Vous êtes sur le site de : livres-mystiques.com ©



CHAPITRE TROISIÈME




GRAVE MALADIE DE LA SAINTE GUÉRIE DANS UNE VISION.

BÉNÉFICES ACCORDÉS A PLUSIEURS. MORT ET SÉPULTURE

ILLUSTRÉES PAR DES MIRACLES.



52. - Après cet humble récit concernant une vertu qui ne présume rien d'elle-même, comme si elle disait avec l'Apôtre : « De peur que la grandeur des révélations ne m'enorgueillisse, je ressens en moi l'aiguillon de la chair, l'ange de Satan me soufflette. » (1).

Elle ajoute aussitôt, après nous avoir dit que cette débilité de tout son corps était comme un aiguillon contre l'orgueil : « Après la libération de cette femme, une grande souffrance m'envahit de nouveau, de telle sorte que mes veines se desséchèrent avec mon sang, mes os avec mes moelles, mes entrailles furent lacérées et tout mon corps perdit sa vigueur, comme l'herbe perd sa verdeur quand vient l'hiver. Et je vis que les esprits mauvais se moquaient et riaient en disant : « Ah ! celle-ci mourra, et ceux avec lesquels elle nous a confondus pleureront. » Mais je ne vis pas cependant que le départ de mon âme fût imminent, bien que je souffrisse de cette infirmité depuis plus de quarante jours et quarante nuits. Pendant ce temps, dans une vision véritable, je fus avertie que j'aurais à visiter quelques congrégations religieuses d'hommes et de femmes, pour y rapporter les paroles qui me seraient révélées par Dieu. Comme je tentais de le faire, malgré que les forces ne me fussent pas revenues, mon infirmité s'adoucit un peu. Alors, exécutant l'ordre de Dieu, je réussis à calmer les dissensions qui troublaient la paix de certains monastères. Mais comme je négligeais, par crainte du peuple, de suivre les voies qui m'étaient tracées par Dieu, mes douleurs corporelles s'accrurent et elles ne cessèrent que lorsque je me décidai à obéir, comme il arriva à Jonas, qui fut gravement affligé jusqu'à ce qu'il se décida à l'obéissance.


53. - Après cela, l'épouse du Christ mérita d'être visitée par un envoyé céleste, et elle en reçut une si grande consolation qu'elle disait avoir ressenti une joie ineffable : « Un homme très beau et très aimant m'apparut, dit-elle, dans une vision véritable, et j'éprouvai une si grande délectation, que sa vue pénétra tout mon être d'un parfum suave. Je jouis alors d'un bien inestimable, et je souhaitai le voir sans cesse. Et lui-même ordonna aux esprits impurs qui m'affligeaient, de s'éloigner de moi, en leur disant : « Retirez-vous, car je ne veux plus que vous la tourmentiez ainsi ». Et se retirant avec de grandes vociférations, ils s'écriaient : « Pourquoi sommes-nous venus ici, pour nous retirer dans la confusion ? » Et à la parole du messager céleste, la maladie qui m'avait tourmentée, comme les eaux qui, par les vents d'orage, sont agitées par la tempête, m'abandonna ; et je recouvrai mes forces, comme le voyageur qui revient dans son pays retrouve ses possessions ; et les veines avec le sang, et les os avec les moelles furent renouvelés en moi, comme si j'étais sortie du sommeil de la mort. Mais je gardais un silence plein de douceur et de mansuétude, ou bien je discourais, après ma maladie, comme la mère après les douleurs de l'enfantement.

Après cela, mon Abbé et ses frères me contraignirent, par des instances pleines d'humilité et de dévotion, à écrire selon l'inspiration de Dieu la vie de saint Disibode, le premier auquel j'avais été offerte et dont ils n'avaient rien de sûr. Et après l'Oraison et l'invocation du Saint-Esprit, instruite dans une vraie vision où je contemplai la vraie Sagesse, d'après ce qu'elle m'enseigna elle-même, j'écrivis la vie et les mérites de ce saint. Ensuite j'écrivis le livre des Œuvres divines dans lequel, comme le Dieu tout puissant m'en donna la science infuse, je vis la hauteur, la profondeur et la grandeur du firmament et la manière dont le soleil, la lune, les étoiles et les autres astres y sont établis. »

La vierge sainte écrivit beaucoup d'autres œuvres et nous transmit, comme nous l'avons dit plus haut, d'insignes documents de prophétie et de grâce, dans lesquels nous recueillons des indices certains, que son âme fut instruite par le Saint-Esprit et adonnée aux choses divines. Les amoureux de doctrine et de science peuvent y trouver beaucoup de profit, puisque ce qui a été ordonné par Dieu, a été par elle manifesté aux hommes, par elle en qui siégeait la divine sagesse dans toute son autorité, comme sur le trône de la sublime puissance, et que par elle accomplissant des merveilles, il déterminait le jugement des choses.


55. Après avoir disposé ces choses suivant la puissance de notre faible génie, nous cédons notre plume, pour qu'elle traduise les paroles de ses saintes filles, sur les choses dignes de mémoire qu'elles ont écrites, surtout ce qui a rapport à la bienheureuse mort de la sainte ; et nous ajoutons à cet ouvrage, sans trahir la vérité, avec l'aide de Dieu, ce qu'elles ont vu et entendu ou fait de leurs mains, concernant la bienheureuse.

Elles racontent qu'une femme horriblement tourmentée par un démon cruel, et pour la délivrance de laquelle les frères du monastère du Lac (Lacense coenobium sive de Lacu), près de Trèves, non loin d'Andernac, de l'ordre de saint Benoit, avaient peiné en vain, lui fut amenée couchée dans son lit, avec des peines infinies ; et que la vénérable mère résistant avec confiance à l'audace et à la présomption du démon, en vertu des paroles sorties de la bouche du Saint-Esprit, n'abandonna l'oraison et les exorcismes que lorsque, par la grâce de Dieu, elle eut délivré cette femme de l'esprit malin. Une autre femme qui, à cause de la fureur de sa folie, avait été chargée de liens, lui fut aussi amenée. Elle commanda qu'elle fût détachée et, aussitôt, à l'admiration de tous ceux qui étaient présents, elle recouvra sa santé de corps et d'esprit, et s'en retourna chez elle avec des actions de grâce.


56. - De même dans le cloître de Schefenburch le démon, sous les aspects d'un ange de lumière, exhortait une sœur à des œuvres saintes, comme l'oraison, les veilles, les jeûnes et la réception des sacrements ; et, par la confession de crimes qu'elle n'avait jamais commis, il s'efforçait de la confondre. Il l'affligea de telle sorte, qu'elle redoutait le nom et l'aspect de certains animaux ; à tel point qu'en les entendant ou en les voyant, elle criait longuement d'une voix lamentable. Ayant été envoyée par le prieur et le couvent, avec des lettres de recommandation, à la vierge sainte, elle la réconforta et la délivra de l'erreur du démon.

Par la même vertu elle délivra deux autres femmes possédées du démon ; l'une d'elles, pauvre et aveugle, fut recueillie par la sainte et termina sa vie heureusement dans la piété.


57. - Comme nous arrivons à la fin de l'ouvrage, il faut que nous racontions la mort de la vierge sainte, de la manière que les sœurs l'ont décrite « Lorsque la bienheureuse mère, disent-elles, eut combattu dévotement pour Dieu dans les labeurs et les luttes, dégoûtée de la vie présente, elle désirait ardemment d'être séparée de ce monde pour aller avec le Christ. Dieu exauçant son désir lui révéla, comme elle le souhaitait, par l'esprit de prophétie, sa fin prochaine, qu'elle prédit à ses sœurs quelque temps auparavant. Et fatiguée par la maladie, en l'année quatre-vingt-deuxième de son âge, au 15 des calendes d'octobre, elle s'envola par une heureuse mort vers son céleste époux, en l'année 1179. Ses filles, dont elle faisait toute la joie, assistaient, pleurant amèrement, aux funérailles de leur mère bien-aimée. Car bien qu'elles ne doutassent pas des récompenses et des suffrages qu'elles devaient obtenir par elle, elles étaient profondément affligées au fond de leur cœur, à cause de l'éloignement de celle qui les consolait. Mais Dieu manifesta d'une manière éclatante, dans sa mort, la grandeur de son mérite.


58. - Car sur la maison dans laquelle la vierge sainte rendit à Dieu son âme bienheureuse, an premier crépuscule de la nuit du jour Dominical (2), deux arcs d'une lumière resplendissante et de diverses couleurs apparurent dans le firmament, et s'élargirent à la grandeur d'une immense voie lumineuse, s'étendant sur les quatre parties de la terre, l'une du septentrion au midi, l'autre de l'orient à l'occident. Mais au sommet où ces deux arcs se joignaient, une claire lumière, semblable au cercle lunaire, surgissait, et s'étendant au loin paraissait chasser les ténèbres de la demeure de la sainte. Dans cette lumière se dessinait une croix resplendissante, qui, petite d'abord, mais augmentant progressivement, devint immense ; et autour d'elle étaient inscrits d'innombrables cercles de couleurs variées, dans chacun desquels autant de petites croix resplendissantes surgissaient avec leurs cercles ; elles apparaissaient cependant moins grandes que la première. Et comme ces deux arcs resplendissants s'étendaient dans le firmament, ils s'élargissaient surtout vers l'orient ; et, se détournant de la terre vers la demeure mortuaire de la sainte, ils illuminaient toute la montagne.

Il faut croire que, par ce signe, Dieu voulait montrer de quelle gloire il avait illustré sa bien-aimée dans le ciel. Avant sa sépulture, de nombreux miracles attestèrent la grandeur de sa sainteté. Deux hommes, mus par l'esprit de foi, touchèrent son saint corps et furent guéris d'une grave infirmité. Des prêtres vénérables célébrèrent dignement ses funérailles, et elle fut ensevelie dans un lieu saint où, par ses mérites, elle obtient de nombreuses grâces à tous ceux qui les demandent d'un cœur pieux. Un parfum d'une merveilleuse suavité, s'exhalant du tombeau, pénétra de sa douceur les sens et le cœur de plusieurs témoins. C'est pourquoi nous espérons et nous croyons fermement, que sa mémoire est immortelle auprès de Dieu, qui lui avait donné en cette vie une prérogative spéciale de ses grâces.


À lui soit honneur et gloire aux siècles des siècles.


Ainsi soit-il.


Paris, juin 1907.




(1) Ne magnitudo revelationum exlollat me, datus est mihi stimulus carnis meæ, angelus Satanœ qui me colaphizet. (I Cor. XII.)

L'aiguillon de la chair et l’ange de Satan, dont parle l'Apôtre, peut être expliqué de plusieurs manières. Ici l'auteur, avec beaucoup d'autres, comprend l'infirmité corporelle dont saint Paul fut affligé, afin que l'excellence de ses révélations ne l'énorgueillît pas. Et, dans ce sens, ses paroles s'adaptent à sainte Hildegarde. (Migne).

(2) Par le crépuscule de « la nuit du jour dominical », il faut comprendre l’aurore de la lune du jour suivant, mais non l’aurore du jour dominical, comme on pourrait croire. C'est pourquoi la sainte mourut au jour de la lune 17 septembre, environ la quatrième heure après minuit. Car il y a un crépuscule vespéral et un autre matinal, mais ici c'est le matinal, ce qui le prouve sont les paroles suivantes où il est dit : « Une lumière éclatante… paraissait chasser... les ténèbres de la nuit. » Car dans le premier crépuscule du soir, les ténèbres commencent à paraître seulement ; dans le premier crépuscule matinal ce sont les ténèbres qui commencent à être chassées par un peu de lumière. La sainte n'est donc pas défunte au jour dominical, comme l'a cru Paguis, mais nécessairement au premier jour de la lune. lorsque la nuit du jour dominical durait encore, parce qu'il est évident quelle n'est pas morte avantl'année 1179, en laquelle le jour du 17 septembre tombait un jour de la lune. Car dans l'épitre à Chrétien, archevêque de Mayence, sainte Hildegarde fait allusion aux prélats de Mayence qui étaient de retour du synode de Rome, de Latran, qui eut lieu au mois de mars 1179. Elle vivait donc en l'an 1179 et elle ne put, avant cette année et avant le mois de juin, commencer l’année 82e de son âge, cumule on le prouve dans les commentaires. C'est est pourquoi il devient certain, avec de telles preuves. qu'elle n'est pas morte en l'an 1178, pour lequel le jour du 17 septembre était un dimanche. Cette explication était nécessaire et il faut dire que le biographe a distingué scrupuleusement le crépuscule de la nuit du jour dominical du crépuscule du jour dominical, et qu’il n'a pas dit que la sainte était morte au jour dominical, mais sur la fin de la nuit suivante.