II L'EUCHARISTIE ET LE PAIN DE VIE
« Le Christ est Esprit ; les chrétiens ne peuvent lui être unis que dans l'Esprit et par l'Esprit. Tous les privilèges du Christ, sa gloire, sa puissance, sa vie, sa sainteté et avant tout sa filiation divine, lui appartiennent selon l'Esprit en tant qu'il est Esprit. Si les chrétiens doivent participer à tous ces privilèges, être glorifiés, fortifiés, vivifiés, sanctifiés et surtout adoptés par Dieu, ils ne peuvent l'être qu'en participant à l'Esprit. Et, de même que le chrétien, l'Eglise toute entière est animée par le Saint-Esprit ; elle ne constitue qu'un seul corps, le corps du Christ ; elle n'a qu'une âme, l'Esprit du Christ » (1). L'homme coupable était mort par le péché à la vie spirituelle ; par le baptême il est régénéré et la vie de l'Esprit lui est rendue dans le Christ : on peut donc bien, avec Saint Paul, parler ici d'une résurrection (Rom VI, 3-5 ; Coloss 11, 12). Mais il est évident qu'il ne s'agit pas d'une résurrection des morts au sens glorieux qu'a manifesté le Christ en sortant du tombeau. C'est bien plutôt de renaissance dans l'Esprit qu'il est question : l'homme retrouve, avec l'innocence qui avait été le don de Dieu à Adam, dans le Paradis, la pureté de son corps de vie créé pour l'immortalité. Par le baptême il reconquiert ainsi, avec la purification de son corps de vie, la grâce de l'immortalité bienheureuse dont il est appelé à jouir dans les Paradis célestes. Le fidèle après le baptême, et s'il conserve jusqu'à la mort les grâces qui lui ont été conférées dans le baptême, est affranchi de la nécessité de renaître dans la chair : à sa mort il jouira de toutes les prérogatives de son corps de vie, restauré dans ses privilèges, et, poursuivant son ascension spirituelle de mondes en mondes, il parviendra, au-delà de ce que la métaphysique hindoue appelle « le courant des formes », à ce plan de la création où Adam fut placé à l'origine des temps et où le bon larron a été le premier introduit par le Christ depuis que le couple humain en a été chassé par l'Archange à l'épée flamboyante. Mais nous savons aussi qu'au-delà de ce plan de la création que composent les Paradis ou Jardins de vie, il y a un Royaume de Dieu où demeurent les anges ; et que le Christ, par les manifestations de sa gloire au Thabor et après sa résurrection, nous en a promis l'accès. Certes cette promesse ne doit être accomplie qu'à la fin des Temps, lorsque le jugement dernier aura fixé le sort éternel de chacun de nous. Mais on doit bien comprendre que la réalisation de cette promesse est liée à des conditions et que le fidèle, déjà baptisé et assuré de son salut, a une parole à garder et des commandement à suivre s'il veut hériter de la promesse. Quelle est cette parole ? « En vérité, je vous le dis, si vous ne mangez la chair du Fils de l'Homme et si vous ne buvez son sang, vous n'aurez pas la vie en vous. Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle et je le ressusciterai au dernier jour » (Jean, VI, 54-56). Et quels sont ces commandements ? « Pendant qu'ils mangeaient, Jésus prit du pain et, l'ayant béni, il le rompit et le leur donna, en disant : Prenez, ceci est mon corps. Et ayant pris le calice, il le leur donna et ils en burent tous. Et il leur dit : ceci est mon sang » (Marc, XIV, 22-24 ; Math. XXVI, 26-28 ; Luc, XXII, 17-21 ; I cor. XI, 23-28). Ainsi par le baptême nous avons la certitude du Salut ; mais c'est seulement si nous mangeons la chair du Christ et buvons son sang que nous pourrons prétendre à la vie glorieuse dans le Royaume de Dieu à l'heure de la résurrection. L'Eucharistie reçoit, de la sorte, tout son sens profond : elles est proprement le sacrement de la résurrection dans la gloire. Et comment peut-elle nous donner la grâce de ce sacrement ? En déposant dans notre corps de vie, que le baptême a régénéré, avec l'hostie sainte qui renferme le corps glorieux du Christ, le germe de notre corps de gloire qui, préparé pour nous dans le Ciel, nous revêtira à la fin des temps par la toute-puissance du Christ descendu sur les nuées. Si, en effet, l'Eucharistie n'ajoutait pas une grâce spéciale au sacrement du Baptême qui, déjà, nous a apporté le salut par une nouvelle naissance dans l'Esprit du Christ, quelle serait sa signification pour notre vie spirituelle et quel profit pourrions-nous en tirer ? Il y a dans le pain de vie descendu du Ciel une vertu spécifique, par laquelle nous devenons en vérité ce que nous avons reçu, une nourriture qui nous transforme en celui qui vient en nous sous des apparences sensibles. Dans le baptême le Christ nous a donné son Esprit vivifiant ; dans l'Eucharistie il se donne lui-même et tout entier par une participation intérieure et immédiate de notre âme aux prérogatives de sa vie éternelle dans la gloire. Ce n'est plus simplement l'infusion d'une vie nouvelle et supérieure, une régénération : C'est vraiment une nutrition qui, en se réitérant, peut devenir permanente, unissant tous les fidèles dans la gloire du Christ par une communion qui n'est pas un symbole extérieur, mais une réalité spirituelle et mystérieuse. Par cette communion intime au corps glorieux du Christ, le germe même de ce corps s'édifie en nous, en attendant qu'au jour de la résurrection nous soyons élevés à l'état d'hommes parfaits, à la mesure de la plénitude du Christ (Ephes. IV, 13). Examinons les principales opérations qu'accomplit dans la synaxe liturgique le prêtre qui célèbre la messe selon le rit romain ou le rit orthodoxe. Elles se ramènent essentiellement à trois : la présentation du Christ comme victime sur l'autel dans son corps et dans son sang sous les apparences du pain et du vin séparément consacrés ; puis l'invocation à l'Esprit ou épiclèse pour la sanctification de ce corps et de ce sang que le Père a promis de glorifier ; enfin la mixtion du même corps et du même sang dans le calice pour signifier que le Christ victime est ressuscité dans l'unité et la splendeur de son corps de gloire. C'est seulement après avoir effectué ces trois opérations que le Prêtre communie au corps du Christ ; ce corps n'est donc plus le corps de chair qui a été immolé sur la croix, mais le corps glorieux qui s'est manifesté aux apôtres après la résurrection. Aussi est-ce bien dans l'hostie même, qu'elle ait été ou non trempée dans le vin eucharistique, que réside désormais, lorsqu'elle a été consacrée par les paroles de jésus à la Cène et sanctifiée par l'Esprit de Dieu, le corps glorieux du Christ qui, parce qu'il est ressuscité des morts, ne peut plus mourir. La Messe n'est dès lors un sacrifice que dans la mesure où son premier acte liturgique consiste à commémorer le sacrifice du calvaire. « Le sacrement de l'Eucharistie, dit Saint Thomas, commémore la passion du Seigneur qui a été un véritable sacrifice et à ce point de vue, on l'appelle un sacrifice » (3). Mais elle est plus qu'une commémoration ; elle est surtout une participation au corps du Christ, et, puisque « la chair ne sert de rien » et que seul l'Esprit vivifie (Jean, VI, 64), puisque « la chair ni le sang ne peuvent hériter le royaume de Dieu » (I Cor. XV, 50), la communion au corps du Christ ne peut être qu'une communion à son corps « spirituel », c'est à dire au corps de gloire dans lequel il est apparut aux apôtres. Comment pourrait-il en être autrement, puisque les apôtres ont mangé et bu le sang du Christ à la Cène, lorsque le Maître était encore présent au milieu d'eux ? N'est-ce point aussi comme par une anticipation à l'Eucharistie que le Christ a multiplié les pains pour les distribuer aux foules affamées, en leur enseignant que c'est lui le pain de vie et que ce pain, c'est sa chair ? (Jean VI). Et dans cette multiplications des pains ne voyez-vous pas déjà la figure du sacrement qui va permettre aux fidèles se consommer le corps du Christ autant de fois qu'ils en seront affamés, parce que ce corps vit d'une vie mystérieuse et que, s'il est partout présent, il peut aussi indéfiniment se multiplier sans épuiser jamais sa fécondité ? C'est le sang qui donne la vie à notre corps ; le Verbe divin qui donne la Vie aux hommes est, de cette manière, le sang dont ils doivent s'abreuver pour le posséder en eux. C'est par la vertu de l'Esprit que le Verbe a pris chair dans le sein de la Vierge ; la chair est donc le véhicule de l'Esprit et manger la chair revient à introduire en soi la vertu de l'Esprit. Ne dites point que par ce symbolisme nous compromettons le réalisme intrinsèque du sacrement eucharistique. « Crois et tu as mangé », disait déjà Saint Augustin (4). La chair du Christ pourrait-elle être vraiment pour le fidèle un aliment, s'il ne fallait entendre cette expression dans un sens spirituel ? C'est de l'Esprit du Christ que se nourrit le croyant quand il communie au corps du Christ ; il ne peut donc être ici question de chair que par rapport au sacrement. « Si Jésus dit que l'Esprit seul vivifie et que la chair ne sert de rien, ce n'est pas pour rétracter ce qu'il a dit d'abord, mais pour insinuer que la chair et le sang eucharistiques sont communiqués spirituellement », non sans doute par la fois ou une simple influence de l'esprit divin, mais comme spiritualisés dans la glorification du Christ (5) ». S'il est vrai que dans le sacrement eucharistique le fidèle communie à l'humanité du Christ, ce ne peut être qu'à l'humanité du Christ ressuscité, c'est à dire glorifié dans l'Esprit. Que la communion du fidèle dans l'Eucharistie au corps glorieux du Christ ressuscité ait pour effet d'instaurer dans son corps de vie le germe du corps de gloire dont le plein épanouissement ne sera réalisé qu'à la fin des temps par la résurrection, les textes l'établissent avec évidence. Le Christ l'a dit lui-même : « Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle et je le ressusciterai au dernier jour » (Jean, VI, 55) ; car la chair du Christ qui doit être la nourriture des fidèles et le sang du Christ qui doit être leur breuvage, ne sont pas, comme la chair et le sang de ce monde, des éléments voués à la corruption : ils sont « Esprit et Vie » (Jean, VI, 64). Aussi à l'Offertoire de la Messe, lorsque le prêtre mêle au vin un peu d'eau, il Prononce ces paroles : « Dieu... faites que par le mystère de cette eau et de ce vin, nous ayons part à la divinité de Celui qui a daigné s'unir à notre humanité, Jésus-Christ... ». L'union de l'eau au vin dans le calice signifie l'union de l'humanité à la divinité dans le Christ ; et si l'humanité est symbolisée par l'eau, la divinité est justement représentée par le vin, car Celui qui a donné le vin aux convives de Cana est aussi Celui qui donnera son sang sur le Calvaire après l'avoir distribué sous la figure du vin dans le calice aux apôtres à son dernier repas. Ce n'est pas sans raison que la vie publique du Christ s'ouvre et s'achève par un repas. A Cana, il transforme l'eau en vin afin de montrer le but de sa mission sur la terre : il est venu pour élever l'humanité coupable à la gloire de sa divinité. A la Cène il transfigure le vin du Calice en son propre sang pour signifier que c'est seulement dans la teinture de ce sang librement offert en sacrifice que l'humanité pourra être lavée de sa faute, mais aussi pour établir que son sang contient une vertu vivifiante, parce qu'il est le sang d'un Dieu et qu'il possède ainsi la divine puissance de la résurrection. Le vin eucharistique est donc un breuvage d'immortalité et seuls les fidèles qui y prennent part sont assurés de la résurrection dans la gloire. Le miracle de Cana nous enseigne enfin que l'eau du baptême ne suffit pas à nous procurer la vie glorieuse dans l'éternité ; il faut que cette eau soit transformée dans le vin de la divinité du Christ, parce que ce vin est le sang même du sauveur et que ce sang est à son tour « Esprit et Vie » ; en ce sens il est vrai de dire que l'eau, le sang et l'esprit ne sont qu'un (I° Jean V, 4-8). Et que lisons-nous dans les Pètes de l'Eglise ? « Ce pain (eucharistique), dit Saint Ignace d'Antioche (6), est un remède d'immortalité, un antidote destiné à nous préserver de la mort et à nous assurer pour toujours la vie en Jésus-Christ ». Faut-il citer des auteurs catholiques contemporains ? Le mélange d'une parcelle de l'hostie, après la fraction, avec le vin dans le calice, est un symbole de la résurrection glorieuse du Christ par la réunion de son corps et de son sang. Le corps et le sang, consacrés séparément, figuraient la mort de Jésus. La réunion, par le mélange, de ce corps et de ce sang symbolise la vie glorieuse qu'en ressuscitant il a reçue. L'espèce du pain pénétrant celle du vin et vice versa nous enseigne l'unité du corps et du sang dans le corps vivant et glorieux du Christ. De là la formule : que ce mélange et cette consécration du corps et du sang de Notre Seigneur Jésus-Christ profitent pour la vie éternelle à nous qui le recevons » (14). « Que recevons-nous dans l'Eucharistie ? Le Christ, le corps et le sang du Christ. Mais remarquez que, si la communion suppose l'immolation du calvaire et celle de l'autel qui la reproduit, c'est cependant à la chair glorifiée du Sauveur que nous communions. Nous recevons le Christ tel qu'il est maintenant, c'est à dire glorifié au plus haut des Cieux et possédant dans la plénitude de son épanouissement la gloire de sa résurrection » (15). N'est-ce pas ainsi la doctrine du Concile de Trente ? « Ce fut toujours la foi de l'Eglise, lit-on à la treizième session, ch. V, qu'aussitôt après la consécration le vrai corps de Notre Seigneur et son vrai sang existent sous l'espèce du pain et du vin, ainsi que son âme et sa divinité ; mais le corps sous l'espèce du pain et le sang sous l'espèce du vin s'y trouvent en vertu des paroles ; au contraire le corps sous l'espèce du vin, le sang sous l'espèce du pain, ainsi que l'âme ne s'y trouvent qu'en vertu de cette connexion naturelle et de cette concomitance qui font que les parties du Christ-Seigneur, désormais ressuscité et immortel, sont unies entre elles ». Interrogeons enfin la tradition liturgique. Une pieuse pratique des premiers siècles voulait que l'on mit une hostie consacrée dans la bouche ou sur la poitrine des morts, comme un talisman d'immortalité (16 ); les évêques, aussi, étaient parfois inhumés avec un calice plein de vin, un pain et une lampe allumée. L'usage du sel joint au pain, qui est attesté par les homélies clémentines, était pareillement un symbole d'incorruptibilité. Nous lisons dans l'Octateuque de Clément une prière de l'évêque à la consécration ainsi conçue : « en souvenir de ta mort et en ta résurrection nous t'offrons le pain et la coupe en te rendant grâce » (17). Rappelons aussi que la messe n'était célébrée pendant les premiers siècles de l'Eglise que le dimanche, parce que le dimanche est le jour de la résurrection du Seigneur ; d'autre part, c'est seulement à partir du VII° siècle qu'on célèbre une messe le vendredi-saint et cette messe est dite des présanctifiés, parce que le prêtre communie avec une hostie consacrée la veille, et la communion de ce jour n'est donnée qu'en viatique aux malades. Ajoutons qu'il est interdit d'exposer le Saint Sacrement le vendredi-saint ; lorsqu'il est exposé, son trône est garni de soie blanche, couleur de la résurrection, et il n'y a pas de croix à l'autel de l'exposition. Notons enfin que, dans le rite dominicain, le prêtre, lorsqu'il communie ou offre l'hostie au fidèle, ne se borne pas à dire : « que le corps de notre Seigneur Jésus-Christ garde (mon) ou (ton) âme pour la vie éternelle », mais afin de comprendre à la fois dans sa formule l'âme et le corps : « que le corps de notre Seigneur Jésus-Christ(me) ou (te) garde pour la vie éternelle ». Aussi lit-on dans la Secrète de nombreuses messes : « faites, Seigneur, que cette hostie nous purifie de nos fautes et qu'elle sanctifie les corps et les âmes de vos serviteurs » (18). Il semble donc bien établi que, selon la parole de Saint Ambroise (19), la transsubstantiation du pain et du vin eucharistiques au corps et au sang du Christ est proprement une « transfiguration », dans le sens même où le corps de chair avec lequel le Sauveur a vécu parmi les hommes s'est transfiguré sur le Thabor en un corps de gloire. Et ainsi le fidèle qui se nourrit de ce corps participe en toute vérité au corps glorieux de son Rédempteur. Mais Saint Jean nous a appris, selon l'enseignement même du Maître, que la chair du Seigneur n'est un pain de vie que parce qu'elle a été sanctifiée par l'Esprit qui est vie (VI, 64) ; et, si le Christ s'est sanctifié lui-même dans l'Esprit, c'est pour les siens, pour tous ceux qui lui ont été donnés par le Père, afin qu'à leur tour ils soient sanctifiés (Jean XVII, 17-20). La consécration du pain et du vin au corps et au sang du Christ, dans la synaxe liturgique, implique par conséquent, pour que l'opération sacramentelle soit achevée, la sanctification par l'Esprit du pain et du vin consacrés ; et cette sanctification est précisément l'oeuvre de l'Esprit que le prêtre invoque dans la prière qu'on a appelé l'Epiclèse. Nous avons admis que la consécration des espèces au corps et au sang du Christ est réalisée par les seules paroles que le Sauveur a prononcées à la Cène eu que le prêtre répète à l'autel ; mais nous avons noté qu'à la consécration succède dans le canon de la messe une seconde opération liturgique, qui consiste dans l'appel au Saint-Esprit pour la sanctification des espèces qui viennent d'être consacrées. On a nié la présence d'une épiclèse dans le canon romain et on a prétendu que l'épiclèse elle même n'est pas un fait primitif de la liturgie. Cependant d'éminents liturgistes sont encore partisans d'une épiclèse romaine et ils la trouvent dans la prière de l'Eglise : « Supplices te rogamus... ». Sans entrer dans l'examen d'une pareille discussion, nous voudrions rechercher simplement quelle peut être la signification d'une intervention de l'Esprit dans la sanctification des espèces consacrées. Disons d'un mot que la sanctification par l'Esprit des espèces consacrées confère à la communion eucharistique la valeur et les vertus d'un sacrement, et c'est pourquoi précisément la prière Supplices te rogamus demande à Dieu que tous ceux qui participeront au sacrifice par la réception du corps et du sang du Christ soient remplis de la bénédiction et de la grâce célestes. Bède le vénérable (20) l'avait bien compris, quand il notait que c'est « par la sanctification ineffable de l'Esprit « que le pain et le vin sont transférés en sacrements du corps et du sang du Christ » ; et il se conformait en cela à la doctrine des Pères. Saint Cyprien estimait, en se référant à sa thèse sur l'invalidité du baptême des hérétiques, qu'une oblation ne peut être sanctifiée là où manque l'Esprit Saint (21). Saint Cyrille de Jérusalem rapprochait l'épiclèse eucharistique de l'épiclèse de la confirmation, en ce qui concerne l'huile, et de l'épiclèse du baptême en ce qui concerne l'eau ; l'eau, l'huile et le pain dans chacun des sacrements de l'Eglise ne reçoivent que de l'Esprit leur vertu sanctifiante (22). « Sans l'Esprit qui la sanctifie, disait Saint Basile (23), la chair du Christ serait sans vertu sanctifiante ». Pareillement Saint Jérôme : « le pain du seigneur dans lequel le corps du Sauveur est montré... et le calice sacré... sont sanctifiés par l'invocation et la venue de l'Esprit » (24). Saint Jean Damascène va plus loin et paraît attribuer la transsubstantiation elle-même à l'intervention de l'Esprit : « Comment le pain devient-il le corps du Christ ? Je te réponds : l'Esprit Saint survient et produit ce qui est inexprimable et incompréhensible » (25). Notons pour terminer que le rite de l'Epiclèse a son fondement scripturaire dans cette parole de Saint Paul : « afin que l'oblation des Gentils, sanctifiée par l'Esprit Saint, devienne un sacrifice agréable d'odeur » (Rom. XV, 16). Et ajoutons avec un éminent liturgiste : « toutes les anaphores ont la physionomie d'un symbole de foi trinitaire tout en action de grâces. Il serait exact de dire que l'Action de grâces (Préface) est tout un mémorial de la Cène amené dans l'Anaphore précisément au moment historique du Jeudi-Saint, comme c'est, aussitôt après et cela partout, le mémorial du Vendredi-Saint ou de la Passion, du Samedi-Saint ou de la descente aux Enfers ; de la Résurrection, de l'Ascension, qui détermine aussitôt l'Offerimus sacerdotal, coïncidant avec la pénétration du Prêtre éternel dans le Saint des Saints de la Trinité bienheureuse, puis l'invocation du Saint Esprit ou épiclèse coïncidant à son tour avec le moment historique de la Pentecôte et recevant là justement sa justification théologique la plus splendidement mystérieuse et la plus exacte, enfin l'accession des fidèles à la communion de tous ces mystères dans l'Eglise et dans l'éternelle doxologie... La dernière partie du canon serait donc la part d'opération appropriée au Saint Esprit, l'oeuvre sanctificatrice, de même que la partie s'étendant du Sanctus à l'Epiclèse était celle du Fils accomplissant l'oeuvre rédemptrice, comme l'Eucharistie jusqu'au Sanctus était le sacrifice de louange de l'ancienne Loi à Dieu le Père, la reconnaissance de l'oeuvre créatrice et conservatrice » (26).
(1) LEBRETON, Les origines du dogme de la Trinité, p. 438-440, Paris, 1927. (2) Est-ce le même symbolisme qui inspire la tradition juive selon laquelle il faut avoir les pieds chaussés pour célébrer la Pâque ? (3) Somme théologique (III, 73, 4) (4) 25° Traité sur Saint Jean, 12. (5) LOISY, La quatrième Evangile, Paris 1903, p. 456-457. (6) Ad Ephes. XX, 2. (7) 1ère Apologie, LXVI. (8) Adv. Haeres, liv. IV et V. (9) Epist. LXIII, 15, 10. (10) Epist. Ad Maximum, 2 (11) Discours catéchétique XXXVII, 3-5. (12) De mysteriis, 8. (13) Enarrat in Psalm. XXXIII. (14) VANDEUR, La Sainte Messe, p. 265. Paris, 1927 (15) MARMION, Le Christ dans ses Mystères, p. 332, Paris, 1923. (16) Cette pratique a été condamnée par le 12ème canon du Concile d'Hippone en 393. (17) trad. Nau, p. 34 ; cf aussi p. 70 (18) On lit aussi au VIII° livre des Constitutions apostoliques (13-14) : « Sanctificans corpus nostrum et animam », « In salutem animae et corporis ». (19) De Fide, IV, 10. (20) Homél. I, 14. (21) Epistol. 65, 4. (22) Catéchèse mystagogique (III, 3). (23) Rom. I, 14. (24) Epist. 98, 13 (25) De fide orthod. IV, 13 (26)DOM CAGIN, Les origines de la Messe, dans Revue pratique d'apologétique, 1er mars 1920. |