Vous êtes sur le site de : livres-mystiques.com © |
VIE DE GEMMA GALGANI
CHAPITRE XVI
VEXATIONS DIABOLIQUES.
Pour purifier ses élus et en faire des victimes d'expiation, Dieu se sert souvent de Satan, qui dans sa haine de l'homme est entre ses mains l'instrument le plus actif. L'Écriture sainte et surtout les annales de l'hagiographie nous offrent de nombreux exemples de cette conduite de la Providence.
Lorsque le Seigneur voulut élever saint Paul de la Croix à un plus éminent degré de sainteté, il lui dit dans le secret de l'âme : « Je te ferai fouler aux pieds par les démons. » (1) Gemma entendit un jour de semblables paroles : « Prépare-toi, ma fille ; sur mes ordres, le démon va te déclarer la guerre, et mettre ainsi lui-même la dernière main à l'œuvre que j'accomplis en toi. »
Je puis affirmer que cette guerre fut générale, c'est-à-dire dirigée contre chacune des vertus et des pratiques par lesquelles la jeune vierge s'efforçait d'aller à Dieu. Toutes déplaisaient à l'ange du mal. qui les attaqua toutes avec une rage féroce. On eût dit que dans son ténébreux empire il n'avait d'autre préoccupation que de persécuter cette pauvre enfant, et de trouver de nouveaux moyens de l'assaillir de tentations.
La prière est l'aliment vital de la sainteté, la voie suprême vers le souverain Bien. De très bonne heure Gemma l'avait aimée et pratiquée de toute l'ardeur de son âme ; et elle lui devait des biens inappréciables. Or, que ne fit point Satan pour l'en détourner ? Impuissant à remporter un avantage quelconque par ses inspirations perverses, il excitait le trouble dans ses humeurs, afin de l'accabler tout au noins d'ennui et de dégoût ; il provoquait de violentes douleurs de tête, qui eussent conduit une âme moins énergique à l'indolence et au repos plutôt qu'à la prière ; il essayait cent autres moyens de la détacher de cet exercice divin. « Oh ! me disait-elle, quel tourment pour moi de ne pouvoir prier quelle fatigue j'endure ! et quels efforts fait ce vaurien - c'est ainsi qu'elle appelait le démon - pour lui rendre l'oraison impossible. Hier soir, il voulait me tuer ; et il l'eût fait sans l'intervention soudaine de Jésus. J'étais anéantie. J'avais bien à l'esprit le nom de Jésus, mais sans qu'il me fût possible de le proférer de bouche. »
Quelquefois l'infernal ennemi tentait de triompher d’un seul coup par des suggestions impies. « Que fais-tu donc, lui disait-il, es-tu stupide de prier un malfaiteur ? Vois comme il le torture et te tient avec lui sur la croix. Peux-tu aimer quelqu'un que tu ne connais pas et qui traite si durement ses meilleurs amis ? » De tels blasphèmes n'étaient que poussière jetée au vent, mais ils affligeaient profondément l'âme tendre et aimante forcée d'entendre outrager ainsi son adorable Jésus.
Au milieu de tant de peines, la pauvre enfant cherchait quelque réconfort auprès de son père spirituel, lui disait ses difficultés, implorait conseil et direction. Cet humble et filial recours ne pouvait plaire à l'esprit des ténèbres, qui voyait diminuer ainsi ses chances déjà si maigres de succès. Il usa de mille artifices pour isoler dans la lutte la servante de Dieu, en la détournant de son directeur. Il le lui dépeignit sous les couleurs les plus défavorables : comme un ignorant, un fanatique, un illusionné. « Ces jours-ci, m'écrivait-elle, le grappin m'en a fait de toutes. Ce monstre voudrait, en vue de ma perte, me priver de mon guide et conseiller ; mais, dût-il y réussir, je ne crains rien. »
Une telle confiance en Dieu aurait dû, ce semble, désarmer Satan ; il n'en fut rien. Devant l'inutilité de ses perfides insinuations, il prit le parti de la violence physique. Sitôt que Gemma prenait la plume pour m'écrire, il la lui sortait des mains et déchirait le papier ; parfois, la saisissant par les cheveux, il l'arrachait de son bureau avec une telle rage que des mèches entières de cheveux restaient dans ses mains brutales ; et il hurlait d'une voix forcenée : « Guerre, guerre à ton père, guerre tant qu'il sera dans ce monde » Qu'on me permette de le dire à voix basse, il n'a que trop tenu parole. « Croyez-moi, père, me disait Gemma elle-même : à l'entendre, ce vaurien vous en veut bien plus qu'à moi. »
Le démon poussa l'audace jusqu'à prendre les dehors de son confesseur ordinaire. La jeune fille, qui venait d'entrer à l'église se préparait, en attendant le prêtre, à la réception du sacrement de Pénitence. Quel n'est pas son étonnement de le voir aussitôt à son poste, sans qu'elle puisse savoir par où il y est entré. Elle ressent un grand trouble intérieur, indice infaillible chez elle de la présence du malin esprit. Elle s'approche cependant et commence sa confession. La voix qu'elle entend est bien celle du confesseur ordinaire, mais les paroles sont scandaleusement indécentes et accompagnées d'actes déshonnêtes. « Mon Dieu, s'écrie Gemma, qu'est-ce donc, et où suis-je ? » La pure enfant, se prenant à trembler des pieds à la tête. demeure un instant étourdie. Elle se ressaisit bientôt, se lève, sort du confessionnal et constate alors que le prétendu confesseur a disparu, sans qu'aucune des personnes présentes l'ait vu s'en aller.
Le doute n'était point possible le démon avait cherché par cet artifice grossier à surprendre la sainte jeune fille, ou à lui enlever du moins toute confiance dans le ministre de Dieu.
Ce coup manqué, il en tenta un autre. Il lui apparut sous la forme d'un bel ange resplendissant de lumière et plein de sollicitude pour son bonheur. Comme avec Ève au Paradis terrestre, il déploya pour arriver à la tromper l'astuce la plus subtile. « Regarde-moi, disait-il, je puis te rendre heureuse ; jure seulement de m'obéir. » Gemma, qui n'avait pas éprouvé cette fois le trouble révélateur du voisinage du démon, écoutait tranquillement. Mais aux premières propositions criminelles de l'esprit pervers, ses yeux s'ouvrirent et elle se mit sur la défensive. « Mon Dieu, Marie Immaculée, s'écria-t-elle d'abord, à mon secours » Puis, marchant résolument sur l'ange déguisé, elle lui cracha à la face. Il disparut aussitôt sous la forme d'une grande flamme rouge, laissant sur le parquet de la chambre un amas de cendre.
Quelque temps après, nouvel assaut. « Écoutez, père, m’écrivait Gemma : hier, après m'être confessée, je rentrais à la maison. Profitant d'un moment de solitude, je me mis à genoux pour réciter le chapelet des cinq Plaies. J'arrivais la quatrième plaie, lorsque je vis devant moi quelqu'un fort ressemblant à Jésus. Il était flagellé de frais, et de son cœur ouvert le sang s'échappait en abondance. Il me dit « Est-ce ainsi, ma fille, que tu me payes de retour ? Regarde en quel état je suis. Vois-tu comme je souffre pour toi ? Et tu ne peux pas continuer à me plaire par telles pénitences ? (2) Ah ! c'était pourtant peu de chose ; tu pourrais très bien les reprendre. - Non, non, répondis-je ; je veux obéir ; je désobéirais si je vous écoutais. - Mais enfin, reprit-il, ce n'est pas le confesseur qui te les a défendues, c'est ce …, (3). Or, tu n'es nullement tenue de lui obéir. » - Il ajouta beaucoup d'autres choses. À ces pernicieux conseils je reconnus Satan, et j'étais sur le point de prendre la discipline comme d'autres fois en pareille occurrence, lorsque je me sentis autrement inspirée. Je me levai, je lui jetai de l'eau bénite et il disparut. Je retrouvai alors mon calme, non sans avoir reçu quelques bons coups dont la vilaine bête me gratifie de temps en temps. »
Ainsi donc, faute d'obtenir autre chose, l'esprit de révolte poussait Gemma, contre la défense du directeur spirituel, à des macérations nuisibles à la santé.
Pour la protéger contre les visions malfaisantes, je lui ordonnai de s'écrier à chaque apparition surnaturelle : Vive Jésus. Le Seigneur, à mon insu, lui avait donné un conseil à peu près semblable. Elle devait dire : Bénis soient Jésus et Marie. La docile enfant, pour obéir à tous les deux, joignait ensemble les deux exclamations. Les bons esprits la répétaient toujours ; mais les mauvais ne répondaient pas, ou se contentaient des premiers mots : Vive, bénis. À ce signe ils étaient reconnus, et Gemma se moquait d'eux.
Dans l'espoir de lui inspirer de l'orgueil, le démon lui faisait voir quelquefois, en songe et même dans l'état de veille, une procession de personnes vêtues de blanc, s'approchant pieusement de son lit pour la vénérer. Il lui découvrait aussi que ses lettres à son père spirituel étaient religieusement conservées pour servir un jour à sa gloire, etc., etc. Vaines tentalions la servante de Dieu possédait une trop profonde humilité pour se laisser prendre comme Ève à la séduction de la vanité.
Croyant ébranler peut-être sa grande confiance en Dieu, le maudit profitait des périodes si fréquentes d'abandon et de cruelle aridité spirituelle pour redoubler dans son cœur l'affreuse crainte de la damnation. « Ne vois-tu pas, lui disait-il, que ce Jésus ne t'écoute plus, ne veut plus te connaître ? Pourquoi te fatiguer à courir après lui ? Tu n'as qu'à te résigner à ton malheureux sort. » Telle a été pour les saints les plus illustres la tentation la plus angoissante. Gemma en éprouvait toute la force ; alors habituée à se tourner malgré tout et en toute circonstance, avec la foi la plus vive, vers son Dieu comme un enfant vers son père, elle ne tardait pas à recouvrer le calme. Aussi pouvait-elle me dire : « Ce scélérat de démon se démène ; il voudrait... Mais Jésus par ses paroles m'a inspiré une telle tranquillité que tous les efforts diaboliques n'ont pu un seul moment m'enlever la confiance. »
L'ange de la superbe, furieux de voir toute son astuce échouer aux pieds d'une faible jeune fille, en désespoir de cause leva définitivement le masque pour en venir à ses actes de violence.
Il lui apparaissait sous les formes horribles d'un monstre menaçant, d'un homme féroce, d’un chien enragé. Après avoir ainsi essayé de la terroriser, il se précipitait sur elle, la frappait, la déchirait à belles dents, la jetait ça et là comme un paquet dans la chambre ; il la traînait par les cheveux et martyrisait de toutes manières ses membres innocents.
Et qu'on ne voie pas dans ces cruels sévices des impressions purement imaginaires, car leurs effets sur le corps de la victime persistaient assez longtemps : cheveux arrachés, chairs livides, os comme broyés, douleurs atroces. On entendait parfois le fracas des coups ; on voyait le lit remuer, s'élever de terre pour retomber brusquement. Ces vexations duraient sans trève des heures entières et même tout le cours de la nuit.
Laissons Gemma nous en raconter quelque chose. La simplicité de son style et l'ingénue sincérité de son âme dispenseront de tout commentaire.
« Aujourd'hui que je me croyais délivrée de cette vilaine bête, j'en ai été au contraire fort molestée. J'allais me reposer, pensant pouvoir dormir ; il en a été bien autrement. J'ai d'abord reçu un coup des plus terribles dont j'ai cru mourir. Le méchant avait la forme d'un gros chien noir ; il me mettait les pattes sur les épaules. Il m'a tellement fait de mal qu'à un moment j'aurais dit tous mes os brisés. Peu après, comme je prenais de l'eau bénite, il m'a tordu le bras avec une violence extrême, et je suis tombée de douleur. Les os s'étaient complètement déboîtés ; mais Jésus est venu me les remettre en place en les touchant, et remédier à tout. »
Dans une autre lettre : « Hier encore, le diable m'a assommée. La tante m'avait priée d'aller remplir les brocs des chambres. En passant les brocs dans les mains, devant l'image du Cœur de Jésus, je lui ai fait avec amour une fervente prière ; aussitôt s'est abattue sur mes épaules une bastonnade vigoureuse que je suis tombée par terre, sans cependant casser aucun broc. Encore aujourd'hui je suis très mal, et le moindre travail me réveille les douleurs. »
La sainte enfant m'écrivait encore : « Je viens de passer. comme de coutume, une mauvaise nuit. Le démon s'est présenté devant moi sous la figure d'un géant immense et m'a battue toute la nuit ; il me disait : Pour toi, plus d'espoir de salut ; tu es en mon pouvoir. J'ai répondu que je ne craignais rien parce que Dieu est miséricordieux. Alors, écumant de rage, il m'a donné un fort coup sur la tête et a disparu en criant : Sois maudite ! J'allai dans ma chambre me reposer un peu, mais je l'y retrouvai. Il recommença de me frapper avec une corde toute en nœuds. Il me battait parce que je ne voulais pas faire le mal qu'il me suggérait. Non, lui disais-je ; et il redoublait de coups, heurtant violemment ma tête contre terre. Tout à coup, j'ai eu la pensée d'invoquer le divin Père de Jésus ; j'ai crié : Père éternel, par le sang très précieux de Jésus, délivrez-moi. Aussitôt ce vaurien m'a envoyé un coup formidable, m'a jetée au bas du lit, et a heurté avec tant de force ma tête contre terre, que la douleur m'a fait perdre les sens. Je ne les ai repris que longtemps après. Rendons grâces à Jésus. »
De telles scènes se répétaient très fréquemment, et, à certaines périodes, tous les jours. La pauvre patiente y était presque accoutumée. À part les tortures corporelles, la vue du monstre infernal ne l'effrayait pour ainsi dire plus. Elle le considérait avec la même sérénité de regard dont une colombe aperçoit un animal immonde.
Tant qu'elle n'en eût pas reçu la défense, elle s'arrêtait parfois à lui répondre et à l'humilier ; et lorsque, à l'invocation du saint nom de Jésus, la hideuse bête se roulait par terre pour s'enfuir ensuite à toutes jambes, la naïve enfant l'accompagnait de ses railleries et de francs éclats de rire. « Si vous aviez vu, père, me disait-elle, comme il s'échappait et trébuchait dans sa fuite rageuse, vous eussiez bien ri avec moi. »
J'assistais un jour la pieuse jeune fille tombée gravement malade et en danger de mort. Assis dans un coin de la chambre, je récitais tranquillement mon bréviaire, lorsque un énorme chat tout noir et d'aspect terrifiant se jeta impétueusement dans mes jambes. Il fit le tour de la pièce, sauta sur le lit de la malade, se plaça tout près de son front et arrêta sur elle un regard féroce. Mon sang s'était glacé dans les veines ; mais Gemma restait bien calme. « Eh bien ! lui dis-je, contenant de mon mieux mon trouble ; qu'y a-t-il de nouveau ? - N'ayez pas peur, mon -père, c'est ce vaurien de démon qui veut me molester ; mais ne craignez pas ; à vous il ne fera aucun mal. » Je m'approchai du lit en tremblant pour prendre de l'eau bénite, et je l'en aspergeai. La vision s'évanouit aussitôt, sans avoir pu altérer un seul moment la paix profonde de la malade.
La seule chose qui épouvantait vraiment Gemma, répétons-le, c'était la pensée de céder aux suggestions de l'ennemi et d'offenser Dieu. Bien qu'elle n'eût jamais failli dans le passé, le danger lui paraissait à toute heure imminent et la tenait dans l'effroi. Elle ne négligeait aucun moyen de défense ; croix, reliques des saints, scapulaires, conjurations, et, par dessus tout, confiant recours à Dieu, à la céleste Mère, à l'Ange gardien et au directeur de son âme. « Venez vite, père, m'écrivait-elle, ou du moins, de là-bas faites des conjurations ; le démon m'en fait voir de toutes ; aidez-moi à sauver mon âme ; j'ai peur d'être déjà dans les mains de Satan. Ah ! si vous saviez comme je souffre ! Cette nuit comme il était content ! Il m'a prise par les cheveux et me les tirait en disant : « Désobéissance ! désobéissance ! Je veux en finir cette fois, viens, viens avec moi. » Et il voulait m'emporter en enfer. Il est resté plus de quatre heures me tourmenter ; et c'est ainsi que s'est écoulée la nuit. Je redoute de l'écouter un jour ou l'autre et de finir par déplaire à Jésus. »
Dans quelques très rares circonstances, le Seigneur permit au démon de s'emparer de tout son être, de lier les puissances de son âme, et de jeter le trouble à un tel point dans son imagination, qu'on l'eût pu croire possédée. C'était pitié de la voir dans cet état misérable. Elle-même en avait une telle horreur que son seul souvenir la faisait pâlir et trembler. « Oh Dieu disait-elle, j'ai été en enfer sans Jésus, sans la divine Mère, sans l'Ange. Si j'en suis sortie sans péché, je le dois à vous seul, ô Jésus. Et cependant je suis contente, parce qu'en souffrant ainsi et en souffrant toujours je fais votre très sainte volonté. »
Si de tels assauts de la part du démon se fussent répétés plus souvent, ou eussent été de plus longue durée, la pauvre patiente, malgré toute sa résignation y eut certainement laissé la vie.
À ces tribulations, s'ajoutaient les douleurs de cruelles maladies provoquées, comme nous avons les plus fortes raisons de le croire, par l'esprit infernal lui-même.
Si on songe que Gemma se trouvait dans le même temps miraculeusement associée à tous les tourments endurés par le divin Rédempteur dans sa Passion, on aura une idée de l'étendue du martyre de cette vierge héroïque, qui s'était offerte en holocauste au Seigneur.
Elle se déclarait heureuse cependant dans cette mer de souffrances physiques et morales, heureuse de ressembler ainsi à l'Homme des douleurs, de s'élever toujours plus haut dans les pures régions de l'amour divin, et d'expier pour sa part les péchés du monde.
(1) histoire de saint Paul de la Croix, par le R.P.Louis-Th. de Jésus agonisant.
(2) Ces pénitences venaient d'être interdites à la servante de Dieu.
(3) Le démon voulait désigner le directeur spirituel, le père Germain.