CHAPITRE XXXVIII

NOUVELLES TRAMES DE LUCIFER CONTRE L'ÉGLISE. LA SAINTE VIERGE PART DE JÉRUSALEM, ET OPÈRE DE NOUVELLES MERVEILLES.

La très-sainte Vierge veillait avec une maternelle et ineffable sollicitude à la dilatation de l'Église, et elle priait avec ferveur le Très-Haut à cette fin; dans son ardente prière plusieurs fois elle fut ravie en Dieu et elle s'entendit dire avec bonté: Ma fille et mon épouse bien-aimée, votre amour fidèle au-dessus de celui de toutes les créatures nous fait trouver en vous la plénitude de nos complaisances, montez au trône de Dieu, afin que vous soyez absorbée par l'abîme de notre divinité, autant qu'il est possible à une pure créature; prenez de nouveau possession de notre gloire, nous remettons tous nos trésors dans vos mains; le ciel est à vous, ainsi que la terre et toutes choses, jouissez pendant votre vie mortelle des privilèges de bienheureuse au-dessus -de tous les saints; que les peuples et toutes les créatures vous servent, et entrez en partage de tous les biens de notre éternelle société, comprenez le grand dessein de notre providence, et prenez part à nos décrets; que votre volonté soit une avec la nôtre, et unique soit aussi le motif par lequel nous disposerons toutes choses pour notre Église.

Toutes ces faveurs ineffables étaient cachées à Lucifer, aussi le dragon rempli seulement de son orgueil ourdissait avec les siens dans ses nombreux conseils des trames funestes contre l'Église, et préparait une nouvelle guerre pour la détruire entièrement. La paix de l'Église était favorable pour la conversion des fidèles, et d'un autre côté la persécution était nécessaire pour augmenter leur mérite et leurs épreuves, aussi Dieu les alternait comme dans les siècles postérieurs, et ainsi toujours la divine providence les fait succéder l'une à l'autre, c'est pourquoi il permit à Lucifer de sortir de l'enfer. La fureur du dragon infernal était arrivée à son comble, il aurait voulu détruire le monde s'il l'avait pu, il amena avec lui au-dehors les deux tiers de ses maudits et cruels compagnons; ils firent rapidement le tour de la terre pour retrouver les apôtres et les disciples, et Lucifer resta près de Jérusalem. Les mauvais esprits à leur retour firent une exacte relation à leur malheureux chef, et il ordonna aux uns de se tenir, auprès des apôtres et des disciples pour les persécuter, et aux autres d'irriter les juifs et les magistrats des gentils contre les chrétiens, il en assigna un grand nombre à Hérode afin qu'il persécutât le nom chrétien. Lucifer tourmentait d'un autre côté les justes par des tentation secrètes, des suggestions, il inspirait la pusillanimité, faisait naître des illusions, et mille autres choses comme il fait encore de nos jours à l'égard des personnes spirituelles qui veulent sincèrement aimer Dieu.

Rien n'était caché à la divine mère, qui adorant la conduite de la divine providence, redoublait ses prières, ses larmes et ses soins pour tous les fidèles. Elle donnait des avis, et des conseils à ceux qui étaient avec elle ou peu éloignés, elle les exhortait, les pressait et les animait à souffrir et à mourir pour l'amour de Dieu. Et au milieu de toutes ces sollicitudes, la maîtresse des vertus conservait toujours à l'extérieur un visage serein et plein de majesté; jamais les peines de son coeur ne la firent apparaître avec un air attristé, ni son amabilité ordinaire n'en fut altérée. Elle alla se jeter aux pieds de saint Jean avec un visage joyeux et humble et après lui avoir demandé la bénédiction et baisé humblement la main, elle lui demanda la permission de parler, l'ayant obtenue, elle dit; mon maître et mon fils, le Très-haut m'a fait connaître les terribles persécutions qui menacent l'Église; le superbe dragon est sorti des cavernes infernales avec des légions innombrables de mauvais esprits enflammés de fureur, afin de détruire le corps mystique de l'Eglise; cette ville sera la première à être agitée, on ôtera la vie à quelques uns des apôtres, et les autres seront cruellement maltraités par les instigations de l'enfer, le Seigneur le permettant ainsi. Je voudrais comme leur mère les assister tous, mais c'est la volonté de Dieu que je sorte de Jérusalem, si vous y consentez, vous que je regarde comme mon maître et mon supérieur. Ils résolurent alors d'aller à Ephèse situé aux confins de l'Asie-Mineure, et après avoir disposé tout ce qui était nécessaire à Jérusalem, elle se recommanda au Seigneur et le supplia de défendre les apôtres et ses serviteurs, et d'humilier l'orgueil de Lucifer et la méchanceté de l'enfer. Le Seigneur lui répondit, qu'il regarderait l'Eglise avec une grande miséricorde, qu'il remplirait de bénédiction et de grâce ceux qui invoqueraient le nom tout-puissant de Marie, et qu'il laissait tous ses trésors dans ses mains. Elle reçut l'ordre d'aller de nouveau consoler saint Jacques en Espagne et de lui dire de revenir à Jérusalem, et cela avant de partir pour Éphèse. Aussitôt ses anges gardiens avec d'autres qui étaient descendus du ciel, formèrent comme un char de gloire avec une nuée éclatante, ils y placèrent la grande reine, et ils se dirigèrent vers Sarragosse dans la province d'Aragon, en chantant tantôt l'ave Maria, tantôt le salve régina, et des psaumes auxquels la grande et bonne reine répondait, en disant, saint, saint, saint est le Dieu de gloire, qu'il ait pitié des enfants d'Ève. Le bienheureux apôtre était auprès des murs de la ville occupé à la prière, parmi les disciples les uns dormaient, et d'autres priaient lorsque la musique des anges se faisant entendre de loin ils furent tous remplis d'une joie céleste. Le trône royal de la reine des anges environné d'un globe de lumière se reposa à la vue du Saint apôtre sur une colonne de jaspe préparée par les anges. La divine mère se rendit visible au bienheureux apôtre, qui prosterné le visage contre terre la vénéra comme la mère du créateur de toutes choses. Elle lui donna avec bonté la bénédiction au nom de son très-saint fils, en lui disant ; Jacques, serviteur du Très-Haut, soyez béni par sa main tout-puissante. Tous les anges répondirent, amen. Mon fils Jacques, ce lieu sera une terre bénie, vous y élèverez un temple en mon nom, ce sera une maison de prière et une source de grâces, vous reviendrez ensuite à Jérusalem et vous offrirez votre vie en sacrifice au Seigneur; Les anges dressèrent une colonne sur laquelle ils placèrent une sainte et très-belle image de la grande reine. Saint Jacques avec les anges la vénérèrent et en firent la fête, ils chantèrent des cantiques de louanges et rendirent grâces à la divine mère de ces grandes faveurs; après lui avoir donné de nouveau la bénédiction, elle revint à Jérusalem. L'apôtre avec le secours du ciel érigea en ce lieu une sainte chapelle.

La sainte Vierge ayant été rapportée dans son oratoire de Jérusalem rendit grâces au Très-Haut des faveurs accordées à l'Église, et pendant quatre jours elle lui demanda de lui continuer son assistance; en méfie temps saint Jean préparait tout ce qui était nécessaire au voyage. Le quatrième jour, qui était le cinq janvier de la quarantième année de notre rédemption, la grande reine prit congé du pieux maître de la maison du cénacle et de tous les autres qui l'habitaient, à leur grande douleur. Elle demanda la permission à saint Jean de vénérer les saints lieux consacrés par le sang de son divin fils, et elle chargea ses anges de les garder. A son retour, elle se mit à genoux aux pieds de l'apôtre saint Jean pour lui demander la bénédiction, elle remercia les fidèles qui lui offraient de l'argent, des objets de prix, et des moyens commodes d'aller jusqu'à la mer, et se servant d'un pauvre ânon, la grande maîtresse de l'humilité commença son pèlerinage accompagnée de son disciple saint Jean. Pour la consolation de la grande reine dans ce voyage toué ses anges gardiens se rendirent visibles à ses yeux sous une forme humaine, et la plaçant au milieu d'eux comme leur reine, ils lui chantèrent des cantiques de louange pour la réjouir et la soulager.

Arrivés au port, ils trouvèrent aussitôt le navire qui partait pour Éphèse et ils. s'embarquèrent, ce fut la première fois que l'Étoile de la mer navigua : aussitôt elle se mit à considérer la mer, elle en reconnu-t la profondeur et la largeur, la disposition intérieure, les sables, les rochers, et tous les trésors, le flux et le reflux et la variété des poissons; de la grandeur de cet élément, elle s'éleva à la contemplation de l'immensité de Dieu; elle recommanda au Seigneur tous ceux qui devaient naviguer, et le Seigneur lui donna sa divine parole qu'il viendrait promptement au secours de tous ceux qui dans les tempêtes invoqueraient la sainte Vierge étoile de la mer. Elle considéra ensuite la variété des poissons, et elle leur commanda de reconnaître leur créateur; ce fut une chose admirable de voir que toutes les espèces de poissons apparurent dans cette mer à la vue de la grande reine, témoignant par leurs mouvements leur obéissance à la grande souveraine, et louant ainsi le Très-Haut. Après avoir reçu sa bénédiction ils partirent, saint Jean versait des larmes de tendresse à ce spectacle, et les matelots en étaient dans l'admiration, mais sans en connaître la cause. Ils arrivèrent heureusement au port d'Éphèse par une mer tranquille; descendus à terre la grande reine commença à opérer des merveilles et des miracles étonnants. Elle rendit premièrement grâces à Dieu des bienfaits reçus, ensuite elle commença à guérir des infirmes, et les énergumènes qui étaient délivrés à sa seule vue. Un grand nombre de fidèles qui s'étaient enfuis de Jérusalem et de la Palestine, pour éviter la persécution vinrent à sa rencontre, et lui offrirent leurs services et leur maison; mais la reine des vertus les remercia tous, et elle alla habiter avec quelques femmes honnêtes qui vivaient dans la retraite; il n'y avait point d'homme avec elles, et on leur donna deux chambres, une pour elle, l'autre pour saint Jean. Lorsqu'elle y fut retirée, elle se prosterna aussitôt le visage à terre selon sa sainte coutume, rendit grâces au Seigneur, et s'offrit en sacrifice pour le bien de cette ville. Elle appela ensuite ses anges gardiens, et elle ordonna à quelques uns d'aller avertir les apôtres qu'elle demeurait à Éphèse, et qu'elle viendrait à leur secours, comme aussi aux disciples qui étaient affligés de la persécution. Ce fut en ce temps que saint Paul fuyant de Damas à cause de la persécution des juifs, fut aidé et secouru par les anges envoyés par la mère de la piété, il vint à Jérusalem et étant en prière dans le temple, le Seigneur lui ordonna de sortir de la ville pour échapper à la persécution des juifs.

Saint Jacques partit de l'Espagne accompagné des cent anges, il s'embarqua pour l'Italie, et de là pour l'Asie, prêchant toujours l'évangile de Jésus-Christ, il parvint enfin heureusement à Ephèse et auprès de la sainte Vierge; il se jeta à ses pieds et versant des larmes de bonheur et de joie, il la remercia humblement avec une profonde affection des inestimables faveurs qu'il en avait reçues. La divine mère comme maîtresse des vertus le releva aussitôt de terre, en l'avertissant qu'il était prêtre, mais qu'elle n'était qu'une servante inutile, et se mettant à genoux, elle lui demanda la bénédiction. L'apôtre saint Jacques resta quelques jours avec la sainte Vierge et son frère saint Jean, et leur raconta tout ce qu'il avait fait en Espagne. Au moment de son départ la grande Reine lui dit: Jacques mon fils, ce sont les derniers jours de votre vie, je désire vous faire pénétrer dans l'intime de la charité de Dieu pour laquelle vous avez été créé et racheté, et à laquelle vous avez été appelé, et tandis que nous vivons, je brûle du désir de vous faire connaître cet amour, et je m'offre de faire avec la divine grâce, tout ce que comme véritable mère je pourrai opérer pour vous. Je vous remercie, ô grande Reine et mère de mon rédempteur, répondit saint Jacques fondant en larmes, je vous demande avec ardeur votre maternelle bénédiction, pour aller donner la vie pour celui qui le premier l'a sacrifiée pour moi. Je vous supplie, miséricordieuse mère de ne pas m'abandonner au moment de mon martyre. La grande Reine tout attendrie répondit; j'offrirai au Très-Haut vos prières et vos désirs; et l'apôtre fut consolé et fortifié par d'autres paroles de vie éternelle; brûlant du désir de martyre il reçut la bénédiction, et ayant pris congé en pleurant de son cher frère Jean, il partit de Jérusalem.
 


                                                                


( Tous ces faits et ceux qui suivent, sont regardés comme incontestables, par la science historique et la tradition de l'église d'Espagne. Si on osait les révoquer en doute, on donnerait une preuve de légèreté et d'ignorance, qui ferait peu d'honneur, auprès des docteurs espagnols, si remplis de science et si habiles critiques Tout le monde sait, que l'église d'Espagne s'honore d'avoir reçu la foi chrétienne de l'apôtre Saint Jacques, qu'elle tient que la Sainte Vierge est apparue au Saint , près des murs de la ville de Sarragosse, sur la colonne; qu'elle croit posséder le corps du bienheureux apôtre, quoique mort à Jérusalem, en Galice, dans la chapelle du célèbre pèlerinage de ce nom. Qui oserait nier ces faits, pourtant ils sont assez merveilleux. Nous profitons de cette occasion, pour dire ici, comme nous l'avons fait dans la préface, que les faits les plus extraordinaires de cette vie divine , sont dignes de croyance, non-seulement à cause de la suprême autorité de l'Église romaine qui a approuvé l'ouvrage, mais aussi, parce que ce qui est raconté est conforme à l'enseignement des saints docteurs et aux tradition les plus vénérées de l'Église. Dans une prochaine édition, nous donnerons quelques notes, avec des renvois aux auteurs les plus autorisés, pour confirmer les faits les plus merveilleux, et certains points de doctrines. Des savants franciscains et bénédictins ont écrit des volumes dans ce but, nous n'aurons qu'à en donner des extraits pour l'édification des lecteurs peu instruits, et peu habitués aux merveilles de la grâce, ou q'ai craindraient trop d'ajouter foi, à ce qu'ils trouveraient dans ce livre. - (Note du traducteur.)