CHAPITRE I

II

LE CHRIST ET LA VIE SPIRITUELLE


    C'est une des marques de la divinité du Christ que sa révélation de la Trinité telle qu'elle est contenue dans le message évangélique. La raison humaine, en effet, eût été impuissante à déduire de ses seuls concepts la notion trinitaire ; car, si elle suffit à établir la pluralité de Personnes dans la Substance divine, elle ne possède aucun critère logique qui l'autorise à limiter à trois le nombre de ces Personnes, encore moins à déterminer le caractère propre de chacune de ces Personnes. En fait, on ne trouve dans aucune religion, dans aucune philosophie la notion trinitaire exprimée avec cette force et avec cette précision que lui a données l'enseignement du Christ. Aussi le Christ a-t-il présenté cet enseignement, non point comme une doctrine métaphysique, fondée sur des concepts et susceptible d'un examen critique, mais bien comme une révélation qu'il était seul capable d'apporter aux hommes, parce que lui seul connaît le Père, étant le Fils, et qu'il appuie de la seule autorité de sa Parole.

    Nous pénétrons ici dans un domaine qui n'est plus le domaine intellectuel ; nous nous élevons à un plan de pensée, à la fois plus riche et plus profond que celui du pur entendement : nous sommes au seuil de la vie spirituelle et une notion nouvelle intervient qui transforme toutes les perspectives, celle de foi.
 
  Ce n'est point dans l'ordre de la connaissance qu'il fait chercher une définition de la foi, au sens proprement religieux qu'elle comporte ici, mais bien plutôt dans l'ordre de la sagesse, qui est celui de l'expérience intérieure, goût et sens des choses divines, source de vie spirituelle, adhésion de l'âme tout entière à une vérité qui n'est pas seulement objet d'aperception intellectuelle, mais avant tout norme de l'action morale et, par suite, condition du salut. Aussi la foi ne s'impose-t-elle pas du dehors au croyant, comme un enseignement qu'il doit recevoir sans le discuter ou même le comprendre. Il ne s'agit pas ici de science, mais de vie et d'action ; ce sont les fruits de cette vie et de cette action dans le plan spirituel qui seuls justifient la valeur de la foi dont ils sont issus et en fondent la vérité intérieure.

    Or, l'Evangile ne nous est-il pas offert avant tout comme une règle de vie ? « Je suis venu, dit Jésus, pour qu'ils aient la vie » (Jean X, 10). Ce n'est point une philosophie, pas même une théologie que le Christ a enseignée à ceux qui le suivaient et l'écoutaient : Il a voulu seulement leur montrer le chemin du salut. Sans doute, cet enseignement ne pouvait se passer de tout fondement dogmatique et l'oeuvre du salut implique bien une doctrine qui porte à la fois sur la nature de Dieu et sur les destinées de l'homme. La vie éternelle n'est-elle pas une connaissance du Père ? De sorte qu'en définitive c'est à la personne même du Christ que se rattache, comme à son centren toute la prédication évangélique.

    Aussi la foi que Christ propose à ses disciples ne consiste pas dans la pure acceptation de vérités indémontrables : elle réside plus profondément dans une expérience de vie intérieure et elle est liée au progrès de l'Esprit en nous. Elle est faite en même temps de l'adhésion de l'intelligence à une Parole qui s'est révélée avec les caractères du divin et la mise en pratique d'une règle de vie qui porte avec elle, au-dedans de nous-mêmes, par sa fécondité, sa propre justification. La foi consiste donc pour le croyant à garder la parole et les commandements de Celui qui s'est manifesté comme le Fils de Dieu. Aussi le Christ ne la propose-t-il pas à tous, car tous ne sont pas susceptibles de la recevoir : elle implique, à l'origine, le goût des choses divines et c'est seulement à ceux qui goûtent la saveur  des choses divines qu'elle ouvre l'accès à la connaissance du Père et aux voies du Salut.

    Qu'est-ce à dire, sinon qu'il n'y a point de foi en dehors de l'Evangile et, par conséquent, pas de vie vraiment spirituelle en dehors du Christ ? L'originalité du Christianisme réside précisément dans ce fait qu'à la différence des autres religions il est fondé, non pas sur un système doctrinal, mais sur une Personne ; et que cette Personne n'est pas seulement la Vérité, hors de laquelle il n'y a qu'erreur et mensonge, mais avant tout l'unique Voie qui puisse mener à la rédemption et au salut. « Suivez-moi ». « Sans moi vous ne pouvez rien ».

    La foi spécifiquement chrétienne n'est donc pas la foi à des idées, ni même principalement à des Vérités dogmatiques, encore moins à des enseignements ecclésiastiques ; elle et la foi à une Personne, à sa Parole et à ses Commandements parce que cette personne s'est révélée comme étant le Christ, le Fils du Dieu vivant, l'Envoyé du Père. Comment la Parole de Dieu ne serait-elle pas Lumière et Nourriture, Esprit et Vie ? Et c'est pourquoi le Christ est l'unique source de la vie spirituelle et qu'en dehors du Christ il n'y a pas de vie spirituelle, de vie intérieure, de vie religieuse. 

    Mais prenons y garde : plusieurs Eglises, de nombreuses sectes religieuses se réclament du Christ ; et le Christ de l'une n'est pas identique au Christ de l'autre. Où trouverons-nous le Christ authentique ? C'est dans le Nouveau Testament que nous avons appris à connaître le Christ pour la première fois ; c'est par la prédication contenue dans les Evangiles qu'il s'est manifesté aux hommes. Il est donc vraisemblable que le Christ authentique est celui des Evangiles. Mais que vaut le témoignage des Evangiles ? n'a-t-il pas été victorieusement battu en brèche par l'exégèse moderne ?
 


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