HOMÉLIE III
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TROISIÈME HOMÉLIE. SUR ANNE ET L'ÉDUCATION DE SAMUEL : QU'IL EST BON D'ENFANTER TARD ; QU'IL EST FUNESTE DE NÉGLIGER SES ENFANTS.

 

ANALYSE.

 

1. Anne exaucée. Profit qu'on peut retirer de son exemple.

2. Piété d'Anne consacrant son lits à Dieu.

3. Comparaison entre son sacrifice d'une part, de l'autre, celui du prêtre et celui d'Abraham. Sa modestie, sa gratitude.

4. Anne bénie du Seigneur : proposée pour modèle aux mères.

5. Parallèle de la cité céleste et des cités mondaines. La confession par la foi et la confession parles œuvres.

 

1. Si je ne vous parais point monotone et fatigant, je veux revenir sur le même sujet dont je vous ai déjà entretenus l'autre jour, je veux vous ramener auprès d'Anne, et entrer avec vous dans le champ que nous ouvrent les mérites de cette femme : c'est comme une prairie où foisonnent non les roses, ni les fleurs qui passent, mais la prière, la foi, la résignation. Bien plus doux que l'odeur des fleurs printanières, est le parfum de ces vertus, arrosées non par l'eau des sources, mais par des pluies de larmes. Les fontaines rendent moins florissants les jardins désaltérés par elles, que les larmes versées, en humectant l'arbre de prière, ne lui donnent de force pour monter aux sublimes hauteurs : l'exemple d'Anne en est une preuve. Elle parle, et du même élan sa prière monte au ciel et fructifie, en lui donnant le bienheureux Samuel. Ne prenez donc point d'impatience, si nous rentrons dans le même sujet. Car nous ne vous dirons point la même chose, mais des choses nouvelles et inattendues. C'est ainsi qu'un même mets peut paraître sur une table préparé de mille manières différentes. C'est ainsi encore que les orfèvres, d'un seul lingot d'or tirent des bracelets, des colliers, et nombre d'objets divers. La matière est semblable, mais l'art varie, et grâce aux ressources, aux expédients dont il dispose, l'uniformité de la substance qui lui est livrée ne limite en rien son indépendance. S'il en est ainsi des choses du monde, à plus forte raison faut-il en dire autant de la grâce du Saint-Esprit. Ecoutez en quels termes Paul nous atteste la variété, la profusion de formes et d'apparences de. cette, table spirituelle : A l'un est donnée par l'Esprit la parole de sagesse : à un autre la parole de science, à un autre la foi, à un autre la grâce de quérir, les dons d'assistance, de gouvernement, celui des langues reverses. Or, tous ces dons, c'est le seul et même Esprit qui les opère, les distribuant à chacun comme il veut. ( I Cor. XII, 8-11.) Voyez-vous quelle variété ? Les fleuves sont nombreux, suivant l'apôtre, mais la source est la même les mets sont variés, mais l'hôte est unique. Ainsi donc, puisqu'il y a tant de variété dans la grâce de l'Esprit, ne nous lassons point. Nous avons vu Anne stérile, nous l'avons vue mère, nous l'avons vue dans les larmes, nous (503) l'avons vue dans la joie; alors nous l'avons plainte :aujourd'hui partageons sa joie. C'est encore un précepte de Paul : Se réjouir avec ceux qui se réjouissent, pleurer avec ceux qui pleurent. Et cette conduite, nous devons la tenir non-seulement à l'égard de nos contemporains, mais encore vis-à-vis des hommes de l'ancien temps. Et qu'on ne vienne pas me dire : Eh ! de quoi peut me servir Anne et son histoire ? En effet les femmes stériles pourront apprendre de là le moyen de devenir mères; et les mères, à leur tour, connaîtront quel est le meilleur moyen d'élever leurs enfants. Et ce ne sont pas seulement les femmes, ce sont encore les hommes qui retireront le plus grand profit de cette histoire en apprenant à traiter doucement leurs femmes, même atteintes de stérilité, ainsi qu'Elcana se comportait avec Anne. Que dis-je? ils en retireront un avantage bien plus grand encore, en apprenant que les parents doivent élever en vue de Dieu tous les enfants qui leur sont nés. Gardons-nous donc, parce que ce récit ne doit nous rapporter ni argent ni lucre, de le juger inutile à écouter: jugeons-le au contraire utile et. profitable par cela même qu'il ne nous promet ni or ni argent, mais ce qui est bien préférable, la piété de l'âme, et les trésors des cieux, et qu'il nous enseigne les moyens d'écarter de nous tout péril.

En effet, il est facile, même à des hommes, de faire un présent d'argent; mais corriger la nature, mais dissiper un pareil chagrin, consoler une pareille douleur, relever une âme près de succomber, c'est ce qui n'est possible à aucun homme, mais au seul Maître de la nature. Et toi-même, femme qui m'écoutes, si affligée d'un mal incurable, après avoir in utilementparcouru toute la ville, dépensé de l'argent, consulté beaucoup de médecins, sans trouver aucun soulagement, tu venais à rencontrer une femme atteinte d'abord, puis guérir de la même infirmité, tu ne cesserais de la supplier, de l'exhorter, de la conjurer, jusqu'à ce qu'elle t'eût nommé son libérateur. Et maintenant qu'Anne est sous tes yeux, te racontant son infirmité , t'indiquant le remède, te désignant le médecin sans que tu le lui demandes, sans que tu l'en presses , tu ne t'approcherais pas, tu ne t'emparerais pas du remède, tu n'écouterais point l'histoire dans tous ses détails? Mais, dès lors, quel bien pourra jamais devenir ton partage? On a vu plus d'une fois des gens franchir de vastes mers, s'embarquer dans de longs voyages, prodiguer leur argent, supporter des fatigues pour visiter en pays étranger un médecin qui leur avait été désigné, et cela sans grand espoir d'être débarrassés de leur maladie; et toi, femme, toi qui n'as pas besoin de faire un voyage outre-mer, ni de sortir de ton pays, ni d'affronter aucune épreuve de ce genre (et que dis-je? sortir de ton pays ? tu n'as pas même besoin de franchir le seuil de ta maison), toi donc, qui peux, sans sortir de ta chambre t'aboucher avec le médecin, et, sans recourir à aucun interprète, l'interroger sur tout ce qui t'intéresse (c'est Dieu, est-il écrit, qui s'approche de toi, et Dieu n'est pas loin. (Jér. XXIII, 23) , tu hésiterais, tu remettrais lit chose à un autre moment ? Et quelle serait ton excuse? quelle indulgence obtiendrais-tu, si, pouvant trouver un remède aisé et tout à fait commode aux maux qui t'affligent, tu montrais de l'insouciance et abandonnais le soin de ton propre salut? Car ce n'est pas seulement la stérilité, ce sont encore tous les maux, soit de l'âme soit du corps, que ce médecin-là peut guérir; il lui suffit de le vouloir. —Et la chose étonnante n'est pas seulement qu'il guérit sans peine, sans voyage, sans dépense, sans interprètes ; c'est encore qu'il guérit sans douleur. — Le fer, le feu, employés parles médecins du monde, sont chez lui hors d'usage; un signe, c'est assez , et toute tristesse, toute douleur, toute souffrance bat en retraite et prend la fuite.

2. Ainsi donc point de négligence, point de retard, fussions-nous pauvres et tombés au dernier degré de l'indigence. —Toute dépense est inutile ici, de sorte que nous ne saurions alléguer notre pauvreté. Ce n'est pas de l'argent que le médecin exige pour salaire, mais des larmes, des prières et de la foi. Si tu viens à lui pourvu de ces ressources, tu ne peux manquer d'obtenir tout ce que tu demanderas, et tu t'en retourneras comblé de joie. Bien des preuves le démontrent, mais particulièrement l'exemple d'Anne ; elle n'eut à fournir ni or, ni argent, mais simplement une prière, de la foi, des larmes; et ainsi elle put s'en retourner en emportant ce qu'elle était venue demander. N'allons donc point taxer d'inutilité ce récit. Car, ces choses, au dire de l'apôtre, ont été écrites pour nous être un avertissement, à nous pour qui est venue la fin des temps. (I Cor. X, 11.) — Approchons-nous de la trière de Samuel, (504) apprenons comment fut guérie son infirmité, et ce qu'elle fit alors, après sa guérison, et comment elle usa du présent qu'elle avait reçu de Dieu. Elle s'assit, dit l'historien, et allaita Samuel.

Voyez-vous comment dès lors elle considérait cet enfant, non comme un enfant seulement, mais encore comme une offrande; elle . avait deux raisons de l'aimer, l'une de nature, et l'autre de grâce. Il me semble qu'elle respectait son enfant , et cela se conçoit. En effet, ceux qui se proposent de consacrer à Dieu des coupes ou des vases d'or, une fois qu'ils les ont tout prêts entre les mains, et qu'ils les tiennent en réserve chez eux en attendant le jour de la consécration , ne les considèrent plus désormais comme des objets profanes, mais comme des offrandes , et ne se permettent pas même d'y toucher sans motif et sans utilité, comme ils font pour les autres choses de ce genre; Anne, à bien plus forte raison, donnant ses soins à l'enfant dans cette même pensée, tout d'abord, avant de l'introduire dans le temple , l'aimait plus qu'un enfant ordinaire, et le respectait comme une offrande, pensant être sanctifiée par lui; en effet, sa maison était devenue un temple, depuis qu'elle renfermait ce prêtre, ce prophète. Mais sa piété ne se montre point seulement dans sa promesse; elle se révèle encore en ceci, qu'elle n'osa pas entrer dans le temple, avant d'avoir sevré son fils. Elle dit à son mari : Je ne monterai point au temple, jusqu'à ce que l'enfant y monte avec moi. mais lorsque je l'aurai sevré, il sera offert à la vue du Seigneur, et il siégera là pour toujours. (I Rois, I, 22.) Voyez-vous? Elle ne jugeait pas prudent de le laisser à la maison et de monter au temple. Après le présent qu'elle avait reçu, elle ne supportait pas la pensée de se montrer sans ce présent; au contraire, lorsqu'elle l'aurait pris avec elle pour l'amener au temple, il devait lui en coûter de redescendre. Voilà pourquoi elle attendit si longtemps pour paraître au temple avec son présent. Alors elle l'amena, elle le laissa . et l'enfant, pas plus qu'elle, ne gémit, en se voyant dérober la mamelle. Vous savez pourtant quelle est la douleur des enfants que l'on sèvre. Mais Samuel ne fut point chagrin en se voyant arracher sa mère; ses regards se reportèrent sur le Maître, à laquelle celle-ci même devait le jour, et la mère de son côté, ne souffrit point d'être séparée de son enfant parce que la grâce intervint pour triompher des attachements naturels, et parce qu'ils se croyaient encore réunis. Ainsi la vigne étend ses rameaux bien loin de la place étroite qui enferme sa tige , sans que cet éloignement empêche la grappe de faire partie du même corps que la racine; la même chose se réalisa pour Anne. De la ville où elle demeura, elle projeta son rameau jusqu'au temple, et suspendit en cet endroit sa grappe mûre et la distance des lieux ne les sépara point, parce que la charité selon Dieu maintenait dans leur union la mère et l'enfant. Grappe mûre, ai-je dit, mûre noir par l'âge, mais par la qualité; pour tous ceux qui montaient au temple, Samuel était un maître de piété profonde. Car si la curiosité les portait à s'enquérir, des circonstances qui avaient environné sa naissance, ils gagnaient à cela une consolation efficace, l'espoir en Dieu. Et personne, à la vue de ce jeune enfant, ne s'en allait en silence; mais tous glorifiaient l'auteur de ce bienfait inespéré. Voilà pourquoi Dieu avait différé l'enfantement; c'était pour rendre cette joie plus profonde, c'était pour jeter sur Anne plus d'éclat. Car ceux qui connaissaient son infortune devenaient des témoins de la grâce que Dieu lui avait faite; de telle sorte que sa longue stérilité servit à la faire mieux connaître de tous, à la rendre un objet d'envie , d'admiration universelles, et à faire adresser, à son sujet, des actions de grâces à Dieu. — Je dis cela pour, que, s'il nous arrive de voir de saintes femmes en état de stérilité, ou en proie à quelque semblable infortune, nous n'éprouvions ni colère, ni amertume, et que nous ne disions pas en nous-mêmes: Pourquoi donc Dieu a-t-il négligé une femme si vertueuse, et ne lui a-t-il point donné d'enfant? Car ce n'est point là le fait de la négligence, mais celui d'une science mieux instruite que nous-mêmes de ce qui nous importe. Anne monta donc au temple, elle introduisit l'agneau dans la crèche, le veau dans l'étable, dans la prairie, la rose sans épines, rose non passagère, mais perpétuellement en fleur, rose capable de s'élever jusqu'au ciel, rose dont l'odeur enivre encore aujourd'hui tous les habitants de la terre. Bien des années se sont succédées, et le parfum de cette vertu ne fait que s'accroître, et la longueur du temps écoulé ne l'a point affaibli. Telle est la nature des choses spirituelles.

3. Elle monta donc au temple, afin de transplanter (505) ce glorieux rejeton, et, imiter ces cultivateurs laborieux qui déposent d'abord au sein de la terre des graines de cyprès ou d'autres plantes pareilles, puis, lorsqu'ils voient que la graine se fait arbre, au lieu de laisser la plante au lieu de sa naissance, l'en retirent pour la replacer dans un autre endroit, afin que la terre nouvelle qui l'accueille dans son sein déploie toute sa force, une force intacte pour alimenter la jeune racine. L'enfant dort elle a reçu, contre toute espérance, le germe dans son sein, elle l'arrache de sa maison, pour le planter dans le temple; qu'arrosent d'inépuisables sources spirituelles. Et l'on put voir se réa lise r en leur personne cette prédiction du prophète David : Bienheureux l'homme qui n'a pas marché dans le conseil des impies , qui ne s'est pas tenu debout dans la voie des pécheurs ; qui ne s'est pas assis dans la chaire de pestilence , mais sa volonté est dans la loi du Seigneur, et dans sa loi il méditera jour et nuit; et il sera comme le bois planté sur le passage des eaux, lequel donnera son fruit en son temps. (Ps. I, 1 - 3.) En effet Samuel n'avait pas fait l'expérience du vice, avant d'en venir trouver le remède: c'est en sortant des langes qu'il s'attacha à la vertu : il ne participa point aux réunions où règne l'iniquité, il ne fréquenta point les conversations pleines d'impiété; dès le premier âge, en quittant le sein de sa mère, il accourut à cette autre mamelle spirituelle. Et de même qu'un arbre continuellement arrosé, s'élève à une grande hauteur; de même il monta promptement au sommet de la vertu, grâce à la divine parole dont son oreille était incessamment abreuvée. Mais voyons comment cette plantation s'opéra. Suivons Anne, entrons dans le temple avec elle. Elle monta avec lui, dit le texte, à Sélom, conduisant un veau de trois ans. Alors un double sacrifice se célèbre: une des victimes est douée de raison, l'autre en est dénuée; l'une est immolée par le prêtre, l'autre consacrée par Anne. Mais non, l'hostie offerte par Anne avait bien plus de prix que celle qui fut immolée par le prêtre. Car Anne était sacrificatrice de ses propres entrailles; c'est le patriarche Abraham qu'elle imitait, c'est contre lui qu'elle prétendit lutter. Mais Abraham recouvra son fils et l'emmena Anne, au contraire, laissa le sien dans le temple pour qu'il y restât toujours. Je me trompe : Abraham lui-même consomma son sacrifice. Ne vous arrêtez point, en effet, à ce qu'il n'égorgea point son fils : songez seulement que dans sa pensée il alla jusqu'au bout. Voyez-vous cette femme en lutte avec un homme? Voyez-vous comment son sexe ne l'empêche point de riva lise r avec le patriarche? Mais regardez la consécration : S'étant approchée du prêtre, elle lui dit : A moi, seigneur. (Ibid. v, 26.) Que signifie cette expression, A moi? Cela veut dire : Prête une exacte attention à mes paroles. Comme un long temps s'était écoulé, elle veut lui remettre en mémoire ce qui a été raconté précédemment. De là ce qui suit : A moi, seigneur : ton âme se souvient. Je suis la femme qui s'est arrêtée devant toi en priant le Seigneur au sujet de ce jeune enfant. J'ai prié le Seigneur, et il m'a donné la chose que je lui avais demandée. Ft moi je prêle cet enfant au Seigneur, afin qu'il serve le Seigneur tous les jours de sa vie. (I Rois, I, 27, 28.) Elle ne dit pas : je suis la femme que tu as injuriée, que tu as insultée, raillée comme étant dans l'ivresse, comme n'ayant plus l'usage de sa raison; à cause de cela Dieu t'a fait voir que je ne suis point ivre : c'est inconsidérément que tu m'adressais ce reproche. Elle ne profère aucune de ces dures paroles, elle répond au contraire avec une douceur parfaite quoique le tour qu'avaient pris les événements témoignât assez en sa faveur, quoiqu'elle pût reprocher au prêtre de l'avoir accusée à tort et mal à propos, elle n'en fait rien, elle ne parle que de la bonté de Dieu. Voyez que de reconnaissance chez cette servante ! Lorsqu'elle était dans la peine, elle n'avait dévoilé son infortune à personne, elle n'avait pas dit au prêtre : J'ai une rivale, et cette femme qui m'accable d'injures et d'invectives aune troupe d'enfants, tandis que moi qui vis dans la sagesse, je n'ai pu devenir mère jusqu'à ce jour : Dieu a fermé mon sein, et me voyant dans les tribulations, il n'a pas eu pitié de moi. Rien de cela : elle se tait sur la nature de son infortune, et montre seulement qu'elle est dans la peine en disant : Je suis une femme dans l'affliction : et elle n'aurait pas même proféré cette parole si le prêtre ne l'y avait forcée, en soupçonnant qu'elle était ivre. Mais lorsqu'elle est hors de cette épreuve, et que Dieu a exaucé sa prière, alors elle révèle au prêtre ce bienfait, voulant lui faire partager sa reconnaissance, comme autrefois il s'était associé à sa prière : J'ai prié, dit elle, au sujet de ce petit (506) enfant, et le Seigneur m'a donné ce que je lui avais demandé. Et maintenant je le prête au Seigneur. Voyez sa modestie. Ne croyez pas, veut-elle dire, que je fasse une grande, une admirable action , en consacrant mon jeune fils ! je n'ai pas eu l'initiative de ce bien, je ne fais qu'acquitter une dette. J'ai reçu un dépôt : je le rends à celui qui me l'a confié. En disant ces paroles , elle se consacrait elle-même avec son enfant, elle s'enchaînait pour ainsi dire au temple par le lien de son attachement naturel.

4. En effet, si à l'endroit où est le trésor de l'homme, là est aussi son coeur, la pensée de la mère était à plus forte raison auprès de son enfant. Et son sein se remplissait d'une nouvelle bénédiction. Car après qu'elle eut dit ces mots, et qu'elle eut prié, écoutez le langage que tint le prêtre à Elcana : Que le Seigneur te rende une nouvelle progéniture issue de cette femme, en échange du prêt que lit as fait au Seigneur. (I Rois, II, 20.) Au commencement il ne disait pas : Qu'il te rende, mais bien qu'il t'accorde tout ce que tu lui demandes. Mais lorsqu'elle eut fait de Dieu son débiteur, il dit qu'il te rende, de manière à lui faire concevoir de belles espérances pour l'avenir. En effet, celui qui avait donné sans rien devoir, ne pouvait manquer de rendre après avoir reçu. Le premier enfant dut par conséquent son origine à la prière, les suivants à la bénédiction: et de cette façon tous les rejetons d'Anne furent désormais sanctifiés. Elle n'avait dû qu'à elle-même son premier-né : le second fut dû au concours d'elle-même et du prêtre. Et comme une terre grasse et féconde, après qu'on y a déposé la graine, étale à nos yeux des moissons superbes: de même Anne, ayant reçu avec foi les paroles du prêtre, nous donna d'autres épis florissants, et abrogea l'antique malédiction, en mettant au jour des enfants de prière et de bénédiction. Suivez donc son exemple, femmes qui m'écoutez : Si vous êtes stériles, offrez une telle prière, et sollicitez le prêtre de se charger de votre ambassade. Quand vous aurez accueilli avec foi ses paroles il est impossible que la bénédiction de vos pères n'aboutisse point à un beau fruit mûr. Si vous devenez mère, consacrez, vous aussi, votre enfant. Anne mena le sien au Temple: faites au vôtre en vous-même un temple magnifique. Car vos membres, dit l'apôtre, sont le corps du Christ, et le temple de l'Esprit-Saint qui est en vous. (I Cor. VI, 19.) Et ailleurs: J'habiterai en vous-mêmes et je marcherai parmi vous. (II Cor. VI, 16.) Ne serait-il pas absurde, quand on répare une maison délabrée qui menace ruine, qu'on dépense de l'argent pour cela, qu'on rassemble des ouvriers, qu'on ne néglige rien, de ne pas accorder la moindre sollicitude à la demeure de Dieu, (car l'âme de l'enfant doit être la demeure de Dieu) ? Prenez garde de vous entendre dire, ce qui fut dit autrefois aux Juifs. Comme au retour de la captivité, ils voyaient leur temple négligé, et qu'ils s'occupaient néanmoins à parer leurs maisons, ils irritèrent Dieu à tel point qu'il envoya son prophète, et les menaça de la famine, et d'une extrême disette des choses nécessaires à la vie: il leur dit aussi la raison de cette menace; la voici : Vous habitez dans des maisons lambrissées, et ma maison est abandonnée. (Agg. I, 4.) Si la négligence des Juifs à l'égard de ce temple excita à ce point la colère de Dieu, à plus forte raison l'abandon de cet autre temple spirituel est-il fait pour irriter le Maître: en effet ce dernier temple l'emporte d'autant plus sur l'autre en valeur, qu'il offre de plus grands symboles de sanctification. Ne souffrez donc pas que la maison de Dieu devienne une caverne de voleurs, afin de ne pas vous entendre répéter le reproche que le Christ adressa aux Juifs, à savoir: La maison de mon Père est une maison de prière; et vous en avez fait une caverne de voleurs. (Matth. XXI, 13; Luc XIX, 46.) Mais comment cette autre maison devient-elle une caverne de voleurs ? C'est lorsque nous laissons pénétrer et s'acclimater dans les âmes des jeunes gens des appétits mercenaires, serviles, enfin toute espèce de libertinage. En effet les brigands sont moins à craindre que de pareilles pensées, qui asservissent les enfants, les rendent esclaves des passions déraisonnables, leur font sentir de tous côtés de perçants aiguillons, et déchirent leur âme de mille plaies. Songeons donc à cela tous les jours, et, armés du fouet de la raison, chassons de leur coeur toutes les passions de ce genre, afin que nos enfants puissent être admis dans la cité céleste et exercer complètement les fonctions dévolues à ses habitants. N'avez-vous pas vu souvent en ce monde les chefs des Etats, dès que leurs enfants ont quitté la mamelle, en faire des thallophores (1),

 

1. On nommait ainsi ceux qui portaient des rameaux d'olivier dans certaines fêtes publiques.

 

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des agonsthètes (1), des gymnasiarques (2), ou des chefs de choeurs (3) ? Faisons de même: dès le premier âge initions les nôtres aux affaires de la cité qui est dans les cieux. Car pour celle de ce monde, elle n'est qu'un sujet de dépense, et ne rapporte aucun profit.

5. En effet, quel gain peut-on retirer des applaudissements populaires, dis-moi? Le soir venu, tout ce bruit, tout ce tumulte perd aussitôt son charme; l'assemblée une fois séparée, comme des gens qui se sont vus en songe assis à une table somptueuse ; voilà ces hommes sevrés de toute joie : le plaisir que leur causait cette couronne, cette robe magnifique et tout cet appareil, c'est en vain que dès lors, ils le chercheraient en eux-mêmes : tout s'est enfui plus vite que le vent le plus rapide.

Il en est autrement de la cité céleste : sans exiger aucune dépense, elle nous rapporte un profit aussi grand que durable. Là ce ne sont point des gens ivres, c'est. le peuple des anges qui applaudit sans cesse l'homme en charge. Que dis-je? le peuple des anges : le Maître des anges en personne félicitera celui dont je parle et lui donnera son approbation. Or celui que Dieu loue, ce n'est pas un jour, ni deux, ni trois, c'est durant toute l'éternité qu'il triomphe, la couronne au front; et jamais on ne saurait voir la tête d'un tel homme dépouillée de sa gloire. Car la durée de la fête n'est point enfermée là-haut entre les bornes de quelques journées, elle se prolonge sans fin dans l'éternité. — De plus la pauvreté n'est point un empêchement à l'exercice de ces ,fonctions : le pauvre même peut s'en acquitter, le pauvre surtout, attendu qu'il est exempt de toutes les pompes mondaines : le nécessaire n'est point d'avoir de l'argent à dépenser, mais de posséder une âme pure et un esprit sage. Tel est l'artisan qui ourdit pour l'âme les vêtements destinés à cette autre vie, qui lui tresse sa couronne. En sorte que, si cette âme n'est point parée des mérites de la vertu, elle n'a nul besoin de beaucoup d'or; comme d'autre part, la pauvreté ne lui portera en rien préjudice,

 

1. Nom de ceux qui présidaient aux jeux publics et décernaient le prix.

2. Directeurs des gymnases où les jeunes gens s'exerçaient.

3. Fonction théâtrale.

 

si elle possède le trésor intérieur. Ces fonctions, que non-seulement nos enfants mâles, mais encore nos filles les remplissent. En effet, ce n'est point comme dans la cité terrestre, où les hommes seuls sont admis à ce genre d'offices: la scène dont je parle est ouverte indistinctement aux femmes, aux vieillards, aux jeunes gens, aux esclaves, aux hommes libres. En effet, comme c'est l'âme qui est offerte en spectacle, ni le sexe, ni l'âge, ni le rang, ni rien de pareil, ne peut soulever un obstacle. Par conséquent, je vous exhorte tous, à livrer dès le premier âge vos fils et vos filles aux offices de cette nature, à mettre en réserve pour eux le genre de richesse qui convient à l'organisation d'une cité pareille : au lieu d'enfouir de l'or, d'amasser de l'argent, déposons dans leur âme, sagesse, chasteté, réserve, en un mot toutes les vertus. Car telle est la dépense que cet office réclame. Si donc nous faisons de telles provisions pour nous-mêmes et pour nos enfants, durant la vie présente nous brillerons d'un vif éclat., et dans l'autre monde nous entendrons cette bienheureuse voix par laquelle le Christ proclame tous ceux qui l'ont confessé. Mais cette confession n'est pas seulement la confession par la foi . c'est encore la confession par les oeuvres ; de sorte que, faute de celle-ci, nous risquons d'être punis avec ceux qui nient. Car il y a bien des manières différentes de nier, lesquelles Paul nous indique en disant : Ils confessent qu'ils connaissent Dieu, et ils le nient par leurs oeuvres. (Tit. 1, 36.) — Et ailleurs : Si quelqu'un n'a pas soin des siens et surtout de ceux de sa maison, il a renié la foi, et il est pire qu'un infidèle. (I Tim. V, 8.) Enfin, dans un autre endroit : Fuyez l'avarice, qui est une idolâtrie. (Coloss. III, 5,) Mais s'il y a tant de manières de nier, il est clair qu'il n'y a pas moins, qu'il y a même beaucoup plus de manières de confesser . faisons en sorte de les pratiquer toutes, afin de jouir, nous aussi, des célestes honneurs, par la grâce et la charité de Notre-Seigneur Jésus-Christ, par qui et avec lequel, gloire au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

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