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CHAPITRE III




MALADIE MERVEILLEUSE DE LA SAINTE. - RÈGLEMENT MONASTIQUE.

- CONVERSION D'UN PHILOSOPHE IMBU DE MAUVAIS SOUPÇONS.

- DIVERSES VISIONS.



28. - Comme j'étais en proie à ces douleurs, je fus avertie, dans une vision véritable, d'aller au monastère où j'avais été offerte à Dieu, et d'y révéler l'objet de mes visions ; ce que je fis ; et je revins vers mes filles, toujours affligée des mêmes peines. Je me rendis aussi dans d'autres monastères, pour y exposer les paroles dictées par Dieu. Et toujours, le vase de mon corps était consumé comme dans une fournaise. C'est ainsi que Dieu en éprouva beaucoup d'autres, qui devaient propager sa parole. Qu'il en soit loué ! Il me fit secourir par deux de mes filles et d'autres personnes, qui surent compatir à mes douleurs. En soupirant, je rendis grâces à Dieu, de ce qu'il permettait que les hommes n'éprouvassent pas un trop grand ennui, à cause de moi. Si, en effet, les douleurs que je ressentais dans ma chair n'eussent été de Dieu, je n'aurais pu vivre si longtemps. Malgré que je fusse toujours tourmentée, je m'instruisis cependant dans la contemplation des choses célestes ; et je chantai et j'écrivis les paroles que l'Esprit saint voulait proférer par ma bouche (1). Trois années s'étant écoulées dans ces langueurs, je vis un chérubin environné d'une flamme embrasée, dans laquelle se trouvait le miroir des mystères divins, et qui poursuivait d'une épée flamboyante les esprits de l'air qui me tourmentaient ; et ils s'enfuyaient de moi en s'écriant : Hélas ! hélas ! malédiction ! malédiction ! Celle-là va-t-elle s'en aller ainsi, sans que nous puissions nous en emparer ? Et bientôt je revins pleinement à la vie ; mes veines et mes moelles furent restaurées dans mon corps, et je retrouvai ma santé parfaite.


29.- Voilà comment la vierge sainte, doublement tourmentée en son corps, par les douleurs des maladies et par les terreurs des démons, non seulement triomphait d'eux par de multiples victoires, mais encore méritait d'être glorifiée par l'ange qui la défendait (2). Enfin cette femme d'une merveilleuse innocence, pour supporter ses infirmités, se munit d'une part de la vertu de patience, comme si elle eût été encouragée par ces paroles divines. Ma grâce te suffit (3) ; car la vertu se fortifie dans l'infirmité : et elle se glorifiait librement de ses infirmités, afin que la vertu du Christ fût en elle ; persuadée qu'elle était d'autant plus aimée, qu'elle méritait davantage d'être reprise (4). Mais, d'autre part, la guerrière admirable qui subissait les attaques du démon, s'armait de nouveau du bouclier de la doctrine apostolique (5) : Prenez, disait-elle, le casque du salut et le glaive de l'esprit, qui est la parole de Dieu. Revêtez-vous de l'armure de Dieu, afin que vous puissiez vous soutenir contre les embûches du démon ; car nous n'avons pas à lutter seulement contre la chair et le sang, mais contre les principautés et les puissances des ténèbres. C'est pourquoi, revêtue de ces armes, elle combattait, invincible, dans ce grand art de la guerre ; et malgré qu'elle fût encore assujétie à la chair, et qu'elle eût sa demeure sur la terre, elle livrait la lutte, dans les choses célestes, à l'esprit du mal (6). Et les princes des ténèbres frémirent, lorsqu'ils virent s'avancer vers eux, une femme instruite dans ce grand art, et revêtue de l'armure des forts (7). Ils frémirent, et se maudissant eux-mêmes, ils s'enfuirent dans la confusion, parce que la crainte et la terreur s'emparèrent d'eux, lorsqu'ils virent le chérubin terrible comme une armée rangée en bataille (8), protégeant la servante de Dieu, et l'escortant de sa framée de flamme, pour qu'ils fussent impuissants à lui nuire. C'est pourquoi ils admirèrent dans le trouble, et saisis d'épouvante ils s'écrièrent : « Ce sont les armes de Dieu, fuyons Israël. » (9) Et ils s'enfuirent aussitôt. Ainsi l'athlète de Dieu luttait entre les esprits supérieurs et inférieurs ; et ayant repoussé ses ennemis, elle pouvait toujours se glorifier dans la joie de sa victoire. Mais il ne faut pas taire ce fait : Un jour qu'elle était tourmentée de nouveau des fièvres, elle entendit des archanges s'écrier : « Venge, ô Seigneur, le sang de tes saints ! » Et d'autres s'adressant à elle : « La douleur que tu souffres, tu dois la supporter avec bonne volonté. » Et voici que d'autres saints se disaient entre eux : « Viendra-t-elle avec nous, oui ou non ? » Et d'autres répondaient : « Le présent, le passé, l'avenir, ne le permettent pas encore ; mais cependant quand elle aura achevé son œuvre, nous la mènerons vers nous ». Et alors tous s'écriaient d'une voix unanime : « Ô âme heureuse et très fidèle, lève-toi, lève-toi comme l'aigle, parce que, sans que tu le saches, le soleil de lumière t'a engendrée » (10). Et soudain elle fut guérie.


30. - Et ce n'est pas seulement, quand elle eut à supporter les maladies et les sévices des Démons, que Dieu se manifesta à elle ; mais aussi lorsqu'elle eut à souffrir les persécutions des hommes ; et c'est alors qu'il transforma le cœur de ses adversaires, comme elle le dit elle-même, à propos de la conversion de ce philosophe qui lui fut hostile ainsi qu'à Dieu, et dans lequel se produisit un vrai changement, par la vertu d'en haut ; et lorsqu'elle éloigna, par les exhortations des saintes Écritures, les pensées vaines qui surgissaient, par les suggestions de Satan, dans le cœur de ses jeunes filles. C'est au sujet de ces transformations, qu'elle s'exprime ainsi : Un certain philosophe privilégié de la fortune, après avoir longtemps douté de mes visions, vint enfin à nous et embellit notre séjour de constructions, de fondations, et des autres choses nécessaires : ce qui réjouit mon âme, parce que je vis que Dieu ne nous oubliait pas. Il s'informa, par de subtiles et savantes recherches, d'où venaient et quels étaient les écrits de cette vision ; jusqu'à ce que, touché de la grâce, il crut pleinement ; et lui qui nous avait raillées par de malicieuses paroles, lorsque Dieu eut étouffé l'injustice dans son cœur, revint à nous avec de grands sentiments de respect. C'est ainsi que Dieu engloutit, dans les flots de la mer Rouge, l'orgueil de Pharaon, qui voulut mettre en captivité les fils d'Israël. Beaucoup admirèrent cette conversion, ce qui augmenta leur foi ; et par l'intermédiaire de ce sage, Dieu répandit sa bénédiction sur nous, comme le parfum sur la barbe d'Aaron (11). Ce qui fit que nous l'appelâmes père. Et ce grand prince, illustre par son nom, demanda qu'on voulût bien l'ensevelir auprès de nous, et il en fut fait ainsi. Alors, dans le calme de mon esprit, je pris soin de mes filles, dans leurs nécessités spirituelles et corporelles, selon les prescriptions de mes maîtres. Pénétrée d'une grande sollicitude, je vis dans une vision véritable, comment les esprits de l'air combattaient contre nous ; et je connus, que ces mêmes esprits avaient pris dans les rets des diverses vanités, (12) quelques-unes de mes nobles filles. Dieu m'ayant révélé ces faits, je les entourai et les fortifiai de la parole des saintes Écritures, des enseignements de la règle et des conversations salutaires. Mais quelques-unes d'entre elles me considérant avec de fausses lumières, me critiquaient secrètement par leurs paroles, disant qu'elles ne pouvaient souffrir le joug étroit de la discipline, que je voulais faire peser sur elles. Mais Dieu permit que d'autres sœurs bonnes et sages fussent ma consolation, comme il arriva à Susanne que Dieu délivra des faux témoignages. Malgré toutes ces tribulations, je n'en menai pas moins à bonne fin, par la grâce de Dieu, le livre « des Mérites de la Vie » (13) qui me fut révélé.


31. - Ainsi, dans l'adversité et la prospérité, la vierge consacrée à Dieu faisait en sorte, de ne pas s'enorgueillir du succès et se troubler dans l'infortune ; mais elle était toujours également forte, et ne se laissait ni ébranler par le mépris, ni séduire par la louange. Elle avait l'âme tendue comme un arc vers toute discipline ; de telle sorte que sans défaillance, par une autorité tantôt douce, tantôt sévère, elle se gouvernait elle et les siens. Il y avait en effet dans sa compagnie une gravité tempérée ; et de sa bouche découlaient les paroles suaves de l'oraison, plus douces que le miel (14). Elle possédait en toutes choses la saine doctrine, qu'elle connaissait par révélation divine ; comme le prouvent ses écrits touchant la nature de l'homme, la lutte de la chair et de l'esprit, et les exemples des saints Pères.

Dans une vision véritable, dit-elle, je vis la figure de l'homme qui, bien qu'il soit composé de deux natures (parties distinctes), l'âme et le corps, forme cependant un même édifice (être), de même que l'homme bâtit une maison avec des pierres, la couvre de chaume et la revêt de ciment, afin qu'elle ne tombe pas en ruines. L'homme en effet, œuvre de Dieu, est avec toute créature, et toute créature est avec lui (15). Mais l'œuvre de l'homme, qui est sans vie, n'est pas semblable à l'oeuvre de Dieu, qui est vie ; de même que le vase du potier, n'est pas semblable à l'édifice du potier, qui est lui-même. Mais la nature de l'âme aspire à une vie, infinie : et le corps embrasse une vie caduque (éphémère) : et ils ne sont pas identiques ; car, bien qu'ils soient ensemble dans l'homme, ils sont cependant d'essence distincte. À cause de cette similitude, lorsque Dieu envoya son esprit dans l'homme, par les dons de prophétie et de sagesse, ou par les dons des miracles, il infligea souvent à sa chair de grandes douleurs, afin de la rendre digne d'être l'habitacle de l'Esprit saint. S'il ne l'assujettit par la douleur, elle fut bientôt liée par les mœurs du siècle, comme il arriva à Samson et à Salomon qui défaillirent dans les inspirations de l'Esprit ; parce qu'ils se laissèrent captiver par les délectations charnelles ; car le don de Prophétie, de Sagesse et des Miracles sont délectables dans la joie (16). Mais lorsque l'homme, par les suggestions de Satan, aime la délectation charnelle, il se prend à dire souvent : Hélas, de quelle boue immonde suis-je pétri ! Mais qu'est-ce qui, dans l'esprit, afflige la chair ? C'est que, par sa nature, l'esprit déteste le goût du péché (17). Mais comme la chair brise les désirs de l'âme, par la fréquente délectation qui l'enveloppe dans la boue du péché, de telle sorte qu'à cause de cette contrainte l'esprit ne peut se manifester ; alors la chair afflige l'esprit, et par la grâce de Dieu, cette affliction se manifeste de deux manières


32. Ce conflit se rencontre dans la figure de l'homme, et commence dans Abel que détesta son frère ; et dans Noé qui dut endurer un affront de la part de son fils ; et dans Abraham qui fut injurié par ses amis ; et dans Jacob qui dut s'enfuir à cause de son frère ; et dans Moyse dont les amis s'unirent, pour l'affliger, à ses ennemis. Les disciples du Christ eux-mêmes, durent endurer cette affliction, à cause de la perfidie de Judas, dont la chair suffoqua l'esprit. Mais l'esprit des autres était affligé contre la chair. Le Zachée de l'Évangile fut en esprit dans l'affliction contre la chair. Le jeune homme de l'Évangile, qui conversait avec le Christ, n'était pas en esprit dans l'affliction contre la chair, c'est pourquoi il abandonna le fils de Dieu. Saul, dans son incrédulité, fit taire d'abord l'esprit : mais Dieu dissipa ce mal en lui, comme il précipita Satan du ciel au fond des abîmes, et de Saul il fit Paul. Abel qui, dans un ardent désir de l'âme, offrit des victimes pures, fut sanctifié ; et Cain répudié, parce que la chair étouffa l'esprit, dans un sentiment de haine. Noé fut aussi justifié, parce qu'il sacrifia à Dieu. Mais son fils se moqua de son père, à cause de la honte de la chair ; et c'est pourquoi il ne fut pas libre ; et indigne du nom de fils, il fut appelé serviteur. Abraham se multiplia, parce que, obéissant à Dieu, il affligea diligemment sa propre chair, malgré les droits de la chair. Il dut retourner vers une nation étrangère. Mais par ses fils et ses amis, la liberté de ceux qui lui résistaient s'évanouit ; et ceux qui avaient été libres, furent chassés par les enfants d'Israël. Mais Jacob aimé de Dieu, parce que, dans le désir de son âme, il accomplissait toujours les œuvres de Justice, fut comblé de ses bénédictions. Esau son frère, fut dépouillé de ses privilèges à cause de la haine qu'il eut pour lui. Moyse, le serviteur et l'ami de Dieu, réprima les élans de la chair, pour se rendre digne des mystères et des miracles qui s'accomplissaient par lui. Et c'est pourquoi, ceux qui le détestèrent périrent, et ne parvinrent jamais dans la terre promise. Les apôtres châtiaient leur chair (18). Mais Judas qui suivait le Christ, non pour que le peuple crût en lui, mais pour qu'Il fût honoré par le peuple, fut aveuglé dans le désir de son âme comme les disciples qui s'éloignaient de lui, parce que ne suivant pas pleinement les désirs de l'âme, tout en écoutant la doctrine du Christ, ils manquaient de générosité en esprit, et ne pouvaient souffrir la perfection de sa justice.


33. - Zachée, dans la jubilation de la chair, éprouva l'affliction de l'esprit contre la chair, c'est pourquoi ses œuvres lui déplurent. Et lorsqu'il ouït dire du fils de Dieu qu'il était juste, il courut aussitôt à lui et crut en lui, parce qu'il pleura auparavant ses péchés en esprit. Le jeune homme de l'Évangile, qui était chargé de richesses, écoutant librement la renommée des faits, vint trouver le fils de Dieu, pour lui demander ce qu'il devait faire : mais lorsqu'il eut entendu la réponse parfaite (19), il tomba dans la tristesse : et parce que la chair étouffa l'esprit, il s'éloigna de Jésus-Christ. De même le cruel Saul, le cœur endurci contre la foi du Christ, éleva son front superbe : mais Dieu le renversa, mortifia en lui la volonté de la chair, et le convertit au bien. Et moi, forme chétive, j'ai principalement aimé et invoqué, ceux qui affligèrent leur chair en lutte contre l'esprit, et je me suis éloignée, de ceux qui s'endurcirent contre l'esprit et l'étouffèrent. Et je n'ai jamais joui du repos, mais j'ai été en proie aux tribulations, jusqu'à ce que la rosée de la grâce divine s'est répandue sur moi ; comme il dit à son ami : « Je serai l'ennemi de tes ennemis, et j'affligerai ceux qui se ligueront contre toi, et mon ange te précédera » (20). Et de nouveau : « J'ai comblé d'honneur mon serviteur, et j'ai humilié tous ses ennemis » (21). Dieu me défendit même si bien dans plusieurs circonstances périlleuses, que je ne puis imaginer combien fut grande, à mon égard, la bonté de sa grâce ; tandis que je voyais accablés de contrariétés, ceux qui résistaient à la volonté de Dieu. Pour les tribulations que je souffris de la chaleur de l'air, mon corps en fut broyé comme la boue délayée dans l'eau. Il serait d'une grande utilité de pénétrer l'obscurité de ces paroles sublimes, s'il ne nous était prescrit de transcrire le texte même des visions de la vierge sainte, et de tracer, en quelques mots l'histoire de sa vie. Elle exerce à ce point notre esprit, que ses forces développées par l'exercice, il peut pénétrer et comprendre ce qu'il ne saurait entrevoir dans l'oisiveté. Maintenant que nous nous hâtons vers un autre sujet, jetons un coup d'œil rapide et attentif sur ses visions.


34. - Elle s'exprime ainsi : « Dans une vision j'apercevais trois tours, dans lesquelles la Sagesse me fit entrevoir certains mystères. La première tour avait trois demeures. Dans la première, de nobles vierges habitaient avec d'autres vierges, qui écoutaient avec un amour ardent la parole de Dieu sortant de ma bouche ; et elles avaient toujours faim de cette parole. Dans la seconde demeure, d'autres restaient constantes et sages, pour embrasser dans leur cœur la vérité divine, et elles disaient : Oh ! combien de temps restera-t-elle avec nous ? » (22). Et elles n'étaient jamais fatiguées. Dans la troisième, se trouvaient des hommes du peuple armés, qui venaient vers nous dans l'admiration des prodiges annoncés ; et qui désiraient ardemment en être les témoins ; et ils faisaient cela comme le commun peuple enfermé dans une forteresse, cherche à défendre son prince, pour le préserver de ses ennemis. Dans la seconde tour, étaient trois demeures, dont deux étaient dans l'abandon ; et cette sécheresse se manifestait sous la forme d'un épais nuage. Et ceux qui étaient dans ces deux demeures s'écrièrent d'une voix unanime : « Quelles sont et d'où viennent ces choses qui semblent venir de Dieu ? Il nous est dur de vivre autrement, que ceux qui nous ont précédés, ou qui vivent encore. C'est pourquoi nous irons vers ceux qui nous connaissent, parce que nous ne pouvons nous singulariser plus longtemps ». Et ainsi ils se retournaient vers le commun peuple, et ils n'étaient d'aucune utilité, ni pour lui, ni pour la tour. Et, dans une vision véritable, j'entendis une voix qui leur disait : « Tout royaume divisé contre lui-même sera ruiné, et toute maison divisée contre elle-même sera détruite » (23).

Dans la troisième demeure de la même tour, se trouvait le commun peuple, qui aima d'un amour qui se donne les paroles que je proférais dans la vision véritable, et qui m'assista dans les tribulations, de la même manière que les publicains adhérèrent au Christ. La troisième tour avait trois forteresses, dont la première était de bois, la seconde ornée de pierres brillantes et la troisième formée de hayes. L'autre édifice me fut caché dans la vision, c'est pourquoi je n'en dis rien maintenant ; mais j'entendis dans une illumination véritable, que ce qui serait écrit à son sujet, serait plus extraordinaire et plus sublime que ce qui précède.


35. - Dans un autre temps,  j'eus une vision mystique et merveilleuse, à tel point que mes entrailles en tressaillirent, et que mes sensations corporelles s'évanouirent et je devins comme ignorante de ce que je savais, pour acquérir une science nouvelle (24). Pour l'éducation de mon âme, l'inspiration divine se répandit sur elle comme des gouttes de rosée ; et de la même manière que l'Esprit Saint instruisit Jean l'Évangéliste, lorsqu'il recueillit, penché sur la poitrine de Jésus, ses sublimes révélations ; et que ses sens furent tellement pénétrés de la divinité, qu'il en découvrit les mystères et les œuvres les plus cachées, lorsqu'il dit : Au commencement était le Verbe (25). Car le Verbe qui fut sans commencement avant les créatures et qui sera dans la suite des siècles sans fin, a fait se succéder toutes les créatures ; et il a produit son œuvre, comme l'artisan fait resplendir la sienne, parce que ce qui avant le temps fut dans sa prédestination est apparu dans le temps d'une manière visible. D'où vient que l'homme est l'ouvrage de Dieu, avec toute créature. Mais l'homme est l'ouvrier de la divinité et l'ombre des mystères divins ; et celui que Dieu a fait à son image et à sa ressemblance, révèle en toute chose l'image de la sainte Trinité. De même que Lucifer, dans sa malignité, n'a pu vaincre Dieu, ainsi il ne pourra détruire l'état de l'homme, bien qu'il ait tenté de le faire dans le premier homme. Tous les préceptes et toutes les paroles de cet Évangile, qui parle du commencement de l'œuvre de Dieu, m'ont été expliqués et éclaircis dans cette vision. Et je vis que pareille manifestation, concernant le commencement de l'autre Écriture, qui n'avait jamais été donnée, devait l'être, dans laquelle beaucoup de secrets et de choses mystérieuses sur les créatures, devaient être recherchés .


36. - Et voici que plus nous nous sommes avancés dans notre narration, plus le nombre des révélations insignes de la sainte s'est accru. Et la sublimité de la doctrine, et les rayonnements de la grâce sont si exubérants, que ce serait l'impardonnable témérité d'un esprit obstiné, de ne pas les embrasser de tous ses soins et les vénérer de tous ses efforts. Qui donc, si ce n'est l'esprit divin très bon dispensateur des grâces, abreuva notre sainte à la source si féconde de la divine sagesse, que les flots de la doctrine spirituelle, comme un fleuve d'eau vive, s'échappèrent abondamment de son cœur ? Elle s'envola en effet, par les ailes de la contemplation intérieure, dans les replis mystérieux de la suprême vision, où elle apprit à connaître l'Évangile de St-Jean. Et quel sage douterait, que cette sainte à laquelle Dieu révéla un si grand trésor de science intérieure, était le trône de la Sagesse Éternelle. Certes, la bonté de la discipline morale qui lui fut familière, composa de la sorte les mouvements naturels de son âme, que par, amour des divines spéculations, d'un mouvement ascensionnel raisonnable, elle était portée vers les choses supérieures où, dans l'énivrement de son cœur, elle se plaisait à dire au Christ son époux : Enlève-moi avec toi, enivrons-nous de l'odeur de tes parfums (26) ou parmi ceux qui jouent des trois cithares, elle chantait le cantique de Moyse serviteur de Dieu, et le chant de l'Agneau, celui de la loi et de l'Évangile. Et nous, après avoir terminé le second livre, chantons aussi au Seigneur un chant de louange, pour avoir parcouru la mer immense des visions de la sainte. Respirons et réparons nos voiles avant d'entreprendre, avec l'aide du St-Esprit, d'écrire le livre de ses miracles.

 



(1) Domine labia mea aperies et os meum annunteabit laudem tuam.

(2) On lit dans le manuscrit « Non seulement elle n'était pas vaincue, mais encore, sous la protection angélique, elle triomphait en de multiples victoires. » (Mig.).

(3) Sufficit tibi gratia mea, nam virtus in infirmitate perficitur. (II. Cor. XII).

(4) Qui bene amat, bene castigat.

(5) Galeam, inquit, assumite et gladium spiritus quod est verbum Dei - Induite vos armaturam Dei, ut possitis stare adversus insidias diaboli, quia non est nobis colluctatio adversus carnem et sanguinem, sed adversus principatus et potestates tenebrarum harum. (Ephes. VI).

(6 et 8) Terribilis ut castrorum acies ordinata. Terrible (dans la lutte livrée à Satan) cumule une armée rangée en bataille.

(7) Mulierem fortem quis inveniet, inveniet thesaurum.

(9) Castra Dei sunt hœc, fugiamus Israël.

(10) Sublime commerce de lame avec les esprits supérieurs ! Merveilleuse vision, bien plus capable que les rêvasseries des philosophes, de prouver à nos matérialistes, (s'ils avaient des yeux pour voir et des oreilles pour entendre), l’immortalité de l'âme. (Note du Trad.).

(11) Sicut unguentum in capite quod descendit in barbam, barbam Aaron. (Ps. CXXXII).

(12) Les vanités du monde nous éloignent de Dieu, car nous nous attachons à ce point aux choses passagères dont nous méconnaissons la futilité, que nous ne songeons plus aux éternelles, dont nous ignorons la grandeur. Et qu'est-ce que le temps comparé à l'Éternité ! (Note du Trad.).

(13) Les trois livres de « Scivias », des « Mérites de la Vie », et « des Œuvres divines ». furent présentés par la Sainte aux docteurs de la Faculté de Paris qui déclarèrent que c'était œuvre divine et non humaine.

(14) L'oraison distille le miel de la Sagesse éternelle, parce qu'elle recueille dans la parole de Dieu, et dans les actes des saints, un suc plus précieux que celui que l'abeille butine dans le calice des fleurs. (Note du Trad.).

(15) L'homme est « un petit monde » C'est le résumé de la création. Dieu se reflète plus visiblement en lui, que dans l'ensemble de ses oeuvres Mais il ne faut pas qu'il efface les traits divins, pour reproduire les

caractères de la Bête. (Note du Trad.).

(16) Les dons de Dieu sont admirables et dignes de toutes louanges. Mais c'est Dieu qu' il faut glorifier,

et non l’homme qui n'est que le dépositaire de ces dons. (Note du Trad.).

(17) L'esprit doit dominer la matière. Mais lorsque l'homme devient esclave de ses passions le péché lui enlève sa royauté, et l’âme ne perçoit plus ce qui fait sa noblesse.

« Animalis homo non percipit ea quœ sua surit ».

(18) Castigo corpus meum et in servitutem redigo. S. P.

(19) Adhuc unum tibi deest omnia quœcumque habes vende et da pauperibus, et habebis thesaurum in cœlo, et veni. sequere me. (S. Luc, XVIII, 22).

- Si vis esse perfectus, abnege temetipsum tolla crucem tuam et sequere me.

(20) Inimicus ero inimicis tuis, et affligentes te affligam, et prœcedet te angelus meus. (Exod. XXIII.)

(21) Famulo meo prœstiti honorem magnum, et omnes inimicos ejus humiliavi. (I Parab. XVII).

(22) Cette vision signifie l'empressement avec lequel la plupart des nobles jeunes filles qui s'étaient vouées à Dieu sous sa direction, écoutaient sa parole et se conformaient à sa ligne de conduite ainsi que la résistance que quelques-unes lui opposèrent ; les critiques et les contrariétés qu'elle eut à subir et la manière dont ceux qui lui étaient attachés, la défendaient contre les embûches de ses ennemis. (Note du Trad.)

(23) Omne regnum in se ipsum divisum desolabitur, et domus supra domum cadet. (Luc. XI).

(24) Notre Sainte comme les apôtres après la visite du St-Esprit, eut la science infuse et ce qu'elle ne comprenait pas auparavant, elle le comprit alors pleinement Une transformation se fit en elle et cette femme ignorante, posséda tout à coup une science infiniment plus grande que celle que les hommes peuvent donner. (Note du Trad.)

(25) In principio erat verbum, et Deus erat verbum. (Joan. I.)

(26) Trahe me post te, curremus in oderem unguentorum tuorum. (Cant. I)