi sur David, et le peu qu'ils en savaient était mêlé de fables. Ils étaient simples et naïfs comme des enfants à l'école : celui qui avait quelque chose à répondre à une question le faisait tout de suite sans hésitation.
Le Seigneur ayant vu leur innocence et leur ignorance, opéra en leur faveur un grand prodige. Je ne me souviens plus précisément de ce qu'il disait en ce moment, mais il sembla tirer avec la main droite d'un rayon de soleil comme un petit globe lumineux qui resta suspendu à sa main par un fit de lumière. Il devint assez grand pour qu'on pût se trouver au milieu et y voir toutes choses. Ces bonnes gens et les disciples y virent tout ce que le Seigneur leur expliquait. Ils se tenaient autour de lui, frappés de stupeur et d'effroi. Je vis dans ce globe la très sainte Trinité, et lorsque je vis le Fils en elle, Jésus disparut à mes yeux et j'aperçus un ange planant dans l'air auprès du globe. Il y eut un moment où Jésus eut ce globe posé sur sa main et un autre où il sembla que sa main elle-même fut le globe. On y voyait des tableaux innombrables sortant les uns des autres : j'entendis prononcer le nombre 360 ou 365, qui est celui des jours de l'année et il y avait aussi dans les tableaux du globe quelque chose qui s'y rapportait.

Jésus leur enseigna aussi une courte prière qui rappelait un peu le Pater et il leur indiqua trois intentions auxquelles ils devaient la faire alternativement. C'était une action de grâces pour la création, une autre pour la rédemption et une troisième, je crois, pour les âmes du purgatoire, à moins que ce ne fût pour la résurrection ou pour l'ascension, mais il n'était pas question du jugement dernier On voyait dans le globe se développer successivement toute une histoire de la création, de la chute et enfin de la rédemption avec tous les moyens d'y avoir part Je compris alors tout cela, de même que ces hommes simples, mais à présent je ne puis plus le redire. Je vis dans ce globe toutes les choses créées rattachées par des rayons à la très sainte-Trinité d'ou elles tiraient leur développement : j'en vis quelques-unes s'en séparer comme par une rupture. Le Seigneur leur donna une idée de la création par l'apparition du globe sortant de sa main, une idée du lien qui rattache le monde déchu à la Divinité et à la rédemption en le leur montrant suspendu par un fil, enfin une idée du jugement en le prenant dans sa main. Il leur parla de l'année et des jours dont elle se compose comme d'images appartenant à cette histoire de la création : il enseigna aussi sur la place que devaient y tenir la prière et le travail. Ces gens étaient moins vêtus que les adorateurs des astres.

Lorsque le Seigneur eut fini ses explications, le globe disparut subitement comme il était venu, elles bergers remués jusqu'au fond de l'âme par le sentiment de leur profonde misère et de la majesté divine de leur hôte, furent saisis de tristesse et se prosternèrent, ainsi que les trois jeunes gens, la face contre terre, versant des larmes et adorant Jésus aussi fut saisi de- tristesse et se prosterna la face contre terre sur le tertre de gazon. Mais les jeunes gens voulurent le relever et il se releva en effet : les bergers firent de même et l'entourèrent timidement en lui demandant pourquoi il était si triste ; il leur répondit alors qu'il s'affligeait avec les affligés.

Il leur fit ensuite cueillir une jacinthe qui croissait là à l'état sauvage, mais bien plus grande et plus belle que nos jacinthes, et il leur demanda s'ils ne connaissaient pas les propriétés de cette fleur. Quand le ciel s'obscurcit, leur dit-il, elle se penche, s'attriste et ses couleurs palissent ; il suffit même pour cela qu'un nuage cache le soleil. Il leur dit encore sur cette fleur et sur sa signification beaucoup de choses admirables que j'ai oubliées, comme tant d'autres.

Jésus leur demanda aussi quelle était leur religion, quoiqu'il le sût parfaitement ; mais il était comme un bon précepteur qui se fait enfant avec les enfants. Alors ils lui apportèrent tous leurs dieux. C'étaient des animaux de toute espèce très bien imités, ânes, brebis et chameaux : ils étaient revêtus de peaux et paraissaient du reste faits de métal. Ce qui était vraiment risible, c'est que toutes leurs idoles de bêtes ne représentaient que des femelles, ayant en guise de mamelles de grandes bourses terminées par un petit tube. Ils les remplissaient de lait, et les trayaient à certains jours de fête, en buvant de ce lait, eu dansant et en sautant. Chacun choisissait dans son troupeau les animaux les plus beaux et les plus irréprochables qu'on nourrissait à part et qu'on considérait comme sacrés. C'était à l'image de ces bêtes sacrées qu'ils faisaient leurs idoles et c'était de leur lait qu'ils remplissaient les mamelles de ces divinités. Quand ils célébraient leur culte, ils réunissaient tous ces simulacres sous des tentes élégamment décorées, et c'étaient des réjouissances comme pour une foire annuelle. Les femmes et les enfants y prenaient part : on trayait le lait, on mangeait, on buvait, on dansait et l'on adorait ces images d'animaux. Ils ne fêtaient pas le jour du sabbat, mais le jour suivant.

Pendant qu'ils racontaient tout cela à Jésus et lui montraient leurs idoles d'animaux, je vis une de ces fêtes qu'ils décrivaient. Le Seigneur leur fit voir que leur culte n'était qu'une ombre et une misérable contrefaçon du culte du vrai Dieu, et il partit de là pour leur expliquer qu'il était lui-même l'animal sans tache du troupeau l'agneau dont il fallait tirer toute nourriture et tout bien. Il leur dit aussi qu'il fallait renoncer à tous ces animaux remettre dans leurs troupeaux les bêtes vivantes et donner à de pauvres gens les idoles dont la matière avait quelque valeur il fallait ensuite construire un autel sur lequel ils brûleraient de l'encens pour rendre grâces au Père céleste. Ils devaient aussi implorer le bienfait de la rédemption et partager tout ce qu'ils possédaient avec leurs frères indigents : car ils avaient pour voisins dans le désert de pauvres gens qui ne possédaient rien et qui n'avaient pas même de tentes. Ce qui resterait de la chair des animaux dont ils se seraient nourris devait être offert en holocauste et ils devaient faire de même pour ce qui leur resterait de pain après que les pauvres auraient reçu leur part. Les cendres devaient être semées sur des terrains stériles qu'il leur indiqua afin d'y attirer la bénédiction d'en Haut. Il leur dit tout cela en leur en expliquant les raisons.

Jésus s'entretint avec eux des rois mages qui l'avaient visite : ils avaient eux aussi, entendu dire que trente-trois ans auparavant. Ceux dont il parlait avaient fait un long voyage pour visiter le Sauveur du monde croyant qu'ils en rapporteraient toute sorte de prospérités et de bénédictions : on leur avait dit aussi que ces rois à leur retour avaient fait de grands changements dans leur religion : mais ils ne savaient rien de plus à leur sujet.

27 novembre.-- Jésus resta encore le lundi chez ces bergers, il alla avec eux visiter leurs troupeaux et leurs cabanes et leur donna des renseignements sur toute espèce de choses, notamment sur les propriétés de certaines plantes. Il leur promit de leur envoyer bientôt quelqu'un qui les instruirait. Il leur dit qu'il était venu pour tout homme qui désirait son avènement et non pour les Juifs seuls' comme ils le croyaient par humilité.

Les trois jeunes gens avaient été stupéfaits lorsqu'ils avaient vu le prodige tout nouveau du globe lumineux.

Ils avaient avec le Seigneur de tout autres rapports que les apôtres : ils étaient vis-à-vis de lui comme des serviteurs qui lui obéissaient en silence avec une simplicité enfantine et ils ne se permettaient pas comme les apôtres de lui demander des explications. Ceux-ci avaient une fonction : eux n'étaient que comme de pauvres écoliers au service d'un maître.

Les gens de ce pays n'allaient qu'à certains intervalles de temps visiter leurs femmes dans leurs maisons. Ils tenaient la continence en honneur et cela par suite d'une tradition venant d'Abraham : ils la faisaient même observer d'une certaine manière aux animaux dont se composaient leurs troupeaux.

28 novembre.-- Le mardi, le Seigneur continua son voyage vers le séjour des trois rois. Dix ou douze bergers l'accompagnèrent ; quelques-uns d'entre eux semblaient avoir une affaire à traiter ou une redevance à acquitter. Ils portaient avec eux des cages pleines d'oiseaux. Ce voyage eut lieu à travers une contrée très solitaire : sur toute une longue route ils ne rencontrèrent pas d'habitations : toutefois le chemin était très distinctement tracé et ne se perdait pas dans le désert. Ce chemin par endroits et quelquefois pendant longtemps était bordé d'arbres qui portaient un fruit bon à manger de la grosseur d'une figue : on rencontrait aussi ça et là des baies de diverses espèces à certaines stations qui marquaient le terme d'une journée de voyage on trouvait toujours un puits couvert entouré d'arbres rattachés ensemble par leur sommet et dont les branches qui retombaient tout autour formaient un berceau de verdure. A ces stations on avait aussi disposé des abris et des emplacements commodes pour faire du feu. Vers midi au plus fort de la chaleur ils se reposaient près de ces puits et mangeaient des fruits. Ensuite le Seigneur et ses trois jeunes acolytes se lavaient mutuellement les pieds. Il ne se laissait pas toucher par ses autres compagnons de voyage. Les jeunes gens attirés par sa bonté étaient quelquefois avec lui d'une familiarité enfantine : d'autres fois ils le regardaient en dessous tout intimidés et se regardaient ensuite les uns les autres, se son venant de ses prodiges et pressentant sa ;divinité. Souvent aussi je vis que Jésus semblait disparaître à leurs yeux. Il les enseignait et s'entretenait avec eux à propos de tout ce qui se présentait le long du chemin.

Ils marchaient une partie de la nuit : les jeunes gens se procuraient alors du feu en faisant tourner rapidement deux morceaux de bois l'un dans l'autre. Ils avaient aussi avec eux une espèce de lanterne placée au bout d'un bâton, laquelle était ouverte par en haut et où une petite flamme produisait une grande lueur rougeâtre. Je ne me rappelle plus ce que c'était. J'ai vu aussi pendant la nuit, des bêtes sauvages qui couraient effrayées. Pendant leur voyage ils eurent à traverser le plus souvent de hautes montagnes, mais qui n'étaient pas escarpées et s'élevaient en pente douce. Je vis une fois dans une plaine beaucoup de noyers plantés régulièrement et des gens qui mettaient dans des sacs les noix tombées par terre : cela ne semblait être qu'un glanage après la récolte. Je vis aussi des arbres qui avaient perdu leurs feuilles et sur lesquels il y avait encore des fruits. Je vis des pêchers sur des pentes, des arbres à tiges très minces plantés en ligne, et un arbuste ressemblant à notre laurier. Souvent les lieux de repos étaient marqués par de grands massifs de genévriers dont le tronc était gros comme le bras d'un homme robuste : ils étaient très touffus par en haut tandis que toutes les branches d'en bas étaient élaguées : l'aspect en était très agréable.

Toutefois, la plupart du temps, le chemin traversait un désert de sable blanc : il y avait aussi des endroits où la terre était couverte de cailloux blancs, ou de petites pierres polies, semblables à des oeufs d'oiseaux : il y avait aussi de grands amas de pierres noires, semblables à des débris de poterie ou à des fragments de bouteilles. Plusieurs étaient percées de trous réguliers pouvant servir d'anses, et les gens du pays en recueillaient quelques-unes pour s'en servir en guise de plats ou de pots. Sur la dernière montagne qu'ils eurent à franchir, il n'y avait que des pierres grises. En descendant, ils trouvèrent au pied de cette montagne une haie formée d'arbres élevés et touffus derrière laquelle coulait un torrent rapide, arrosant des terres cultivées. Au rivage était amarré un radeau fait de troncs d'arbres et d'osier tressé : ils s'en servirent pour passer l'eau.

30 Novembre.-- Je les vis traverser la plaine en se dirigeant vers un groupe de cabanes faites en clayonnage et revêtues de mousse. Elles avaient des toits pointus, et les endroits où l'on dormait étaient disposés tout autour de la pièce qui occupait le centre J'y vis des sièges et des lits de mousse. Les gens qui les habitaient étaient convenablement vêtus et portaient sur eux des couvertures qui ressemblaient à de longs manteaux. J'y vis aussi des femmes qui faisaient cuire des aliments.

Je vis à quelque distance des tentes dressées, mais beaucoup plus grandes et plus solidement établies que toutes celles que j'avais vues précédemment. Elles reposaient sur des bases en pierre et semblaient être à plusieurs étages : des escaliers extérieurs circulaient alentour Je vis le Seigneur passer entre les premières cabanes de mousse, lorsque la vision prit fin : c'était ce matin vers cinq heures Là aussi il se reposa près d'un puits et ses jeunes compagnons lui lavèrent les pieds. On le conduisit dans une maison destinée à recevoir les étrangers. Les gens de l'endroit étaient très bienveillants. Les bergers qui avaient accompagné Jésus reprirent le chemin de leur pays : on leur donna des provisions pour le voyage.

Ce district où sont les habitations couvertes de mousse est très étendu : il y a une quantité innombrable d'habitations de ce genre disséminées autour des champs, des prairies et des jardins. On ne peut pas voir d'ici le grand palais de tentes : il se trouve à une assez grande distance : on le voyait en descendant la montagne. Le pays est singulièrement agréable et fertile. On trouve, adossées à des collines, beaucoup de haies de baumiers auxquels on fait des incisions et d'où découle un liquide précieux : on le reçoit dans ces pierres creusées en forme de pots qui se trouvent plus loin dans le désert. Je vis de magnifiques champs de blé avec des chaumes gros comme des roseaux : je vis aussi des ceps de vigne, des roses et des fleurs en boules grosses comme des têtes d'enfants. Il y a de petits ruisseaux limpides d'une eau très claire et d'un cours très rapide, coulant sous des berceaux de verdure formés par des haies soigneusement entretenues qui les bordent des deux côtés. On récolte les fleurs dont ces haies sont couvertes et celles qui tombent dans l'eau sont arrêtées par des filets placés de distance en distance où on les recueille. Aux endroits où on les repêche ainsi, il y a des ouvertures pratiquées dans ces berceaux de verdure. Je ne sais plus bien à quel usage ces fleurs sont employées.

Les gens de l'endroit apportèrent et montrèrent à Notre Seigneur tout ce que produisait leur pays. Il s'entretint avec eux de ces hommes qui avaient autrefois suivi l'étoile : ils lui répondirent qu'ils demeuraient d'abord dans des contrées très éloignées les unes des autres, qu'à leur retour, ils s'étaient réunis dans ce pays où l'étoile, qui s'y était montrée pour la première fois, les avait conduits ; qu'ils y avaient élevé une pyramide servant d'oratoire à l'endroit où l'étoile avait d'abord apparu, et qu'ils avaient établi tout autour une ville de tentes où ils étaient restés pour l'habiter ensemble. Ils avaient en outre reçu l'assurance que le Messie viendrait les visiter et ils voulaient, lorsqu'il en partirait, quitter ce pays à leur tour. Mensor le plus vieux de tous, vivait encore et avait conservé ses forces : Théokéno, le second, était tellement affaibli par les années qu'il ne pouvait plus marcher. Séir le troisième, était mort depuis quelques années et son corps se conservait sans altération dans une pyramide sépulcrale ou il était déposé. Le jour anniversaire de sa mort, on s'y rendait en cérémonie, on ouvrait les tombeaux et on leur rendait certains honneurs. On entretenait chez eux un feu qui brûlait perpétuellement. Après avoir donné tous ces détails à Jésus, ils s'informèrent auprès de lui de ce qu'étaient devenus les gens du cortège des trois rois qui étaient restés dans la Terre Promise.

Anne Catherine fut obligée d'interrompre ici le récit de ces intéressantes visions. Elle lut à cette époque réduite par l'intensité de ses souffrances à un état d'épuisement qui fit craindre pour sa vie. Le 1er décembre, elle raconta péniblement ce qui suit :

On envoya d'ici un messager à deux lieues d'ici, à la ville de tentes de Mensor, le plus âgé des deux rois qui vivaient encore : on lui fit dire qu'il était arrivé un homme qu'on croyait être un envoyé de ce roi des Juifs visité par lui.

Le soir, comme le sabbat allait commencer, Jésus demanda qu'on mit à sa disposition une cabane où il pût être seul avec ses compagnons et comme il n'y avait pas ici de lampes comme celles dont les Juifs se servaient, ils en arrangèrent une eux-mêmes. Jésus resta donc seul jusqu'au samedi soir pour célébrer le sabbat avec les trois jeunes disciples.
J'ai vu aussi que sept hommes vinrent de la demeure du roi Mensor pour lui souhaiter la bienvenue. Ils portaient de grands manteaux blancs brodés d'or, plus longs par derrière que par devant, et ils avaient sur la tête des bourrelets blancs avec des ornements en or. Je vis entre autre chose sur ces bourrelets un bouton brillant où était fixée ; comme une aigrette, une longue plume d'autruche penchée de côté. Ils invitèrent Jésus à venir avec ses disciples : je vis aussi que sur leur ordre on vida pour faire place au Seigneur, une habitation qui était remplie de fruits de toute espèce : ils le prièrent de faire un long séjour parmi eux. J'entendis aussi le Seigneur faire une instruction dans la chambre principale de cette habitation : il parla des paiens bien disposés et dit qu'il y en avait qui, sans avoir été instruits, avaient pourtant le coeur pieux.

Je vis aussi, à l'endroit qu'habitaient les rois, faire des préparatifs pour recevoir le Seigneur. On attachait des arbres ensemble et on faisait des arcs de triomphe où étaient suspendus des ornements de toute espèce, des morceaux d'étoffe, des fleurs et des fruits.

3 décembre.-- Je vis bien des choses de tout genre que je ne puis plus rapporter dans l'ordre où elles se présentaient : j'en oublierai certainement beaucoup. Dés qu'on eut reçu la nouvelle de l'arrivée de Jésus, je vis faire chez les rois toute espèce de préparatifs pour la réception. A cette occasion, je vis en détail l'endroit où ils demeurent. C'est un séjour singulièrement agréable, élégant et commode : cela ressemble plus à un lieu de plaisance, à un campement qu'à une ville. La tente principale fait l'effet d'un château. Elle repose sur des substructions en pierre sur lesquelles s'appuie d'abord un étage formé entièrement de parois à claire voie. Au-dessus se trouvent les appartements du château qui a plusieurs étages. Tout autour de cette grande construction courent des escaliers et des galeries ouvertes. On voit à l'entour d'autres tentes de cette espèce plus ou moins élevées, qui toutes sont unies entre elles par des chemins pavés d'une espèce de mosaïque en pierres de couleur, représentant toute espèce d'objets, notamment des étoiles et des fleurs. Tous ces jolis chemins passent entre des pelouses vertes et des jardins dont les parterres symétriques sont pleins de fleurs, de charmants arbrisseaux à petites feuilles ressemblant à des myrtes et à des lauriers, et d'arbustes portant des baies et des aromates. Au milieu d'un de ces emplacements est une belle fontaine jaillissante. Elle est haute de plusieurs étages et de tous les côtés, on la voit de loin lancer en l'air de beaux jets d'eau. Cette fontaine est sous un édifice entouré d'une colonnade à ciel ouvert garnie de sièges et de bancs. Derrière la fontaine se trouve le temple. Il est précédé d'une cour entourée de colonnades ouvertes d'un côté : de l'autre côté on voit l'entrée de diverses sépultures ; les sépultures des rois déjà morts se trouvent également ici. Le temple lui-même est une pyramide quadrangulaire, mais moins déprimée que celles que j'ai vues antérieurement pendant ce voyage. Des escaliers tournants avec des balustrades montent autour de cette pyramide et la pointe est travaillée à jour : je remarquai un de ces pavillons où il y avait d'un côté des jeunes gens et de l'autre des jeunes filles. Je crois qu'il leur sert d'école. En général toutes les habitations des femmes sont placées en dehors de cette enceinte. Elles demeurent à part et ensemble. Je ne puis dire avec quel soin et quelle élégance les choses sont disposées et arrangées, combien tout est vert et riant, et combien en même temps tout est agréable et simple.

On voit partout de beaux jardins avec des bancs pour se reposer. Je vis aussi un grand bâtiment à jour rempli d'oiseaux du haut en bas. J'aperçus à une certaine distance des tentes et des cabanes de toute espèce où habitent divers artisans, notamment des forgerons. Je vis encore des étables et de grandes prairies couvertes de troupeaux de chameaux, d'ânes et de grands moutons à laine fine : il s'y trouvait aussi des vaches qui avaient de grandes cornes et de petites têtes : elles différaient des nôtres Je n'ai pas vu de montagnes dans ce pays : il n'y a que des collines en pente douce. Elles ne me paraissaient pas beaucoup plus hautes que ces éminences qu'on appelle dans mon pays les tombeaux des paiens : elles sont entourées de palissades, et il y a aussi de petites tentes à l'entour. Je vis là de longs tubes que l'on faisait entrer dans la terre : il y avait dans le tube un instrument à forer garni d'une poignée : les gens du pays l'enfonçaient dans la terre et quand en le retirant, ils y trouvaient de l'or (car c'était là ce qu'ils cherchaient), ils creusaient dans le flanc de la colline et en retiraient le métal. J'ai vu bien d'autres choses encore, mais je ne peux plus mettre tout cela en ordre.

Lorsqu'on leur annonça l'arrivée prochaine du Seigneur qu'ils croyaient être un envoyé du Sauveur du monde, je vis tout en mouvement pour le recevoir comme si le roi des Juifs fût venu lui-même. Ils étaient pleins de joie et profondément émus. Je vis le vieux roi conférer avec les autres chefs et les prêtres et tout disposer comme pour une fête. On prépara les habits qui devaient être donnés comme présents, on attacha les uns aux autres des arbres par le sommet pour les courber en forme d'arcs de triomphe, on cueillit des fleurs pour en faire des guirlandes, etc. Je vis en même temps le Seigneur, ses jeunes disciples et les sept messagers se mettre en marche vers le château de tentes, et le vieux Mensor en sortir sur un chameau richement en harnaché qui portait des coffres de chaque côté, et aller à la rencontre du Seigneur avec une suite d'une vingtaine d'hommes de distinction, vieux et jeunes, dont plusieurs avaient accompagné les trois rois à Bethléhem. Ce cortège chantait une mélodie grave et mélancolique du genre de celle que je leur avais entendu chanter pendant la nuit lors de leur voyage à Bethléhem.

Le roi Mensor était le plus âgé de ceux qui avaient porté leurs offrandes à l'enfant Jésus : il avait je visage basané et portait sur la tête une coiffure ronde et élevée entourée d'un bourrelet blanc. Il avait un manteau blanc brodé avec une longue queue par derrière. Devant le cortège un homme portait un long bâton avec une pointe dentelée à laquelle était attaché quelque chose qui flottait au loin. C'était un insigne d'honneur, une espèce de bannière : cela ressemblait un peu à une queue de cheval.

Le cortège suivit une allée bordée de belles prairies sur lesquelles on voyait par endroits des tapis moelleux de mousse blanche ressemblant à d'épaisses fourrures, et il s'arrêta à moitié chemin, près d'un arbre sous lequel était une fontaine entourée d'une espèce de temple de verdure. Là le vieillard mit pied à terre et attendit le Seigneur qu'on voyait approcher. Les sept messagers qui étaient allés chercher Jésus lui servirent ici de courriers. L'un d'eux courut en avant et annonça son arrivée. Alors on prit dans les coffres que portait le chameau plusieurs magnifiques vêtements blancs brodés d'or, des coupes d'or, des assiettes et des soucoupes de même métal pleines de fruits et on plaça tout cela sur un tapis près de la fontaine.

Le Seigneur n'étant plus qu'à quelques pas, le vieillard courbé par les années alla à sa rencontre avec un profonde humilité, soutenu par deux hommes et suivi d'un troisième qui portait la queue de son manteau. Il tenait à la main un long bâton, avec des ornements d'or qui se terminait en forme de sceptre. Dès qu'il aperçut Jésus, il eut une espèce d'avertissement intérieur et se sentit ému comme il l'avait été près de la crèche devant laquelle c'était lui qui s'était agenouillé le premier. Il tendit son sceptre à Jésus et se prosterna devant lui. Jésus lui prit la main et le releva. Alors on apporta les présents au vieux roi qui étala sur ses mains les riches vêtements et les offrit à Jésus et à ses disciples. Le Seigneur les remit à ceux-ci, qui les firent replacer sur le dos du chameau. Jésus les accepta, mais il ne voulut pas s'en revêtir. Le vieillard lui offrit aussi le chameau, mais Jésus le remercia.

Ils entrèrent alors sous le berceau qui ombrageait la fontaine, et le vieillard présenta au Seigneur de l'eau fraîche dans laquelle il versa quelques gouttes d'une liqueur contenue dans un flacon : il lui offrit aussi de petits fruits dans des soucoupes. On ne saurait dire combien il montrait d'humilité et de cordialité naïve. Il s'enquit du roi des Juifs, car il croyait Jésus son envoyé et il ne pouvait pas s'expliquer la grande émotion dont il était pénétré intérieurement. J'ai oublié tout ce qu'ils se dirent : je vis les autres s'entretenir avec les disciples : ils embrassèrent Erémenzear, celui qui s'appela depuis Hermas, et pleurèrent de joie en apprenant de lui qu'il était le fils d'un de ceux qui étaient restés dans la Terre Sainte lors de la visite des rois à Jésus enfant. Plus tard j'appris qu'il était de la descendance de Cétura, la seconde femme d'Abraham.

Quand ils se furent arrêtés là quelque temps, ils voulurent faire monter Jésus sur le chameau, mais il s'y refusa et exigea que le vieillard s'y assit de nouveau. Jésus et les disciples marchèrent en tête du cortège. Au bout d'une heure, ils arrivèrent à la limite proprement dite des habitations ; c'était une enceinte de toiles blanches tendues de haut en bas qui s'étendait en ligne circulaire à droite et à gauche. Ils trouvèrent à l'entrée une troupe de jeunes filles en habits de fête qui venaient à leur rencontre : elles marchaient deux par deux, portant entre elles des corbeilles pleines de fleurs, et elles en semèrent une si grande quantité devant le Seigneur que tout le chemin en était jonché. Il y avait aussi à l'entrée, des arbres qu'on avait courbes pour former un arc de triomphe. On passait ensuite sous une longue allée plantée d'arbres. Les jeunes filles avaient des caleçons blancs très larges et sous les pieds des sandales dont l'extrémité était relevée en pointe. Elles portaient des vêtements de dessus ouverts par devant et un peu plus longs par derrière : leur tête était entourée de bandelettes blanches et leurs bras de plusieurs petites guirlandes faites d'une étoffe froncée, avec des fleurs, de la laine et des plumes de couleurs éclatantes : elles en avaient aussi autour du cou et sur la poitrine Elles étaient habillées très modestement mais elles n'étaient pas voilées.

Au bout de cette allée d'arbres dont les sommets se rejoignaient et formaient une voûte, le cortège arriva au bord d'un fossé ou d'un ruisseau qui entourait un jardin : on le passait sur un pont que recouvrait une tente. Jésus y fut reçu par quatre ou cinq prêtres sous un arc de triomphe très orné. Ils étaient revêtus de grands manteaux blancs avec de longues queues qu'on portait derrière eux. Leur robe était toute garnie de lacets et ils avaient au bras droit un long manipule qui semblait fait de fils tressés ou de fourrure et qui descendait jusqu'à terre. Ils portaient sur la tête des couronnes dentelées et sur le front un ornement en forme de coeur qui se terminait aussi en pointe. Deux d'entre eux portaient un bassin d'or ou il y avait du feu : d'autres avaient à la main des vases d'or avant la forme de petits navires et ils y prenaient l'encens qu'ils jetaient dans le feu. Lorsqu'ils s'approchèrent de Jésus, on cessa de porter leur queue qui fut relevée et rattachée derrière eux.

Jésus passa à travers tous ces hommages, calme et impassible, comme le jour des Rameaux.

Le chemin qui traversait le jardin suivait une allée en berceau qui était ouverte d'un côté. Le jardin était grand : sa limite extérieure était tracée par de grands arbres : à l'intérieur il était planté de jolis arbustes. Beaucoup de canaux et de ruisseaux passaient à travers ce jardin que des allées semées de cailloux élégamment disposés partageaient en plusieurs petites plates-bandes triangulaires où il y avait de belles plantes et des fleurs de toute espèce. Les arbres et les arbustes du jardin étaient taillés de manière à figurer différents objets : et j'en vis quelques-uns représentant des hommes et des animaux. Il y avait aussi des bancs où l'on se reposait à l'ombre, et de jolies fabriques. Toute l'allée en berceau qui coupait le jardin en deux était semée de pierres de couleur représentant des étoiles et d'autres objets. Le jardin aboutissait à un autre ruisseau formant un arc de cercle et sur lequel passait aussi un pont couvert d'une tente. Après l'avoir franchi on voyait à droite et à gauche s'étendre en demi-cercle des tentes basses, de forme carrée, où demeuraient les jeunes gens. Le chemin, toujours couvert, conduisait au milieu de la grande place ronde qui était le point central de cette enceinte circulaire, et en face était la grande tente royale. Au milieu de la place s'élevait une colline plantée et formant une île, car elle était entourée d'eau. Il y avait là une fontaine surmontée d'une espèce de temple ouvert de tous les côtés, reposant sur des colonnes élancées et dont le toit était couvert de peaux de bêtes.

Lorsque le Seigneur ayant franchi le pont arriva sur la place, les jeunes gens le reçurent en jouant de la flûte et en frappant sur- de petits tambours. Ils avaient un costume singulier et je crois qu'ils faisaient le service de gardes du corps : car j'en vis quelques-uns aller de long en large comme des sentinelles, armés d'épées très courtes semblables à des couperets. Leur habillement est mi-parti : un côté ne ressemble pas à l'autre. D'un côté ils n'ont rien de bien remarquable, de l'autre ils portent divers objets suspendus à l'épaule, notamment quelque chose qui ressemble à un grand croissant et où on voit la silhouette d'un visage humain. Ils ont des bonnets surmontés d'un cimier en plumes.

Lorsque le roi fut descendu de son chameau, on emmena l'animal, et le roi conduisit Jésus et ses disciples à la fontaine qui était sur la petite île. C'est une fontaine jaillissante, placée sous un petit temple ouvert : il y a plusieurs' bassins les uns au-dessus des autres : elle est faite d'un beau métal luisant et garnie d'un grand nombre de conduits. Quand on les ouvre tous, l'eau jaillit de tous les côtés, tombe dans plusieurs rigoles bordées de verdure et descendant ainsi les pentes de la colline va se perdre dans le ruisseau qui forme l'île. Des sièges sont disposés tout autour de la fontaine. Le roi retint quelque temps ses hôtes dans cet endroit : les disciples lavèrent les pieds du Seigneur et il les leur lava à son tour. Je crois que les assistants voulaient aussi leur rendre cet office : mais je ne me souviens plus si Jésus le leur permit.

Ils sortirent de là en franchissant un autre pont surmonté d'une tente et arrivèrent de l'autre côté de la place au château du roi. C'est un grand édifice, élevé de plusieurs étages avec des fondements en pierre supportant un rez-de-chaussée à claire-voie, rempli d'arbustes et de plantes de toute espèce : des escaliers et des galeries couvertes circulent à l'extérieur et s'élèvent jusqu'au haut du château. On voit çà et là des fenêtres, mais elles ne sont pas disposées symétriquement. La toiture a plusieurs combles surmontés de petits drapeaux, de lunes et d'étoiles. On conduisit Jésus dans une grande salle ronde ou plutôt octogone. Au milieu était un piller servant d'appui autour duquel étaient fixés des disques ronds placés les uns au dessus des autres et où on suspendait toute sorte de choses. Autour de ce piller était une table circulaire assez basse sur laquelle un repas fut servi dans de très belle vaisselle.

Tous étaient restés debout et Jésus s'entretint avec eux. Le repas était très élégamment disposé, de belles herbes de toute espèce étaient arrangées dans les assiettes, où elles formaient comme de petits jardins. Cette circonstance et la vaisselle d'or avec tous ses ornements me remirent en mémoire les beaux plats d'or à rebords bleus des tables célestes. Il y avait une quantité de beaux fruits, entre autres un gros fruit jaune à côtes, surmonté d'un bouquet touffu. On voyait aussi sur la table des oiseaux rôtis, de petites coupes d'or, de charmants vases à boire, des petits pains et surtout de beaux rayons de miel. Les parois de la tente étaient tendues de couvertures bariolées où étaient représentées des fleurs et des figures, entre autres des figures d'enfants qui servaient à boire. Le sol était aussi tapissé d'étoffes moelleuses.

Lorsque je vis tout cela, j'étais en dehors de la tente avec mon conducteur, et lorsque je vis les rayons de miel il vint tout d'un coup d'un endroit éloigné où étaient des ruches, un essaim de grandes abeilles qui se posèrent sur ma robe. Elle ne me firent aucun mal, mais elles couvrirent mon tablier jusqu'à la poitrine de manière qu'il était tout noir et je me mis à frapper dessus. Alors mon conducteur me dit : "  Pourquoi frappes-tu ces abeilles : elles t'apportent du miel ". Elles s'envolèrent et mon tablier se trouva couvert du plus beau miel. Mais la vision avait disparu : je ne me rappelle plus ce que je fis du miel.

4 -6 décembre.-- Anne Catherine raconta seulement ce qui suit des visions des trois jours suivants. Le vieux roi et les autres racontèrent comment ils avaient vu l'étoile et tout ce qui s'était passé alors. Il y avait dans leur tribu une ancienne prédiction relative à une étoile de ce genre. Ils l'avaient vue pour la première fois quinze ans avant la naissance du Messie : ils la virent ensuite de cinq ans en cinq ans. Ils y avaient toujours vu des figures comme on en voit dans les étoiles : celles-ci se rapportaient à Jésus.

Ici le Pèlerin demanda à Anne Catherine si elle avait vu quelque chose de ce genre dans les étoiles et elle répondit : " Oh ! oui : on y voit des jardins, des maisons, des arbres, avec toute sorte d'incidents et de changements. J'ai vu cela très fréquemment dès mon enfance, lorsque je priais dans les champs pendant les nuits d'hiver et j'ai toujours cru que tout le monde voyait ces choses ".

J'ai su tout ce que les rois mages avaient vu dans l'étoile, mais je l'ai oublié. La première figure qu'ils virent, quinze ans avant la naissance du Christ, fut une vierge tenant d'une main un sceptre, de l'autre une balance où il y avait une grappe de raisin et un épi de blé. Pendant les cinq dernières années, ils virent ces tableaux changer souvent : en dernier lieu, ils y virent l'enfant dans la crèche, ayant près de lui Joseph et Marie, et ils virent même des lettres et des mots, par exemple le nom de la Judée, si je ne me trompe. Ils avaient eu aussi quelque connaissance du mystère de la Rédemption et ils savaient que Jésus viendrait les visiter. Ils n'avaient pas été les seuls à voir cela : les autres adorateurs des astres, dans le pays desquels le Sauveur avait passé d'abord pendant ce voyage, avaient aussi vu l'étoile, mais ils ne l'avaient pas suivie : c'est pourquoi ils étaient restés en arrière dans la voie du salut. Je crois qu'ils avaient vu encore une figure qui portait une croix, et une montagne.

Lorsque dans la nuit de Noël, ils virent l'enfant Jésus dans l'étoile et reçurent un avertissement, ils s'envoyèrent réciproquement des messages et se mirent en voyage pour aller rendre leurs hommages à l'enfant nouveau-né. L'étoile n'avait cessé de se rapprocher d'eux et elle allait devant eux. C'était ici qu'ils s'étaient rencontrés et réunis, auparavant ils demeuraient fort loin les uns des autres : mais lorsqu'à Bethléhem ils furent avertis en songe de ne pas revenir vers Hérode et de s'en retourner chez eux par un autre chemin, il leur fut dit aussi qu'ils devaient se réunir ensemble dans cet endroit et y attendre le moment où ils iraient dans un autre pays à la suite du roi des Juifs.

Ils demandèrent à Jésus pourquoi ils avaient perdu de vue l'étoile en arrivant à Jérusalem et il leur dit : " Pour éprouver votre foi et parce qu'elle ne devait pas se montrer sur Jérusalem. " La malade répéta ces paroles en souriant, comme pour répondre au Pèlerin qui lui reprochait d'avoir si étourdiment oublié tant de choses importantes, par- exemple les objets représentés dans les étoiles.

Je vis encore le Seigneur enseigner dans la tente et leur dire en dernier lieu qu'il n'était pas l'envoyé de Jésus, mais Jésus lui-même, sur quoi ils se prosternèrent par terre en pleurant. Le vieux roi Mensor surtout fondait en larmes, et ils ne pouvaient contenir les témoignages de leur amour et de leur vénération. Ils ne pouvaient pas comprendre qu'il fût venu les trouver. Mais il leur dit qu'il était venu pour les Gentils comme pour les Juifs, qu'il était venu pour tous ceux qui croyaient en lui. Ils croyaient que le moment était arrivé de quitter le pays qu'ils habitaient et ils voulaient le suivre tout de suite en Judée. Mais il leur répondit que son royaume n'était pas de ce monde, et qu'ils seraient scandalisés et ébranlés dans leur foi, s'il leur fallait voir les injures et les mauvais traitements qu'il était destiné à subir de la part des Juifs. Ils ne pouvaient se faire une idée de cela et ils lui demandèrent aussi une fois comment il se faisait que tant de méchants prospérassent pendant que beaucoup de gens de bien avaient tant à souffrir. Il leur dit alors que ceux qui trouveraient leurs satisfactions ici-bas auraient ailleurs un compte à rendre ; que cette vie était une vie de pénitence etc.

Ces gens savaient quelque chose d'Abraham et de David ; quand Jésus leur fit connaître sa généalogie, ils apportèrent de vieux documents où ils cherchèrent si eux-mêmes n'avaient point quelque parenté avec la race dont il était issu. C'étaient des tablettes repliées les unes sur les autres, et qu'on déployait comme des cartes d'échantillons. Ils étaient dociles comme des enfants et il n'y avait rien qu'ils ne voulussent faire. Ils savaient que la circoncision avait été prescrite à Abraham, et ils demandèrent au Seigneur si eux aussi devaient se soumettre à cette loi. Jésus leur dit que ce n'était plus nécessaire, qu'ils avaient déjà opéré la circoncision sur leurs convoitises, et qu'ils avaient encore à circoncire. Je trouvai, dans l'instruction que Jésus fit ici, des éclaircissements remarquables sur ce mystère, mais j'ai oublié tout cela.

Ils avaient également connaissance de Melchisédech et de son sacrifice de pain et de vin, et ils dirent au Seigneur qu'ils faisaient eux aussi, un sacrifice de cette espèce. C'était une cérémonie où ils offraient des petits pains et un liquide verdâtre, en prononçant quelques paroles dont le sens était à peu près celui-ci : " Quiconque me mange avec piété sera comblé de prospérités ". Jésus leur parla à ce sujet et leur dit que le sacrifice de Melchisédech était une figure prophétique du plus saint des sacrifices. et que c'était lui-même qui était offert dans ce sacrifice : il ajouta qu'ils possédaient différentes formes de la vérité, mais que toutes avaient été altérées et corrompues par l'esprit de ténèbres.

Je vis une fois, je ne me souviens plus bien si ce fut dans la nuit qui précéda l'arrivée de Jésus ou dans celle qui suivit, tous les chemins qui aboutissaient à la tente royale, éclairés jusqu'à une grande distance. On y avait planté des poteaux surmontés de globes transparents dans lesquels il y avait de la lumière, et au-dessus de chaque globe était une petite couronne qui brillait comme une étoile. Je vis aussi alors beaucoup de personnes rassemblées autour du temple et dans le temple, mais je n'y entrai pas moi-même.
La première fois que le Seigneur visita le temple, c'était pendant le jour. Les prêtres allèrent le chercher en cérémonie au château. Ils avaient des bonnets plus hauts que la première fois : à leur épaule était suspendu un cordon de petits disques d'argent, et ils portaient à l'autre bras de ces longs manipules que j'avais déjà vus. Des draperies étaient tendues au-dessus du chemin et ils marchaient pieds nus. Je vis dans les alentours du temple des femmes assises qui semblaient curieuses de voir le Seigneur. Elles avaient au-dessus d'elles de petits auvents portés sur des perches comme pour les garantir du soleil. Elles se tenaient à distance et se courbèrent jusqu'à terre devant le Seigneur.

Le temple était près d'un des côtés du château et compris dans la vaste enceinte qui avait la fontaine pour centre : c'était une pyramide quadrangulaire moins élevée que le château il y avait un étage inférieur formé par des parois verticales : des escaliers découverts couraient tout autour. La pointe était à jour. Cette pyramide était dans une cour entourée d'une galerie couverte, dont le côté fermé touchait à des passages souterrains conduisant aux sépultures des rois morts. Au milieu du temple s'élevait une colonne d'où partaient des chevrons qui aboutissaient aux quatre parois. Tout en haut était suspendue une roue avec toute espèce de figures, d'étoiles et de globes : cette roue avait son emploi dans les cérémonies religieuse.
Ils montrèrent à Jésus une représentation de la crèche qu'ils avaient faite à leur retour de Bethléhem, sur le modèle de celle qu'ils avaient vue dans les étoiles. Tout cela était en or et entouré d'une grande plaque d'or en forme d'étoile. L'enfant était assis sur une couverture rouge, dans une crèche comme celle de Bethléhem : ses petites mains étaient croisées sur sa poitrine et il était emmailloté depuis les pieds jusqu'à la poitrine. Ils y avaient même mis du foin : on voyait derrière la tète de l'enfant une espèce de guirlande blanche : je ne sais plus de quoi elle était faite. Ils montrèrent cette image à Jésus : ils n'avaient du reste aucune autre image dans leur temple. A l'une des parois était suspendu un long rouleau ou une tablette : c'était un de leurs écrits sacrés. On y voyait presque partout des espèces de figures. Il y avait aussi entre la colonne et la représentation de la crèche un petit autel avec des ouvertures sur le côté. Ils avaient encore une espèce de petit aspersoir avec de l'eau dont on aspergeait les assistants comme on le fait avec de l'eau bénite. Je vis en outre une branche bénite qui figurait dans diverses cérémonies, des petits pains ronds, un calice et, si je ne me trompe, de la chair de victime sur un plat. Ils montrèrent tout cela à Jésus : il leur donna des enseignements à ce sujet et il réfuta différentes raisons qu'ils apportèrent à l'appui de leurs pratiques.

Ils menèrent ensuite Jésus dans les tombeaux du défont roi Séir et de sa famille. C'étaient de beaux caveaux ayant leur place à part dans le passage couvert qui entourait la pyramide du temple. Les tombeaux ressemblaient à des lits de repos pratiqués dans la muraille. Les corps y étaient couchés, revêtus de longues robes blanches, sur de belles couvertures qui retombaient en dehors. Je vis leurs visages à demi enveloppés et leurs mains qui étaient nues et blanches comme la neige. Je ne sais pas s'il n'y avait plus que les os ou si elles n'étaient pas recouvertes de peau desséchée, car je vis sur les mains des sillons profonds'. Les caveaux des sépultures étaient très spacieux et il y avait un siège dans chacun. Les prêtres y apportèrent du feu et firent des encensements. Tous versaient des larmes : le vieux roi Mensor surtout pleurait comme un enfant. Jésus s'approcha du corps et parla sur la mort. Il me semble aussi qu'il toucha leurs mains et les bénit cependant je n'ai plus de souvenirs bien précis à ce sujet.

Note :
1 - Plus tard, racontant comment l'apôtre saint Thomas était venu baptiser ici, trois ans après l'ascension du Sauveur, elle dit qu'il lava avec de l'eau bénite je visage du roi Séir, mort alors depuis douze ans après en avoir retiré une espèce de masque blanc. Ce roi était le plus basané des trois, et son corps avait encore toute sa peau. Les autres corps n'étaient que des squelettes blanchis. (Note du Pèlerin)

2 - Pendant le saint temps de l'Avent, en 1820, Anne Catherine, tout en voyant et en racontant le séjour du Seigneur dans le pays des saints rois mages, avait en même temps des visions journalières touchant les mystères qui se rapportent au temps de l'Avent. Mais la richesse et la variété de ces visions lui rendait très difficile de les communiquer d'une manière suivie, et il y eut 'beaucoup de choses qu'elle ne put raconter qu'après coup et d'une manière très incomplète. (Note du Pèlerin.)


7 décembre.-- J'ai oublié de raconter que lorsque Mensor, après la réception solennelle, conduisit Jésus à son château, il le mena aussitôt près de Théokéno, le second des rois mages qui vivait encore : il était tellement affaibli par l'âge qu'il ne pouvait plus marcher. C'était celui des trois qui avait le teint le plus blanc : il habitait une chambre entourée de grillages dans la partie inférieure du château et il reposait là couché sur des coussins. Les arbustes que j'avais vus à ce rez-de-chaussée forment son jardin parce qu'il ne peut plus sortir. Tout ce que j'ai dit s'être passé dans le château eut lieu en sa présence Jésus je visitait tous les jours avec Mensor. Théokéno raconta une fois, à propos du défont roi Séir, que lorsque, selon leurs usages, ils eurent placé une branche d'arbre devant la porte de son tombeau, une colombe était venue se poser sur cette branche, qu'elle y venait encore souvent et qu'elle était maintenant très vieille.

Il demanda ce que cela signifiait. Jésus lui demanda à son tour quelle avait été la foi de Séir, et le vieil infirme répondit : " Seigneur, elle était comme la mienne. Depuis que nous avons visité le roi des Juifs et jusqu'à sa mort, son unique désir a toujours été qu'il n'y eût rien en lui qui ne fût conforme à la volonté du roi des Juifs ". Là-dessus Jésus leur expliqua que la colombe qui était venue se poser sur la branche indiquait qu'il avait été baptisé du baptême de désir. J'ai vu moi-même cette colombe.

Je vis entre le temple et la fontaine une fosse creusée en terre dans laquelle il y a toujours du feu allumé : la flamme en est blanche et ne dépasse jamais le bord de la fosse. Je n'y vis pas mettre de bois. Les prêtres apportèrent dans des tubes creux quelque chose qu'ils faisaient rouler dedans. Je crois que c'étaient des morceaux d'une matière qui leur servait à fondre l'or et qu'on tirait de la terre. Au-dessus de ce feu était souvent placé, pour le couvrir, un demi globe de métal surmonté d'une figure tenant à la main un petit étendard.

J'ai vu aussi, à peu de distance de la mine, l'endroit où on fait fondre l'or : on ne se servait pas de bois pour cela. On creusait la terre pour en retirer des morceaux d'une matière brune et jaune, longs à peu près comme la moitié du bras ; on faisait courir le métal liquide dans de longues rigoles, et on obtenait ainsi des lingots. Le feu était mêlé avec le métal et l'environnait entièrement. Il y avait beaucoup d'orfèvres et d'autres ouvriers établis sous de petites tentes dans l'enceinte extérieure.

Il y a cinq chemins partant de différents endroits qui aboutissent au centre de la ville, et il se trouve sur divers points des collines qui renferment de l'or. L'or s'y rencontre soit en petites parcelles qui ressemblent à des miettes de pain grillé et qu'on fait fondre, soit en grains et en petits morceaux qu'ils conservent dans des coffrets. Ils font des trous au haut des monticules avec des instruments à forer et quand ils rencontrent quelque chose, ils creusent des galeries sur le côté.

Je vis les femmes qui habitaient à part sous des tentes rangées en cercle hors de l'enceinte. J'en vis beaucoup travailler sur de longues bandes de tapisserie blanche qui étaient tendues comme des toiles et où elles brodaient des fleurs des deux côtés. Elles cousaient avec de longues tiges blanches crochues qui ressemblaient à des arêtes de poisson et elles y travaillaient plusieurs à la fois. J'ai vu de ces tapisseries suspendues aux parois autour des tentes.

Je vis encore aujourd'hui le Seigneur dessiner pour ces gens un agneau qui avait un petit étendard sur l'épaule et qui reposait sur un faisceau de tablettes écrites auxquelles étaient suspendus sept sceaux. Il le dessina sur une plaque, leur dit de faire faire une image sur ce modèle et de la placer en face de la crèche prés de la colonne. J'ai vu aussi qu'on fit la chose comme il l'avait dit.

Ce ne fut qu'à son arrivée que je vis Jésus manger avec les paiens et seulement du pain et quelques fruits : quand il buvait, on lui donnait un vase qui n'avait encore servi à personne.

8 décembre.-- A partir d'aujourd'hui les rois célébrèrent pendant trois jours une fête de leur religion sur laquelle j'ai appris quelque chose. C'était à cette date que, quinze ans avant la naissance du Christ, ils avaient vu l'étoile pour la première fois et y avaient aperçu l'image d'une vierge tenant d'une main un sceptre, de l'autre une balance avec un bel épi de blé dans le premier de ses plateaux et une grappe de raisin dans le second. C'est pourquoi, depuis leur retour de Bethléhem, ils célébraient cet anniversaire par une fête de trois jours en l'honneur de Jésus, de Marie et Joseph : car ils honoraient fort ce dernier qui les avait reçus d'une manière si affectueuse. Cette fois ils ne voulaient pas par humilité se livrer devant le Seigneur aux pratiques ordinaires de leur culte : ils désiraient seulement qu'il voulût bien enseigner. Mais Jésus leur dit de célébrer leur fête comme de coutume pour ne pas donner de scandale aux gens qui n'étaient pas suffisamment instruits. Je vis alors différentes choses concernant leur religion. Ils avaient trois images d'animaux qui toutefois n'étaient pas dans le temple, mais au dehors : un dragon ouvrant une gueule énorme, un chien dont la tête était très grosse, et un oiseau à longues jambes et à long cou, assez semblable à une cigogne, mais avec un bec un peu recourbé. Je ne crois pas qu'ils adorassent ces images comme des divinités : j'entendis dire qu'elles représentaient seulement certaines idées. Le dragon figurait la nature mauvaise et ténébreuse qu'il fallait faire mourir. Le chien, outre qu'il représentait un certain astre, était un emblème de la fidélité, de la reconnaissance et de la vigilance : l'oiseau était celui de la piété filiale. Je ne puis pourtant pas dire ce qui en était réellement, ni s'il en avait toujours été ainsi : il y avait là des symboles d'un sens profond que je compris bien alors, mais que je ne puis plus expliquer clairement. Je sais seulement que ce n'était pas aussi répréhensible que l'idolâtrie et qu'il n'y avait là aucune de ses abominations, mais au contraire bien des pensées marquées au coin de la sagesse et de l'humilité et inspirées par la contemplation des merveilles de Dieu. Ces figures d'animaux n'étaient pas en or, elles étaient d'une couleur plus foncée que celle de l'or et peut-être faites avec ce dont ils se servaient pour fondre ce métal ou avec ce qui restait après la fusion Sous l'image du dragon je lus cinq lettres AASCC ou ASCAS ; je ne me souviens plus bien dans que ordre elles étaient tracées. Le chien s'appelait Sur : je ne me rappelle plus le nom de l'oiseau.

Les quatre prêtres enseignèrent autour du temple, dans quatre endroits différents, en présence des hommes, des femmes, des jeunes filles et des jeunes gens. Je vis qu'ils ouvraient la gueule du dragon en disant : " Si cet animal si hideux et si terrible était vivant et s'il voulait nous dévorer, qui pourrait nous secourir sinon le Dieu tout-puissant " ? Ce Dieu, ils le désignaient aussi par un nom particulier.

Je les vis ensuite faire descendre la roue que j'avais vue récemment suspendue dans le temple en haut d'une colonne et la placer sur l'autel dans une rainure où un prêtre la fit tourner. Il y avait plusieurs cercles les uns dans les autres et des globes d'or creux qui brillaient et résonnaient en tournant. J'appris qu'elle était destinée à indiquer le cours des astres. Ils chantaient en même temps des paroles dont le sens était : " Que deviendrions si Dieu ne faisait pas tourner les astres " ?

Apres cela ils présentèrent encore de l'encens à l'enfant Jésus en or qui était dans la crèche. Il me sembla aussi qu'ils brûlaient de petits ossements. Jésus leur dit qu'à l'avenir il faudrait ôter de là les figures d'animaux et prêcher sur la miséricorde, l'amour du prochain et là rédemption : que du reste ils devaient admirer Dieu dans ses créatures lui rendre grâce et n'adorer que lui seul. Comme le sabbat commençait dans la soirée Jésus se retira à part avec ses disciples et pria.

Le soir Anne-Catherine tomba évanouie, épuisée qu'elle était par une maladie douloureuse et par des travaux à l'aiguille pour les pauvres malades qu'elle avait faits à grand-peine malgré cela. Son cou et ses mains avaient une chaleur fébrile et elle souffrait de violentes douleurs à la tête. Au bout de quelques minutes elle étendit les mains comme pour prendre quelque chose qu'on lui donnait, se retourna et dit en s'éveillant à demi : "  Lorsque je me suis retournée il avait disparu. Un des rois est venu avec un bouquet de myrte et a voulu alléger mes maux de tête ". Après cela, elle dit ce qui suit sur l'origine des rois mages, mais d'une manière peu suivie et avec des interruptions fréquentes.

Le vieux roi au teint d'un beau jaunâtre qui s'est conservé en bonne santé s'appelle Mensor. C'est lui qui a offert de l'or à la crèche. Il avait plusieurs belles cassettes pleines de petits grains d'or. Il était plein de droiture et pur comme de l'or. Il s'était agenouillé le premier devant l'enfant Jésus. Je crois qu'il fut fait prêtre, lorsque, trois ans après l'Ascension du Christ Thomas vint baptiser lui et les siens et qu'ils quittèrent leur demeure, divisés en plusieurs troupes. Ils allèrent en Crête et habitèrent dans les environs de la ville natale de Saturnin un endroit où ont aussi résidé Denis l'Aréopagite et Carpus : on voit d'un côté la mer de l'autre de belles plaines et plus loin un pays désert. Beaucoup d'entre eux se dispersèrent en différents lieux : d'autres suivirent les apôtres en qualité de disciples.

Les trois rois mages appartenaient à trois tribus différentes. L'une de ces tribus descendait de Cetura seconde femme d'Abraham, l'autre de gens qui avaient adoré le veau d'or et s'étaient séparés de Moïse et d'Aaron lorsque Moïse dans sa colère brisa les tables de la loi. Le troisième roi descend de Job, je crois que c'est le roi Mensor.

Job vivait avant l'établissement de la circoncision était plus ancien qu'Abraham. C'était un homme juste : son histoire réelle diffère sur quelques points de celle que nous lisons dans l'Écriture : mais celle-ci est approuvée et elle a été inspirée par le Saint Esprit. C'est une figure prophétique de l'Église.- Ici Anne-Catherine cita plusieurs traits de l'histoire de Job dont elle fit de très belles applications aux destinées de l'Église : elle mentionna spécialement ce qui est dit des amis du patriarche de ses filles et du fumier sur lequel il était assis.

L'animal appelé Léviathan signifie le mal le péché le démon. Chaque péché a une forme d'animal qui lui correspond : le moindre péché véniel a une affreuse forme d'animal que je vois souvent se tenant près des personnes ou attachée à leurs habits ; je la vois aussi souvent près de moi et on ne peut rien imaginer d'aussi hideux.

9 décembre.-- Le vendredi soir, je vis Jésus se retirer seul avec les trois jeunes gens dans une chambre du château pour y célébrer le sabbat. Ils avaient avec eux de longs vêtements blancs qui ressemblaient presque à des linceuls et dont ils se revêtirent une ceinture où étaient brodées des lettres et une bande d'étoffe assez semblable à une étole, croisée sur la poitrine. Ils dressèrent un petit autel ou une table sur laquelle ils étendirent une couverture rouge et blanche : il y avait dessus une lampe qu'ils avaient apprêtée et un vase plein d'huile avec sept mèches allumées Jésus se tenait au milieu, un disciple à droite, un autre à gauche et le troisième derrière lui : ce fut ainsi qu'ils prièrent. Je vis avec étonnement qu'ils ne laissaient entrer aucun paien.

Les païens passèrent toute la journée autour du temple près de leurs figures d'animaux et on enseigna les hommes, les femmes, les jeunes gens et les jeunes filles, chaque catégorie dans une enceinte à part, entourée de degrés servant de sièges. A la clôture du sabbat, Jésus revint les trouver et je vis là un incident surprenant La figure du dragon était dans l'enceinte des femmes. Celles-ci avaient des costumes très divers ; plusieurs, spécialement les jeunes filles, portaient de longs pantalons blancs, et toutes, quand elles allaient et venaient, avaient des manteaux plus longs par derrière que par devant. Les femmes avaient près d'elles les plus petits enfants qui étaient tout nus sauf une bande d'étoffe autour des reins. D'autres femmes étaient vêtues très simplement avec des jupons et de longs manteaux. Celles-ci paraissaient d'une condition inférieure. Quelques-unes qui paraissaient les plus considérables avaient des costumes singuliers, comme celle dont je vais parler. C'était une grosse et robuste femme d'une trentaine d'années : lorsqu'elle vint, elle était enveloppée dans un long manteau qu'elle déposa pour s'asseoir. Elle avait autour des reins un jupon plissé qui descendait jusqu'aux genoux ; ses jambes étaient nues, mais entièrement entourées de rubans croisés auxquels étaient attachées les sandales. Le haut du corps jusqu'au cou était couvert d'un justaucorps très juste, chamarré de chaînes brillantes et d'ornements de toute espèce. A ses épaules pendaient des morceaux d'étoffe, formant comme des demi manches ouvertes et allant jusqu'à la moitié de l'avant-bras : le reste du bras était, comme les jambes, enveloppé de rubans et de bracelets. Elle était coiffée d'un bonnet fait avec des guirlandes de plumes crépues qui descendait jusqu'aux veux et encadrait les joues et le menton : le haut de la tête était couvert d'un bourrelet élevé allant de l'avant a l'arrière et à travers lequel on voyait sa chevelure tressée et soigneusement arrangée. Ses oreilles étaient visibles ; de longues pendeloques y étaient attachées et descendaient jusque sur la poitrine qui était couverte d'ornements du même genre.
Avant que le prêtre commençât son instruction, plusieurs femmes allèrent devant le dragon, se prosternèrent et baisèrent la terre : cette femme le fit avec une dévotion et une ardeur toutes particulières. Mais Jésus entra dans le cercle et lui demanda pourquoi elle faisait cela : je vis alors que, parlant de sa vénération pour le dieu, elle dit qu'il la réveillait tous les matins ; alors, elle se levait, se prosternait devant sa couche, tournée vers l'endroit où était le dragon, et l'adorait. Je vis aussi dans une vision comment tout cela se passait. Alors Jésus lui dit : "Pourquoi vous prosternez-vous devant Satan ? Satan a pris possession de votre foi. Il est vrai que vous êtes réveillée, mais ce n'est pas Satan, c'est l'ange qui devrait vous réveiller. Voyez qui vous adorez " ! Au même instant elle vit près d'elle, et tous les assistants la virent aussi, une longue figure de couleur roussâtre, comme le poil du renard, avec un visage pointu tellement hideux qu'elle fut saisie d'horreur. Jésus le montra du doigt et dit : " Voilà celui qui vous a réveillée. Mais chaque homme a aussi un bon ange : prosternez-vous devant lui et suivez ses conseils ".

Alors tous virent près d'elle une belle figure lumineuse devant laquelle elle se prosterna toute bouleversée. J'avais vu le bon ange se tenir derrière elle lorsque Satan était à ses côtés, maintenant Satan s'étant retiré, l'ange prit sa place. Alors cette femme revint à son siège, profondément émue. J'ai su quel était son nom : elle est devenue plus tard une sainte martyre que nous honorons encore. Je pense que j'entendrai de nouveau prononcer son nom.

Note : Elle l'appela plus tard Cuppès, et vit que trois ans après l'Ascension du Christ, elle fut baptisée par saint Thomas et reçut le nom de Séréna, sous lequel elle fut martyrisée dans la suite.

Le Seigneur dit encore beaucoup de choses : puis il enseigna aussi près de la figure d'oiseau autour de laquelle se tenaient les jeunes filles et les jeunes gens. Il donna des avis sur la mesure à garder dans l'amour qu'on porte, soit aux personnes, soit aux animaux : car il y avait ici des gens qui avaient pour leurs parents une espèce d'adoration, et d'autres qui se montraient plus tendres envers les bêtes qu'envers leurs semblables.

10 décembre.-- Jésus voulut aujourd'hui donner dans le temple une instruction aux prêtres, aux rois et à tout le peuple qui les entourait. Afin que le vieux roi infirme Théokéno pût aussi l'entendre, Jésus se rendit près de lui avec Mensor, lui ordonna de se lever et de venir avec lui. Il le prit par la main : Théokéno plein de foi se leva et se trouva en état de marcher. Jésus le conduisit au temple. Il put s'y rendre facilement. C'était celui des trois rois qui avait le teint le plus blanc.

Jésus fit ouvrir les portes du temple en sorte que tous ceux qui se tenaient à l'entour passent le voir et l'entendre. Il enseigna tantôt dans le temple, tantôt autour du temple, les hommes, les femmes, les jeunes filles, les jeunes gens et les enfants. Il raconta plusieurs des paraboles qu'il avait racontées aux Juifs. Les auditeurs purent l'interrompre et l'interroger ; car il le leur avait prescrit. Plusieurs fois aussi il interpella quelqu'un de ses auditeurs, l'engageant à exposer ouvertement ses doutes en présence de tous, car il savait ce que chacun avait dans l'esprit. Ils demandèrent entre autres choses pourquoi il ne ressuscitait pas de morts et ne guérissait pas de malades chez eux, quoique le roi des Juifs l'eût fait souvent. Je ne me souviens plus de tout ce qu'il leur répondit : mais il dit entre autres choses qu'il ne faisait pas cela chez les païens ; il ajouta pourtant qu'il leur enverrait des hommes qui feraient beaucoup de prodiges parmi eux. Il parla aussi de la purification par le baptême sur laquelle ces envoyés dont il avait parlé les instruiraient : en attendant ils devaient avoir foi en ses paroles.

Jésus enseigna ensuite en particulier les prêtres et les rois : il leur dit que tout ce qui, dans leurs doctrines religieuses, avait quelque apparence de vérité, se bornait à des formes vides remplies par Satan et par conséquent mensongères : car quand le bon ange se retire, Satan s'introduit et corrompt le culte dont il prend possession. Antérieurement ils avaient honoré tous les objets auxquels ils pouvaient rattacher la pensée d'une force quelconque ; à leur retour de Bethléhem ils avaient laissé de côté plusieurs de leurs pratiques : toutefois il en était encore resté beaucoup.

Il leur dit qu'il fallait détruire les idoles d'animaux, les faire fondre et donner les matériaux de quelque valeur à des gens qu'il leur indiqua. Tout leur culte et toute leur science n'étaient qu'un pur néant : ils devaient renoncer à ces idoles, enseigner la charité et la miséricorde et remercier le Père qui est au ciel de la grande bonté qu'il avait eue de les appeler à la connaissance de la vérité. Du reste, il voulait leur envoyer quelqu'un qui leur donnerait les enseignements dont ils avaient encore besoin.

Il leur prescrivit aussi de laisser de côté la roue étoilée. Cette roue était à peu près grande comme la roue d'un chariot ordinaire. Elle avait sept jantes auxquelles étaient attachés en haut et en bas différents globes avec des rayons. Au centre était un globe plus grand représentant la terre : le long de la circonférence étaient disposées douze étoiles dans lesquelles étaient autant de figures remarquables par la richesse et l'éclat des matériaux. J'y vis entre autres l'image d'une vierge dont les yeux et la bouche scintillaient et qui avait des pierres précieuses sur le front. J'y vis aussi l'image d'un animal qui avait dans la bouche quelque chose de singulièrement éclatant. Je n'ai pas bien distingué tout cela parce que la roue était toujours en mouvement. Je vis aussi que toutes les figures n'étaient pas toujours visibles en même temps, mais qu'on en cachait parfois quelques-unes.

Jésus leur laissa du pain et du vin bénits, qu'il bénit lui-même pour eux. Les prêtres, sur son ordre, firent cuire des pains très blancs et très minces qui ressemblaient à de petits gâteaux. Je vis aussi un petit vase plein d'un liquide rouge (je ne sais pas si c'était du vin ou du baume). Le Seigneur se fit apporter une boîte où tout cela devait être conservé. Jésus la plaça sur le petit autel des sacrifices, pria et bénit l'assistance, puis il imposa les mains sur les épaules de quatre prêtres et sur celles des rois Mensor et Théokéno. Il les fit ensuite s'agenouiller devant lui, les mains croisées sur la poitrine et il pria sur eux. Il bénit le pain et le liquide et leur dit d'en faire usage pour la première fois à Noël, et après cela trois fois dans l'année, ou peut-être tous les trois mois : je ne m'en souviens plus bien. Je me rappelais encore, il y a peu de temps, les paroles que Jésus prononça dans cette circonstance, mais je les ai oubliées. Ils lui demandèrent ce qu'ils auraient à faire quand il n'en resterait plus suffisamment : il leur dit qu'alors il faudrait distribuer des parcelles de plus en plus petites. Lui-même coupa le pain en forme de croix. Il leur enseigna ensuite comment ils devraient le renouveler : il leur dit comment ils devaient le bénir et de quelles paroles ils devaient se servir. Précédemment ils avaient encore interrogé le Seigneur touchant le sacrifice de Melchisédech, dont ils avaient quelque connaissance et dont lui-même avait parlé récemment. Il leur fit aussi pressentir quelque chose relativement à sa Passion et à la sainte Cène. Ce pain qu'il avait bénit pour eux devait être un pain d'oblation, une figure prophétique de la Cène : mais ils n'en firent pas encore usage aujourd'hui : ils devaient commencer seulement à Noël. Le vase avait la forme d'un grand mortier ; il y avait un couvercle avec un bouton. Il s'y trouvait deux compartiments ; au-dessus était le pain : au-dessous il y avait une petite porte derrière laquelle était le vase contenant le liquide rouge. Il avait deux anses. Il rappelait un peu le calice de la Cène, mais il n'avait pas de pied. Le Seigneur leur en donna le modèle pour qu'ils le portassent à un orfèvre ; à l'extérieur il avait un beau reflet argenté comme celui du vif-argent, à l'intérieur il était jeune.

J'ai vu une fois ici un grand repas donné lors de l'arrivée de Jésus qui raconta et expliqua des paraboles où il était question de festins. Plus d'une fois je le vis enseigner des journées entières, pendant lesquelles il ne prit que rarement un peu de nourriture.

Le soir du 10 décembre, Anne-Catherine était à peine entrée en extase que le Pèlerin lui demanda le nom de la prêtresse des idoles. Elle répondit : " Attendez " ! comme si elle eût voulu se retourner, puis au bout de quelques instants elle reprit : " Elle n'est pas là en ce moment. Jésus enseigne encore les prêtres en particulier, les femmes ne sont pas là : elles sont toujours éloignées. Je retrouverai bien le nom. Jésus parle maintenant de l'aveuglement des paiens ".

I l décembre.-- Aujourd'hui j'ai vu en plein jour Jésus enseigner dans le temple où tout le peuple était assemblé. Tantôt il sortait, tantôt il rentrait et il faisait venir successivement près de lui une troupe après l'autre. Il avait fait venir aussi toutes les femmes et tous les enfants, et il dit à ses auditeurs comment ils devaient élever les enfants et leur apprendre à prier. C'est alors que j'ai vu ici pour la première fois des enfants réunis en grand nombre. Les petits garçons étaient nus à l'exception d'une ceinture autour des reins : les filles avaient de petits manteaux.

Je vis aussi de nouveau cette femme à laquelle le Seigneur avait reproché son idolâtrie. C'était une femme de distinction : son mari qui était un grand et gros homme, était près du roi Mensor. Elle avait auprès d'elle une dizaine d'enfants dont aucun n'était en bas âge. Je ne puis pas croire que tous lui appartinssent. Jésus bénit la plupart de ces enfants en leur mettant la main sur les épaules, et non sur la tête, comme il faisait aux enfants en Judée.

Il enseigna encore dans le temple sur toute sa mission, et sur sa fin prochaine. Il dit que son séjour ici était un secret pour les Juifs ; qu'il s'était fait accompagner par des enfants qui ne se scandalisaient pas de tout ce qu'ils voyaient et qui obéissaient ; que les Juifs l'auraient fait mourir s'il ne s'était pas échappé, etc. Il leur dit encore qu'il avait voulu leur rendre visite parce qu'ils étaient venus je visiter eux-mêmes, parce qu'ils avaient cru, espéré et aimé. Il les exhorta à remercier Dieu de ne les avoir pas laissé tomber entièrement dans l'aveuglement de l'idolâtrie et de la grâce qu'il leur faisait d'une foi sincère qui leur ferait garder ses préceptes. Si je ne me trompe, il leur parla aussi de l'époque de son retour au Père céleste et de celle où ses envoyés viendraient les trouver. Il leur dit encore qu'il allait en Egypte où il avait résidé tout enfant avec sa mère, parce qu'il y avait là des gens qui l'avaient reconnu pendant son enfance. Il devait y rester tout à fait inconnu parce qu'il se trouvait là des Juifs qui paraissaient vouloir se saisir de lui et le livrer : toutefois son temps n'était pas encore venu.

Ils ne pouvaient pas comprendre qu'il prît toutes ce précautions humaines et ils se disaient naïvement : " Qui donc pourrait le traiter ainsi, lui qui certainement est Dieu ". Là-dessus il leur répondit qu'il était homme aussi, que le Père l'avait envoyé pour ramener ceux qu'étaient dispersés et égarés, qu'en qualité d'homme, pouvait souffrir dans son corps de la part des hommes quand son temps serait venu : enfin c'était parce qu'il était homme, qu'il pouvait avoir des rapports si intimes avec eux.

Il les exhorta de nouveau à abandonner toute pratique idolâtrique et à s'aimer les uns les autres : puis après avoir parlé de sa Passion, il en vint à leur expliquer comment on était véritablement compatissant : il leur dit qu'ils devaient cesser de donner des soins exagérés aux animaux malades, qu'il fallait appliquer cette charité aux hommes qui souffraient dans leur corps ou dans leur âme, chercher au loin les nécessiteux quand ils n'en avaient pas dans leur voisinage, et prier pour tous leurs frères dans la détresse. Il dit encore que ce qu'ils feraient aux nécessiteux, c'était à lui-même qu'ils le feraient : du reste ils ne devaient pas maltraiter les animaux. Ces gens avaient ici des tentes remplies de toutes sortes d'animaux malades, rangés les uns auprès des autres dans de petites couches ; ils aimaient surtout beaucoup les chiens ; il y en avait ici de très grands avec de grosses têtes.

Jésus enseignait déjà depuis très longtemps lorsque je vis arriver une caravane de chameaux qui s'arrêta à quelque distance : alors un vieillard, chef d'une tribu étrangère, mit pied à terre et s'approcha avec un vieux serviteur pour lequel il avait une grande déférence. Ils s'arrêtèrent à une certaine distance. Personne ne s'occupa d'eux jusqu'à ce que l'instruction du Seigneur fût terminée et que celui-ci fût allé à la tente avec ses disciples pour prendre un peu de nourriture. Alors on reçut le chef étranger et on lui assigna une tente. Il alla voir les prêtres avec son vieux serviteur et dit qu'il ne pouvait croire que Jésus fût le roi promis aux Juifs : il en usait trop familièrement avec eux pour que cela fût possible. Les Juifs, il le savait de science certaine, avaient une arche dans laquelle était leur Dieu dont personne ne pouvait approcher ; celui-ci ne pouvait donc être leur Dieu. Son vieux serviteur aussi dit, à propos de Marie, des choses qui prouvaient son ignorance : pourtant l'un et l'autre étaient vraiment des gens de bien. Ce roi avait, lui aussi, vu l'étoile, mais il ne l'avait pas suivie : il parla beaucoup de ses dieux dont il faisait grand état, dit qu'il avait fort à se louer de leur bonté et qu'il leur était redevable de toute sorte de biens. Il mentionna, entre autres choses, une guerre qu'il avait eue à soutenir récemment : ses dieux alors l'avaient secouru et son vieux serviteur lui avait porté certains renseignements très utiles. J'ai malheureusement oublié les détails. Ce roi avait le teint plus blanc que Mensor, son vêtement était plus court et le turban dont il était coiffé moins épais. Il était très attaché à ses dieux, il en emmenait même un avec lui sur un chameau : c'était une idole qui avait plusieurs bras et dans le corps un grand nombre de trous où l'on pouvait mettre des offrandes. Il avait avec lui des femmes et en tout une trentaine de personnes. Lui-même était plein de simplicité : il avait la plus haute estime pour le vieillard qu'il avait avec lui, il l'honorait même comme un prophète. Ce devait être une espèce de devin, car il avait poussé son maître à ce voyage pour lui montrer le plus grand de tous les dieux : cependant Jésus ne parut pas répondre à son attente. Ce que le Seigneur avait dit de la compassion et de la bienfaisance lui plut beaucoup car il était lui-même très bienfaisant, et il dit qu'il regardait comme très coupable d'oublier les hommes pour les animaux. On lui donna plus tard un repas auquel Jésus n'assista pas. Du reste je ne vis pas le Seigneur s'entretenir avec lui.

Dans la soirée et dans la nuit, je vis encore le Seigneur enseigner dans le temple et alentour. Tout était illuminé et il y avait dans le temple une profusion de lumières extraordinaire. Tous les habitants du pays étaient rassemblés : il y en avait de tout âge et de tout sexe. Ils avaient fait disparaître les idoles aussitôt après sa première injonction à ce sujet. Mais je vis dans le temple quelque chose que je n'avais pas encore vu, peut-être parce que je ne m'y étais pas encore trouvée pendant la nuit. On voyait tout au haut un ciel étoilé très lumineux où se réfléchissaient une quantité de petits jardins, de petites pièces d'eau et de petits arbres qui étaient placés dans le haut du temple et garnis de lumières. C'était admirable à voir : je ne sais pas comment on s'y prenait pour disposer ainsi tout cela.

FIN DU CINQUIEME VOLUME