LIVRE PREMIER

 

Chapitre 1

 

Vocation de Catherine et histoire de son temps

 

Dans le cadre de vie d'une pauvre fille Westphalienne, morte en 1824, Dieu nous a présenté un monde spirituel et intérieur, qui est une merveille de bénédictions célestes. Fille de pauvres paysans, Anne-Catherine Emmerich resta humble servante jusqu'à l'âge de vingt-huit ans, vécut alors neuf ans dans la solitude en qualité de religieuse, et lorsqu'au bout de ce temps, le couvent fut dispersé, elle passa dans le monde douze ans, malade et recluse dans sa petite et modeste chambre, où la Providence, si incompréhensible dans ses voies, fit d'elle un instrument de ses desseins tout particuliers.

 

Nous voyons dans l'Ancien Testament, que quand les Israélites abandonnaient Dieu, celui-ci ému de pitié pour son peuple choisi, lui envoyait ses prophètes. Par la prédication des commandements divins, par les miracles et les prophéties, par les menaces de la colère divine, enfin par l'exemple de leur vie pieuse, les prophètes devaient détourner le peuple de la voie du péché. D'une manière semblable, Dieu a souvent donné à son Eglise les mêmes preuves de sa sagesse miséricordieuse, pour la protéger dans des temps troublés et difficiles contre ses ennemis intérieurs et extérieurs. Il lui suscitait alors des hommes remarquables par leur sainteté ou leur martyre, dont les vertus devaient être un exemple pour tous ; ou il les distinguait par une science et des dons surnaturels, pour donner aux âmes égarées un guide et un signe d'en Haut ; enfin par la puissance de leurs prières et par l'offrande de leurs souffrances, il les constituait médiateurs de ses grâces et de ses consolations auprès des pécheurs.

 

Lorsque vers 400 après Jésus-Christ, le vieux paganisme avec son faste et ses faux dieux, périt en même temps que son appui, le grand empire romain, et que des peuples entiers émigraient et changeaient de patrie, Dieu fit paraître à cette époque critique le plus grand de tous les docteurs de l'Eglise, saint Augustin l'illustre auteur de la Cité de Dieu. Il devint pour les peuples anciens et modernes une lumière brillante du christianisme ; il anéantit un grand nombre d'hérésies par la perspicacité de ses raisonnements ; il jeta enfin, en fondant un ordre religieux, les premières bases d'une perfection chrétienne, qui fortifiera les siècles à venir.

 

Au treizième siècle nous voyons apparaître une fille spirituelle de saint Augustin, à une semblable époque : Claire de Montefalco possédait les capacités les plus éminentes ; avec ses qualités célestes et son talent scrutateur des esprits, elle fut opposée par la Providence aux sectes de son temps, pour démasquer leur hypocrisie et leurs fourberies infernales. - On pourrait encore citer ici maints exemples de cette sorte dans l'histoire de l'Eglise.

 

Ce fut de même à une vocation si éminente, que Catherine Emmerich, religieuse de l'Ordre de saint Augustin et soeur spirituelle de Claire de Montefalco, fut prédestinée. Elle vécut de 1774 à 1824. A cette époque, un grand bouleversement s'opéra au sein des Etats et de l'Eglise, dans une grande partie de l'Europe. Une ère nouvelle commença; l'Eglise remplie de pompe et de faste, mais d'un esprit inactif, devait périr, afin de faire germer dans une Eglise pauvre et opprimée, l'esprit vivifiant et la force nouvelle d'une foi rajeunie.

 

Durant cette crise importante, Catherine reçut de Dieu la mission de devenir par ses douleurs et par les grâces extraordinaires dont Dieu l'avait comblée, l'aide et la sauvegarde d'un siècle déchu. Dieu se servit de cette chétive personne, inconnue du monde, pour révéler au milieu des erreurs de ce temps, sa sagesse et sa vérité divines : il daigna agréer les sacrifices de sa pénitence aussi innocente que douloureuse, en réparation des outrages faits alors à son Eglise.

 

Elle est la dernière fleur, mais combien ravissante, de la vie religieuse alors sur le déclin ; par le mérite dû à ses souffrances profondes, elle fut pour sa patrie, la base d'une résurrection future de la sublime vie religieuse et de l'esprit ecclésiastique en général. C'est seulement dans cette noble vocation pour l'Eglise, que l'on comprend et que l'on sait apprécier d'après sa juste valeur, la vie incomparablement miraculeuse de Catherine : c'est pourquoi nous devons tracer en premier lieu un résumé de l'histoire de son temps. Ce tableau historique nous aidera à mieux comprendre les circonstances extérieures et intérieures de la vie de notre héroïne.

 

Elle fut pour son époque une Debora avec des dons prophétiques, une Judith d'une force rédemptrice, suscitée parmi nous par la Miséricorde et la Providence de Dieu, grâce qui nous impose la reconnaissance envers Dieu et une vénération profonde pour celle qui a accompli la volonté divine de la manière la plus parfaite.

Considérons donc brièvement l'époque dans laquelle elle vécut:

Si dans le Kulturkampf, à peine éteint aujourd'hui, l'Eglise d'Allemagne avait déjà à supporter un rude combat contre des ennemis extérieurs, elle a passé néanmoins un temps bien plus dangereux vers la fin du dix-huitième et le commencement du dix-neuvième siècle, quand le mal dont elle souffrait, provenait de ses propres membres. En conséquence de la fausse philosophie du dix-huitième siècle, la croyance et la vie chrétienne avaient fait des pertes déplorables en France et en Allemagne. Non seulement parmi les incrédules, mais aussi parmi les membres de l'Eglise même, la foi en Jésus-Christ put paraître comme quelque chose d'absurde et contraire à la raison. Annihiler les Saintes Ecritures, enlever aux sacrements tout respect, tourner en ridicule les fêtes et cérémonies religieuses, ce fut là le programme de cette époque. Les prêtres eux-mêmes et des ordres religieux entiers vivaient dans une indifférence profonde. Tout esprit religieux semblait disparu et la franc-maçonnerie répandait ses fausses lumières de civilisation et de philanthropie dans toutes les classes de la société. De même qu'en France, le Gallicanisme, ainsi en Allemagne le Joséphisme et le Fébrionisme firent naître à ce temps l'idée de soustraire, dans les différents pays, l'Eglise à l'autorité du Pape et de fonder des Eglises nationales sous le protectorat des évêques ou des princes. Sous ce rapport l'empereur François-Joseph corrompit totalement l’Eglise d'Autriche. Les princes évêques dans les autres parties de l’Allemagne, pénétrés de l'esprit mondain, donnèrent leur consentement à cette conduite honteuse : le traité infâme que conclurent les trois électeurs de Cologne, de Trèves et de Mayence en 1784 à Ems, contre le Pape, en est une triste preuve.

 

C'est alors qu'éclata la révolution française avec ses horreurs et ses conséquences funestes : elle fit périr totalement l'Eglise de France durant douze ans (1789-1801). Cependant Dieu se servit du conquérant Napoléon pour châtier les Allemands et les autres peuples, en leur montrant ce qu'ils étaient sans Dieu et sans la sainte Eglise. Six ans plus tard, les fiers auteurs du traité d'Ems, furent privés de leur magnificence mondaine et même de leur pouvoir spirituel ; en 1792 leurs diocèses devinrent territoire français. Comme les évêques en France, en Allemagne et même en Italie se flattaient de l'idée illusoire de pouvoir gouverner l'Eglise sans Pape, Dieu leur fit reconnaître par l'exil des deux pontifes Pie VI et Pie VII, que toute bénédiction manquait à l'Eglise sans Pape libre, et que sans lui, la discipline ecclésiastique disparaissait inévitablement. En 1798 Napoléon prit Rome et bannit Pie VI à Valence, où il mourut le 29 août 1799. Six mois plus tard Pie VII fut élu à Venise, pour subir le même sort sous la violence de Bonaparte, et pour être éloigné pour quelque temps du gouvernement de l'Eglise. -

Après que Napoléon eut porté la guerre dans notre patrie (1792- 1801), tous les évêchés allemands, exceptés ceux d'Autriche, furent privés de leur pouvoir séculier par suite du traité de Lunéville ; les ordres religieux furent dissous et tous les biens de l'Eglise donnés à des souverains protestants. Les bouleversements extérieurs et intérieurs arrivant à leur apogée, produisirent la dislocation de l'empire Allemand sous son dernier empereur François II (1806). De vieilles institutions, fondées par la foi chrétienne furent renversées et ainsi l'Eglise de notre patrie, manquant à l'intérieur de la vie de foi et méprisée par ses enfants mêmes, fut tout à coup dénuée à l'extérieur de tous ses ornements, de tout bien et de toute liberté, pour voir résulter de ces débris un esprit nouveau.

 

En 1809 Pie VII fut emprisonné à Savone par Napoléon, contre lequel il avait fulminé l'excommunication à cause de ses prétentions injustes : l'année suivante le patrimoine de saint Pierre fut incorporé à l'empire français. Napoléon outragea et humilia le Souverain Pontife ; il tâcha de séparer de lui les cardinaux et convoqua en 1811, tous les évêques de son vaste empire à Paris, pour régler dans un concile les affaires d'une Eglise sans Pape. Le suffragant du diocèse de Munster cependant, Mgr Gaspar-Maximilien, le baron de Droste Vischering, déclara avec une noble franchise à l'empereur que, sans approbation du Pape, leurs déterminations seraient anticanoniques et nulles.

En 1812, Napoléon fit conduire Pie VII à son château à Fontainebleau, pour le forcer par un empoisonnement rigoureux, à conclure avec lui un concordat contre l'Eglise. Pendant qu'il humiliait ainsi le Souverain Pontife de la manière la plus indigne, Dieu lui fit subir un châtiment terrible dans la malheureuse campagne de Moscou (1812) et la bataille de Leipzig en 1813. Par un retour des choses d'ici-bas, il fut forcé, vaincu par les alliés, de souscrire dans ce même château de Fontainebleau son abdication à l'empire. Il fut exilé à l'île d'Elbe, tandis qu'au mois suivant, le 24 mai 1814, Pie VII faisait son entrée à Rome pour reprendre les rênes du gouvernement de l’Eglise.

 

C'était la mission ardue de Pie VII de fonder, après ces désordres, des institutions toutes nouvelles dans les différents pays. Le pouvoir spirituel alors existant avait été fondé, en grande partie, sans l'intervention du Pape, et dans plusieurs puys, des princes protestants avaient usurpé la domination sur les peuples catholiques. Les évêchés de la Westphalie et de la Prusse Rhénane furent assignés à la couronne de Prusse, ainsi que les biens ecclésiastiques dans les provinces de l'Est. A la réorganisation des fonctionnaires de l’Etat, le gouvernement prussien reconnut la nécessité absolue du rétablissement du pouvoir spirituel dans les pays catholiques. Durant le règne de Napoléon, les sièges épiscopaux étaient restés inoccupés après la mort des évêques. Des vicaires généraux administraient les diocèses tant bien que mal. Les sièges de Munster, de Trèves, de Breslau et de Culm étaient vacants, et par suite du pillage des biens ecclésiastiques, aucun diocèse n'était en état de pourvoir aux besoins des évêques ou de régler l’administration intérieure.

Les mêmes circonstances se montrèrent dans l'Allemagne méridionale. Des princes protestants avaient pris possession des évêchés de Constance et de Mayence, d'une partie de Würzburg et de l'abbaye de Fulda. Ici de même les sièges étaient vacants, l'ordre totalement détruit. Au surplus, dans ces contrées l'esprit antireligieux avait, plus qu'au Nord, ébranlé la foi du peuple, perverti les moeurs du clergé et aboli les droits publics de l'Eglise.

 

En 1816 la Prusse envoya le conseiller Niebuhr à Rome pour traiter avec le Pape. Mais ce ne fut qu'en 1821 qu'il reçut les instructions nécessaires pour poser un acte définitif. Au mois de juillet 1821, Pie VII promulga la bulle De SaLute animarum, qui depuis lors forme en Prusse, la base de l’organisation de l'Eglise. L'occupation complète des sièges épiscopaux fut retardée encore jusqu'en 1825.

Malgré ce Concordat avec le Souverain Pontife, le gouvernement prussien agit néanmoins comme puissance indépendante dans les pays catholiques. Il fit valoir son influence protestante dans tous les degrés de l'enseignement public depuis l'université jusque dans l'école primaire. Il mit entre les mains des protestants toutes les fonctions supérieures et la plupart des emplois inférieurs. On chercha à obtenir de vive force, que dans les mariages mixtes, les fils embrassassent la religion du père, tandis que les filles fussent élevées dans la croyance de la mère. D'après l'opinion protestante, l’administration et le gouvernement de l'Eglise catholique devaient dépendre en général du ministre et du gouverneur. Le gouvernement, enfin, protégea l'indifférence en matière de religion, qui régnait alors, contre l'influence de la foi chrétienne.

Les princes protestants voulaient encore donner moins de liberté au Saint Père dans la nomination des évêques et l'administration des diocèses, dans les Etats méridionaux : ils s'opposèrent même à la liberté du culte parmi leurs sujets catholiques.

 

Pie VII, en un mot, eut à subir le plus grand chagrin et à surmonter les plus grandes difficultés, pour régler avec les princes protestants les nouvelles affaires de l'Eglise d'Allemagne. Outre les principes protestants en effet, les vues franc-maçonniques dominaient alors toute la société : elles avaient même fait des prosélytes parmi les conseillers du Pape. Et si de l'indifférence religieuse, un esprit nouveau ne se fut développé peu à peu, notre patrie se serait trouvée encore devant cette alternative : ou bien adopter le protestantisme, ou bien demeurer inébranlablement fidèle à sa sainte croyance d'autrefois. Ce nouvel esprit catholique commença à se développer après les vingt-cinq premières années du dix-neuvième siècle. Son premier défenseur fut l'évêque de Cologne, Clément-Auguste : cet homme envoyé par la Providence et pénétré de la haute mission de l'Eglise, devint un confesseur intrépide de la liberté ecclésiastique en face du plus puissant des princes luthériens. Ce fut par lui que se régénéra, comme s'éveillant d'un sommeil magique, l'esprit catholique dans toute l'Allemagne et que commença à éclore un meilleur temps pour l'Eglise et son activité.

 

Chapitre 2

Catherine Enfant de Dieu

 

En 1774, le 8 septembre, naquit dans le petit village de Flamsche, à une demi-lieue de la ville de Coesfeld en Westphalie, Anna-Catharina Emmerich. C'était à ce même jour qu'autrefois la Vierge Marie, par sa naissance pleine de grâces, réjouissait ses parents et l'univers entier. De même cette enfant devait émerveiller le monde par les dons extraordinaires que le Saint-Esprit lui avait communiqués dans la régénération baptismale. Catherine fut baptisée dans l'église paroissiale de Saint Jacques, à Coesfeld, à ces antiques fonts baptismaux en style roman, que l'on voit encore aujourd'hui dans la nef gauche de ce temple.

 

La maison natale de Catherine était une misérable chaumière qui, à part quelques chambrettes, ne contenait qu'un seul appartement noirci de fumée, qui servait en même temps d'habitation, de cuisine et de grange. Des cloisons divisaient cette pièce en plusieurs sections : l'une d'elles servait de chambre à coucher aux habitants, une autre servait d'étable au bétail de l'humble ferme. Cette chaumière rappelle l'étable de Bethléem. C'est dans cette sombre cabane que Dieu fit naître une enfant brillante de vertus célestes.

 

Les parents étaient de braves chrétiens : ils s'appelaient Bernard Emmerich et Anne Hillers ; ils étaient les journaliers ou plutôt les apanagés d'un autre paysan. Ils pourvoyaient à leur subsistance par des travaux domestiques et agricoles. Cependant leur existence modeste et leurs fatigues ne faisaient pas obstacle à leur contentement et à leur bonheur de famille. Leur vie était conforme aux commandements de Dieu et aux préceptes de notre sainte Eglise ; la prière fervente, la célébration des dimanches et des fêtes, étaient les consolations

édifiantes qui accompagnaient et sanctifiaient leurs peines. Le Ciel récompensa leur piété, en leur donnant neuf enfants parmi lesquels une enfant comblée de grâces, qui devint pour eux et pour beaucoup d'autres, une bénédiction céleste.

 

C'était le temps où on ne voulait pas accepter les bienfaits de la foi et des choses divines, où on n'acceptait comme infaillibles que les arrêts de la Raison et de la Science. C'est alors que le Saint-Esprit daigna, par la bouche d'un nouveau-né, se glorifier, ce que le monde lui avait refusé jusqu'alors. Contrairement à l'expérience de chaque jour, que la raison d'un enfant ne se développe qu'avec le temps, et qu'à côté de ce développement les vertus surnaturelles acquises par le saint baptême, la foi, l'espérance et la charité deviennent efficaces, Catherine jouit de l'usage de sa pleine intelligence dès le baptême. Dans cette régénération spirituelle, le Saint-Esprit prêta à l'âme de Catherine le don de l'entendement des choses divines et de la connaissance des choses terrestres, dans leur essence intime. Devenue par le baptême, un membre vivant du grand corps spirituel de Jésus-Christ, qui se compose de toutes les âmes sauvées, du Ciel, du purgatoire et de la terre, elle sentit instinctivement tout ce qui se passait dans ce corps divin, comme nous percevons les émotions de notre corps sensible et de ses membres.

Elle vit assister à son baptême, Marie avec l'Enfant Jésus et lui fut conjointe par la transmission d'une bague. Ce miracle était, à l'entrée de Catherine dans la vie, le signe de sa prédestination et de la réception de dons extraordinaires, ainsi que de sa vocation à la plus parfaite imitation de Jésus-Christ en vertus et en souffrances pour son Eglise. A son baptême elle avait de plus la conviction de la présence de Dieu dans le Saint Sacrement ; elle y vit aussi assister son ange gardien et ses patronnes, sainte Anne et sainte Catherine. Elle vit briller dans l'église les Reliques et aperçut les Saints auxquels elles appartenaient. Ses communications postérieures nous ont mis au courant de ces merveilles.

 

Le Saint-Esprit enflamma de bonne heure le coeur de cette enfant innocente, à l'exercice des vertus théologales. Son esprit précoce lui fit sacrifier sa volonté pour ne servir que Dieu seul et conserver intactes les grâces reçues par le baptême. Des colombes blanches que personne ne possédait ni ne connaissait dans les environs, apparurent près de la chaumière de cette enfant bénie. Une chasteté éclatante, une nature attrayante et des qualités spirituelles, la distinguaient et la rendaient un trésor précieux pour ses parents et ses voisins.

 

Son développement spirituel se montra bientôt extérieurement, et l'enfant commença à servir Dieu par ses oeuvres. Son ange gardien visible pour elle, lui était un guide judicieux pour sa miraculeuse vie intérieure, ainsi que pour ses faits et actions extérieurs, et il fut son appui pour la durée de sa vie. En second lieu, c'étaient ses bons parents qui s'occupaient de leur mieux de l'éducation chrétienne et de l'instruction de l'enfant. Le père lui enseigna de bonne heure le signe de la croix et le PATER, et par la vue d'images pieuses il lui donna connaissance de la vie des saints. L'enfant montra une facilité étonnante ; en répétant sans cesse le peu de mots qu'elle connaissait, elle mit son bonheur à prier longuement et avec recueillement. Déjà dans sa première enfance elle avait orné un coin de la chaumière d'une image de la Sainte Vierge avec l'Enfant Jésus, et elle y avait construit un autel, devant lequel elle priait et déposait des cadeaux, c'est-à-dire les fruits, les images et les autres objets, auxquels elle renonçait, pour en faire une offrande à Jésus. Ces objets disparurent alors d'une manière mystérieuse. A l'âge de trois ans, l'enfant avait déjà un esprit si éclairé qu'elle demanda à Dieu, comme une grâce, de mourir, pour qu'elle ne fût jamais à même de l'offenser.

 

Les exemples suivants nous montrent, à quel haut degré le Saint Esprit avait rempli d'amour divin et de charité chrétienne, le coeur de cette sainte enfant.

 

Très jeune encore, elle exerçait déjà la prière nocturne. Aussitôt que ses parents étaient couchés, elle se levait et priait avec son ange gardien pendant deux ou trois heures, quelquefois même jusqu'à l'aube du matin. Elle affectionnait particulièrement prier sous le ciel brillant d'étoiles, et croyant être plus proche du ciel, elle se rendait à un monticule, où elle priait, les bras étendus et les yeux fixés sur les églises de Coesfeld.

 

Quoique sa nature débile se révoltât souvent contre l'interruption du repos de nuit, sa ferme volonté lui faisait dompter sa faiblesse, et reconnaissant qu'elle ne parviendrait à la perfection que par un combat douloureux contre sa nature humaine, l'enfant courageuse suivait promptement les pieuses suggestions de son bon ange, lorsqu'il l'appelait à la prière durant la nuit. Pour faciliter son lever, elle cachait des planches de bois dans son lit et se ceignait de cordes noueuses, pour acquérir par l'incommodité et la douleur une plus grande force d'âme. Pour rendre sa prière plus efficace, elle s'agenouillait en hiver dans la neige, en été dans les orties, ou elle se servait d'un morceau de bois en guise d'escabelle. Dieu couronna de succès son zèle et sa persévérance dans la prière nocturne, en la rendant capable de pouvoir se passer entièrement du sommeil naturel, pour glorifier Dieu constamment, jour et nuit, par la prière, le travail ou la souffrance.

 

Chaque jour Dieu lui montrait par des visions les personnes pour lesquelles elle devait prier. Elle voyait des malades impatients, des prisonniers désolés, des mourants en proie au désespoir ; elle voyait des hommes indigents et pusillanimes ; elle en voyait d'autres dans les revers et dans le danger pour l'âme et le corps, elle voyait des voyageurs, des hommes égarés et des naufragés, et à tous Dieu voulait donner par la force de sa prière, du secours, de la consolation et de l'espérance. Dieu lui montra tous ceux qu'elle avait secourus, et lui révéla, que leurs prières n'auraient pas été exaucées, sans les supplications ardentes de Catherine.

Elle disait aussi qu'il plaisait à Dieu, d'être imploré pour des intentions particulières. L'amour du prochain rendait l'enfant tellement fervente et persévérante, que les heures de la nuit suffisaient à peine à ses intercessions. Elle raconte plus tard: "Dès mon enfance, je priais moins pour moi que pour d'autres, pour éviter que le moindre péché fût commis et qu'aucune âme ne se perdît. Plus je recevais de grâces de Dieu, plus je lui demandais ; je pensais: il possède tout, et il aime nous voir l'implorer pour d'autres. "

 

Un autre exercice de son enfance était la mortification et l'abnégation. Ce que les enfants chérissent le plus, elle le sacrifiait avec un véritable héroïsme à son Jésus, sur l'autel, dans le coin de la chaumière paternelle. Son ange la persuada

au prix de la mortification et lui fit comprendre que cet exercice n'avait pas d'équivalent parmi les autres pratiques de pisté. A table elle se mortifiait de toute manière possible, prenant toujours les mets les moins bien apprêtés, et mangeant si peu qu'il paraissait incompréhensible qu'elle pût rester en vie. "Je vous l'offre, ô mon Dieu", disait-elle alors, "pour que vous le donniez aux pauvres qui en manquent."

Cette abnégation précoce et incessante anéantit en elle toute émotion sensuelle, de sorte qu'elle n'eût jamais à s'accuser de la moindre impudicité, pas même en pensée. Questionnée à cet égard, elle avoua plus tard, en esprit d'obéissance, que par ses mortifications et la lutte persévérante, elle avait amorti tous les mauvais penchants et toutes les propensions nuisibles avant de pouvoir les éprouver. Dès sa dixième année elle ne connut plus d'autre joie que celle qu'elle trouvait en Dieu, ni d'autre chagrin chie de voir ce père miséricordieux offensé par les hommes. Pénétrée du plus pur amour de Dieu, elle priait: "Si même il n'y avait ni Ciel, ni enfer, ni purgatoire, je voudrais vous aimer, ô mon Dieu, de tout coeur et par-dessus toutes choses. "

 

L'amour du prochain était en elle d'une force égale. Elle avait une telle pitié pour les maux corporels et spirituels du prochain qu'elle se sentait poussée aux œuvre les plus extraordinaires. Elle donnait de ses vêtements tout ce que ses parents lui permettaient de donner ; lorsqu'un mendiant s'approchait de la chaumière, elle s'écriait : "Je vais vous chercher du pain. " Volontiers sa mère la laissait faire. Les larmes des enfants, le malheur ou les maladies de ses concitoyens, la faisaient pâlir soudainement de pitié et excitaient en elle le désir irrésistible, de soulager les peines d'autrui, en chargeant ses propres épaules du fardeau des autres. Lorsqu'elle entendait parler d'un péché, elle était saisie d'une douleur violente et fondait en larmes. Interrogée par ses parents sur la cause de son chagrin, elle n'osait avouer la vérité et à cause de cela elle fut parfois punie comme coupable d'entêtement, ce qui cependant ne l'empêchait pas de continuer à implorer Dieu pour la conversion des pécheurs, et à faire amende pour eux ; elle se flagella par exemple avec des orties pour les enfants impurs.

Son grand zèle pour les âmes embrassait même les juifs qu'elle connaissait, par les rapports commerciaux de chaque jour avec ses parents, et elle soupirait sur leur aveuglement incorrigible. Elle fit surtout les amendes honorables en faveur des âmes du purgatoire, qui excitaient vivement sa pitié. Les âmes souffrantes s'approchaient d'elle pendant ses prières nocturnes, pour implorer son intercession. Aussi avait-elle des apparitions sur le chemin de l'église, quand selon la coutume, elle allait à la messe à la ville voisine. Sous la forme de petites flammes luisantes ou de perles brillantes dans une flamme sombre, elles l'accompagnaient et illuminaient son chemin dans l'obscurité. Très jeune encore, elle fut conduite au purgatoire par son ange, qui lui fit comprendre les douleurs immenses des âmes souffrantes. Après avoir supplié Dieu pour la délivrance, elle entendait souvent des voix mystérieuses et reconnaissantes lui dire : "Je te remercie ! Je te remercie !"

 

Interrogée plus tard sur ce qui avait excité en elle, dans sa première jeunesse, une telle pitié, elle répondit: "Je ne saurais dire qui me l'a inspirée; mais cela s'explique par la compassion. J'ai toujours senti que nous sommes tous un corps en Jésus Christ, et comme la maladie du doigt cause des douleurs à toute la main, le mal du prochain me fait souffrir. Dès mon enfance j'ai imploré Dieu de me faire subir les maladies d'autrui et de me faire payer leurs dettes ; je priais l'Enfant Jésus de m'y aider, et bientôt j'avais assez de douleurs. "

Dans cette pitié si extraordinaire pour les maux du prochain et dans le désir ardent de prier, de souffrir et de faire pénitence pour les pécheurs, nous reconnaissons la vocation spéciale que Dieu a donnée à cette enfant, objet particulier de son amour. Dieu pouvait ainsi, dans un temps où si peu de membres de l'Eglise désiraient les biens célestes, reposer un oeil miséricordieux et bon sur un coeur plein de foi et de dévotion, dont il aimait la vie de pénitence qui éloignait le mal des autres et leur procurait du bien.

 

Ce chapitre a donc persuadé le lecteur que Catherine devait être par ses grâces extraordinaires un cadeau envoyé par Dieu à un temps corrompu. Le lecteur sera moins étonné de sa vie miraculeuse, en méditant comment la toute-puissance et la sagesse de Dieu ont souvent opéré des merveilles dans les saints : c'est en la personne de notre sainte que se vérifie évidemment la parole du psalmiste : "Des entrailles de sa mère, ô mon Dieu, j'ai été jeté en vous ; vous avez été mon Dieu dès que j'ai quitté son sein." (Ps. 21. 11.)

 

Chapitre 3

Catherine Enfant

Merveilleuse

 

Nous remarquons d'avance que dans ce chapitre nous voyons encore Catherine comme enfant, mais que tout ce que nous allons communiquer sur elle, diffère tellement du vulgaire que cela nous fait chanter la louange de la prévoyance et de la toute-puissance de Dieu : "C'est le Seigneur qui a fait cela, et c'est une chose admirable à nos yeux." (Ps. 117) Saint Paul dit: "Il y a diversité de ministères ; mais il n'y a qu'un même Seigneur qui les distribue. L'un reçoit du Saint-Esprit le don de parler dans une haute sagesse, un autre le don de faire des miracles, un autre le don de prophétie ; un autre le don du discernement des esprits, un autre le don de l'interprétation des langues." Dieu a réuni tous ces dons en cette enfant si humble par son origine, pour glorifier son Eglise. Déjà la parole de l'enfant, et encore davantage sa vie future, devaient être un porte-étendard pour la foi de l'Eglise, que tant de ses membres décriaient alors, et dont ils ne rendaient plus témoignage. Saint Paul dit: "Celui qui prophétise parle aux hommes pour édifier, les exhorter et les consoler ; celui qui prophétise édifie toute l'Eglise." (I cor. 14. 3.)

Considérons le don de prophétie qui fut donné à Catherine. L'esprit de l'enfant était toujours absent ; Dieu lui fit voir dans les visions continuelles la clarté et la vérité divine de notre sainte religion. Le Saint-Esprit prêtait souvent le don de prophétie aux premiers chrétiens, pour prouver la vérité de la promesse qu'il descendrait sur l'Eglise, et pour amener les juifs et les païens à la foi. Ce don ne consiste pas seulement dans la prédiction d'événements futurs, mais plutôt dans la connaissance et l'enseignement des secrets de notre foi, pour fortifier les fidèles dans la vertu et la piété.

 

Ce que d'autres enfants n'apprennent que par l'instruction de l'histoire biblique et du catéchisme, Catherine le connut par lucidité de son esprit, et dans le cours de l'année liturgique elle approfondit les mystères de la foi. Le Saint-Esprit lui enseigna surtout dans son enfance les secrets de l'Ancien Testament, et plus tard l'histoire de Jésus-Christ et des Apôtres. Elle célébrait dans les fêtes, à côté des événements chrétiens, l'accomplissement des prophètes de l'Ancien Testament.

Lorsque l'ange, pour fortifier sa foi, l'introduisait dans la méditation des douze articles du CREDO, le Saint-Esprit éclairait son intelligence pour la vue intime des choses divines. En méditant les paroles : "Je crois en Dieu le Père, créateur tout puissant du ciel et de la terre", elle vit dans son esprit enfantin une image claire de la création, les millions d'anges, leur nature et leur chute, la création du monde, du paradis, de l'homme, sa gloire et son péché.

 

Catherine ne trouvait rien d'étonnant dans ces visions ; elle adorait d'une manière d'autant plus humble et respectueuse, le Père céleste dans sa grandeur et sa magnificence admirables. Aux paroles : "Et en Jésus-Christ, son Fils unique, notre Seigneur qui a été conçu du Saint-Esprit, né de la Vierge Marie", cette enfant simple comprit toutes les prophéties et les symboles de la Rédemption dans leur signification ; elle révérait les Patriarches et les secrets de l'Arche d'Alliance ; elle connaissait la Loi et les Psaumes, ainsi que les ordres ecclésiastiques et les cultes de Dieu au Temple ; elle s'unissait au service de Dieu avec les vieilles familles israélites ; elle prenait part à leur attente du Messie ; elle allait en pèlerinage à Jérusalem avec Joachim et Anne, ainsi qu'avec Zacharie et Elisabeth, pour implorer par ses prières ardentes l'arrivée du Sauveur, elle voyait le symbole de la Sainte Vierge dans ses précurseurs, sa naissance et sa jeunesse. Elle voyait Marie dans sa cellule, et comme elle racontait plus tard, elle connaissait jusqu'à ses vêtements ; tous les ans pendant l'Avent, elle l'accompagnait avec saint Joseph, de Nazareth à Bethléem ; elle adorait l'Enfant Jésus dans la crèche, etc.

 

Ainsi Catherine n'était pas seulement une contemplatrice des événements, mais elle y prenait part d'une manière réelle. Elle observait le degré de vertu de ces saints personnages et apprenait ainsi à servir Dieu parfaitement.

 

Ce don de contemplation lui fut conservé pendant tout le cours de son existence. Pénétrant dans l'histoire de la Rédemption, elle la poursuivait par toutes les périodes de l'Ancien et du Nouveau Testament. Ces trésors nous sont conservés en grande partie dans les livres divers qui décrivent ses visions.

Qui n'exalterait pas la puissance aussi sage que miséricordieuse de Dieu, qui se servit d'une pauvre paysanne inconnue pour la glorification de sa Providence miraculeuse, tandis que les contemporains s'éloignent de lui et le rejettent, lui et ses révélations ! "Que vos ouvrages, Seigneur, sont grands et magnifiques ! Que vos pensées sont profondes et impénétrables ! L'homme insensé ne pourra les connaître, et le fou n'en aura point l'intelligence !"

 

Catherine, qui était loin de se douter que ce don de contemplation des révélations divines fut une chose qui lui était propre à elle seule, racontait naïvement à ses parents le résultat de ses pieuses méditations. Les parents, profondément étonnés, lui demandaient quel pouvait bien être le livre dans lequel elle puisait une science, nouvelle pour eux. Lorsqu'un jour à l'école elle répondit à une question du catéchisme d'après sa vision, elle fut raillée par les enfants et exhortée par l'instituteur à ne point s'abandonner à de telles imaginations. Peu à peu elle évita de parler de ses visions en pensant qu'il ne convenait pas de s'en vanter. Sans y réfléchir davantage, elle poursuivit de nouveau ses visions en toute simplicité de coeur, et trouvant quelques images dans sa Bible, elle tenait celle-ci pour un grand livre de gravures.

Dieu l'assistait encore miraculeusement d'une autre manière. Bien qu'elle exécutât tous les travaux, dont elle fut chargée par ses parents, dans une sorte d'abstinence d'esprit, elle les terminait cependant promptement et sûrement, comme si elle n'était préoccupée de rien d'autre. Dieu la doua en même temps de toutes les capacités et connaissances nécessaires à ses travaux, et elle les comprit sans enseignement.

 

Une autre grâce de sa jeunesse était de voir les apparitions du Sauveur, de la Mère de Dieu, de son ange gardien et de divers saints. Même ces visions n'avaient rien d'étonnant pour cette enfant, qui supposait que tous les chrétiens avaient de tels rapports avec le Ciel. Comme elle regardait d'après ses instructions religieuses Jésus comme frère, Marie comme mère, son ange et les saints comme amis, elle trouvait naturel de les voir à ses côtés.

 

Jésus semblable à un enfant céleste s'approchait d'elle pendant qu'elle gardait les vaches ; elle l'appelait familièrement et dans le langage du pays : "Jüngsten (petit garçon)". Ecoutons les récits de son enfance : "Lorsque je gardais les vaches, le Jüngsten venait souvent me voir et faisait que le bétail ne s'égarait pas. Nous parlions ensemble de choses édifiantes, comment nous pouvions servir Dieu et aimer l'Enfant Jésus. Nous nous racontions que Dieu voit tout. Nous faisions ensemble des bonnets et des bas pour les enfants indigents. Je savais tout faire ; de plus j'avais tout ce qu'il me fallait pour accomplir ces menus travaux de charité. Je savais tout arranger à merveille ; je croyais bien que c'était moi qui le faisais, mais en réalité c'était l'oeuvre du Jüngsten. " Ces paroles enfantines prouvent d'une manière touchante cette vérité incontestable, que toute capacité vient du Seigneur et que c'est lui qui doit féconder nos efforts de sa bénédiction céleste.

 

Par ces apparitions Jésus prépara Catherine à la mission la plus pénible qu'elle devait remplir dans sa vie, savoir, de l'imiter dans la souffrance, pour le salut des âmes. Il se présenta à elle sous la figure d'un enfant chargé du fardeau de la croix, la regarda silencieusement, de sorte que, touchée de sa patience, elle prit sur ses épaules un pesant morceau de bois qu'elle porta en priant, jusqu'à ce qu'elle succombât. D'autres fois elle le voyait pleurer sur les injures que des enfants insolents et dissipés lui causaient, et cet aspect la portait à s'étendre sur des épines et des orties, pour apaiser Dieu par cette amende honorable. Lorsqu'elle fit un jour le chemin de la croix, le Seigneur mit la croix pesante sur ses épaules enfantines.

 

Une autre sainte apparition de Catherine était celle de saint Jean-Baptiste qui lui apparaissait vivant dans la solitude du désert et revêtu d'une peau de mouton. Elle l'appelait alors

"Hânnesken met sin Fell sall to mi kummen. (Viens, petit Jean, avec ta peau !)" Elle méditait sa vie dans le désert, comme il vivait devant Dieu dans la plus grande simplicité et pureté de l'âme, sous la protection des anges et en rapport avec les créatures innocentes de la terre. Quelquefois de saintes religieuses la visitaient, et le plus souvent c'était sainte Jeanne de Valois, reine de France, morte en 1505, et fondatrice de l'ordre de l'Annonciation. (Dans la paroisse de saint Jacques à Coesfeld se trouve un couvent de cet ordre).

 

Nous savons déjà que Catherine jouissait de la présence visible de son ange gardien. On constate toujours ce fait dans les âmes que Dieu a destinées à des vues spéciales. L'approche de l'ange s'annonçait par une lueur de laquelle sortaient ensuite les contours brillants de fange ; il lui paraissait transparent, portant une robe d'une blancheur éclatante.

 

L'oeuvre que l’ange devait produire en elle, était double. Il devait d'abord l’introduire dans la contemplation des secrets divins si difficiles à concevoir pour une âme encore unie au corps, accompagner son esprit, l'appuyer et l'introduire dans tous les degrés des secrets à pénétrer. Sa seconde mission était de régler la vie extérieure et intérieure de Catherine par une instruction continue et une protection constante pour qu'elle gardât l'innocence de son baptême, et aspirât sans cesse à la plus haute perfection. L'ange commença cette oeuvre dans la première jeunesse de Catherine, qui, par une prédilection du Saint-Esprit, était déjà douée de l'usage complet de son intelligence, en dirigeant ainsi ses pensées vers Dieu, notre bonheur suprême, longtemps avant qu'elle pût se mettre en relation avec les créatures, et leur vouer ses inclinations. Déjà dans son enfance elle exerça, guidée par son ange, les rigueurs de la pénitence (comme nous venons de le voir), pour anéantir en elle les influences de la nature corrompue et du monde sensuel.

L'exhortation spéciale de l'ange était de se délivrer de toute inclination mondaine par la pénitence et l'abnégation, pour conserver son coeur innocent. L'ange en outre lui enseigna de bonne heure la pratique des exercices extérieurs de la religion et des vertus morales, surtout de l'amour du prochain ; il lui fit prévoir des événements et des destins futurs, pour qu'elle agît avec précaution, se gardât, dans ses relations avec le prochain, de toute faute, et implorât de la force et du courage pour les souffrances à venir. Catherine exécutait les ordres de l'ange avec une obéissance admirable et une fidélité consciencieuse, et elle resta cette enfant humble et obéissante à son guide céleste, jusqu'à l'accomplissement complet de sa mission.

 

Quelle doctrine édifiante et continue dans la vie de Catherine ! Quoiqu'elle eût reçu de plus grandes grâces que d'autres, Dieu lui envoya un guide céleste pour lui servir d'appui dans toutes ses oeuvres. Quel exemple pour les parents, gardiens visibles des enfants que Dieu leur a confiés, qu'ils comprennent par ceci qu'ils doivent s'attacher à guider ces enfants dans la voie du bien par le bon exemple et une discipline douce et ferme à la fois ; et que les enfants à leur tour apprennent ici également qu'ils doivent s'efforcer d'écouter et de suivre en tout, la voix de leur ange gardien !

 

L'éclaircissement divin de son âme par la méditation, le rapport intime avec Jésus et les saints, les splendeurs de l'autre monde qui brillaient sur le front de l'ange, son regard pur dans le coeur de l'enfant, tout cela avait enflammé en elle un désir ardent de la pureté de l'âme et du corps, et l'avait tellement remplie de l'amour de Dieu, qu'aucune créature n'était à même de la détourner quelque peu de lui, son bien unique. Le coeur de cette enfant sentait déjà le désir héroïque de quitter à jamais ses parents et de ne vivre que pour Dieu seul.

 

Elle désirait entrer dans l'Ordre des Annonciades, connaissant celui-ci par le couvent voisin de Coesfeld. Son bon père lui-même l'avait mise de bonne heure en rapport extérieur et intérieur avec cet ordre. Selon un voeu d'ancienne date, cet homme pieux donnait annuellement un veau gras au couvent, et se faisant accompagner par sa fille, il offrait sa propre enfant en victime. Les religieuses exhortaient alors le père à envoyer la gentille petite enfant dans la clôture ; elles demandaient à Catherine si elle voulait rester en leur compagnie ou si elle préférait retourner au sein de sa famille. Et Catherine répliquait invariablement: "J'aimerais bien rester au couvent. " A cette occasion elle vit les religieuses dans leur habit propre, dans leur éloignement du monde, dans leur bonheur intérieur, ce qui affermissait dans son âme le désir de vivre dans le cloître, séparée de sa famille, pour faire amende honorable à Dieu pour les péchés du prochain, par ses prières et une pénitence rigoureuse.

Malgré sa jeunesse elle avait une prédilection pour le couvent des Annonciades, et chaque fois au son des cloches, elle unissait son intention à la prière de ces pieuses femmes. Elle nous raconte une vision de sainte Jeanne : "J'étais une très petite ,fille et gardais les vaches, travail dur et pénible pour moi. Sentant, comme souvent d'ailleurs, le désir de m'éloigner, pour .servir Dieu dans la solitude, mon ange me conduisit en esprit à Jérusalem, où je vis une religieuse, en laquelle je reconnus plus tard Jeanne de Valois ; elle était sérieuse et avait un très bel enfant de ma taille avec elle. Elle ne conduisait pas cet enfant par la main, parce que je sentais que ce n'était pas son .fils. Elle me demanda quels étaient mes désirs et lorsque je lui eus confié mon souci, elle me consola en disant: Sois sans inquiétude ; regarde cet enfant; le veux-tu pour fiancé ? Oui, répondis-je, et elle m'assura que je pouvais attendre tranquillement son arrivée ; que je deviendrais religieuse. Cela me paraissait impossible ; mais elle dit que j'entrerais certainement dans un couvent grâce à la toute-puissance de mon fiancé céleste. Je gardai cet espoir dans mon coeur " Bientôt après, elle lui apparut une seconde fois et lui parla de l'imitation de Marie. Cela se passa un soir au moment où la cloche du couvent des Annonciades invitait les fidèles à la prière. A cette heure Catherine, âgée alors de six ans, fit le voeu d'entrer plus tard dans un monastère. Elle voulait sacrifier son amour pour ses parents, en échange de l'amour parfait de Dieu.

 

Si l'ange était son guide, elle avait Satan pour antagoniste. A l'occasion de plusieurs accidents survenus en son enfance, et dans lesquels sa vie fut en péril, Dieu lui révéla qu'elle devait ces persécutions à la haine du diable, qui la combattait traîtreusement lorsqu'elle n'avait pas vécu dans la présence de Dieu, ou avait commis quelque petite faute. "En enfants reconnaissants, dit-elle, nous devons implorer la protection de Dieu, car l'ennemi toujours nous poursuit et cherche à nous perdre. " Avant tout, le démon s'efforçait de la corrompre spirituellement et de la détourner de l'aspiration à la perfection. Dans ce but il remplissait son âme d'épouvantails et l'effrayait, dans ses prières nocturnes, par des fantômes odieux, ou en l'empoignant brusquement. Malgré une frayeur bien compréhensible, elle ne perdait pas sa présence d'esprit, mais continuait ses prières avec d'autant plus de ferveur, pour faire reculer l'ennemi. Elle le chassait en s'écriant: "Misérable, vous n'avez point de part en moi ! Mon Seigneur et mon Dieu ne m'abandonnera pas ; il est plus fort que mes ennemis. "

 

Le don de la connaissance des choses tant naturelles que surnaturelles se révéla déjà dans son enfance d'une manière étonnante. De même que nous avons dans nos membres le sentiment du chaud et du froid, et que notre âme conçoit la haine ou l'amour, ainsi elle sentait dans son âme et son corps tout ce qui était bon ou mauvais, saint ou non, utile ou nuisible dans d'autres lieux, objets ou personnes.

 

Quand un prêtre portait le saint Viatique à un mourant de la communauté, elle sentait de loin l'approche du Saint Sacrement, sans rien voir, et aussitôt elle recommandait ses vaches à l'ange, et courait adorer son Dieu. La bénédiction du prêtre lui inspirait une force sensible. Les sons des cloches de l'église étaient pour elle des preuves de bénédiction qui détruisirent les oeuvres des puissances infernales. La connaissance de la langue latine s'ouvrit à elle pendant le service divin à l'église et la lecture. Toutes choses bénites, ainsi que les endroits bénits donnaient à son âme du repos et de la force, tandis que tout ce qui était à réprouver ou à mépriser la remplissait d'horreur, et la poussait à faire pénitence pour les âmes pécheresses.

 

Ses dons surnaturels atteignirent un degré supérieur encore, car elle obtint une connaissance intime des secrets de la nature, en distinguant les herbes salubres des nuisibles ; elle employait celles-là pour guérir les maladies du prochain et les siennes propres et extirpait les plantes vénéneuses à proximité de sa cabane.

Ecoutons ses propres récits sur la nature : "Je n'ai jamais pu m'étonner que saint Jean avait tant appris des fleurs et des bêtes du désert; car étant encore enfant, je voyais dans chaque feuille, dans chaque petite fleur un livre dans lequel je savais lire. En les regardant, je concevais leur signification et leur beauté ; cependant lorsque je voulais en parler à d'autres, on se riait de moi.

Dans ma première jeunesse je souffris d'une fièvre ardente, qui me réduisit à l'impuissance absolue de me mouvoir. Mes parents effrayés redoutaient ma mort prochaine ; mais un bel enfant vint me montrer des herbes qui me guérirent immédiatement. Je me souviens encore de ces plantes. C'étaient des bulbes dont je suçai la sève, couchée derrière une haie. Mes fleurs favorites étaient les camomilles, dont le nom avait toujours pour moi un son si doux et si merveilleux. Je les cueillais déjà dans mon enfance, pour les préparer pour les malades indigents, qui venaient souvent me parler de leurs maux et me montrer leurs blessures, me demandant leur guérison. Je leur donnais des remèdes naturels et parvenais à les guérir de cette manière. "

 

Dieu lui donna même des notions sur l'astronomie, pour recevoir de ce petit coeur d'enfant les hommages dus à sa grandeur. Plus tard elle décrit les planètes et les comètes d'après ses visions : "M'agenouillant la nuit dans la neige, dit-elle, et me réjouissant de toutes les belles étoiles, que je voyais briller clans le ciel, j'implorais Dieu : vous êtes mon véritable Père et possédez de si magnifiques choses ; il faut que vous me les montriez ! Et il me les montra toutes ; pénétrée de sa vénération pour Sa Majesté infinie, je regardais tout avec une joie indicible."

 

- N'est-il pas digne, lecteur, de glorifier le Seigneur pour ces miracles, avec les paroles du huitième psaume : "Seigneur, notre souverain Maître, que la gloire de votre nom paraît admirable dans toute la terre ! Car notre grandeur est élevée au-dessus des cieux. Vous avez formé, dans la bouche des enfants et de ceux qui sont encore à la mamelle, une louange parfaite, pour confondre vos adversaires, et pour détruire (ennemi et celui qui veut se venger ! Quand je considère vos cieux qui sont les ouvrages de vos doigts, la lune et les étoiles, que vous avez affermies, je m'écrie : Qu'est-ce que l'homme pour mériter que vous vous souveniez de lui ? Qu'est-il donc le fils de l'homme, pour être digne que vous le visitiez ? Vous ne l'avez qu'un peu abaissé au-dessous des anges ; vous l'avez couronné de gloire et d'honneur, et vous l'avez établi sur les ouvrages de vos mains !"

 

Dieu révéla des mystères par la bouche de l'innocente enfant pour rendre témoignage de la vérité de sa Révélation, scandaleusement niée par le monde corrompu, et éleva l'âme d'une enfant à la sagesse et la science d'un ange, à une époque où les prétendus savants du monde prétendaient déifier la chétive raison humaine et rejetaient la Révélation de Dieu et de l'Eglise. - C'est pourquoi il est écrit : "Je détruirai la sagesse des sages, et je rejetterai la science des savants. Dieu a choisi les insensés selon le monde, pour confondre les puissants ; il a choisi les plus vils et les plus méprisables selon le monde, et ce qui n'était rien, pour détruire ce qu'il y a de plus grand parmi les hommes ; afin que nul ne se glorifie devant lui. C'est par lui que vous êtes établis en Jésus-Christ qui nous a été donné de Dieu." (1 Cor. 1, 19, 27.)

 

Nous venons de considérer en Catherine les effets extraordinaires du saint baptême jusqu'à sa septième année ; nous avons pu admirer la Providence de Dieu qui la conduisit dans la voie d'une haute perfection et de grands mérites. Dans ces traits nous avons le portrait ressemblant de sa vie entière ; car ce qu'elle avait commencé et exercé si tôt, elle le continua fidèlement jusqu'à sa mort. Dieu lui a confié une double mission : 1° de faire amende à la justice divine pour les délits de ses contemporains par sa sainte vie et par ses souffrances, et 2° de faire luire par des dons d'esprit extraordinaires, la vérité de la Révélation divine, en opposition avec l'incrédulité de son temps.

Glorifions et adorons la magnificence de Dieu et les dispositions miraculeuses de sa Providence ! "Le Seigneur est grand et digne d'être loué infiniment, et sa grandeur n'a point de bornes. Toutes les races loueront vos oeuvres et publieront votre puissance. Elles parleront de la magnificence de votre gloire et de votre sainteté et raconteront vos merveilles. Elles diront quelle est la vertu de vos oeuvres qui sont si terribles, et feront entendre quelle est votre grandeur. Elles attesteront quelle est l'abondance de votre douceur ineffable, et elles tressailliront de joie en chantant votre justice." (PS.144.)

 

Chapitre 4

Catherine enfant aimante

et soumise

 

Nous avons mentionné que Catherine avait en ses parents, l'exemple d'une véritable piété et d'une vie conforme aux principes de l'Evangile ; elle trouvait en eux des instituteurs chrétiens qui l'exhortaient à la dévotion et à la modestie et la portait à l'humilité. Ayant eu le bonheur de garder toute sa vie un coeur pur et candide, elle trouvait toujours une consolation dans les souvenirs de son enfance et de ses parents.

Laissons-la parler elle-même à ce sujet :

"Mon père était un homme probe et pieux; il avait un tempérament sérieux mais n'excluant pas la gaieté. Sa pauvreté le contraignit à un labeur pénible et incessant, mais il aimait le travail, sans être trop intéressé. Avec une confiance édifiante, il mettait tout entre les mains de Dieu et remplissait ses devoirs comme un fidèle serviteur, sans crainte et sans avarice. Il avait toujours à la bouche de saintes paroles et les vers de la Bible, et tenait sévèrement à nous voir travailler sans cesse.

Le matin je l'accompagnais au champ, et au lever du soleil il se découvrait en priant et m'entretenant de Dieu qui faisait luire son soleil sur nous tous. Il répétait souvent, qu'il était méprisable de rester si longtemps au lit et de se faire éveiller par les rayons du soleil ; car cette paresse faisait naître la nonchalance dans le travail, ce qui ne pouvait qu'être nuisible à toute aisance. " Voyez, dit-il, jusqu'ici personne n'a foulé la rosée ; nous sommes les premiers et, en priant pieusement, nous implorons de Dieu la bénédiction matinale pour toute la nature. Il est si beau d'aller de bonne heure dans da rosée encore intacte ; nous sentons, pour ainsi dire, la protection et la paternité de Dieu et jouissons des joies innocentes de la nature, non encore dégradée par quelque péché ou par quelque méchante parole. " Alors il me faisait l'accompagner à son travail, conduire le cheval, lever la herse et faire toutes sortes d'ouvrages. Lorsque nous nous retournions, il disait

" Que c'est beau, nous voyons précisément l'église de Coesfeld et pouvons adorer le Seigneur notre Dieu dans le Saint Sacrement. Il nous voit de même et bénit notre travail. "Lorsqu'on sonnait à la messe, il se découvrait et disait

" Assistons en esprit au Saint Sacrifice et unissons-nous aux intentions du prêtre, en suivant les parties essentielles de la sainte Messe. " A la fin il chantait un cantique ou commençait à siffler une mélodie pieuse. Une autrefois il disait: " Nous voyons tous les jours des miracles et des grâces de Dieu ! Observe le petit grain semé en terre, comme il germe et grandit jusqu'à devenir une haute tige, qui nous rend au centuple ce que nous avons confié à la terre. Quelle merveille surprenante ! "Le dimanche après le dîner il nous répétait toujours le sermon en son entier, nous expliquait tout d'une manière très édifiante et ajoutait un petit commentaire de l'Evangile du jour.

 

Ma bonne mère était animée des mêmes sentiments de piété; elle était remplie de l'esprit de foi et considérait les peines et les fatigues de la vie comme des grâces de Dieu. Elle désirait se voir un jour trouvée suffisamment reconnaissante pour les bienfaits de Dieu. Elle priait souvent: " Mon Dieu, frappez moi si vous voulez, mais donnez-moi de la patience. "

 

Ces braves chrétiens étaient bienveillants envers tout le monde, et quoiqu'affligés de diverses contrariétés, ils n'oubliaient pas de veiller au bien corporel et spirituel du prochain. Dieu récompensa leur vie vertueuse en leur donnant de bons enfants. Bien qu'ils s'attendrissent souvent jusqu'au point de fondre en larmes en s'apercevant des dons spirituels de cette enfant privilégiée, leur conduite envers Catherine ne variait jamais. Ils ne la louaient pas, et surtout la mère la punissait très rigoureusement pour des fautes très légères qu'elle commettait. Par cette éducation, Catherine fut heureusement affermie dans l'humilité et la foi de sa propre insignifiance, de sorte qu'elle se croyait bien plus coupable que les autres enfants. -Elle obtint les premières notions de catéchisme de sa mère, comme elle racontait plus tard. Elle fut attirée à la prière fervente, à la vigilance sur elle-même et à une grande horreur du péché. Son père priait à haute voix et ne négligeait presque jamais d'ajouter quelque prière pour le prochain.

 

Pendant les jours de carnaval, la pieuse mère faisait prier ses enfants, les bras étendus en croix, pour l'innocence en danger d'être séduite, durant ces jours de désordre. Lorsque les enfants du voisinage allaient ensemble à l'église, la mère la faisait devancer ou suivre les autres, afin qu'elle ne fût pas exposée à entendre des paroles dangereuses. Dans un reliquaire elle portait le commencement de l'Evangile de saint Jean sur sa poitrine, et dans des moments d'angoisse ou de dangers elle répétait avec une confiance inébranlable : "Et le Verbe s'est fait chair", et ces paroles la consolaient et la fortifiaient. Plus tard elle se rappela avec des sentiments d'une vive reconnaissance, les exercices de piété que ses parents lui avaient appris.

 

Supposant que le lecteur désirera pouvoir se faire une idée de l'extérieur de Catherine, nous donnons un court portrait de sa personne

 

"Annthrinken ", comme on la nommait dans le dialecte westphalien, avait la figure arrondie, les traits agréables, quoiqu'elle ne fût point une beauté, le front élevé, les yeux d'un bleu foncé, étaient surmontés de sourcils épais. Ses cheveux étaient d'un brun foncé, sa parole dégagée dénotait un esprit vif et prompt. A part sa modestie, sa conduite prouvait une intelligence supérieure ; elle était d'un caractère doux et bienveillant ; toujours prête à rendre service, elle était choyée de tous, et c'est avec confiance que chacun avait recours à son obligeante charité. Déjà dans son enfance elle devait soigner les blessures de ses voisins, ce qu'elle faisait avec une douceur admirable ; elle suçait même les plaies des malades et combattait son dégoût naturel, par la pensée que le Seigneur avait souffert infiniment plus pour tout le genre humain.

 

Elle tenait de son père un tempérament gai et toujours égal ; c'est pourquoi celui-ci aimait à l'associer à ses travaux, car elle savait adoucir ses peines, par des plaisanteries joyeuses et des propos réconfortants. Catherine aimait à se promener au dehors, pour considérer les oeuvres de Dieu. Seule dans la forêt ou dans les champs, elle chantait avec les oiseaux les louanges de Dieu, et caressait les petits chanteurs ailés, qui, en toute confiance, venaient se reposer sur ses mains et sur ses épaules. Elle faisait des guirlandes de fleurs champêtres pour Jésus et Marie.

 

D'après l'usage de son époque, elle n'a joui que peu de temps d'une instruction régulière. L'instituteur avoua un jour aux parents, qu'il lui était impossible de poser une question à laquelle Catherine ne sût répondre. Nous avons dit précédemment, qu'elle n'avait nul besoin de l'enseignement des hommes pour acquérir la science humaine.

Malgré cela elle s'exerçait en tout comme le faisaient les autres enfants ; elle étudiait le catéchisme et l'histoire de la Bible en gardant les vaches, ou assise dans un coin de la maison. Se trouvant en compagnie d'autres enfants, elle leur parlait avec douceur de la présence de Dieu, de l'Enfant Jésus et de l'ange gardien, et elle trouvait des auditeurs attentifs dans ses compagnes. "Faisons tout au nom de Jésus, dit-elle, et n'oublions jamais que l'Enfant Jésus aime à séjourner parmi nous et que nous devons prendre soin de ne pas l'offenser. " Jouant dans le sable, elle y dessinait avec une baguette les Saints Lieux de Jérusalem, par exemple le Calvaire et le saint Sépulcre.

 

Dans sa septième année, Catherine fit sa première confession. Elle s'y était préparée avec le plus grand soin et s'efforça surtout à ne pas se laisser séduire par l'amour-propre de cacher ou de diminuer ses fautes ; elle voulait de même confier à son confesseur les événements qui lui avaient attiré des punitions de ses parents. Les péchés suivants la remplissaient d'une affliction profonde. Deux fois elle avait manqué à la charité envers ses compagnes. Un jour elle avait jeté un regard avide sur des pommes appartenant à une voisine ; aussitôt, pénétrée de repentir, elle s'était imposée comme pénitence de ne plus manger de pommes, promesse à laquelle elle resta fidèle. Une autre fois elle n'avait pas salué une paysanne qui avait calomnié ses parents, mais reconnaissant sa faute, elle lui avait de suite demandé pardon. La vivacité de son esprit excitait dans son jeune coeur des émotions ardentes, et produisait en elle une sorte d'entêtement ; et comme elle avait été souvent réprimandée pour ces fautes, elle se croyait l'enfant la plus méchante du monde. C'est pourquoi elle aspirait dès son enfance à dompter ce penchant par l'obéissance et la mortification, et elle parvint à devenir l'enfant la plus docile qu'il fut possible de rencontrer. Les réprimandes de la mère qui l'avait souvent grondée au sujet de ses visions, en la qualifiant de rêveuse et de superstitieuse, lui avaient occasionné des scrupules à différentes reprises.

 

Il lui advint parfois d'être punie pour son opiniâtreté et sa mauvaise humeur, lorsque la mère ne savait pas s'expliquer ces maladies soudaines, que sa grande compassion et sa grande pitié pour le salut de son prochain lui avaient fait demander et obtenir de Dieu. Catherine avait toujours humblement accepté la punition, comme si elle avait réellement été coupable. Elle voulait confier tout cela à son confesseur, pour lui demander son conseil.

Ces péchés remplissaient l'âme de Catherine du repentir le plus profond, et elle s'en accusa comme de péchés mortels. Son confesseur chercha à la calmer, en l'assurant qu'à son âge, elle ne pouvait encore commettre de péché mortel. Mais elle fondit en larme et on l'emporta évanouie du confessionnal. Un jour ses parents lui ayant donné quelques centimes pour acheter du pain en route, elle donna l'argent à un mendiant pour que Dieu lui pardonnât ses fautes. Sa crainte de commettre le moindre péché et sa vertu augmentèrent dès lors d'année en année.

 

A l'âge de douze ans, elle eut la grâce de faire sa première communion. Déjà depuis longtemps, elle se sentait puissamment attirée vers le Saint Sacrement. Dieu l'avait instruite par une vision de la grandeur de ce mystère ineffable, et la vénération profonde de son ange envers le Dieu présent à l'autel, lui montrait comment il fallait adorer la Sainte Eucharistie. Elle s'était accoutumée à se tourner en priant vers l'endroit de l'église où se trouvait le Tabernacle. Dès son enfance elle avait déjà communié spirituellement. Pendant la préparation à la réception réelle de ce divin Sacrement, elle crut ne pouvoir assez prier. Après la sainte communion, elle implora la grâce d'être changée par Dieu selon sa sainte volonté et d'être acceptée en victime pour son honneur et pour le bien du prochain.

 

Pendant sa première communion, elle participa en vision, avec sainte Cécile à la communion des chrétiens martyrs et éprouva en même temps un saint désir d'endurer, comme ceux-ci, des souffrances pour le bien de l'Eglise. Dieu daigna agréer cette offrande et fit voir à Catherine sainte Cécile, cette vierge enflammée du plus pur amour divin, visitant le Pape Urbain proscrit et réfugié dans les catacombes ; et de là après avoir puisé un nouveau courage dans la réception du Pain céleste, se rendant à la ville pour plaider de nouveau la cause du Saint Père et pour amener à l'Eglise des brebis égarées, et parmi celles-ci son fiancé et son frère, jusqu'à ce qu'elle fut trouvée digne de verser, dans son propre palais, son sang virginal pour la sainte Foi, et de rendre ainsi sa demeure digne de devenir plus tard une église et un cloître abritant des vierges que son exemple héroïque avait embrasées du désir de la suivre et de l'imiter.

 

Catherine fit sa première communion en 1786, l'année même où le Pape Pie VI fut opprimé par plusieurs évêques d'Allemagne et d'Italie qui étaient sur le point de devenir apostats. C'est alors que le Bon Pasteur, nourrissant pour la première fois sa brebis Catherine de sa chair et de son sang divins, agréa l'offrande de son coeur innocent, souffrir le martyre pour la cause du Souverain Pontife menacé, comme l'avait fait sainte Cécile. Dès son enfance Dieu avait allumé dans son coeur virginal cette charité brûlante, qui la poussait à faire amende honorable pour le prochain, jusqu'à ce que, s'unissant pleinement à elle dans sa première communion, il accepta son coeur tout entier en holocauste pour les offenses faites à Dieu et à son Eglise. Elle était destinée à devenir une martyre par son ardent désir d'apaiser la majesté outragée de Dieu, par les grandes contrariétés de sa vie, par le combat et la contradiction avec le monde, par d'incessantes souffrances corporelles et spirituelles, par la persécution et les affronts publics, enfin par l'imitation fidèle de Jésus dans ses plaies et ses souffrances.

 

Le matin du jour où elle s'approcha pour la deuxième fois de lu sainte Table, elle trouva dans son coffre un certain nombre de pains merveilleux, qui étaient évidemment un symbole de la riche bénédiction qu'elle puiserait dès lors dans cette manne céleste. Elle célébrera les dimanches et les fêtes par l'union intime à son Bien unique ; et ainsi le désir devint toujours plus ardent et plus fort en Catherine, de parfaire son sacrifice intérieur par l'offrande extérieure de sa vie entière, en menant dans un cloître une vie rigoureuse, austère et pénitente. Comme elle ne pouvait pas encore atteindre ce but, elle le remplaça par des oeuvres de pénitence qu'elle s'imposait continuellement. "L'amour du monde, dit-elle, émeut les hommes à de si grands efforts ; comment l'amour de Jésus n'opérerait-il pus en nous de plus grandes merveilles !"

Elle portait un cilice, et au lieu de linge, un vêtement âpre et rude.

 

Ne pouvant éviter, vu son état de jeune fille, la société d'autrui, elle se prépara, par une résolution héroïque, à ouvrir son âme uniquement aux opérations de la grâce intérieure et à fermer son coeur à jamais aux inclinations terrestres. Pour cela elle voulait uniquement employer toutes ses facultés à l'accomplissement parfait de ses devoirs. Admirons la force de ses vertus morales, surtout de sa prudence et de son énergie, en considérant qu'elle a exécuté consciencieusement cette résolution pendant toute sa vie, que par exemple elle n'a, jamais joui d'une récréation ou d'une distraction permise, ce qu'elle a avoué elle-même, devant répondre par obéissance aux interrogations de ses supérieurs.

 

Tobie ne quitta pas les voies de la vérité, bien qu'il n'eût pas

un modèle de perfection parmi les païens, et il éleva son fils

clans la crainte de Dieu et l'horreur du péché. Les parents de

Catherine s'étaient acquittés de la même tâche, et Dieu récompensa leurs efforts dans ce temps de tiédeur religieuse, en leur donnant dans leur propre enfant un exemple admirable de la vertu la plus pure. Avec quel ravissement Dieu ne doit-il pas avoir regardé ce coeur pur et innocent, cette âme remplie d'une si tendre piété !  

 

Chapitre 5

 

Catherine de sa douzième

à sa vingtième année

(1786-1794)

 

Les parents de Catherine, qui ne savaient s'expliquer la vie retirée de leur enfant de tout rapport avec le monde, d'autant moins qu'ils avaient tous les jours des preuves de l'esprit vif de Catherine, de son intelligence et de son adresse, croyaient devoir la mettre en relation avec des étrangers pour la distraire. Pour cette raison ils la mirent, immédiatement après sa première communion, au service du fermier Emmerich, dont ils étaient apanagés et sur la propriété duquel ils demeuraient.

Chez ce fermier, Catherine devait garder les vaches et vaquer aux ouvrages domestiques et agricoles. Elle exécutait tout en esprit d'obéissance chrétienne et était une servante prompte, docile, laborieuse et complaisante envers tout le monde. Souvent sa maîtresse essaya, d'une manière bienveillante d'ailleurs, de la détourner de sa vie de pénitence et de l'entrée en religion ; mais elle échoua complètement. Son esprit était toujours occupé, même pendant le travail, de ses contemplations, de manière que souvent elle ne comprenait pas les questions qu'on lui posait ; elle y répondait alors comme s'éveillant brusquement d'un rêve.

 

Après avoir passé trois ans dans cette maison, sans avoir abandonné sa vie intérieure et retirée en Dieu, la mère trouva bon pour le bien de Catherine, qui était d'une faible constitution, de lui faire apprendre un état moins fatiguant. Agée de quinze ans, elle entra en apprentissage chez une couturière du village ; mais elle célébrait les dimanches et les fêtes au sein de sa famille. Elle n'eut pas besoin d'apprendre la couture, Dieu lui

 

ayant donné une si grande dextérité qu'elle savait achever les ouvrages les plus compliqués sans la moindre attention. Au commencement cependant elle ne put se défendre d'une certaine angoisse en se mettant à la besogne, elle savait qu'en restant assise, elle ne pourrait résister à l'accumulation de ses visions et elle craignait d'attirer, par son absence d'esprit, l'attention de ses compagnes. Mais l'ange la secourait dans cette situation : il lui inspirait des réponses pleines d'à-propos et l'empêchait de laisser tomber l'aiguille.

Après avoir travaillé à peu près deux ans sous cette maîtresse, elle tomba malade et retourna chez ses parents, et les assista de son mieux dans le travail des champs. C'est à cette époque, que survinrent deux événements décisifs pour la vie de Catherine.

Un soir, elle travaillait aux champs avec ses parents, quand tout à coup, la cloche de l’église des Annonciades se fit entendre, sonnant l'office des Vêpres. Bien que souvent cette cloche eût excité en elle le désir de servir Dieu dans la solitude monastique, elle sentit cette fois un attendrissement si extraordinaire, qu'elle fut sur le point de s'évanouir. Elle crut entendre une voix : Va au couvent, advienne que pourra ! Elle ne put continuer le travail ; il fallut la transporter à la maison, où elle fut saisie d'une grave maladie qui la força à rester alitée. Ses parents cherchèrent à ébranler en elle la résolution d'entrer au couvent. Mais cette résolution fut affermie pendant le cours de cette même maladie, par un second événement très merveilleux. Un saint homme, accompagné de deux religieuses, s'approcha du lit de Catherine. Les deux religieuses resplendissaient d'une lumière éclatante et lui présentant un grand livre d'or, elles dirent : « Par la lecture de ce livre, vous saurez ce qu'il faut pour devenir une sainte religieuse. » Elles déposèrent le livre et disparurent. Quoique le livre fût écrit en langue latine, elle le comprenait parfaitement et le consultait souvent. Chose curieuse, chaque fois que Catherine terminait sa lecture, le livre disparaissait.

 

Dans ce temps, elle fut souvent à instruite par des lumières intérieures, de la haute dignité de la vocation religieuse, qui consiste dans l'union intime de l'âme avec son fiancé céleste ; elle fut éclairée sur les grands mérites qui résultent d'un acte posé par un voeu volontaire et sur les voies de la Providence souvent incompréhensibles, que Dieu choisit pour conduire les âmes élues à ce but, quelquefois malgré leur infidélité. Dieu lui fit reconnaître que pour bien des âmes, les chemins de la vie avec ses combats, ses peines et ses contrariétés, deviennent un moyen dont il se sert, pour les rendre dignes de la grâce ineffable qu'il leur accorde de devenir les heureuses épouses du Roi des cieux. Enfin Dieu fit voir à Catherine comment de nos jours la vie religieuse était méprisée au grand désavantage de l'Eglise, et que pour ce motif beaucoup de ses grâces étaient négligées et perdues. Par ces inspirations, il émut le coeur de sa servante à subir humblement l'opposition de ses parents et à implorer, avec un désir toujours croissant, l'atteinte de cette vocation sublime, comme il lui inspira aussi, d'offrir son coeur en expiation du dédain témoigné dans ce temps à la vie religieuse. C'était alors que la suppression des ordres religieux en France occasionna la désertion des couvents d'Allemagne. La mère de Catherine était d'avis que les rapports d'amitié avec d'autres jeunes filles, distrairaient sa fille et la détourneraient du projet d'entrer au couvent. Elle la plaça donc chez une couturière à Coesfeld, où elle travaillait à la confection du lin et des vêtements. Dans cette occupation elle passa le temps de sa dix-septième à sa vingtième année.

 

Elle aimait à demeurer à Coesfeld, qui était sa Jérusalem spirituelle, parce que là, elle avait l'occasion d'assister plus souvent à la messe, et d'être jour et nuit à proximité du Saint Sacrement.

 

Les vieilles nefs vénérables de son église paroissiale entendirent les remerciements pleins d'effusion réitérés pour toutes les grâces qu'elle y avait reçues dans son baptême, et pour la réception, si souvent renouvelée, des sacrements de Pénitence et d'Eucharistie les dimanches et jour de fêtes. Les riches sculptures mystérieuses de l'église des Jésuites, les voûtes élevées de ce temple, se prêtaient harmonieusement aux contemplations, qui enlevaient son âme loin des ténèbres d'ici-bas, jusqu'aux clartés célestes. Dans l'église de Saint-Lambert, elle trouva la figure de son Jésus crucifié dans une vieille croix vénérable appelée la Sainte Croix. C'est un crucifix en bois, d'une hauteur de six pieds, qui fait une impression tellement saisissante sur chaque pieux chrétien qui a le bonheur de le vénérer, qu'un jour un religieux dit, à l'aspect de cette croix, qu'elle avait dû être ciselée d'après une vision.

Chaque année depuis l'an 800, on célèbre des fêtes jubilaires en l'honneur de cette croix miraculeuse. D'après la tradition, c'est Charlemagne qui aurait donné cette croix aux Saxons nouvellement convertis du culte de Wodan (ou Wotan), qu'ils avaient adoré jusque-là, dans les profondeurs mystérieuses de leurs sombres et antiques forêts de chênes. Le nom de Coesfeld était déjà connu du temps de Charlemagne ; c'est là que le premier évêque de Munster, saint Ludger prêcha la veille de sa mort.

 

Les environs de Coesfeld formaient pour Catherine un saint Calvaire, où l'on portait plusieurs fois par an le saint Crucifix en procession. Elle aimait à faire le grand chemin de croix qui s'étend sur un espace de deux lieues autour de Coesfeld, traverse les bois voisins, et sur le parcours duquel se trouvent échelonnées deux chapelles et de nombreuses croix. Catherine faisait ce trajet pendant la nuit, nu-pieds, se plongeant dans la méditation amoureuse des souffrances de notre Seigneur, et offrant ses invocations et ses mérites pour les âmes des défunts. Celles-ci l’éveillaient souvent pendant la nuit et l’accompagnaient en ce pieux pèlerinage.

 

Un autre endroit d'où elle aimait à faire monter ses prières au Ciel, était l'église de Saint-Lambert. Elle révérait spécialement les cinq Plaies sacrées de Jésus et la très douloureuse Plaie de son épaule qui, disait-elle, était si peu connue. Alors le Seigneur, entaché à la croix, descendait souvent vers elle. Une fois même, lorsqu'elle s'agenouillait la nuit devant la porte fermée de l'église, elle vit la croix entière se rapprocher d'elle visiblement.

 

Pendant ce temps, dans sa dix-huitième année, elle fut confirmée à Coesfeld. Elle dit à ce propos : "Entrant dans l'église, je vis briller l'évêque, entouré d'anges célestes. L'onction sur le front des confirmés brilla comme une lumière. Lorsqu'il m'eut oint, un feu perça mon front jusqu'au coeur, et je me sentis fortifiée. " En même temps elle fut instruite intérieurement qu'elle avait reçu cette force surtout pour prendre sur ses épaules la culpabilité lamentable des membres infidèles de notre sainte Eglise.

Sa Confirmation eut lieu en 1792. Dieu lui fit voir les horreurs de la Révolution, qui furent commises à Paris en cette année, au nom d'une prétendue et fausse liberté, où le christianisme avait dû céder au mépris de Dieu et à une brutalité infernale. La famille royale avait été emprisonnée pour être livrée au bourreau avec des milliers de prêtres et de citoyens paisibles. Catherine fut pénétrée d'une pitié profonde pour cette famille infortunée, mais après les expériences de son enfance, elle n'osa point faire part de ces visions. Après sa confirmation, elle devint par d'indescriptibles souffrances spirituelles et par des maladies subites et changeantes du corps, la fiancée souffrante du Saint-Esprit.

 

Pendant les trois ans de son séjour à Coesfeld, Dieu lui fit subir des épreuves que des personnes prédestinées à la vie religieuse, ont souvent à souffrir comme pierre de touche de leur fidélité, à savoir une désolation intérieure et des obstacles apparemment invincibles pour entrer dans l'Ordre.

 

Quoiqu'elle fût éclairée par des visions sur la sublimité du service de Dieu, elle se sentait privée de toute consolation, et au lieu de redoubler d'instances et de prières, elle conçut une tiédeur décourageante. Dans son humilité, elle attribuait cette indifférence au manque de soin à mériter les grâces célestes, et son abandon intérieur lui fit craindre qu'elle se fût rendue, par ses fautes, indigne de l'état religieux. Elle redoublait de pénitences et d'oeuvres de charité, pour reconquérir l'amour brûlant qui autrefois embrasait son coeur pour Dieu et le prochain. Elle donnait tout aux pauvres et manquait elle-même du nécessaire, pour soulager les indigents ; plus la mortification lui était pénible, plus elle la pratiquait avec ardeur. Elle passait des nuits entières dans la lecture des livres de piété, et dans la prière, qu'elle faisait les bras en croix. Dieu permit qu'elle fût troublée dans ses prières par apparition de Satan qui la maltraita même quelquefois.

Les obstacles extérieurs à son entrée en religion consistaient dans l'opposition qu'y firent ses parents, sa maîtresse et ses connaissances. Le chapitre suivant nous apprendra avec quelle fidélité et quelle persévérance, elle répondit à la grâce de Dieu dans ce grand et difficile combat.

 

Chapitre 6

Catherine, de sa vingtième à sa vingt-huitième année (1794-1802)

 

Au bout de trois ans de cette aridité intérieure, Dieu rendit à Catherine le zèle de son amour ; pourtant elle devait lutter huit ans encore, contre des difficultés extérieures, avant d'obtenir la grâce d'entrer dans un ordre religieux.

Pour la conduire à la plus haute perfection, Dieu voulait que par des souffrances infinies sans cesse renouvelées, elle méritât cette noble vocation que d'autres obtiennent parfois sans le moindre combat, par une voie intérieure qui les amène doucement où Dieu veut les amener.

 

Dans sa vingtième année sa santé était si fortement ébranlée, qu'elle fut obligée de retourner dans sa famille à Flamsche, où elle resta cinq ans vaquant à des travaux de couture. Dans ces conditions, elle ne put éviter les relations avec le monde, et devint un modèle de vertu et d'édification pour son entourage. Elle se montrait toujours dans des vêtements propres et nets, et tenait beaucoup à la bienséance, en disant que ce n'était pas pour le corps qu'il fallait se parer, mais plutôt pour l'âme. Elle ne disait que du bien de son prochain et tâchait toujours d'empêcher la médisance. Elle subissait les réprimandes avec résignation et douceur, parlait peu et ne s'entretenait que de choses ayant trait à la religion et à la piété, en répétant ce qui l'avait frappée dans les sermons entendus et contant l'histoire des saints. Avec une douce modestie, elle cherchait à entraîner les autres au bien, en prenant soin du salut des âmes et en s'occupant des oeuvres de la charité chrétienne. Elle distribuait ses économies aux pauvres, et ce n'était que pour former le trousseau nécessaire à son entrée au couvent, qu'elle en retenait une partie. Travailler en priant était son occupation de chaque jour, et même, lorsqu'à cause du grand éloignement de la maison paternelle elle logeait à l'étranger, elle ne négligeait pas de réciter ses prières usitées des heures entières, agenouillée et les bras étendus. La prière incessante, le culte de la Passion de notre Seigneur, l'imitation de Jésus Christ par la patience et l'abnégation, sa sévère abstinence, surtout pendant le Carême, sa participation aux misères du prochain, voilà les satisfactions célestes, les jouissances supérieures, de cette fille privilégiée.

 

Il ne pouvait manquer que par une telle vie vertueuse, elle devint l'exemple édifiant et comme un centre spirituel, pour tous les habitants de la commune. Son affabilité naturelle, son regard bienveillant, non moins que sa conduite douce et modeste lui attiraient tous les coeurs. Les jeunes paysannes, même les jeunes gens s'approchaient d'elle pour lui confier leurs soucis et demander ses conseils. Les dimanches elle rassemblait autour d'elle les jeunes gens, pour les tenir éloignés de mauvais compagnons : elle les persuadait de faire le chemin de la Croix qu'elle présidait ensuite.

 

On comprendra que dans ces conditions tous, et surtout ses parents, refusèrent leur consentement à l'entrée de Catherine au couvent.

 

D'un côté les parents ne pouvaient se résoudre à se séparer d'un tel trésor, et d'un autre ils jugeaient la santé fragile de Catherine un obstacle à son bonheur parfait dans le cloître. Mais sa vocation se révéla d'une manière trop visible, car Dieu l'avait destinée à une voie extraordinaire. La résistance à ses parents, d'ailleurs très pieux, qu'elle aimait et respectait, était très pénible à sa piété filiale. Mais elle était appelée par une volonté supérieure, que les parents ne savaient comprendre.

Pour garder leur fille auprès d'eux les parents de Catherine cherchèrent à la marier convenablement, ce qu'elle eut l'occasion de faire à cette époque. L'enfant obéissante commença par supplier Dieu, de lui ôter cette antipathie contre le mariage, en cas que ce fût sa sainte volonté qu'elle cédât aux désirs de ses parents. Malgré ces supplications, son désir intime de vouer sa vie entière à Dieu, augmenta de jour en jour. Lorsqu'enfin son confesseur et le curé qu'elle avait consultés à ce sujet, lui expliquèrent qu'elle était libre de suivre sa vocation, ses parents possédant encore plusieurs enfants pour les aider dans leur vieillesse, elle persévéra dans sa résolution.

 

Pressée incessamment par son frère aîné de l'accompagner au moins une fois à une fête publique, elle vainquit sa répugnance et s'y rendit deux fois, espérant ainsi échapper à de nouvelles sollicitations. La première fois, elle crut entendre son fiancé céleste la prier de quitter l'assemblée. Elle se hâta de le suivre, et le trouva au jardin triste et couvert de sang et disant

"Que tu m'es infidèle ! Ne me connais-tu plus ?" Elle lui demanda pardon et fut instruite à tirer son prochain de l'occasion du péché. L'autre fois elle éprouva un sentiment de malaise indéfinissable, comme si la terre devait l'engloutir. Pleine d'affliction, elle courut chez elle, où la Sainte Vierge lui apparut, et lui dit en l'abordant : "Qu'as-tu fait, toi, la fiancée de mon Fils ?" Puis Jésus triste et défiguré lui reprocha de chercher des jouissances terrestres, tandis que lui, souffrant pour les péchés du monde, l'attendait vainement. Catherine crut mourir de douleur et implora la Mère de Dieu de demander pardon pour elle à son divin Fils, en assurant de ne plus jamais céder sur ce point aux prières de ses proches. Elle obtint son pardon, renouvela sa promesse, et les apparitions s'évanouirent.

Que tous les jeunes gens qui lisent ces lignes y voient un avertissement de Dieu, qui leur dit de songer à garder intacte l'innocence de leurs âmes, et de ne pas perdre les fruits de leur éducation et de leur instruction chrétienne au milieu des dangers du monde ; et même si leurs parents avaient l'imprudence de vouloir faire étalage soit de l'intelligence soit des attraits extérieurs de leurs enfants, que ceux-ci surpassent alors leurs parents en sagesse et en précaution !

 

La résistance des parents de Catherine à son entrée en religion ne diminuait cependant pas. Par des prières, des larmes et des réprimandes, ils tâchèrent d'ébranler la fermeté de leur fille, de sorte que le coeur suave et plein d'amour de celle-ci en était fortement troublé : elle savait à peine résister. Dans cette situation elle se réfugiait toujours en la prière fervente, pour obtenir les lumières et les inspirations d'en Haut, et la force de mener à bien l'exécution de son pieux dessein.

 

De plus en plus elle perdit l'espoir de pouvoir jamais réaliser son projet, la faiblesse de sa santé croissant d'année en année. Bien qu'elle eût été informée par son bon ange que ses maladies lui avaient été imposées pour faire amende honorable pour les péchés d'autrui, elle paraissait néanmoins débile et incapable de supporter la Règle et la vie d'une communauté. Sa confiance fut encore mise à une plus rude épreuve, lorsque deux communautés religieuses refusèrent de la recevoir à cause de sa pauvreté et de sa faiblesse. Catherine persista dans la soumission la plus humble de son âme à la volonté du Seigneur.

 

Sa confiance sans bornes, sa fidélité inébranlable dans ce rude combat furent enfin récompensées par une prérogative spéciale, qui prouvait en même temps sa prédestination à la vie religieuse et à l'imitation la plus parfaite de Jésus Christ. Dieu lui donna la grâce de souffrir comme lui les peines de la couronne d'épines. Il y avait quatre ans qu'elle était rentrée dans sa famille, et elle avait vingt-quatre ans quand elle fut favorisée de ce don extraordinaire.

 

Elle nous parle ainsi de ce fait merveilleux :

"Quatre années avant mon entrée au couvent, je me trouvais un jour, vers midi, dans l'église des Jésuites à Coesfeld, agenouillée devant un crucifix et priant ardemment. J'étais plongée dans une profonde méditation, lorsque soudain j'éprouvai un sentiment de douce chaleur et je vis sortir du tabernacle, où se trouvait la sainte Eucharistie, Jésus mon fiancé céleste sous la forme d'un jeune homme éblouissant de lumière. Sa main gauche tenait une guirlande de fleurs, sa droite une couronne d'épines ; il me laissa le choix entre ces deux couronnes. Je saisis la couronne d'épines ; il me la mit sur la tête, et je la pressai des deux mains. Puis il disparut, et lorsque je revins à moi, je sentis une douleur violente autour des tempes. Je fus obligée de quitter l'église. Le lendemain mon front était fortement gonflé, de même que mes tempes jusqu'aux joues, et j'avais de vives douleurs. Ces souffrances et ces enflures se répétèrent souvent et durèrent des nuits et des jours entiers. J'arrangeai le bandeau de ma tête de manière à cacher habilement le sang ; plus tard une seule personne seulement s'en aperçut, mais elle se tut. " - Pour cacher les cicatrices produites par les épines, Catherine mettait à profit la mode de celle époque, prescrivant aux jeunes filles un bandeau de tête qui ceignait le front et se perdait sous le bonnet.

 

Ainsi elle était devenue la fiancée souffrante du Christ, destinée à apaiser la justice divine en participant à ses souffrances pur réparer les fautes de ses contemporains. L'Eglise, la fiancée du Saint Esprit, fut alors elle aussi affligée de la couronne d'épines par des persécutions incessantes, qu'elle eut à subir à cette triste époque de son histoire. C'est dans la même année, où Catherine fut trouvée digne de la couronne d'épines, que Napoléon osa se révolter contre l'autorité sainte du Souverain Pontife et mépriser même la vénération due à ses cheveux blancs. Il conquit Rome en 1798 et changea les Etats pontificaux en république. Le vieillard Pie VI, ne voulant pas renoncer à sa possession légitime, fut emprisonné et conduit à Valence, où la mort mit fin à ses malheurs.

Le 14 mars 1800 Pie VII fut élu Pape à Venise. C'est alors que Catherine intérieurement éclairée par Dieu, prédit que malgré ses succès étonnants, Napoléon finirait par être vaincu et tomberait lamentablement du faîte de ses grandeurs.

 

La Providence lui avait réservé une dernière épreuve qui devait couronner et achever l'oeuvre préparée depuis si longtemps et qui devait compléter, pour ainsi dire, sa dot par son union avec Dieu par les voeux de religion.

 

Son confesseur s'était adressé pour elle aux Clarisses à Munster ; aussitôt qu'il eut reçu une réponse favorable, Catherine se rendit en cette ville, accompagnée d'une amie, pour solliciter elle-même son admission en cette maison. On lui répondit que, comme le couvent était pauvre et qu'elle ne pouvait apporter de dot, elle ne saurait être acceptée qu'à la condition d'apprendre à jouer les orgues, pour se rendre utile de cette manière. Les parents lui donnèrent la permission de prendre des leçons chez l'organiste Sontgen à Coesfeld. C'est alors que Dieu éprouva de la manière la plus dure, la vertu de sa servante qui cependant ne tarda pas à tout sacrifier pour répondre au commandement: "Il faut aimer son prochain comme soi-même."

 

Elle trouva dans cette maison une pauvreté si surprenante qu'émue de compassion, elle appliqua son temps et ses capacités, à écarter la misère de cette pauvre famille, dont elle se fit la simple servante, et ainsi, elle n'eut pas le temps d'apprendre à jouer de l'orgue. Elle dépensa même pour l'entretien de la famille ses soixante marks épargnés et les neuf pièces de toiles qu'elle avait eu tant de peine pendant les cinq années précédentes à se procurer, et qui devaient constituer sa dot bien modeste pour entrer au couvent. En ce temps, d'ailleurs si bien accoutumée fut-elle au jeûne, elle-même apprit à connaître la famine ; de sorte que sa mère, touchée de la charité de sa fille, lui apporta à diverses reprises des aliments qu'elle partageait alors avec la famille dont elle était devenue la providence.

Que dut éprouver le coeur sensible de Catherine aux paroles de sa mère : "Tu as causé à mon coeur maternel une douleur inexprimable en voulant si décidément nous quitter pour entrer au couvent. Quand je vois la place autrefois occupée par toi, mon coeur se brise ; pourtant tu es encore mon enfant." Catherine répondit : "Je vous remercie ; Dieu vous en récompensera, chère mère, c'est par son inspiration et sous d'impulsion de sa divine volonté que je suis venue secourir ses membres souffrants. A l'avenir Dieu pourvoira à leurs besoins !"

 

Pendant trois ans Catherine exerça cette oeuvre de charité, et d'après toute apparence l'espoir d'effectuer jamais son entrée au couvent, s'était fortement amoindri. Mais les voies de Dieu ne sont pas les voies des hommes. Il lui révéla quel riche trésor de grâces elle avait ajouté à sa dot spirituelle pour son union avec son fiancé céleste ; ces preuves de sa charité, cette force d'abnégation constituaient en effet pour le Ciel des sons bien plus doux que le jeu le plus parfait des plus belles orgues.

 

De même que Dieu récompensa l'obéissance et la foi d'Abraham, en lui rendant son fils pour réaliser par ce dernier les prophéties faites à ses ancêtres, de même il rémunéra l'humilité et la résignation de Catherine, en amenant une circonstance imprévue qui causa un changement complet dans la vie de la pauvre servante.

 

Dieu avait donné à la fille de l'organiste Sôntgen, Clara, qui jouait parfaitement de l'orgue, la vocation religieuse. Son père ayant appris que les Augustines à Dülmen manquaient d'organiste, leur offrit sa fille à la condition d'admettre en même romps sa servante Catherine Emmerich comme religieuse. Les Soeurs agréèrent volontiers Clara, mais ne consentirent qu'à regret à l'admission de Catherine, voyant dans la pauvreté de cette nouvelle soeur un fardeau pour la communauté déjà bien pauvre. Néanmoins le père de Clara ne se lassa pas, et Catherine reçut enfin l'heureuse nouvelle de son admission.

 

Peu de jours avant son entrée au cloître, elle se rendit pour la dernière fois à la maison paternelle à Flamsche, pour faire ses adieux à ses parents affligés. Avec un attendrissement très profond elle les remercia de leur amour et de tous leurs bienfaits, et leur demanda pardon de ne pas avoir agi selon leurs désirs, en devenant infidèle à l’appel de Dieu. La mère n'eut d'autre réponse que des larmes ; le père fut accablé d'une si vive douleur en face de cette séparation imminente et irréparable de sa fille, qu'à l'humble demande de quelque argent pour le voyage, lui, qui jusqu'alors ne l'avait traitée qu'avec douceur, répliqua à sa fille : "Je paierais plus volontiers les finis de tes funérailles, mais pour ton entrée au couvent, je ne te donne rien !"

Pleurant, mais remplie d'une ferme espérance de pouvoir se réunir à son fiancé céleste malgré son complet dénuement, elle quitta Flamsche, pour se rendre le lendemain à Dülmen avec Clara. Ses vêtements indispensables et quelques pièces de linge pauvre se trouvaient dans une malle en bois, au fond de laquelle la mère de Catherine avait caché une pièce de toile pour ne pas laisser partir son enfant chérie sans le moindre trousseau. Découvrant la toile, Anne-Catherine n'osa pas en profiter pour elle-même, mais en fit cadeau à Clara, à qui elle devait son admission.

 

Depuis sa fondation le couvent des Augustines n'avait pas accueilli dans ses murs un membre dépourvu de tout bien terrestre, mais pas un seul non plus qui fut aussi riche en grâces et en vertus.

Catherine entra au couvent le 18 septembre 1802 à l'âge de vingt-huit ans. En suivant fidèlement la voix de Dieu qui l’appelait incessamment à la vie religieuse, n'a-t-elle pas accompli à la lettre ces paroles de notre Seigneur Jésus Christ: "Croyez-vous que je sois venu pour apporter la paix sur la terre ! Non, je vous assure; mais au contraire je suis venu apporter la division. Car désormais la mère sera en division avec la fille, et la fille avec la mère." (Luc 12.51) Mais l'appel divin s'élève aussi haut au-dessus des événements et des passions des hommes, que le ciel lui-même n'est élevé au-dessus de la terre. Cette séparation héroïque de tout ce qu'elle chérissait rendait témoignage de la force de son âme ; sa voie, spécialement la dernière qui la conduisit enfin aux portes du monastère, fut celle de l'abnégation ; le seul but de sa vie, dès sa première enfance, était l'accomplissement de la grande tâche qui lui était imposée, c'est-à-dire servir Dieu de la manière la plus parfaite ; sa seule tendance était l'accomplissement de tous ses devoirs, la conservation de l'innocence du baptême, l'amour le plus bienveillant et le plus généreux envers le prochain.

 

L'entrée de Catherine au couvent marque le commencement de la partie la plus sérieuse et la plus douloureuse de son existence : c'est ici que nous apparaît surtout sa mission en ce monde : Réparer par d'indescriptibles souffrances les outrages faits à Dieu et à sa sainte Eglise.

 

Chapitre 7

 

Catherine religieuse

(1802-1811)

 

Le couvent Agnetenberg avait été fondé selon la Règle des ermites de saint Augustin en 1471, et existait depuis trois cent trente et un ans, lorsque Catherine y entra. A cette époque, ce couvent, comme la plupart des institutions religieuses, avait changé de face ; l'esprit tiède et mou du siècle avait pénétré même les religieuses, la Règle était oubliée, la clôture violée. L'habitude seule soutenait encore un certain ordre ; et c'étaient principalement les vêtements qui distinguaient les religieuses des chrétiens du monde. L'institut était si pauvre, que chaque membre devait gagner son déjeuner et son goûter par des ouvrages manuels ou à l'aide d'aumônes.

 

A son entrée au couvent, Catherine pria la supérieure de l'accueillir comme la dernière de la maison. Cependant la conduite si humble, si pieuse, si édifiante de Catherine, ne parvenait pas à apaiser le secret dépit des Soeurs d'avoir été obligées d'accepter dans leur congrégation, une personne si pauvre et si débile. C'est pourquoi elles ne l'estimaient pas ; et pendant les premiers mois elle courait toujours le risque d'être renvoyée.

 

Dans cette pénible situation Dieu lui donna la force de gagner, par le travail de ses mains, non seulement son pain quotidien, mais encore de quoi pourvoir aux frais de son habillement. Enfin elle fut admise novice et reçut l’habit le 5 novembre 1802.

fendant les solennités de sa prise de voile, elle vit en vision le patron de l’Ordre, saint Augustin, lui mettant l'habit, l'adoptant pour sa fille et lui promettant sa protection spéciale ; elle se vit en esprit dans sa maison de noces, et vit sa parure nuptiale embellie par la sainte pauvreté, et par le mépris que lui témoignaient les autres religieuses.

 

Elle eut à souffrir une dure épreuve avant d'être trouvée digne de devenir la véritable épouse de Jésus Christ par l'émission des voeux. Dieu permit qu'à cause de sa pauvreté, elle fût considérée plutôt comme servante que comme religieuse ; elle fut taxée d'hypocrisie à cause de sa piété et des dons spirituels dont elle était comblée et qu'elle ne pouvait cacher, et elle fut accusée de fautes qu'elle n'avait jamais commises. Ses consoeurs, sous l'influence néfaste de l'esprit du temps, la méconnurent, mais plus tard, reconnaissant leur erreur, elles s'en repentirent. Et dans ces circonstances si dures et si pénibles, Catherine se réfugiait aux pieds du Saint Sacrement, implorait l'énergie nécessaire et cherchait à adoucir son affliction profonde par cette pensée : "Je veux persévérer, même si l'on me torture. "

Outre ces tourments intérieurs, Dieu lui envoya un martyr physique dans une maladie du coeur très douloureuse qui la terrassa. Après une grave maladie elle reprit peu à peu ses forces ; mais la pénible affection du coeur resta.

 

La grâce intérieure opéra si puissamment dans le coeur de la novice, qu'une soumission héroïque à la volonté divine lui fit supporter amoureusement le dur traitement de la part des Soeurs, et une suave paix remplissait son âme, la rendit heureuse dans ses souffrances corporelles. L'année du noviciat se termina sans que la communauté religieuse fût résolue à garder la novice, craignant que sa santé délabrée la rendît incapable au travail, et n'en fit une lourde charge pour le couvent. Sa valeur morale ne fut pas considérée comme affaire d'importance ; ce qui fit pencher la balance, c'est que la supérieure de la communauté s'était parfaitement rendue compte de l'habileté de Catherine à tous les ouvrages. Dieu dirigea les coeurs, eues voix s'unirent pour l'admettre à la profession.

 

"Cette fête eut lieu le 13 novembre 1803 durant une neuvaine en l'honneur de la Présentation de Marie. Ce jour-là elle eut de nouveau une vision qui lui révéla qu'elle était comblée de dons et de forces supérieures et élevée à la dignité de fiancée de Jésus Christ, et que la robe nuptiale de son âme avait atteint sa perfection par les prières et les souffrances de sa vie .intérieure. Le bonheur suprême de son âme resplendissait même extérieurement et la fit paraître comme une fiancée heureuse pendant ce jour qui fut pour elle, à tous égards, un pur de la paix la plus pure.

 

La nouvelle de cette grande fête avait amené pour la première fois ses parents à Dülmen. Frappés du bonheur de leur enfant, ils approuvèrent enfin son entrée en religion. Dès lors sa famille lui rendit l'affection d'autrefois, et vint souvent la voir et lui faire des cadeaux. Même les religieuses s'attendrirent à la vue des larmes de joie que Catherine versa, et sa gratitude réitérée les toucha au point d'oublier leur antipathie, de sorte qu'une gaieté spontanée s'empara d'elles. Durant toute sa vie Catherine se rappelait avec une douce émotion ce jour solennel où des harmonies célestes firent disparaître en elle tout mal physique, où son âme ressembla à la nappe d'eau limpide qui reflète l'azur du ciel et l'astre brillant du jour.

 

Son esprit lucide lui fit reconnaître en ce jour de sa profession, que dès sa jeunesse, ses supplications et ses souffrances, son humble acheminement de chaque jour à travers les épines et les contrariétés, son désir invincible d'entrer en religion, la contradiction incessante de sa famille, ses combats intérieurs, an patience et sa persévérance n'avaient pas été trop grands, pour la rendre digne de la grâce la plus sublime dont une âme pieuse puisse jouir sur la terre : l'union avec son fiancé divin par les trois voeux de religion. Et c'étaient là des grâces que méconnurent et méprisèrent les enfants aveugles de l’Eglise qui s'efforçaient, corrompus par l'esprit mondain, d'anéantir la vie religieuse par la dispersion des Ordres religieux et la confiscation de leurs biens.

 

Le désir ardent de se vouer à la vie religieuse, naquit en Catherine en 1790, lorsqu'en France les couvents furent dissous ; son souhait croissait, lorsqu'on parlait en Allemagne de l'abolition générale des monastères, et sa profession arriva dans l'année, où l'on décréta à Vienne la fermeture de tous les couvents et la mainmise sur les biens ecclésiastiques dans toute l'Allemagne, à l'exception des pays autrichiens. Jusqu'à cette année 1811, on poursuivit sans relâche cette oeuvre néfaste de la fermeture des couvents, et ce ne fut que par un hasard providentiel qu'Agnetenberg ne fut pas inquiété pendant ces quelques années. Ces circonstances peuvent paraître purement fortuites, mais Catherine, intérieurement instruite par les lumières d'en Haut, en comprit la portée et la signification. Dieu l'avait élue, pour réparer par son amende honorable et par son aspiration à la plus haute perfection, les fautes qui avaient causé la décadence de la vie religieuse, à laquelle elle méritait par sa fidélité et sa persévérance finale, la grâce d'une résurrection future.

 

Depuis qu'elle était membre de l'Ordre, elle se sentait unie à ses compagnes par des liens d'un amour spirituel bien plus intimement qu'à sa famille. En même temps, elle vit en esprit la décadence de la vie religieuse, cet ornement, le plus beau sans contredit, du Corps mystique de Jésus Christ. Membre de l'état ecclésiastique en général, elle prévit la chute morale de cet état, les sacrilèges de beaucoup de prêtres, la négligence de leurs devoirs envers le prochain, le reniement de leur mère, la sainte Eglise, par la participation à la franc-maçonnerie. Elle reconnut le triste amoindrissement de l’autorité de l'Eglise, vit en esprit les sièges épiscopaux vacants, entre autres celui de Munster ; elle vit des princes protestants usurper la domination sur des sujets catholiques.

En vue de ces maux Dieu agréa le sacrifice de ce coeur brûlant de son saint amour, qui l'unissait complètement à ses intentions adorables et faisait amende honorable pour les membres des Ordres religieux, ainsi que pour tout l'état ecclésiastique. Elle expia par son humilité et par sa pauvreté.

 

La supérieure remplit littéralement la demande de la modeste Catherine, d'être considérée comme la dernière du couvent, en la traitant comme servante. Lorsque sa santé si frêle lui défendit d'exécuter des travaux champêtres, elle fut donnée en aide aux autres Soeurs, et se montrait toujours infatigable et prête à tout ouvrage. Elle habitait la cellule la moins garnie, humide et froide, dans laquelle ne se trouvait qu'une chaise sans dossier et une autre sans siège, et pour table elle n'avait que l'appui de l'unique fenêtre de la cellule. Elle supportait gaiement son indigence et se contentait pour le déjeuner et le goûter des restes des autres. Chose merveilleuse, lorsqu'elle était malade, les aliments et l'argent qu'on lui donnait m aumône, ne diminuaient pas, de même que chez la veuve de Sarepta ; quelquefois elle trouva même l'argent qui lui était nécessaire sur la croisée de sa chambre.

 

En s'efforçant de vivre consciencieusement d'après la Règle qu'elle relisait sans cesse, sa conduite contrastait singulièrement avec la vie des autres religieuses, qui ne connaissaient plus le véritable esprit de l'Ordre, et qui, pour cette raison, accablaient Catherine de reproches, osant jusqu'à aller prétendre que sa vertu n'était qu'apparente et qu'elle n'était qu'hypocrisie et excentricité.

Dieu lui donna le don des larmes pour réparer les péchés du monde. Les Soeurs se scandalisèrent à l'aspect de ces larmes qu'elles prirent pour des signes d'amour-propre blessé. Aussi ne surent-elles point s'expliquer l'état surnaturel de Catherine, par exemple, sa séparation entière du monde extérieur par ses contemplations intérieures. Elle ne put éviter d'être ravie en extase, à l'église, durant le travail, ou dans sa cellule. - Elle y vit des choses surnaturelles pour sa consolation et l’affermissement de son âme dans ses souffrances et, souvent alors, elle étendait les bras vers le crucifix. On qualifiait ces extases de conduite oisive et opiniâtrement paresseuse. Il en résulta qu'elle eut à supporter beaucoup d'injures sensibles.

 

A la réception de Catherine dans la communauté religieuse, vint Augustin lui avait découvert son coeur brûlant d'amour et embrasé le coeur de la vierge au sien propre de ce feu sacré qui embrasait d'une sainte ardeur, Dieu le Bien suprême, et ses meurs destinées par Dieu à la même haute vocation. Mais comme le feu réchauffe et consume en même temps, la flamme de son amour devait consumer son coeur entier. Le Saint Esprit lui avait imposé déjà au noviciat une très douloureuse maladie de coeur, pour réparer la déchéance de l'esprit religieux et surtout les péchés de ses consoeurs. Ce qui rendit cette épreuve plus pénible, ce fut le don qu'elle avait possédé dès sa jeunesse, de pénétrer dans l'intérieur le plus intime des hommes. Elle sentait l'anévrisme corporellement, comme si son coeur était percé continuellement de lances. Elle reconnut que ces flèches qui la transperçaient, n'étaient autres que les pensées, projets, discours nuisibles, calomnies, insensibilités que ses soeurs commettaient contre elle et sa vie vertueuse. Ainsi elle souffrait sans cesse intérieurement, sans que personne ne s'en doutât ; car elle était affable envers tout le monde. Elle aimait toutes les Soeurs d'un amour sincère, et lorsqu'elle s'était laissée aller à une émotion naturelle, elle leur demandait pardon. Elle les servait humblement et gaiement, et dans une maladie dégoûtante d'une soeur qui l'avait offensée plus que les autres, elle la servit avec un redoublement de charité.

 

Par la profession elle était devenue un même corps avec tous les religieux de l'Eglise. Si elle participait aux mérites innombrables de tous les Ordres et de tous les siècles chrétiens, elle dut apprendre aussi qu'elle était réservée à souffrir pour les membres malades de ce même corps.

Elle fut chargée d'infirmités spirituelles en forme de souffrances physiques, pour réparer les fautes de son prochain. Dès le noviciat elle tombait dans des maladies réitérées et douloureuses qui disparaissaient subitement, après avoir passé toutes les phases, et alors que la mort paraissait inévitable. Pour cette raison elle a souvent reçu le saint Viatique. De plus, les médicaments qu'on lui prescrivait, restaient inefficaces, ce qui semblait inexplicable au médecin Krauthausen et aux personnes qui l'entouraient. Plus tard les médecins reconnurent que ces maux n'avaient pas leur origine dans des causes physiques, mais reposaient en des motifs spirituels. Catherine, qui, par sa lumière intérieure n'ignorait pas les causes de ses maladies, ne refusait cependant pas l'usage des médicaments par humilité, pour ne pas se faire remarquer, bien que les remèdes aient produit souvent en elle des effets contraires à ceux qu'on en attendait et aient semblé amener sa mort. Ces souffrances réparatrices ont duré jusqu'à sa dernière heure, en augmentant de plus en plus.

 

Ses compagnes attachaient peu d'importance aux maladies dont elle se rétablissait toujours, négligeaient le soin de sa santé et la laissaient seule sur sa couche. Un jour le duc de Croy à Dülmen, ayant appris sa situation lamentable lui fit apporter un poêle. Ce fut un grand bienfait pour la malade, car les transpirations abondantes dont elle souffrait, l’affaiblissaient au point qu'elle ne pouvait elle-même changer son linge, qui se congelait alors sur son propre corps... Mais par une permission divine, souvent aussi des esprits célestes apparaissaient pour la soigner, la soulevaient de sa couche et l'alitaient de nouveau. Parmi les créatures irraisonnables, les Colombes et les passereaux s'approchaient familièrement de sa fenêtre et les souris se jouaient entr’elles sur la couverture de son lit.

 

D'après la volonté de Dieu elle se remettait parfois pour quelque temps, grâce aux remèdes surnaturels qu'elle recevait de son ange gardien ou par une apparition du Sauveur, de la Mère de Dieu ou de quelque saint. Elle recevait ces remèdes amis forme de fleurs, de boutons, d'herbes dans de petites fioles d'une clarté éblouissante. Souvent elle trouvait dans son lit des herbes odoriférantes, dont le parfum et la sève lui rendaient la santé ; l'usage lui en était chaque fois révélé intérieurement. En d'autres cas elle reçut des statuettes, des pierres avec l'image taillée de Marie qui la guérissaient de même, et qui lui étaient retirées invisiblement, dès qu'elle les avait révérées quelque temps. Elle reçut un don pareil du patron de son Ordre, d'après ce qu'elle raconte

 

"Un jour, en la fête de saint Augustin, j'étais couchée souffrant de douleurs violentes. L'heure s'approchait où la communauté se préparait à la réception de la sainte communion. Personne ne me croyait capable de participer à cette grâce ; tout à coup j'eus un sentiment comme si l'on m'appelait. Je me tondis aussitôt à l'église et redus le Saint Sacrement. Retournée dans ma cellule, je m'évanouis et l'on fut obligé de me recoucher habillée. Alors saint Augustin m'apparut et me donna une pierre transparente en forme de fève, d'où sortait comme un germe, une croix rouge. En même temps, je conçus la signification de ce don : mon coeur devait devenir aussi brillant que cette pierre. Je la mis dans mon verre d'eau pour en boire, et bientôt je me remis. Plus tard la pierre disparut insensiblement. "

 

Chapitre 8

Catherine religieuse

 

(suite)

 

D’autres souffrances corporelles frappèrent Catherine pendant le cours de sa vie religieuse. La troisième année après son entrée au couvent, il arriva un jour que par défaut de précaution de la part d'une soeur, une lourde corbeille remplie de linge encore humide, tomba et atteignit violemment Catherine au côté : le choc fut tel que notre sainte en fut renversée à terre. A la suite de cet accident elle demeura alitée pendant trois mois ; mais des lésions internes et une fracture de la hanche gauche restèrent incurables. Ce fut une cause d'affreuses douleurs pour toute la durée de sa vie, et une gêne pénible dont les effets se faisaient sentir dans le travail et jusque dans le repos lui-même. Ce mal aggrava le mal de coeur dont elle souffrait déjà, et elle vomit souvent le sang.

 

Deux années après, cet état d'infirmité fut augmenté par la participation aux Plaies sacrées de notre Seigneur. Avec une patience admirable elle avait déjà supporté pendant neuf ans les douleurs de la couronne d'épines.

 

C'était en 1807. Les parents de Catherine, dans une visite qu'ils avaient faite à leur enfant, l'avaient engagée à aller révérer la croix miraculeuse en l'église Saint-Lambert, à Coesfeld, et à demander un adoucissement à ses maux. L'humble cille avait paru goûter les avis paternels ; elle se rendit en effet en pèlerinage à Coesfeld et là, plongée dans une profonde méditation devant l'instrument de supplice du Sauveur, pénétrée de la compassion la plus vive pour les douleurs de Jésus, elle implora de Dieu la grâce de participer davantage encore à ses souffrances. Ce saint désir fut exaucé, car dès ce moment elle sentis continuellement des douleurs brûlantes aux mains et aux pieds, qui étaient comme percés d'un glaive ; le doigt du milieu de chaque main était comme transi de douleurs. Ces plaies et les souffrances que lui causait son côté gauche, empêchaient souvent son travail.

Dans les intervalles de temps et de répit que lui laissèrent ces diverses maladies, Catherine fut adjointe comme aide à la soeur sacristine. Elle fut spécialement chargée du repassage du linge d'église, du service de la sacristie, de la préparation des hosties, de la sonnerie des cloches, etc.

Quelque difficiles et pénibles que fussent ces travaux pour la pauvre infirme, elle les accomplit néanmoins d'une manière exacte et parfaite, dans l’esprit d'une véritable dévotion. Il arriva un jour pendant une de ses maladies, que la provision d'hosties fut complètement épuisée. A cette nouvelle, Catherine, profondément affligée, demanda à Dieu un peu de force et un redoublement d'énergie pour surmonter sa grande faiblesse ; elle parvint à se traîner à la chapelle aux pieds du Tabernacle. Puis, se relevant, elle commença à préparer ce qui était nécessaire à la confection d'hosties nouvelles. Son ange gardien qui lui fut envoyé comme un messager d'en Haut, les acheva. Mais c'est avec la plus grande peine, et soutenue par les anges, qu'elle put regagner alors sa cellule.

 

La sonnerie des cloches était à ses yeux une occupation très noble. Elle s'acquittait de cette fonction en priant, et avec le sentiment que la consécration de la cloche devait répandre la bénédiction de Dieu sur la nature, et remplir les coeurs des chrétiens pieux et fervents, d'un saint empressement à louer et à glorifier Dieu. Souvent ses douleurs étaient si violentes, que l'accomplissement de ce service lui devenait impossible.

Déjà vers ce temps, ses souffrances avaient tellement augmenté d'intensité, qu'elle ne pouvait les endurer, les supporter que par une assistance particulière de Dieu. Son âme participait aux souffrances physiques par des angoisses, par une tristesse et une désolation insurmontables. Elle voyait en effet, par ses contemplations, les causes des malheurs de l'Eglise.

 

La pureté de son intention, et l'ardeur de son désir de souffrir avec Jésus crucifié, comme la dernière des pécheresses, apparaissent avec évidence de ce fait, qu'elle imposait à son pauvre corps malade un scapulaire de crin et une ceinture, dite de Pénitence, en fil de laiton, portés sur la chair nue si languissante cependant et si délicate. Au sortir du couvent, elle cessa de porter ces deux objets pour obéir à son confesseur.

 

Nous savons que dès sa plus tendre enfance, la vertu qui caractérisait particulièrement Catherine était une ardente charité envers le prochain. Cette vertu éveilla déjà dans cette jeune âme comme plus tard du reste, une si vive compassion pour les maux corporels et spirituels du prochain, qu'elle supplia le Père céleste de la frapper au lieu et place des coupables. Elle trouva la satisfaction la plus douce dans l'acceptation des maux et des châtiments d'autrui, et jouit toujours d'une paix intime, douce et profonde, même lorsqu'elle paraissait succomber sous le poids de la souffrance et de la douleur.

 

Elle ne négligeait jamais les oeuvres de charité, et bientôt la bonne et affable petite soeur du couvent eut acquis les sympathies de tous les pauvres et infirmes du voisinage. Les personnes opprimées couraient vers elle, lui demandant prière, consolation, conseil, pansement de leurs plaies, etc.

Catherine discernait le siège de chaque maladie et les remèdes appropriés au mal. Tous devaient apprendre que sa parole et ses oeuvres étaient couronnées d'une bénédiction spéciale. Bien qu'accablée de la plus profonde pauvreté, elle distribuait aux malheureux l'argent que des personnes généreuses lui donnaient pour suffire à ses propres besoins. Dieu bénit sa charité d'une manière éclatante. C'est ainsi qu'un jour le comte de Galen lui ayant fait cadeau de deux pièces d'or, Catherine les distribua aux pauvres jusqu'à la dernière obole, et cependant les deux pièces d'or se retrouvèrent constamment dans la poche de son vêtement.

 

Il arriva même quelquefois que, pour suffire à la charité, elle se trouvât en deux endroits en même temps. Lorsqu'elle avait chargé sur ses épaules l'expiation des péchés de personnes qu'elle avait vues en visions, elle leur apparaissait quelquefois personnellement, pour les prévenir du danger que le péché leur faisait courir.

 

Comme dans la première période de sa vie, elle eut aussi à vaincre en ce temps les persécutions du démon. Avant tout, il chercha à jeter le trouble et le découragement dans son âme à cause de l'hostilité persévérante et continue de ses consoeurs. Il tâcha de lui enlever son amour du renoncement et du sacrifice, et de la pousser à quitter le couvent. Nous reconnaissons bien à tous ces efforts de l'enfer, combien était méritoire et chère à Dieu cette vie de réparation de notre sainte. L’apparition de son ange lui montra la manière de combattre le diable, et celle de l'Enfant Jésus lui communiqua forces et consolations pour le bon combat.

 

Ce fut un bonheur bien doux pour Catherine en entrant au couvent, de se trouver si proche du Très Saint Sacrement devant lequel elle pouvait passer des heures entières.

Pendant les heures consacrées au travail, enfermée dans sa cellule, elle avait l'habitude de voler en esprit vers le tabernacle, où elle aimait tant à séjourner. Ses fonctions de sacristine étaient pour elle des fonctions saintes, parce qu'elle servait en compagnie des saints anges le Roi des Cieux. Prosternée au pied des autels, elle exhalait devant le Dieu de l'Eucharistie l'amour qui la consumait, et la vive compassion qu'elle éprouvait de le voir si méconnu, si délaissé : Dieu lui laissa voir en effet comment de son temps ce sacrement d'amour était profané par la tiédeur générale et les nombreux sacrifices des impies. Elle demandait des souffrances réparatrices que Dieu lui accorda et rendit si terribles, qu'elle y cherchait un adoucissement au pied du tabernacle, et que la nuit elle se cramponnait, pleurant et gémissant, à la muraille de l'église.

 

Quand elle voulait se nourrir du pain céleste, elle concevait à côté d'un amour immense le sentiment décourageant de son indignité. Souvent son désir prenait de telles proportions, que ne pouvant dompter son ardeur, elle éveillait l'aumônier pour se Faire donner la sainte communion avant le jour.

Avant la sainte communion elle suppliait le Seigneur de lui donner son Coeur divin, pour la rendre digne de le recevoir. Dieu lui fit voir que seulement par ce Coeur et avec ce Coeur, elle pouvait l'aimer et l’exalter dignement. Elle faisait un pacte avec Dieu, et s'obligea à le remercier, à le glorifier et à n'employer ses sens qu'à son service parfait : à tel point que chaque respiration et chaque moment devaient être de sa part un acte de reconnaissance et de louange envers lui. Après cela, elle priait les saints, de communiquer à son âme leur beauté, leurs ornements et leurs vertus pour mieux la préparer à la réception de son époux céleste. Elle s'adressait de préférence à la Mère de Dieu, pour obtenir une partie de l'abondance et de la magnificence de ses vertus. Elle suppliait spécialement la Sainte Vierge de lui présenter son Enfant divin, comme elle l'avait présenté aux Mages de l'Orient.

 

Elle assistait à la sainte Messe de la manière suivante : Au commencement, elle voyait en esprit Jésus au jardin des oliviers. Elle demandait pour le prêtre la grâce d'offrir le Saint Sacrifice de la manière la plus agréable à Dieu, et pour les hommes, celle d'y assister avec dévotion. Pendant la Consécration elle offrait au Père céleste son Fils bien-aimé pour le monde entier, surtout pour la conversion des pécheurs, pour les mourants et les âmes du purgatoire. En esprit, elle voyait l'autel entouré des choeurs des anges en adoration et se couvrant de leurs ailes devant le Sauveur, et elle ne comprenait pas sa propre hardiesse de fixer ses regards sur l'autel. Souvent elle voyait sortir des saintes Espèces une splendeur céleste, ou une croix de laquelle le sang coulait. D'autres fois elle voyait Dieu petit enfant, et pendant la messe de Noël elle apercevait l'Enfant Jésus au-dessus du calice. Au moment de la sainte communion, Jésus son fiancé divin s'approchait d'elle, et disparaissait après la réception de la Sainte Hostie. Plusieurs fois pendant la messe elle fut ravie en extase.

 

Non seulement pendant son séjour au couvent, mais durant toute sa vie, elle priait beaucoup pour la conversion des pécheurs et pour les âmes du purgatoire. Outre les prières prescrites par la Règle, elle aimait la méditation et parlait à Dieu, comme un enfant a coutume de parler à son père, jour et nuit, pendant l'ouvrage ainsi qu'à table, de sorte qu'elle oubliait souvent de prendre ses repas.

 

La sainte Providence lui avait destiné pour son séjour au couvent et encore plus pour son avenir, un prêtre qui devint son conseiller humain, son appui dans l'accomplissement de la volonté divine et son guide sur la voie périlleuse de la vie. Le curé Martin Lambert, autrefois vicaire dans le diocèse d'Amiens, ayant refusé le serment de fidélité à la république

française, avait émigré à l'étranger, comme beaucoup de prêtres français à cette époque. En 1794 il vint dans le diocèse de Munster où le vicaire général Fürstenberg le plaça comme confesseur, au château du duc de Croy à Dülmen. En même temps il reçut la charge d'aumônier au couvent Agnetenberg, où il avait aussi sa demeure. Le Père Augustin Crysanthus était confesseur des religieuses. Catherine travaillant souvent dans la sacristie, se trouva par là en rapport avec le vicaire Lambert, auquel elle s'adressa avec une grande confiance, à cause de la tendre dévotion qu'il témoignait en célébrant la sainte Messe. Elle eut même le courage de se découvrir à lui, et de lui demander le secours de ses conseils lorsqu'elle eut à traverser l'épreuve pénible de l'hostilité déclarée de ses consoeurs. Le prêtre plein d'expérience reconnut aussitôt les projets extraordinaires de la Providence, et se crut obligé d'agir dans l'intérêt de Catherine autant que possible. Il déterminat son confesseur à l'admettre plus souvent à la sainte communion, et alla jusqu'à lui ordonner de la recevoir, vu son humilité extrême. C'était lui qui était toujours prêt à la lui donner dès avant le jour. Quoiqu'indigent lui-même, il devînt le bienfaiteur de Catherine, en la pourvoyant d'argent, quand elle en manquait, et d'aliments nécessaires à son corps épuisé.

 

Catherine avait passé neuf ans à Agnetenberg, lorsqu'en 1811 l'institut fut frappé du sort général de la sécularisation et de la confiscation des biens monastiques. Ceux-ci, ainsi que le couvent échurent au duc de Croy.

 

La dispersion de la communauté excita en Catherine une telle douleur, qu'elle en tomba gravement malade. Nous savons par ce qui précède, que Catherine n'avait rencontré pendant son séjour au couvent, que peines extérieures et intérieures de mutes sortes ; mais malgré cela, elle considérait la vie religieuse comme la vocation la plus propre à souffrir méritoirement et en silence. Cette soif de souffrir lui avait rendu la cellule la plus pauvre, riche en paix divine, et avait conformé son existence à la plus grande intimité avec Dieu ; si les peines, la pauvreté et la tristesse intérieure menaçaient de surpasser ses forces, les habitants du Ciel venaient la servir et l’enrichir des dons du paradis. Et voilà que maintenant, elle devait quitter la maison de Dieu, où elle s'était vouée à lui comme sa fiancée, où lui-même avait demeuré avec elle. Là, elle avait trouvé mille fois dans le Saint Sacrement Celui qui la fortifiait et la protégeait et embrasait le coeur de sa fidèle servante du feu brûlant de son amour. Son union au corps religieux de la sainte Eglise était donc rompue à jamais et brisée sans retour. C'est donc en vain, que pendant tant d'années elle avait lutté contre l'opposition des siens, pour obtenir cette grâce des grâces, s'ensevelir à jamais dans la solitude et l'oubli du monde. Et voilà, hélas ! qu'après plusieurs années seulement de solitude et d'oubli, elle se voyait contrainte de rentrer dans un monde indifférent ou hostile, et devenu un étranger pour elle. Tout cela affligea profondément l'âme de Catherine, qui considérait comme une grâce les souffrances de la solitude.

 

Remplie d'une grande horreur intérieure elle retourna dans le monde, prévoyant la grandeur toujours croissante de la tâche qui lui était réservée. C'est alors que commença la période la plus triste de sa vie, sa mission de devenir pour l’Eglise un signe de la vérité du christianisme, et une réparation des infidélités d'un temps où triomphait le mépris de Dieu et de la foi divine. Dieu, après l’avoir fortifiée dans la solitude par des souffrances inouïes, reconduisit cette humble vierge dans le monde, pour la marquer des plaies de sa Rédemption, et la laisser faire pénitence pour le dédain général des grâces divines, en la faisant participer à ses peines, ses souffrances et ses opprobres. La profondeur des douleurs où elle avait été plongée l'avait rendue capable de grandes actions ; car la mesure des grâces surpasse la grandeur des souffrances.

Déjà au couvent, lorsqu'à la nouvelle de la fermeture de celui-ci elle tomba malade, la Mère de Dieu lui apparut et lui dit

"Vous ne mourrez pas, sans que votre mort occasionne un grand bruit ; mais ne craignez rien ! Quoi qu'il arrive, vous serez toujours secourue."

 

Chapitre 9

Les stigmates de Catherine

 

Au départ des religieuses, Catherine, forcée par sa maladie à garder le lit, demeura seule au couvent. Le vicaire Lambert et une servante, l'assistèrent dans son infirmité durant l'hiver qui déjà commençait à se montrer rigoureux. Au printemps suivant, ils se virent forcés de chercher un autre asile. Le vicaire se crut appelé par Dieu, de prendre sous sa garde ce trésor qu'il avait découvert dans la solitude. Il accueillit donc Catherine dans sa petite demeure chez la veuve Roters. Cette modeste habitation n'était séparée du cloître que pur une ruelle ; et cependant la malade ne pouvait être transportée qu'à grand-peine dans la chambrette qui donne sur la rue et dont la fenêtre touchait presque le sol.

Les changements extérieurs l'avaient tellement impressionnée qu'elle en faillit mourir. Comme son confesseur venait de mourir, on appela le Père Limberg pour lui apporter le saint Viatique. Ce père était retourné dans sa famille à Dülmen après la sécularisation de l'institut des Dominicains à Munster et il exerçait son ministère dans sa ville natale.

Ceci eut lieu au commencement du Carême de l'année 1812 ; la malade ne put quitter le lit avant Pâques. Après cette fête, elle était à peine en état de se traîner par la maison. Elle était une servante dévouée et empressée pour son bienfaiteur, le vicaire Lambert ; elle le soigna avec la plus grande attention, lorsqu'il devint souffrant à son tour : elle respectait toujours en lui le prêtre vénérable, l'ami le plus fidèle et le bienfaiteur généreux. Pendant l'été elle put aller à l'église paroissiale et à la chapelle située hors de la ville. Ce sera à jamais un souvenir précieux autant que pieux pour les habitants de Dülmen, que cette martyre ait sanctifié ses souffrances et ses prières au même endroit, où ils assistent eux-mêmes au service divin.

 

Mais bientôt le vicaire apprit avec admiration qu'ici plus encore qu'au couvent l'esprit de Catherine était attiré par une sainte force vers Dieu ; car il la trouva souvent en extase pendant des heures entières. Elle ressemblait alors à une statue. Jusqu'à la fin de l'année elle put encore circuler ; pour la dernière fois, elle était allée à l'église le jour de la commémoration des morts. Vers Noël elle fut atteinte d'une grave maladie, dont elle se remit pour peu de temps vers le commencement de l'année 1813 ; vers la fin de février, elle fut de nouveau condamnée à garder le lit: elle ne le quitta plus les onze dernières années de sa vie. Avec le consentement du vicaire, elle fit venir sa soeur cadette Gertrude pour administrer le ménage sous sa propre direction.

 

Outre les extases, l'année 1812 vit commencer les apparitions des stigmates du Sauveur sur la personne de Catherine.

 

La première eut lieu le 28 août, en la fête du patron de son Ordre, saint Augustin. Ce jour-là elle priait, les bras étendus, quand tout à coup, le Sauveur s'approche d'elle semblable à un jeune homme resplendissant de beauté et de gloire. De la croix blanche qu'il tenait en main, le Sauveur imprima, à l'endroit du coeur de Catherine, et dans sa chair virginale, un signe de croix sanglant. Elle n'y porta pas les regards, mais conçut comme une brûlure violente, et cette douleur ne la quitta plus désormais. - La connaissance de ce stigmate devint publique par une disposition de la Providence. A quelques jours de là, au mois de septembre, Catherine visitait la chapelle d'un ermitage dans les environs de la ville, et pendant qu'elle y priait, elle tomba en extase. Les personnes accourues à son aide, ne connaissant pas son état, la crurent évanouie et ouvrirent les vêtements au-dessus du coeur pour lui procurer quelque soulagement ; elles découvrirent alors le signe merveilleux et en divulguèrent la connaissance.

 

A la fête de sa patronne, le 25 novembre, elle reçut une seconde distinction, qui consistait dans un signe sanglant sur la poitrine, en forme de la grande croix de Coesfeld. A la Noël l'Enfant Jésus daigna lui imprimer un troisième signe en forme de croix latine, au-dessus du second.

 

Ainsi il plaisait à Dieu de marquer par un triple miracle le coeur de cette âme choisie, du signe de la Rédemption. Dès sa jeunesse, elle avait supplié Dieu de lui imprimer sa sainte croix, sans penser jamais que cela put se faire d'une manière visible. Ces signes merveilleux devaient être, dans la pensée divine, des miracles prêchant au coeur des chrétiens aveuglés de ce temps, où la croix du Seigneur était devenue un scandale non seulement aux Juifs et aux païens comme le disait déjà l'Apôtre saint Paul, mais aussi à beaucoup de chrétiens baptisés par ce signe sacré, qu'ils oubliaient et méprisaient.

 

Les dons du Ciel cependant n'étaient pas encore épuisés : le Seigneur rendit son humble servante digne de participer même aux plaies de son crucifiement, dont elle subissait déjà depuis cinq ans les douleurs.

Ces stigmates nouveaux apparurent quatre jours après la Noël, le 29 décembre 1812. Voici ce que Catherine en dit elle-même :

 

"Je me trouvais dans la chambre chez Roters, vers trois heures de l'après-midi. Je méditais la Passion de notre Seigneur et je priais Dieu d'augmenter mes souffrances. A cette intention je récitais cinq PATER et AVE en l'honneur de ses plaies sacrées. Tout à coup, je ressentis une sainte béatitude et une soif insatiable des douleurs de Jésus s'empara de moi. Subitement je vis descendre sur moi une splendeur surnaturelle, sortant d'un corps crucifié, tout vivant et lumineux, qui avait les bras étendus : il n'y avait pas de croix. Les blessures brillèrent plus fortement que le corps, en formant cinq cercles lumineux. Dans ce ravissement, mon coeur fut ému d'une profonde douleur et en même temps d'un bonheur inexprimable. Je ressentis vivement le désir de participer à la Passion de mon Sauveur. Ce souhait croissant à l'aspect des blessures, je vis sortir des mains, des pieds et du côté de l'image, des rayons brillants et rouges, qui se terminaient en flèches. Ces rayons se dirigèrent vers mes mains, mes pieds et mon côté. Je demeurai longtemps sans connaissance, jusqu'à ce qu'une fille de la propriétaire, qui était entrée dans la chambre, replaçât mes mains dans leur position naturelle. Cette jeune fille raconta alors à ses parents, que je m'étais blessé les mains au point de les faire saigner.

 

Le vicaire Lambert et le confesseur Limberg furent stupéfaits à la découverte des plaies de Catherine : ils convinrent de les cacher au monde ; ils supposaient avec raison que dans ce temps de tiédeur en matière de foi, une telle merveille finirait par troubler la paix de la malade, ainsi que leur sécurité propre. Ils ne se doutaient pas que d'après le plan divin, cette humble vierge devait figurer comme un crucifix vivant, sur la route d'un monde corrompu, pour attester notre Rédemption et l'effusion du Sang précieux de Jésus Christ pour nous.

Crucifiée spirituellement avec Jésus Christ, elle devait partager aussi son ignominie. Elle aussi elle devait être - nous le verrons - un signe de contradiction pour le monde athée, qui vomit contre elle la haine et la calomnie.

 

Avant de continuer l'histoire de Catherine, arrêtons nous un instant pour considérer, comment la Providence la mit en relation avec des personnes qui contribuaient à l'accomplissement de sa tâche sublime, en la protégeant et la guidant sur le chemin de douleur où Dieu l'avait placée. Les voies de la Providence et l'enchaînement de tous ces événements sont merveilleux et admirables.

 

Le vicaire Lambert, ce prêtre pieux et dévoué, qui avait sacrifié position et patrie à la foi de Jésus Christ, fut récompensé de sa fidélité dans un pays étranger : ici en effet, il était chargé de conduire une âme sainte et méconnue dont il devint le consolateur et le conseiller. Lorsque plus tard, cette vierge fut arrachée à l'isolement et appelée par Dieu à rendre témoignage à Jésus Christ devant le monde entier, ce fut lui qui la protégea et apparut à ses yeux comme un exemple vivant et encourageant de martyr persécuté pour la foi. Il fut trouvé digne de partager l'affront et les injures faites à une âme innocente, que persécutaient les ennemis de Dieu et de l'Eglise. La haine qui régnait alors en Allemagne contre les Français, et l'esprit matérialiste du temps, qui reniait et combattait le surnaturel, accusèrent le vicaire Lambert, d'avoir produit d'une manière artificielle les blessures de Catherine à laquelle il aurait fait jurer un silence perpétuel. Mais il se sentit heureux de souffrir ainsi pour l'honneur de Jésus. Il a persévéré fidèlement au chevet de souffrances de Catherine jusqu'au dernier soupir de celle-ci. Il a mérité qu'on prononce avec vénération son nom à côté de celui de la vénérable martyre.

Catherine fut à son égard une servante dévouée, moins par des services extérieurs que par la grâce d'une sainte mort, qu'elle lui a obtenue par sa vie de dure pénitence : (nous en reparlerons plus loin).

 

Le second prêtre, envoyé par Dieu à Catherine fut le Père Limberg, qui après son retour dans le monde, devint son confesseur pour le reste de sa vie. Il était destiné à la conduire à la perfection dans la voie de la vertu, et on n'aurait su trouver un prêtre plus digne et plus apte à cette mission. Catherine éprouva une grande consolation dans la pensée de partager son sort, étant arrachée comme lui à une communauté religieuse ; et la ferme résolution qu'il avait prise de régler dans le monde sa vie d'après ses voeux, la rendait plus heureuse encore. Elle ressentit une vive reconnaissance envers Dieu de lui avoir donné comme guide un religieux animé des mimes principes qu'elle.

 

Dès le début, elle vit en lui, non seulement le confesseur, mais aussi son supérieur religieux : elle lui obéissait dans toutes les circonstances de la vie aussi bien que dans les affaires de sa conscience, avec une docilité vraiment monastique. La vertu prédominante de Catherine était l'obéissance et cette obéissance exercée parfaitement est la preuve la plus indubitable de la pureté de sa vertu et de ses dons intellectuels. Le mérite de l'obéissance lui valut mieux que celui de ses plus poignantes douleurs. Son désir de vivre dans l'esprit d'obéissance avait munie grandi depuis son retour dans le monde. Elle se montrait toujours l'enfant docile de son confesseur et suivait avec une soumission aveugle ses enseignements, qui étaient pour elle des ordres de Dieu. Ses contemplations religieuses n'étaient pas le motif de cette obéissance parfaite ; mais c'était uniquement l'esprit de foi. Aussi attacha-t-elle plus d'importance aux avis de son confesseur qu'à ceux de son ange toujours visible pour elle. Celui-ci d'ailleurs approuva cette manière d'agir en diminuant son activité extérieure pour elle, quand elle avait à suivre les préceptes de son confesseur. Par cette noble soumission au ministre de l'Eglise, ses mérites et ara dons surnaturels, devinrent la propriété méritoire de toute l'Eglise. Son obéissance était le lien intermédiaire entre elle et la sainte Eglise de Jésus Christ.

 

Dès le commencement de sa direction, le vicaire Limberg suivait le principe de ne pas donner trop d'attention aux choses extraordinaires qu'il apercevait dans sa pénitente. Il ne l’interrogeait point sur ses contemplations pour conserver en elle l'humilité et la candeur. Il la traitait comme les autres pénitents en général, avec sévérité et concision, ne cherchant qu'à l’amener à l'accomplissement de la volonté divine en toute situation. De même que son esprit sobre, sa gravité incorruptible convenaient à sa position extraordinaire d'être le guide d'une âme si préférée du Ciel, ainsi sa pénitente se distinguait par cette simplicité chrétienne qui convenait éminemment à cette manière simple et sérieuse d'agir à son égard. Il ne pouvait donc manquer qu'elle éprouva une profonde affliction, à la nouvelle que son confesseur voulait quitter Dülmen pour remplir ailleurs une autre fonction.

Nous avons appris déjà que sa soeur Gertrude remplaçait Catherine dans les soins du ménage. Mais au lieu d'être un appui et une aide à sa soeur, Gertrude devint pour les neuf années qui suivirent, la cause d'une nouvelle et rude épreuve. Elle avait un esprit peu doué et manquait de toute expérience : Catherine était obligée de lui donner des instructions pour tous les ouvrages de main et de cuisine, qu'elle avait à exécuter. Le caractère brusque et dur de sa soeur donnait à la malade l’occasion de s'exercer dans la patience : l’entêtement et l'arrogance de Gertrude ne souffraient pas en effet la moindre opposition ou réprimande. Ne comprenant pas l'état de la malade, elle n'éprouvait ni amour ni estime pour celle-ci. Les amis de Catherine cherchèrent à provoquer l'éloignement de cette fille ; mais ils trouvèrent une vive résistance à ce projet auprès du vicaire Limberg. Il vit dans cette nouvelle épreuve un moyen efficace pour sa pénitente de parfaire son sacrifice et d'augmenter ses vertus. Il avait raison. Dieu réserve souvent aux personnes privilégiées une vie de mortification et d'abnégation, afin de leur faire acquérir les vertus les plus solides dans une lutte perpétuelle contre leur nature faible et défaillante. Ces âmes choisies expient pour les pécheurs impénitents, et acquièrent cette bienveillance intarissable et cette amabilité attrayante qui attendrit les coeurs les plus endurcis et les pousse si fortement à la pratique des vertus.

 

Outre ces deux prêtres, Dieu donna à cette âme privilégiée un troisième gardien dans la personne du docteur Wesener. D’abord il lui fallut le gagner à l'Eglise : l'esprit de civilisation et de progrès moderne avait pénétré son coeur, et l'avait refroidi à l'égard de la religion ; puis, revenu à de meilleurs sentiments, il y resta fidèle et devint l’ami dévoué de Catherine, jusqu'à la mort de celle-ci. Il l'accompagna dans la voie épineuse de sa vie et subit héroïquement les railleries de ses contemporains.

Au mois de mars 1813, la soeur et ancienne compagne de Catherine, Clara Sontgen vint voir la malade. Grâce aux soins vigilants des prêtres, les stigmates de Catherine étaient restés intacts pendant plusieurs mois. Clara rendit la chose publique et occasionna la visite du jeune médecin, qui vint se convaincre de la prétendue imposture. Wesener dont Catherine avait prévu l'arrivée depuis longtemps, reconnut dès sa première visite sa double erreur : celle concernant la personne de Catherine, jugée hypocrite par le monde, et celle concernant sa propre vie impie. Ce jour béni, 22 mars 1813, vit s'opérer la conversion complète du jeune médecin.

 

Ecoutons son propre récit sur ce fait remarquable

 

"Ce fait me toucha plus qu'aucun autre dans toute ma vie. Mon expérience ne me disait rien sur un semblable état, et ma volonté de démasquer par une conduite imposante ce fanatisme trompeur, échoua complètement. J'étais troublé et profondément ému. Je trouvai son état si extraordinaire, que je pris la résolution de soumettre ce fait à un examen approfondi. A cette fin, je fis venir son curé, son médecin ordinaire et son confesseur. A la seconde visite qu'il fit le lendemain à Catherine, le Père Limberg demanda à celle-ci en sa présence, comment le docteur avait eu connaissance de l’état où elle se trouvait. Elle répondit: « C'est dans un café où il parla de moi d'une manière hostile, et c'est en sortant de là qu'il est venu me voir. »

"A ces mots, continue le docteur Wesener, et voyant ma profonde émotion, Catherine m'exhorta doucement à être calme et à prendre courage. Dieu est infiniment miséricordieux, me dit-elle, et chaque âme pénitente, qui est animée de bonne volonté, trouve grâce devant lui. Elle m'encouragea alors à assister les pauvres et à les soulager, parce que cette oeuvre de charité plaisait particulièrement à Dieu."

 

Il continue en racontant, comment elle lui avait enseigné la prière et lui avait donné des instructions sur les doctrines de l'Eglise. La Providence avait produit en lui une oeuvre de grâce : il se sentait transformé spirituellement ; quant à l'état de Catherine, il était convaincu de son origine surnaturelle. Il alla plusieurs fois la voir le premier jour, et lui, qui la veille encore, avait à qui voulait l'entendre fait partager son incrédulité au sujet des stigmates de Catherine, fut si fortement frappé et ému de la vérité de ce fait merveilleux, qu'il se sentit obligé d'en faire part au curé le jour même.

Dès lors il se mit en relation continuelle avec Catherine et se fit instruire par elle sur tous les points de la foi et de la morale chrétiennes. Il parvint à une véritable piété et pratiqua de la manière la plus touchante les oeuvres de charité. Plein de reconnaissance envers Catherine pour l'aide qu'elle lui avait prêtée à lui faire retrouver la foi de son enfance, il lui fit l'hommage de sa science médicale et fut pour elle jusqu'à la fin, un ami dévoué. De son côté, Catherine usait du don de seconde vue dont elle jouissait et de son crédit auprès de Dieu en faveur des malades traités par le docteur, et celui-ci dut reconnaître maintes fois avec admiration, que ce n'étaient point tant ses remèdes que la vertu de la prière de Catherine, qui produisait ces guérisons inespérées qui le plongeaient lui-même dans l'étonnement. Il demanda le conseil de son amie pour la distribution de ses aumônes aux malades indigents. Wesener devint de même le conseiller et l'aide de l'abbé Lambert souffrant et malade: il le secourut avec la plus grande vigilance jusqu'à son dernier soupir.

Wesener a écrit aussi un journal, dans lequel il a détaillé ses observations au sujet de Catherine : on y trouve surtout les traits extraordinaires de sa vie, ainsi que les actes qui prouvent à l'évidence l'excellence de sa conduite et la perfection de sa vie. Il rassembla les notes de ce journal, et en composa une "Histoire abrégée de la vie de Catherine Emmerich, destinée à une Revue de médecine." Ces mémoires restèrent cependant inédits.

 

Pendant la première partie de sa vie, Catherine avait souvent fait le grand chemin de croix sur le calvaire voisin de Coesfeld ; nous allons voir maintenant que sa vie tout entière, intérieure et extérieure, ne va plus être qu'un dur et pénible chemin de croix.

 

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