LE CHRIST ET L'ÉGLISE II
Si la Lumière constitue la substance du réel à tous les plans de l'Univers, nous avons distingué chacun de ces plans par des caractères essentiels et séparé le plan divin du plan créateur et celui-ci du plan de chute ou plan astral, dont la forme la plus matérialisée est le plan physique. Et nous avons noté que la Nature, telle qu'elle doit être prise en soi, dans sa vérité et sa pureté primitives, est située sur le plan créateur ; que, par conséquent, la Nature, telle que l'observent ou l'analysent le savant et le philosophe modernes, est une Nature pervertie par le péché de l'Homme, dégénérée et devenue en quelque sorte étrangère à elle-même. Aussi pour éviter toute confusion, qualifierons-nous de surnaturel le plan créateur pour laisser au plan physique la dénomination de plan naturel (1). Le plan surnaturel est, aussi, le plan spirituel, puisqu'il est le plan propre aux esprits et que l'incorporation de ces esprits dans les plans astraux et physiques n'est qu'une épreuve consécutive à la faute originelle qui a entraîné par Adam toute l'humanité dans une déchéance à laquelle il n'y avait de salut que par la rédemption du Christ. La Pensée philosophique, même lorsqu'elle se sert dans sa spéculation, des concepts les plus compréhensifs et les plus élevés que puisse former la raison humaine, ne dépasse pas les limites du plan intellectuel, qui n'est pas différent en soi du plan mathématique, donc en dernière analyse, du plan physique. Elle demeure un exercice purement formel de l'entendement, dont toute la matière est fournie par le monde de l'objectivité ou des phénomènes. Aussi l'édifice métaphysique le plus puissant qu'elle ait construit est-il bâti « more geometrico » et son Dieu est encore une Nature. La Sagesse occulte, parce qu'elle se trouve directement, dans son expérience propre, en contact ou en conflit avec des puissances mystérieuses qu'ignorent le physicien et le philosophe, brise tous les cadres du plan intellectuel et, franchissant les bornes de la raison pure, s'engage résolument dans le domaine inconnu du plan astral où s'agite, dans un formidable bouillonnement, l'intense dynamisme des forces, parfois bienfaisantes, trop souvent redoutables dont l'Initiation a précisément pour objet d'enseigner à l'Adepte la maîtrise et le maniement au service de l'homme. La Foi chrétienne, en régénérant le croyant dans les eaux du baptême sacramentel, le replonge au sein de la vie primordiale, de la vie pure et immaculée telle qu'elle fut créée à l'origine des Temps, lorsque Dieu façonna de ses propres mains le corps splendide d'Adam. Ainsi renouvelé dans la substance même de son être par les mérites de la passion du Christ, le Chrétien est efficacement protégé contre les assauts des forces astrales qui tendent à l'asservir sous la loi des mondes de chute ; et, désormais libéré des liens de l'antique servitude, il pénètre à la suite du Sauveur dans le plan spirituel où il pourra, sans se rassasier, s'abreuver aux sources intarissables de la grâce, en attendant l'heure sainte où il s'unira éternellement au Christ dans la gloire. La contemplation mystique offre au chrétien régénéré par le baptême et nourri du corps du Seigneur une anticipation, sans doute exceptionnelle et provisoire, mais effective, de cette heure sainte, en l'introduisant, au delà du plan spirituel, dans le plan divin, qui est le Royaume des Anges. Dans cette participation à la vie angélique, qui est une oeuvre de Dieu et non plus de l'homme, la vie intérieure du Chrétien s'épanouit en une sorte d'état théopathique, où, sous l'influx de la lumière de gloire qui l'envahit toute entière, l'âme se sent divinisée jusque dans ses profondeurs, comme si ce n'était plus elle qui vit, mais le Christ en elle. Ainsi, tandis que le philosophe, enfermé dans ses ,concepts, demeure sur le plan intellectuel, l'occultiste brise l'écorce du réel et découvre dans le plan astral l'énorme réservoir des forces qui gouvernent l'univers des phénomènes et en conditionnent secrètement le déterminisme. Mais ni le philosophe ni l'adepte de la science occulte ne dépassent la sphère des mondes de chute. Seul, le Chrétien, parce qu'il a recouvré dans le baptême le trésor des grâces qui furent le lot du premier Homme à sa naissance dans les jardins de vie et dont il s'est lui-même dépouillé par son orgueil et sa désobéissance, le chrétien, affranchi de la tyrannie des forces astrales, s'évade des mondes de chute et, dans la liberté reconquise des enfants de Dieu, développe désormais sur le plan spirituel toute la richesse, et la plénitude des vertus de foi, d'espérance et d'amour que le Créateur a déposées dans son âme dès l'origine pour en être l'aliment incorruptible et lui apporter le plus sûr témoignage de son immortalité. Une plus grande ambition est encore permise au Chrétien : c'est d'obtenir, dès la vie présente, par un entier abandon à la volonté divine, et dans l'acceptation humble et joyeuse de toutes les épreuves que le Seigneur daignera lui imposer, l'insigne faveur d'être introduit,, pendant quelques instants, que Dieu renouvellera à sa guise autant de,fois qu'il lui plaira, sur le seuil du plan divin qui est l'illumination dans la gloire et la possession de la vie béatifique. Gabriel HUAN. ------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- (1) Cette observation permet de résoudre le conflit qui s'est élevé entre les théologiens sur la question de savoir si Adam a été créé dans l'état de grâce, c'est-à-dire élevé à l'ordre surnaturel en même temps que créé (c'est la thèse de Saint THOMAS, Summa théol. 1 a, q. XCV, a. 1) ou si l'homme a d'abord été créé dans l'ordre naturel et ensuite élevé à l'état surnaturel (c'est l'opinion de Saint BONAVENTURE, Sent. II, Dis. XXIX, a. 2, q. 11, Concl.), |