CHAPITRE II
 

La Résurrection et le Royaume de Dieu


 


     Quelques remarques s'imposent tout d'abord. Le Christ expire sur la croix un vendredi, qui représente pour les Juifs le sixième jour de la semaine ; c'est aussi le sixième jour que Dieu a achevé l'oeuvre de la création . l'Incarnation du Verbe est une seconde création, un renouvellement de l'opération divine destiné à rendre à l'Univers, corrompu par la faute de l'Homme, l'innocence dans laquelle il avait été formé à l'origine. Le lendemain, qui est le septième jour de la semaine, le samedi, le corps du Christ repose dans son tombeau : c'est aussi le septième jour que Dieu, après le labeur de son oeuvre créatrice, se reposa. Et le Christ ressuscite le premier jour de la semaine suivante, le dimanche, pour manifester, par la venue du Règne de Dieu, l'aube de la régénération d'une humanité nouvelle.

     Mais, pendant que son corps reposait dans le tombeau, le Christ comme Fils de l'Homme descendit par son âme dans le coeur de la terre (St. Mathieu, XII, 40). Par le coeur de la terre il faut entendre ici, en opposition au Ciel qui est la Sphère de Dieu au sens de la Genèse, le centre de la Sphère de l'Homme ou des mondes astraux. Or le centre des mondes, ce coeur cosmique d'où tous les univers sont sortis dans l'ordre des Temps, n'est-ce point le Paradis ou Jardin de Vie où l'homme fut créé au commencement ? En effet le Christ promet au bon larron, crucifié à ses côtés, que le jour même il sera avec lui dans le Paradis (St. Luc, XXIII, 43). Qu'il ne s'agit point, comme on l'interprète généralement, du Royaume de Dieu dont parle ailleurs l'Évangile, c'est ce qui ressort nettement de cette autre déclaration du Christ à ses apôtres où il fait allusion aux événements qui suivront, non sa mort, mais seulement sa résurrection : « Je ne boirai plus du fruit de la vigne jusqu'au jour où je boirai le vin nouveau dans le Royaume de Dieu » (St. Marc, XIV, 25). Si donc après sa mort Jésus sera dans le Paradis avec le bon larron, c'est seulement après sa résurrection qu'il montera au Royaume du Père où il doit préparer des places à ses apôtres.

     Observons d'ailleurs que, si le Christ avait promis au bon larron le Royaume de Dieu, il ne pouvait l'y emmener avec lui qu'avec un corps de gloire ; or le corps de gloire n'est donné à l'homme que par la résurrection, à la fin des Temps.

     Telle est en effet la signification propre de la résurrection. « Personne n'est monté au Ciel, dit Jésus, sinon celui qui est descendu du Ciel, le Fils de l'Homme qui est dans le Ciel » (St. Jean, III, 13). Aucun esprit, aucune âme n'a donc encore été admise dans le Ciel d'où le Christ est descendu et qui ne peut être par conséquent le Paradis du premier Homme, mais seulement le Royaume de Dieu. Et c'est précisément pour offrir à ses Élus le moyen d'entrer dans ce Royaume que le Verbe s'est uni à la nature humaine. Par sa résurrection, en élevant à la gloire la nature humaine déjà régénérée par la grâce, il nous a montré la voie et ouvert la route ; il nous a donné l'espoir de pénétrer à sa suite dans ce Ciel où il est assis à la droite du Père.

     La condition préalable est ainsi de posséder un corps de gloire ; à notre corps de mort, déjà régénéré par la grâce en corps de vie, une transfiguration est encore nécessaire, semblable à celle que le Christ manifesta au Thabor. Mais c'est seulement par la Résurrection que cette transfiguration pourra s'opérer en nous (1) et alors nous serons « comme les Anges dans le Ciel » (St. Mathieu, XXII, 30 ; St. Marc, XII, 25) ; ceux qui seront « Fils de la Résurrection » seront « Fils de Dieu » et ils « ne pourront plus mourir » (St. Luc, XX, 35-36).

     Voici donc l'homme élevé par la Résurrection au niveau des Anges. Or nous savons que les Anges forment le dernier ordre des hiérarchies célestes et qu'ils occupent la dixième Sephirah qui est précisément Malkuth ou le Royaume. Ce que le Christ promet à ses Élus, ce n'est pas simplement la jouissance d'un Paradis ou Jardin de Vie, semblable à celui où fut créé le premier Homme, mais bien au dessus, la participation même à la vie angélique par l'admission dans le Royaume (2). Sans doute l'Homme n'est intronisé qu'au dernier cercle de la Sphère d'émanation ; il reçoit néanmoins par cela seul toutes les prérogatives qui appartiennent à la nature angélique et notamment, avec la vie éternelle, la vision de Dieu face à face. C'est pourquoi il est dit que ceux qui auront ressuscité ne pourront plus mourir. Cela signifie-t-il qu'avant la résurrection les hommes pourront mourir et, par conséquent, renaître plusieurs fois? Il le semble et nous trouvons ici, dans l'Évangile même, une indication curieuse qui implique, tacitement, la doctrine de la Réincarnation.

     L'homme, avant la chute, occupait cette région des mondes supérieurs que le Genèse appelle le Firmament ou Ciel éthérique et il possédait un corps de vie, dirigé par une âme de vie. Par sa faute, son corps de vie est devenu un corps de mort et son âme a été livrée aux ténèbres de la vie sensible et aux embûches du Démon. Dans la Résurrection il va acquérir, par le seul mérite du Christ qui lui a montré la voie dans sa propre Résurrection (3), un corps de gloire grâce auquel il pourra désormais s'élever au dessus même du Firmament où il fut créé à l'origine des Temps, jusqu'au Royaume où il prendra part pour toute l'éternité à la Vie des Anges. Dès lors deux questions se posent : quelle sera l'attitude des Anges incorporels en face des Bienheureux admis dans leur Royaume avec un corps de gloire? Des places ont-elles été réservées aux Élus, dès l'établissement du monde, dans cette maison du Père, où il y a de nombreuses demeures ; ou bien leur présence parmi les Anges va-t-elle grossir les rangs des hiérarchies célestes ?

     C'est ici que se place la dernière opération effectuée par le Christ au terme de son Incarnation et qui exprime le sens profond de l'Ascension. Le Christ, dit saint Paul,
est monté par dessus tous les Cieux (Ep. aux Eph. III, 10) et Dieu l'a placé au dessus de toute Principauté et de toute Puissance (Ep. aux Eph. 1,20-21).En effet, par son Ascension, le Christ a d'abord traversé les mondes astraux où, par sa seule présence, il apporta aux esprits qui y demeurent dans l'attente de la vie éternelle l'espoir de la résurrection. Puis il monta à travers les ordres angéliques jusqu'à la droite de son Père et à chaque hiérarchie où il passa il fit don de ce corps de gloire dont l'Homme avait déjà reçu la promesse. Mais, tandis que l'Homme doit attendre la résurrection pour recevoir son corps de gloire, les Anges entrèrent immédiatement en possession de ce corps, parce qu'ils sont éternels en vertu de leur essence propre. Et c'est ainsi que s'opéra la glorification des Anges restés fidèles au culte de Dieu.

     Quant au nombre des Bienheureux appelés à participer à la vie angélique dans le Royaume du Père, les théologiens estiment que Dieu tirera du milieu des hommes autant d'élus qu'il lui en faudra pour combler les places demeurées vides par la chute des anges rebelles (le tiers, d'après l'Apocalypse, XII, 4) ; mais ils ne veulent pas en conclure que le nombre des élus correspondra exactement à celui des mauvais anges. « Il se peut, dit le R. P. Pègues, que dès son premier plan Dieu, dans sa pensée, eût déjà assigné à des prédestinés humains des places spéciales distinctes des places angéliques ; mais ce qui paraît tout à fait certain, c'est qu'après la chute des Anges, il transférera à leur place autant d'hommes élus qu'il sera nécessaire pour qu'aucune de ces places ne demeure inoccupée » (4). Des occultistes enseignent que la seconde mort, dont parle l'Apocalypse, atteindra par la damnation les 6/7° de l'humanité. En vérité, tout en admettant que leur nombre est limité, puisqu'il ne peut être infini (Dieu seul est infini), nous ne savons rien ni du nombre des Anges, parce qu'il n'est fixé nulle part dans l'Écriture, ni du nombre des Élus, parce qu'il demeure le secret du Père.
 


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(1) Cf. St-Paul, 21 Épître aux Cor., III, 18; et Ep. aux Phil. III, 2.
(2) N'est-ce pas en ce sens qu'il faut entendre le Nirvana bouddhique, qui n'est pas seulement la délivrance de toute réincarnation, mais encore et par cela même la possession d'un état permanent ? Aussi la morale bouddhique a-t-elle soin de distinguer le Nirvana des Svargas on Paradis, qui sont encore des mondes de jouissance et par conséquent de désir, et même des cieux d'extase ou mondes de recueillement (Dhyanaloka). Cf. Oltramare, La théosophie bouddhique et L. de la Vallée Poussin, La morale bouddhique.
(3) Conf. St. Paul, Ep. aux Rom. VI, 5; 1° Ep. aux Cor. XV, 12 et sqq.; Ep. aux Phil. III, 10-12.
(4) Commentaire français littéral de la Somme théologique de Saint Thomas d'Aquin ( tome III ; TRAITÉ DES ANGES).