CHAPITRE XLII

DERNIER TRIOMPHE DE LA DIVINE MÈRE. ÉTAT OU LE SEIGNEUR L'ÉLEVA.


Le lecteur de cette histoire, sera saisi d'admiration en voyant les grands triomphes de cette pure créature descendante d'Adam contre Lucifer, et il se demandera comment on ne trouve pas même un seul mot dans les saintes écritures de ces incomparables merveilles? Saint Jean, au moins le fils adoptif de la divine mère, qui a vécu, a parlé, a agi, a voyagé avec elle, comment lorsqu'il a écrit, a-t-il passé sous silence les grandes gloires de la divine mère de Dieu! Saint Jean, précisément a parlé dans l'apocalypse de la divine mère, principalement aux chapitres douzième et vingt-unième, mais il l'a fait d'une manière mystérieuse, pour deux raisons. La première, parce que les triomphes de la Vierge sont si sublimes, qu'on ne pourra jamais les comprendre entièrement ni les expliquer; il a écrit en énigmes, afin que le Seigneur les fit connaître dans le temps et de la manière qu'il lui plairait, et la sainte Vierge, comme mère de l'humilité, ordonna qu'il les écrivit ainsi. La seconde, parce que, quoique la révolte de Lucifer ait été de s'être élevé contre la volonté du Tout-Puissant, néanmoins la première

a été Jésus-Christ et sa divine mère, dont les anges apostats imitateurs de Lucifer, ne voulurent pas reconnaître l'excellence; et quoique la première bataille avec saint Michel ait été par rapport à cette révolte, néanmoins elle ne se fit pas avec le Verbe incarné, ni sa mère en personne, mais seulement dans cette forme mystérieuse de femme, manifestée dans le ciel avec tous les mystères qu'elle renfermait en elle-même comme mère du Verbe éternel, qui devait prendre dans son sein la forme humaine; il fut donc nécessaire, lorsque le temps fût venu dans lequel ces admirables mystères furent accomplis, que cette bataille contre le Christ et sa divine mère fut renouvelée en personne, afin de triompher par eux-mêmes de Lucifer, suivant la menace déjà faite dans le ciel et ensuite dans le paradis terrestre; elle t'écrasera la tête : ipsa conteret caput tuum, Gen. III. Tout cela fut vérifié à la lettre dans Jésus-Christ et dans sa mère, car l'apôtre a dit du premier, qu'il a été tenté en toutes choses, mais sans péché, Ad. Heb. 4. Tout cela le fut également dans la divine mère; et puisque cette bataille correspondait à la première et qu'elle fut pour les démons l'exécution de la menace annoncée par le moyen de ce signe, c'est pourquoi l'évangéliste l'a écrite a,vec les mêmes paroles énigmatiques.

La tête de l'antique serpent fut écrasée pour finir le combat; et pour commencer le nouvel état que la divine providence voulait accorder en récompense à la grande reine, après ses victoires, son divin fils la prépara par des faveurs si grandes, qu'elles surpassent tout ce que l'intelligence peut comprendre et expliquer. Le Tout-Puissant éleva cette créature élue pour mère de Dieu à un état ineffable, car la sainte Vierge reçut tout ce que l'être divin peut communiquer au-dehors, et renferma en elle une étendue de grâces pour ainsi-dire infinie, de sorte qu'elle forme à elle seule une hiérarchie supérieure à tout le reste des autres créatures bienheureuses. (1) Lucifer n'ayant la permission de faire la guerre que pendant quelque temps, rassembla toutes ses forces et tout son affreux venin, il convoqua les princes des ténèbres et les excita contre leur ennemie, ils la connaissaient déjà pour être celle, qui leur avait été montrée au commencement de la création. L'enfer, se dépeupla pour cette entreprise, et ils attaquèrent tous ensemble la sainte Vierge qui se trouvait seule dans son oratoire. La- première attaque de cet épouvantable assaut se fit principalement dans les sens extérieurs, par un mélange de bruit, de mugissements, de cris et de fracas terrible, comme si la grande machine du monde était entièrement détruite; les uns prirent l'apparence d'anges de lumière, les autres gardèrent leur affreuse laideur et ils figurèrent entre eux une lutte d'une manière épouvantable, dans l'obscurité, pour chercher à lui inspirer le trouble et la terreur; et en effet ils l'auraient inspirés à une créature quelconque, quoique sainte, si elle avait été dans l'ordre commun de la grâce. Mais la reine des vertus resta toujours invincible et inébranlable, elle ne se troubla, ni ne s'émut, et ne changea jamais de visage, quoique le combat durât pendant douze heures entières: ils figuraient de fausses révélations, et des lumières intérieures, ils lui firent des suggestions, des promesses, des menaces, et ils la tentèrent de tous les vices, en toute manière : elle se conduisit d'une manière si glorieuse, fit des actes de vertu si héroïques, et opéra avec un si grand coeur et un si grand amour, que la justice divine demanda hautement en faveur de la triomphante reine de toutes les vertus, que ses ennemis fussent dissipés.

Le Verbe incarné descendit du paradis dans l'oratoire comme un juge sur un trône de majesté, entouré d'un nombre infini d'esprits célestes les plus élevés, avec plusieurs patriarches, saint Joachim et sainte Anne glorieux et éclatants de splendeur. A cette vue les démons avec Lucifer voulaient s'enfuir, mais la puissance divine les retint malgré eux, comme enchaînés, et l'extrémité de ces mortelles clames fut mise dans les très-pures mains de la divine mère. Il sortit une voix du trône qui dit: cri ce moment le courroux de-la toute-puissance va s'appesantir sur vous, et une femme descendante d'Adam et d'Ève vous écrasera la tête, et l'antique sentence qui a été prononcée contre vous, dans les cieux et ensuite dans le paradis terrestre, va s'accomplir. Gen. chap. III. v. 5.

La grande reine fut élevée et placée à la droite de son fils, il sortit de la divinité une splendeur qui l'investit, comme si elle avait été le globe du soleil; elle apparut la lune sous les pieds, comme celle qui foulait aux pieds toutes les choses que la lune dominait; un diadème fut placé sur sa tête et une couronne de douze étoiles, symbole des perfections divines qui lui avaient été communiquées dans le degré possible à une pure créature. Elle apparut comme enceinte, indiquant ,par là, qu'elle avait en elle l'être de Dieu et l'amour immense qui correspondait proportionnellement à ce dm1. Elle poussait en outre de doux gémissements comme celle qui avait donné au, monde Jésus-Christ, afin que toutes les créatures le connaissant, entrassent en participation avec lui, mais elles lui opposaient aussi résistance, et elle le désirait, et le procurait par ses larmes et ses soupirs. Ce grand signe est décrit dans l'Apocalypse chap. XII., comme il avait été formé dans l'entendement divin; il fut montré dans le ciel à Lucifer qui était sous la forme du grand dragon roux avec sept têtes, couronnées de sept diadèmes, avec dix cornes, comme auteur des sept péchés capitaux et de toutes les sectes hérétiques; il se présenta-ainsi au combat en présence de la très-sainte Vierge, qui allait mettre au monde le fruit spirituel de l'Église, par lequel elle devait se perpétuer. Le dragon attendait donc qu'elle mit au monde ce fils, pour le dévorer et détruire la nouvelle Église s'il avait pu, et son envie croissant, il s'irrita si grandement qu'il entra en fureur, en voyant cette FEMME si puissante pour établir l'Eglise et l'enrichir par ses mérites et sa protection. Nonobstant la haine et la fureur du dragon, elle mit au monde un enfant mâle qui gouverna toutes les nations avec une verge de fer. Et cet enfant mâle est l'esprit de justice et de force de la même Église, véritable fruit de la Sainte Vierge, et parce qu'elle a enfanté Jésus-Christ, et parce qu'elle a donné la vie à l'Eglise par ses mérites et ses soins, et elle la gouverne, comme elle la maintiendra toujours dans la pureté de la doctrine, contre laquelle l'erreur ne pourra jamais prévaloir. Saint Jean ajoute; que ce fruit fut amené devant le trône de la divinité, et la FEMME se retira dans la solitude, où elle fut nourrie pendant mille deux cent soixante jours; c'est-à-dire que le fruit de la grande femme, soit la sainteté dans l'esprit de l'Église soit dans les âmes en particulier, parvint au trône divin où est le fruit naturel Jésus-Christ, en qui et par qui elle l'a engendré et le nourrit. La divine fière se retira dans la solitude, qui fut l'état sublime où elle seule fut élevée par la grâce, et là le Seigneur l'a nourrit le temps prescrit, qui sont les jours pendant lesquels elle vécut dans cet état, avant de passer à l'autre. (2)

Lucifer connut tout ceci avant que la grande FEMME lui fût cachée, et il perdit alors l'espérance dans laquelle son orgueil l'avait nourri pendant plus de quatre mille ans, de pouvoir vaincre cette femme, mère du Verbe incarné. Il entra en fureur en se sentant la tête écrasée par sa grande vertu, et il fut si affaibli, que toute sa force ne lui suffisait pas pour s'éloigner seulement de sa présence, contre sa volonté. Oh! insensés enfants d'Adam, s'écria Lucifer, pourquoi me suivez- vous, et laissez-vous la vie pour rencontrer la mort? Quel est votre aveuglement, lorsque vous avez avec vous, revêtu surtout de la même nature le Verbe éternel et une si puissante femme! Votre ingratitude est certainement plus grande que la mienne; je suis même contraint par cette grande femme de confesser cette vérité. Saint Miche! qui défendit l'honneur du Verbe incarné et de sa mère, commanda et imposa silence à Lucifer devenu furieux, et le Seigneur des armées parla ainsi à la grande reine: Ma mère bien-aimée, qui m'avez si parfaitement imité, vous êtes le digne objet de mon amour infini; vous êtes le soutien, la reine, la souveraine et la maîtresse de mon Eglise, vous possédez le pouvoir que comme Dieu tout-puissant j'ai confié à votre sainte volonté, ordonnez donc au dragon infernal tout ce qu'il vous plaira. Et la souveraine impératrice commanda aux dragons infernaux que tandis qu'elle vivrait sur la terre, ils ne pussent pas répandre dans l'Église le venin de l'hérésie, et qu'aussitôt ils fussent précipités dans l'enfer. Alors on entendit dans le cénacle la voix de l'archange: maintenant s'est établi la force, le sa!ut et le règne de Dieu, et la puissance de son Christ, parce que l'accusateur de nos frères a été précipité du ciel, et a été vaincu par le sang de l'agneau. Apoc. chap. XII. L'archange annonça par ses paroles, que par la vertu des triomphes de Jésus et de Marie, l'Église qui est le règne de Dieu était déjà affermie, et qu'en invoquant dans toute nos batailles contre l'enfer les noms de Jésus et Marie, nous triompherons aussi à coup sûr.

De même que les mystères de la sagesse éternelle infinie s'accomplissaient dans la Vierge mère , elle s'élevait aussi aux plus hauts degrés de la plus sublime sainteté. Elle considérait comme mère de la sagesse éternelle l'orgueil de Lucifer et la destruction de son infernale puissance, et toute humiliée et abîmée dans la profondeur de son néant, elle reconnaissait tout cela comme véritable effet de la rédemption de sort divin fils , et comme elle avait été coadjutrice de la rédemption, il nous est impossible de comprendre les effets admirables que produisait dans son coeur très-pur cette première considération ; enfin en réfléchissant elle-même aux oeuvres du Seigneur, la flamme de l'amour divin s'accroissait et devenait un véritable incendie, qui remplissait d'admiration même les bienheureux séraphins, de sorte qu'elle n'aurait pu supporter les élans impétueux, par lesquels elle s'élevait, pour se plonger tout entière dans l'immense océan de la Divinité, si la vie naturelle ne lui eût été conservée par miracle; et elle était également attirée par la même charité de miséricordieuse mère vers les fidèles ses chers enfants, qui étaient sous sa dépendance beaucoup plus que les plantes et les fleurs ne sont sous l'influence du soleil; c'est pourquoi son coeur tout enflammé était continuellement sous un doux et puissant attrait vers Dieu et le prochain. Les deux amours tendaient à s'élever aux plus sublimes degrés, aussi elle désirait se séparer toujours davantage de toutes les choses sensibles, pour s'unir plus parfaitement à la Divinité, sans qu'il s'y mêlât rien de créé, mais l'amour de l'Eglise et des fidèles qu'elle avait enfantés par sa charité, l'entraînait d'un autre côté. Ainsi ces cieux incendies provenant d'un même feu, son coeur très-pur n'était plus qu'un immense brasier du divin amour.

Le divin fils, touché de compassion des excès de l'amour de sa très-pure mère, lui apparut avec une bonté infinie, et lui dit: Mère bien-aimée, j'ai préparé pour vous seule un lieu solitaire, où vous jouirez en paix de la vue de ma Divinité, sans que votre état de viatrice s'y oppose; là vous pourrez prendre librement votre vol, et vous trouverez l'infini que recherche votre amour excessif pour se consumer sans mesure, de là encore vous viendrez au secours de mon Eglise, dont vous êtes la mère, et enrichie de mes trésors, vous les répandrez sur vos enfants. Par cette nouvelle faveur, toutes ses facultés furent purifiées par le feu du sanctuaire, et elle éprouva de nouveaux effets de la Divinité, dès ce moment ses sens ne reçurent plus les impressions des objets extérieurs, si ce n'est celles qui étaient nécessaires pour l'exercice de la charité. Elle avait reçu ce bienfait dès le premier instant de sa conception, mais après son triomphe contre Lucifer, elle l'eut d'une manière ineffable. Ainsi que dans le temple de Jérusalem, on coupait le cou des victimes qui devaient être sacrifiées sur l'autel, qui était hors du sanctuaire, où s'offraient seulement les holocaustes, l'encens et les parfums, qui étaient consumés par le feu sacré, ainsi dans la divine mère, vrai temple du Verbe incarné, s'offraient dans les sens extérieurs, les victimes des vertus, les soins et les sollicitudes de l'Église, et dans le sanctuaire des facultés intérieures s'offrait le parfum de sa contemplation et la vision abstractive de la Divinité. De même que le miroir représente aux yeux du corps tout ce qui est présenté au-devant, et que tous peuvent voir l'objet lui-même sans qu'il soit nécessaire de le regarder, ainsi elle connaissait en Dieu tous les besoins qu'éprouvaient les enfants de l'Église, et ce qu'elle devait faire pour eux, suivant le bon plaisir de Dieu. Le Tout- Puissant excepta seulement les oeuvres que la divine mère devait faire par obéissance à saint Pierre et à saint Jean ; elle le demanda elle-même au Seigneur pour donner l'exemple de l'obéissance, afin que ceux qui auraient fait profession de ce voeu, apprissent à ne pas chercher d'autres moyens pour connaître la volonté du Seigneur, lorsque celui qui est supérieur et qui tient la place de Dieu commande. Pour tout ce qui ne regardait pas l'obéissance, qui comprenait aussi l'usage de la sainte communion, l'intelligence de la mère de Dieu ne dépendait en rien des créatures sensibles, ni des images qu'elle pouvait en recevoir par les sens, mais elle était entièrement libre de toutes choses, et dans une entière solitude intérieure, jouissant de la vision abstractive de la Divinité sans interruption, soit en dormant ou en veillant, occupée ou inoccupée, pendant le travail et pendant le repos; bien plus, elle ne discourait point intérieurement, et ne faisait aucun effort pour connaître ce qui était le plus sublime dans la perfection et le plus agréable au Seigneur. Elle connaissait le mystère incompréhensible de la Divinité d'une manière plus excellente que les séraphins du paradis, et elle fut ainsi nourrie dans sa solitude de ce pain de vie éternelle.

Elle connut un jour, qu'une femme de Jérusalem déjà baptisée, avait apostasiée misérablement la foi, trompée par le démon au moyen d'une magicienne sa parente. La grande reine, pleine de zèle, fut très-affligée, et elle dit à saint Jean d'aller avertir cette malheureuse de sa faute énorme, et en même temps la miséricordieuse mère pria le Seigneur avec larmes de ramener au bercail cette pauvre brebis égarée; et quoique la conversion des âmes qui s'éloignent volontairement du droit sentier soit toujours beaucoup plus difficile, que pour celles qui ont commencé une fois à s'avancer, vers vie éternelle, néanmoins l'efficacité de sa prière lui obtint remède. La pauvre femme écouta saint Jean, lui obéit abjura, elle se confessa avec des lai-mes d'un véritable repentir, ensuite la sainte Vierge l'exhorta à la persévérant et à résister au démon; ce qu'elle fit heureusement.

Pour résumer enfin tout ce que nous avons dit dans cours de cette histoire sacrée, par rapport au temps dans lequel la grande reine fut élevée par le Seigneur à cet et sublime, en voici la supputation: Lorsqu'elle alla de Jérusalem à Éphèse, elle était âgée de cinquante-quatre ans, six mois et vingt-six jours, et ce fut le six janvier de la quarantième année de la naissance du Christ. Elle demeura à Éphèse deux ans et demi, et revint à Jérusalem l'an quarante-deux le six juillet; elle était alors âgée de cinquante-six ans et dix mois. Lorsqu'elle fut élevée à cet état si ineffable elle avait cinquante-huit ans, elle resta dans cet état, mille deux cent soixante jours, fixés par saint Jean dans l'apocalypse, au chapitre douzième.

                                                                


(1) C'est littéralement la célèbre thèse de l'incomparable D. Suaren, qui enseigna que la sainte Vierge avait seule plus de grâce et de mérites que n'en auront jamais toutes les créatures ensemble. Maintenant tous les docteurs partagent cette opinion, il est alors facile de comprendre le culte tout particulier que l'Église rend à Marie, et la confiance qua nous pouvons avoir dans son intercession. - (Note du Traducteur.)

(2) Si l'on lit l'Apocalypse et les commentateurs sur le chap. XII., nous ne pensons pas qu'on y trouve une explication plus élevée de ce livre divin, que celle qui est exposée ici. On sent que l'Esprit de Dieu qui a tenu la plume de l'apôtre a éclairé le commentateur. Nous appelons la réflexion des prêtres et des personnes instruites sur ces pages, si remplies de vérité et de profonde doctrine.