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LIVRE PREMIER
DES ACTIONS DE LA SAINTE
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CHAPITRE PREMIER
NAISSANCE DE LA SAINTE. SON ENFANCE ILLUSTRÉE PAR DES VISIONS.
SA VIE MONASTIQIJE SOUS LA DIRECTION DE LA BIENHEUREUSE JUTTE.
Dans la République Romaine, sous le règne d'Henri IV, aux confins de la Gaule Citérieure, parut une vierge aussi illustre par la grandeur de sa naissance, que par l'éclat de sa sainteté. Elle s'appelait Hildegarde, avait pour père Hildebert et pour mère Mechtilde (1).
Ceux-ci, bien qu'ils eussent tous les embarras de l'opulence, sans se montrer cependant ingrats envers le Créateur, consacrèrent au service de Dieu la jeune enfant ; de telle sorte que, dès l'âge le plus tendre, sa précoce intégrité parut dégagée de tous liens charnels. Car dès qu'elle put se faire comprendre par paroles ou par signes, elle manifesta à son entourage la beauté des visions secrètes dont elle jouissait, dans une merveilleuse contemplation, en dehors de la vue des choses ordinaires (2).
À peine âgée de huit ans, pour s'ensevelir avec le Christ, afin de ressusciter comme lui à la gloire d'immortalité, elle fut reçue au monastère de SaintDisibode, avec la pieuse Jutte (3) qui la revêtait diligemment de l'habit d'humilité et d'innocence ; et l'instruisant des psaumes de David, lui apprenait à se réjouir sur la lyre à dix cordes (4). En dehors de cette étude naïve des psaumes, elle ne reçut des hommes aucun enseignement littéraire ou musical, bien que nous ayons de sa main de nombreux et volumineux écrits. Nous en tirons la preuve de ses propres paroles. Elle dit en effet dans son livre de "Scivias " : « À l'âge de quarante-deux ans sept mois, une lumière d'un éclat éblouissant me venant du ciel entr'ouvert, pénétra tout mon esprit, tout mon cœur et tout mon être, comme une flamme qui échauffe sans consumer, de la même façon que le soleil pénètre les choses sur lesquelles il étend ses rayons. Et tout à coup, j'eus l'intelligence des Psaumes, des Évangiles et des autres livres catholiques, tant de l'Ancien que du Nouveau Testament ; sans toutefois pouvoir interpréter le texte des paroles, ni la division des syllabes, ni la connaissance des cas et des temps. »
3. La vierge s'étant vouée au Christ, par la profession monastique et la prise du voile, croissait de vertu en vertu, étonnant et réjouissant ceux qui l'avaient formée, et la mère admirable qui de disciple commençait à la regarder comme maîtresse, pour guider les autres dans les voies de la perfection. Car son cœur était consumé de cette flamme de charité, qui s'étend à tout le monde ; et la forteresse de son humilité, gardait la tour inaccessible de sa virginité. Le peu de nourriture et de boisson, la pauvreté des habits, favorisaient sa vertu ; la tranquillité de son cœur, la pudeur de son silence, la rareté de ses paroles la manifestaient ; et la patience qui en est la gardienne, conservait, pour l'ornement de l'épouse du Christ, tous ces joyaux des saintes vertus sertis par la main du suprême joaillier. Et parce que la fournaise éprouve le vase du potier, et que la vertu se fortifie dans l'infirmité, elle fut tourmentée, dès son enfance, de douleurs multiples et presque continuelles, de telle sorte qu'elle pouvait à peine marcher ; et comme sa chair était toute chancelante, sa vie était l'image d'une précieuse mort (5).
Mais plus les forces de l'homme extérieur diminuaient, plus celles de l'homme intérieur augmentaient, en vertu de l'esprit de force et de sagesse ; et le corps étant languissant, la ferveur de l'âme croissait d'une manière merveilleuse.
4. Et comme elle était affermie dans sa résolution, avec le nombre des années, elle s'efforçait de plus en plus de plaire à Dieu seul. Mais déjà le temps pressait de produire au grand jour, pour l'avancement d'un grand nombre, sa vie et sa doctrine.
Elle fut donc avertie divinement, par une voix d'en haut, de ne plus tarder à manisfester par écrit, ce qu'elle voyait et entendait. Mais à cause de sa timidité féminine, bien qu'elle fût poussée par un aiguillon de plus en plus pénétrant, à révéler sans hésitation les secrets célestes, elle redoutait le jugement téméraire des hommes et les vains propos du vulgaire. Cependant, comme elle était couchée, en proie à une longue maladie, elle en découvrit la cause avec crainte et humilité, à un moine qu'elle avait choisi comme directeur ; et par lui à son Abbé. Celuici, repassant dans son esprit ces merveilles étranges, bien qu'il sût que rien n'est impossible à Dieu, choisit les plus prudents de la congrégation, et jugea qu'il fallait faire la preuve de ce qu'il entendait. Et s'étant informé des écrits et des visions de la sainte, il l'avertit de manifester le don de Dieu. Dès qu'elle eut entrepris d'écrire, ce qu'elle n'avait jamais appris (humainement) les forces lui étant revenues, elle put se lever de son lit de langueur. Alors, l'Abbé ayant admis la certitude de ce miracle extraordinaire, non content de son propre jugement, crut devoir le faire connaître publiquement ; et venant à la Maison Mère de Mayence, en présence de l'Archiprêtre Henri et des Chanoines de l'Église, il exposa ce qu'il avait appris, et montra les écrits récents de la bienheureuse Vierge.
5. Dans le même temps, l'évêque du St Siège de Rome, Eugène (6), d'heureuse mémoire, ayant célébré le concile universel de Reims, fut appelé par Adalbert, archevêque de Trèves, et il séjournait dans cette ville. L'évêque et le haut clergé de Mayence, crurent donc devoir soumettre le cas à l'autorité du Siège Apostolique ; pour lui permettre de dégager la vérité de l'erreur. Le Pape, dans sa grande sagesse, étonné de la nouveauté du fait, mais sachant que tout est possible à Dieu, voulant faire diligence, manda au monastère où la sainte était retirée depuis tant d'années, le vénérable prélat de Verdun (7) avec le primicier Adalbert et d'autres personnes capables, afin que sans ostentation, ni vaine curiosité, ils s'informassent auprès de la sainte, de la vérité des faits. Lorsque celleci eut découvert en toute simplicité, à ceux qui étaient venus humblement s'informer, ce qu'il en était, ils revinrent au Siège Apostolique, et pour satisfaire l'impatience du St Père et de tous ceux qui étaient présents, ils rapportèrent ce qu'ils avaient entendu. Le Pape ayant vérifié ces faits, demande que les écrits de la sainte, rapportés du Monastère, lui soient présentés ; et les tenant de ses propres mains, pour remplir luimême le rôle de récitant, il les lit publiquement à l'Archevêque ainsi qu'à tous les membres du clergé qui étaient présents ; alors proclamant les réponses de ceux qu'il avait envoyés pour s'enquérir, il excite tous les esprits et toutes les voix, à rendre louange et gloire au Créateur. Bernard (8), abbé de Clairveaux, de sainte mémoire, qui était présent, s'interpose avec l'assentiment des autres, et supplie le Pape de ne pas permettre, qu'une si grande lumière reste cachée dans le silence, mais de confirmer de son autorité, une si grande grâce manifestée par le Seigneur, en son temps. Puis avec bienveillance et sagesse, le vénéré père des pères donne son consentement, et envoie à la bienheureuse vierge des lettres de salutation, lui accordant, au nom du Christ et de St Pierre, la licence d'écrire et de publier. De plus, il honore le monastère où la sainte était favorisée, en accordant à l'Abbé (9) et aux frères, des lettres de félicitation revêtues du sceau pontifical.
(1) Hildehert et Mechtilde étaient des personnes de réputation dans le siècle, par leur noblesse, et par les biens de fortune qui étaient en abondance dans leur famille, et on peut ajouter qu'ils étaient grands devant Dieu, puisqu'ils pratiquaient ses saints commandements avec fidélité et amour.
(Ext. de l'Année Bénéd.)
(2) Comme elle le dit elle-même, sa contemplation intérieure ne ne la privait pas de la vue des choses extérieures. (Note du Trad.)
(3) Sainte Jutte, de la maison des comtes de Spanheim (Allemagne). Son père Estienne et sa mère Mechtilde étaient nobles et riches, mais craignant Dieu. Elle quitta le monde, pour se retirer au Mont Saint Disibode, avec trois compagnes, dont sainte Hildegarde. Devenue mère dune grande Communauté de Religieuses Bénédictines, elle les instruisit des perfections de son époux et les anima de son amour. Elle avait le don des miracles, et comme son maître, marchait à pied sec sur les eaux, et changeait l'eau en vin. Elle mourut en 1136. (Année Bénéd.) Note du Trad.
(4) Le Psautier.
(5) Les tribulations et la mort du juste sont précieuses aux yeux de Dieu, et s'ajoutent aux mérites du Christ pour la rédemption du monde. Que dis-je, c'est le Christ toujours soutirant et toujours mourant dans ses saints, pour s'offrir en holocauste à Dieu son père. (Note du Trad.)
(6) Eugene III, né à Pise, succéda à Lucius II en 1115. L'anarchie régnait à Rome et il fut impossible à Eugène d'y ramener l'ordre, ce que voyant, il se retira d'abord à Pise, puis à Paris. Il convoqua un concile à Reims et, bientôt après, un autre à Trèves. Il retourna en Italie et mourut à Tivoli, en 1153. R. C.
(7) Alberoni se démit de l'épiscopat en l'année 1156. Il mourut, diton, en 1158. Il est honoré du titre de bienheureux, dans la « Gaule Chrétienne », parmi les évêques de Verdun, (Mig.).
(8) Saint Bernard. 1091-1153. Âme des conciles, rempart du dogme, réformateur du clergé, tribun de la deuxième croisade. R. C,
(9) Sans doute Corron. abbé de St Disibode. (Mig.)