LES EVANGILES DEVANT LA CRITIQUE Le fait que le Christ n'a rien écrit, - car si la parole est déjà ténèbre par rapport à l'Esprit, combien plus l'écriture est-elle ténèbre par rapport à la parole ! - et qu'il a fallu quatre évangiles, en ne comptant que ceux qui ont été reçus dans le canon de l'Eglise, pour exposer la vie et les enseignements du Sauveur, ce fait n'est-il pas révélateur de l'étendue, de la richesse, de la profondeur du Message évangélique ? A peine soupçonnons-nous à la lecture du Nouveau Testament ce qu'a pu être la manifestation du Christ à ses Apôtres ; et les Evangélistes, quand ils ne relèvent pas l'impuissance des disciples à comprendre toute la pensée du Maître, doivent avouer qu'ils ne se proposent pas eux-mêmes d'épuiser toute la substance de leur sujet. Aussi ne doit-on considérer les Evangiles que comme des esquisses ou des résumés où chaque auteur n'a eu pour but que de reproduire ce qu'il avait appris ou compris. Il n'y a pas en vérité de parole humaine qui puisse être adéquate à l'enseignement du Verbe divin et nous ne devons chercher dans les Evangiles que des approximations, bien incomplètes, de cet enseignement sous des points de vue parfois schématisés. Le Christ lui-même n'a-t-il pas déclaré qu'il laissait à l'Esprit-Saint le soin de révéler à ses apôtres le sens profond de sa parole? Pour découvrir ce sens profond, il faut le Verbe intérieur : c'est l'esprit seul qui peut atteindre l'Esprit (1) Et pourtant, tels qu'ils s'offrent à nous, dans leur insuffisance même et leur imperfection, les Evangiles renferment une sagesse qu'aucun sage de ce monde eût pu concevoir dans la pleine maturité de son génie, une source de vie à laquelle des milliers d'âmes ont étanché leur soif du divin, surtout l'exemple d'un homme qui, non seulement a parlé comme jamais homme n'a parlé, mais a vécu et est mort comme jamais homme n'a vécut et n'est mort. Si le message contenu dans les Evangiles sert encore de nourriture spirituelle à des multitudes et suffit à alimenter la pensée, le coeur, la vie de tous ceux qui veulent adorer leur Dieu en esprit et en vérité, c'est donc bien qu'on trouve dans l'oeuvre des évangélistes un écho authentique de la prédication du Christ, un reflet véritable de la Lumière qui a brillé dans les ténèbres. On insiste et on prétend que cette tradition n'est pas homogène ; que, si le Christ a bien prétendu ne répéter que ce qu'il tenait de son Père, les apôtres ou mieux les évangélistes, parce qu'ils étaient des hommes imbus des conceptions et des préjugés de leur race et de leur temps, n'ont pu manquer, en toute sincérité, sinon d'adultérer le véritable enseignement du Christ, du moins de l'exprimer en des termes qui lui sont inadéquats et, en l'enfermant dans les perspectives de leur propre pensée, de l'accommoder inconsciemment à leur horizon de juifs ou de convertis vivant au premier siècle de l'ère chrétienne. On ajoute qu'en se répandant dans le monde païen, la tradition évangélique, mise en contact avec la pensée grecque, en a subi l'influence délétère et, par une réaction inévitable, s'est incorporé des éléments nouveaux qui l'ont amenée peu à peu à se transformer en spéculations théologiques et en un culte de mystères. Que faut-il penser de cette interprétation qui prétend s'appuyer sur la psychologie et sur l'histoire ? --------------------------------------- |