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titre1  

DES ERREURS
et de la VŽritŽ,


OU

 Les Hommes rappelŽs
au Principe Universel de la Science

Ouvrage dans lequel, en faisant remarquer aux observateurs lÕincertitude de leurs recherches, et leurs mŽprises continuelles, on leur indique la route quÕils auraient dž suivre, pour acquŽrir lՎvidence physique sur lÕorigine du bien et du mal, sur lÕhomme, sur la nature matŽrielle, la nature immatŽrielle, et la nature sacrŽe, sur la base des gouvernements politiques, sur lÕautoritŽ des souverains, sur la justice civile et criminelle, sur les sciences, les langues, et les arts.

Par un PhilÉ IncÉ

Premire partie (Tome1)

A EDIMBOURG
1782


(Sommaire au bas de la page)

 

LÕouvrage que jÕoffre aux hommes nÕest point un recueil de conjectures, ce nÕest point un systme que je leur prŽsente, je crois leur faire un don plus utile. Ce nÕest pas nŽanmoins la science mme que je viens leur apporter : je sais trop que ce nÕest pas de lÕhomme que lÕhomme doit lÕattendre : cÕest seulement un rayon de leur propre flambeau que je ranime devant eux, afin quÕil les Žclaire sur les idŽes fausses quÕon leur a donnŽes de la VŽritŽ, de mme que sur les armes faibles et dangereuses que des mains mal sžres ont employŽes pour la dŽfendre.

JÕai ŽtŽ vivement affectŽ, je lÕavoue, en jetant les yeux sur lՎtat actuel de la Science ; jÕai vu combien les mŽprises lÕont dŽfigurŽe, jÕai vu le voile hideux dont on lÕa couverte, et pour lÕintŽrt de mes semblables jÕai cru quÕil Žtait de mon devoir de lÕarracher.

Sans doute que pour une telle entreprise, il me faut plus que des ressources ordinaires : mais, sans mÕexpliquer sur celles que jÕemploie, il suffira de dire quÕelles tiennent ˆ la nature mme des hommes, quÕelles ont toujours ŽtŽ connues de quelques-uns dÕentre eux depuis lÕorigine des choses, et quÕelles ne seront jamais retirŽes totalement de dessus la Terre, tant quÕil y aura des Etres pensants.

CÕest lˆ o jÕai puisŽ lՎvidence et la conviction des vŽritŽs dont la recherche occupe tout lÕUnivers.

Aprs cet aveu, si lÕon mÕaccusait encore dÕenseigner une doctrine inconnue on ne pourrait pas au moins me souponner dÕen tre lÕinventeur, puisque si elle tient ˆ la nature des hommes, non seulement elle ne vient pas de moi, mais mme il mÕežt ŽtŽ impossible dÕen Žtablir solidement aucune autre.

Et vraiment, si le lecteur ne prononce pas sur lÕouvrage, avant dÕen avoir aperu lÕensemble et la liaison, sÕil se donne le temps de sentir le poids et lÕencha”nement des principes que je lui expose : il conviendra quÕils sont la vraie clef de toutes les AllŽgories et des Fables mystŽrieuses de tous les peuples, la source premire de toutes les espces dÕinstitutions, le modle mme des lois qui dirigent lÕUnivers et qui constituent tous les Etres ; cÕest-ˆ-dire quÕils servent de base ˆ tout ce qui existe et ˆ tout ce qui sÕopre, soit dans lÕhomme et par la main de lÕhomme, soit hors de lÕhomme et indŽpendamment de sa volontŽ ; et que par consŽquent, hors de ces principes, il ne peut y avoir de vŽritable Science.

De lˆ, il conna”tra plus facilement encore, pourquoi lÕon voit parmi les hommes une variŽtŽ universelle de Dogmes et de systmes ; pourquoi lÕon aperoit cette multitude innombrable de sectes philosophiques, politiques et religieuses, dont chacune est aussi peu dÕaccord avec elle-mme quÕavec toutes les autres sectes ; pourquoi malgrŽ les efforts que les chefs de ces diffŽrentes sectes font tous les jours pour se former une doctrine stable sur les points les plus importants, et pour concilier les opinions particulires, ils ne peuvent jamais y parvenir ; pourquoi, nÕoffrant rien de fixe ˆ leurs Disciples, non seulement ils ne les persuadent pas, mais ils les exposent mme ˆ se dŽfier de toute science, pour nÕen avoir connu que dÕimaginaires ou de vicieuses ; pourquoi enfin les Instituteurs et les observateurs montrent sans cesse ˆ dŽcouvert quÕils nÕont ni la rgle, ni la preuve du vrai ; le lecteur conclura, dis-je, que si les principes dont je traite, sont le seul fondement de toute vŽritŽ, cÕest pour les avoir oubliŽs, que toutes ces erreurs dŽvorent la Terre, et quÕainsi il faut quÕon les y ait presque gŽnŽralement mŽconnus, puisque lÕignorance et lÕincertitude y sont comme universelles.

Tels sont les objets sur lesquels lÕhomme qui cherche ˆ conna”tre, pourra trouver ici ˆ se former des idŽes plus saines et plus conformes ˆ la nature du germe quÕil porte en lui-mme.

Cependant, quoique la Lumire soit faite pour tous les yeux, il est encore plus certain que tous les yeux ne sont pas faits pour la voir dans son Žclat. CÕest pour cela que le petit nombre des hommes dŽpositaires des vŽritŽs que jÕannonce, est vouŽ ˆ la prudence et ˆ la discrŽtion par les engagements les plus formels.

Aussi me suis-je promis dÕuser de beaucoup de rŽserve dans cet Žcrit, et de mÕy envelopper souvent dÕun voile que les yeux les moins ordinaires ne pourront pas toujours percer, dÕautant que jÕy parle quelquefois de toute autre chose que de ce dont je parais traiter.

Par la mme raison, quoique je rŽunisse sous le mme point de vue un nombre considŽrable de sujets diffŽrents, ˆ peine ai-je montrŽ lÕesquisse du vaste tableau que je pouvais offrir ; nŽanmoins, jÕen dis assez pour donner ˆ penser au plus grand nombre, sans en excepter ceux qui en fait de science, jouissent de la plus haute cŽlŽbritŽ.

Mais nÕayant pour but que le bien de lÕhomme en gŽnŽral, et surtout ne voulant point faire na”tre la discorde parmi les individus, je nÕattaque directement, ni aucun des Dogmes reus, ni aucune des Institutions politiques Žtablies ; et mme dans mes remarques sur les sciences et sur les diffŽrents systmes, je me suis interdit tout ce qui pourrait avoir le moindre rapport avec des objets trop particuliers.

De plus, jÕai cru ne devoir employer aucune citation, parce que premirement, je frŽquente peu les Bibliothques, et que les livres que je consulte ne sÕy  trouvent pas ; en second lieu, parce que des vŽritŽs qui ne reposeraient que sur des tŽmoignages, ne seraient plus des vŽritŽs.

Il est ˆ propos, je pense, dÕexposer ici lÕordre et le plan de cet ouvrage. On y verra dÕabord quelques observations sur le bien et le mal, pourquoi les systmes modernes ont confondu lÕun et lÕautre, et ont ŽtŽ forcŽs par lˆ dÕen nier les diffŽrences. Un coup dÕÏil jetŽ rapidement sur lÕhomme, Žclaircira pleinement cette difficultŽ, et apprendra pourquoi il se trouve encore dans la plus profonde ignorance, non seulement sur ce qui lÕenvironne, mais encore sur sa vŽritable nature. Les distinctions qui se trouvent entre ses facultŽs, se confirmeront par celles que nous ferons remarquer mme entre les facultŽs des Etres infŽrieurs ; par lˆ nous dŽmontrerons lÕuniversalitŽ dÕune double loi dans tout ce qui est soumis au temps. La nŽcessitŽ dÕune troisime loi temporelle, sera encore bien plus clairement prouvŽe en faisant voir que la double loi est absolument dans sa dŽpendance.

Les mŽprises qui ont ŽtŽ faites sur tous ces objets, dŽvoileront clairement la cause de lÕobscuritŽ, de la variŽtŽ et de lÕincertitude qui se montrent dans tous les ouvrages des hommes, de mme que dans toutes les Institutions, tant civiles que sacrŽes, auxquelles ils sont encha”nŽs ; ce qui apprendra quelle doit tre la vraie source de la Puissance souveraine parmi eux, et celle de tous les droits qui constituent leurs diffŽrents Žtablissements. Nous ferons les mmes applications sur les principes reus dans les hautes sciences, et principalement dans les mathŽmatiques o lÕorigine et la vŽritable cause des erreurs para”tront avec Žvidence.

Enfin, nous rappellerons ˆ lÕhomme celui de ses attributs naturels qui le distingue le mieux des autres Etres, et qui est le plus propre ˆ le rapprocher de toutes les connaissances qui conviennent ˆ sa nature. Tous ces objets sont renfermŽs dans sept divisions, lesquelles quoique reposant toutes sur la mme base, offrent cependant chacune un sujet diffŽrent.

Si quelques-uns avaient peine ˆ admettre les principes que je viens rappeler aux hommes, comme leur embarras ne viendrait que de ce quÕils auraient suivi leur propre sens et non celui de lÕouvrage, ils ne doivent pas attendre de moi dÕautres explications, dÕautant que pour eux, elles ne seraient pas plus claires que lÕouvrage mme.

On sÕapercevra facilement, en lisant ces rŽflexions, que je me suis peu attachŽ ˆ la forme, et que jÕai nŽgligŽ les avantages de la diction ; mais si le lecteur est de bonne foi, il conviendra que je mÕen suis encore trop occupŽ, car mon sujet nÕen avait pas besoin.

DES ERREURS & DE LA VƒRITƒ

1

De la cause des erreurs

CÕEST un spectacle bien affligeant, lorsquÕon veut contempler lÕhomme, de le voir ˆ la fois tourmentŽ du dŽsir de conna”tre, nÕapercevant les raisons de rien, et cependant ayant lÕaudace et la tŽmŽritŽ de vouloir en donner ˆ tout. Au lieu de considŽrer les tŽnbres qui lÕentourent, et de commencer par en sonder la profondeur ; il sÕavance, non seulement comme sÕil Žtait sžr de les dissiper, mais encore comme sÕil nÕy avait point dÕobstacles entre la Science et lui : bient™t mme sÕefforant de crŽer une VŽritŽ, il ose la mettre ˆ la place de celle quÕil devrait respecter en silence, et sur laquelle il nÕa presque aujourdÕhui dÕautre droit, que de la dŽsirer et de lÕattendre.

Et en effet, sÕil est absolument sŽparŽ de la Lumire, comment pourra-t-il seul allumer le flambeau qui doit lui servir de guide ? Comment pourra-t-il, par ses propres facultŽs, produire une Science qui lve tous ses doutes ? Ces lueurs et ces apparences de rŽalitŽ quÕil croit dŽcouvrir dans les prestiges de son imagination, ne sՎvanouissent-elles pas au plus simple examen ? et aprs avoir enfantŽ des fant™mes sans vie et sans consistance, ne se voit-il pas forcŽ de les remplacer par de nouvelles illusions, qui bient™t aprs ont le mme sort, et le laissent plongŽ dans les plus affreuses incertitudes ?

Heureux, nŽanmoins, si sa faiblesse Žtait lÕunique cause de ses mŽprises ! sa situation en serait beaucoup moins dŽplorable, car ne pouvant, par sa nature, trouver de repos que dans la vŽritŽ, plus les Žpreuves seraient douloureuses, plus elles serviraient ˆ le ramener au seul but qui soit fait pour lui.

Mais ses erreurs prennent encore leur source dans sa volontŽ dŽrŽglŽe ; on voit que loin dÕemployer ˆ son avantage le peu de forces qui lui restent, il les dirige presque toujours contre la Loi de son Etre : on voit, dis-je, que loin dՐtre retenu par cette obscuritŽ qui lÕenvironne, cÕest de sa propre main quÕil se met le bandeau sur les yeux. Alors, nÕentrevoyant plus la moindre clartŽ, le dŽsespoir ou la frayeur lÕentra”nent, et il se jette lui-mme dans des sentiers, dangereux qui lՎloignent ˆ jamais de sa vŽritable route.

CÕest donc par ce mŽlange de faiblesses et dÕimprudences que se perpŽtue lÕignorance de lÕhomme ; telle est la source de ses inconsŽquences continuelles ; en sorte que, consumant ses jours dans des efforts inutiles et vains, on doit peu sՎtonner que ses travaux ne produisent aucuns fruits, ou ne laissent aprs eux que de lÕamertume.

Toutefois lorsque je rappelle ici les Žcarts et la marche inconsidŽrŽe de mes semblables, je suis bien ŽloignŽ de vouloir les avilir ˆ leurs propres yeux ; le plus ardent de mes vÏux, au contraire, serait quÕils ne perdissent jamais de vue la grandeur dont ils sont susceptibles. PuissŽ-je au moins y contribuer en essayant de faire Žvanouir devant eux les difficultŽs qui les arrtent, en excitant leur courage, et en leur montrant la voie qui mne au but de leurs dŽsirs !

Au premier coup dÕÏil que lÕhomme voudra jeter sur lui-mme, il nÕaura pas de peine ˆ sentir, et ˆ avouer quÕil doit y avoir pour lui une Science ou une Loi Žvidente, puisquÕil y en a une pour tous les Etres, quoiquÕelle ne soit pas universellement dans tous les Etres, et puisque mme, au milieu de nos faiblesses, de notre ignorance et de nos mŽprises, nous ne nous occupons quՈ chercher la paix et la lumire.

Alors, quoique les efforts que lÕhomme fait journellement pour atteindre au but de ses recherches, aient si rarement des succs, on ne doit pas croire pour cela que ce but soit imaginaire, mais seulement que lÕhomme se trompe sur la route qui y conduit, et quÕil est, par consŽquent, dans la plus grande des privations, puisquÕil ne conna”t pas mme le chemin par lequel il doit marcher.

 

De la vŽritŽ

On peut donc convenir ds ˆ prŽsent que le malheur actuel de lÕhomme nÕest pas dÕignorer quÕil y a une vŽritŽ, mais de se mŽprendre sur la nature de cette vŽritŽ ; car ceux mmes qui ont prŽtendu la nier et la dŽtruire, nÕont jamais cru pouvoir y rŽussir sans avoir une autre vŽritŽ ˆ lui substituer. Et en effet, ils ont revtu leurs opinions chimŽriques, de la force, de lÕimmutabilitŽ, de lÕuniversalitŽ, en un mot, de toutes les propriŽtŽs dÕun Etre rŽel et existant par soi ; tant ils sentaient quÕune VŽritŽ ne saurait tre telle sans exister essentiellement, sans tre invariable et absolument indŽpendante, comme ne tenant que dÕelle-mme la source de son existence ; puisque, si elle lÕavait reue dÕun autre Principe, celui-ci pourrait la replonger dans le nŽant ou lÕinaction dont il lÕaurait tirŽe.

Ainsi, ceux qui ont combattu la vŽritŽ, ont prouvŽ par leurs propres systmes quÕils avaient lÕidŽe indestructible dÕune VŽritŽ. RŽpŽtons-le donc, ce qui tourmente ici-bas la plupart des hommes, cÕest moins de savoir sÕil y a une VŽritŽ, que de savoir quelle est cette VŽritŽ.

Du bien et du mal

Mais ce qui trouble ce sentiment dans lÕhomme, et obscurcit si souvent en lui les rayons les plus vifs de cette lumire, cÕest le mŽlange continuel de bien et de mal, de clartŽs et de tŽnbres, dÕharmonie et de dŽsordres quÕil aperoit dans lÕUnivers et dans lui-mme. Ce contraste universel lÕinquite, et rŽpand dans ses idŽes une confusion quÕil a peine ˆ dŽmler. AffligŽ, autant que surpris, dÕun si Žtrange assemblage, sÕil veut lÕexpliquer, il sÕabandonne aux opinions les plus funestes, en sorte que cessant bient™t de sentir cette mme VŽritŽ, il perd toute la confiance quÕil avait en elle. Le plus grand service quÕon pžt lui rendre dans la pŽnible situation o il se trouve, serait donc de le persuader quÕil peut conna”tre la source et lÕorigine de ce dŽsordre qui lՎtonne, et surtout de lÕempcher dÕen rien conclure contre cette VŽritŽ quÕil avoue, quÕil aime, et dont il ne peut se passer.

Du bon et du mauvais principe

Il est certain quÕen considŽrant les rŽvolutions et les contrariŽtŽs quՎprouvent tous les Etres de la Nature, les hommes ont dž avouer quÕelle Žtait sujette aux influences du bien et du mal, ce qui les amenait nŽcessairement ˆ reconna”tre lÕexistence de deux Principes opposŽs. Rien, en effet, de plus sage que cette observation, et rien de plus juste que la consŽquence quÕils en ont tirŽe. Pourquoi nÕont-ils pas ŽtŽ aussi heureux lorsquÕils ont tentŽ dÕexpliquer la nature de ces deux Principes ? Pourquoi ont-ils donnŽ ˆ leur science une base trop Žtroite qui les force de dŽtruire eux-mmes ˆ tout instant, les systmes quÕils y veulent appuyer ?

CÕest quÕaprs avoir nŽgligŽ les vrais moyens quÕils avaient de sÕinstruire, ils ont ŽtŽ assez inconsidŽrŽs pour prononcer dÕeux-mmes sur cet objet sacrŽ, comme si, loin du sŽjour de la lumire, lÕhomme pouvait tre assurŽ de ses jugements. Aussi, aprs avoir admis les deux Principes, ils nÕont pas su en reconna”tre la diffŽrence.

Tant™t ils leur ont accordŽ une ŽgalitŽ de force et dÕanciennetŽ qui les rendait rivaux lÕun de lÕautre, en les plaant au mme rang de puissance et de grandeur.

Tant™t, ˆ la vŽritŽ, ils ont annoncŽ le mal comme Žtant infŽrieur au bien en tout genre ; mais ils se sont contredits eux-mmes lorsquÕils ont voulu sՎtendre sur la nature de ce mal et sur son origine. Tant™t ils nÕont pas craint de placer le mal et le bien dans un seul et mme Principe, croyant honorer ce Principe en lui attribuant une puissance exclusive qui le rend auteur de toutes choses sans exception, cÕest-ˆ-dire, que par-lˆ ce Principe se trouve ˆ la fois pre et tyran, dŽtruisant ˆ mesure quÕil Žlve, mŽchant, injuste ˆ force de grandeur, et devant par consŽquent se punir lui-mme pour le maintien de sa propre justice.

A la fin, las de flotter dans ces incertitudes, sans pouvoir trouver une idŽe solide, quelques-uns ont pris le parti de nier lÕun et lÕautre Principe ; ils se sont efforcŽs de croire que tout marchait sans ordre et sans loi, et ne pouvant expliquer ce que cՎtait que le bien et le mal, ils ont dit quÕil nÕy avait ni bien ni mal.

Quand, sur cette assertion, on leur a demandŽ quelle Žtait donc lÕorigine de tous ces prŽceptes universellement rŽpandus sur la terre, de cette voix intŽrieure et uniforme qui force, pour ainsi dire, tous les peuples ˆ les adopter, et qui mme, au milieu de ses Žgarements, fait sentir ˆ lÕhomme quÕil a une destination bien supŽrieure aux objets dont il sÕoccupe ; alors ces observateurs continuant ˆ sÕaveugler, ont traitŽ dÕhabitudes, les sentiments les plus naturels ; ils ont attribuŽ ˆ lÕorganisation et ˆ des lois mŽcaniques, la pensŽe et toutes les facultŽs de lÕhomme; de-lˆ ils ont prŽtendu, quÕen raison de sa faiblesse, les grands ŽvŽnements physiques avaient dans tous les temps produit en lui la crainte et lÕeffroi ; quՎprouvant sans cesse sur son dŽbile individu la supŽrioritŽ des ŽlŽments et des Etres dont il est entourŽ, il avait imaginŽ quÕune certaine puissance indŽfinissable gouvernait et bouleversait, ˆ son grŽ, la Nature ; dÕo il sՎtait fait une suite de principes chimŽriques de subordination et dÕordre, de punitions et de rŽcompenses, que lՎducation et lÕexemple avaient perpŽtuŽs, mais avec des diffŽrences considŽrables, relatives aux circonstances et aux climats.

Fausse doctrine sur les deux principes

Prenant ensuite pour preuve la variŽtŽ continuelle des usages et des coutumes arbitraires des peuples, la mauvaise foi et la rivalitŽ des Instituteurs, ainsi que le combat des opinions humaines, fruit du doute et de lÕignorance, il leur a ŽtŽ facile de dŽmontrer que lÕhomme ne trouvait, en effet, autour de lui, quÕincertitudes et contradictions, dÕo ils se sont crus autorisŽs ˆ affirmer de nouveau quÕil nÕy a rien de vrai, ce qui est dire que rien nÕexiste essentiellement ; puisque, selon ce qui a dŽjˆ ŽtŽ exposŽ, lÕexistence et la vŽritŽ ne sont quÕune mme chose.

Voilˆ cependant les moyens que ces Ma”tres imprudents ont employŽs pour annoncer leur doctrine et pour la justifier ; voilˆ les sources empoisonnŽes dÕo sont dŽcoulŽs sur la terre, tous les flŽaux qui affligent lÕhomme, et qui le tourmentent plus encore que ses misres naturelles.

Combien nous auraient ils donc ŽpargnŽ dÕerreurs et de souffrances, si, loin de chercher la vŽritŽ dans les apparences de la nature matŽrielle, ils se fussent dŽterminŽs ˆ descendre en eux-mmes ; quÕils eussent voulu expliquer les choses par lÕhomme, et non lÕhomme par les choses, et quÕarmŽs de courage et de patience, ils eussent poursuivi, dans le calme de leur imagination, la dŽcouverte de cette lumire que nous dŽsirons tous avec tant dÕardeur. Peut-tre nÕeut-il pas ŽtŽ en leur pouvoir de la fixer du premier coup dÕÏil ; mais frappŽs de lՎclat qui lÕenvironne, et employant toutes leurs facultŽs ˆ la contempler, ils nÕeussent pas songŽ ˆ prononcer dÕavance sur sa nature, ni ˆ vouloir la faire conna”tre ˆ leurs semblables, avant dÕavoir pris ses rayons pour guides.

Lorsque lÕhomme, aprs avoir rŽsistŽ courageusement, parvient ˆ surmonter tout ce qui rŽpugne ˆ son tre, il se trouve en paix avec lui-mme, et ds lors il lÕest avec toute la nature. Mais si, par nŽgligence, ou lassŽ de combattre, il laisse entrer en lui la plus lŽgre Žtincelle dÕun feu Žtranger ˆ sa propre essence, il souffre et languit jusquՈ ce quÕil en soit entirement dŽlivrŽ.

CÕest ainsi que lÕhomme a reconnu dÕune manire encore plus intime, quÕil y avait deux Principes diffŽrents, et comme il trouve avec lÕun le bonheur et la paix, et que lÕautre est toujours accompagnŽ de fatigues et de tourments, il les a distinguŽs sous les noms de Principe bon, et de Principe mauvais.

 

De la diffŽrence des deux principes

Ds lors, sÕil ežt voulu faire la mme observation sur tous les Etres de lÕunivers, il lui aurait ŽtŽ facile de fixer ses idŽes sur la nature du bien et du mal, et de dŽcouvrir par ce moyen quel est leur vŽritable origine. Disons donc que le bien est, pour chaque tre, lÕaccomplissement de sa propre loi, et le mal, ce qui sÕy oppose. Disons que chacun des Etres, nÕayant quÕune seule loi, comme tenant tous ˆ une Loi premire qui est une, le bien, ou lÕaccomplissement de cette loi, doit tre unique aussi, cÕest-ˆ-dire, tre seul et exclusivement vrai, quoiquÕil embrasse lÕinfinitŽ des Etres.

Au contraire, le mal ne peut avoir aucune convenance avec cette loi des Etres, puisquÕil la combat ; ds lors il ne peut plus tre compris dans lÕunitŽ, puisquÕil tend ˆ la dŽgrader, en voulant former une autre unitŽ. En un mot, il est faux, puisquÕil ne peut pas exister seul ; que malgrŽ lui la Loi des Etres existe en mme temps que lui, et quÕil ne peut jamais la dŽtruire, lors mme quÕil en gne ou quÕil en dŽrange lÕaccomplissement.

JÕai dit, quÕen sÕapprochant du bon Principe, lÕhomme Žtait, en effet, comblŽ de dŽlices, et par consŽquent, au-dessus de tous les maux ; cÕest quÕalors il est entier ˆ sa jouissance, quÕil ne peut avoir ni le sentiment, ni lÕidŽe dÕaucun autre Etre ; et quÕainsi, rien de ce qui vient du mauvais Principe ne peut se mler ˆ sa joie, ce qui prouve que lÕhomme est lˆ dans son ŽlŽment, et que sa loi dÕunitŽ sÕaccomplit.

Mais sÕil cherche un autre appui que celui de cette loi qui lui est propre, sa joie est dÕabord inquite et timide ; il ne jouit quÕen se reprochant sa jouissance, et se partageant un moment entre le mal qui lÕentra”ne et le bien quÕil a quittŽ, il Žprouve sensiblement lÕeffet de deux lois opposŽes, et il apprend par le mal-tre qui en rŽsulte, quÕil nÕy a point alors dÕunitŽ pour lui, parce quÕil sÕest ŽcartŽ de sa loi. Bient™t, il est vrai, cette jouissance incertaine se fortifie, et mme le domine entirement ; mais loin dÕen tre plus une et plus vraie, elle produit dans les facultŽs de lÕhomme un dŽsordre dÕautant plus dŽplorable, que lÕaction du mal Žtant stŽrile et bornŽe, les transports de celui qui sÕy livre, ne font que lÕamener plus promptement ˆ un vide et ˆ un abattement inŽvitable.

Voici donc la diffŽrence infinie qui se trouve entre les deux Principes ; le bien tient de lui-mme toute sa puissance et toute sa valeur ; le mal nÕest rien, quand le bien rgne. Le bien fait dispara”tre, par sa prŽsence, jusquՈ lÕidŽe et aux moindres traces du mal ; le mal, dans ses plus grands succs, est toujours combattu et importunŽ par la prŽsence du bien. Le mal nÕa par lui-mme aucune force, ni aucuns pouvoirs ; le bien en a dÕuniversels qui sont indŽpendants, et qui sՎtendent jusque sur le mal mme.

Ainsi, il est Žvident quÕon ne peut admettre aucune ŽgalitŽ de puissance, ni dÕanciennetŽ entre ces deux Principes ; car un Etre ne peut en Žgaler un autre en puissance, quÕil ne lՎgale aussi en anciennetŽ, puisque ce serait toujours une marque de faiblesse et dÕinfŽrioritŽ dans lÕun des deux Etres de nÕavoir pu exister aussit™t que lÕautre. Or, si antŽrieurement, et dans tous les temps, le bien avait coexistŽ avec le mal, ils nÕauraient jamais pu acquŽrir aucune supŽrioritŽ puisque, dans cette supposition, le mauvais Principe Žtant indŽpendant du bon, et ayant par consŽquent le mme pouvoir, ou ils nÕauraient eu aucune action lÕun sur lÕautre, ou ils se seraient mutuellement balancŽs et contenus : ainsi, de cette ŽgalitŽ de puissance, il serait rŽsultŽ une inaction et une stŽrilitŽ absolue dans ces deux Etres, parce que leurs forces rŽciproques se trouvant sans cesse Žgales et opposŽes, il leur eut ŽtŽ impossible ˆ lÕun et ˆ lÕautre de rien produire.

On ne dira pas que pour faire cesser cette inaction, un Principe supŽrieur ˆ tous les deux aura augmentŽ les forces du bon Principe, comme Žtant plus analogue ˆ sa nature ; car alors ce Principe supŽrieur serait lui-mme le Principe bon dont nous parlons. On sera donc forcŽ, par une Žvidence frappante, de reconna”tre dans le Principe bon, une supŽrioritŽ sans mesure, une unitŽ, une indivisibilitŽ, avec lesquelles il a existŽ nŽcessairement avant tout ; ce qui suffit pour dŽmontrer pleinement que le mal ne peut tre venu quÕaprs le bien. Fixer ainsi lÕinfŽrioritŽ du mauvais principe, et faire voir son opposition au Principe bon, cÕest prouver quÕil nÕy a jamais eu, et quÕil nÕy aura jamais entre eux la moindre alliance, ni la moindre affinitŽ ; car pourrait-il entrer dans la pensŽe, que le mal ežt jamais ŽtŽ compris dans lÕessence et dans les facultŽs du bien, auquel il est si diamŽtralement opposŽ ?

Mais cette conclusion nous conduit nŽcessairement ˆ une autre, tout aussi importante, qui est de nous faire sentir que ce bien, quelque puissant quÕil soit, ne peut coopŽrer en rien ˆ la naissance et aux effets du mal ; puisquÕil faudrait, ou quÕavant lÕorigine du mal, il y ežt eu dans le Principe bon quelque germe, ou facultŽ mauvaise ; et avancer cette opinion, ce serait renouveler la confusion que les jugements et les imprudences des hommes ont rŽpandue sur ces matires ; ou il faudrait que depuis la naissance du mal, le bien ežt pu avoir avec lui quelque commerce et quelque rapport, ce qui est impossible et contradictoire. Quelle est donc lÕinconsŽquence de ceux qui, craignant de borner les facultŽs du bon Principe, sÕobstinent ˆ enseigner une doctrine, si contraire ˆ sa nature, que de lui attribuer gŽnŽralement tout ce qui existe, mme le mal et le dŽsordre ?

Le mal, rŽsultat de la libertŽ

Il nÕen faut pas davantage pour faire sentir la distance incommensurable qui se trouve entre les deux Principes, et pour conna”tre celui auquel nous devons donner notre confiance. Puisque les idŽes que je viens dÕexposer, ne font que rappeler les hommes ˆ des sentiments naturels, et ˆ une science qui doit se trouver au fond de leur cÏur ; cÕest, en mme temps, faire na”tre en eux lÕespŽrance de dŽcouvrir de nouvelles lumires sur lÕobjet qui nous occupe ; car lÕhomme Žtant le miroir de la vŽritŽ ; il en doit voir rŽflŽchir, dans lui-mme, tous les rayons ; et en effet, si nous nÕavions rien de plus ˆ attendre que ce que nous promettent les systmes des hommes, je nÕaurais pas pris la plume pour les combattre.

Mais reconna”tre lÕexistence de ce mauvais Principe, considŽrer les effets de son pouvoir dans lÕUnivers et dans lÕhomme, ainsi que les fausses consŽquences que les observateurs en ont tirŽes, ce nÕest pas dŽvoiler son origine. Le mal existe, nous voyons tout autour de nous ses traces hideuses, quels que soient les efforts quÕon a faits pour nier sa difformitŽ. Or, si ce mal ne vient point du bon Principe, comment donc a-t-il pu na”tre ?

Certes, cÕest bien lˆ pour lÕhomme la question la plus importante et celle sur laquelle je dŽsirerais convaincre tous mes Lecteurs. Mais je ne me suis point abusŽ sur le succs, et toutes certaines que soient les vŽritŽs que je vais annoncer, je ne serai point surpris de les voir rejetŽes ou mal entendues par le plus grand nombre.

Origine du mal

Quand lÕhomme, sՎtant ŽlevŽ vers le bien, contracte lÕhabitude de sÕy tenir invariablement attachŽ, il nÕa pas mme lÕidŽe du mal ; cÕest une vŽritŽ que nous avons Žtablie, et que nul Etre intelligent ne pourra raisonnablement contester. SÕil avait constamment le courage et la volontŽ de ne pas descendre de cette ŽlŽvation pour laquelle il est nŽ, le mal ne serait donc jamais rien pour lui ; et en effet, il nÕen ressent les dangereuses influences, quՈ proportion quÕil sՎloigne du bon Principe ; en sorte quÕon doit conclure de cette punition, quÕil fait alors une action libre ; car sÕil est impossible quÕun Etre non libre sՎcarte par lui-mme de la Loi qui lui est imposŽe, il est aussi impossible quÕil se rende coupable et quÕil soit puni ; ce que nous ferons concevoir dans la suite en parlant des souffrances des btes.

Enfin, la puissance et toutes les vertus, formant lÕessence du bon Principe, il est Žvident que la sagesse et la justice en sont la rgle et la loi, et ds lors cÕest reconna”tre que si lÕhomme souffre, il doit avoir eu le pouvoir de ne pas souffrir.

Oui, si le Principe bon est essentiellement juste et puissant, nos peines sont une preuve Žvidente de nos torts, et par consŽquent de notre libertŽ ; lors donc que nous voyons lÕhomme soumis ˆ lÕaction du mal, nous pouvons assurer que cÕest librement quÕil sÕy est exposŽ, et quÕil ne tenait quՈ lui de sÕen dŽfendre et de sÕen tenir ŽloignŽ ; ainsi ne cherchons pas dÕautre cause ˆ ses malheurs que celle de sՐtre ŽcartŽ volontairement du bon Principe, avec lequel il aurait sans cesse gožtŽ la paix et le bonheur.

Appliquons le mme raisonnement au mauvais Principe ; sÕil sÕoppose Žvidemment ˆ lÕaccomplissement de la loi dÕunitŽ des Etres, soit dans le sensible, soit dans lÕintellectuel, il faut quÕil soit lui-mme dans une situation dŽsordonnŽe. SÕil nÕentra”ne aprs lui que lÕamertume et la confusion, il en est sans doute ˆ la fois, et lÕobjet et lÕinstrument ; ce qui nous fait dire quÕil doit tre livrŽ sans rel‰che, au tourment et ˆ lÕhorreur quÕil rŽpand autour de lui.

Le mal, rŽsultat de la libertŽ

Or, il ne souffre que parce quÕil est ŽloignŽ du bon Principe ; car ce nÕest que ds lÕinstant quÕils en sont sŽparŽs, que les Etres sont malheureux. Les souffrances du mauvais Principe ne peuvent donc tre quÕune punition, parce que la justice, Žtant universelle, doit agir sur lui, comme elle agit sur lÕhomme ; mais, sÕil subit une punition, cÕest donc librement quÕil sÕest ŽcartŽ de la Loi qui devait perpŽtuer son bonheur ; cÕest donc volontairement quÕil sÕest rendu mauvais. CÕest ce qui nous engage ˆ dire, que si lÕAuteur du mal ežt fait un usage lŽgitime de sa libertŽ, il ne se serait jamais sŽparŽ du bon Principe, et le mal serait encore ˆ na”tre ; par la mme raison, si aujourdÕhui il pouvait employer sa volontŽ ˆ son avantage, et la diriger vers le bon Principe, il cesserait dՐtre mauvais, et le mal nÕexisterait plus.

Ce ne sera jamais que par lÕencha”nement simple et naturel de toutes ces observations, que lÕhomme pourra parvenir ˆ fixer ses idŽes sur lÕorigine du mal ; car, si cÕest en laissant dŽgŽnŽrer sa volontŽ, que lÕEtre intelligent et libre acquiert la connaissance et le sentiment du mal, on doit tre assurŽ que le mal nÕa pas dÕautre principe, ni dÕautre existence que la volontŽ mme de cet Etre libre ; que cÕest par cette volontŽ seule, que le Principe, devenu mauvais, a donnŽ originairement la naissance au mal, et quÕil y persŽvre encore aujourdÕhui : en un mot, que cÕest par cette mme volontŽ que lÕhomme a acquis et acquiert tous les jours cette Science funeste du mal, par laquelle il sÕenfonce dans les tŽnbres, tandis quÕil nՎtait nŽ que pour le bien et pour la lumire.

De la libertŽ et de la volontŽ

Si on a agitŽ en vain tant de questions sur la LibertŽ, et quÕon les ait si souvent terminŽes par dŽcider vaguement que lÕhomme nÕen est pas susceptible, cÕest quÕon nÕa pas observŽ la dŽpendance et les rapports de cette facultŽ de lÕhomme avec sa volontŽ, et quÕon nÕa pas su voir que cette volontŽ Žtait le seul agent qui pžt conserver ou dŽtruire la libertŽ ; cÕest-ˆ-dire, quÕon cherche dans la libertŽ une facultŽ stable, invariable, qui se manifeste en nous universellement sans cesse, et de la mme manire, qui ne puisse ni diminuer ni cro”tre, et que nous retrouvions toujours ˆ nos ordres, quel que soit lÕusage que nous en avions fait. Mais comment concevoir une facultŽ qui tienne ˆ lÕhomme, et qui soit cependant indŽpendante de sa volontŽ, tandis que cette volontŽ constitue son essence fondamentale ?

Et ne conviendra-t-on pas quÕil faut nŽcessairement, ou que la libertŽ nÕappartienne pas ˆ lÕhomme, ou quÕil puisse influer sur elle, par lÕusage bon ou mauvais quÕil en fait, en rŽglant plus ou moins bien sa volontŽ ?

Et en effet, lorsque les Observateurs veulent Žtudier la libertŽ, ils nous font bien voir quÕelle doit appartenir ˆ lÕhomme, puisque cÕest toujours dans lÕhomme, quÕils sont obligŽs dÕen suivre les traces et les caractres : mais sÕils continuent ˆ la considŽrer, sans avoir Žgard ˆ sa volontŽ, nÕest-ce pas exactement comme sÕils voulaient lui trouver une facultŽ qui fžt en lui, mais qui lui fžt Žtrangre ; qui fžt ˆ lui, mais sur laquelle il nÕežt aucune influence, ni aucun pouvoir ? Est-il rien de plus absurde et de plus contradictoire ? Est-il Žtonnant quÕon ne trouve rien en observant de cette manire, et sera-ce jamais dÕaprs des recherches aussi peu solides, quÕon pourra prononcer sur notre propre nature ?

Si la jouissance de la LibertŽ ne dŽpendait en rien de lÕusage de la volontŽ ; si lÕhomme ne pouvait jamais lÕaltŽrer par ses faiblesses et ses habitudes dŽrŽglŽes, je conviens quÕalors tous les actes en seraient fixes et uniformes, et quÕainsi il nÕy aurait point, comme il nÕy aurait jamais eu, de libertŽ pour lui.

Mais si cette facultŽ ne peut tre telle que les observateurs la conoivent et voudraient lÕexiger, si sa force peut varier ˆ tout instant, si elle peut devenir nulle par lÕinaction, de mme que par un exercice soutenu et par une pratique trop constante des mmes actes, alors on ne peut nier quÕelle ne soit ˆ nous et dans nous, et que nous nÕayons, par consŽquent, le pouvoir de la fortifier ou de lÕaffaiblir ; et cela, par les seuls droits de notre Etre et par le privilge de notre volontŽ, cÕest-ˆ-dire, selon lÕemploi bon ou mauvais que nous faisons volontairement des lois qui nous sont imposŽes par notre nature.

Une autre erreur qui a fait proscrire la libertŽ par ces observateurs, cÕest quÕils auraient voulu se la prouver par lÕaction mme qui en provient ; en sorte quÕil faudrait, pour les satisfaire, quÕun acte pžt ˆ la fois, tre et nՐtre pas, ce qui Žtant Žvidemment impossible, ils en ont conclu que tout ce qui arrive a dž nŽcessairement arriver, et par consŽquent, quÕil nÕy avait point de libertŽ. Mais ils auraient dž remarquer que lÕacte, et la volontŽ qui lÕa conu, ne peuvent quՐtre conformes et non pas opposŽs ; quÕune puissance qui a produit son acte ne peut en arrter lÕeffet ; quÕenfin, la libertŽ, prise mme dans lÕacception vulgaire, ne consiste pas ˆ pouvoir faire le pour et le contre ˆ la fois, mais ˆ pouvoir faire lÕun et lÕautre alternativement : or, quand ce ne serait que dans ce sens, lÕhomme prouverait assez ce quÕon appelle communŽment sa libertŽ, puisquÕil fait visiblement le pour et le contre dans ses diffŽrentes actions successives, et quÕil est le seul Etre de la nature qui puisse ne pas marcher toujours par la mme route.

Mais ce serait sՎgarer Žtrangement que de ne pas concevoir une autre idŽe de la libertŽ ; car cette contradiction dans les actions dÕun Etre, prouve, il est vrai, quÕil y a du dŽrangement et de la confusion dans ses facultŽs, mais ne prouve point du tout quÕil soit libre, puisquÕil reste toujours ˆ savoir, sÕil se livre librement ou non, tant au mal quÕau bien ; et cÕest en partie pour avoir mal dŽfini la libertŽ, que ce point est encore couvert des plus Žpaisses tŽnbres pour le commun des hommes.

Je dirai donc que la vŽritable facultŽ dÕun Etre libre, est de pouvoir par lui-mme, se maintenir dans la loi qui lui est prescrite, et de conserver sa force et son indŽpendance, en rŽsistant volontairement aux obstacles et aux objets qui tendent ˆ lÕempcher dÕagir conformŽment ˆ cette Loi ; ce qui entra”ne nŽcessairement la facultŽ dÕy succomber, car il ne faut pour cela que cesser de vouloir sÕy opposer. Alors on doit juger si, dans lÕobscuritŽ o nous sommes, nous pouvons nous flatter de toujours parvenir au but avec la mme facilitŽ ; si nous ne sentons pas, au contraire, que la moindre de nos nŽgligences augmente infiniment cette t‰che, en Žpaississant le voile qui nous couvre : ensuite portant la vue pour un moment sur lÕhomme en gŽnŽral, nous dŽcouvrirons que si lÕhomme peut dŽgrader et affaiblir sa libertŽ ˆ tous les instants, de mme lÕespce humaine est moins libre actuellement quÕelle ne lՎtait dans ses premiers jours, et ˆ plus forte raison quÕelle ne lՎtait avant de na”tre.

Ce nÕest donc plus dans lՎtat actuel de lÕhomme, ni dans ses actes journaliers, que nous devons prendre des lumires pour dŽcider de sa vraie libertŽ, puisque rien nÕest plus rare que dÕen voir aujourdÕhui des effets purs et entirement indŽpendants des causes qui lui sont Žtrangres ; mais ce serait tre plus quÕinsensŽ dÕen conclure quÕelle ne fut jamais au nombre de nos droits. Les cha”nes dÕun esclave prouvent, je le sais, quÕil ne peut plus agir selon toute lՎtendue de ses forces naturelles, mais non pas quÕil ne lÕa jamais pu ; au contraire, elles annoncent quÕil le pourrait encore, sÕil nÕežt pas mŽritŽ dՐtre dans la servitude ; car, sÕil ne lui Žtait pas possible de jamais recouvrer lÕusage de ses forces, sa cha”ne ne serait pour lui, ni une punition, ni une honte.

En mme temps, de ce que lÕhomme est si difficilement, si obscurŽment et si rarement libre aujourdÕhui, on ne serait pas plus raisonnable dÕen infŽrer que ses actions soient indiffŽrentes, et quÕil ne soit pas obligŽ de remplir la mesure de bien qui lui est imposŽe mme dans cet Žtat de servitude ; car la privation de sa libertŽ consiste en effet ˆ ne pouvoir, par ses propres forces, obtenir la jouissance entire des avantages renfermŽs dans le bien pour lequel il a ŽtŽ fait, mais non ˆ pouvoir sÕapprocher du mal sans se rendre encore plus coupable ; puisque lÕon verra que son corps matŽriel ne lui a ŽtŽ prtŽ que pour faire continuellement la comparaison du faux avec le vrai, et que jamais lÕinsensibilitŽ o le conduit chaque jour sa nŽgligence sur ce point, ne pourra dŽtruire son essence ; ainsi, il suffit quÕil se soit ŽloignŽ une fois de la lumire ˆ laquelle il devait sÕattacher, pour rendre la suite de ses Žcarts inexcusable, et pour quÕil nÕait aucun droit de murmurer de ses souffrances.

Mais, faut-il le dire, si les observateurs ont tant balbutiŽ sur la libertŽ de lÕhomme, cÕest quÕils nÕont pas encore pris la premire notion de ce quÕest sa volontŽ : rien ne le prouve mieux que leurs recherches continuelles pour savoir comment elle agit : ne pouvant souponner que son principe džt tre en elle-mme, ils lÕont cherchŽ dans des causes Žtrangres, et voyant, en effet, quÕelle Žtait ici-bas si souvent entra”nŽe par des motifs apparents ou rŽels, ils ont conclu quÕelle nÕagissait point par elle-mme, et quÕelle avait toujours besoin dÕune raison pour se dŽterminer. Mais si cela Žtait, pourrions-nous dire avoir une volontŽ, puisque, loin dՐtre ˆ nous, elle serait toujours subordonnŽe aux diffŽrentes causes qui agissent sans cesse sur elle ? NÕest-ce pas alors tourner dans le mme cercle, et renouveler la mme erreur que nous avons dissipŽe relativement ˆ la libertŽ ? En un mot, dire quÕil nÕy a point de volontŽ sans motifs, cÕest dire que la libertŽ nÕest plus une facultŽ qui dŽpende de nous, et que nous nÕavons jamais ŽtŽ ma”tres de la conserver. Or, raisonner ainsi, cÕest ignorer ce que cÕest que la volontŽ qui annonce prŽcisŽment un Etre agissant par lui-mme, et sans le secours dÕaucun autre Etre.

Par consŽquent, cette multitude dÕobjets et de motifs Žtrangers qui nous sŽduisent et nous dŽterminent si souvent aujourdÕhui, ne prouve pas que nous ne puissions vouloir sans eux, et que nous ne soyons pas susceptibles de libertŽ, mais seulement quÕils peuvent prendre empire sur notre volontŽ, et lÕentra”ner quand nous ne nous y opposons pas. Car, avec de la bonne foi, on conviendra que ces causes extŽrieures nous gnent et nous tyrannisent ; or, comment pourrions-nous le sentir et lÕapercevoir, si nous nՎtions pas essentiellement faits pour agir par nous-mmes, et non par lÕattrait de ces illusions ?

Quant ˆ la manire dont la volontŽ peut se dŽterminer indŽpendamment des motifs et des objets qui nous sont Žtrangers, autant cette vŽritŽ para”tra certaine ˆ quiconque voudra oublier tout ce qui lÕentoure, et regarder en soi, autant lÕexplication en est-elle un ab”me impŽnŽtrable pour lÕhomme et pour quel que Etre que ce soit, puisquÕil faudrait pour la donner, corporiser lÕincorporel ; ce serait de toutes les recherches la plus nuisible ˆ lÕhomme, et la plus propre ˆ le plonger dans lÕignorance et dans lÕabrutissement, parce quÕelle porte ˆ faux, et quÕelle use en vain toutes les facultŽs qui sont en lui. Aussi, le peu de succs quÕont eu les observateurs sur cette matire, nÕa servi quՈ jeter dans le dŽcouragement ceux qui ont eu lÕimprudence de les suivre, et qui ont voulu chercher auprs dÕeux des lumires que leur fausse marche avait ŽloignŽes. Le Sage sÕoccupe ˆ chercher la cause des choses qui en ont une, mais il est trop prudent et trop ŽclairŽ pour en chercher ˆ celles qui nÕen ont point, et la volontŽ naturelle ˆ lÕhomme est de ce nombre, car elle est cause elle-mme.

Par cette raison, dŽs quÕil lui reste toujours une volontŽ, et quÕelle ne peut se corrompre que par le mauvais usage quÕil en fait, je continuerai ˆ le regarder comme libre, quoique Žtant presque toujours asservi.

Ce nÕest point pour lÕhomme aveugle, frivole et sans dŽsir, que jÕexpose de pareilles idŽes ; comme il nÕa que ses yeux pour guides, il juge les choses sur ce quÕelles sont, et non sur ce quÕelles ont ŽtŽ ; ce serait donc inutilement que je lui prŽsenterais des vŽritŽs de cette nature, puisquÕen les comparant avec ses idŽes tŽnŽbreuses, et avec les jugements de ses sens, il nÕy trouverait que des contradictions choquantes, qui lui feraient nier Žgalement ce quÕil aurait dŽjˆ conu, et ce quÕon lui ferait concevoir de nouveau, pour se livrer ensuite au dŽsordre de ses affections, et suivre la loi morte et obscure de lÕanimal sans intelligence.

Mais lÕhomme, qui se sera assez estimŽ pour chercher ˆ se conna”tre, qui aura veillŽ sur ses habitudes, et qui ayant dŽjˆ donnŽ ses soins ˆ Žcarter le voile Žpais qui lÕenveloppe, pourrait tirer quelques fruits de ces rŽflexions ; celui lˆ, dis-je, peut ouvrir ce livre, je le lui confie de bon cÏur, dans la vue de fortifier lÕamour quÕil a dŽjˆ pour le bien.

Cependant, quels que soient ceux entre les mains de qui cet Žcrit pourra tomber, je les exhorte ˆ ne pas chercher lÕorigine du mal ailleurs que dans cette source que jÕai indiquŽe, cÕest-ˆ-dire, dans la dŽpravation de la volontŽ de lÕEtre ou du Principe devenu mauvais. Je ne craindrai point dÕaffirmer quÕen vain ils feraient des efforts pour trouver au mal une autre cause ; car, sÕil avait une base plus fixe et plus solide, il serait Žternel et invincible, comme le bien ; si cet Etre dŽgradŽ pouvait produire autre chose que des actes de volontŽ, sÕil pouvait former des Etres rŽels et existants, il aurait la mme puissance que le Principe bon ; cÕest donc le nŽant de ses Ïuvres qui nous fait sentir sa faiblesse, et qui interdit absolument toute comparaison entre lui et le bon Principe dont il sÕest sŽparŽ.

Ancien Žtat du mauvais principe

Ce serait tre encore bien plus insensŽ, de chercher lÕorigine du bien ailleurs que dans le bien mme ; car aprs tout ce quÕon vient de voir, si des Etres dŽgradŽs, comme le mauvais Principe et lÕhomme, ont encore le droit dՐtre la propre cause de leurs actions, comment pourrait-on refuser cette propriŽtŽ au bien, qui, comme tel, est la source infinie de toutes les propriŽtŽs, le germe mme et lÕagent essentiel de tout ce qui est parfait ? Il faudrait donc nÕavoir pas le sens juste, pour aller chercher la cause et lÕorigine du bien hors de lui, si elles ne sont et ne peuvent tre que dans lui.

JÕen ai dit assez pour faire concevoir lÕorigine du mal ; cependant lÕexposŽ que jÕen ai fait, mÕoblige, premirement, ˆ donner quelques notions sur la nature et lՎtat du mauvais Principe avant sa corruption ; secondement, ˆ prŽvenir une difficultŽ qui pourrait arrter ceux mmes qui passent pour les plus instruits sur ces objets ; savoir, pourquoi lÕAuteur du mal ne fait aucun acte de libertŽ, pour se rŽconcilier avec le bon Principe ; mais je ne mÕarrterai quÕun instant sur ces deux objets, pour ne pas interrompre ma marche, et pour ne pas trop mՎcarter des bornes qui me sont prescrites.

En annonant que le Principe du mal sՎtait rendu mauvais par le seul acte de sa volontŽ, jÕai donnŽ ˆ entendre quÕil Žtait bon avant dÕenfanter cet acte. Or Žtait-il alors Žgal ˆ ce Principe supŽrieur que nous avons reconnu prŽcŽdemment ? Non, sans doute ; il Žtait bon, sans tre son Žgal ; il lui Žtait infŽrieur, sans tre mauvais ; il Žtait provenu de ce mme Principe supŽrieur, et ds lors il ne pouvait lՎgaler ni en force, ni en puissance ; mais il Žtait bon, parce que lÕEtre qui lÕavait produit, Žtait la bontŽ et lÕexcellence mme ; enfin, il lui Žtait encore infŽrieur, parce que ne tenant pas sa loi de lui-mme, il avait la facultŽ de faire ou de ne pas faire ce qui lui Žtait imposŽ par son origine ; et par-lˆ, il Žtait exposŽ ˆ sՎcarter de cette loi et ˆ devenir mauvais, tandis que le Principe supŽrieur, portant en lui-mme sa propre loi, est dans la nŽcessitŽ de rester dans le bien qui le constitue, sans pouvoir jamais tendre ˆ une autre fin.

Quant au second objet, jÕai donnŽ ˆ conna”tre que si lÕAuteur du mal usait de sa libertŽ pour se rapprocher du bon principe, il cesserait dՐtre mauvais et de souffrir, et que ds lors il nÕy aurait plus de mal ; mais on voit tous les jours par ses Ïuvres quÕil est comme encha”nŽ ˆ sa volontŽ criminelle, en sorte quÕil nÕen produit pas un seul acte qui nÕait pour but de perpŽtuer la confusion et le dŽsordre.

Etat actuel du mauvais principe

CÕest sur ce point que les fatalistes ont cru triompher, prŽtendant que le mal porte en soi la raison et la nŽcessitŽ de son existence ; ils jettent ainsi les hommes dans le dŽcouragement et le dŽsespoir, puisque, si le mal est nŽcessaire, il est impossible, ˆ jamais, dՎviter ses coups, et de conserver aucune espŽrance de cette paix et de cette lumire qui fait lÕobjet de tous nos dŽsirs et de toutes nos recherches ; mais gardons-nous dÕadopter ces erreurs, et dŽtruisons les consŽquences dangereuses qui en sont les suites, en exposant la vŽritable cause de la durŽe du mal.

En descendant en nous-mmes, il nous sera aisŽ de sentir que cÕest une des premires lois de la Justice universelle, quÕil y ait toujours un rapport exact entre la nature de la peine et celle du crime, ce qui ne se peut quÕen assujettissant le prŽvaricateur ˆ des actes impuissants, semblables ˆ ceux quÕil a criminellement produits, et par consŽquent opposŽs ˆ la loi dont il sÕest ŽcartŽ. Voilˆ pourquoi lÕAuteur du mal, sՎtant corrompu par le coupable usage de sa libertŽ, persŽvre dans sa volontŽ mauvaise, de la mme manire quÕil lÕa conue, cÕest-ˆ-dire, quÕil ne cesse de sÕopposer aux actes et ˆ la volontŽ du Principe bon, et que, dans ces vains efforts, il Žprouve une continuitŽ des mmes souffrances, afin que, selon les lois de la justice, ce soit dans lÕexercice mme de son crime quÕil rencontre sa punition.

IncompatibilitŽ du bien et du mal

Mais ajoutons encore quelques rŽflexions sur un sujet aussi important.

Si le bon Principe est lÕunitŽ essentielle, sÕil est la bontŽ, la puretŽ et la perfection mme, il ne peut souffrir en lui ni division, ni contradiction, ni souillure ; il est donc Žvident que lÕAuteur du mal džt en tre entirement sŽparŽ et rejetŽ par le seul acte dÕopposition de sa volontŽ ˆ la volontŽ du bon Principe ; en sorte que ds lors il ne pžt lui rester quÕune puissance et une volontŽ mauvaise, sans communication ni participation du bien. Ennemi volontaire du bon Principe, et de la rgle unique, Žternelle et invariable, quel bien, quelle loi pouvait-il y avoir en lui hors de cette rgle, puisquÕil est impossible quÕun seul et mme Etre soit ˆ la fois bon et mauvais, quÕil produise en mme temps lÕordre et le dŽsordre, le pur et lÕimpur ? Il est donc aisŽ de se convaincre, que sa sŽparation entire dÕavec le bon Principe, lÕayant nŽcessairement ŽloignŽ de tout bien, il ne fut plus en Žtat de conna”tre et de produire rien de bon, et que dŽsormais il ne put sortir de sa volontŽ que des actes sans rgle et sans ordre, et une opposition absolue au bien et ˆ la vŽritŽ.

Des deux Žtats de lÕhomme

CÕest ainsi quÕab”mŽ dans ses propres tŽnbres, il nÕest susceptible dÕaucune lumire et dÕaucun retour au bon Principe ; car, pour quÕil pžt diriger ses dŽsirs vers cette vraie lumire, il faudrait auparavant que la connaissance lui en fžt rendue, il faudrait quÕil puisse concevoir une bonne pensŽe ; et comment trouverait-elle accs en lui, si sa volontŽ et toutes ses facultŽs sont tout ˆ fait impures et corrompues ? En un mot, ds quÕil nÕa par lui-mme aucune correspondance avec le bien, et quÕil nÕest en son pouvoir, ni de le conna”tre, ni de le sentir, la facultŽ et la libertŽ dÕy revenir sont toujours sans effet pour lui, cÕest ce qui rend si horrible la privation ˆ laquelle il se trouve condamnŽ.

La loi de la Justice sÕexŽcute Žgalement sur lÕhomme, quoique par des moyens diffŽrents ; ainsi, elle nous fournira de mme, des lumires qui nous guideront dans les recherches que nous aurons ˆ faire sur lui.

Il nÕy a personne de bonne foi, et dont la raison ne soit pas obscurcie ou prŽvenue, qui ne convienne que la vie corporelle de lÕhomme est une privation et une souffrance presque continuelles. Ainsi, dÕaprs les idŽes que nous avons prises de la Justice, ce ne sera pas sans raison que nous regarderons la durŽe de cette vie corporelle comme un temps de ch‰timent et dÕexpiation ; mais nous ne pouvons la regarder comme telle, sans penser aussit™t quÕil doit y avoir eu pour lÕhomme un Žtat antŽrieur et prŽfŽrable ˆ celui o il se trouve ˆ prŽsent, et nous pouvons dire, quÕautant son Žtat actuel est bornŽ, pŽnible, et semŽ de dŽgožts, autant lÕautre doit avoir ŽtŽ illimitŽ et rempli de dŽlices. Chacune de ses souffrances est un indice du bonheur qui lui manque ; chacune de ses privations prouve quÕil Žtait fait pour la jouissance ; chacun de ses assujettissements lui annonce une ancienne autoritŽ ; en un mot, sentir aujourdÕhui quÕil nÕa rien, cÕest une preuve secrte quÕautrefois il avait tout.

Par le sentiment douloureux de lÕaffreuse situation o nous le voyons aujourdÕhui, nous pouvons donc nous former lÕidŽe de lՎtat heureux o il a ŽtŽ prŽcŽdemment. Il nÕest pas ˆ prŽsent le ma”tre de ses pensŽes, et cÕest un tourment pour lui que dÕavoir ˆ attendre celles quÕil dŽsire, et ˆ repousser celles quÕil craint ; de-lˆ nous sentons quÕil Žtait fait pour disposer de ces mmes pensŽes, et quÕil pouvait les produire ˆ son grŽ, dÕo il est aisŽ de prŽsumer les avantages inapprŽciables, attachŽs ˆ un pareil pouvoir. Il nÕobtient actuellement quelque paix et quelque tranquillitŽ que par des efforts infinis et des sacrifices pŽnibles, de-lˆ nous concluons quÕil Žtait fait pour jouir perpŽtuellement et sans travail, dÕun Žtat calme et heureux, et que le sŽjour de la paix a ŽtŽ sa vŽritable demeure. Ayant la facultŽ de tout voir et de tour conna”tre, il rampe nŽanmoins dans les tŽnbres, mais cÕest en frŽmissant de son ignorance et de son aveuglement ; nÕest-ce pas une preuve certaine que la lumire est son ŽlŽment ? Enfin, son corps est sujet ˆ la destruction, et cette mort, dont il est le seul Etre qui ait lÕidŽe dans la nature, est le pas le plus terrible de sa carrire corporelle, lÕacte le plus humiliant pour lui, et celui quÕil a le plus en horreur ; pourquoi cette loi, si sŽvre et si affreuse pour lÕhomme, ne nous ferait-elle pas concevoir que son corps en avait reu une infiniment plus glorieuse, et devoir jouir de tous les droits de lÕimmortalitŽ ?

Or, dÕo pouvait provenir cet Žtat sublime qui rendait lÕhomme si grand et si heureux, si ce nÕest de la connaissance intime et de la prŽsence continuelle du bon Principe, puisque cÕest en lui seul que se trouve la source de toute puissance et de toute fŽlicitŽ ? Et pourquoi cet homme languit-il ˆ prŽsent dans lÕignorance, dans la faiblesse et dans la misre, si ce nÕest parce quÕil est sŽparŽ de ce mme Principe, qui est la seule lumire et lÕunique appui de tous les Etres ?

CÕest ici quÕen rappelant ce que jÕai dit plus haut de la justice du premier Principe, et de la libertŽ des Etres provenus de lui, nous sentirons parfaitement que si par une suite de son crime, le Principe du mal subit encore les p‰timents attachŽs ˆ sa volontŽ rebelle, de mme les souffrances actuelles de lÕhomme ne sont que des suites naturelles dÕun premier Žgarement ; de mme aussi cet Žgarement nÕa pu provenir que de la libertŽ de lÕhomme, qui ayant conu une pensŽe contre la Loi suprme, y aura adhŽrŽ par sa volontŽ.

DÕaprs la connaissance des rapports, qui se trouvent entre le crime et les souffrances du mauvais Principe, je pourrais, en suivant leur analogie, faire prŽsumer quelle est la nature du crime de lÕhomme originel, par la nature de sa peine. Je pourrais mme, par ce moyen, apaiser les murmures qui ne cessent de sՎlever, sur ce que nous sommes condamnŽs ˆ participer ˆ son ch‰timent, quoique nous nÕavions point participŽ ˆ son crime. Mais ces vŽritŽs seraient mŽprisŽes par la multitude, et gožtŽes dÕun si petit nombre, que je croirais faire une faute en les exposant au grand jour. Je me contenterai donc de mettre les lecteurs sur la voie, par un tableau figuratif de lՎtat de lÕhomme dans sa gloire, et des peines auxquelles il sÕest exposŽ, depuis quÕil en est dŽpouillŽ.

Etat primitif de lÕhomme

Il nÕy a point dÕorigine qui surpasse la sienne, car il est plus ancien quÕaucun Etre de Nature, il existait avant la naissance du moindre des germes, et cependant il nÕest venu au monde quÕaprs eux Mais ce qui lՎlevait bien au-dessus de tous ces Etres, cÕest quÕils Žtaient soumis ˆ na”tre dÕun pre et dÕune mre, au lieu que lÕhomme nÕavait point de mre. DÕailleurs, leur fonction Žtait tout ˆ fait infŽrieure ˆ la sienne ; celle de lÕhomme Žtait de toujours combattre pour faire cesser le dŽsordre et ramener tout ˆ lÕUnitŽ ; celle de ces Etres Žtait dÕobŽir ˆ lÕhomme. Mais comme les combats que lÕhomme avait ˆ faire, pouvaient tre trs dangereux pour lui, il Žtait revtu dÕune armure impŽnŽtrable, dont il variait lÕusage ˆ son grŽ, et dont il devait mme former des copies Žgales et absolument conformes ˆ leur modle.

En outre, il Žtait muni dÕune lance composŽe de quatre mŽtaux si bien amalgamŽs, que depuis lÕexistence du monde, on nÕa jamais pu les sŽparer. Cette lance avait la propriŽtŽ de bržler comme le feu mme ; de plus elle Žtait si aigu‘ que rien pour elle nՎtait impŽnŽtrable, et si active quÕelle frappait toujours en deux endroits ˆ la fois. Tous ces avantages joints ˆ une infinitŽ dÕautres dons que lÕhomme avait reus en mme temps, le rendaient vraiment fort et redoutable.

Le Pays o cet homme devait combattre Žtait couvert dÕune fort formŽe de sept arbres, qui avaient chacun seize racines et quatre cent quatre-vingt-dix branches. Leurs fruits se renouvelant sans cesse, fournissaient ˆ lÕhomme la plus excellente nourriture, et ces arbres eux-mmes lui servaient de retranchement, et rendaient son poste comme inaccessible.

DŽgradation de lÕhomme

CÕest dans ce lieu de dŽlices, le sŽjour du bonheur de lÕhomme, et le tr™ne de sa gloire, quÕil aurait ŽtŽ ˆ jamais heureux et invincible ; parce quÕayant reu ordre dÕen occuper le centre, il pouvait de lˆ observer sans peine tout ce qui se passait autour de lui, et avait ainsi lÕavantage dÕapercevoir toutes les ruses et toutes les marches de ses adversaires, sans jamais en tre aperu ; aussi, pendant tout le temps quÕil garda ce poste, il conserva sa supŽrioritŽ naturelle, il jouit dÕune paix et gožta une fŽlicitŽ qui ne peuvent sÕexprimer aux hommes dՈ prŽsent ; mais ds quÕil sÕen fut ŽloignŽ, il cessa dÕen tre le ma”tre, et un autre agent fut envoyŽ pour prendre sa place ; alors lÕhomme aprs avoir ŽtŽ honteusement dŽpouillŽ de tous ses droits, fut prŽcipitŽ dans la rŽgion des pres et des mres, o il reste depuis ce temps, dans la peine et lÕaffliction de se voir mlŽ et confondu avec tous les autres Etres de la Nature.

Peine de lÕhomme

Il nÕest pas possible de concevoir un Žtat plus triste et plus dŽplorable que celui de ce malheureux homme au moment de sa chute ; car non seulement il perdit aussit™t cette lance formidable ˆ laquelle nul obstacle ne rŽsistait, mais lÕarmure mme dont il avait ŽtŽ revtu, disparut pour lui, et elle fut remplacŽe, pour un temps, par une autre armure qui, nՎtant point impŽnŽtrable comme la premire, devint pour lui une source de dangers continuels, en sorte quÕayant toujours le mme combat ˆ soutenir, il fut infiniment plus exposŽ.

Cependant, en le punissant ainsi, son pre ne voulut pas lui ™ter tout espoir et lÕabandonner entirement ˆ la rage de ses ennemis ; touchŽ de son repentir et de sa honte, il lui promit quÕil pourrait, par ses efforts, recouvrer son premier Žtat ; mais que ce ne serait quÕaprs avoir obtenu dՐtre remis en possession de cette lance quÕil avait perdue, et qui avait ŽtŽ confiŽe ˆ lÕagent par lequel lÕhomme Žtait remplacŽ, dans le centre mme quÕil venait dÕabandonner.

CÕest donc ˆ la recherche de cette arme incomparable, que les hommes ont dž sÕoccuper depuis, et quÕils doivent sÕoccuper tous les jours, puisque cÕest par elle seule quÕils peuvent rentrer dans leurs droits, et obtenir toutes les faveurs qui leur furent destinŽes.

Il ne faut pas non plus tre ŽtonnŽ des ressources qui restrent ˆ lÕhomme aprs son crime ; cՎtait la main dÕun pre qui le punissait, et cՎtait aussi la tendresse dÕun pre qui veillait sur lui, lors mme que sa Justice lՎloignait de sa prŽsence. Car le lieu dont lÕhomme est sorti, est disposŽ avec tant de sagesse, quÕen retournant sur ses pas, par les mmes routes qui lÕont ŽgarŽ, cet homme doit tre sžr de regagner le point central de la fort dans lequel seul il peut jouir de quelque force et de quelque repos.

Voie de sa rŽhabilitation

En effet, il sÕest ŽgarŽ en allant de quatre ˆ neuf, et jamais il ne pourra se retrouver quÕen allant de neuf ˆ quatre. Au reste, il aurait tort de se plaindre de cet assujettissement ; telle est la Loi imposŽe ˆ tous les Etres qui habitent la rŽgion des pres et des mres ; et puisque lÕhomme y est descendu volontairement, il faut bien quÕil en ressente toute la peine. Cette loi est terrible, je le sais, mais elle nÕest rien comparŽe ˆ la Loi du nombre cinquante-six, loi effrayante, Žpouvantable pour ceux qui sÕy exposent, car ils ne pourront arriver ˆ soixante-quatre, quÕaprs lÕavoir subie dans toute sa rigueur.

Telle est lÕhistoire allŽgorique de ce quՎtait lÕhomme dans son origine, et de ce quÕil est devenu en sՎcartant de sa premire Loi ; jÕai t‰chŽ par ce tableau, de le conduire jusquՈ la source de tous ses maux, et de lui indiquer, mystŽrieusement il est vrai, les moyens dÕy remŽdier. Je dois ajouter que, quoique son crime et celui du mauvais Principe soient Žgalement le fruit de leur volontŽ mauvaise, il faut remarquer nŽanmoins que lÕun et lÕautre de ces crimes sont de nature trs diffŽrente, et que par consŽquent, ils ne peuvent tre assujettis ˆ une Žgale punition, ni avoir les mmes suites ; parce que dÕailleurs la Justice Žvalue jusquՈ la diffŽrence des lieux o leurs crimes se sont commis. LÕhomme et le Principe du mal ont donc continuellement leur faute devant les yeux, mais tous deux nÕont pas les mmes secours, ni les mmes consolations.

JÕai donnŽ ˆ entendre prŽcŽdemment que le Principe du mal ne peut par lui-mme que persŽvŽrer dans sa volontŽ rebelle, jusquՈ ce que la communication avec le bien lui soit rendue. Mais lÕhomme, malgrŽ sa condamnation, peut apaiser la Justice mme, se rŽconcilier avec la vŽritŽ, et en gožter de temps en temps les douceurs, comme si en quelque sorte, il nÕen Žtait pas sŽparŽ.

Secours accordŽs ˆ lÕhomme

Il est vrai de dire nŽanmoins que le crime de lÕun et de lÕautre, ne se punit que par la privation, et quÕil nÕy a de diffŽrence, que dans la mesure de ce ch‰timent. Il est bien plus certain encore que cette privation est la peine la plus terrible, et la seule qui puisse rŽellement subjuguer lÕhomme. Car, on a eu grand tort de prŽtendre nous mener ˆ la Sagesse, par le tableau effrayant des peines corporelles dans une vie ˆ venir ; ce tableau nÕest rien, quand on ne les sent pas. Or, ces aveugles Ma”tres ne pouvant nous faire conna”tre quÕen idŽe les tourments quÕils imaginent, doivent nŽcessairement faire peu dÕeffet sur nous.

Si au moins ils eussent pris soin de peindre ˆ lÕhomme les remords quÕil doit Žprouver, quand il est mŽchant, il leur ežt ŽtŽ plus facile de le toucher, parce quÕil nous est possible dÕavoir ici-bas le sentiment de cette douleur. Mais combien nous eussent-ils rendus plus heureux, et nous eussent-ils donnŽ une idŽe plus digne de notre Principe, sÕils eussent ŽtŽ assez sublimes pour dire aux hommes, que ce Principe Žtant amour, ne punit les hommes que par lÕamour, mais en mme temps que nՎtant quÕamour, lorsquÕil leur ™te lÕamour, il ne leur laisse plus rien.

CÕest par-lˆ quÕils auraient ŽclairŽ et soutenu les hommes, en leur faisant sentir que rien ne devrait plus les effrayer que de cesser dÕavoir lÕamour de ce Principe, puisque ds lors ils sont dans le nŽant ; et certes ce nŽant que lÕhomme peut Žprouver ˆ tout instant, si on le lui peignait dans toute son horreur, serait pour lui, une idŽe plus efficace et plus salutaire que celle de ces Žternelles tortures, auxquelles malgrŽ la Doctrine de ces Ministres de sang, lÕhomme voit toujours une fin, et jamais de commencement.

Les secours accordŽs ˆ lÕhomme pour sa rŽhabilitation, quelque prŽcieux quÕils soient, tiennent cependant ˆ des conditions trs rigoureuses. Et vraiment plus les droits quÕil a perdu sont glorieux, plus il doit avoir ˆ souffrir pour les recouvrer ; enfin Žtant assujetti par son crime ˆ la loi du temps, il ne peut Žviter dÕen subir les pŽnibles effets, parce que sՎtant opposŽ lui-mme tous les obstacles que le temps renferme, la loi veut quÕil ne puisse rien obtenir quՈ mesure quÕil les Žprouve, et quÕil les surmonte.

CÕest au moment de sa naissance corporelle, quÕon voit commencer les peines qui lÕattendent. CÕest alors quÕil montre toutes les marques de la plus honteuse rŽprobation ; il na”t comme un vil insecte dans la corruption et dans la fange ; il na”t au milieu des souffrances et des cris de sa mre, comme si cՎtait pour elle un opprobre de lui donner le jour ; or quelle leon nÕest-ce pas pour lui, de voir que de toutes les mres, la femme est celle dont lÕenfantement est le plus pŽnible et le plus dangereux ! Mais ˆ peine commence-t-il lui-mme ˆ respirer, quÕil est couvert de larmes et tourmentŽ par les maux les plus aigus. Les premiers pas quÕil fait dans la vie, annoncent donc quÕil nÕy vient que pour souffrir, et quÕil est vraiment le fils du crime et de la douleur.

Travaux de lÕhomme

Si lÕhomme, au contraire, nÕežt point ŽtŽ coupable, sa naissance aurait ŽtŽ le premier sentiment du bonheur et de la paix. En voyant la lumire, il en aurait cŽlŽbrŽ la splendeur par de vifs transports, et par des tributs de louanges envers le Principe de sa fŽlicitŽ. Sans trouble sur la lŽgitimitŽ de son origine, sans inquiŽtude sur la stabilitŽ de son sort, il en ežt gožtŽ tous les dŽlices, parce quÕil en aurait connu sensiblement les avantages. O homme, verse des larmes amres sur lՎnormitŽ de ton crime, qui a si horriblement changŽ ta condition ; frŽmis sur le funeste arrt qui condamne ta postŽritŽ ˆ na”tre dans les tourments et dans lÕhumiliation, tandis quÕelle ne devait conna”tre que la gloire, et un bonheur inaltŽrable.

Ds les premires annŽes de son cours ŽlŽmentaire, la situation de lÕhomme devient beaucoup plus effrayante, parce quÕil nÕa encore souffert que dans son corps, au lieu quÕil va souffrir dans sa pensŽe. De mme que son enveloppe corporelle a ŽtŽ jusque lˆ en butte ˆ la fougue des ŽlŽments, avant dÕavoir acquis la moindre des forces nŽcessaires pour se dŽfendre ; de mme sa pensŽe va tre poursuivie dans un ‰ge o nÕayant pas encore exercŽ sa volontŽ, lÕerreur peut le sŽduire plus aisŽment, porter par mille sentiers ses attaques jusquÕau germe, et corrompre lÕarbre dans sa racine.

Il est certain que lÕhomme commence alors une carrire si pŽnible et si pŽrilleuse, que si les secours ne suivaient pour lui la mme progression, il succomberait infailliblement ; mais la mme main qui lui a donnŽ lՐtre, ne nŽglige rien pour sa conservation ; ˆ mesure quÕil avance en ‰ge, que les obstacles se multiplient et sÕopposent ˆ lÕexercice de ses facultŽs, ˆ mesure aussi son enveloppe corporelle acquire de la consistance ; cÕest-ˆ-dire, que sa nouvelle armure se fortifie et devient plus puissante contre les attaques de ses ennemis, jusquՈ ce quÕenfin le temple intellectuel de lÕhomme Žtant ŽlevŽ, cette enveloppe devenue inutile, se dŽtruise, laissant lՎdifice ˆ dŽcouvert et hors de toute atteinte.

 

Double effet du corps de lÕhomme

Il est donc Žvident que ce corps matŽriel que nous portons, est lÕorgane de toutes nos souffrances ; cÕest donc lui qui formant des bornes Žpaisses ˆ notre vue et ˆ toutes nos facultŽs, nous tient en privation et en p‰timent ; je ne dois donc plus dissimuler que la jonction de lÕhomme ˆ cette enveloppe grossire, est la peine mme ˆ laquelle son crime lÕa assujetti temporellement, puisque nous voyons les horribles effets quÕil en ressent depuis le moment o il en est revtu, jusquՈ celui o il en est dŽpouillŽ ; et que cÕest par-lˆ que commencent et se perpŽtuent les Žpreuves, sans lesquelles il ne peut rŽtablir les rapports quÕil avait autrefois avec la Lumire.

Mais malgrŽ les tŽnbres que ce corps matŽriel rŽpand autour de nous, nous sommes obligŽs dÕavouer aussi quÕil nous sert de rempart et de sauvegarde contre les dangers qui nous environnent, et que sans cette enveloppe, nous serions infiniment plus exposŽs.

Ce sont lˆ, nÕen doutons point, les idŽes que les Sages en ont eu dans tous les temps. Leur premire occupation a ŽtŽ de se prŽserver sans cesse des illusions que ce corps leur prŽsentait. Ils lÕont mŽprisŽ, parce quÕil est mŽprisable par sa nature ; ils lÕont redoutŽ par les funestes suites des attaques auxquelles il les exposait, et ils ont tous parfaitement connu quÕil Žtait pour eux la voie de lÕerreur et du mensonge.

Mais lÕexpŽrience leur a appris aussi que cÕest le canal par o arrivent, dans lÕhomme, les connaissances et les lumires de la VŽritŽ ; ils ont senti, que puisquÕil nous sert dÕenveloppe, et que nous nÕavons pas mme la pensŽe ˆ nous, il faut bien que nos idŽes venant toutes du dehors, sÕintroduisent nŽcessairement par cette enveloppe, et que nos sens corporels en soient les premiers organes.

Origine du matŽrialisme

Or, cÕest ˆ ce sujet que lÕhomme par la promptitude et la lŽgretŽ de ses jugements, a commencŽ ˆ se livrer ˆ des erreurs funestes qui ont produit dans son imagination les idŽes les plus monstrueuses ; cÕest delˆ, dis-je, que les MatŽrialistes ont tirŽ cet humiliant systme des sensations qui ravale lÕhomme au-dessous de la bte, puisque celle-ci, ne recevant jamais ˆ la fois quÕune seule sorte dÕimpulsion, nÕest pas susceptible de sՎgarer, au lieu que lÕhomme Žtant placŽ au milieu des contradictoires, pourrait, selon cette opinion, se livrer en paix indiffŽremment ˆ toutes les impressions dont il serait affectŽ.

Mais dÕaprs les lumires de justice que nous avons dŽjˆ reconnues en lui, il ne se peut que nous adoptions ces opinions avilissantes. Nous avons dŽmontrŽ que lÕhomme, chargŽ de sa conduite, est comptable de toutes ses actions ; je me garderai bien ˆ prŽsent de lui laisser enlever un privilge aussi sublime, et qui lՎlve si fort au-dessus de toutes les CrŽatures.

Systme des sensations

Rien ne mÕempchera donc dÕassurer ˆ mes semblables, que cette erreur est la ruse la plus adroite et la plus dangereuse qui ait pu tre employŽe pour les arrter dans leur marche, et pour les Žgarer. Ce serait pour un voyageur une incertitude des plus dŽsespŽrantes, de rencontrer deux routes opposŽes, sans conna”tre le lieu o lÕune et lÕautre aboutiraient. Cependant, en observant le chemin quÕil aurait dŽjˆ fait, se rappelant le point dÕo il serait parti, et celui auquel il tend, il ferait peut-tre assez de combinaisons pour se dŽterminer et pour choisir juste mais si quelquÕun se prŽsentait ˆ lui, et lui disait quÕil est trs inutile de prendre tant de peines pour dŽmler la vŽritable route, que celles qui sÕoffrent ˆ ses yeux mnent Žgalement au but, et quÕil peut suivre indiffŽremment lÕune ou lÕautre ; alors, la situation du voyageur deviendrait bien plus f‰cheuse et plus embarrassante que lorsquÕil Žtait rŽduit ˆ prendre conseil de lui-mme ; car enfin il lui serait impossible de se nier lÕopposition quÕil verrait entre ces deux routes ; et le premier sentiment qui devrait alors na”tre en lui, serait de se dŽfier des conseils quÕon lui donne, et de se persuader quÕon veut lui tendre un pige.

Voilˆ cependant quelle est la position actuelle de lÕhomme, relativement aux obscuritŽs que les Auteurs du systme des sensations ont rŽpandues sur sa carrire. Lui annoncer quÕil nÕa dÕautres lois que celles de ses sens, et quÕil ne peut avoir dÕautre guide, cÕest lui dire quÕen vain chercherait-il ˆ faire un choix parmi les choses quÕils lui prŽsentent, puisque ces sens eux-mmes sont sujets ˆ varier dans leur action, et quÕainsi lÕhomme ne pouvant pas en diriger les mobiles, essayerait inutilement dÕen diriger le cours et les effets.

Mais, ainsi que le voyageur, lÕhomme ne peut se refuser ˆ sa propre conviction ; il voit bien que les sens amnent tout en lui, mais en mme temps, il est forcŽ dÕavouer que parmi les choses quÕils lui amnent, il y en a quÕil sent tre bonnes, comme il y en a quÕil sent tre mauvaises.

Dangers de ce systme

Quelle devrait donc tre sa dŽfiance contre ceux qui le voudraient dŽtourner de faire un choix, en lui insinuant que toutes ces choses sont indiffŽrences ou de mme nature ? Ne devrait-il pas en ressentir la plus vive indignation, et se mettre en garde contre des ma”tres aussi dangereux ?

CÕest cependant lˆ, je le rŽpte, la plus commune tentative qui se soit faite contre la pensŽe de lÕhomme ; cÕest en mme temps la plus sŽduisante, et celle dont le Principe du mal tirerait le plus dÕavantage ; parce que sÕil pouvait nourrir lÕhomme dans la persuasion quÕil nÕy a point de choix ˆ faire parmi les choses qui lÕenvironnent, il viendrait facilement ˆ bout de faire passer jusquՈ lui, lÕhorrible incertitude et le dŽsordre dans lequel il se trouve lui-mme plongŽ par la privation o il est de toute loi.

Mais si la Justice veille toujours sur lÕhomme, il faut quÕil ait en lui les moyens de dŽmler les stratagmes de son ennemi, et de dŽconcerter, quand il le voudra, toutes ses entreprises ; sans quoi il ne pourrait tre puni de sÕy laisser surprendre : ces moyens doivent tre fondŽs sur sa propre nature, qui ne peut pas plus changer que la nature mme du Principe dont il est provenu ainsi sa propre essence Žtant incompatible avec le mensonge, lui fait conna”tre t™t ou tard quÕon lÕabuse, et le ramne naturellement ˆ la VŽritŽ.

JÕemploierai donc ces mmes moyens qui me sont communs avec tous les hommes, pour leur montrer le danger et lÕabsurditŽ de cette opinion ennemie de leur bonheur, et qui nÕest propre quՈ les ab”mer dans le crime et dans le dŽsespoir. JÕai suffisamment prouvŽ par nos souffrances, que nous Žtions libres ; ainsi je mÕadresserai aux MatŽrialistes, et je leur demanderai comment ils ont pu sÕaveugler assez pour ne voir dans lÕhomme quÕune machine ? Je voudrais au moins quÕils eussent eu la bonne foi dÕy voir une machine active, et ayant en elle-mme son Principe dÕaction, car si elle Žtait purement passive, elle recevrait tout et ne rendrait rien.

FacultŽ innŽe dans lÕhomme

Alors, ds quÕelle manifeste quelque activitŽ, il faut quÕelle ait au moins en elle le pouvoir de faire cette manifestation, et je ne crois pas que personne prŽtende que ce pouvoir-lˆ nous vienne par les sensations. Je crois en mme temps que sans ce pouvoir innŽ dans lÕhomme, il lui serait impossible dÕacquŽrir ni de conserver la science dÕaucune chose, ce qui sÕobserve sans aucun doute sur les Etres privŽs de discernement. Il est donc clair que lÕhomme porte en lui la semence de la lumire et des vŽritŽs dont il offre si souvent les tŽmoignages. Et faudrait­il quelque chose de plus pour renverser ces principes tŽmŽraires par lesquels on a prŽtendu le dŽgrader ?

Je sais quՈ la premire rŽflexion, on pourra mÕopposer que non seulement les btes, mais mme tous les Etres corporels, rendent aussi une action extŽrieure, dÕo il faudra conclure que tous ces Etres ont aussi quelque chose en eux, et ne sont pas de simples machines. Alors, me demandera-t-on, quelle est la diffŽrence de leur Principe dÕaction dÕavec celui qui est dans lÕhomme ? Cette diffŽrence sera facilement aperue de ceux qui voudront lÕobserver avec attention, et mes lecteurs la reconna”tront avec moi, en fixant un moment leur vue sur la cause de cette mŽprise.

Il y a des Etres qui ne sont quÕintelligents, il y en a qui ne sont que sensibles ; lÕhomme est ˆ la fois lÕun et lÕautre. Voilˆ le mot de lՎnigme. Ces diffŽrentes classes dÕEtres ont chacune un Principe dÕaction diffŽrent, lÕhomme seul les rŽunit tous les deux ; et quiconque voudra ne les pas confondre, sera sžr de trouver la solution de toutes les difficultŽs.

De lÕancienne enveloppe de lÕhomme

Par son origine, lÕhomme jouissait de tous les droits dÕun Etre intelligent, quoique cependant il eut une enveloppe ; car, dans la rŽgion temporelle, il nÕy a pas un seul tre qui puisse sÕen passer. Et ici, lÕayant dŽjˆ fait assez entrevoir, jÕavouerai bien que lÕarmure impŽnŽtrable dont jÕai parlŽ prŽcŽdemment, nՎtait autre chose que cette premire enveloppe de lÕhomme. Mais pourquoi Žtait-elle impŽnŽtrable ? CÕest quՎtant une et simple, ˆ cause de la supŽrioritŽ de sa nature, elle ne pouvait nullement se dŽcomposer, et que la loi des assemblages ŽlŽmentaires nÕavait absolument aucune prise sur elle.

De la nouvelle enveloppe de lÕhomme

Depuis sa chute, lÕhomme sÕest trouvŽ revtu dÕune enveloppe corruptible, parce quՎtant composŽe, elle est sujette aux diffŽrentes actions du sensible, qui nÕoprent que successivement, et qui par consŽquent se dŽtruisent les unes et les autres. Mais, par cet assujettissement au sensible, il nÕa point perdu sa qualitŽ dÕEtre intelligent ; en sorte quÕil est ˆ la fois grand et petit, mortel et immortel, toujours libre dans lÕintellectuel, mais liŽ dans le corporel par des lois indŽpendantes de sa volontŽ ; en un mot, Žtant un assemblage de deux Natures, diamŽtralement opposŽes, il en dŽmontre alternativement les effets, dÕune manire si distincte, quÕil est impossible de sÕy tromper. Car, si lÕhomme actuel nÕavait que des sens, ainsi que les systmes humains le voudraient Žtablir, on verrait toujours le mme caractre dans toutes ses actions, et ce serait celui de ses sens ; cÕest-ˆ-dire, quՈ lՎgal de la bte, toutes les fois quÕil serait excitŽ par ses besoins corporels, il rendrait avec effort, ˆ les satisfaire, sans jamais rŽsister ˆ aucunes de leurs impulsions, si ce nÕest pour cŽder ˆ une impulsion plus forte, mais qui ds lors doit se considŽrer comme agissant seule, et qui naissant toujours du sensible, dans les sens, et tient toujours aux sens.

Deux Etres dans lÕhomme

Pourquoi donc lÕhomme peut-il sՎcarter de la loi des sens ? Pourquoi peut-il se refuser ˆ ce quÕils lui demandent ? Pourquoi, pressŽ par la faim, est-il nŽanmoins le ma”tre de refuser les mets les plus exquis quÕon lui prŽsente, de se laisser tourmenter, dŽvorer, anŽantir mme par le besoin, et cela ˆ la vue de ce qui serait le plus propre ˆ le calmer ? Pourquoi, dis-je, y a-t-il dans lÕhomme une volontŽ quÕil peut mettre en opposition avec ses sens, sÕil nÕy a pas en lui plus dÕun Etre ? Et deux actions si contraires, quoique se montrant ensemble, peuvent-elles tenir ˆ la mme source ?

En vain on mÕobjecterait, ˆ prŽsent, que quand sa volontŽ agit ainsi, cÕest quÕelle est dŽterminŽe par quelque motif ; jÕai assez fait entendre, en parlant de la libertŽ, que la volontŽ de lÕhomme Žtant cause elle-mme, devait avoir le privilge de se dŽterminer seule et sans motif, autrement elle ne devrait pas porter le nom de volontŽ. Mais en supposant que dans le cas dont il sÕagit, sa volontŽ se dŽtermin‰t en effet par un motif, lÕexistence des deux Natures de lÕhomme nÕen serait pas moins Žvidente ; car il faudrait toujours chercher ce motif ailleurs que dans lÕaction de ses sens, puisque sa volontŽ la contrarie ; puisque, lors mme que son corps cherche toujours ˆ exister et ˆ vivre. il peut vouloir le laisser souffrir, sՎpuiser et sՎteindre. Cette double action de lÕhomme est donc une preuve convaincante quÕil y a en lui plus dÕun principe.

 

Le sensible dans la bte

Au contraire, les Etres qui ne sont que sensibles, ne peuvent jamais donner des marques que de ce quÕils sont. Il faut, il est vrai, quÕils aient le pouvoir de rendre et de manifester ce que les sensations oprent sur eux ; sans cela, tout ce qui leur serait communiquŽ, serait comme nul, et ne produirait aucun effet. Mais je ne crains point dÕerrer, en assurant que les plus belles affections des btes, leurs actions les mieux ordonnŽes, ne sՎlvent jamais au-dessus du sensible ; elles ont, comme tous les Etres de la Nature, un individu ˆ conserver, et elles reoivent avec la vie, tous les pouvoirs nŽcessaires ˆ cet objet, en raison des dangers auxquels elles doivent tre exposŽes, selon leur espce, pendant le cours de leur durŽe, soit dans les moyens de se procurer la nourriture, soit dans les circonstances qui accompagnent leur reproduction, et dans tous les autres ŽvŽnements qui se multiplient et varient suivant les diffŽrentes classes de ces Etres, ainsi que pour chaque individu. Mais je demande si jamais on a aperu dans les btes quelque action qui nÕežt pour unique but leur bien-tre corporel, et si elles ont jamais rien manifestŽ qui fžt le vŽritable indice de lÕintelligence.

Ce qui trompe la plus grande partie des hommes ˆ cet Žgard, cÕest de voir que parmi les btes, il y en a plusieurs qui sont susceptibles dՐtre formŽes ˆ des actes qui ne leur sont point naturels ; elles apprennent, elles se ressouviennent, elles agissent mme souvent en consŽquence de ce quÕelles ont appris, et de ce que leur mŽmoire leur rappelle. Cette observation pourrait en effet nous arrter, sans les principes que nous avons Žtablis.

JÕai dit que ds que les btes manifestaient quelque chose au dehors, il fallait nŽcessairement quÕelles eussent un Principe intŽrieur et actif, sans lequel elles nÕexisteraient pas ; mais ce Principe, je lÕai annoncŽ comme nÕayant que le sensible pour guide, et la conservation du corporel pour objet. CÕest par ces deux moyens que lÕhomme parvient ˆ dresser la bte ; il la frappe, ou il lui donne ˆ manger, et par-lˆ il dirige, ˆ sa volontŽ, le Principe actif de lÕanimal, qui ne tendant quÕau maintien de son Etre, se porte avec effort ˆ des actes quÕil nÕaurait jamais pratiquŽs, sÕil ežt ŽtŽ laissŽ ˆ sa propre Loi. LÕhomme, par la crainte, ou nourriture, le presse et lÕoblige ˆ Žtendre et ˆ augmenter son action ; il est donc Žvident que ce Principe, Žtant actif et sensible, est susceptible de recevoir des impressions ; sÕil peut recevoir des impressions, il peut aussi les conserver, car il suffit pour cela, que la mme impression se prolonge et continue son action. Alors, recevoir des impressions et les conserver, cÕest prouver, en effet, que lÕanimal est susceptible dÕhabitude.

De lÕEtre actif dans la Bible

Nous pouvons donc, sans danger, reconna”tre que le Principe actif des btes est capable dÕacquŽrir lÕhabitude de diffŽrents actes par lÕindustrie de lÕhomme ; car soit dans les actes que la bte produit naturellement, soit dans ceux auxquels elle est dressŽe, on ne voit aucune marche, ni aucune combinaison dans lesquelles le sensible ne soit pour tout et le mobile de tout ; alors donc, quelques merveilles que la bte Žtale ˆ mes yeux, je la trouverai certainement trs admirable, mais mon admiration nÕira pas jusquՈ reconna”tre en elle un Etre intelligent, pendant que je nÕy vois quÕun Etre sensible ; car enfin le sensible nÕest pas intelligent.

Des habitudes dans la bte

Pour mieux sentir la diffŽrence de lÕAnimal avec lÕEtre intelligent, faut-il considŽrer les classes qui sont au-dessous de ce mme Animal, tels que le vŽgŽtal et le minŽral ? Ds que ces classes infŽrieures oprent des actes extŽrieurs, comme la croissance, la fructification, la gŽnŽration et autres, nous ne pourrons douter quÕelles nÕaient, aussi bien que lÕAnimal, un Principe actif, innŽ en elles, et dÕo Žmanent toutes ces diffŽrentes actions.

NŽanmoins, quoique nous apercevions en elles une loi vive, qui tend avec force ˆ son accomplissement, nous ne leur avons jamais vu produire les moindres signes de douleur, de plaisir, de crainte, ni de dŽsir, toutes affections qui sont propres ˆ lÕAnimal ; de-lˆ nous pouvons dire, que de mme quÕentre lÕAnimal et les Etres infŽrieurs, il y a une diffŽrence considŽrable dans les Principes, quoiquÕils aient les uns et les autres la facultŽ vŽgŽtative, de mme lÕhomme a de commun avec lÕAnimal un Principe actif, susceptible dÕaffections corporelles et sensibles, mais il en est essentiellement distinguŽ par son Principe intellectuel, qui anŽantit toute comparaison entre lui et la bte.

De lÕintellectuel et du sensible

CÕest donc uniquement pour avoir ŽtŽ sŽduit par cet encha”nement universel, dans lequel un Etre tient toujours ˆ celui qui le suit, et ˆ celui qui le prŽcde, quÕon a confondu les diffŽrents anneaux qui composent lÕhomme actuel, et quÕon ne lÕa pas cru diffŽrent de ce Principe infŽrieur et sensible, auquel il nÕest attachŽ que pour un temps.

Quelle confiance pouvons-nous avoir alors aux systmes que lÕimagination de lÕhomme a enfantŽs sur ces matires, quand nous les voyons poser sur une base aussi Žvidemment fausse ? Et quelle plus forte preuve pouvons-nous dŽsirer que celle du sentiment et de lÕexpŽrience ?

Manire de distinguer les trois rgnes

A cette occasion, je vais entrer dans quelques dŽtails sur la distinction et lÕencha”nement des trois rgnes de la nature, pour t‰cher de nous confirmer dans les principes que nous venons dՎtablir sur la diffŽrence des Etres, malgrŽ leur affinitŽ. Je prŽviens nŽanmoins que ces discussions devraient tre Žtrangres ˆ lÕhomme, et que cÕest un malheur pour lui, dÕavoir besoin de ces preuves pour se conna”tre, et pour croire ˆ sa propre nature ; car elle porte en elle-mme des tŽmoignages bien plus Žvidents que ceux quÕil peut trouver dans ses observations sur les objets sensibles et matŽriels.

Les sciences humaines ne fournissent aucune rgle sžre pour classer rŽgulirement les trois Rgnes ; on nÕy pourra jamais parvenir quÕen suivant un ordre conforme ˆ la Nature ; en ce cas, il faut premirement mettre au rang des Animaux les Etres corporels qui portent en eux toute lՎtendue du Principe de leur fructification, qui par consŽquent nÕen ayant quÕun, nÕont pas besoin dՐtre adhŽrents ˆ la terre, pour le faire agir, mais prennent leur corporisation par la chaleur de la femelle de leur espce, soit quÕils lÕacquirent dans le sein de cette mme femelle, ou par le feu extŽrieur quÕelle leur communique, comme il arrive pour la fructification des ovipares, soit quÕils lÕacquirent par la chaleur du soleil, ou par celle de tout autre feu.

Secondement, il faut placer au rang des VŽgŽtaux tout Etre qui, ayant son matras dans la terre, fructifie ainsi par lÕaction de deux agents, et manifeste une production, soit au dehors, soit au-dedans de cette mme terre.

Enfin, on doit regarder comme MinŽraux tous les Etres, qui ont Žgalement leur matras dans la terre, et y prennent leur croissance et leur vŽgŽtation, mais qui, provenant de lÕaction de trois agents, ne peuvent donner aucun signe de reproduction, parce quÕils ne sont que passifs, et que les trois actions qui les constituent, ne leur appartiennent pas en propre.

Ces rgles, une fois Žtablies, pour savoir si un Etre est VŽgŽtal ou Animal, il faut voir sÕil tire sa substance des sucs de la terre, ou sÕil se nourrit de ses productions. SÕil est attachŽ ˆ la terre, de manire quÕil meure, lorsquÕil en est dŽtachŽ, il nÕest que VŽgŽtal. SÕil nÕest point liŽ ˆ cette mme terre, quoiquÕil se nourrisse de ses productions, il est Animal, quel quÕait ŽtŽ le moyen de sa corporisation.

La diffŽrence, je le sais, est infiniment plus difficile ˆ faire entre le VŽgŽtal et le MinŽral, quÕentre le VŽgŽtal et lÕAnimal, parce quÕentre les Plantes et les MinŽraux, il y a une si grande affinitŽ, et ils ont tant de facultŽs qui leur sont communes, quÕil nÕest pas toujours aisŽ de les dŽmler.

Progression quaternaire universelle

Cette difficultŽ vient de ce que la diffŽrence des genres de tous les Etres corporels est toujours en proportion gŽomŽtrique Quaternaire. Or dans lÕordre vrai des choses, plus le degrŽ des puissances est ŽlevŽ, plus la puissance est affaiblie, parce quÕalors elle est plus ŽloignŽe de la puissance premire, dÕo toutes les puissances subsŽquentes sont ŽmanŽes. Ainsi, les premiers termes de la progression, Žtant plus voisins du terme radical, ont des propriŽtŽs plus actives, dÕo rŽsultent par consŽquent des effets plus sensibles, et par-lˆ plus faciles ˆ distinguer : et cette force, dans les facultŽs, diminuant, ˆ mesure que les termes de la progression se multiplient, il est clair que les rŽsultats des derniers termes doivent nÕavoir que des nuances en quelque sorte imperceptibles.

Voilˆ pourquoi le MinŽral est plus difficile ˆ distinguer du VŽgŽtal, que le VŽgŽtal de lÕAnimal ; car cÕest dans le MinŽral que se trouve le dernier terme de la progression des choses crŽŽes.

Il faut appliquer le mme principe ˆ tous les Etres qui semblent intermŽdiaires entre les diffŽrents rgnes, et qui paraissent les lier, parce que la progression du nombre est continue, sans borne et sans aucune sŽparation ; mais, pour conna”tre parfaitement la puissance dÕun terme quelconque de la progression dont il sÕagit, il faudrait au moins conna”tre une des racines, et cÕest une des choses que lÕhomme perdit, lorsquÕil fut privŽ de son premier Žtat ; en effet, il ne conna”t aujourdÕhui la racine dÕaucun nombre, puisquÕil ne conna”t pas la premire de toutes les racines, ce que lÕon verra par la suite.

Il faut Žgalement appliquer le principe de la progression Quaternaire, aux Etres qui sont au-dessus de la Matire, parce quÕil sÕy fait apercevoir avec la mme exactitude, et dÕune manire encore plus marquŽe, en ce quÕils sont moins ŽloignŽs du premier terme de cette Progression ; mais peu de gens me comprendraient dans lÕapplication que jÕen pourrais faire ˆ cette Classe, aussi mon dessein et mon devoir mÕempchent dÕen parler ouvertement.

Si lÕhomme avait une Chymie, par laquelle il pžt, sans dŽcomposer les corps, conna”tre leurs vrais Principes, il verrait que le feu est le propre de lÕAnimal, lÕeau le propre du VŽgŽtal, et la terre le propre du MinŽral ; alors il aurait des signes encore plus certains pour reconna”tre la vŽritable nature des Etres, et ne serait plus embarrassŽ, pour discerner leur Rang et leur classe.

 

Union des trois ŽlŽments

Je ne mÕarrte pas ˆ lui faire observer que ces trois ElŽments, qui doivent servir de signes pour dŽmler les diffŽrents Rgnes, ne peuvent pas exister chacun sŽparŽment et indŽpendamment des deux autres ; je prŽsume que cette notion est assez commune pour ne devoir pas rappeler ici que dans lÕAnimal, quoique le feu y domine, lÕeau et la terre y doivent exister nŽcessairement, et ainsi des deux autres Rgnes, o le Principe dominant est de toute nŽcessitŽ accompagnŽ des deux autres Principes. Il nÕy a pas, jusquÕau mercure mme, sur qui cette observation ne sÕapplique avec la mme justesse, quoique certains Alchimistes ne lui trouvent point de feu ; mais ils devraient faire attention que le mercure minŽral nÕa encore reu que la seconde opŽration, et quÕainsi, quoiquÕil ait en lui, comme tout Etre corporel, un feu ŽlŽmentaire, cependant ce feu nÕest pas sensible, jusquՈ ce quÕun feu supŽrieur vienne lÕagiter, et cÕest lˆ la troisime opŽration que je dŽmontrerai nŽcessaire pour complŽter toute corporisation ; voilˆ pourquoi le mercure, quoique avec un feu ŽlŽmentaire, est cependant le corps de la nature le plus froid.

CÕest, je le rŽpte, uniquement pour dŽfendre la nature de lÕhomme, que je me suis laissŽ entra”ner ˆ tous ces dŽtails. JÕai voulu montrer ˆ ceux qui lÕavilissent, en le confondant avec les btes, quÕils tombent, ˆ son sujet, dans une mŽprise qui nÕest pas pardonnable, mme sur les Etres purement ŽlŽmentaires, puisque dÕun Rgne ˆ lÕautre, nous trouvons des diffŽrences infinies, quoique tous ces Rgnes aient des paritŽs et des similitudes fondamentales.

SupŽrioritŽ de lÕhomme

Nous voyons que dans toutes les classes, lÕinfŽrieure nÕa rien de ce qui se manifeste dÕune manire particulire dans la supŽrieure. Ainsi, ds que dans les Etres corporels, au-dessous de lÕhomme, nous nÕavons aperu aucune des marques de lÕintelligence, nous ne pouvons lui refuser quÕil ne soit ici-bas le seul favorisŽ de cet avantage sublime, quoique, par sa forme ŽlŽmentaire, il se trouve assujetti au sensible, et ˆ toutes les affections matŽrielles de la bte.

Ceux donc qui ont essayŽ de dŽpouiller lÕhomme de ses plus beaux droits, en se fondant sur son assujettissement et sa liaison ˆ lÕEtre corporel qui lÕenveloppe, nÕont prŽsentŽ, pour preuve, quÕune vŽritŽ que nous reconnaissons comme eux, puisque nous savons tous quÕil ne reoit aucune lumire que par les sens. Mais, pour nÕavoir pas portŽ plus loin leur observation, ils sont restŽs dans les tŽnbres, et y ont entra”nŽ la multitude. Dans la malheureuse condition de lÕhomme actuel, aucune idŽe ne peut en effet se faire sentir en lui, quÕelle ne soit entrŽe par les sens ; en sorte quÕil faut convenir encore, que ne pouvant pas toujours disposer des objets et des Etres qui actionnent ses sens, il ne peut, par cette raison, tre responsable des idŽes qui naissent en lui ; de faon que reconnaissant, comme nous lÕavons fait, un Principe bon et un Principe mauvais, et par consŽquent un Principe de pensŽes bonnes et un Principe de pensŽes mauvaises, on ne doit pas tre surpris que lÕhomme se trouve exposŽ aux unes et aux autres, sans pouvoir se dispenser de les sentir.

De la pensŽe de lÕhomme

CÕest lˆ ce qui a fait croire aux Observateurs que nos pensŽes et toutes nos facultŽs intellectuelles nÕavaient point dÕautre origine que nos sens. Mais, premirement, ayant confondu en un seul les deux Etres qui composent lÕhomme dÕaujourdÕhui, nÕayant pas aperu en lui ces deux actions opposŽes, qui en manifestent si clairement les diffŽrents Principes, ils ne reconnaissent en lui quÕune seule sorte de sens, et font vaguement dŽriver tout, de sa facultŽ de sentir. Cependant, aprs tout ce que nous avons dit, il nÕy aurait quՈ ouvrir les yeux, pour convenir que lÕhomme actuel ayant en lui deux Etres diffŽrents ˆ gouverner, et que ne pouvant en effet conna”tre les besoins de lÕun et de lÕautre que par la sensibilitŽ, il fallait bien que cette facultŽ fžt double, puisquÕil Žtait double lui-mme ; aussi quel sera lÕhomme assez aveugle, pour ne pas trouver en lui une facultŽ sensible relative ˆ lÕintellectuel, et une facultŽ sensible relative au corporel ? Et ne faut-il pas convenir que cette distinction, prise dans la Nature mme, aurait Žclairci toutes les mŽprises ? Je dois dire nŽanmoins, que dans cet ouvrage, jÕemploierai le plus souvent ces mots de sens et de sensible, dans lÕacception corporelle, et que lorsque je parlerai du sensible intellectuel, ce sera de manire quÕon ne puisse pas confondre lÕun avec lÕautre.

Des sens de lÕhomme

Secondement, sous quelque point de vue que les Observateurs eussent considŽrŽ la facultŽ sensible de lÕhomme, sÕils avaient mieux pesŽ leur systme, ils auraient vu que nos sens sont bien, ˆ la vŽritŽ, lÕorgane de nos pensŽes, mais quÕils nÕen sont pas lÕorigine ; ce qui fait sans doute une trop grande diffŽrence pour quÕon soit excusable de ne lÕavoir pas aperue.

Oui, telle est notre peine, quÕaucune pensŽe ne puisse nous parvenir immŽdiatement, et sans le secours de nos sens qui en sont les organes nŽcessaires dans notre Žtat actuel ; mais si nous avons reconnu dans lÕhomme un Principe actif et intelligent qui le distingue si parfaitement des autres Etres, ce Principe doit avoir en lui-mme ses propres facultŽs ; or la seule, dont lÕusage nous soit restŽ dans notre pŽnible situation, cÕest cette volontŽ innŽe en nous, dont lÕhomme a joui pendant sa gloire et dont il jouit encore aprs sa chute. Comme cÕest par elle quÕil sÕest ŽgarŽ, cÕest par la force de cette volontŽ seule quÕil peut espŽrer dՐtre rŽtabli dans ses premiers droits ; cÕest elle qui le prŽserve absolument des prŽcipices o lÕon veut le plonger, et de croire ˆ ce nŽant auquel on voudrait rŽduire sa nature : cÕest par elle, en un mot, que nՎtant pas le ma”tre dÕempcher que le bien et le mal se communiquent jusquՈ lui, il est cependant responsable de lÕusage quÕil fait de cette volontŽ, par rapport ˆ lÕun et ˆ lÕautre. Il ne peut faire quÕon ne lui offre, mais il peut choisir, et choisir bien ; et je nÕen donnerai pas, pour le moment, dÕautres preuves, sinon quÕil souffre, et quÕil est puni quand il choisit mal.

Le lecteur intelligent, pour qui jՎcris, ne peut pas ignorer que la peine et les souffrances, dont je veux parler, sont dÕune nature bien diffŽrente des maux passagers, corporels ou conventionnels, les seuls qui soient connus de la multitude.

Toutes les attaques, que lÕon a portŽes contre la dignitŽ de lÕhomme, ne sont donc plus dÕaucune valeur pour nous, ou bien il faudrait renverser les premiers et les plus fermes fondements de la Justice que nous avons posŽs prŽcŽdemment, ainsi que les notions invariables que nous savons tre communes ˆ tous les hommes, et quÕaucun Etre intelligent et raisonnable ne pourra jamais rŽvoquer en doute.

Droits de lÕhomme sur sa pensŽe

Je ne mÕarrte point ˆ examiner si dans la conduite ordinaire de lÕhomme, sa volontŽ attend toujours une raison dŽcisive pour se dŽterminer, ou si elle est dirigŽe par lÕattrait seul du sentiment ; je la crois susceptible de lÕun et de lÕautre mobile ; et je dirai que pour la rŽgularitŽ de sa marche, lÕhomme ne doit exclure ni lÕun ni lÕautre de ces deux moyens, car autant la rŽflexion sans le sentiment le rendrait froid et immobile, autant le sentiment sans la rŽflexion serait sujet ˆ lՎgarer.

Mais, je le rŽpte, ces questions sont Žtrangres ˆ mon sujet, et je les crois abusives et infructueuses ; ainsi je laisse ˆ la MŽtaphysique de lÕEcole ˆ chercher comment la volontŽ se dŽtermine et comment elle agit ; il suffit ˆ lÕhomme de reconna”tre que cÕest toujours librement, et que cette libertŽ est un malheur de plus pour lui et la raison de toutes ses souffrances, quand il abandonne les Lois qui doivent la diriger. Revenons ˆ notre sujet.

Quoique nous ayons reconnu que tous les Etres avaient nŽcessairement quelque chose en eux, sans quoi ils nÕauraient ni vie, ni existence, ni action, nous nÕadmettrons pas pour cela quÕils aient tous la mme chose. Quoique cette Loi dÕun Principe innŽ soit unique et universelle, nous nous garderons bien de dire que ces Principes soient Žgaux et agissent uniformŽment dans tous les Etres, puisque au contraire nos observations nous font conna”tre une diffŽrence essentielle entre eux ; et surtout entre les Principes innŽs dans les trois Rgnes matŽriels et le principe sacrŽ dont lÕhomme est le seul favorisŽ parmi tous les Etres qui composent cet Univers.

Grandeur de lÕhomme           

Car cette supŽrioritŽ du Principe actif et intelligent de lÕhomme ne doit plus nous Žtonner, si nous nous rappelons la propriŽtŽ de cette progression Quaternaire qui fixe le rang et les facultŽs des Etres, et qui ennoblit leur essence, en raison de ce quÕils sont plus voisins du premier terme de la progression. LÕhomme est la seconde Puissance de ce premier terme gŽnŽrateur universel ; le Principe actif de la matire nÕest que le troisime ; en faut-il davantage pour reconna”tre que lÕon ne peut absolument admettre entre eux aucune ŽgalitŽ.

MŽprises sur lÕhomme

La source des systmes injurieux ˆ lÕhomme vient donc de ce que leurs Auteurs nÕont pas distinguŽ la nature de nos affections. DÕun c™tŽ, ils ont attribuŽ ˆ notre Etre intellectuel, les mouvements de lÕEtre sensible, et de lÕautre ils ont confondu les actes de lÕintelligence avec des impulsions matŽrielles, bornŽes dans leurs principes comme dans leurs effets. Il nÕest pas Žtonnant quÕayant ainsi dŽfigurŽ lÕhomme, ils lui trouvent des ressemblances avec la bte, et quÕils ne lui trouvent que cela ; il nÕest pas Žtonnant, dis-je, que par ce moyen, Žtouffant dans lui toute notion, toute rŽflexion, loin de lՎclairer sur le bien et le mal, ils le tiennent sans cesse dans le doute et dans lÕignorance sur sa propre nature, puisquÕils effacent ˆ ses yeux les seules diffŽrences qui pourraient lÕen instruire.

Moyens dՎviter ces mŽprises

Mais, aprs avoir enseignŽ, comme nous lÕavons fait, que lÕhomme Žtait ˆ la fois intelligent et sensible, nous devons observer que ces deux facultŽs diffŽrentes doivent nŽcessairement sÕannoncer en lui par des signes et des moyens diffŽrents, et que les affections qui leur sont particulires, nՎtant nullement les mmes, ne peuvent en aucune manire se prŽsenter sous la mme face ! Le principal objet de lÕhomme devrait donc tre dÕobserver continuellement la diffŽrence infinie qui se trouve entre ces deux facultŽs et entre les affections qui leur sont propres ; et comme elles sont unies dans presque toutes ses actions, rien ne doit lui para”tre plus important que de distinguer avec prŽcision ce qui appartient ˆ lÕune ou ˆ lÕautre.

En effet, pendant le court intervalle de la vie corporelle de lÕhomme, la facultŽ intellectuelle se trouvant jointe ˆ la facultŽ sensible, ne peut absolument rien recevoir que par le canal de cette facultŽ sensible ; et ˆ son tour, la facultŽ infŽrieure et sensible doit toujours tre dirigŽe par la justesse et la rŽgularitŽ de la facultŽ intelligente. On voit par consŽquent que dans une union aussi intime, si lÕhomme cesse de veiller un instant, il ne dŽmlera plus ses deux natures, et ds lors il ne saura o trouver les tŽmoignages de lÕordre et du vrai.

De plus, chacune de ces facultŽs Žtant susceptible de recevoir en son particulier des impressions bonnes et des impressions mauvaises, lÕhomme est exposŽ, ˆ chaque instant, ˆ confondre non seulement le sensible avec lÕintellectuel, mais encore ce qui peut tre avantageux ou nuisible ˆ lÕun ou ˆ lÕautre.

 

UniversalitŽ de ces mŽprises

JÕexaminerai les suites et les effets de ce danger attachŽ ˆ la situation actuelle de lÕhomme ; je dŽvoilerai les mŽprises o sa nŽgligence ˆ discerner ses diffŽrentes facultŽs lÕa entra”nŽ, tant sur le Principe des choses, que sur les ouvrages de la Nature, et sur ceux qui sont sortis de ses propres mains et de son imagination ; Sciences divines, intellectuelles et physiques, Devoirs civils et naturels de lÕhomme, arts, LŽgislations, Žtablissements et Institutions quelconques, tout rentre dans lÕobjet dont je mÕoccupe. Je ne crains point mme de dire que je regarde cet examen comme une obligation pour moi, parce que, si lÕignorance et lÕobscuritŽ o nous sommes sur ces points importants, ne sont pas de lÕessence de lÕhomme, mais lÕeffet naturel de ses premiers Žcarts et de tous ceux qui en sont provenus, il est de son devoir de chercher ˆ retourner vers la lumire quÕil a abandonnŽe, et si ces connaissances Žtaient son apanage avant sa chute, elles ne se sont point absolument perdues pour lui, puisquÕelles dŽcoulent sans cesse de cette source inŽpuisable o il a pris naissance : en un mot, si malgrŽ lՎtat dÕobscuritŽ o il languit, lÕhomme peut toujours espŽrer apercevoir la VŽritŽ, et sÕil ne lui faut pour cela que des efforts et du courage, ce serait la mŽpriser, que de ne pas faire tout ce qui est en nous pour nous rapprocher dÕelle.

LÕusage continuel que je fais dans cet ouvrage, des mots facultŽs, actions, causes, principes, agents, propriŽtŽs, Vertus, rŽveillera sans doute le mŽpris et le dŽdain de mon sicle pour les qualitŽs occultes. Cependant il serait injuste de donner ce nom ˆ cette doctrine, uniquement parce quÕelle nÕoffre rien aux sens. Ce qui est occulte pour les yeux du corps, cÕest ce quÕils ne voient point ; ce qui est occulte pour lÕintelligence, cÕest ce quÕelle ne conoit point ; or, dans ce sens, je demande sÕil est quelque chose de plus occulte pour les yeux et pour lÕintelligence, que les notions gŽnŽralement reues sur tous les objets que je viens dÕannoncer ? Elles expliquent la Matire par la Matire, elles expliquent lÕhomme par les sens, elles expliquent lÕAuteur des choses par la Nature ŽlŽmentaire. Ainsi les yeux du corps ne voyant que des assemblages cherchent en vain les Principes ŽlŽmentaires quÕon leur annonce, et ne pouvant jamais les apercevoir, il est clair quÕon les a trompŽs.

LÕhomme voit dans ses sens le jeu de ses organes, mais il nÕy reconna”t point son intelligence. Enfin la Nature visible prŽsente aux yeux lÕouvrage dÕun grand Artiste, mais nÕoffrant point ˆ lÕintelligence la raison des choses, elle laisse ignorer la Justice du Ma”tre, la tendresse du Pre et tous les conseils du Souverain ; de faon quÕon ne peut nier que ces explications ne soient absolument nulles et sans vŽritŽ, puisquÕelles ont toujours besoin dՐtre remplacŽes par de nouvelles explications.

Alors, si je ne mÕattache quՈ Žloigner de tous ces objets les enveloppes qui les obscurcissent, si je ne porte la pensŽe des hommes que sur le vrai Principe en chaque chose, ma marche est donc moins obscure que celle des Observateurs ; et en effet, sÕils ont vraiment de la rŽpugnance pour les qualitŽs occultes, ils devraient commencer par changer de route ; car trs certainement il nÕen est pas de plus occulte et de plus tŽnŽbreuse que celle dans laquelle ils voudraient nous entra”ner.

 

2

Source universelle des erreurs

TOUT ce que jÕai dit de lÕhomme, considŽrŽ dans son origine et dans sa premire splendeur, de sa volontŽ impure qui lÕen a fait dŽchoir, et de lÕaffligeante situation o il sÕest plongŽ, se trouve confirmŽ par les observations que nous allons faire sur sa conduite et sur les opinions quÕil enfante journellement.

On peut faire les mmes Observations sur la puretŽ originelle, la dŽgradation et les tourments actuels du Principe qui sÕest rendu mauvais ; la marche de tous ces Žcarts est uniforme ; les premires erreurs, celles qui les ont suivies et celles qui suivront ont eu et auront perpŽtuellement les mmes causes ; en un mot, cÕest toujours ˆ la volontŽ mauvaise, quÕil faut attribuer les faux pas de lÕhomme et de tout autre Etre revtu du privilge de la LibertŽ ; car, je lÕai dŽjˆ dit, pour dŽmontrer que le principe dÕune action quelconque est lŽgitime, il en faut considŽrer les suites ; si lÕEtre est malheureux, ˆ coup sžr, il est coupable, parce quÕil ne peut tre malheureux, sÕil nÕest libre.

Des souffrances de la bte

On aurait pu, sans doute, mÕarrter ˆ cette proposition, en mÕopposant les souffrances de la bte, mais lÕobjection ne mÕa point ŽchappŽ ; et comme je puis ici la rŽsoudre sans interrompre mon sujet, jÕy vais travailler avant dÕentrer en matire.

Je sais quÕen qualitŽ dÕEtre sensible, la bte souffre, et quÕainsi lÕon peut en quelque sorte la regarder comme malheureuse ; mais je prie dÕobserver si le titre de malheureux nÕappartiendrait pas avec plus de raison aux Etres, qui connaissant quÕils devraient tre heureux par leur nature, Žprouvent intŽrieurement le dŽsespoir de ne lՐtre pas. Dans ce sens, il ne pourrait convenir ˆ la bte, qui est ˆ sa place ici-bas, et qui nÕest pas faite pour un autre bien-tre que celui de ses sens ; lors donc que ce bien-tre est dŽrangŽ, elle souffre, sans doute, comme Etre sensible, mais elle ne voit rien au-delˆ de ses souffrances ; elle les supporte, elle travaille mme ˆ les faire cesser, seulement par lÕaction de sa facultŽ sensible, et sans avoir pu juger quÕil y ait pour elle un autre Žtat ; cÕest-ˆ-dire, quÕelle nÕa point ce qui fait le malheur de lÕhomme, ce remords et cette nŽcessitŽ de sÕattribuer comme lui, ses souffrances. Eh ! comment le pourrait-elle ? Elle nÕagit point, on la fait agir.

Cependant il reste toujours ˆ savoir pourquoi elle souffre, et pourquoi elle est privŽe si souvent de ce bien-tre sensible qui la rendrait heureuse ˆ sa manire. Je pourrais rendre raison de cette difficultŽ, sÕil mՎtait permis de mՎtendre sur la liaison des choses, et de faire voir jusquÕo le mal a gagnŽ par les Žcarts de lÕhomme ; mais cÕest un point que je ne ferai jamais quÕindiquer, et pour le prŽsent, il suffira de dire que la Terre nÕest plus vierge, ce qui lÕexpose, elle et ses fruits, ˆ tous les maux quÕentra”ne la perte de la VirginitŽ.

Nous pouvons donc dire avec raison quÕil ne peut y avoir dÕEtre vraiment malheureux que lÕEtre libre, ˆ quoi jÕajouterai que si cÕest librement que lÕhomme sÕest plongŽ dans les peines et dans les douleurs, cette mme LibertŽ lui impose lÕobligation continuelle de travailler ˆ rŽparer son crime ; car plus il se nŽgligera sur ce point, plus il se rendra coupable, et par consŽquent plus il se rendra malheureux. Reprenons notre sujet.

Pour nous guider dans lÕimportant examen que nous nous sommes proposŽs, et qui entre essentiellement aujourdÕhui dans la t‰che de lÕhomme, remarquons que la cause principale de toutes nos erreurs dans les Sciences, est de nÕavoir pas observŽ une Loi de deux actions distinctes qui se montre universellement dans tous les Etres de la CrŽation, et jette souvent lÕhomme dans lÕincertitude.

De la double action

Nous ne devons cependant pas tre ŽtonnŽs de voir que chaque Etre ici-bas, soit assujetti ˆ cette double action, puisque nous avons reconnu prŽcŽdemment deux Natures trs distinctes ou deux Principes opposŽs dont le pouvoir sÕest manifestŽ ds le commencement des choses, et se fait sentir continuellement dans la CrŽation entire.

Or, de ces deux principes, il ne peut y en avoir quÕun qui soit rŽel et vraiment nŽcessaire, attendu quÕaprs UN, nous ne connaissons plus rien. Ainsi, le second Principe, quoique nŽcessitant lÕaction du premier dans la crŽation, ne peut certainement avoir ni poids, ni nombre, ni mesure, puisque ces Lois appartiennent ˆ lÕEssence mme du premier Principe. LÕun stable, permanent, possde la vie en lui-mme, et par lui-mme ; lÕautre irrŽgulier et sans lois, nÕa que des effets apparents et illusoires pour lÕintelligence qui voudrait sÕy laisser tromper.

Ainsi, comme nous le laissons entrevoir, si cÕest une raison double qui a fait donner la naissance et la vie temporelle ˆ lÕUnivers, il est indispensable que les corps particuliers suivent la mme loi, et ne puissent, ni se reproduire, ni subsister sans le secours dÕune double action.

Toutefois, la raison double qui dirige les corps et toute la matire, nÕest pas la mme que cette raison double qui provient de lÕopposition des deux Principes ; celle-ci est purement intellectuelle, et ne prend sa source que dans la volontŽ contraire de ces deux Etres. Car, lorsque lÕun ou lÕautre agit sur le sensible et sur le corporel, cÕest toujours dans des vues intellectuelles, cÕest-ˆ-dire, pour dŽtruire lÕaction intellectuelle qui lui est opposŽe. Il nÕen est pas de mme de la double action qui assujettit la Nature ; elle nÕest attachŽe quÕaux Etres corporels, pour servir tant ˆ leur reproduction quՈ leur entretien ; elle est pure en ce quÕelle est dirigŽe par une troisime action qui la rend rŽgulire ; en un mot, cÕest le moyen nŽcessaire Žtabli par la source de toutes les puissances pour la construction de tous ses ouvrages matŽriels.

Cependant, quoique dans cette raison double attachŽe ˆ tout ce qui est corporel, il nÕy ait rien dÕimpur, et que ni lÕun ni lÕautre terme nÕen soit mauvais, il y en a un nŽanmoins qui est fixe et impŽrissable, lÕautre nÕest que passager et momentanŽ, et par-lˆ mme nÕest pas rŽel pour lÕintelligence, quoique ses effets le soient pour les yeux du corps.

Ce sera donc nous avancer beaucoup que de parvenir ˆ distinguer la nature et les rŽsultats de ces deux diffŽrents termes, ou de ces deux diffŽrentes Lois qui soutiennent la crŽation corporelle ; parce que si nous apprenons ˆ reconna”tre leur action dans toutes les choses temporelles, ce sera un moyen de plus de la dŽmler dans nous-mmes. En effet, on ne conoit pas combien les mŽprises qui se font journellement sur notre Etre, tiennent de prs ˆ celles qui se font sur les Etres corporels et sur la Matire, et celui qui aurait lÕintelligence pour juger les corps, aurait bient™t celle qui lui est nŽcessaire pour juger lÕhomme.

Des recherches sur la Nature

La premire erreur qui se soit introduite en ce genre, est dÕavoir fait de la Nature matŽrielle, une classe et une Žtude ˆ part. Quoique les hommes aient vu que cette branche Žtait vivante et active, ils lÕont regardŽe comme Žtant sŽparŽe du tronc ; et ˆ force de sÕarrter ˆ ce dangereux examen, le tronc leur a paru ˆ son tour si ŽloignŽ de la branche, quÕils nÕont plus senti le besoin quÕil exist‰t, ou du moins sÕils en ont reconnu lÕexistence, ils nÕont vu en lui quÕun Etre isolŽ dont la voix se perd dans lՎloignement, et quÕil est mme inutile dÕentendre pour concevoir et accomplir le cours et les Lois de cette Nature matŽrielle.

Si nous nous bornons comme eux ˆ considŽrer cette Nature en elle-mme et comme agissant sans la mŽdiation dÕun Principe extŽrieur, nous pourrions bien, il est vrai, apercevoir ses lois sensibles et apparentes, mais nous ne pourrions pas dire que notre notion fut complte, puisquÕil nous resterait toujours ˆ conna”tre son Principe rŽel qui nÕest visible quՈ lÕintelligence, par lequel tout ce qui existe est nŽcessairement gouvernŽ, et dont les Lois sensibles et apparentes ne sont que les rŽsultats.

DÕun autre c™tŽ, si pendant notre sŽjour parmi les Etres de cette Nature matŽrielle, nous voulions les Žloigner entirement de nos recherches, pour nous efforcer dÕatteindre ˆ celle du principe invisible, nous aurions ˆ craindre de nous tenir trop ŽlevŽs au-dessus du sentier que nous devons suivre, et par lˆ de ne point parvenir au but de nos dŽsirs, et de nÕobtenir quÕune partie des lumires qui nous sont destinŽes.

Nous devons sentir les inconvŽnients de ces deux excs ; ils sont tels, quÕen nous livrant ˆ lÕun ou ˆ lÕautre, nous pouvons tre assurŽs de nÕavoir aucune rŽussite, et si nous nŽgligeons lÕune des deux Lois pour rechercher lÕautre, nous ne pourrons avoir de toutes les deux quÕune fausse idŽe, parce que leur liaison actuelle est indispensable, quoique nÕayant pas toujours ŽtŽ manifestŽe ; enfin, vouloir aujourdÕhui sՎlever au Principe premier, supŽrieur et invisible, sans sÕappuyer sur la Matire, cÕest lÕoffenser et le tenter ; et vouloir conna”tre la Matire en excluant ce Principe premier et les Vertus quÕil emploie pour la soutenir, cÕest la plus absurde des impiŽtŽs.

De la Matire et de son Principe

Ce nÕest pas que les hommes ne soient destinŽs ˆ avoir un jour une parfaite connaissance du Principe premier sans tre obligŽs dÕy joindre lՎtude de la Matire, de mme que depuis leur chute il y a eu un temps o ils Žtaient entirement assujettis ˆ cette Loi de Matire, sans quÕils pussent songer ˆ lÕexistence du Principe premier. Mais pendant ce passage intermŽdiaire qui nous est accordŽ, Žtant placŽs entre les deux extrmes, nous ne devons perdre de vue ni lÕun ni lÕautre, si nous ne voulons pas nous Žgarer.

La seconde erreur, cÕest que depuis que lÕhomme est encha”nŽ dans la RŽgion sensible, il a cherchŽ, ˆ la vŽritŽ, le Principe de la Matire, parce quÕil ne peut douter quÕelle en ait un ; mais comme dans cette recherche il a confondu les deux Lois, il a voulu que le Principe de la Matire fut aussi palpable que la Matire elle-mme. Il a voulu soumettre lÕun et lÕautre ˆ la mesure de ses yeux corporels.

Or, une mesure corporelle ne peut sÕappliquer que sur lÕEtendue : lÕEtendue nÕest quÕun assemblage, et par consŽquent un Etre composŽ ; et si lÕhomme sÕobstinait ˆ croire que le Principe de lÕEtendue ou de la Matire, est la mme chose que la Matire, il faudrait donc que ce Principe fžt Žtendu et composŽ comme elle ; alors il est vrai que les yeux de son corps en pourraient calculer les dimensions, toutefois selon les bornes de ses facultŽs, et sans en tre plus avancŽ. Car pour mesurer juste, il faudrait quÕil ežt une base ˆ ses mesures, et il nÕen a point. Mais certes, nous sommes bien ŽloignŽs dÕavoir une pareille idŽe du principe de la Matire, dÕaprs celle que nous avons dÕun principe en gŽnŽral.

Tous ceux qui ont voulu expliquer ce que cÕest quÕun principe, nÕont pu sÕempcher de dire quÕil doit tre indivisible, incommensurable et absolument diffŽrent de ce que la Matire prŽsente ˆ nos yeux. Les MathŽmaticiens mmes et les GŽomtres, quoique nÕagissant que par leurs sens, et nÕayant que lՎtendue pour objet, viennent ˆ lÕappui de cette dŽfinition ; car tout matŽriel quÕest ce point mathŽmatique dont ils font la base de leur travail, ils sont obligŽs de le revtir de toutes les propriŽtŽs de lÕEtre immatŽriel ; sans cela, leur science nÕaurait pas encore de commencement.

Ainsi, un Etre indivisible et incommensurable, tel que nous sentons que doit se concevoir tout Principe, quÕest-il autre chose pour nous quÕun Etre simple ? Et, certes, nous ne pouvons douter que les apparences matŽrielles ne soient au contraire divisibles et soumises ˆ la mesure sensible ; par consŽquent, la Matire nÕest donc point un Etre simple ; par consŽquent, elle ne peut donc tre son principe ˆ elle-mme ; il serait donc absurde de vouloir confondre la Matire avec le principe de la Matire.

De la divisibilitŽ de la Matire

Je dois, ˆ ce sujet, faire remarquer les obscuritŽs o cette fausse manire de considŽrer les corps a entra”nŽ la multitude. Le Vulgaire a cru quÕen mutilant, divisant et subdivisant la Matire, il mutilait, divisait et subdivisait en effet le Principe et lÕessence de la Matire ; et croyant que les bornes seules de ses organes corporels lÕempchaient dÕaller aussi loin que sa pensŽe dans cette opŽration, il a imaginŽ que cette division Žtait essentiellement possible au­delˆ de ce quÕil pouvait opŽrer lui-mme, et il a cru que la Matire Žtait divisible ˆ lÕinfini ; de lˆ, il lÕa regardŽe comme indestructible, et par consŽquent, comme Žternelle.

CÕest absolument pour avoir confondu la Matire avec le principe de la Matire, que ces erreurs ont ŽtŽ presque universellement adoptŽes. En effet, diviser les formes de la Matire, ce nÕest pas diviser son essence, ou, pour mieux dire, dŽsunir les parties diverses dont tous les corps sont composŽs, ce nÕest pas diviser, ce nÕest pas dŽcomposer la Matire, parce que chacune des parties matŽrielles provenant de cette division, demeure intacte dans son apparence de Matire, par consŽquent dans son essence, et dans le nombre des principes qui constituent toute la Matire.

Par quel Žtrange aveuglement lÕhomme a-t-il donc pu croire quÕen diversifiant les dimensions des corps, il divisait rŽellement la Matire ?

NÕest-il pas aisŽ de voir que toutes les opŽrations de lÕhomme en ce genre se bornent ˆ transposer, ˆ dŽsunir ce qui Žtait joint ; et pour que sa main pžt dŽcomposer la Matire, ne faudrait-il pas que ce fžt lui qui lÕežt composŽe ?

Je ne vois donc ici que la faiblesse et les bornes des facultŽs de lÕhomme, qui est arrtŽ par la force invincible des principes de la Matire ; car nous savons quÕil peut varier ˆ son grŽ les figures et les formes corporelles, parce que ces formes ne sont quÕun assemblage de particules diffŽrentes, et nÕont par cette raison aucune des propriŽtŽs de lÕUnitŽ ; mais enfin, il nÕy a pas une seule de ces particules quÕil puisse anŽantir, parce que si le Principe qui les soutient nÕest point composŽ, il ne peut tre sujet ˆ aucune division dans son essence ; et dans ce sens, non seulement la Matire nÕest pas divisible ˆ lÕinfini, selon lÕidŽe commune, mais il nÕest pas mme possible que la main de lÕhomme commence ou opre sur elle la premire et la moindre des divisions ; nouvelle preuve pour dŽmontrer que ce Principe corporel est un et simple, et par consŽquent quÕil nÕest point Matire.

Bornes des mathŽmatiques

Ce que jÕai dit de la mŽthode des MathŽmaticiens, a dž faire sentir la diffŽrence quÕil y a de leur marche ˆ celle de la Nature. La Science MathŽmatique nÕoffrant entre leurs mains quÕune copie trompeuse de la vraie Science, nÕa pour base et pour rŽsultats que des relations, sur lesquelles ayant une fois fixŽ leurs suppositions, les consŽquences se trouvent justes et convenables ˆ lÕobjet quÕils se proposent ; en un mot, les MathŽmaticiens ne peuvent pas sՎgarer, parce quÕils ne sortent pas de leur enceinte, et quÕils ne font que tourner sur un pivot ; alors tous leurs pas les ramnent au point dÕo ils sont partis. En effet, quelque ŽlevŽ que soit leur Ždifice, on voit quÕil est Žgal dans toutes ses parties, et quÕil nÕy a pas la moindre distinction entre les matŽriaux qui servent de fondement, et ceux dont ils b‰tissent les plus hauts Žtages ; aussi que nous apprennent-ils ?

La Nature, au contraire, ayant pour Principe un Etre vrai et infini, produit des faits qui lui ressemblent, et quoique ces faits soient lÕenveloppe dont elle se couvre ˆ nos yeux, quoiquÕils soient passagers, ils sont si multipliŽs, si variŽs, si actifs, que nous voyons assez clairement que la source en doit tre inŽpuisable. Mais on verra dans la suite de cet Ouvrage, de plus amples observations sur la Science MathŽmatique, et sur lÕemploi quÕon aurait dž en faire pour parvenir ˆ la connaissance de la Nature et de ce qui est au-dessus.

Des productions et de leurs principes

Nous joindrons ici une autre vŽritŽ qui appuiera toutes celles que nous avons Žtablies pour prouver combien la Matire est infŽrieure au Principe qui lui sert de base et qui la produit.

Je prie dÕabord les observateurs dÕexaminer, sÕil nÕest pas certain universellement, et dans tout ordre de gŽnŽration quelconque, que la production ne peut jamais tre Žgale ˆ son Principe gŽnŽrateur. Cette vŽritŽ se rŽalise continuellement dans lÕordre des gŽnŽrations matŽrielles, quoique ensuite venant ˆ cro”tre, les fruits et les productions de cette classe, Žgalent et mme surpassent en force et en grandeur lÕindividu qui les a engendrŽs ; parce que la classe de ces individus Žtant soumise ˆ la Loi du temps, lÕancien individu dŽpŽrit en mme temps que son fruit sÕavance vers le terme de sa croissance et de sa perfection.

Mais dans le moment de la gŽnŽration, ce fruit est nŽcessairement infŽrieur ˆ lÕindividu dÕo il est provenu, puisque cÕest de lui quÕil tient sa vie et son action.

Dans quelque classe que nous fassions nos recherches, je ne crains point dÕassurer que nous trouverons lÕapplication de cette vŽritŽ ; dÕo nous pouvons dire hardiment, que cÕest avec raison que nous lÕavons annoncŽe comme universelle ; ds lors il faudra convenir aussi quÕelle est applicable ˆ la Matire, relativement ˆ son principe, parce que si nous pouvons voir na”tre la Matire, nous ne pouvons nier quÕelle nÕait ŽtŽ engendrŽe ; et si elle a ŽtŽ engendrŽe, elle est ainsi que tous les Etres, infŽrieure ˆ son principe gŽnŽrateur.

CÕest tre dŽjˆ bien avancŽ que dÕavoir reconnu la supŽrioritŽ du Principe de la Matire sur la Matire, et de sentir quÕils ne peuvent tre tous deux de la mme nature ; par-lˆ nous nous trouvons ˆ couvert des jugements hasardeux quÕon a osŽ prononcer sur cet objet, et qui par le crŽdit des Ma”tres qui en ont ŽtŽ les organes, sont devenus comme autant de Lois pour la plupart des hommes : par-lˆ on est dispensŽ de croire comme eux, que la Matire est Žternelle et impŽrissable. En distinguant la forme du Principe, nous saurons que lÕune peut varier sans cesse, pendant que lÕautre reste toujours le mme, et on nÕaura plus de peine ˆ reconna”tre la fin et le dŽpŽrissement de la Matire dans la succession des faits et des Etres que la Nature expose ˆ nos yeux, tandis que le Principe de cette Matire nՎtant point Matire, demeure inaltŽrable et indestructible.

De la reproduction des formes

Cette succession de faits, et ce renouvellement continuel des Etres corporels a entra”nŽ les Observateurs de la Nature dans dÕautres opinions aussi fausses que les prŽcŽdentes, et qui les exposent aux mmes inconsŽquences. Ils ont vu les corps sÕaltŽrer, se dŽcomposer et dispara”tre de devant eux ; mais en mme temps, ils ont vu que ces corps Žtaient sans cesse remplacŽs par dÕautres corps ; alors ils ont cru que ceux-ci Žtaient formŽs des dŽbris des anciens corps, et quՎtant dissous, les diffŽrentes parties dont ils Žtaient composŽs, devaient entrer ˆ leur tour, dans la composition des nouvelles formes ; de-lˆ ils ont conclu que les formes Žprouvaient bien une mutation continuelle, mais que leur Matire fondamentale demeurait toujours la mme.

Ensuite, ignorant la vŽritable cause de lÕexistence et de lÕaction de cette Matire, ils nÕont pas vu pourquoi elle nÕaurait pas toujours ŽtŽ en mouvement, et pourquoi elle nÕy serait pas toujours, ce qui leur a fait dŽcider de nouveau quÕelle Žtait Žternelle.

Mais si, Žlevant les yeux dÕun degrŽ, ils eussent reconnu les vrais principes des corps, et quÕils leur eussent attribuŽ la stabilitŽ quÕils ont cru voir dans leur prŽtendue Matire fondamentale, nous nÕaurions pas ˆ leur reprocher cette nouvelle mŽprise ; nous voyons comme eux les rŽvolutions et les mutations des formes ; nous reconnaissons aussi que les principes des corps sont indestructibles et impŽrissables ; mais ayant montrŽ, comme nous lÕavons fait, que ces principes nՎtaient point Matire, dire quÕils sont impŽrissables, ce nÕest pas dire que la Matire ne pŽrit point.

ImmuabilitŽ de leurs principes

CÕest ainsi quÕen distinguant les corps dÕavec leurs principes, les observateurs auraient ŽvitŽ lÕerreur dangereuse quÕils sÕefforcent en vain de pallier, et quÕils se seraient bien gardŽs dÕattribuer lՎternitŽ et lÕimmortalitŽ ˆ lÕEtre matŽriel qui frappe leurs sens. Je suis dÕaccord avec eux sur la marche journalire de la Nature ; je vois na”tre et pŽrir toutes les formes, et je les vois remplacŽes par dÕautres formes ; mais je me garderai bien dÕen conclure, comme eux, que cette rŽvolution nÕait point eu de commencement, et quÕelle ne doive point avoir de fin, puisquÕelle ne sÕopre en effet, et ne se manifeste que sur les corps qui sont passagers, et non sur leurs Principes qui nÕen reoivent jamais la moindre atteinte. LorsquÕon aura bien conu lÕexistence et la stabilitŽ de ces Principes, indŽpendamment et sŽparŽment des corps, il faudra bien convenir quÕils ont pu exister avant ces corps, et quÕils pourront encore exister aprs eux.

Je ne joindrai pas ˆ ce raisonnement des preuves sur lesquelles on refuserait de me croire, mais elles sont de nature quÕil nÕest pas plus en mon pouvoir dÕen douter que si jÕeusse ŽtŽ prŽsent ˆ la formation des choses.

DÕailleurs la loi numŽrique des Etres est un tŽmoignage irrŽvocable ; UN existe et se conoit indŽpendamment des autres nombres ; et aprs les avoir vivifiŽs pendant le cours de la DŽcade, il les laisse derrire lui et revient ˆ son UnitŽ.

Des Žmanations de lÕUnitŽ

Les principes des corps Žtant uns, peuvent donc se concevoir seuls et sŽparŽs de toute forme de matire, au lieu que les moindres particules de cette matire ne peuvent subsister, ni se concevoir sans tre soutenues et animŽes par leur Principe ; de mme que nous concevons lÕUnitŽ numŽrique, comme pouvant subsister ˆ part des autres nombres, quoique aucun des nombres subsŽquents ˆ lÕUnitŽ ne puisse trouver accs dans notre entendement, si ce nÕest comme lՎmanation et le produit de cette unitŽ.

En un mot, si nous voulons appliquer ici la maxime fondamentale qui a ŽtŽ Žtablie ci-devant, sur lÕinŽgalitŽ qui existe nŽcessairement entre lÕEtre gŽnŽrateur et sa production, nous verrons, que si les Principes de la Matire sont indestructibles et Žternels, il est impossible que la Matire jouisse des mmes privilges.

Cependant cette assertion dÕune inŽgalitŽ nŽcessaire entre lÕEtre gŽnŽrateur et sa production, aurait pu laisser quelque inquiŽtude sur la nature de lÕhomme, qui ayant pris naissance dans une source indestructible, devrait comme infŽrieur ˆ son Principe, nÕavoir pas le mme avantage, et tre par consŽquent susceptible de destruction. Mais une simple rŽflexion dissipera ce doute.

 

Des Etres secondaires

Quoique la Matire et lÕhomme aient Žgalement leur principe gŽnŽrateur, il sÕen faut de beaucoup quÕils aient le mme. Le Principe gŽnŽrateur de lÕhomme est lÕUnitŽ ; cette UnitŽ possŽdant tout en soi, communique aussi ˆ ses productions une existence totale et indŽpendante ; en sorte quÕelle peut bien, comme chef et principe, Žtendre ou resserrer leurs facultŽs ; mais elle ne peut pas leur donner la mort, parce que ses ouvrages Žtant rŽels, ce qui est, ne peut pas ne pas tre.

Il nÕen est pas ainsi de la Matire qui, Žtant le produit dÕun Principe secondaire, infŽrieur et subordonnŽ ˆ un autre Principe, est toujours dans la dŽpendance de lÕun et de lÕautre ; de manire que le concours de leur action mutuelle est absolument nŽcessaire pour la continuation de son existence ; car il est constant, que lorsque lÕune des deux vient ˆ cesser, les corps sՎteignent et disparaissent.

Or, la naissance et la fin de ces diffŽrentes actions se manifeste assez clairement dans la Nature corporelle, pour nous dŽmontrer que la Matire ne peut pas tre durable. DÕailleurs, reconnaissant, comme nous le devons faire, que lÕaction de lÕUnitŽ, ou du Principe premier, est perpŽtuelle et indivisible, nous ne pourrions sans la plus grossire erreur, attribuer la mme perpŽtuitŽ dÕaction aux Principes secondaires qui enfantent la Matire. CÕest pourquoi lÕAuteur des choses ne peut pas faire que le Monde soit Žternel comme lui ; car ce ne serait pas rendre le Monde Žternel que de lui faire succŽder dÕautres Mondes, comme ce sera toujours en sa puissance, puisque chacun de ces Mondes ne pouvant tre que lÕÏuvre dÕun Principe secondaire, serait ds lors nŽcessairement pŽrissable.

De la gŽnŽration des corps

Examinons actuellement un autre systme relatif ˆ notre sujet. On a enseignŽ, quÕaprs la dissolution des Etres corporels, les dŽbris de ces corps Žtaient employŽs ˆ faire partie de la substance des autres corps. AssurŽment, les observateurs de la Nature se sont trompŽs dans cette doctrine, ainsi que dans les consŽquences quÕils en ont tirŽes. Car, dire que les corps se forment les uns des autres, et ne sont que divers assemblages successifs des mmes matŽriaux, cÕest une erreur aussi grande que de prŽtendre que la Matire est Žternelle. Ils se seraient bien gardŽs dÕavancer de pareilles opinions, sÕils avaient pris plus de prŽcautions pour marcher sžrement dans la connaissance de la Nature.

Les Principes universels de la Matire sont des Etres simples ; chacun dÕeux est un, ainsi quÕil rŽsulte de nos observations, et de lÕidŽe que nous avons donnŽe dÕun Principe en gŽnŽral : les principes innŽs de la moindre particule de matire doivent donc avoir la mme propriŽtŽ ; chacun dÕeux sera donc un et simple, comme les principes universels de cette mme Matire : il ne peut y avoir de diffŽrence entre ces deux sortes de principes, que dans la durŽe et dans la force de leur action, qui est plus longue et plus Žtendue dans les principes universels que dans les principes particuliers. Or lÕaction propre dÕun principe simple est nŽcessairement simple et unique elle-mme, et ne peut avoir, par consŽquent, quÕun seul but ˆ remplir ; elle a en elle tout ce quÕil lui faut pour lÕentier accomplissement de sa loi ; enfin, elle nÕest susceptible ni de mŽlange, ni de division.

Celle du principe universel matŽriel a donc les mmes facultŽs, et quoique les rŽsultats qui en proviennent, se multiplient, sՎtendent et se subdivisent ˆ lÕinfini, il est certain que ce Principe universel nÕa quÕun seul Ïuvre ˆ faire, et quÕun seul acte ˆ opŽrer. Lorsque son Ïuvre sera rempli, son action doit cesser, et tre retirŽe par celui qui lui avait ordonnŽ de la produire ; mais pendant toute la durŽe du temps, il est assujetti ˆ faire le mme acte et ˆ manifester les mmes effets.

Il en est ainsi des principes innŽs des diffŽrents corps particuliers ; ils sont soumis ˆ la mme loi dÕunitŽ dÕaction, et lorsque la durŽe en est accomplie, elle leur est Žgalement retirŽe.

Alors, si chacun de ces principes nÕa quÕune seule action, et quՈ la fin de cette action, ils doivent tous rentrer dans leur source primitive, nous ne pouvons avec raison attendre dÕeux de nouvelles formes, et nous devons conclure que les corps que nous voyons na”tre successivement, tirent leur origine et leur substance dÕautres Principes, que de ceux dont nous avons vu lÕaction suspendue dans la dissolution des corps quÕils avaient produits. Nous sommes donc obligŽs de chercher ailleurs la source dÕo doivent na”tre ces nouveaux corps.

Mais o pourrons-nous mieux la trouver que dans la force et lÕactivitŽ de cette double loi, qui constitue la Nature universelle corporelle, et qui se montre en mme temps sous mille faces diffŽrentes dans la production et les progrs des corps particuliers ?

Nous savons, en effet, que cette terre que nous habitons, ne pourrait exister et se conserver, si elle nÕavait en elle un principe vŽgŽtatif qui lui est propre ; mais quÕil faut nŽcessairement quÕune cause extŽrieure, qui nÕest autre chose que le Feu cŽleste ou planŽtaire, rŽagisse sur ce Principe pour que son action se manifeste.

Il en est de mme des corps particuliers ; chacun de ces corps provient dÕune semence, dans laquelle rŽside un germe ou principe innŽ, dŽpositaire de toutes ses propriŽtŽs et de tous les effets quÕil doit produire. Mais ce Germe resterait toujours dans lÕinaction, et ne pourrait manifester aucune de ses facultŽs, sÕil nՎtait aussi rŽactionnŽ par une cause extŽrieure ignŽe, dont la chaleur le met ˆ portŽe dÕagir sur tous les Etres corporels qui lÕenvironnent, lesquels, ˆ leur tour, pŽnŽtrant son enveloppe, lÕaiguillonnent, lՎchauffent, et le disposent ˆ soutenir lÕaction de la cause extŽrieure, pour la manifestation de ses propres fruits et de ses propres Vertus.

Et en effet, la cause extŽrieure ignŽe, opŽrant la rŽaction, aurait bient™t surmontŽ lÕaction des Principes individuels, et dŽtruit leurs propriŽtŽs, si le secours des Etres alimentaires ne venait renouveler leur force, et les mettre en Žtat de rŽsister ˆ la chaleur dŽvorante de cette cause extŽrieure. CÕest pour cela que si lÕon expose ˆ la chaleur, des Germes privŽs dÕaliments, ils se consument dans leur berceau, sans avoir produit la moindre partie de leur action ; cÕest pour cela aussi que des germes, qui ont ŽtŽ ˆ portŽe de commencer le cours de leur croissance, seraient encore plut™t consumŽs et dŽtruits, sÕils venaient ˆ manquer des aliments qui leur sont nŽcessaires pour se dŽfendre de lÕactivitŽ continuelle de la rŽaction ignŽe, parce quÕalors cette rŽaction, ayant dŽjˆ pŽnŽtrŽ jusquÕau germe, y peut dÕautant mieux dŽployer sa force destructive.

On voit par-lˆ que les aliments, dont nous parlons, sont eux-mmes un second moyen de rŽaction, que la Nature emploie pour lÕentretien et la conservation de ses ouvrages ; mais on le verra encore mieux dans la suite.

Telle est donc cette double loi universelle, qui prŽside ˆ la naissance et aux progrs des Etres corporels. Le concours de ces deux actions leur est absolument nŽcessaire, pour quÕils puissent vivre sensiblement ˆ nos yeux ; savoir, la premire action innŽe en eux, ou lÕaction intŽrieure, et lÕaction seconde ou extŽrieure, qui vient agiter et rŽactionner la premire, et jamais parmi les choses matŽrielles, un corps ne sÕest formŽ que par ce moyen.

Appliquons ˆ la constitution de lÕUnivers ce que nous avons dit de la Terre ; nous pouvons le regarder comme un assemblage dÕune multitude infinie de germes et de Semences, qui toutes ont en elles le principe innŽ de leurs lois et PropriŽtŽs, selon leur classe et selon leur espce, mais qui attendent, pour engendrer et se reproduire au-dehors, que quelque cause extŽrieure vienne les aider et les disposer ˆ la gŽnŽration. Ce serait mme lˆ, o lÕon trouverait lÕexplication dÕun phŽnomne qui Žtonne la multitude, savoir, pourquoi on trouve des vers dans des fruits sans piqžre, et des animaux vivants dans le cÏur des pierres ; cÕest, parce que les uns et les autres placŽs par la Nature, ou parvenus par filtration dans ces sortes de matras, y ont trouvŽ, ou y ont reu, par la mme voie de filtration, des sucs propres ˆ opŽrer sur eux la loi nŽcessaire de rŽaction. Mais ne nous Žloignons pas de notre sujet.

Voyons donc ˆ prŽsent quelle part les corps et les dŽbris des corps peuvent avoir ˆ la formation et ˆ lÕaccroissement des autres corps ; ils peuvent augmenter les forces des Etres corporels, et les soutenir contre la rŽaction continuelle du Principe extŽrieur ignŽ ; ils peuvent mme contribuer, par leur propre rŽaction, ˆ la manifestation des facultŽs des Germes, et en faire opŽrer les propriŽtŽs. Mais ce serait aller contre les Lois de la Nature, et mŽconna”tre lÕessence dÕun Principe en gŽnŽral, que de croire quÕils pourraient sÕimmiscer dans la substance de ces Germes. Ils peuvent, je le rŽpte, en tre le soutien et lÕaiguillon, mais jamais ils ne feront portion de leur essence. Les observations suivantes en seront la preuve.

De la destruction des corps

Nous avons Žtabli prŽcŽdemment que les principes des corps ne sont point Matire, mais des Etres simples ; quÕen cette qualitŽ, ils doivent avoir en eux tout ce qui est nŽcessaire ˆ leur existence, et quÕils nÕont rien ˆ emprunter des autres Etres. Ils nÕen emprunteraient pas mme le secours de cette rŽaction extŽrieure, dont nous venons de parler, si par lÕinfŽrioritŽ de leur nature, ils nՎtaient assujettis ˆ la double Loi qui rŽgit tous les Etres ŽlŽmentaires. Car il y a une Nature, o cette double Loi nÕest pas connue, et o les Etres reoivent la naissance sans le secours dÕEtres secondaires, et par les seules vertus de leur Principe gŽnŽrateur ; cÕest celle par o lÕhomme a passŽ autrefois. Mais, afin que notre marche soit plus sžre, ne comptons pour rien la thŽorie, jusquՈ ce que lÕexpŽrience vienne la justifier ; et dÕabord observons ce qui se passe dans la destruction des corps.

Cette destruction ne peut avoir lieu que par la cessation de lÕaction du Principe innŽ, producteur de ces corps, puisque cette action est leur vŽritable base et leur premier appui ; or ce Principe ne peut cesser dÕagir, que lorsque la Loi qui lÕasservissait ˆ lÕaction, est suspendue, parce quÕalors Žtant dŽlivrŽ de ses cha”nes, il se sŽpare de ses productions et rentre dans sa source originelle. Car tant que cette Loi opŽrerait, jamais lÕenveloppe ne pourrait cesser dՐtre sous sa forme naturelle et individuelle ; et si cette forme est sujette ˆ se dŽcomposer, ce ne peut tre que parce que la Loi de la rŽaction Žtant retirŽe, le Principe innŽ dans cette forme, et qui la fait exister, en liant ensemble les trois ŽlŽments dont elle est composŽe, se sŽpare de ces ŽlŽments, et les abandonne ˆ leurs propres Lois ; alors, ces Lois Žtant opposŽes les unes aux autres, les ŽlŽments qui sÕy trouvent livrŽs, se combattent, se divisent, et se dŽtruisent enfin tout ˆ fait ˆ nos yeux.

CÕest ainsi quÕinsensiblement les corps meurent, disparaissent, et sÕanŽantissent. Je ne vois donc plus dans un cadavre quÕune matire sans vie, privŽe du Principe innŽ qui en avait produit et qui en soutenait lÕexistence ; je ne vois dans ces dŽbris, que des parties qui sont encore soutenues par la prŽsence des actions secondaires que le Principe innŽ avait ŽmanŽes dans ce corps pendant la durŽe de sa propre action ; car ces Žmanations secondaires sont rŽpandues dans les moindres particules corporelles, mais elles se sŽparent elles-mmes successivement de leurs enveloppes particulires, aprs que leur Principe producteur a abandonnŽ le corps entier, dont leur rŽunion formait lÕassemblage.

QuÕest-ce donc, quÕun corps privŽ de la vie pourra dans le cours de sa dissolution, communiquer aux nouveaux corps, dont il seconde la croissance et la formation ? Sera-ce le Principe dominant ? Mais il nÕexiste plus dans le cadavre, puisque ce nÕest que par la retraite de ce Principe, que le corps est devenu cadavre. DÕailleurs chaque Germe, ayant son propre Principe innŽ et dŽpositaire de toutes ses facultŽs, il nÕa pas besoin de la rŽunion dÕun autre Principe. En un mot, deux Etres simples ne pouvant jamais se rŽunir, ni confondre leur action ; leur assemblage, bien loin de concourir ˆ la vie des nouveaux corps, ne ferait quÕen occasionner le dŽsordre et la destruction, puisquÕil nÕest pas possible de placer deux centres dans une circonfŽrence, sans la dŽnaturer.

Dira-t-on que les parties matŽrielles du corps qui se dissout, se rŽunissent et passent dans lÕessence des Germes ? Mais nous venons de voir, que chaque Germe est animŽ par un Principe, qui renferme en lui tout ce qui est nŽcessaire ˆ son existence. DÕailleurs, ne voyons-nous pas toutes les parties du cadavre se dissoudre successivement, et ne pas laisser aprs elles la moindre trace ? Ne savons-nous pas que cette dissolution particulire ne sÕopre, que par la sŽparation des Žmanations secondaires, qui Žtaient demeurŽes dans le cadavre, et que nous pouvons regarder chacune comme le centre de la partie quÕelle occupait ; mais alors nous ne pourrons nous dispenser de reconna”tre que les corps, que les parties des corps, que tout lÕUnivers nÕest quÕun assemblage de Centres, puisque nous voyons par gradation les corps se dissiper entirement. Or, si tout est centre, et si tous les centres disparaissent dans la dissolution, que restera-t-il dÕun corps dissous, qui puisse faire partie de lÕexistence et de la vie des nouveaux corps ?

CÕest donc une erreur, de croire que les Principes, soit gŽnŽraux, soit particuliers, des Etres corporels qui se dissolvent, aillent, aprs sՐtre sŽparŽs de leur enveloppe, animer de nouvelles formes, et que recommenant une nouvelle carrire, ils puissent vivre successivement plusieurs fois. Si tout est simple, si tout est un dans la Nature et dans lÕessence des Etres, il en doit tre de mme de leur action, et chacun dÕeux doit avoir sa t‰che particulire, simple et unique comme lui, autrement il y aurait faiblesse dans lÕAuteur des choses, et confusion dans ses ouvrages.

De la digestion

Mais, prenant la digestion animale pour exemple, on mÕobjectera sans doute, que dans la dissolution des aliments qui se fait par cette digestion, la plus grande quantitŽ en passe dans le sang, dans la lymphe, et dans les autres fluides de lÕindividu, et que delˆ, se portant dans toutes les parties du corps, lÕanimal en reoit lÕentretien et la subsistance ; alors on me demandera comment il se pourrait, que ces aliments ne fissent que fortifier lÕaction et la vie de lÕanimal qui les reoit, sans lui communiquer la moindre partie dÕeux-mmes, et sans que le feu innŽ en eux ne pŽnŽtr‰t le Principe et lÕEssence de cet individu, pour sÕy unir et en accro”tre lÕexistence.

Je rŽponds ˆ cela, que trs certainement le seul emploi des aliments est de soutenir la vie et lÕaction de lÕindividu qui les a dŽvorŽs ; il ne peut les recevoir comme des nouveaux Principes pour lui, ni comme une augmentation de son Etre, mais comme les agents dÕune rŽaction qui lui est nŽcessaire pour dŽployer ses forces et conserver son action temporelle ; et quoique aucun Etre corporel ne puisse se passer de cette rŽaction, il nÕy en a point dans qui elle nÕait sa mesure ; car il est constant, que si le Principe contenu dans lÕaliment pouvait sÕunir au Principe du corps qui sÕen nourrit, il nÕy aurait plus de mesure dans la Loi dÕaction, par laquelle ce dernier aurait ŽtŽ constituŽ.

De la RŽintŽgration des corps

Nous le savons par expŽrience et par les ravages que causent dans lÕanimal les cruditŽs et les viandes mal cuites et mal saignŽes ; nous savons, dis-je, combien une rŽaction trop vive est contraire ˆ la vie corporelle ; et nous ne pouvons nier que les Animaux qui sont destinŽs par leur nature, ˆ dŽvorer dÕautres Animaux, ne soient plus fŽroces et plus cruels, quÕils nÕaient, dis-je, un caractre plus avide et plus destructeur, que les Animaux qui ne se nourrissent que de VŽgŽtaux. CÕest que les premiers Žprouvent une rŽaction excessive, en recevant avec les chairs dont ils vivent, une grande quantitŽ de Principes animaux secondaires, et quÕils emploient tous les efforts de lÕaction innŽe en eux, pour opŽrer, avant le temps, la dissolution des enveloppes de ces Principes ; mais ceux-ci ne se trouvant point alors dans leur menstrue naturelle, emploient aussi toute leur force pour rompre ces cha”nes Žtrangres, et retourner ˆ leur source primitive.

Pendant ce combat, lÕindividu Žprouve une effervescence qui lÕagite et lÕentra”ne ˆ des actes dŽsordonnŽs, et il ne peut tre rendu ˆ un Žtat plus tranquille, quÕaprs que lÕenveloppe de ces Principes secondaires est dissoute et quÕils ont rejoint leur Principe gŽnŽrateur.

CÕest ˆ ce sujet, que nous devons bl‰mer, en passant, lÕusage de la plupart des Nations, qui ont cru honorer les Morts, soit en conservant leurs cadavres, soit en les consumant par le feu. LÕune et lÕautre de ces pratiques est Žgalement insensŽe et contraire ˆ la Nature. Car la vraie menstrue des corps, cÕest la terre, et la main des hommes nÕayant pu produire ces corps, elle ne devait pas tenter, ni dÕen dŽterminer, ni dÕen prolonger la durŽe, laissant ˆ chacun de leurs Principes, le soin de suspendre son action suivant sa Loi, et de se rŽunir dans son temps ˆ sa source.

De la femme

Je ne puis me dispenser non plus de mÕarrter un moment sur cette Proposition, que la vraie menstrue des corps cÕest la terre. CÕest dans elle, en effet, que doit se dŽcomposer principalement le corps de lÕhomme ; mais le corps de lÕhomme prend sa forme dans le corps de la femme ; lorsquÕil se dŽcompose, il ne fait donc que rendre ˆ la terre, ce quÕil a reu du corps de la femme. La terre est donc le vrai Principe du corps de la femme, puisque les choses retournent toujours ˆ leur source, et ces deux Etres Žtant si analogues lÕun ˆ lÕautre, on ne peut nier que le corps de la femme nÕait une origine terrestre ; nous rappelant ensuite quÕelle a ŽtŽ la premire origine corporelle de lÕhomme, nous verrions sensiblement pour quelle raison la femme lui est universellement infŽrieure.

Mais on sÕest Žtrangement ŽgarŽ, lorsquÕon a cru pouvoir porter cette diffŽrence au­-delˆ de la forme ou des facultŽs corporelles. La femme, quant au Principe intellectuel, a la mme source et la mme origine que lÕhomme ; car cet homme nՎtant condamnŽ quՈ la peine et non ˆ la mort, il fallait prs de lui un Etre de sa nature, et malheureux comme lui, qui par ses infirmitŽs et sa privation, le rappela ˆ la sagesse, en retraant continuellement ˆ ses yeux les suites amres de ses Žgarements : dÕailleurs lÕhomme nÕest point le pre de lÕEtre intellectuel de ses productions, comme lÕont enseignŽ des doctrines fausses et dÕautant plus funestes, quÕelles se sont appuyŽes sur des comparaisons prises dans la Matire, telles que les intarissables Žmanations du feu ŽlŽmentaire ; mais dans tout ceci est un Mystre que je ne croirai jamais assez enseveli. Reprenons la cha”ne de nos observations.

De la vŽgŽtation

Il y a un fait que les Naturalistes ne manqueront pas de mÕopposer, cÕest celui des liqueurs colorŽes quÕils font passer dans quelques plantes, parvenant ainsi ˆ varier la couleur des fleurs, et mme ˆ changer absolument celle qui leur appartenait par la Nature. Ma rŽponse sera simple, et tiendra ˆ tout ce que jÕai dit sur la digestion.

Toute plante a son Principe innŽ comme les autres corps ; les sucs, qui lui tiennent lieu dÕaliments, ne peuvent rien ajouter ˆ ce Principe ; mais ils lui servent de dŽfense contre la rŽaction de la cause extŽrieure ignŽe qui sans eux surmonterait et consumerait bient™t, par sa chaleur, les forces et lÕaction des Principes individuels. Alors on doit sentir, par le nombre infini des diffŽrentes substances qui peuvent servir dÕaliments aux Etres corporels, ˆ quelle variŽtŽ de rŽaction ils sont exposŽs. Il est vrai quÕil nÕy en a quÕune seule qui soit rŽellement propre ˆ chaque espce : mais la Nature des choses pŽrissables, comme les corps, et les rŽvolutions continuelles auxquelles ils sont soumis, les exposent ˆ en recevoir dՎtrangres, qui affaiblissent, qui contraignent leurs facultŽs, et mme qui les dŽtruisent tout ˆ fait, quoique le Principe de lÕEtre soit indestructible.

Ces rŽactions sont opŽrŽes, comme on le sait, par des Etres secondaires, qui sont aussi dŽpositaires dÕun Principe qui leur est propre. Ce Principe ne peut opŽrer de rŽaction, soit par lui-mme, soit par les Principes particuliers ŽmanŽs de lui, quÕils ne soient tous revtus de leur enveloppe corporelle, puisque tous les Etres simples ne sont ici-bas quՈ cette condition. Il est donc certain que lÕenveloppe de ces Principes secondaires passe, ainsi quÕeux, dans la masse corporelle des Plantes et des Animaux, pour leur servir dÕaliment, et pour les aider ˆ rŽsister ˆ lÕaction de la cause extŽrieure ignŽe. Il est certain quÕils y portent aussi leur couleur et toutes leurs propriŽtŽs. Mais, quoiquÕils passent dans ces diffŽrents individus, nous ne pourrons jamais admettre quÕils sÕy confondent, et quÕils fassent partie de leur substance.

Des aliments

Pour que ces enveloppes alimentaires parvinssent ˆ sÕunir avec la substance de lÕindividu qui sÕen empare, il faudrait que leurs Principes pussent rŽciproquement se confondre. Mais nous avons vu que ces Principes, Žtant des Etres simples, la rŽunion en est impossible, et puisque les enveloppes nÕont de propriŽtŽs que par leur Principe, la rŽunion des enveloppes est donc impossible aussi. Les aliments sont donc toujours des substances Žtrangres, quoique nŽcessaires ˆ lÕEtre qui les reoit, car on sait quÕils ne lui sont profitables, quÕautant quÕil en opre la dissolution.

Je pense quÕon nÕaura pas de peine ˆ convenir quÕil ne peut y avoir aucune espce de mŽlange, avant que cette dissolution soit commencŽe or, si la dissolution ne peut sÕopŽrer, sans avoir ŽtŽ prŽcŽdŽe de la retraite des Principes innŽs, si elle nÕest en elle-mme que division et destruction, comment se ferait-il que lÕindividu qui opre cette destruction, pžt tre confondu avec lÕenveloppe mme quÕil dŽtruit ?

En effet, si les aliments et les Principes quÕils renferment, pouvaient se confondre avec la substance et les Principes des Etres quÕils rŽactionnent, ils pourraient Žgalement leur tre substituŽs, et en prendre la place ; alors il serait facile de dŽnaturer entirement les individus et les espces ; il se pourrait quÕayant changŽ une fois la classe et la nature dÕun Etre, on en f”t autant sur toutes les classes qui existent, dÕo proviendrait une confusion gŽnŽrale, qui empcherait que nous fussions jamais sžrs du rang et de la place que les Etres doivent occuper dans lÕordre des choses.

Aussi la Loi, par laquelle la Nature a constituŽ ses productions, se refuse-t-elle absolument ˆ ces tentatives chimŽriques ; elle a donnŽ ˆ chacun des Etres corporels un Principe innŽ particulier, qui peut Žtendre, et qui Žtend souvent son action au-delˆ de la mesure ordinaire, par le secours des rŽactions forcŽes, et dÕun matras plus favorable, mais qui ne peut jamais perdre, ni changer son essence. Ce Principe, Žtant le producteur et le pre de son enveloppe, ne peut sÕen sŽparer, que lÕenveloppe nÕentre aussit™t en dissolution, et ne se dŽtruise insensiblement ; et il est de toute impossibilitŽ, quÕun autre Principe ou un autre Pre, vienne habiter cette enveloppe, et lui servir de soutien, car dans la Nature corporelle, il nÕy a point dÕadultres, ni de Fils adoptifs, attendu quÕil nÕy a rien de libre.

Du mŽlange des corps

Chaque Etre simple ou Principe a donc son existence ˆ part, et par consŽquent, une action et des facultŽs individuelles, qui sont aussi incommunicables que son existence.

QuÕon ne mÕobjecte point, que dans le mŽlange des liqueurs et des corps susceptibles de se lier, on aperoit des effets uns et simples, dont aucun de ces corps nՎtait capable en particulier ; car je ne craindrai point dÕassurer que, dans ces amalgames, lÕaction et la rŽaction des divers Principes les uns sur les autres ne produisent des rŽsultats uns et simples quÕen apparence, et ˆ cause de la faiblesse de nos organes, et que ces rŽsultats sont, en effet, combinŽs et produits par lÕaction propre et particulire ˆ chacun des Principes rassemblŽs.

Si cÕest un mŽlange de divers corps, qui ne soient susceptibles ni dÕaction, ni de rŽaction sensible les uns sur les autres, mais ayant chacun ˆ eux leur propriŽtŽ particulire de couleur, saveur, ou autre ; il rŽsulte de leur assemblage une troisime propriŽtŽ, qui nÕest rŽellement quÕun produit apparent des deux premires, lesquelles se trouvent mlŽes et combinŽes, mais point du tout unies et confondues. Car on ne me niera pas que dans ce fait, les Principes et leurs enveloppes restent parfaitement distincts et sŽparŽs, et quÕil nÕy a que la faiblesse de nos sens qui puisse nous empcher dÕapercevoir sŽparŽment les actions propres et particulires ˆ chacun de ces corps. On ne voit donc autre chose ici quÕune multitude de corps de mme espce, entassŽs ou rassemblŽs avec une multitude de corps dÕespce diffŽrente, mais conservant toujours leur existence, leurs facultŽs, et leur action propre et individuelle.

Si cÕest un corps solide jetŽ dans un fluide qui lui soit analogue, le fluide en surmonte la force et les propriŽtŽs, il en dŽtache les parties, il les divise, il dŽtruit leur soliditŽ apparente et sensible, il le dissout et para”t sÕen emparer. Par le moyen de cette dissolution, le fluide nous prŽsente, en effet, des rŽsultats, quÕil Žtait impossible de dŽcouvrir sŽparŽment dans lÕune ou lÕautre des substances qui ont formŽ lÕassemblage. Mais pourra-t-on en conclure quÕil sÕy fasse aucun mŽlange des Principes, et nÕest-il pas certain quÕil nÕy a lˆ quÕune simple extension de lÕaction du Principe dominant sur celle du Principe infŽrieur ; extension qui diminue et cesse mme, lorsque le Principe supŽrieur en force a actionnŽ une quantitŽ suffisante des corps quÕon a exposŽs ˆ son action, et y a consumŽ tout le pouvoir qui Žtait en lui ?

Si cÕest un corps solide qui sÕempare dÕun fluide, et qui lÕabsorbe ; ou deux fluides, qui par leur mŽlange, produisent des corps solides ou des amalgames indissolubles en apparence ; enfin, si ce sont des corps, qui dÕabord ne prŽsentaient en particulier ni force, ni propriŽtŽs, mais qui, par leur assemblage, produisent des effets surprenants, des flammes ardentes, des feux, des bruits, des couleurs vives et brillantes ; pourrait-on jamais dŽmontrer quÕil y ait dans aucun de ces faits, rŽunion, confusion ou communication dÕun Principe avec un autre Principe ? Puisque, si la force du Principe dominant nÕa fait que suspendre lÕaction du Principe le plus faible, sans en dŽtruire lÕenveloppe, alors il se peut que lÕArt parvienne encore a les sŽparer, et ˆ les remettre lÕun et lÕautre en leur premier Žtat ; ce qui est une preuve invincible de la VŽritŽ que je viens dՎtablir.

Si, toujours sans dŽtruire les enveloppes, le Principe supŽrieur en forces nÕa fait que diviser des assemblages, et si rendant les parties constituantes de ces masses ˆ leur libertŽ et ˆ leur tŽnuitŽ naturelle, il les a seulement repoussŽes par lՎvaporation, alors les Principes individuels de mme nature, qui Žtaient auparavant rassemblŽs, se trouvent, il est vrai, dispersŽs a et lˆ, sur la terre et dans les airs, mais sans avoir rien communiquŽ, ni perdu de leurs facultŽs, de leur substance, ou de leur action.

Mais, si au contraire le Principe dominant a par sa force et sa puissance dŽcomposŽ lÕenveloppe mme du Principe infŽrieur ; sÕil lÕa dissoute et dŽtruite, alors lÕaction du Principe infŽrieur est anŽantie, et bien loin quÕen terminant ainsi sa carrire, ce Principe ait pu sÕunir, ou communiquer son action au Principe dominant, cÕest que dans ce fait, lÕaction mme du Principe dominant se trouve bornŽe ˆ sa premire activitŽ, si elle nÕa ŽtŽ altŽrŽe, ou ŽpuisŽe, sans retour, par sa propre victoire.

 

Des semences vermineuses

Enfin, la confusion et la continuitŽ dÕaction du mme Principe dans diffŽrentes formes successives, ne se trouve pas davantage dans la naissance des vers et autres insectes qui paraissent ˆ la putrŽfaction des cadavres ; le Principe de lÕexistence de ces animalcules est Žgalement dans leur propre semence : car nos corps, comme tous ceux de la CrŽation, sont lÕassemblage dÕune multitude infinie de germes destructeurs, et de semences vermineuses qui nÕattendent, pour se produire et pour engendrer, quÕune rŽaction et des circonstances convenables.

Tant que nos corps subsistent dans la plŽnitude de leur vie et de leur action, le Principe dominant qui les dirige tenant toute lÕenveloppe dans lՎquilibre, en empche la dissolution, et contient lÕaction de ces germes destructeurs. Mais, quand ce Principe dominant vient ˆ abandonner cette enveloppe, alors les Principes secondaires nÕayant plus de lien, se sŽparent naturellement et laissent le champ ouvert ˆ tous ces animalcules ; ils aident mme ˆ leur naissance et ˆ leur accroissement, par une rŽaction et une chaleur propre ˆ leur faire percer leur enveloppe sŽminale.

Alors, les dŽbris du cadavre servent de p‰ture ˆ ces insectes, et passent en eux comme les aliments passent par la digestion dans tous les corps vivants ; dans les uns et dans les autres, mme dissolution, mme emploi des Principes innŽs ; mais, ni dans les uns, ni dans les autres, le Principe du corps dissous ne passe dans le corps vivant pour lÕanimer ; car, je lÕai assez Žtabli, chaque Etre a la vie en soi, et nÕa besoin que dÕune cause extŽrieure, pour mettre en action et soutenir son propre principe.

UnitŽ dÕaction dans les principes

Il est donc Žvident que, dans les actes les plus cachŽs des Etres corporels, tels que la formation, la naissance, lÕaccroissement et la dissolution, les Principes ne se mŽlangent et ne se confondent jamais avec les Principes.

Les aliments ne sont donc que des moyens de rŽaction propres ˆ garantir les corps vivants de lÕexcs de lÕaction ignŽe qui dŽvore et dissout successivement ces Etres alimentaires, comme elle dissoudrait sans eux le corps vivant lui-mme. Ainsi ils ne sont pas, comme le croient les Observateurs et la multitude aprs eux, des matŽriaux dont lÕEtre qui se forme doive tre composŽ, puisque cet Etre a tout en lui avec la vie, que les Etres alimentaires Žtant dissous nÕont plus rien ; et que ce qui pourrait leur rester se perd continuellement ˆ mesure que les Principes particuliers se sŽparent de leur enveloppe, et vont se rŽunir ˆ leur source originelle.

Faux systme sur la matire

Ainsi, cette mutation apparente des formes ne doit plus nous sŽduire, jusquՈ nous faire croire que les mmes Principes recommencent une nouvelle vie ; mais nous resterons persuadŽs que les nouvelles formes que nous voyons sans cesse na”tre et se reproduire sous nos yeux, ne sont que les effets, les rŽsultats et les fruits de nouveaux Principes qui nÕavaient point encore agi ; et nous aurons sžrement de lÕAuteur des choses, lÕidŽe qui lui convient, lorsque nous dirons que tout Žtant simple, tout Žtant neuf dans ses ouvrages, tout doit y para”tre pour la premire fois.

CÕest par de telles vŽritŽs que nous dŽmontrons de nouveau, combien lÕopinion de lՎternitŽ de la Matire est contraire aux Lois de la Nature. Car, non seulement ce ne sont pas les mmes Principes innŽs qui demeurent continuellement chargŽs de la reproduction successive des corps ; mais il est certain quÕun Principe quelconque ne peut avoir quÕune seule action, et par consŽquent, quÕun seul cours. Or, il est assez visible que le cours des Etres particuliers qui composent la Matire est bornŽ, puisquÕil nÕy a pas un instant o nous nÕen apercevions la fin, et que le temps nÕest sensible que par leur continuelle destruction.

Mais il ne faut plus tre ŽtonnŽs des erreurs qui ont rŽgnŽ jusquՈ prŽsent sur cet objet, et si nous adoptions les opinions dont elles sont les suites, il nÕy aurait point de termes ˆ nos Žgarements. Les Observateurs, ayant ˆ peine fait un pas pour distinguer la Matire dÕavec le Principe qui soutient et engendre cette Matire, donnent ˆ lÕune ce qui nÕappartient quՈ lÕautre. Ils regardent leur Matire premire, comme Žtant toujours et essentiellement la mme, recevant seulement et sans cesse une multitude de formes diffŽrentes ; ainsi, la confondant avec son Principe agent, intŽrieur, innŽ, ils nous disent que nÕy ayant quÕune seule Essence dans la Matire, il ne peut y avoir quÕune seule action universelle dans cette Matire ; et que, par consŽquent, la Matire est permanente et indestructible.

Je les prie dÕapprofondir ce que jÕai dit au commencement de cet ouvrage, sur lÕorigine et la nature du bien et du mal. JÕai fait voir quÕil rŽpugne ˆ tout homme de sens, dÕadmettre que des propriŽtŽs diffŽrentes aient la mme source. Appliquons donc ceci aux diffŽrentes propriŽtŽs que la Matire manifeste ˆ nos yeux, et voyons sÕil est vrai quÕil nÕy ait quÕune seule essence matŽrielle.

DiversitŽ des essences matŽrielles

Je demande si lÕaction du feu est semblable ˆ celle de lÕeau ; si lÕeau agit comme la terre, et si nous ne voyons pas dans ces ŽlŽments des propriŽtŽs non seulement diffŽrentes, mais mme tout ˆ fait opposŽes ; cependant ces ŽlŽments, quoique Žtant plusieurs, sont vraiment la base et le fondement de toutes les enveloppes matŽrielles. Il nous est donc impossible dÕadopter avec les Observateurs, quÕil nÕy ait quÕune seule essence dans les corps, lorsque nous voyons leurs propriŽtŽs se montrer si diffŽremment ; loin donc, ainsi quÕils le prŽtendent, que la mme Matire soit continuellement employŽe dans la successive rŽvolution des formes, il nÕen est seulement pas deux, dans lesquelles on puisse raisonnablement lÕadmettre.

Je ne cesserai donc de rŽpŽter que lÕessence des corps nÕest point unique, comme ils le croient ; que toutes les formes sont le rŽsultat de leurs Principes innŽs, qui ne peuvent manifester leur action que sous la Loi gŽnŽrale de trois ŽlŽments, essentiellement diffŽrents par leur nature ; quÕun rŽsultat de cette espce ne peut tre considŽrŽ comme un Principe, attendu que nՎtant point un, il est exposŽ ˆ varier, et il dŽpend de lÕaction plus ou moins forte de lÕun ou lÕautre de ces ŽlŽments ; quÕainsi la Matire ne peut tre stable et permanente, ni passer successivement dÕun corps ˆ lÕautre, mais que ces corps proviennent tous de lÕaction dÕun Principe nouveau et par consŽquent diffŽrent.

En un mot, cette diffŽrence de tous les Principes innŽs est assez sensible, si lÕon observe que toutes les classes et tous les Rgnes de la Nature corporelle sont marquŽs par des caractres frappants et distinctifs : si lÕon observe, dis-je, lÕopposition qui rgne entre la plupart des classes et des espces ; cÕest lˆ ce qui fera convenir que ces Principes innŽs et agents des divers corps, sont nŽcessairement diffŽrents. Car pour que le Principe agent, intŽrieur et innŽ des corps fžt le seul, ou le mme, dans toute la Nature, il faudrait quÕil ag”t partout, et quÕil reparžt continuellement et dÕune manire uniforme dans les divers corps.

Mais, aprs avoir reconnu cette diffŽrence individuelle des Principes, rappelons-nous avec quelle prŽcision et quelle exactitude chacun dÕeux opre lÕaction particulire qui lui est imposŽe, et nous complŽterons par-lˆ lÕidŽe que nous avons dŽjˆ donnŽe de ces Principes des Etres corporels, en disant quÕils ne peuvent point tre un assemblage, comme les essences de la matire, mais quÕils sont des Etres simples, dŽpositaires de leur Loi et de toutes leurs facultŽs ; des Etres dŽpositaires dÕune seule action, comme tout Etre simple ; cÕest-ˆ-dire des Etres indestructibles, mais dont lÕaction sensible doit finir, et finit ˆ tout instant, parce quÕils ne sont prŽposŽs que pour agir dans le temps, et pour composer le temps.

Du systme des dŽveloppements

Je nÕai plus quÕune lŽgre remarque ˆ faire aux Observateurs de la Nature sur un mot quÕils emploient, en traitant des corps. Ils en annoncent la naissance et lÕaccroissement sous le nom de dŽveloppement. Nous ne pouvons leur passer cette expression ; parce que, sÕil Žtait vrai que les corps ne fissent que se dŽvelopper, il faudrait quÕils fussent entiers dans leurs germes ou dans leurs Principes. Or, si ces corps Žtaient essentiellement et rŽellement contenus dans les Principes, ils en feraient dispara”tre leur qualitŽ primitive dÕEtre simple ; alors ils ne seraient plus indivisibles, ni par consŽquent revtus de lÕimmortalitŽ, ou il faudrait pour la conserver aux Principes, la conserver aussi aux Etres corporels qui y seraient renfermŽs ; ce serait accorder ce que nous avons niŽ jusquՈ prŽsent, et contredire grossirement ce que nous avons Žtabli.

Si les Observateurs ne veulent pas sÕexposer aux consŽquences les plus absurdes, il faut donc quÕils sÕaccoutument ˆ ne point regarder la croissance des Etres corporels comme un dŽveloppement, mais comme lÕÏuvre et lÕopŽration du Principe innŽ, producteur des essences matŽrielles qui les dispose et les conforme selon la Loi particulire quÕil porte avec lui. Je sais que ceux ˆ qui je mÕadresse, sont bien loin de souponner une pareille doctrine, et quÕils seront peu disposŽs ˆ lÕadmettre ; car rien nÕest plus opposŽ ˆ leurs pensŽes et ˆ la manire dont ils ont envisagŽ la Nature jusquՈ prŽsent ; cependant je leur prŽsente ces VŽritŽs avec confiance, et dans la conviction o je suis quÕils nÕen peuvent mettre aucune autre ˆ la place.

Je ne sais pas mme comment, en admettant la croissance de lÕEtre corporel par le dŽveloppement, ils ont pu sÕarrter un moment ˆ lÕidŽe que jÕai combattue plus haut, sur le passage et la rŽunion des parties diffŽrentes dÕun corps dans un autre corps ; car, si le germe ne fait que se dŽvelopper, il faut donc quÕil ait en lui toutes ses parties ; or, sÕil a toutes ses parties, pourquoi aurait-il besoin des parties dÕun autre corps pour se former ?

Mais, quÕon ne croie pas pouvoir tourner lÕargument contre moi, et dire que si je nie que toutes les parties dont la formation est nŽcessaire ˆ la corporisation complte dÕun Etre matŽriel, soient contenues dans son germe, cÕest convenir quÕil doit recevoir du dehors les matŽriaux de son accroissement ; ce qui serait, sans doute trs contraire aux VŽritŽs que jÕai t‰chŽ dÕexposer sur la Nature. Cette Nature est vivante partout, elle a en elle le mobile de tous ses faits, sans avoir besoin que les germes renferment en eux lÕassemblage abrŽgŽ de toutes les parties qui doivent un jour leur servir dÕenveloppe. II ne leur faut que la facultŽ de les produire, et ils lÕont. Ds lors, sÕils ont cette facultŽ, tous les autres expŽdients quÕon a inventŽs pour expliquer la croissance et la formation des Etres corporels, deviennent superflus ; car les Observateurs nÕy avaient eu recours quÕaprs avoir mŽconnu dans la Matire, le Principe innŽ de sa vie et de son action, et quÕaprs avoir ainsi imaginŽ quÕelle Žtait essentiellement morte et stŽrile. Un mot de plus achvera de proscrire entirement cette idŽe de dŽveloppement des Etres corporels ; cÕest que sÕil avait lieu, il nÕy aurait point de monstres, puisque tout aurait ŽtŽ crŽŽ rŽgulier ; et que sÕil nÕy avait quÕun dŽveloppement, lÕAuteur des choses nÕaurait plus rien ˆ faire. Or nous sommes loin de croire quÕil puisse, ni lui, ni tout ce quÕil a produit, demeurer dans lÕinaction.

RŽcapitulation

Je bornerai lˆ mes observations sur la manire dŽfectueuse dont les hommes ont considŽrŽ lÕessence de la nature corporelle ; jÕose croire que sÕils veulent mŽditer ce que je leur ai annoncŽ, ils avoueront que cÕest pour nÕavoir pas distinguŽ la Matire dÕavec son Principe, quÕils se sont si souvent ŽgarŽs ; et dÕaprs ce que je viens de dire sur la formation des Etres la mutation continuelle des formes, la distinction des essences dÕavec leur Principe innŽ, les propriŽtŽs et la simplicitŽ de ce Principe, tant dans le particulier que dans lÕuniversel, et sur lÕunitŽ de son action qui nÕest ordonnŽe que pour un temps, ils conviendront que les Principes des diffŽrents Etres corporels ne se confondent point, ni ne se communiquent point, par la raison quÕils sont indivisibles ; quՎtant indivisibles, ils ne peuvent jamais se dissoudre ; quÕils sont distincts entre eux, tant par la nature particulire de leur action, que par le terme de sa durŽe ; ce qui sÕannonce par la destruction des ŽlŽments qui composent la Matire ; quÕil rŽsulte de-lˆ une infinitŽ de combinaisons corporelles successives, dÕo les Observateurs ont trop lŽgrement conclu que les corps se succŽdant sans cesse, la matire qui leur sert de base est impŽrissable. Car, loin de la regarder comme Žternelle, ils doivent convenir avec nous, quÕil nÕy a pas un seul instant o elle ne se dŽtruise, puisque dans elle une action fait toujours place ˆ lÕautre. Ils ne se flatteront plus alors, comme les Alchymistes, dÕune revivification continuelle qui les mette eux et tous les corps ˆ lÕabri de la dissolution ; car, si lÕexistence des corps nÕa quÕune durŽe limitŽe, ce terme une fois arrivŽ, il serait impossible de retarder leur destruction, sans y joindre un nouveau Principe, ˆ celui qui est prt ˆ sÕen sŽparer ; or nous avons vu que ceci ne pouvait arriver dans lÕordre mme naturel des choses ; les hommes croiraient-ils donc leurs pouvoirs supŽrieurs ˆ la Nature et aux Lois qui constituent les Etres ?

Ainsi, ayant appris ˆ distinguer la Matire dÕavec le Principe qui lÕengendre, et ayant reconnu les diffŽrentes actions qui se manifestent dans cette Matire, ils ne croiront plus ˆ toutes ces identitŽs chimŽriques qui leur ont fait insensiblement tout confondre, mme le bien et le mal. Portons actuellement notre vue sur des objets plus ŽlevŽs.

 

3

Encha”nement des erreurs

SÕIL Žtait possible quÕune erreur ne fžt pas toujours la source dÕune infinitŽ dÕautres erreurs, je semis peu sensible ˆ celles que je viens de combattre, concernant le Principe, et les Lois de la Matire ; car la connaissance de ces objets nՎtant pas dÕune grande importance, de pareilles mŽprises ne peuvent pas tre bien dangereuses par elles-mmes. Mais, dans lՎtat des choses, ces Erreurs se tiennent entre elles comme les VŽritŽs; et de mme que nos preuves contre les faux raisonnements des hommes se sont mutuellement servies dÕappui, de mme leurs opinions sur les corps, et les fragiles consŽquences quÕils en ont tirŽes, ont en effet pour eux, les suites les plus funestes, parce quÕelles sont essentiellement liŽes avec des choses dÕun ordre supŽrieur.

Aprs avoir confondu dans les corps particuliers, la Matire avec le Principe de la Matire, les hommes, ŽgarŽs au premier pas, nÕont plus ŽtŽ en Žtat, ni de dŽcouvrir la vŽritable essence de cette Matire, ni de discerner le Principe qui la soutient et qui lui donne lÕaction et la vie; ayant ainsi assimilŽ les deux natures qui constituent toute la rŽgion ŽlŽmentaire, ils nÕont pas eu lÕidŽe de chercher sÕil y en avait une diffŽrente et supŽrieure.

En effet, nous avons vu quÕils se sont exposŽs ˆ cette vicieuse alternative, ou de donner au Principe les bornes et les sujŽtions de la Matire, ou de donner ˆ la Matire les droits et les propriŽtŽs du Principe. Ds lors le Principe des corps et les parties grossires qui les constituent, nՎtant pour eux quÕune seule et unique chose ; ils sont facilement parvenus, en raisonnant de la mme manire, ˆ confondre aussi ces corps et leur Principe, avec des Etres dÕune Nature indŽpendante de la Matire.

Ainsi, dՎchelons en Žchelons, ils ont bient™t Žtabli une ŽgalitŽ universelle entre tous les Etres, en sorte quÕil faudrait admettre avec eux, ou que la Matire est elle-mme la cause de tout ce qui sÕopre, ou que la cause qui fait opŽrer la Matire nÕest pas plus intelligente que les Principes que nous avons reconnu dans cette Matire ; ce qui revient absolument au mme. Car, donner ˆ la Matire, comme ils le font, des propriŽtŽs aussi Žtendues, cÕest annoncer quÕelle a tout en elle ; or, si elle a tout en elle, quelle nŽcessitŽ y a-t-il quÕun Etre intelligent veille sur elle et la dirige, puisquÕelle peut se diriger elle-mme ? Alors, que serait-ce donc que cet tre intelligent, si les hommes lui refusent la connaissance et lÕaction sur cette Matire ? Et lui ™ter ce pouvoir, ne serait-ce pas lui ™ter lÕintelligence, puisquÕil y aurait quelque chose au-dessous de lui, qui lui serait inconnu, et quÕil ne pourrait concevoir.

Voilˆ le cercle Žtroit dans lequel des hommes imprudents voudraient renfermer nos connaissances et nos lumires.

Je sais que la plupart dÕentre eux ont aperu les suites dangereuses de leurs principes, et que sÕils sÕy laissent entra”ner, cÕest moins par conviction et par gožt, que par dŽfaut de prŽcautions, mais ils nÕen sont pas moins bl‰mables de sՐtre exposŽs ˆ ces inconsŽquences. LÕhomme est ˆ tout moment susceptible de sՎgarer, surtout quand il veut seul porter la vue sur des objets dont son exil obscurcit en lui la connaissance. NŽanmoins, malgrŽ sa privation, il y a des Erreurs quÕil est coupable de ne pas Žviter.

Celles dont il sÕagit sont de ce nombre, et avec un peu de bonne foi et les principes que nous avons Žtablis, il est impossible que les Auteurs de pareils systmes leur trouvent encore quelque vraisemblance.

Je pourrais mÕen tenir ˆ ce que jÕai dŽjˆ dit sur la diffŽrence des Etres sensibles et des Etres intelligents, et aux preuves que jÕai donnŽes que les plus rares facultŽs dÕun Etre corporel, ne peuvent pas sՎlever au-delˆ du sensible, ainsi que je lÕai fait remarquer dans les Animaux, qui tiennent le premier rang parmi les trois Rgnes de la Nature ; confrontant ensuite les mouvements et la marche des Animaux, avec les facultŽs dÕun autre ordre que nous avons dŽcouvertes si Žvidemment dans lÕhomme, nous ne pourrions plus douter dŽsormais que cet homme ne soit un Etre intelligent; nous ne pourrions nier Žgalement quÕil nÕy ait dÕautres Etres douŽs de cette facultŽ dÕintelligence, puisque nous avons vu que dans lՎtat o lÕhomme se trouve ˆ prŽsent, il nÕa rien ˆ lui, et quÕil est obligŽ dÕattendre tout du dehors, jusquՈ la moindre de ses pensŽes.

De plus, nous rappelant que parmi les pensŽes qui lui sont communiquŽes, il ne peut se dispenser dÕavouer quÕil nÕy en ait qui rŽpugnent ˆ sa nature, et dÕautres qui y sont analogues, en sorte quÕil ne saurait raisonnablement les attribuer ˆ un seul et mme Principe, nous aurions dŽjˆ suffisamment prouvŽ lÕexistence de deux Principes extŽrieurs ˆ lÕhomme, et par consŽquent, extŽrieurs ˆ la Matire, puisquÕelle est infiniment au-dessous de lui.

Droits des tres intelligents

Alors, je le rŽpte, on, ne pourrait refuser lÕintelligence ˆ ces deux Principes opposŽs, puisque dans lՎtat de rŽprobation que nous subissons, ils sont les seuls par qui nous puissions sentir notre intelligence. Or, sÕils sont intelligents, il faut quÕils connaissent et conoivent tout ce qui est au-dessous dÕeux; car sans cela ils ne jouiraient pas de la moindre des facultŽs de lÕintelligence; sÕils connaissent et conoivent ce qui est au-dessous dÕeux, il ne se peut que, comme Etres actifs, ils ne sÕen occupent, soit pour dŽtruire, si cÕest le Principe mauvais; soit pour conserver, si cÕest lÕEtre bon.

Par-lˆ nous pourrions dŽmontrer aisŽment que la Matire ne va pas toute seule. Mais cÕest dans elle-mme quÕil en faut chercher les preuves, pour dissuader ceux qui lui ont attribuŽ une activitŽ essentielle ˆ sa Nature.

Nous avons Žtabli les Principes de la Matire, tant gŽnŽraux que particuliers, comme renfermant en eux la vie et les facultŽs corporelles qui doivent en provenir. Nous avons ajoutŽ que, malgrŽ cette propriŽtŽ indestructible et innŽe dans ces Principes, ils ne pourraient jamais rien produire, sÕils nՎtaient rŽactionnŽs et rŽchauffŽs par les Principes ardents extŽrieurs, destinŽs ˆ mettre en action leurs facultŽs, et cela en vertu de cette double Loi qui assujettit tout Etre corporel, et qui prŽside ˆ toutes les actions et ˆ toutes les gŽnŽrations de la Matire.

Du principe du mouvement

CÕest dŽjˆ sans doute une marque de faiblesse et dÕassujettissement dans le Principe de lÕEtre corporel, dÕavoir la vie en soi, et de ne pouvoir de soi-mme la mettre en action. Cependant nous ne pouvons douter que ce Principe de vie innŽ dans le germe de tout Etre corporel, ne soit au-dessus des Principes ardents extŽrieurs, qui nÕemploient sur lui quÕune simple rŽaction secondaire, sans pouvoir rien lui communiquer dÕessentiel ˆ son existence. Alors, si ces Principes ardents sont infŽrieurs au Principe de vie quÕils viennent rŽactionner, ils peuvent encore moins que lui, se mettre dÕeux-mmes en action.

Ce serait en vain quÕon parcourrait le cercle de la rŽvolution des Etres corporels, pour y trouver le premier Principe de cette action; et si lÕon finissait par dire que ces Etres se rŽactionnant mutuellement, nÕont pas besoin dÕune autre cause pour produire ce qui est en eux, on serait obligŽ dÕadmettre, que dÕabord le premier mouvement aurait ŽtŽ communiquŽ ˆ ce cercle dans lequel ils sont renfermŽs; car les Principes les plus actifs parmi les Principes corporels, ne pouvant rien, sans la rŽaction dÕun autre Principe, comment ceux qui leur sont infŽrieurs pourraient-ils se passer de cette rŽaction ? On voit par lˆ, quՈ quelque point du cercle quÕon fasse commencer la premire action, il est de toute nŽcessitŽ que cette action commence.

Je demande donc aux Observateurs de bonne foi, sÕils conoivent ˆ prŽsent que ce commencement dÕaction puisse se trouver dans la Matire, et appartenir ˆ sa Nature; et si au contraire, elle ne leur dŽmontre pas physiquement sa dŽpendance originelle par cette Loi irrŽvocable, qui soumet le Principe de sa reproduction journalire, au concours et ˆ lÕaction dÕun autre Principe.

Ils doivent dÕautant moins douter de cette VŽritŽ, que les moyens quÕils emploient pour la dŽtruire, sont, au contraire, ce qui sert le mieux ˆ lՎtayer. QuÕon mette, disent-ils, telles et telles matires ensemble, et on y apercevra bient™t de la fermentation, de la putrŽfaction et une production ; mais si ces matires pouvaient seules se rapprocher les unes des autres, serait-il nŽcessaire de les mettre ensemble ? Alors, si ces manipulations particulires ne peuvent avoir lieu, sans le secours dÕune main Žtrangre, lÕuniversel ne sera-t-il pas dans le mme cas, puisque sa nature nՎtant pas diffŽrente de celle de toutes les parties de la Matire, il nÕa rien de plus quÕelles, et ne peut se conduire par une autre loi ?

Mobile de la Nature

Ainsi, je crois pouvoir annoncer la nŽcessitŽ dÕune cause intelligente et active par elle-mme, qui ait communiquŽ la premire action ˆ la Matire, comme elle la lui communique continuellement dans les actes successifs de sa reproduction et de sa croissance, et dans tous les effets quÕelle manifeste ˆ nos yeux. Non seulement on ne peut concevoir que cette Matire ne tienne pas son origine dÕune Cause qui soit hors dÕelle, mais on voit que mme aujourdÕhui, il faut nŽcessairement quÕil y ait une cause qui dirige sans cesse toutes les actions de cette Matire, et quÕil nÕy a pas un seul instant o elle pžt vivre et se soutenir, si elle Žtait abandonnŽe ˆ elle-mme, et privŽe de ses Principes de rŽaction.

Enfin, sÕil a fallu une Cause pour donner la premire action ˆ la Matire, sÕil faut encore et toujours le concours de cette Cause pour entretenir la Matire, il nÕest plus possible de se former lÕidŽe de cette Matire, sans avoir ˆ la fois celle de sa Cause, qui seule la fait tre ce quÕelle est, et sans laquelle elle ne peut pas avoir un moment dÕexistence : et de mme que je ne puis concevoir la forme dÕun corps, sans le Principe innŽ qui lÕa produite, de mme je ne puis concevoir lÕactivitŽ des Corps et de la Matire sans une cause physique, mais immatŽrielle, active et intelligente ˆ la fois, supŽrieure aux Principes corporels, et qui leur donne ce mouvement et cette action que je vois en eux, mais que je sais ne pas leur appartenir essentiellement.

Ceci peut suffire pour expliquer tous les PhŽnomnes rŽguliers de la Nature, o reconnaissant pour chef et pour guide, une Cause supŽrieure, ˆ qui nous ne pouvons refuser lÕintelligence, nous regarderons lÕordre et lÕexactitude qui rgnent dans lÕUnivers, comme un effet et une suite naturelle de lÕintelligence de cette mme Cause.

Alors, rien ne nous Žtonnera plus dans cette Nature, toutes ses opŽrations et mme la destruction des Etres, nous para”tront simples et conformes ˆ sa Loi, parce que la mort nÕest point un nŽant, mais une action, et que le temps qui compose cette Nature, nÕest quÕun assemblage et une succession dÕactions, tant™t crŽatrices et tant™t destructrices. En un mot, nous devons nous attendre ˆ trouver partout dans lÕUnivers, le caractre et les tŽmoignages de la Sagesse qui lÕa construit et qui le soutient.

Des dŽsordres de la Nature

Mais, autant cette VŽritŽ se fait sentir ˆ la pensŽe de lÕhomme, autant il est frappŽ des dŽsastres et de la confusion quÕil aperoit si souvent dans la Nature ; ˆ qui donc attribuer ce contraste ? Serait-ce ˆ cette Cause active et intelligente, qui est le vŽritable Principe de la perfection des choses corporelles ? Il nÕest pas possible de sÕarrter un instant ˆ cette idŽe; et il rŽpugne absolument de penser que cette Cause puissante agisse ˆ la fois pour elle-mme et contre elle-mme.

Que ce spectacle difforme ne lui enlve donc aucun de nos hommages, et nÕaffaiblisse point notre vŽnŽration pour elle. Aprs ce quÕon a vu sur la double Loi intellectuelle, cÕest-ˆ-dire, sur lÕopposition des deux Principes, nous devons savoir ˆ qui on peut attribuer les maux et les dŽsordres de la Nature, quoique ce ne soit pas encore ici le lieu de parler des motifs qui les font opŽrer.

Mais la puŽrile dŽfiance de ces VŽritŽs est un des obstacles qui a le plus retardŽ les progrs de nos connaissances et de la lumire; cÕest la principale cause des Erreurs, o les idŽes des hommes les ont entra”nŽs sur ces objets, et de lÕincertitude de tous les raisonnements quÕils ont fait pour expliquer la Nature des choses.

Cause distincte de la matire

SÕils se fussent mieux appliquŽs ˆ considŽrer les deux divers Principes quÕils Žtaient forcŽs de reconna”tre, ils auraient aperu la diffŽrence et lÕopposition de leurs facultŽs et de leurs actions, ils auraient vu que le Mal est absolument Žtranger au Principe du bien; agissant par son propre pouvoir sur les productions temporelles de ce Principe, avec lesquelles il est emprisonnŽ, mais nÕayant aucune action rŽelle sur le bien mme, qui plane au-dessus de tous les Etres, soutient ceux qui par leur nature, ne peuvent se soutenir eux-mmes, et laisse agir et se dŽfendre ceux ˆ qui il a accordŽ le privilge de la LibertŽ. Ils auraient vu, dis-je, quoique la Sagesse ait disposŽ les choses, de manire que le mal soit souvent lÕoccasion du bien, cela nÕempche pas que dans le moment o ce mal agit, il ne soit mal, et que ds lors on ne puisse en aucune faon attribuer son action au Principe du Bien.

Ce serait donc lˆ ce qui pourrait aider encore ˆ nous convaincre de la fragilitŽ des systmes des hommes, et nous confirmer dans les principes o nous sommes, que ce nÕest quÕen distinguant la vŽritable nature et les vŽritables PropriŽtŽs des diffŽrents Etres, quÕon peut parvenir ˆ sÕen former une idŽe juste; mais il est temps de retourner ˆ notre sujet.

Si les observations que nous venons de faire sur les Lois qui dirigent la formation des corps, nous ont fait dŽcouvrir la nŽcessitŽ dÕune Cause supŽrieure et intelligente; si nous avons vu que les deux agents infŽrieurs, savoir, le Principe premier, innŽ dans les germes, et le Principe secondaire, opŽrant la rŽaction, ne sont pas suffisants par eux-mmes, pour produire la moindre corporisation ; cÕest la Nature mme et la Raison qui nous enseignent ces vŽritŽs, et il nÕest plus permis dÕen douter.

Je dois nŽanmoins fortifier cette doctrine par une observation simple, qui lui donnera beaucoup plus de poids et dÕautoritŽ ; je ferai donc remarquer que la cause active, supŽrieure, universelle, temporelle, intelligente, ayant en cette qualitŽ la connaissance et la direction des Etres infŽrieurs, a sur eux une influence qui sÕaugmentera sans doute infiniment ˆ nos yeux, si nous observons que cÕest par son action que tous les Etres corporels ont pris originairement leur forme, et que cÕest aussi par cette action quÕils sÕentretiennent et se reproduisent comme sÕils sÕentretiendront et se reproduiront par elle pendant toute la durŽe du temps.

Les facultŽs dÕun Etre si puissant doivent sžrement sՎtendre ˆ toutes les Ïuvres quÕil dirige, il doit tre tel quÕil puisse veiller ˆ tout, prŽsider ˆ tout, cÕest-ˆ-dire, embrasser toutes les parties de son ouvrage.

Des causes temporelles

Nous devons donc prŽsumer quÕil a lui-mme dirigŽ la production de la substance qui sert de fondement aux corps, comme il a dirigŽ ensuite la corporisation de cette mme substance ; et que son pouvoir et son intelligence sՎtendent ˆ lÕessence des corps, ainsi quÕaux actions qui les ont formŽs. Simple dans sa Nature et dans son action, comme tous les Etres simples, ses facultŽs doivent se montrer par tout sous le mme caractre, et quoiquÕil y ait une distinction entre la production des germes de la Matire et la corporisation des formes qui en sont provenues, il ne se peut cependant que la Loi qui a dirigŽ lÕune et lÕautre, soit diffŽrente, autrement il y aurait diversitŽ dÕaction ; ce qui rŽpugne absolument ˆ tout ce que nous avons observŽ.

Car nous avons indiquŽ prŽcŽdemment, que les essences ou les ŽlŽments dont les corps sont universellement composŽs, Žtaient au nombre de trois, cÕest par le nombre de trois que sÕest manifestŽe la Loi qui a dirigŽ la production des ŽlŽments ; il faut donc que ce soit aussi par le nombre de trois que se manifeste la Loi qui a dirigŽ et qui dirige la corporisation de ces mmes ŽlŽments. CÕest la nŽcessitŽ de lÕaction simple dans un Etre simple, qui commence ˆ nous faire sentir cette analogie ; mais, quand lÕuniformitŽ de cette Loi se trouve confirmŽe par le plus sŽvre examen, et par le fait mme, alors elle devient pour nous une rŽalitŽ.

Ce serait, en effet, profaner lÕidŽe quÕon doit avoir de la Cause intelligente, que de ne pas reconna”tre son action Žvidente sur des Etres qui ne peuvent pas sÕen passer un instant. Car, confondre cette Cause intelligente avec les causes infŽrieures de tous les actes et de tous les produits corporels, cÕest la mme chose que de lÕexclure ; alors, cÕest donc vŽritablement remettre la Matire ˆ la seule direction de ces causes ou de ces actions infŽrieures.

Or nous avons vu que ces causes et ses actions infŽrieures Žtaient rŽduites au nombre de deux, savoir celle innŽe dans tous les germes, et celle provenant de lÕagent second, qui est employŽ nŽcessairement dans tout acte de reproduction corporelle. Alors, quÕon examine de nouveau si jÕai eu tort de dire quÕil serait impossible dÕobtenir aucune production par ces deux causes remises ˆ elles-mmes.

Si elles sont Žgales, elles seront dans lÕinaction ; sÕil y en a une supŽrieure ˆ lÕautre, la supŽrieure surmontera lÕinfŽrieure, et la rendra nulle ; alors il nÕy en aurait quÕune qui pourrait agir.

Mais nous savons avec toute lՎvidence possible, quÕune seule cause ne peut suffire pour la formation dÕaucun Etre corporel, et quÕoutre lÕAction ou le Principe innŽ dans tous les germes, il faut nŽcessairement, et sans quÕon puisse jamais sÕen passer, une action secondaire qui en fasse opŽrer la production ; de mme quÕil faut que cette cause secondaire les actionne pendant toute leur durŽe. Nous savons, dis je, que sans le concours de ces deux causes ou de ces deux actions, il est impossible quÕaucun Etre corporel reoive la naissance et la corporisation et quÕil conserve la vie : cependant nous voyons clairement, que si ces deux causes Žtaient remises ˆ leur propre action, rien ne se ferait, puisque lÕune surmontant lÕautre, demeurerait seule.

NÕest-ce pas alors le fait mme qui mÕapprend la nŽcessitŽ de cette troisime cause, dont la prŽsence et lÕintelligence servent ˆ diriger ces deux causes infŽrieures, ˆ maintenir entre elles lՎquilibre et le concours mutuel, sur lesquels la Loi de la Nature corporelle est Žtablie.

Il me suffira donc de rappeler ce que jÕai dit ci-dessus. JÕai Žtabli quÕil y avait une Loi par laquelle tous les Principes des corps Žtaient soumis ˆ la rŽaction dÕautres Corps ou Principes secondaires ; nՎtait-ce pas dŽjˆ mettre les Observateurs ˆ portŽe de reconna”tre les deux agents distincts, employŽs ˆ la corporisation de tout Etre de forme ? JÕai montrŽ ensuite, que sans une cause supŽrieure et intelligente, ces deux agents infŽrieurs ne pourraient pas produire la moindre des corporisations, puisquÕil leur faut une action premire, et que nous nÕavons pu la trouver en eux.

Du Ternaire universel

La nŽcessitŽ dÕun agent supŽrieur dans le temporel est donc ainsi dŽmontrŽe ; et tout nous enseignant quÕil y a une cause physique, immatŽrielle et intelligente, qui prŽside ˆ tous les Faits que nous prŽsente la Matire, la rŽunion de toutes ces preuves doit opŽrer en nous la plus ferme conviction. Revenons au nombre ternaire par lequel cette cause a manifestŽ sa Loi dans les ŽlŽments.

Je sais quÕon ne sÕaccordera pas dÕabord avec moi sur ce que jÕai enseignŽ que les ElŽments nՎtaient quÕau nombre de trois, tandis quÕon en reconna”t quatre universellement. On aura ŽtŽ surpris de mÕentendre parler de la Terre, de lÕEau et du Feu, sans que jÕaie rien dit de lÕAir. Je dois donc expliquer pourquoi il ne faut admettre, en effet, que trois ElŽments, et pourquoi lÕair nÕen est point un.

La Nature indique quÕil nÕy a que trois dimensions dans les corps ; quÕil nÕy a que trois divisions possibles dans tout Etre Žtendu ; quÕil nÕy a que trois figures dans la GŽomŽtrie ; quÕil nÕy a que trois facultŽs innŽes dans quelque Etre que ce soit ; quÕil nÕy a que trois Mondes temporels ; quÕil nÕy a que trois degrŽs dÕexpiation pour lÕhomme, ou trois Grades dans la vraie F.M. ; en un mot, que sous quelque face quÕon envisage les choses crŽŽes, il est impossible dÕy trouver rien au dessus de trois.

Or, cette Loi, se montrant universellement avec tant dÕexactitude, pourquoi ne serait-elle pas la mme dans le nombre des ElŽments qui sont le fondement des corps ? Et pourquoi se serait-elle fait conna”tre dans les rŽsultats de ces ElŽments, si eux-mmes nÕy avaient pas ŽtŽ assujettis ? Il faut donc le dire, cÕest la fragilitŽ des corps qui indique celle de leur base, et qui sÕoppose ˆ ce quÕon leur donne quatre ŽlŽments pour essence ; car, sÕils Žtaient formŽs de quatre ŽlŽments, ils seraient indestructibles, et le monde serait Žternel ; au lieu que nՎtant formŽs que de trois, ils nÕont point dÕexistence permanente, parce quÕils nÕont point en eux lÕUnitŽ ; ce qui sera trs clair pour ceux qui connaissent les vŽritables Lois des nombres.

Ainsi, ayant dŽmontrŽ prŽcŽdemment lՎtat dÕimperfection et de caducitŽ de la Matire, cÕest une nŽcessitŽ de trouver cette mme caducitŽ dans les substances qui la composent, et une preuve que son nombre ne peut pas tre parfait, puisquÕelle ne lÕest pas elle-mme.

Je ne puis me dispenser de mÕarrter un moment, et de prŽvenir ici les alarmes que mes expressions pourraient rŽpandre dans plusieurs esprits. JÕannonce le nombre trois comme fragile et pŽrissable : alors, que deviendra donc ce Ternaire si universellement rŽvŽrŽ, quÕil y a eu des Nations qui nÕont jamais comptŽ au-delˆ de ce nombre ?

Je dŽclare que personne ne respecte plus que moi ce Ternaire sacrŽ ; je sais que sans lui, rien ne serait de ce que lÕhomme voit et de ce quÕil conna”t ; je proteste que je crois quÕil a existŽ Žternellement et quÕil existera ˆ jamais, et il nÕy a aucune de mes pensŽes qui ne me le prouve ; cÕest mme lˆ o je prendrai ma rŽponse ˆ lÕobjection prŽsente, et jÕose dire ˆ mes semblables que, malgrŽ toute la vŽnŽration quÕils portent ˆ ce Ternaire, lÕidŽe quÕils en ont, est encore au dessous de celle quÕils en devraient avoir ; je les engage ˆ tre trs rŽservŽs dans leurs jugements sur cet objet. Enfin, il est trs vrai quÕil y a trois en un, mais il ne peut y avoir un en trois, sans que celui qui serait tel ne fžt sujet ˆ la mort. Ainsi mon Principe ne dŽtruit rien, et je puis sans danger reconna”tre la dŽfectuositŽ de la Matire, fondŽe sur la dŽfectuositŽ de son nombre.

JÕengage encore plus ceux qui me liront ˆ faire une distinction absolue entre le Ternaire sacrŽ, et le Ternaire des actions employŽes aux choses sensibles et temporelles ; il est certain que le Ternaire employŽ dans les choses sensibles nÕa pris naissance, nÕexiste, et nÕest soutenu que par le Ternaire supŽrieur ; mais, comme leurs facultŽs et leurs actions sont Žvidemment distinctes, il ne serait pas possible de concevoir comment ce Ternaire est indivisible et au-dessus du temps, lorsquÕon en voudrait juger par celui qui est dans le temps ; et comme celui-ci est le seul quÕil nous soit permis de conna”tre ici-bas, je ne dis presque rien de lÕautre dans cet ouvrage.

Voilˆ pourquoi il serait contraire ˆ mon intention quÕon insŽr‰t quelque chose de mon exposŽ, et quÕon en fit la moindre application sur le plus sublime objet de mes hommages, ˆ moins que ce ne fžt pour constater dÕautant plus la supŽrioritŽ et lÕindivisibilitŽ de ce Ternaire sacrŽ. Revenons aux ElŽments.

LÕAir

JÕai enseignŽ que lÕAir nՎtait pas au nombre des ElŽments, parce quÕon ne peut, en effet, regarder comme ElŽment particulier, ce fluide grossier que nous respirons, qui enfle ou resserre les corps, selon quÕil est plus ou moins chargŽ dÕeau ou de feu.

Il y a sans doute dans ce fluide un Principe que nous devons appeler Air. Mais il est incomparablement plus actif et plus puissant, que les ElŽments grossiers et terrestres dont les corps sont composŽs ; ce qui se confirme par mille expŽriences. Cet Air est une production du Feu, non de ce Feu matŽriel que nous connaissons, mais du Feu qui a produit le Feu et toutes les choses sensibles. LÕAir, en un mot, est absolument nŽcessaire pour lÕentretien et la vie de tous les temps ŽlŽmentaires, il ne subsistera pas plus longtemps quÕeux ; mais nՎtant point Matire, comme eux, on ne peut le regarder comme ElŽment, et par consŽquent, il est vrai de dire quÕil ne peut entrer dans la composition de ces mmes corps.

Quelle sera donc sa destination dans la Nature ? Nous ne craindrons pas de dire quÕil nÕest prŽposŽ que pour communiquer aux Etres corporels les forces et les vertus de ce Feu qui les a produits. Il est le char de la vie des ElŽments, et ce nÕest que par son secours quÕils peuvent recevoir le soutien de leur existence ; car sans lui toutes les circonfŽrences rentreraient dans le centre dÕo elles sont sorties.

Mais en mme temps quÕil coopre le plus ˆ lÕentretien des corps, il faut remarquer quÕil est aussi lÕagent principal de leur destruction, et cette Loi universelle de la Nature ne doit plus nous Žtonner, puisque la double action qui constitue lÕUnivers corporel, nous apprend quÕune de ces actions ne peut jamais y dominer quÕau dŽtriment de lÕautre.

CÕest pour cela que lorsque les Etres corporels ne jouissent pas de toutes les vertus particulires, il est trs nŽcessaire de les prŽserver de lÕAir, si lÕon veut les conserver. CÕest pour cela que lÕon couvre trs soigneusement toutes les blessures et toutes les plaies, parmi lesquelles il sÕen trouve quelquefois, auxquelles il ne faut dÕautres remdes que de les garantir de lÕaction de lÕAir ; cÕest pour cela aussi que les Animaux de toute espce se mettent ˆ couvert pendant le sommeil, parce quÕalors lÕAir agirait plus fortement sur eux, que pendant la veille, o ils ont toutes leurs forces pour rŽsister ˆ ses attaques, et nÕen retirer que les avantages nŽcessaires ˆ leur conservation.

Si, outre ces propriŽtŽs de lÕAir, on veut voir encore mieux sa supŽrioritŽ sur les ElŽments, il suffira dÕobserver que, lorsque lÕon parvient, autant quÕil est possible, ˆ le sŽparer des corps, il conserve toujours sa force et son ŽlasticitŽ, aussi violentes et aussi longues que soient les opŽrations quÕon peut faire sur lui ; ds lors on doit le reconna”tre comme inaltŽrable ; ce qui ne convient ˆ aucun des autres ElŽments, qui tombent tous ˆ dissolution, lorsquÕils sont sŽparŽs les uns et autres ; cÕest donc, par toutes ces raisons rŽunies, que nous devons le placer au dessus des ElŽments, et ne pas le confondre avec eux.

Cependant lÕon pourrait ici me faire une objection ; quoique je ne place point lÕAir au nombre des ElŽments, je lÕattache nŽanmoins ˆ lÕentretien des corps, et je ne lui donne pas plus de durŽe quՈ eux ; cela fait donc nŽcessairement un Principe de plus dans la constitution des Etres corporels ; ils ne seront donc plus Ternaires, comme je lÕai annoncŽ. Examinant ensuite lÕanalogie que jÕai Žtablie entre la Loi de la constitution des corps et le nombre des agents qui en font opŽrer la corporisation, on pourrait en conclure que je suis forcŽ dÕaugmenter aussi le nombre de ces agents.

Sans doute. Il existe une Cause au dessus des trois causes temporelles dont jÕai parlŽ, puisque cÕest elle qui les dirige, et qui leur communique leur action. Mais cette Cause qui domine sur les trois autres, ne se fait conna”tre quÕen les manifestant ˆ nos yeux. Elle se renferme dans un sanctuaire impŽnŽtrable ˆ tous les Etres assujettis au temporel, et sa demeure, ainsi que ses actions, Žtant absolument hors du sensible, nous ne pouvons la compter avec les trois causes employŽes aux actions de la corporisation de la Matire et ˆ toute autre action temporelle.

CÕest cette mme raison qui nous empcherait encore dÕadmettre lÕAir au nombre des ElŽments, quoique les ElŽments et les Corps quÕils engendrent ne puissent vivre un instant sans lui ; car, quoique son action soit nŽcessaire pour lÕentretien des Corps, il nÕest pas soumis ˆ la vue corporelle, comme le sont les Corps et les ElŽments. Enfin, dans la dŽcomposition des Corps, nous trouvons visiblement lÕEau, la Terre et le Feu, et quoique nous sachions indubitablement que lÕAir y existe, nous ne lÕy pouvons jamais voir, parce que son action est dÕun autre ordre et dÕune autre classe.

Ainsi on trouve toujours une parfaite analogie entre les trois actions nŽcessaires ˆ lÕExistence des Corps et le nombre des trois ElŽments constitutifs ; puisque lÕAir est dans lÕordre des ElŽments, ce que la Cause premire et dominante est dans lÕordre des actions temporelles qui oprent la corporisation ; et de mme que cette Cause nÕest point confondue avec les trois actions dont il sÕagit, quoiquÕelle les dirige ; de mme lÕAir nÕest point confondu avec les trois ElŽments, quoiquÕil les vivifie. Nous sommes donc bien fondŽs ˆ admettre la nŽcessitŽ de ces trois actions, comme nous ne pouvons nous dispenser de reconna”tre les trois ElŽments.

Division du corps humain

Je vais ˆ ce sujet entrer dans quelques dŽtails sur les rapports universels de ces trois ElŽments avec les Corps et les facultŽs des Corps ; ce qui nous mettra sur la voie de faire des dŽcouvertes dÕun autre genre, et de nous confirmer dans la certitude de tous les principes que jÕexpose.

La distinction gŽnŽralement reue parmi les anatomistes, est celle qui divise le corps humain en trois parties, savoir, la tte, la poitrine et le bas ventre. Sans doute, que cÕest la Nature mme qui les a dirigŽs dans cette division, et que par un instinct secret, ils justifient eux-mmes ce que jÕai ˆ dire sur le nombre, ainsi que sur les diffŽrentes actions des trois diffŽrents Principes ŽlŽmentaires.

Premirement, nous trouvons que cÕest dans le bas Ventre que sont contenus et travaillŽs les Principes sŽminaux, qui doivent servir ˆ la reproduction corporelle de lÕhomme. Or, comme on sait que lÕaction du mercure est la base de toute forme matŽrielle quelconque, il est aisŽ de voir que le Ventre infŽrieur ou le bas Ventre, nous offre vraiment lÕimage de lÕaction de lÕElŽment mercuriel.

Secondement, la Poitrine renferme le cÏur ou le foyer du sang, cÕest-ˆ-dire, le Principe de la vie ou de lÕaction des Corps. Mais on sait aussi, que le feu ou le soufre est le Principe de toute vŽgŽtation et de toute production corporelle ; le rapport de la Poitrine ou du second Ventre, ˆ lÕElŽment sulfureux, se trouve donc par lˆ assez clairement indiquŽ.

Quant ˆ la troisime division, ou la Tte ; elle contient la source et la substance primitive des nerfs, qui dans les Corps animaux sont les organes de la sensibilitŽ ; mais il est connu que la propriŽtŽ du sel est Žgalement de rendre tout sensible ; il est donc clair quÕil y a une parfaite analogie entre leurs facultŽs, et quÕainsi la Tte a un rapport incontestable avec le troisime ElŽment ou le sel ; ce qui convient parfaitement avec ce que les Physiologistes nous enseignent sur le sige et la source du fluide nerveux.

Cependant quelque justes que soient ces divisions, et quelque certains quÕen soient les rapports avec les trois ElŽments, il faudrait avoir la vue bien bornŽe pour nÕy apercevoir que cela. Car, outre cette facultŽ, attachŽe ˆ la Tte, de porter en elle le Principe et lÕagent de la sensibilitŽ, ne pourrait-on pas voir quÕelle est douŽe de tous les organes par lesquels lÕAnimal peut distinguer les objets qui lui sont salutaires ou nuisibles, et quÕainsi elle est chargŽe spŽcialement de veiller ˆ la conservation de lÕindividu ? Ne pourrait-on pas voir que dans la Poitrine, outre le foyer du sang, on y trouve encore le rŽcipient de lÕeau, ou ces viscres spongieux qui ramassent lÕhumiditŽ aŽrienne, et la communiquent au feu ou au sang pour en tempŽrer la chaleur ?

Alors, sans avoir besoin de recourir ˆ la Tte pour dŽcouvrir nos trois ElŽments, on les apercevrait clairement tous trois dans les deux Ventres infŽrieurs ; pour la Tte, quoique ŽlŽmentaire elle-mme, tant par les organes dont elle est douŽe, que par le rang quÕelle occupe, elle se trouverait dominer sur eux, occuper le centre du triangle, et le maintenir en Žquilibre ; et par lˆ, on Žviterait cette erreur gŽnŽrale, par laquelle on confond le supŽrieur avec lÕintŽrieur, et lÕactif avec le passif, puisque la distinction en est Žcrite clairement jusque sur la Matire. Mais ces objets sont trop ŽlevŽs, pour tre entirement exposŽs aux yeux de la multitude.

Voilˆ ce que lÕAnatomie nÕa pas envisagŽ, parce quՎtant isolŽe par lÕhomme, comme toutes les autres Sciences, ceux qui la professent ont cru pouvoir considŽrer sŽparŽment les Corps et les parties des Corps, et ils se sont persuadŽs que les divisions quÕils imaginaient nÕavaient aucun rapport avec des Principes dÕun ordre supŽrieur.

Cependant cՎtait dans la division que je viens de montrer, quÕils eussent trouvŽ une image sensible du Quaternaire, cÕest-ˆ-dire, de ce nombre sans lequel on ne peut rien conna”tre, puisque, selon quÕon le verra dans la suite, il est lÕemblme universel de la perfection.

Mais je nÕen dirai pas davantage pour le prŽsent sur ce nombre, pour ne pas trop mՎcarter de mon sujet, je me contenterai de lÕavoir fait entrevoir, et je vais exposer dÕautres VŽritŽs relatives ˆ lÕarrangement des diffŽrents Principes ŽlŽmentaires dans le Corps de lÕhomme, ainsi que dans tous les autres Corps.

LÕHomme, miroir de la Science

Lorsque les Observateurs ont dŽsirŽ avec tant dÕardeur de conna”tre lÕorigine des choses il Žtait inutile quÕils allassent chercher au dehors et loin dÕeux, il fallait jeter les yeux sur eux-mmes, les Lois de leur propre Corps leur eussent indiquŽ celles qui ont donnŽ la naissance ˆ tout ce qui lÕa reue ; ils auraient vu que lÕaction opposŽe, qui se passe dans la Poitrine entre le soufre et le sel, ou le feu et lÕeau, soutient la vie du Corps, et que si lÕun ou lÕautre de ces agents vient ˆ manquer, le Corps cesse de vivre.

Appliquant ensuite cette observation ˆ tout ce qui existe corporellement, ils auraient reconnu que ces deux Principes font de mme par leur opposition et leur combat, la vie et la rŽvolution corporelle de toute la Nature ; il nÕen faut pas davantage pour sÕinstruire ; lÕhomme a dans lui tous les moyens, ainsi que toutes les preuves de la Science, et il nÕaurait besoin que de sÕexaminer lui-mme, pour savoir comment les choses ont pris leur origine.

Harmonie des ŽlŽments

Mais on remarquera quÕil est absolument nŽcessaire que deux agents, aussi ennemis lÕun de lÕautre, aient un MŽdiateur qui serve de barrire ˆ leur action, et qui les empche rŽciproquement de se surmonter, puisque ds lors tout finirait ; ce MŽdiateur, cÕest le Principe mercuriel, la base de toute corporisation, et avec lequel les deux autres Principes concourent au mme but, cÕest lui qui, Žtant rŽpandu partout avec eux, les oblige partout ˆ agir selon lÕordre prescrit, cÕest-ˆ-dire, ˆ opŽrer et ˆ entretenir les formes.

CÕest lˆ cette harmonie par laquelle les Corps des Animaux Žprouvent, sans souffrir, lÕaction de lÕeau par les poumons, et lÕaction du feu par le sang, parce que la Loi, dont le mercure est dŽpositaire, prŽside ˆ toutes ces actions, et en mesure lՎtendue.

Par cette mme harmonie la Terre reoit lÕaction des fluides par sa surface, et lÕaction du feu par son centre, et cela, sans en Žprouver de dŽrangements, puisque cÕest la mme Loi qui la dirige.

Je nÕai pas besoin de rŽpŽter, que dans ces deux exemples, la vraie propriŽtŽ du fluide est de modŽrer lÕardeur du feu, qui sans cela sortirait de ses limites, comme il para”t dans toutes les effervescences du sang des Animaux, et dans toutes les Žruptions du feu terrestre. Car on sent que si ces diffŽrents feux nՎtaient tempŽrŽs par un fluide, qui pŽntre jusquÕau centre mme, ils ne conna”traient point de bornes ˆ leur action, et embraseraient successivement tous les Corps et la Terre entire.

CÕest pour cela que lÕAnimal respire, et que la terre est sujette au flux et reflux de sa partie Aquatique ; parce que par la respiration, lÕAnimal reoit un fluide qui humecte son sang, indŽpendamment de celui quÕil reoit des aliments et des boissons ; et que par le flux et reflux, la terre reoit dans toutes ses parties lÕhumide et le sel nŽcessaire pour arroser son soufre, ou son Principe de VŽgŽtation.

MŽprises des observateurs

Je ne parle point de la manire dont les plantes et les minŽraux reoivent leur humide ; ds quÕils sont attachŽs ˆ la terre, il est naturel quÕils se nourrissent des aliments, et de la digestion de leur mre ; car mme pour les arroser, o prendrait-on de lÕeau qui ne fžt pas ˆ elle ?

Laissons nos lecteurs faire ici des comparaisons avec tout ce quÕils ont vu sur la cause active et intelligente ; laissons-les observer, que si tout part de la mme main, il est ˆ prŽsumer que la loi intellectuelle et la loi corporelle ont la mme marche, chacune dans leur classe et dans lÕaction qui leur est propre. Laissons-les dŽcouvrir enfin que si partout il y a du Volatil, partout il faut du Fixe pour le contenir. Pour nous, continuons ˆ montrer pourquoi de si belles analogies sont presque toujours oubliŽes par les Observateurs.

CÕest que loin dÕavoir discernŽ des agents et des Lois de deux classes diffŽrentes, ils nÕont pas mme discernŽ, comme nous lÕavons vu, les agents et les Lois diffŽrentes dans la mme classe, cÕest quÕen sŽparant tout, et examinant chaque objet ˆ part, ils les ont vu seuls et isolŽs, et nÕont pas ŽtŽ assez sages et assez intelligents, pour souponner les rapports quÕils avaient avec dÕautres objets.

Si, par exemple, ils sont encore ˆ la recherche dÕune explication satisfaisante sur le flux et reflux dont je viens de parler, cÕest uniquement parce quÕils sont toujours dans cette funeste habitude de diviser les sciences, et de considŽrer chaque Etre sŽparŽment.

Des lois de la Nature

Car sÕils nÕavaient pas destituŽ la Matire de son Principe, en la confondant avec lui ; sÕils nÕavaient pas ŽloignŽ de ce mme Principe une Loi supŽrieure, active et intelligente, temporelle et physique, qui doit en rŽgler toute la marche, ils auraient vu quÕaucun Etre corporel ne pouvant sÕen passer, la Terre y Žtait assujettie comme tous les corps ; ils auraient vu que cՎtait sur cette Terre que sÕopŽrait en nature cette double loi indispensable pour lÕexistence de tout Etre corporisŽ matŽriellement.

Mais de ces deux lois, nous avons vu lÕune rŽsider essentiellement, dans le Principe corporel de tout Etre de forme, soit gŽnŽral, soit particulier, et la seconde provenir du dehors ; il faut donc que cette seconde loi soit extŽrieure ˆ la Terre, ainsi quՈ tous les autres corps, quoiquÕelle soit absolument nŽcessaire ˆ son existence, comme elle lÕest ˆ la leur.

Nous reconna”trons donc ici, comme dans le double mouvement du cÏur de lÕhomme animal, la prŽsence de deux Agents liŽs violemment lÕun ˆ lÕautre, dirigŽs par une cause physique supŽrieure, et manifestant chacun ˆ leur tour leur action sensible aux yeux corporels.

On sait que cette manifestation a lieu dans les quadratures de la Lune, temps auquel lÕaction Solaire, se fait sentir sur la partie saline universelle.

Quoique nous ne puissions conna”tre ces deux Agents que par leur action sensible, comme nous ne connaissons les Principes des corps, que par leur production corporelle ou leur enveloppe, nous serions inexcusables de douter de leur pouvoir, puisque leurs effets le dŽmontrent dÕune manire aussi irrŽvocable.

Ainsi ce phŽnomne du flux et reflux nÕest quÕun effet en grand de cette double loi, ˆ laquelle tout ce qui est corps de matire est nŽcessairement assujetti.

JÕajouterai que puisque nous voyons tant de rŽgularitŽ dans la marche et dans tous les actes de la Nature, et que nous sentons en mme temps que les Etres corporels qui la composent, ne sont pas susceptibles dÕintelligence, il faut quÕil y ait pour eux dans le temporel, une main puissante et ŽclairŽe qui les dirige, main active placŽe au dessus dÕeux par un principe vrai comme elle, par consŽquent indestructible, vivant par soi, et que la loi qui Žmane de lÕun et de lÕautre, soit la rgle et la mesure de toutes les lois qui sÕoprent dans la Nature corporelle.

Routes de la Science

Je sais que toutes Žvidentes que soient ces vŽritŽs, ds quÕelles sont hors des sens, elles trouveront difficilement accs auprs des Observateurs de mon temps, parce que sՎtant ensevelis dans le sensible, ils ont perdu le tact de ce qui ne lÕest pas.

NŽanmoins, comme la route quÕils prennent, les Žclaire sans doute beaucoup moins que celle que je leur indique, je ne cesserai de les engager ˆ chercher plut™t la raison des choses sensibles dans le Principe, que de chercher le Principe dans les choses sensibles ; car sÕils cherchent un Principe Vrai et rŽel, comment le trouver dans lÕapparence ? SÕils cherchent un Principe immatŽriel, comment le trouver dans un corps ? SÕils cherchent un Principe indestructible, comment le trouver dans un assemblage ? En un mot, sÕils cherchent un Principe vivant par soi, comment le trouver dans un Etre qui nÕa quÕune vie dŽpendante, laquelle doit cesser aussit™t que son acte passager sera rempli ?

Mais je nÕaurais quÕune seule chose ˆ dire ˆ ceux qui poursuivraient encore une recherche aussi chimŽrique : SÕils veulent absolument que leurs sens comprennent, quÕils commencent donc par trouver des sens qui parlent, car cÕest le seul moyen de leur faire avoir de lÕintelligence.

Cette preuve deviendra dans la suite un Principe fondamental, et cÕest elle qui fera concevoir aux hommes le vŽritable moyen de parvenir aux connaissances qui doivent tre le seul objet de leurs dŽsirs ; mais en attendant, ne nŽgligeons pas de jeter les yeux sur les diffŽrentes parties de la Nature, qui pourront le mieux persuader aux Observateurs, la certitude des diffŽrentes lois que nous leur exposons ; cÕest lˆ o ils se convaincront eux-mmes de la VŽritŽ des Causes qui sont au dessus de leurs sens, puisquÕils en verront la marche Žcrite dÕune manire si palpable dans les choses sensibles.

Du Mercure

Le Mercure, ainsi que je lÕai dit plus haut, sert universellement de mŽdiateur au feu et ˆ lÕeau, qui comme ennemis irrŽconciliables, ne pourraient jamais agir de concert sans un Principe intermŽdiaire, parce que ce Principe intermŽdiaire participant de la nature de lÕun et de lÕautre, les rapproche en mme temps quÕil les sŽpare, et fait ainsi tourner toutes leurs propriŽtŽs ˆ lÕavantage des Etres corporels.

Aussi dans la Nature, il y a, comme dans les corps particuliers, un Mercure aŽrien qui sŽpare le feu provenant de la partie terrestre, dÕavec le fluide qui doit se rŽpandre sur la Terre, parce quÕavant que ce fluide y parvienne, le Mercure aŽrien le purifie, et le dispose ˆ ne communiquer ˆ la Terre que des propriŽtŽs salutaires, ce qui produit la qualitŽ bienfaisante de la rosŽe, et sa supŽrioritŽ sur le serein et sur le brouillard, qui ne sont que des fluides mal ŽpurŽs.

CÕest donc en raison de cette propriŽtŽ universelle, que le Mercure tient dans tous les corps, le milieu entre les deux Principes opposŽs, le feu et lÕeau, faisant en cela dans la formation et la composition des corps, ce que la Cause active et intelligente fait dans tout ce qui existe, lorsquÕelle maintient lՎquilibre entre les deux lois dÕaction et de rŽaction qui constituent tout lÕUnivers.

Tant que le Mercure occupe cette place, le bien-tre de lÕindividu est assurŽ, parce que cet ŽlŽment tempre la communication du feu avec lÕeau ; quand au contraire ces deux derniers Principes peuvent surmonter ou rompre leur barrire, et quÕils se joignent, cÕest alors quÕils se combattent avec tout la force qui est dans leur nature, et quÕils produisent les plus grands dŽsordres, et les plus grands dŽrangements dans lÕindividu dont ils formaient lÕassemblage ; parce que dans le choc de ces deux agents, il faut toujours que lÕun des deux surmonte lÕautre, et dŽtruise par lˆ lՎquilibre.

Du tonnerre

Le Tonnerre est pour nous lÕimage la plus parfaite de cette VŽritŽ. On sait quÕil se forme des exhalaisons salines et sulfureuses de la Terre, lesquelles Žtant tirŽes de leur sŽjour naturel par lÕaction du Soleil, de mme que poussŽes au dehors par le feu terrestre, sՎlvent dans les airs, o le Mercure aŽrien sÕen empare et les enveloppe ˆ peu prs comme le charbon amalgame et enveloppe le soufre et le salptre dans la poudre artificielle.

Ici, ce Mercure aŽrien ne se place point entre les deux Principes qui forment lÕexhalaison, parce quÕil serait trop actif pour y sŽjourner, et quՎtant dÕune classe supŽrieure ˆ la leur, ils ne peuvent pas ensemble constituer un corps. Mais il les enveloppe et les renferme par sa tendance naturelle ˆ la forme sphŽrique et circulaire, et par la propriŽtŽ inhŽrente en lui, de tout lier, de tout embrasser.

En mme temps, il a une autre facultŽ trs remarquable, cÕest celle de se diviser dÕune manire incomprŽhensible, de faon quÕil nÕy a pas jusquÕau plus petit globule de ces exhalaisons sulfureuses et salines, qui nÕen rencontre une quantitŽ suffisante pour lui servir dÕenveloppe, et cÕest lÕamas de tous ces globules qui forme les nuages, ou le matras des foudres.

Or, dans cette formation, nous ne pouvons nous dispenser de reconna”tre nos deux agents trs parfaitement distincts, savoir, le sel et le soufre, et en outre lÕimage de lÕagent supŽrieur, ou ce Mercure aŽrien qui lie les deux autres. Nous voyons donc dŽjˆ clairement la nŽcessitŽ de toutes ces diffŽrentes substances, pour coopŽrer ˆ un assemblage quelconque, et cÕest la Matire seule qui nous la fait conna”tre.

Mais il ne suffit pas de trouver lˆ les vrais signes de tous les Principes qui ont ŽtŽ Žtablis sur les lois universelles des Etres, il faut les trouver encore dans les diffŽrentes actions, et dans la diversitŽ des rŽsultats qui proviennent des mŽlanges de ces substances ŽlŽmentaires.

Ne considŽrons pour le moment les nuages o se forme la foudre, que comme lÕunion de deux sortes de vapeurs, les unes terrestres, les autres aŽriennes ; or, trs certainement si aucun autre agent ne les Žchauffait, et ne les faisait fermenter, jamais nous nÕy verrions dÕexplosion. Il est donc de toute nŽcessitŽ dÕadmettre encore une chaleur extŽrieure qui se communique aux deux substances renfermŽes dans lÕenveloppe mercurielle, et qui divise avec Žclat tous les globules salins et sulfureux, renfermŽs dans ces nuages ; cette chaleur extŽrieure est un tŽmoignage sensible de tous les Principes que nous avons posŽs prŽcŽdemment, et dont nos lecteurs feront aisŽment ici lÕapplication.

Mais pour la leur rendre encore plus facile, il ne sera pas inutile dÕexaminer les diffŽrentes propriŽtŽs du sel et du soufre dans lÕexplosion de la foudre, parce que nous pourrons par lˆ donner quelques idŽes sur les deux Lois principales de la Nature, dÕautant que le sel et le soufre sont les organes et les instruments de ces deux lois.

La chaleur extŽrieure agit, ainsi quÕon lÕa vu, sur la masse des matires qui composent la foudre ; elle en dissout lÕenveloppe mercurielle, qui par sa nature est susceptible dÕune division considŽrable ; alors elle communique jusquÕaux deux substances intŽrieures, et enflamme la partie sulfureuse, qui pousse et Žcarte avec force la partie saline, dont la jonction avec elle Žtait contraire ˆ sa vŽritable loi, et formait une maladie dans la Nature.

Dans cette explosion, le Mercure se trouve si prodigieusement divisŽ, que tout ce quÕil contenait rentre en libertŽ ; quant ˆ lui, aprs avoir reu cette entire dissolution, il tombe avec le fluide sur la surface terrestre, et cÕest pour cela que lÕeau de pluie a plus de propriŽtŽs que les autres eaux, parce quÕelle est plus chargŽe de Mercure, et que ce Mercure est infiniment plus pur que le Mercure terrestre.

Toute la rŽvolution sÕopre donc sur les deux autres substances, cÕest-ˆ-dire, sur celles qui dans la Nature corporelle sont les signes des deux Lois et des deux Principes incorporels. Aussi cÕest sur les diffŽrents mŽlanges de ces deux substances que sont appuyŽs tous les effets que nous voyons produire au tonnerre.

On sait en effet, que le feu Žtant le Principe de toute action ŽlŽmentaire, ramasse les vapeurs terrestres et cŽlestes, dont se forme la foudre ; cÕest lui aussi qui les fait fermenter, et qui ensuite en opre la dissolution ; cÕest donc au feu que lÕon doit attribuer lÕorigine, ainsi que lÕexplosion de la foudre.

Quant au bruit qui provient de lÕexplosion de la foudre, on ne peut lÕattribuer quÕau choc de la partie saline sur les colonnes dÕair, parce que le feu par lui-mme ne peut rendre aucun bruit, ce que lÕon voit aisŽment, quand il agit en LibertŽ ; et, quoique le feu soit le principe de toute action ŽlŽmentaire, aucune de ces actions ne serait sensible dans la Nature sans le sel ; couleur, saveur, odeur, son, magnŽtisme, ŽlectricitŽ, lumire, tout se montre et para”t par lui ; cÕest pour cela que nous ne pouvons douter quÕil ne soit aussi lÕinstrument du bruit du tonnerre, dÕautant que plus la foudre est chargŽe de parties salines, plus ses coups et ses Žclats sont violents.

Nous ne pouvons douter aussi que le sel nÕinflue sur la couleur des Žclairs, qui est beaucoup plus blanche quand il y domine, que lorsque cÕest le soufre qui lÕemporte.

Enfin, il est si vrai que le sel est lÕinstrument de tous les effets sensibles, que la foudre est beaucoup plus dangereuse quand elle abonde en sels, parce que son explosion Žtant plus violente ˆ proportion, opre des chocs plus rudes et des ravages plus effrayants.

DÕailleurs, cette explosion par lÕabondance du sel, se fait presque toujours dans la partie infŽrieure du nuage, comme Žtant la plus grossire, la moins exposŽe ˆ la chaleur, et par consŽquent, la plus susceptibles dՐtre congelŽe ; ce qui produit les grles.

Au contraire, lorsque la foudre abonde en soufre, son bruit nÕest pas aigu, ni brusque ; ses Žclairs sont de couleur rouge, et son explosion parvient rarement ˆ communiquer jusquՈ nous ses effets, parce quÕelle se fait alors communŽment par en haut, vu la faiblesse du nuage dans cette partie, et la propriŽtŽ naturelle au feu, qui est de monter.

Voilˆ pourquoi il est reu que le tonnerre tombe ˆ tous les coups, quoique cependant nous nÕen ayons pas toujours la preuve oculaire. Voilˆ pourquoi aussi la connaissance des matires dont la foudre est chargŽe, doit apprendre sur quelles parties de la Terre elle peut tomber, parce quÕelle tend toujours vers les matires qui lui sont analogues ; sans que cependant on puisse dŽterminer pour cela, quel est le point fixe o elle tombera, parce quÕil faudrait conna”tre entirement sa direction, et que dans le choc et lÕopposition de toutes ces matires diffŽrentes, la direction change ˆ tous les instants.

CÕest donc lˆ o nous voyons clairement lÕeffet de la double action de la Nature. Cependant tous ces diffŽrents chocs, si confus en apparence, nous offrent, lorsquÕils sont observŽs de prs, ainsi que toutes les autres actions corporelles, la loi fixe dÕune cause qui les dirige, et cÕest dans cette tendance des matires de la foudre, vers les matires analogues, que cette cause nous manifeste principalement sa puissance et sa propriŽtŽ.

En effet, si la direction de la foudre Žtait vers une partie de la surface terrestre, dÕo elle pžt perdre sa communication avec les colonnes aŽriennes chargŽes des mmes matires, elle finirait et sՎteindrait ˆ lÕendroit de sa chute, lorsque toute sa matire serait consumŽe. CÕest pour cette raison que la foudre ne se relve jamais, quand elle tombe dans des eaux profondes, parce quÕalors la libre communication avec lÕAir lui est interdite, et quÕelle ne trouve point lˆ de manires qui lui conviennent.

Mais, quand sa direction la conduit ˆ des colonnes dÕair, chargŽes de matires qui lui sont analogues, elle les enfile et les suit, en augmentant plus ou moins ses forces, selon quÕelle trouve plus ou moins ˆ se nourrir. Ainsi elle peut, au moyen de toutes ces colonnes dont est composŽ lÕAtmosphre, parcourir trs promptement diffŽrentes routes, et mme les plus opposŽes les unes aux autres ; ainsi elle doit se dŽtourner, quand elle trouve des matires qui lui sont contraires, ou un lieu dont lÕAir nÕaurait point dÕissue, parce que cet Air Žtant impŽnŽtrable, lui oppose une rŽsistance invincible ;en un mot, elle ne doit sÕarrter que quand elle ne rencontre plus de ces matires dont elle puisse sÕalimenter ; et lorsquÕelle semble tre au moment de cesser son cours, si elle en rencontre de nouvelles, elle reprend des forces, et produit de nouveaux effets.

Voilˆ ce qui rend sa marche si irrŽgulire en apparence, et gŽnŽralement si incomprŽhensible ; cependant, dans cette irrŽgularitŽ mme, on ne peut nier quÕil nÕexiste une Loi, puisque tous les Principes quÕon a vus ci-devant, nous lÕenseignent, et que tous les rŽsultats nous le prouvent ; il nÕy a donc pas un seul moment o cette Nature soit livrŽe ˆ elle-mme, et o elle puisse faire un pas, sans la cause prŽposŽe pour la gouverner.

Je nÕai plus quÕun mot ˆ dire sur le sujet que je viens de traiter. LÕon a cru communŽment que celui qui verrait lՎclair nÕaurait rien ˆ craindre de la foudre. Voyons jusquՈ quel point il faut ajouter foi ˆ cette idŽe.

SÕil nÕy avait quÕune seule colonne dans lÕAir et quÕune seule explosion de la foudre, il est sžr que celui qui aurait vu lՎclair nÕaurait rien ˆ craindre du coup qui accompagne cet Žclair, parce que le Temps cŽleste est si prompt quÕil ne peut tre aperu sur la Terre.

Mais, comme les colonnes aŽriennes, chargŽes de matires analogues ˆ la foudre, sont en grand nombre, lÕon peut avoir ŽvitŽ lÕexplosion de la premire, et nՐtre pas ˆ couvert de lÕexplosion de la seconde, ni de toutes celles qui successivement seront enflammŽes aprs lՎclair aperu, puisque la foudre peut prolonger son cours ; autant quÕelle rencontrera de ces colonnes propres ˆ lÕalimenter.

PrŽservatifs contre le tonnerre

Alors, un homme qui aurait eu le temps de voir lՎclair, aurait tort de se croire en sžretŽ pour cela, jusquՈ ce que la cha”ne de toutes les explosions qui doivent se faire dans le coup actuel, soit parcourue.

Cependant il nÕest pas moins vrai que cette opinion a un fondement rŽel, et quÕil y a une face sous laquelle on ne peut pas la contester. Car, de mme quÕil nÕy a point dՎclair sans explosion, de mme, et ˆ plus forte raison, nÕy a-t-il point dÕexplosion sans Žclair ; or, ds que lÕintervalle entre lÕun et lÕautre, est presque nul, quÕun homme soit frappŽ ˆ la premire explosion ou ˆ. la dernire, il est constant quÕil ne pourra jamais avoir vu lՎclair de celle des explosions dont le coup le frappe.

Ce sont-lˆ ces observations naturelles, qui toutes frivoles quÕelles soient en elles-mmes, mÕont paru cependant les plus propres ˆ peindre aux yeux de lÕhomme, lÕuniversalitŽ du Principe auquel il doit sÕattacher, sÕil veut conna”tre ; jÕajouterai seulement quÕaprs tout ce que jÕai exposŽ au Lecteur, il lui sera aisŽ de sentir quel est le moyen de se prŽserver du tonnerre. Ce serait de rompre les colonnes dÕair dans tous les sens, cÕest-ˆ-dire, celles qui sont horizontales, comme celles qui sont perpendiculaires, et de chasser aux extrŽmitŽs, la direction de la foudre, parce quÕalors, en se tenant au centre, on ne peut pas craindre quÕelle en approche.

Je nÕen dirai pas la raison, ce serait mՎcarter de mon devoir ; je la laisserai donc dŽcouvrir ˆ mes Lecteurs ; mais je les prierai de rŽflŽchir sur ce quÕils viennent de lire des diffŽrentes propriŽtŽs et actions des ElŽments, ainsi que des Lois qui les dirigent, lors mme de la plus grande confusion apparente ; ils en concluront sans doute, que quoiquÕils ne puissent apercevoir les causes et les agents dŽpositaires de ces Lois, il leur est impossible dÕen nier lÕExistence. Poursuivons notre carrire, et prouvons par lÕhomme mme la rŽalitŽ des Causes supŽrieures, ou distinctes du sensible.

Rapports des ŽlŽments ˆ lÕHomme

Les dŽtails qui ont prŽcŽdŽs, sur lÕanalogie des trois ElŽments avec les trois diffŽrentes parties du corps de lÕhomme, sont susceptibles par rapport ˆ lui-mme, dÕexplications dÕun ordre bien plus digne de lui, et qui doivent lÕintŽresser davantage en ce quÕelles sont directement relatives ˆ son Etre, et quÕelles lui montreront la diffŽrence de ses facultŽs sensibles et de ses facultŽs intellectuelles, ou si lÕon veut, de ses facultŽs passives et de ses facultŽs actives.

Les tŽnbres o les hommes sont gŽnŽralement sur ces objets, nÕont pas peu contribuŽ ˆ toutes les erreurs que nous leur avons vu faire sur leur propre nature, et cÕest pour nÕavoir pas aperu les disparitŽs les plus frappantes, quÕils nÕont pas encore les premires notions de leur Etre.

Erreurs principales

Car la vraie raison pour laquelle ils se sont crus semblables aux btes, cÕest, nÕen doutons point, quÕils nÕont pas discernŽ leurs diverses facultŽs. Ainsi, ayant confondu les facultŽs de la Matire, avec celles de lÕintelligence, ils nÕont reconnu dans lÕhomme quÕun seul Etre, et ds lors, quÕun seul Principe et que la mme Essence dans tout ce qui existe ; de faon que pour eux lÕhomme, les btes, les pierres, toute la Nature ne prŽsente que les mmes Etres, distincts seulement par leur organisation et par leurs formes.

Je ne rŽpŽterai pas ici ce qui a ŽtŽ dit au commencement de cet Ouvrage, sur la diffŽrence des actions innŽes dans les Etres, de mme que sur la diffŽrence de toute Matire et de son Principe, dÕo lÕon a pu conna”tre trs clairement, quelle a ŽtŽ lÕErreur de ceux qui ont confondu toutes ces choses. Mais je commencerai par prier mes Lecteurs dÕobserver avec des yeux attentifs, ce qui se passe dans les btes, auxquelles convient, aussi bien quՈ lÕhomme animal, la division de la forme en trois parties distinctes, et de voir si chacune de ces trois divisions ne pourrait pas nous indiquer rŽellement des facultŽs diffŽrentes, quoique appartenantes au mme Etre, et quoique ayant toutes les matŽriel pour objet et pour fin.

Du poids, du nombre et de la mesure

Qui ne sait, en effet, que tout est constituŽ par poids, par nombre et par mesure ? Or le poids nÕest pas le nombre, le nombre nÕest pas la mesure, et la mesure nÕest ni lÕun ni lÕautre, et, quÕil me soit permis de le dire, le nombre est ce qui enfante lÕaction, la mesure est ce qui la rgle, et le poids est ce qui lÕopre. Mais ces trois mots, quoique applicables universellement, ne doivent pas sans doute, signifier la mme chose, dans lÕAnimal et dans lÕHomme intellectuel ; nŽanmoins il faut que si les trois parties des corps animaux sont constituŽes par ces trois Principes, nous en trouvions sur elles lÕapplication.

Aussi, cÕest par le moyen des organes de la tte, que lÕAnimal met en jeu le Principe de ses actions ; ce qui fait quÕon doit appliquer le nombre ˆ cette partie.

Le cÏur, ou le sang, Žprouve une sensation plus ou moins forte, en raison de la force plus ou moins grande, et de la constitution de lÕindividu ; or, cÕest lՎtendue de cette sensation qui dŽtermine lՎtendue de lÕaction dans le sensible ; cÕest donc pour cela que la mesure peut convenir ˆ la seconde division du corps animal.

Enfin, les intestins oprent cette mme action, qui dans lÕAnimal, selon la Loi paisible de la Nature, doit se borner ˆ la digestion des aliments dans lÕestomac, et ˆ la fermentation des semences reproductives dans les reins. CÕest pour cette raison que le poids doit se rapporter ˆ cette troisime partie, qui avec les deux autres, constituent essentiellement tout Animal.

PuisquÕil est certain que nous ne pouvons nous dispenser de sentir la nature diffŽrente de ces trois sortes dÕactions, nous devons reconna”tre nŽcessairement une diffŽrence essentielle entre les facultŽs qui les manifestent. Cependant nous ne pouvons nier que ces diffŽrentes facultŽs ne rŽsident dans le mme Etre ; nous sommes donc obligŽs dÕavouer, que quoique cet Etre ne forme quÕun seul individu, il est Žvident nŽanmoins, que dans lui tout nÕest pas Žgal, que la facultŽ qui vŽgte nÕest pas celle qui le rend sensible ; que celle qui le rend sensible, nÕest pas celle qui lui fait opŽrer et exŽcuter ses actions en raison de sa sensibilitŽ, et que chacun de ses actes porte avec lui un caractre particulier.

DiffŽrentes actions dans lÕAnimal

Appliquons ˆ lÕhomme la mme observation, et nous pourrons alors le prŽserver de la confusion horrible dans laquelle on prŽtend lÕentra”ner. Car, si lÕon aperoit que dans lui le poids, le nombre et la mesure reprŽsentent des facultŽs non seulement diffŽrentes entre elles, mais mme encore infiniment supŽrieures ˆ celles que ces trois Lois nous ont dŽmontrŽ dans la Matire, nous pourrons en conclure lŽgitimement que lÕEtre qui sera douŽ de ces facultŽs, sera trs diffŽrent de lÕEtre corporel, et alors on ne serait plus excusable de confondre lÕun avec lÕautre.

On conviendra sžrement sans peine, que quant aux fonctions corporelles, les trois distinctions que nous avons faites se peuvent appliquer aux corps de lÕhomme, comme ˆ tout autre Animal, parce quÕil est Animal en cette partie. Il peut, comme les Animaux, manifester par le secours des organes de la tte, ses facultŽs et ses fonctions Animales. Il Žprouve ; comme eux, ses sensations dans le cÏur, et comme eux il Žprouve dans le ventre infŽrieur, les effets auxquels les lois corporelles assujettissent tous les Animaux pour leur soutien et pour leur reproduction.

Ainsi, dans ce sens, le poids, le nombre et la mesure lui appartiennent aussi essentiellement et de la mme manire, quՈ tout autre Animal.

Mais il nÕest plus possible de douter que ces trois signes nÕavaient dans lÕhomme des effets dont toutes les propriŽtŽs de la Matire nÕoffrent pas la moindre trace.

DiffŽrentes actions dans lÕIntellectuel

Car, premirement, quoique nous soyons convenus que toutes les pensŽes de lÕhomme actuel ne lui venaient que du dehors, on ne peut nier cependant que lÕacte intŽrieur et le sentiment de cette pensŽe, ne se passent au dedans et indŽpendamment des sens corporels. Or cÕest donc dans ces actes intŽrieurs que nous trouverons parfaitement lÕexpression de ces trois signes, le poids, le nombre et la mesure, dÕo proviennent ensuite tous les actes sensibles auxquels lÕhomme se dŽtermine en consŽquence de sa LibertŽ.

Le premier de ces signes est le nombre, que nous appliquons ˆ la pensŽe, comme le Principe et le sujet sans lequel aucun des actes subsŽquents nÕaurait lieu.

Aprs cette pensŽe, nous trouvons dans lÕhomme une volontŽ bonne ou mauvaise, et qui fait seule la rgle de sa conduite et de sa conformitŽ ˆ la justice ; aussi rien ne nous para”t mieux convenir ˆ cette volontŽ que le second signe, ou la mesure.

En troisime lieu, de cette pensŽe et de cette volontŽ, il rŽsulte un acte qui leur est conforme, et cÕest ˆ cet acte pris comme rŽsultat, que lÕon doit appliquer le troisime signe ou le poids ; cet acte nŽanmoins se passe dans lÕintŽrieur, comme la pensŽe et la volontŽ ; il est vrai quÕil enfante ˆ son tour un acte sensible, qui doit faire rŽpŽter aux yeux du corps, lÕordre et la marche de tout ce qui sÕest passŽ dans lÕintelligence ; mais comme la liaison de cet acte intŽrieur ˆ cet acte sensible qui en provient, est le vrai mystre de lÕhomme, je ne pourrais mÕy arrter plus longtemps sans indiscrŽtion et sans danger ; et si jÕen parle dans la suite, lorsque je traiterai des langues, ce ne pourra jamais tre quÕavec rŽserve.

Des deux natures de lÕhomme

Cela nÕempche pas quÕon ne reconnaisse avec moi dans lÕhomme intŽrieur ou intellectuel, le poids, le nombre et la mesure, images des lois par lesquelles tout est constituŽ, et alors quoique nous ayons aussi reconnu ces trois signes dans la Bte, nous nous garderons bien de faire aucune comparaison entre elle et lÕHomme, puisque dans la Bte, ils nÕoprent uniquement et ne peuvent opŽrer que sur les sens, au lieu que dans lÕHomme, ils oprent sur ses sens et sur son intelligence, mais dÕune manire particulire ˆ chacune de ces facultŽs, et relativement au rang quÕelles occupent lÕune par rapport ˆ lÕautre.

Si lÕon persistait ˆ nier ces deux facultŽs dans lÕHomme, je ne demanderais ˆ ceux qui les contestent, que de jeter les yeux sur eux-mmes, ils y verraient que les diffŽrentes parties de leurs corps o elles se manifestent, sont un indice frappant de la diffŽrence de ces facultŽs.

Des deux natures universelles

Quand lÕHomme veut considŽrer quelque objet de raisonnement, quÕil se propose la solution de quelque difficultŽ, nÕest-ce pas dans la tte que se fait tout le travail ?

Quand au contraire, il Žprouve des sentiments de quelque nature quÕils soient, et quel quÕen soit lÕobjet, ou intellectuel, ou sensible, nÕest-ce pas dans le cÏur que se fait conna”tre tout le mouvement, toute lÕagitation, toutes les sensations de joie, de plaisir, de peine, de crainte, dÕamour, et toutes les affections dont nous sommes susceptibles ?

Ne sentons-nous pas aussi, combien les actes qui se passent dans chacune de ces parties, sont opposŽs, et que sÕils nՎtaient rapprochŽs par un lien supŽrieur, ils seraient par eux-mmes irrŽconciliables ?

CÕest donc lˆ cette diffŽrence manifeste qui doit de nouveau convaincre lÕhomme quÕil y a en lui plus dÕune nature.

Or si lÕhomme, malgrŽ son Žtat de rŽprobation, trouve encore en lui une nature supŽrieure ˆ sa nature sensible et corporelle, pourquoi nÕen voudrait-il pas admettre une semblable dans le sensible universel, mais Žgalement distincte et supŽrieure ˆ lÕUnivers, quoique prŽposŽe particulirement pour le gouverner.

 

Sige de lՉme corporelle

CÕest aussi lˆ o nous apprendrons ce que nous devons penser dÕune question qui inquite communŽment les hommes ; savoir, dans quelle partie du corps le Principe actif, ou lՉme, est placŽ, et quel est le lieu qui lui est fixŽ pour tre le sige de toutes ses opŽrations.

Dans les Etres corporels et sensibles, le Principe actif est dans le sang, qui, comme feu, est la source de la vie corporelle ; alors dÕaprs ce qui a ŽtŽ dit, en parlant des diffŽrentes facultŽs des Etres, nous ne pouvons nier que son sige principal ne soit dans le cÏur, dÕo il Žtend son action dans toutes les parties du corps.

QuÕon ne soit plus arrtŽ par la difficultŽ de ceux qui ont dit que si lՉme corporelle Žtait dans le sang, elle se diviserait, et sՎchapperait en partie, lorsque lÕanimal perdrait du sang ; car elle affaiblit seulement par lˆ son action, en ce quÕelle perd les moyens de lÕexercice ; mais elle nÕen souffre en elle mme aucune altŽration, puisque Žtant simple, elle est nŽcessairement indivisible.

Ce que nous appelons, la mort des corps, nÕest donc autre chose que la fin totale de cette action qui se trouve privŽe de ses vŽhicules secondaires, comme dans les Žpuisements ; ou trop contrainte, comme dans les maladies dÕhumeurs ; ou enfin trop libre, et par lˆ Žtant interceptŽe ou interrompue, comme dans les blessures qui attaquent les parties indispensablement nŽcessaires ˆ la vie du corps.

Sige de lՉme intellectuelle

Quoique jÕannonce que la vie, ou lՉme corporelle, rŽside dans le sang, nŽanmoins je dois en passant, faire remarquer que le sang est insensible ; observation qui pourra faire conna”tre aux hommes la diffŽrence quÕil y a entre les facultŽs de la Matire, et les facultŽs du Principe de la Matire, et qui les empchera de confondre deux Etres aussi distincts.

LÕhomme Žtant semblable aux animaux par la vie corporelle et sensible, tout ce que lÕon vient de voir sur le Principe actif animal, peut lui convenir quant ˆ cette partie seulement. Mais quant ˆ son Principe intellectuel, comme il nՎtait point fait pour habiter la Matire, cÕest une des plus grandes mŽprises que les hommes aient faites, que de lui chercher son berceau dans la Matire, et de vouloir lui assigner une demeure fixe, et un lien pris parmi des assemblages corporels, comme si une portion de matire impure et pŽrissable pouvoir servir de barrire ˆ un Etre de cette nature.

Il est bien plus Žvident quÕen qualitŽ dÕEtre immatŽriel, ce nÕest quÕavec un Etre immatŽriel quÕil peut avoir de la liaison et de lÕaffinitŽ, et lÕon conoit quÕavec tout autre Etre la communication serait impraticable.

Liaison de lÕintellect au sensible

Aussi cÕest sur le Principe immatŽriel corporel de lÕhomme, et non sur aucune portion de sa matire, que repose son Principe intellectuel : cÕest lˆ quÕil est liŽ pour un temps par la main supŽrieure qui lÕy a condamnŽ ; mais par sa nature, il domine sur le Principe corporel, comme le Principe corporel domine sur le corps, et nous nÕen devons plus douter, en ce que cÕest dans la partie supŽrieure, ou dans la tte, que nous avons montrŽ ci-devant quÕil manifestait toutes ses facultŽs ; en un mot, il se sert de ce Principe pour lÕexŽcution sensible de ces mmes facultŽs ; et tel eu le moyen de discerner clairement le sige et lÕemploi des deux diffŽrents Principes de lÕhomme.

Cependant, quoique par sa Nature et par sa place, le Principe corporel soit infŽrieur, cÕest par sa liaison avec lui que lÕhomme Žprouve dans son Etre intellectuel tant de souffrances, tant dÕinquiŽtudes, tant de privations, et cette terrible obscuritŽ qui lui fait enfanter tant dÕerreurs. CÕest par cette liaison, quÕil est forcŽ de subir lÕaction des sens de ce aujourdÕhui absolument nŽcessaire, pour obtenir la jouissance des vŽritables affections qui sont faites pour lui.

Mais, comme cette voie est variable et incertaine, et quÕelle ne rend pas toujours la lumire dans toute sa clartŽ, lÕhomme nÕen retire pas les avantages et les satisfactions dont sa nature le rendrait susceptible.

Des difformitŽs et des maladies

De lˆ vient que les dŽrangements, soit naturels, soit accidentels, que le Principe sensible et corporel peut Žprouver, sont trs nuisibles au Principe intellectuel, en ce quÕils affaiblissent ˆ la fois, et lÕinstrument de ses actions, et lÕorgane de ses affections.

Ces faits ont paru si favorables aux MatŽrialistes, quÕils ont cru pouvoir les donner comme un appui solide ˆ leur systme, cÕest-ˆ-dire, quÕayant fondŽ les facultŽs intellectuelles de lÕhomme sur sa constitution corporelle, ils les ont fait dŽpendre absolument du bon ou du mauvais Žtat, o son corps pourrait tre selon le cours variable de la Nature.

Mais aprs tout ce quÕon a vu sur la LibertŽ de lÕhomme, et sur la diffŽrence des deux Etres qui le composent, ces objections nÕont plus aucune valeur ; lÕhomme nÕest point tenu ˆ la jouissance entire de toutes les facultŽs qui pourraient appartenir ˆ sa nature intellectuelle, puisque, par leur origine mme, tous les hommes nÕen reoivent pas la mme mesure, et puisque mille ŽvŽnements indŽpendants de leur volontŽ, peuvent dŽranger ˆ tout instant, leur constitution corporelle ; mais il est coupable lorsquÕil laisse dŽpŽrir par sa faute les facultŽs qui lui sont accordŽes. Tous ne sont pas nŽs pour avoir le mme Domaine ; mais tous rŽpondent de lÕemploi de celui qui leur est Žchu.

Ainsi, quelque dŽrangement, quelque irrŽgularitŽ quÕun homme Žprouve dans sa constitution corporelle et dans ses facultŽs intellectuelles, ne le croyons pas pour cela ˆ lÕabri de la Justice, parce que, quelque petit que soit le nombre et la valeur des facultŽs qui lui restent, il en devra toujours compte, et il nÕy a que lÕhomme dans la folie, de qui la vraie Justice ne puisse rien exiger, parce quÕalors cette Justice le tient elle-mme sous son flŽau.

Ne croyons pas non plus avec nos adversaires que ces dŽrangements et ces irrŽgularitŽs corporelles, nÕaient dÕautre Principe que la Loi aveugle par laquelle ils prŽtendent expliquer la Nature. Nous montrerons par la suite combien le conduite de lÕhomme, dans sa vie corporelle, sՎtend jusque sur sa postŽritŽ ; nous montrerons en outre dans son lieu, quelles sont les immenses facultŽs du Principe ou de cette cause temporelle, attachŽe de toute nŽcessitŽ ˆ la direction de lÕUnivers.

Ainsi, en rŽflŽchissant sur la nature de cette cause temporelle universelle, qui non seulement prŽside essentiellement aux corps, mais qui devrait mme aussi tre toujours la boussole des actions des hommes, il sera facile de voir si rien dans cette rŽgion corporelle peut arriver qui nÕait un motif et un but.

Nous croirons bien plut™t que toutes ces difformitŽs, tous ces accidents auxquels nous sommes exposŽs, tant dans notre Etre corporel, que dans notre Etre intellectuel, ont incontestablement un principe ; mais que nous ne le connaissons pas toujours, parce quÕon le cherche dans la Loi morte de la Matire, au lieu de le chercher dans les lois de la justice, dans lÕabus de notre volontŽ, ou dans les Žgarements de nos anctres.

Je laisse lÕhomme aveugle et lŽger, murmurer sur cette Justice, qui Žtend la punition des Žgarements des pres sur leur postŽritŽ. Je ne lui apporterai point pour preuve cette Loi physique, par laquelle une source impure communique son impuretŽ ˆ ses productions, parce que cette Loi si connue, est fausse, abusive, lorsquÕon lÕapplique ˆ ce qui nÕest pas corps. Il nÕest pas corps. Il verrait encore moins que si cette Justice peut affliger les Enfants par les Pres, elle peut aussi blanchir et laver les Pres par les Enfants ; ce qui devrait suffire pour suspendre tous nos Jugements sur elle, tant que nous ne serons pas admis ˆ son Conseil.

Ce coup dÕÏil prudent, juste et salutaire, est une des rŽcompenses de la Sagesse mme ; comment le donnerait-elle donc ˆ ceux qui croient pouvoir se passer de sa lumire, et qui se persuadent nÕavoir pas besoin dÕautre guide que leurs propres sens, et les notions grossires de la multitude ?

Effets de lÕamputation

La question que je viens de traiter sur le lieu que lՉme occupe dans le corps, me mne naturellement ˆ une autre tout aussi intŽressante sur le Principe corporel, et qui occupe Žgalement les Observateurs ; cÕest de savoir pourquoi lorsquÕun homme est privŽ, par accident, de lÕun de ses membres, il Žprouve pendant quelques temps des sensations qui lui semblent tre dans le membre dont il ne jouit plus.

Si lՉme ou le Principe corporel Žtait divisible, comme il faudrait lÕinsŽrer des opinions des MatŽrialistes, il est certain quÕaprs lÕamputation dÕun membre, jamais un homme ne pourrait souffrir dans cette partie, parce que les portions du Principe corporel, qui auraient ŽtŽ sŽparŽes en mme temps que le membre amputŽ, ne conservant plus de liaison avec leur source sՎteindraient dÕelles-mmes, et ne pourraient plus donner aucun tŽmoignage de sensibilitŽ.

CÕest encore moins dans ce membre amputŽ que nous devons chercher le Principe de cette sensibilitŽ, puisquÕau contraire, ds lÕinstant de sa sŽparation, il nÕest plus rien pour le corps dont il est sŽparŽ.

CÕest donc uniquement dans le Principe corporel lui-mme, que nous pourrons trouver la cause du fait dont il sÕagit, et nous rappelant toutes les VŽritŽs que nous avons Žtablies, nous dirons que dans lÕassemblage de lÕhomme actuel, de mme que son Principe corporel sert dÕinstrument et dÕorgane aux facultŽs de son Etre intellectuel, de mme son corps sert dÕorgane et dÕinstrument aux facultŽs de son Principe corporel.

Nous avons vu que si ce Principe corporel Žprouvait des dŽrangements dans les organes principaux du corps, qui sont fondamentalement nŽcessaires ˆ lÕexercice des facultŽs intellectuelles, il pouvait arriver que le Principe intellectuel en souffr”t ; mais on ne croira pas, je lÕespre, que cette souffrance puisse aller jusquՈ altŽrer lÕEssence de ce Principe intellectuel, ni ˆ le diviser dÕaucune manire ; on sait que par sa nature dÕEtre simple il demeure toujours le mme ; tout ce quÕon lui voit Žprouver alors, cÕest un dŽrangement dans ses facultŽs, et cela, parce que lÕorgane qui devait lui servir ˆ les exercer et ˆ lui faire parvenir la rŽaction intellectuelle extŽrieure dont il ne peut se passer, nՎtant point dans son Žtat de perfection, lÕaction de ces facultŽs intellectuelles devient nulle, ou reflue sur lÕEtre intellectuel lui-mme.

Dans le premier cas, cÕest-ˆ-dire, lorsque lÕaction des facultŽs devient nulle, lÕEtre intellectuel ne dŽmontre que la privation ; ce qui est le commencement de lÕimbŽcillitŽ et de la dŽmence, mais il nÕy a point de peine alors, aussi est-il reconnu que la folie ne fait point souffrir.

Dans le second cas, cÕest-ˆ-dire, lorsque cette action reflue sur le Principe, il montre de la confusion, du dŽsordre, et un mal-tre qui est une vŽritable souffrance intellectuelle, parce que ce Principe, qui ne tend quՈ exercer son action, se trouve bornŽ et resserrŽ dans lÕemploi de ses facultŽs.

Il en est absolument de mme pour la souffrance corporelle dans le cas de la privation dÕun membre. Le corps doit servir dÕorgane au Principe corporel qui lÕanime ; si ce corps reoit quelque mutilation considŽrable, il est certain que lÕorgane Žtant tronquŽ, le Principe corporel ne peut plus faire exŽcuter ses facultŽs dans toute leur Žtendue, parce que lÕaction de la facultŽ qui avait besoin du membre amputŽ pour avoir son effet, ne trouvant plus dÕagent qui corresponde avec elle, devient nulle, ou reflue sur elle-mme ; cÕest alors quÕelle occasionne une confusion et des douleurs trs sensibles dans le Principe corporel dÕo elle est ŽmanŽe, dÕautant que lÕamputation dÕun membre donne entrŽe ˆ des actions extŽrieures et destructives, qui repoussent avec encore plus de promptitude lÕaction du Principe corporel, et la font retourner vers son centre.

MalgrŽ cette souffrance, nous ne devons donc point admettre de dŽmembrement dans le Principe corporel, ni dans aucune sorte de Principes, et nous reconna”trons simplement que tout Etre corporel ayant besoin dÕorganes pour faire exŽcuter son action, doit souffrir quand ces organes sont dŽrangŽs, parce quÕalors ils ne peuvent pas rendre lÕeffet qui leur est propre.

Il nÕest pas tout ˆ fait inutile de remarquer que ceci ne peut avoir lieu que sur les quatre membres extŽrieurs, ou sur les quatre correspondances du corps ; car des trois parties principales qui composent le buste, aucune ne peut tre supprimŽe sans que le corps ne pŽrisse.

Des trois actions temporelles

Reprenons en peu de mots les divers objets que je viens de traiter. JÕai fait voir par les diffŽrentes propriŽtŽs des ElŽments, plusieurs actions diffŽrentes dans la composition des corps ; jÕai fait voir quÕoutre les deux actions opposŽes et innŽes dans ces corps, il y avait une Loi supŽrieure par laquelle elles Žtaient rŽgies, mme dans leurs plus grands chocs et dans leur plus grande confusion ; jÕai fait voir ensuite que cette Loi supŽrieure se trouvait mme aujourdÕhui dans lÕhomme, en qui elle Žtait distincte du sensible, quoique Žtant attachŽe au sensible ; nous ne pouvons donc plus nier quÕil nÕy ait trois actions nŽcessairement employŽes ˆ la conduite des choses temporelles, en similitude des trois ElŽments dont les corps sont composŽs.

De ces trois actions ordonnŽes par la premire Cause, pour diriger la formation des Etres corporels, lÕune est cette Cause temporelle, intelligente et active qui dŽtermine lÕaction du Principe innŽ dans les germes, par le moyen dÕune action secondaire, ou dÕune rŽaction sans laquelle nous avons reconnu quÕil ne se ferait aucune reproduction ; et sans doute, tout ce que lÕon a vu, a fait sentir assez clairement lÕexistence et la nŽcessitŽ de cette Cause intelligente, dont lÕaction supŽrieure doit diriger les deux actions infŽrieures.

Source de lÕignorance

Comment se fait-il donc que les hommes lÕaient mŽconnu, et quÕils aient cru pouvoir marcher sans elle dans la connaissance de la Nature ? On en voit maintenant la raison. CÕest quÕils ont dŽnaturŽ les nombres qui constituent ces actions, comme ils ont dŽnaturŽ ceux qui constituent les ElŽments ; car dÕun c™tŽ, dans ce qui est trois, ils nÕont reconnu que deux : de lÕautre, ils ont cru voir quatre, dans ce qui nÕest que trois ; cÕest-ˆ-dire, quÕen considŽrant les deux actions passives des corps, ils ont perdu dŽ vue la Cause active et intelligente, en sorte quÕils ont assimilŽ et confondu lÕaction et les facultŽs de cette cause avec celles des deux actions infŽrieures, comme ils ont assimilŽ la facultŽ passive des trois ElŽments ˆ la facultŽ active de lÕair, qui est un des plus forts Principes de leur rŽaction. Ds lors ces nombres Žtant ainsi dŽfigurŽs, les Observateurs nÕont plus aperu le rapport qui se trouvait entre le ternaire des ElŽments et le ternaire des actions qui oprent la corporisation universelle et particulire.

Ce rapport leur ayant ŽchappŽ, et Žtant ainsi devenu nul pour eux, ils nÕont plus senti la nŽcessitŽ et la supŽrioritŽ de cette action de la cause intelligente sur les deux actions infŽrieures qui servent de base ˆ toute production corporelle ; ils ont pris les unes pour les autres, toutes ces causes et ses actions diffŽrentes, ou plut™t ils nÕen ont fait quÕune.

Et comment auraient-ils pu se prŽserver de cette erreur, puisquÕils avaient commencŽ par confondre la Matire avec le Principe de la Matire, et que donnant ˆ cette Matire toutes les propriŽtŽs de son Principe, il ne leur en a pas cožtŽ davantage de lui attribuer aussi toutes les propriŽtŽs et les actions des Causes supŽrieures qui sont indispensablement nŽcessaires ˆ son existence.

Mais on doit voir ˆ prŽsent, que mŽconna”tre la puissance et la nŽcessitŽ dÕune troisime cause, cÕest se priver du seul appui qui reste aux hommes pour expliquer la marche de la Nature ; cÕest lui donner dÕautres Lois que celles quÕelle a reues ; cÕest lui attribuer ce qui nÕest pas en elle ; en un mot, cÕest admettre, ce qui non seulement nÕest pas vraisemblable, mais ce qui est hors de toute possibilitŽ.

NŽcessitŽ dÕune troisime cause

Aussi, qui ignore ce que les hommes ont mis en place de cette Cause indispensable ? Qui ne sait les puŽrils raisonnements quÕils ont employŽs pour expliquer sans elle les Lois de la Matire, et pour asseoir le systme de lÕUnivers ? Aveugles sur lÕorigine des choses, sur lÕobjet de la CrŽation, sur sa durŽe, sur son action, toutes les explications quÕil en ont donnŽes, sont le langage du doute et de lÕincertitude, et toute leur doctrine est moins une Science quÕune question continuelle.

Du hasard

Lorsque, par la seule force de leur raison, ils ont pu faire eux-mmes, ces observations, et apercevoir le besoin indispensable dÕun Principe qui serve de guide ˆ la Nature ; ou ils ont cherchŽ ce Principe dans lÕEtre premier lui-mme, et nÕont pas craint de le ravaler ˆ nos yeux, en ne sŽparant point son action de celles des choses sensibles ; ou ils sÕen sont tenus ˆ une sentiment lŽger sur la nŽcessitŽ dÕun agent intermŽdiaire entre cet Etre premier et la Matire, et ne se donnant pas le temps de considŽrer quelle pouvait tre cette cause intermŽdiaire, ils lÕont dŽsignŽe confusŽment sous le nom de cause aveugle, fatalitŽ, hasard et autres expressions, qui Žtant destituŽes de vie et dÕaction, ne pouvaient jamais quÕaugmenter les tŽnbres o lÕhomme est plongŽ aujourdÕhui.

Ils nÕont pas vu quÕils Žtaient eux-mmes la source de toutes ces obscuritŽs ; que ce hasard enfin Žtait engendrŽ par la seule volontŽ de lÕhomme, et nÕavait lieu que dans son ignorance : car il ne peut nier que les lois qui constituent tous les Etres, devraient avoir des effets invariables et une influence universelle ; mais quand il en dŽrange lÕaccomplissement dans les classes soumises ˆ son pouvoir, ou quand il sÕaveugle lui-mme, il ne voit plus ces lois indestructibles, et ds lors il conclut quÕelles nÕexistent pas.

Cependant, ce ne sera jamais dans les actes et dans les Ïuvres de la Cause premire quÕil pourrait admettre le hasard, puisque cette cause Žtant la source unique et intarissable de toutes les lois et de toutes les perfections, il faut que lÕordre qui rgne autour dÕelle soit invariable comme sa propre essence.

Ce ne serait pas plus dans les Ïuvres de la Cause temporelle intelligente, que ce hasard pourrait se concevoir, parce quՎtant chargŽe spŽcialement de lÕÏuvre temporel de la Cause premire, il est impossible que cet Ïuvre ne tende sans cesse ˆ son but, et ne surmonte tous les obstacles.

Ce ne peut donc tre que dans les faits particuliers de la Nature corporelle, ainsi que dans les actes de la volontŽ de lÕhomme que nous pouvons cesser de voir de la rŽgularitŽ, et des rŽsultats toujours infaillibles et toujours prŽvus. Mais si lÕhomme nÕoubliait jamais combien ces faits particuliers et sa volontŽ sont intimement liŽs, sÕil avait toujours prŽsent ˆ la pensŽe quÕil a ŽtŽ Žtabli pour rŽgner sur lui-mme et sur la rŽgion sensible, il conviendrait quÕen remplissant sa destination, non seulement il pourrait dŽcouvrir ces lois universelles qui gouvernent les rŽgions supŽrieures, et quÕil a si souvent mŽconnues ; mais mme il sentirait que le pouvoir de ces lois ˆ jamais impŽrissables, sՎtendrait jusque sur son Etre, ainsi que sur les faits particuliers de sa rŽgion tŽnŽbreuse, cÕest-ˆ-dire, quÕil nÕy aurait plus de hasard pour lui, ni pour aucun des faits de la Nature.

Alors, quand il apercevrait du dŽrangement dans les actes particuliers de cette Nature, ou quand il ignorerait les causes qui les font opŽrer, et les rgles qui les dirigent, il ne pourrait plus attribuer ce dŽsordre et cette ignorance, quՈ sa nŽgligence et ˆ lÕusage faux de sa volontŽ qui nÕaura pas employŽ tous ses droits, ou qui en aura fait valoir de criminels.

Mais pour acquŽrir lÕintelligence de ces vŽritŽs, il faut avoir plus de confiance que nÕen ont les observateurs dans la grandeur de lÕhomme et dans la puissance de sa volontŽ, il faut croire que sÕil est au dessus des Etres qui lÕenvironnent, ses vices, comme ses vertus doivent avoir un rapport et une influence nŽcessaire sur tout son Empire.

Convenons donc que lÕignorance et la volontŽ dŽrŽglŽe de lÕhomme, sont les seules causes de ces doutes o nous le voyons flotter tous les jours. CÕest ainsi quÕayant laissŽ effacer en lui lÕidŽe dÕun ordre et dÕune loi qui embrasse tout, il leur a substituŽ la premire chimre que lui a prŽsentŽ son imagination ; car dans son aveuglement mme il cherche toujours un mobile ˆ la Nature ; cÕest ainsi quÕil renouvelle sans cesse cette coupable erreur, par laquelle, aprs avoir volontairement semŽ lÕincertitude et le hasard autour de lui, il est assez injuste et assez malheureux que de les imputer ˆ son Principe.

Ceux mmes qui nÕont pas niŽ que les choses corporelles ont eu un commencement, ne leur ont pas donnŽ dÕautre cause que le hasard ;ne sachant pas quÕil y ežt une raison premire ˆ leur existence, ou ne prŽsumant pas mme quÕune cause hors dÕelles, ežt pu sÕen occuper assez pour la faire opŽrer et cependant, convaincus que cette existence avait commencŽ, ils ont renfermŽ tout ˆ la fois dans les seules propriŽtŽs des corps, la vertu active et innŽe en eux qui les anime, et la Loi supŽrieure qui leur a ordonnŽ de na”tre.

Ils ont suivi le mme ordre dans lÕexplication quÕils ont donnŽe de la Loi qui soutient lÕexistence de ces mmes Etres corporels ; et cela devait tre ainsi. Aprs en avoir Žtabli lÕorigine sur une base imaginaire et fausse, il fallait bien que le reste de lÕÏuvre y fžt conforme ; ainsi selon eux, les corps vivent par eux-mmes, comme cÕest par eux-mmes quÕils sont nŽs.

Quant ˆ ceux qui prŽtendent que la Matire et les Etres corporels ont toujours existŽ, leur erreur est infiniment plus grossire et plus outrageante pour la VŽritŽ. Ces deux Doctrines ont Žgalement mŽconnu la Loi et la raison premire des choses, mais lÕune a seulement enseignŽ quÕon pouvait se passer dÕune cause active et intelligente pour expliquer leur origine, lÕautre a avili cette Cause, en lui Žgalant le Principe actif des Etres corporels, et en ne la croyant pas supŽrieure, ni plus ancienne que la Matire.

Les Observateurs ne sÕen sont pas tenus lˆ ; car aprs avoir posŽ des Principes aussi obscurs sur la marche et la nature des choses, aprs sՐtre renfermŽs dans un cercle aussi Žtroit, ils ne sont vus comme forcŽs dÕy ramener tous les phŽnomnes et tous les ŽvŽnements que nous voyons arriver dans lÕUnivers. CÕest, selon eux, un Etre sans intelligence et sans but, qui a tout fait, et qui fait tout continuellement ; et comme il nÕy a que deux causes qui soient les instruments de ce qui sÕopre, ds quÕils ont trouvŽ ces deux causes dans les Etres corporels, ils se sont crus dispensŽs dÕen chercher une supŽrieure.

Il est heureux que la Nature ne se soumette point ˆ la pensŽe des hommes ; toute aveugle quÕils la supposent, elle les laisse raisonner, et elle agit. CÕest mme ˆ la fois un bonheur inapprŽciable pour eux, et le plus beau caractre de la grandeur de lÕEtre physique et temporel qui les gouverne, que la marche de cette Nature soit aussi ferme et aussi intrŽpide ; car Žtant impŽnŽtrable aux systmes des hommes, et leur en dŽmontrant la faiblesse par sa constance ˆ suivre sa Loi, elle les forcera peut-tre un jour dÕavouer leurs erreurs, de quitter les sentiers obscurs o ils se tra”nent, et de chercher la VŽritŽ dans une source plus lumineuse.

De la troisime cause

Mais pour prŽvenir lÕinquiŽtude de mes semblables, qui pourraient croire que cette Cause active et intelligente dont je leur parle, est un Etre chimŽrique et imaginaire, je leur dirais quÕil y a des hommes qui lÕont connue physiquement, et que tous la conna”traient de mme, sÕils mettaient leur confiance en elle, et quÕils prissent plus de soin dՎpurer et de fortifier leur volontŽ.

Je dois avertir cependant que je ne prends pas ce mot physique, dans lÕacceptation vulgaire qui nÕattribue de rŽalitŽ et dÕexistence quÕaux objets palpables aux sens matŽriels. Les moindres rŽflexions sur tout ce qui est contenu dans cet Ouvrage, suffiront pour faire voir combien on est ŽloignŽ de savoir le sens du mot physique, quand on lÕapplique aux apparences matŽrielles.

Remarque sur les deux principes

Avant de passer ˆ un autre sujet, je mÕarrterai un moment pour aplanir une difficultŽ qui pourrait na”tre, quoique je lÕaie dŽjˆ rŽsolue en quelque sorte. JÕai annoncŽ, dans le commencement de cet Ouvrage, lÕexistence de deux Principes opposŽs qui se combattent lÕun et lÕautre, et quoique jÕaie assez dŽmontrŽ lÕinfŽrioritŽ du mauvais Principe ˆ lՎgard du Principe bon, il se pourrait que dÕaprs les observations quÕon vient de voir sur la nature corporelle, on cržt ces deux Principes nŽcessaires ˆ lÕexistence lÕun et lÕautre, comme on a vu que les deux causes infŽrieures renfermŽes dans les Etres corporels, Žtaient absolument nŽcessaires pour leur faire opŽrer une production.

Pour Žviter cette mŽprise, il suffira de se rappeler que jÕai annoncŽ que tout produit, tout Ïuvre, tout rŽsultat dans la Nature corporelle, ainsi que dans tout autre classe, Žtait toujours infŽrieur ˆ son Principe gŽnŽrateur. Cette infŽrioritŽ assujettit la nature corporelle ˆ ne pouvant se reproduire, sans lÕaction de ces deux causes que nous avons reconnues en elle, et qui annoncent sa faiblesse et sa dŽpendance.

Or, si cette crŽation temporelle tire son origine du Principe supŽrieur et bon, comme nous nÕen pouvons pas douter, ce Principe doit montrer sa supŽrioritŽ en tout, et lÕun de ses attributs principaux, cÕest dÕavoir absolument tout en lui exceptŽ le mal, et de nÕavoir besoin que de lui-mme et de ses propres facultŽs pour opŽrer toutes ses productions. Quel sera donc alors lՎtat du mauvais principe, si ce nÕest de servir ˆ manifester la grandeur et la puissance du Principe bon, que tous les efforts de ce Principe mauvais ne pourront jamais Žbranler.

Ainsi il nÕest plus possible de dire que le mauvais Principe ait ŽtŽ et soit universellement nŽcessaire ˆ lÕexistence et ˆ la manifestation des facultŽs du bon Principe ; quoique comme influant sur lÕexistence du temps, ce mauvais Principe soit nŽcessaire pour occasionner la naissance de toutes les manifestations temporelles ; car comme il y a des manifestations qui ne sont point dans le temps, et que le Principe mauvais ne peut sortir du temporel, il est bien clair que le Principe bon agit sans lui ; ce que lÕon verra plus en dŽtail dans la suite.

Que les hommes apprennent donc ici ˆ distinguer de nouveau, les Lois et les facultŽs du Principe unique, universellement bon, et vivant par lui-mme, dÕavec celles de lÕEtre infŽrieur matŽriel qui ne tient rien de soi, et qui ne peut vivre que par des secours extŽrieurs.

 

Encha”nement des vŽritŽs

Je crois avoir fait entrevoir suffisamment ˆ mes semblables, le peu de fondement des opinions humaines sur tous les points dont je me suis occupŽ jusquՈ prŽsent. Aprs les avoir mis sur la voie pour leur apprendre ˆ distinguer les corps dÕavec le Principe innŽ dans ces corps ; aprs avoir fixŽ leurs yeux sur la simplicitŽ lÕunitŽ et lÕimmatŽrialitŽ de ce Principe indivisible, incommunicable, qui ne souffre aucun mŽlange, et qui demeure toujours le mme quoique la forme quÕil produit et dont il sÕenveloppe soit soumise ˆ une continuelle variation, ils pourront reconna”tre avec Žvidence que la Matire Žtant dans une dŽpendance incontestable, et cependant agissant par des lois rŽgulires, les deux causes infŽrieures qui oprent sa reproduction et tous les actes de son existence ne peuvent absolument se passer de lÕaction dÕune Cause supŽrieure et intelligente, qui les commande pour les faire agir, et qui les dirige pour les faire agir avec succs.

Par consŽquent ils avoueront que les deux causes infŽrieures doivent tre soumises aux lois de la Cause supŽrieure et intelligente, pour que les temps et lÕuniformitŽ soient observŽs dans tous leurs actes ; pour que les rŽsultats de toutes leurs diffŽrentes actions ne soient pas nuls, informes, et incertains, et pour que nous puissions nous rendre raison de lÕordre qui y rgne universellement.

Ils nÕauront pas de peine ˆ convenir ensuite que cette Cause supŽrieure nՎtant assujettie ˆ aucune des lois de la Matire, quoiquÕelle soit prŽposŽe pour la conduire, en doit tre entirement distincte ; que le moyen de parvenir ˆ la connaissance de lÕune et de lÕautre, est de les prendre chacune dans sa classe ; dÕen Žtudier les facultŽs particulires ; de les rapprocher dans le mme tableau, mais pour en dŽmler les diffŽrences et non pour les confondre ; de faire cette distinction sur tous les autres Etres de la Nature, et sur ses moindres parties, o les yeux du corps et de lÕintelligence nous apprennent quÕil y a toujours deux Etres ensemble, et que cÕest la violence qui les a rŽunis ; mais cependant de ne jamais perdre de vue que ce lien ne les unit lÕun ˆ lÕautre que pour un temps ; et de ne pas regarder cette union comme ayant toujours existŽ, et comme devant exister ˆ jamais, puisquÕau contraire nous la voyons cesser tous les jours.

Ce sont toutes ces observations qui rendront lÕhomme prudent et sage, et qui lÕempcheront de sÕabandonner en insensŽ dans des sentiers inconnus, dÕo il ne peut se tirer quÕen rŽtrogradant, ou en se livrant au dŽsespoir, lorsquÕil sent quÕil est trop avancŽ et que le temps lui manque. CÕest lˆ ce qui lui fera Žviter lՎcueil o la plupart des hommes sont entra”nŽs, lorsque Žtant seuls et dans les tŽnbres, ils osent prononcer sur leur propre nature et sur celle de la VŽritŽ. Nous verrons dans ce qui va suivre, les frŽquentes chutes, qui en ont ŽtŽ, et qui en sont tous les jours les suites. Nous verrons que la plupart de leurs souffrances ont pris lˆ leur source, de mme que cÕest pour tre dŽchus de leur premier Žtat de splendeur, quÕils sont exposŽs aujourdÕhui ˆ sÕenfoncer de plus en plus dans lÕopprobre et dans la misre.

 

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Tableau allŽgorique

QUELQUES hommes ŽlevŽs dans lÕignorance et dans la paresse, Žtant parvenus ˆ lՉge mžr, entreprirent de parcourir un grand Royaume ; mais comme ils nՎtaient conduits que par une vaine curiositŽ, ils firent peu dÕefforts pour conna”tre les vrais moyens par lesquels ce pays Žtait gouvernŽ. Ils nÕavaient ni assez de courage, ni assez de crŽdit pour sÕintroduire chez les Grands de lÕEtat, qui auraient pu leur dŽcouvrir les ressorts cachŽs du Gouvernement ; ainsi ils se contentrent dÕerrer de villes en villes, dÕy promener leurs regards incertains dans les places et les lieux publics, o voyant le peuple tumultueusement assemblŽ, et comme abandonnŽ ˆ lui-mme, ils ne prirent aucune idŽe de lÕordre et de la sagesse des lois qui veillaient secrtement ˆ la sžretŽ et au bonheur des habitants : ils crurent que tous les citoyens Žgalement oisifs, y vivaient dans une entire indŽpendance.

En effet, ce quÕils avaient aperu, ne prŽsentait ni rgle, ni loi, ˆ leur esprit peu ŽclairŽ ; en sorte que ne consultant que leurs yeux, ils furent bien ŽloignŽs de conna”tre que des hommes supŽrieurs par leur rang et par leurs pouvoirs y gouvernaient cette multitude qui sÕagitait confusŽment devant eux ; il se persuadrent que nÕy ayant point de Lois dans le pays quÕils parcouraient, il nÕy avait point de chef ; ou que sÕil y en avait un, il Žtait sans autoritŽ et sans action.

FlattŽs de cette indŽpendance, et ne prŽvoyant aucune suite dangereuse ˆ leurs actions, ils les regardrent bient™t comme arbitraires et indiffŽrentes, et crurent pouvoir sÕabandonner ˆ leurs caprices ; mais ils ne tardrent pas ˆ tre les victimes de leur Erreur et de leurs Jugements inconsidŽrŽs ; car les vigilants Administrateurs de lÕEtat, instruits de leurs dŽsordres, les privrent de la LibertŽ, et les resserrrent si Žtroitement quÕils languirent dans la plus profonde obscuritŽ, sans savoir si jamais la lumire leur serait rendue.

Imprudence des observateurs

Voilˆ exactement quelle a ŽtŽ la conduite et le sort de ceux qui ont osŽ par eux-mmes juger de lÕHomme et de la Nature ; toujours occupŽs dՎtudes inutiles et frivoles, leur vue sÕest rŽtrŽcie par lÕhabitude, et ne pouvant parcourir toute lՎtendue de la carrire, ils se sont arrtŽs aux apparences des objets ; en sorte que bornant lˆ leurs regards, ils ont ignorŽ, ou niŽ tout ce quÕils nÕont pu apercevoir. Ils nÕont vu dans les corps que leurs enveloppes, et ils les ont transformŽes en Principes. Ils nÕont vu dans les Lois de ces corps que deux actions, ou deux causes infŽrieures, et ils se sont h‰tŽs de rejeter la Cause supŽrieure active et intelligente, dont ils avaient confondu les opŽrations avec celles des deux autres causes.

Ensuite, se croyant bien assurŽs de leurs consŽquences, ils ont fait du tout un Etre matŽriel hypothŽtique, sur lequel ils ont eu lÕimprudence de mesurer tous les Etres de la Nature quÕils avaient entirement dŽfigurŽe ; et cÕest dÕaprs ce modle, ainsi mutilŽ, quÕils ont osŽ dessiner lÕHomme.

Et vraiment, on ne peut plus douter quÕils nÕaient fait ˆ son Žgard, les mmes mŽprises quÕils avaient faites auparavant sur toute la Nature. Non seulement ils nÕont pas mieux distinguŽ, dans son corps, que dans les autres Etres corporels, le Principe dÕavec lÕapparence ou lÕenveloppe et nÕen ont pas mieux connu, ni suivi la marche et les Lois ; mais, aprs avoir pris le change sur ce point, ils ont encore confondu cette enveloppe corporelle de lÕhomme avec son Etre intellectuel et pensant, comme ils avaient confondu le Principe innŽ dans tous les corps, avec la cause active et intelligente qui les dirige.

Ainsi, nÕayant pas dŽmlŽ dÕabord la cause supŽrieure, dÕavec les facultŽs innŽes dans lÕEtre corporel ; ayant ensuite confondu les facultŽs des deux diffŽrents Etres qui composent lÕhomme dÕaujourdÕhui, il leur a ŽtŽ impossible dÕy reconna”tre lÕaction de cette mme Cause active et intelligente, qui en mme temps quÕelle communique tous les pouvoirs ˆ la Nature, donne ˆ lÕhomme par son intelligence, toutes les notions du bien quÕil a perdu. CÕest pourtant avec cette ignorance, que non seulement ils ont ŽtŽ assez tŽmŽraires pour prononcer sur lÕEssence et la Nature de lÕhomme, mais encore, quÕils ont voulu expliquer tous les contrastes quÕil prŽsente, et Žtablir la base de ses Ïuvres.

Danger des erreurs sur lÕHomme

Quand lÕhomme ne sÕest trompŽ que sur la Nature ŽlŽmentaire, nous avons vu que ses Erreurs nÕavaient que des lŽgres suites ; car ses opinions ne pouvant influer sur la marche des Etres, leurs Lois invariables sÕexŽcutent sans cesse avec la mme prŽcision, quoique lÕhomme en ait dŽnaturŽ et mŽconnu le Principe. Mais il nÕen sera jamais ainsi de ses mŽprises sur lui-mme, et elles lui seront toujours inŽvitablement funestes, parce quՎtant dŽpositaire de sa propre Loi, il ne peut se mŽprendre sur elle, ni lÕoublier, quÕil nÕagisse directement contre lui-mme, et quÕil ne se fasse un prŽjudice manifeste ; en un mot ; sÕil est vrai quÕil soit heureux, lorsquÕil reconna”t et suit les Lois de son Principe, ses maux et ses souffrances sont une preuve Žvidente de ses Erreurs et des faux pas qui en ont ŽtŽ les suites.

Voyons donc ce qui rŽsultera de cet Etre ainsi dŽfigurŽ, et sÕil pourra se soutenir, Žtant privŽ de son principal appui ?

Il nous sera facile de prŽsumer les consŽquences de cet examen, si nous nous rappelons ce que nous avons dit de lՎtat o serait la Nature, laissŽe ˆ lÕaction passive des deux Etres infŽrieurs, qui sont nŽcessaires dans toute reproduction corporelle. Ces deux Etres, on le sait, nՎtant que passifs, ne peuvent jamais rien produire par eux-mmes, si la cause active et intelligente ne leur donne lÕordre et le pouvoir dÕopŽrer ce quÕils ont en eux.

Or, sÕil Žtait possible de supposer dans ces agents infŽrieurs une volontŽ, en leur laissant toujours la mme impuissance, il est Žvident que sÕils prŽtendaient mettre cette volontŽ en action, sans le concours de la Cause active dont ils dŽpendent nŽcessairement, leurs Ïuvres seraient informes, et nÕannonceraient quÕune confusion choquante.

Maintenant, ce que nous ne pourrions pas dire de ces agents infŽrieurs, qui sont dŽpourvus de volontŽ, appliquons-le ˆ lÕhomme qui en a une ˆ lui, et apprenons ˆ mieux dŽcouvrir encore les malheureux effets des erreurs que nous nous sommes proposŽs de combattre.

LÕhomme est ˆ prŽsent composŽ de deux Etres, lÕun sensible, lÕautre intelligent. Nous avons laissŽ entendre que dans son origine il nՎtait pas sujet ˆ cet assemblage, et que jouissant des prŽrogatives de lÕEtre simple, il avait tout en lui, et nÕavait besoin de rien pour se soutenir, puisque tout Žtait renfermŽ dans les dons prŽcieux quÕil tenait de son principe.

Nous avons fait voir ensuite quelles Žtaient les conditions sŽvres et irrŽvocables auxquelles la Justice avait attachŽ la rŽhabilitation de lÕhomme criminel par le faux usage de sa volontŽ ; nous avons vu, dis-je, quels sont les Žcueils affreux et sans nombre, dont il est sans cesse menacŽ, en habitant la rŽgion sensible qui est si contraire ˆ sa vŽritable nature. En mme temps nous avons reconnu que le corps quÕil porte ˆ prŽsent, Žtant de la mme classe que les choses sensibles, forme en effet autour de lui un voile tŽnŽbreux, qui cache ˆ sa vue la vraie lumire, et qui est tout ˆ la fois la source continuelle de ses illusions et lÕinstrument de ses nouveaux crimes.

Dans son origine, lÕhomme avait donc pour Loi de rŽgner sur la rŽgion sensible, comme il le doit encore aujourdÕhui, mais, comme il Žtait alors douŽ dÕune force incomparable, et quÕil nÕavait aucune entrave, tous les obstacles disparaissaient devant lui.

AujourdÕhui, il nÕa presque plus les mmes forces, ni la mme LibertŽ, et cependant il est infiniment plus prs du danger, de faon que dans le combat quÕil a maintenant ˆ soutenir, on ne peut exprimer le dŽsavantage auquel il est exposŽ.

Oui, telle est lÕaffreuse situation de lÕhomme actuel. Lorsque lÕArrt foudroyant eut ŽtŽ prononcŽ contre lui, il ne lui resta de tous les dons quÕil avait reus, quÕune ombre de LibertŽ, cÕest-ˆ-dire, une volontŽ presque toujours sans force et sans empire. Tout autre pouvoir lui fut ™tŽ, et sa rŽunion avec un Etre sensible le rŽduisit ˆ nՐtre plus quÕun assemblage de deux causes infŽrieures ; en similitude de celles qui rŽgissent tous les corps.

Je dis en similitude et non en ŽgalitŽ, parce que lÕobjet des deux natures de lÕhomme est plus noble ; et leurs propriŽtŽs bien diffŽrentes ; mais, quant ˆ lՉcre et ˆ lÕexercice de leurs facultŽs, elles subissent lÕune et lÕautre absolument la mme Loi, et les deux causes infŽrieures qui composent, lÕhomme dÕaujourdÕhui, nÕont pas, pour ainsi dire, plus de force par elles-mmes, que les deux causes infŽrieures corporelles.

LÕhomme, il est vrai, en qualitŽ dÕEtre intellectuel, a toujours sur les Etres corporels lÕavantage de sentir un besoin qui leur est inconnu ; mais il ne peut pas mieux quÕeux sÕen procurer seul le soulagement : il ne peut pas mieux par lui-mme vivifier ses facultŽs intellectuelles, quÕils nÕont pu animer leur Etre ; cÕest-ˆ-dire, quÕil ne peut pas mieux quÕeux se passer de la cause active et intelligente, sans laquelle rien de ce qui est dans le temps ne peut agir efficacement.

Quels fruits lÕhomme pourrait-il donc produire aujourdÕhui, si dans lÕimpuissance que nous lui connaissons, il croyait nÕavoir dÕautre Loi que sa propre volontŽ, et sÕil entreprenait de marcher sans tre guidŽ par cette Cause active et intelligente dont il dŽpend malgrŽ lui, et de laquelle il doit tout attendre, ainsi que les Etres corporels parmi lesquels il est si tristement confondu ?

Il est certain quÕalors ses propres Ïuvres nÕauraient aucune valeur, ni aucune force, puisquÕelles seraient destituŽes du seul appui qui puisse les soutenir ; et les deux causes infŽrieures dont il se trouve actuellement composŽ, se combattant sans cesse en lui, ne feraient que lÕagiter, et lÕab”mer dans la plus f‰cheuse incertitude.

Semblable aux deux lignes dÕun angle quelconque, qui peuvent bien se mouvoir chacune en sens contraire, sՎcarter, se rapprocher, se confondre, et se placer lÕune sur lÕautre, mais qui ne peuvent jamais produire aucune espce de figure, si lÕon nÕy joint une troisime ligne ; car cette troisime ligne est le moyen nŽcessaire qui fixe lÕinstabilitŽ des deux premires, qui dŽtermine leur position, qui les distingue sensiblement lÕune de lÕautre, qui constitue enfin une figure, et sans contredit la plus fŽconde de toutes les figures.

Voilˆ cependant quelles sont journellement les fausses tentatives de lÕhomme ; cÕest de travailler ˆ une Ïuvre impossible, cÕest-ˆ-dire, de vouloir former une figure avec deux lignes, en se concentrant dans lÕaction des deux causes infŽrieures qui composent aujourdÕhui sa nature, et en sÕefforant continuellement dÕexclure cette Cause supŽrieure, active et intelligente, dont il ne peut absolument se passer. Ainsi, malgrŽ lՎvidence du besoin quÕil en a, il va se jetant loin dÕelle, dÕillusions en illusions, sans pouvoir jamais trouver le point qui doit le fixer, parce quÕil nÕy a point dÕÏuvre parfaite sans le concours de ce troisime Principe ; et si lÕon en veut savoir la raison, cÕest que ds lÕinstant quÕon est ˆ trois, on est ˆ quatre.

Des diverses institutions

RŽflŽchissant alors sur lÕincertitude affreuse o il se trouve, il est ŽtonnŽ du dŽsordre qui accompagne tous ses pas, et bient™t il nie lÕExistence de ce Principe dÕordre et de paix quÕil a mŽconnu par nŽgligence ou par mauvaise foi.

Mais quelquefois aussi, entra”nŽ par la force de la VŽritŽ, il murmure contre ce mme Principe quÕil avait dÕabord rejetŽ, et par lˆ nous dŽmontre lui-mme la certitude de tout ce que nous avons dit sur les variations et les inconsŽquences de toute Etre, dont les facultŽs ne sont pas rŽunies et fixŽes par leur lien naturel.

Loin de croire que toutes les mŽprises de lÕhomme portent la moindre atteinte ˆ cette Cause dont il sՎloigne, nous devons tre actuellement assez instruits sur sa nature, pour savoir quÕil souffre seul de ses Žgarements ; puisquÕen qualitŽ dÕEtre libre, il est le seul qui puisse tre coupable ; nous devons savoir que lorsque cette Cause inaltŽrable dans ses facultŽs, comme dans son Essence, Žtend ses rayons jusquՈ lÕhomme, ils le purifient et nÕen sont point souillŽs.

Nous allons donc poursuivre notre marche, et Žclaircir les difficultŽs qui arrtent les Observateurs, quand ils veulent seuls et sans guide, jeter les yeux sur toutes les institutions de la Terre, soit celles que les hommes ont Žtablies eux-mmes, soit celles ˆ qui ils attribuent une origine plus relevŽe. CÕest bien lˆ o ces hommes aveugles, ne sachant pas 'dŽmler ce quÕil y a dÕarbitraire, et ce quÕil y a de rŽel, ont fait de lÕun et de lÕautre un monstrueux assemblage, capable dÕobscurcir les notions les plus lumineuses. CÕest aussi, nÕen doutons point, un des objets les plus intŽressants pour lÕhomme, et dans lequel il lui importe essentiellement de ne point faire de mŽprises, puisque cÕest lˆ o il doit apprendre .ˆ rŽgler les facultŽs qui le composent.

Source des fausses observations

Examinons pourquoi, par les observations que les hommes ont faites sur les diffŽrentes pratiques, usages, coutumes, lois, religions, cultes, qui ont dans tous les temps variŽ chez les diffŽrentes Nations, ils ont ŽtŽ induits ˆ penser quÕil nÕy avait rien de vrai, et que tout Žtant arbitraire et conventionnel parmi les hommes, ce serait une illusion dÕadmettre des devoirs ˆ remplir, et quelque ordre naturel et essentiel qui džt leur servir de flambeau.

SÕil Žtait vrai que tout fžt conventionnel, comme ils le prŽtendent, ils auraient raison dÕen tirer cette consŽquence, parce quÕalors, nÕy ayant pour eux aucune distinction entre le bien et le mal, tous leurs pas deviendront indiffŽrents, et personne ne serait fondŽ ˆ les rappeler ˆ des rgles de conduite. Mais si la mŽprise vient de ce que les Observateurs nÕont pas dŽmlŽ dans lÕhomme les deux facultŽs qui le constituent ; sÕils ont confondu dans lui lÕintelligence et le sensible, et quÕils aient appliquŽ au premier toutes les variations et les disparitŽs auxquelles le second se trouve assujetti ; sÕils ont mis le complŽment ˆ ces erreurs, en confondant mme la Cause active et intelligente avec les facultŽs particulires de lÕhomme, pourrions-nous donner quelque croyance ˆ une doctrine aussi peu approfondie, et aussi fausse ?

Telle est cependant la marche quÕils ont suivie; cÕest-ˆ-dire, quÕils nÕont presque jamais portŽ leur vue au-delˆ du sensible ; or, cette facultŽ sensible Žtant bornŽe, et privŽe du pouvoir nŽcessaire pour se diriger elle-mme, ne prŽsentera jamais que des preuves rŽitŽrŽes de variŽtŽ, de dŽpendance et dÕincertitude ; cÕest donc par elle uniquement, et par elle remise ˆ sa propre Loi, que doivent sÕintroduire toutes les diffŽrences que nous pouvons remarquer ici-bas.

En effet, toutes les branches de lÕordre civil et politique qui rŽunit les diffŽrents Peuples, ont-elles dÕautre but que la Matire ? La partie morale mme de tous leurs Žtablissements sՎlve-t-elle au delˆ de cet ordre humain et visible ? Il nÕy a pas jusquՈ leurs institutions les plus vertueuses quÕils nÕaient rŽduites dÕeux-mmes ˆ des rgles sensibles, et ˆ des Lois extŽrieures, parce que dans toutes ces choses, les Instituteurs ayant marchŽ seuls et sans guide, cÕest lÕunique terme o ils aient pu porter leurs pas.

La facultŽ intellectuelle de lÕhomme nÕest donc absolument pour rien dans de pareils faits, et moins encore dans les observations dont ils ont ŽtŽ si souvent lÕobjet. Ainsi nous devons bien nous garder dÕadopter les jugements qui en sont provenus, avant dÕavoir examinŽ jusquÕo sՎtendent leurs consŽquences, et sÕils sont applicables ˆ tout. Car sans cela, il nous serait impossible de les admettre, puisquÕune VŽritŽ doit tre universelle.

De lÕinstitution religieuse

Commenons par observer lÕinstitution la plus respectŽe et la plus universellement rŽpandue chez tous les Peuples, celles quÕils regardent avec raison comme ne devant pas tre lÕouvrage de leurs mains. Il est bien clair, par le zle avec lequel toute la terre sÕoccupe de cet objet sacrŽ, que tous les hommes en ont en eux lÕimage et lÕidŽe. Nous apercevons chez toutes les Nations une uniformitŽ entire sur le Principe fondamental de la Religion ; toutes reconnaissent un Etre supŽrieur, toutes reconnaissent quÕil faut le prier, toutes le prient ; toutes sentent la nŽcessitŽ dÕune forme ˆ leur prire, toutes lui en ont donnŽ une ; et jamais la volontŽ de lÕhomme nÕa pu anŽantir cette vŽritŽ, ni en mettre dÕautres ˆ la place.

Des fausses religions

Cependant les soins que les diffŽrents Peuples se donnent pour honorer le premier Etre, nous prŽsentent, comme toutes les autres institutions, des diffŽrences et des changements successifs et arbitraires, dans la pratique comme dans la thŽorie ; encore que parmi toutes les Religions, on nÕen conna”t pas deux qui lÕhonorent de la mme manire. Or, je le demande, cette diffŽrence pourrait-elle avoir lieu, si les hommes avaient pris le mme guide, et quÕils nÕeussent pas perdu de vue la seule lumire qui pouvait les Žclairer, et les concilier ? Et cette lumire est-elle autre chose que cette Cause active et supŽrieure qui devrait tenir lՎquilibre entre leurs facultŽs sensibles et intellectuelles, et sans laquelle il leur est impossible de faire un seul pas avec justesse ?

CÕest donc elle qui doit nourrir dans lÕhomme lÕidŽe primitive dÕun Etre unique et universel, ainsi que la connaissance des Lois auxquelles cet Etre assujettit la conduite des hommes envers lui, lorsquÕil leur permet de lÕapprocher. CÕest donc en sՎloignant de cette lumire, que lÕhomme demeure livrŽ ˆ ses propres facultŽs, et alors ces facultŽs mme sÕaffaiblissent, et sÕeffacent presque entirement en lui ; lÕobscuritŽ les recouvre dÕun voile si Žpais, que sans le secours dÕune main bienfaisante, il ne pourrait jamais sÕen dŽlivrer.

Et cependant, quoique lÕhomme soit alors abandonnŽ ˆ lui-mme, il est toujours obligŽ de voyager. CÕest ce qui fait, quÕau milieu de cette terrible ignorance, Žtant toujours tourmentŽ de lÕidŽe et du besoin de cet Etre, dont il sent quÕil est sŽparŽ, il tourne vers lui des yeux incertains, et lÕhonore selon sa pensŽe ; et quoiquÕil ne sache plus si lÕhommage quÕil offre, est vraiment celui que cet Etre exige, il prŽfre en rendre un, tel quÕil le conoit, ˆ la secrte inquiŽtude et au regret de nÕen point rendre du tout.

Tel est, en partie, le Principe qui a formŽ les fausses Religions, et qui a dŽfigurŽ celle que toute la Terre aurait dž suivre ; alors pourrons-nous tre surpris de voir si peu dÕuniformitŽ dans les usages pieux de lÕhomme et dans son culte ; de lui voir produire toutes ces contradictions, toutes ces pratiques opposŽes, tous ces rites qui se combattent, et qui en effet, ne prŽsentent rien de vrai ˆ la pensŽe. NÕest-ce pas lˆ o lÕimagination de lÕhomme nÕayant plus de frein, tout est lÕouvrage de son caprice et de son aveugle volontŽ ? NÕest-ce pas lˆ, par consŽquent, o tout doit para”tre indiffŽrent ˆ la raison, puisquÕelle ne voit plus de rapports entre le Culte, et lÕEtre auquel les Instituteurs et leurs partisans veulent lÕappliquer ?

Mais je demande si la plupart de ces diffŽrences, et mme de ces contrariŽtŽs palpables, tombent sur autre chose que sur ce qui est soumis aux yeux corporels de lÕhomme, cÕest-ˆ-dire, sur le sensible. Alors, que pourrait-on en conclure contre le Principe, dont elles ne sÕoccupent mme pas ? Ce Principe ne serait-il pas tout aussi inaltŽrable et aussi intact, quand la pensŽe tŽnŽbreuse de lÕhomme introduirait des variŽtŽs jusque dans la thŽorie et dans les dogmes ; puisque, tant que lÕhomme nÕest pas ŽclairŽ de son seul flambeau, et soutenu de son seul appui, il ne peut pas avoir plus de certitude de la puretŽ de sa doctrine, que de la justesse de ses actions ; et enfin, de quelque nature que soient ses erreurs, pourront-elles jamais rien contre la VŽritŽ ?

Si lÕerreur poursuit les Observateurs et les rend aveugles, cÕest donc toujours faute de distinguer lÕhomme ainsi dŽmembrŽ, et qui nÕemploie quÕune partie de lui-mme, dÕavec lÕhomme qui se sert de toutes ses facultŽs ; cÕest faute de distinguer la source dŽfigurŽe dÕo lÕhomme tire ses productions informes, dÕavec celle o il aurait dž puiser, quÕon nous lÕannonce comme incapable de rien conna”tre de fixe et dÕassurŽ.

VŽritŽs indŽpendantes de lÕHomme

Voyons nŽanmoins jusquÕo le pouvoir particulier de lÕhomme peut sՎtendre, lorsquÕil est remis ˆ lui-mme, ne lui accordons que les droits qui lui appartiennent, et examinons sÕil nÕy a rien au-delˆ de ce quÕil fait de ce quÕil conna”t.

Premirement, nous avons vu, que malgrŽ tous leurs raisonnements sur la Nature, les hommes Žtaient obligŽs de se soumettre ˆ ses Lois ; nous avons assez fait conna”tre que les Lois de cette Nature Žtaient fixes et invariables, quoique par une suite des deux actions qui sont dans lÕUnivers, leur accomplissement fžt souvent dŽrangŽ.

Voilˆ dŽjˆ une vŽritŽ sur laquelle tout lÕarbitraire de lÕhomme nÕa pas la moindre prise. Il nÕest plus temps de mÕobjecter ces sensations, ces impressions de toute espce, que font les diffŽrents corps sur nos sens, et qui varient dans chaque individu, dÕo la multitude sÕest crue fondŽe ˆ nier quÕil y ežt quelque rgle dans la CrŽature. Nous avons prŽvenu lÕobjection en annonant que la Nature ne pouvait agir que par relation.

Nous pourrions encore fortifier ce principe, en disant que cette Loi de relation nÕest pas plus soumise ˆ lÕarbitraire de lÕhomme que la Nature elle-mme, et que nous ne sommes pas les ma”tres dÕen changer en rien les effets ; car les dŽtourner et les prŽvenir, ce nÕest point du tout les changer, cÕest au contraire confirmer dÕautant plus leur stabilitŽ.

Nous savons donc dŽjˆ avec Žvidence, quÕil est dans la Nature corporelle, une Puissance supŽrieure ˆ lÕhomme, et qui lÕassujettit ˆ ses Lois ; nous ne pouvons plus douter de son existence, quoique les soins que lÕhomme a pris pour conna”tre et expliquer cette Puissance, lui aient si rarement fait obtenir des lumires et des succs satisfaisants.

Secondement, rappelons-nous comment nous avons dŽmontrŽ la faiblesse et lÕinfirmitŽ de la Nature, relativement aux Principes dÕo elle a tirŽ son origine, et dÕo elle tire journellement sa subsistance et sa rŽaction, nous verrons alors que si lÕhomme est soumis ˆ cette Nature ; ˆ plus forte raison le sera-t-il aux Principes supŽrieurs qui la dirigent et qui la soutiennent ; et quoiquÕil ait aussi peu conu leur puissance que celle de la Nature, sa propre raison lÕempcherait dÕen nier lÕexistence, quand son sentiment ne viendrait pas ˆ lÕappui.

Que produira donc tout ce quÕil pourra faire, imaginer, dire, instituer contre les Lois de ces Principes supŽrieurs ? Loin quÕils en soient le plus lŽgrement altŽrŽs, ils ne font que montrer davantage leur force et leur puissance, en laissant lÕhomme qui sÕen Žloigne, livrŽ ˆ ses propres doutes et aux incertitudes de son imagination, et en lÕassujettissant ˆ ramper tant quÕil voudra les mŽconna”tre.

Il ne faut rien de plus que ces observations pour prouver lÕinsuffisance de lÕhomme qui ne prend que le sensible pour rgle et pour guide ; car, si lÕimpuissance que nous remarquons dans la Nature corporelle, nous empche absolument de lui attribuer les faits quÕelle opre : si lÕhomme par sa propre raison peut parvenir ˆ sentir la nŽcessitŽ indispensable du concours dÕune Cause active, sans laquelle les Etres corporels nÕauraient aucune action visible, il nÕa donc besoin que de lui-mme pour avouer lÕexistence de cette Cause active et intelligente, et pour parvenir delˆ ˆ la Cause premire et unique, qui a produit hors dÕelle toutes les causes temporelles destinŽes ˆ lÕaccomplissement de ses Ïuvres, et ˆ lÕexŽcution de ses volontŽs.

JÕai annoncŽ, cette Cause active et intelligente comme ayant une action universelle, tant sur la Nature corporelle que sur la Nature pensante. CÕest, en effet, la premire des causes temporelles, et celle sans laquelle aucun des Etres existants dans le temps, ne peut subsister ; elle agit sur eux par la Loi mme de son essence, et par les droits que lui en donne sa destination dans lÕUnivers. Aussi, soit que les Etres qui habitent cet Univers la conoivent ou non, il nÕen est pas un seul qui nÕen reoive des secours, et puisquÕelle est active et intelligente, il faut que les Etres pensants participent ˆ ses faveurs, comme les Etres qui ne le sont pas.

Voilˆ donc pourquoi jÕai dit que tous les Peuples de la terre avaient reconnu nŽcessairement un Etre supŽrieur. Ils nÕont pas fait toutes les distinctions que je viens dՎtablir entre les diffŽrentes causes ; ils nÕont pas distinguŽ cette Cause active et intelligente, de la Cause premire qui est absolument sŽparŽe du sensible et du temps ; souvent mme ils lÕont confondue avec les causes infŽrieures de la CrŽation, auxquelles ils ont quelque fois adressŽ leurs hommages ; aussi nÕont-ils pas reu de leur culte les secours quÕils auraient pu en attendre, si leur marche ežt ŽtŽ plus ŽclairŽe. Mais ce sujet nous mnerait beaucoup trop loin.

Bornons-nous donc ˆ faire observer que lÕaction de cette Cause active et intelligente, ayant ŽtŽ universelle, lÕhomme a dž, par le sentiment et par la rŽflexion, parvenir ˆ en reconna”tre la nŽcessitŽ ; et de quelque manire quÕil lÕait envisagŽe, il nÕa pu se tromper que sur la vŽritable nature de cette Cause, mais jamais sur son existence.

LÕhomme sՎtant fait cet aveu, nÕa pu se dispenser de poursuivre sa marche ; son sentiment et ses propres rŽflexions lÕont dirigŽ dans le second pas, comme ils lÕavaient fait dans le premier quoique se conduisant encore par lui-mme dans ce nouveau sentier, il nÕait pas pu y trouver plus de certitude, ni des lumires plus Žvidentes.

Mais enfin, quelles quÕaient ŽtŽ ses dŽcouvertes ; aprs avoir reconnu une Cause supŽrieure dans la Nature, aprs avoir mme reconnu quÕelle Žtait supŽrieure ˆ sa pensŽe, il nÕa pu sÕempcher dÕavouer quÕil devait y avoir des Lois par lesquelles elle agissait sur ce qui lui Žtait soumis, et que si les Etres qui devaient tout attendre dÕelle ne remplissaient pas ces Lois, ils ne pouvaient espŽrer aucune lumire, aucune vie, aucun soutien.

Il Žtait entra”nŽ ˆ ces consŽquences, par ses observations sur la marche de la Nature corporelle mme, ˆ laquelle il est attachŽ ; il voyait, par exemple, que sÕil en transgressait les Lois, pour les temps et les procŽdŽs de la culture, la terre ne lui rendait que des productions imparfaites et mal saines ; il voyait que sÕil nÕobservait lÕordre des Saisons, et une prŽcision exacte dans toutes ses combinaisons, les rŽsultats en Žtaient sans fruit et sans succs. CÕest lˆ ce qui lÕinstruisait sensiblement que cette Nature corporelle Žtait dirigŽe par des Lois, et que ces Lois tenaient essentiellement ˆ la Cause active et intelligente, dont tous les hommes sentent la nŽcessitŽ.

De la diversitŽ des religions

Faisant ensuite la mme rŽflexion par rapport ˆ son Etre pensant, il a bien senti que ne pouvant rien sans la Cause premire, il Žtait de son intŽrt, de mettre tous ses soins ˆ se la rendre favorable ; il a conu que puisque cette Cause pouvait veiller sur lui et sÕintŽresser ˆ son propre bien, elle devait avoir Žtabli des moyens pour le prŽserver du mal ; que par consŽquent, les actes qui Žtaient avantageux aux hommes, devaient plaire ˆ cette Cause, et que ceux qui pouvaient leur nuire, nՎtaient point conformes ˆ sa Loi, qui est de rendre heureux tous les Etres, quÕainsi ils ne pouvaient mieux faire que dÕagir toujours selon son dŽsir et sa volontŽ.

Mais lÕhomme ne pouvant seul approfondir, si le culte quÕil imaginait, avait un rapport certain, tant avec lui-mme, quÕavec lÕEtre premier quÕil voulait honorer, chacun adoptait ˆ son grŽ les moyens quÕil croyait les plus propres ˆ se le rendre favorable, et tous les Peuples, qui ne se sont conduits que par eux-mmes dans la recherche de cette institution, ont Žtabli celle que leur imagination, ou quelque circonstance particulire avaient fait na”tre dans leur pensŽe.

Voilˆ la raison pour laquelle toutes les Nations de la terre ont ŽtŽ divisŽes, soit dans les cŽrŽmonies de leur culte, soit dans lÕidŽe et lÕimage quÕelles se sont formŽe de celui qui doit tre lÕobjet de ce culte. Voilˆ aussi pourquoi, malgrŽ leur division sur les formalitŽs de ce mme culte, elles sont toutes dÕaccord sur la nŽcessitŽ dÕen rendre un ; et cela, parce que toutes ont connu lÕexistence dÕun Etre supŽrieur, et que toutes ont senti le besoin et le dŽsir de lÕavoir pour appui.

Du zle sans lumire

Si les hommes ainsi livrŽs ˆ eux-mmes, avaient pu apporter autant de vertu et de bonne foi que de zle, dans ces Žtablissements, chacun dÕeux ežt suivi en paix le culte quÕil aurait adoptŽ, sans dŽprimer ceux o il aurait aperu des diffŽrences. Mais comme le zle sans lumire ne mne que plus promptement ˆ lÕerreur, ils ont donnŽ exclusivement la prŽfŽrence ˆ leur ouvrage ; le mme principe qui les avait fait marcher seuls pour sՎtablir un culte, les a conduits ˆ regarder ce culte comme le seul vŽritable ; ils ont cru en remplir encore mieux les devoirs, en nÕen laissant subsister aucun autre ; ils se sont fait un mŽrite auprs de leur idole, de se combattre et de se persŽcuter mutuellement, parce que dans leurs vues tŽnŽbreuses, ils avaient joint leur propre cause ˆ la sienne, et il nÕy a presque pas eu de Nation qui nÕait cru honorer lÕEtre supŽrieur, en proscrivant les cultes diffŽrents de celui quÕelle avait choisi.

CÕest lˆ, comme on le sait, une des principales causes des guerres, soit gŽnŽrales, soit particulires, et des dŽsordres que lÕon voit tous les jours troubler les diverses classes qui composent les Corps politiques, et mme renverser les Empires les mieux affermis, quoiquÕil y ait en eux une infinitŽ dÕautres causes de division assez connues et trop futiles pour que je mÕoccupe dÕen faire, ni lՎnumŽration, ni lÕexamen dans cet Ouvrage.

Or, toutes ces erreurs et tous ces crimes que les hommes ont fait au nom de leur Religion, viennent-ils dÕune autre source que de ce quÕils se sont mis ˆ la place de la main ŽclairŽe qui devait les conduire, et quÕils ont cru tre guidŽs par un Principe vrai, pendant quÕils ne lՎtaient que par eux-mmes.

Il faut donc conclure dÕabord de ce qui vient de prŽcŽder, que tous les hommes, par lÕunique secours de leurs rŽflexions, et par la voix de leur sentiment intŽrieur, nÕont pu sÕempcher de reconna”tre lÕexistence dÕun Etre supŽrieur quelconque, de mme que la nŽcessitŽ dÕun culte envers lui ; cÕest une idŽe que lÕhomme ne peut effacer en lui-mme, quoiquÕelle sÕobscurcisse si souvent dans le plus grand nombre.

Et certes, nous devons en tre peu surpris, puisquÕil y en a qui ont laissŽ sՎteindre en eux lÕidŽe mme de leur Etre, et en qui les facultŽs intŽrieures se sont tellement affaiblies, quÕils se sont crus mortels et pŽrissables.

Du mobile de lÕHomme

Mais il faut conclure Žgalement que si cette idŽe de lÕexistence dÕun Etre supŽrieur et de la nŽcessitŽ dÕun culte, est dans lÕessence de lÕhomme, cÕest aussi le dernier terme o il puisse parvenir tout seul ici-bas : ce sont lˆ les uniques fruits qui puissent provenir de sa facultŽ sensible, et de sa facultŽ intellectuelle livrŽes ˆ leurs propres efforts. Ce sentiment est un germe fondamental dans lÕhomme ; mais si aucune puissance ne vient rŽactionner ce germe, il ne peut rien manifester de solide, et ˆ coup sžr ses productions nÕauront aucune consistance, de mme que les germes des Etres corporels demeureraient sans action et sans production, si une Cause active et intelligente nÕen dirigeait la rŽaction et gŽnŽralement tous les actes qui les concernent.

Nous nous persuaderons bien plus encore de la vŽritŽ de cette pensŽe, quand nous rŽflŽchirons sur la nature et les propriŽtŽs de la Cause intelligente et active ; elle est distincte de la Cause premire, elle en est le premier agent, elle ne donne point les germes aux Etres corporels, mais elle les anime ; elle ne donne point les facultŽs intellectuelles et sensibles ˆ lÕhomme, mais elle les dirige et les Žclaire. En un mot, Žtant la premire, et la souveraine de toutes les Causes temporelles, elle est chargŽe seule de les conduire, et il nÕy en a pas une qui puisse se passer de son secours, et qui ne lui soit assujettie.

Si cÕest donc par elle exclusivement que les choses se manifestent, rien sans elle ne pourra devenir sensible ; or, ne pouvant ici-bas conna”tre que par le sensible, comment y rŽussirons-nous, si cette mme Cause active et intelligente nÕagit pas elle-mme avec nous, et nÕopre pas ce quÕelle seule peut opŽrer dans lÕUnivers ?

Nous voyons donc alors quelle est la nŽcessitŽ absolue que les deux facultŽs de lÕhomme soient toujours guidŽes et soutenues par cette Cause temporelle, universelle ; elle ne donnera point ˆ lÕhomme lÕidŽe de lÕEtre premier dont elle est la premire Cause agissante, mais elle fera conna”tre ˆ lÕhomme les facultŽs de cet Etre premier, en les manifestant par des productions sensibles ; elle ne donnera pas non plus ˆ lÕhomme lÕidŽe dÕun culte envers cet Etre premier, mais elle Žclaircira ses idŽes sur cet objet, et en lui rendant sensibles les facultŽs de cet Etre premier, elle lui rendra Žgalement sensibles les moyens sžr de lÕhonorer.

De lÕunitŽ dans le culte

CÕest lˆ que je vois cesser tous les doutes de lÕhomme, et toutes les variations qui en sont les suites : cette Cause active et intelligente Žtant prŽposŽe pour actionner et diriger tout, ne peut manquer de concilier tout, lorsque son pouvoir sera employŽ ; et le seul et unique moyen que lÕhomme ait de ne se pas tromper, cÕest de ne lÕexclure dÕaucun de ses actes, dÕaucune de ses institutions, dÕaucuns de ses Žtablissements, comme elle nÕest exclue dÕaucun des actes rŽguliers de la Nature. Alors lÕhomme sera, sžr de conna”tre les vrais rapports de ce quÕil cherche ; il nÕy aura plus de disparitŽ entre les Religions des Peuples, puisquÕils auront tous la mme lumire, il nÕy aura plus entre eux de difficultŽs sur les dogmes, ni sur le culte, puisquÕil conna”tront la raison premire des choses ; en un mot, tout sera dÕaccord, parce que chacun marchera selon la vŽritable Loi.

Nous ne pouvons donc plus douter que la raison de toutes ces diffŽrences que les nations nous offrent dans leurs dogmes et dans leur culte, ne vienne de ce que dans leurs institutions, elles ne se sont pas appuyŽes de cette Cause active et intelligente qui seule devait les conduire, et qui pouvait seule les rŽunir ; nous ne pouvons plus douter, dis-je, que sa Lumire ne soit le seul point de ralliement ; que hors dÕelle il nÕy ait dÕautre espoir que lÕerreur et la souffrance, et que ce ne soit ˆ elle ˆ qui convienne essentiellement et par nature, cette vŽritŽ invincible que hors le centre il nÕy a rien de fixe.

On ne me souponnera pas, je lÕespre, dÕaprs cet exposŽ, de vouloir Žtablir lՎgalitŽ et lÕindiffŽrence entre les divers cultes qui sont en usage parmi les Peuples de la terre, et bien moins encore de vouloir enseigner lÕinutilitŽ dÕun culte. Au contraire, jÕannonce quÕil nÕy a pas un Peuple qui nÕen ait senti la nŽcessitŽ, jÕannonce encore que ce culte doit exister aussi longtemps quÕil y aura des hommes sur la terre ; mais que tant quÕils ne seront pas soutenus par un appui qui leur soit commun, il est inŽvitable quÕils soient divisŽs, et par consŽquent, il sera impossible quÕils atteignent le but quÕils se proposent. Ainsi, non seulement je maintiens la nŽcessitŽ dÕun culte, mais je fais voir encore plus clairement la nŽcessitŽ dÕun seul culte, puisque cÕest un seul Chef, ou une seule Cause qui doit le diriger.

On ne doit pas non plus me demander actuellement, quel est celui de tous les cultes Žtablis, qui est le vŽritable culte ; le principe que je viens de poser doit servir de rŽponse ˆ toutes les questions sur cet objet. Le culte qui sera dirigŽ par cette Cause active et intelligente, sera nŽcessairement juste et bon : le culte o elle ne prŽsidera pas, sera certainement nul ou mauvais : voilˆ la rgle. CÕest ˆ ceux qui, parmi les diffŽrentes nations, sont chargŽs dÕinstruire les hommes et de les conduire dans la carrire, ˆ confronter leurs statuts et leur marche avec la Loi que nous leur prŽsentons ; notre but nÕest pas de juger les cultes Žtablis, mais dÕen mettre les Chefs et les Ministres en Žtat de se juger eux-mmes.

Incertitudes de lÕHomme

Je dois mÕattendre ˆ une objection toute naturelle, relativement ˆ cette Cause active et intelligente que jÕai fait conna”tre comme Chef principal et unique de tout ce qui doit sÕopŽrer gŽnŽralement dans lÕUnivers. Les hommes peuvent bien convenir de la nŽcessitŽ de lÕaction de cette Cause sur les Etres corporels ; ils ne peuvent pas mme douter quÕelle nÕait lieu, par la rŽgularitŽ et lÕuniformitŽ des rŽsultats qui en proviennent : mais, me dira-t-on, quand mme ils en viendraient ˆ convenir aussi de la nŽcessitŽ de lÕaction de cette Cause, pour diriger toute la conduite des hommes, quels moyens auraient-ils pour savoir quand elle y prŽside ou non? Car leurs dogmes et leurs Žtablissements en ce genre, nÕayant pas la moindre uniformitŽ, il leur faut absolument une autre Loi que celle de lÕopinion, pour sÕassurer quÕils sont dans le vrai chemin.

CÕest ici que lÕhomme montre sa faiblesse et son impuissance, et cÕest en mme temps par lˆ quÕil donne dÕautant plus de force ˆ ce que nous avons dit ; car, si lÕhomme pouvait par lui-mme choisir et fixer son culte, le pouvoir de la Cause active et intelligente, que je reconnais comme indispensable, deviendrait alors superflu pour cet objet.

Rgle de lÕHomme

Si cependant cette Cause active et intelligente ne pouvait jamais tre connue sensiblement par lÕhomme, il ne pourrait jamais tre sžr dÕavoir trouvŽ la meilleure route, et de possŽder le vŽritable culte, puisque cÕest cette Cause qui doit tout opŽrer, et tout manifester ; il faut donc que lÕhomme puisse avoir la certitude dont nous parlons, et que ce ne soit pas lÕhomme qui la lui donne ; il faut que cette Cause elle-mme offre clairement ˆ lÕintelligence et aux yeux de lÕhomme, les tŽmoignages de son approbation ; il faut enfin, si lÕhomme peut tre trompŽ par les hommes, quÕil ait des moyens de ne pas se tromper lui-mme, et quÕil ait sous la main des ressources dÕo il puisse attendre des secours Žvidents.

Les Principes que jÕai si souvent Žtablis, nous prouvent assez la certitude de ce que jÕavance. NÕavons-nous pas dŽjˆ reconnu plusieurs fois que lÕhomme Žtait libre ? Comme tel, nÕest-il pas responsable des effets bons ou mauvais qui doivent rŽsulter de son choix parmi les pensŽes bonnes ou mauvaises qui lui parviennent ? En serait-il responsable, sÕil nÕavait en lui la facultŽ de les dŽmler sans erreur ? Nous voyons donc que de tous les actes quÕil enfante, il nÕen est aucun quÕil ne soit tenu essentiellement de confronter avec sa rgle, et que, tant quÕil nÕen verra pas la conformitŽ avec cette rgle, il ne sera absolument sžr de rien.

Or, quelle peut tre cette rgle, sinon lÕaveu et lÕadhŽsion de la Cause active et intelligente, qui Žtant prŽposŽe pour diriger tous les Etres soumis au temps, doit visiblement mettre lՎquilibre, entre les diffŽrentes facultŽs de lÕhomme, comme elle le met parmi les diffŽrentes actions des Etres corporels, ou de la Matire.

Car, si elle est prŽposŽe pour diriger les facultŽs de lÕhomme, ˆ plus forte raison doit-elle en diriger les actions ? Et, parmi ces actions, certes, la moins indiffŽrente est celle par laquelle il doit observer fidlement les Lois qui peuvent lui concilier le Principe premier, et le rapprocher de cet Etre auquel il sent universellement quÕil doit des hommages. Et, si la Cause active et intelligente est le soutien infaillible qui doit Žtayer lÕhomme dans tous ses pas, si elle est la lumire sžre qui doit diriger tous les actes de son Etre pensant, il est de toute nŽcessitŽ que ce guide universel vienne prŽsider ˆ lÕinstitution du culte de lÕhomme, comme ˆ toutes ses autres actions, et quÕil y prŽside dÕune manire qui mette sa voix et son tŽmoignage ˆ lÕabri de toute incertitude.

La question nÕest pas encore rŽsolue, je le sais ; et dire quelle est la nŽcessitŽ que la Cause active et intelligente fixe elle-mme les Lois de nos hommages envers le premier Principe, ce nÕest pas prouver quÕelle le fasse. Mais, aprs avoir annoncŽ dÕo lÕhomme devait tirer cette preuve, on ne peut plus attendre dÕautres indications de ma part. Je ne citerai pas mme ma propre et personnelle expŽrience, quelque confiance que jÕy doive apporter. Il y a eu un temps o je nÕaurais ajoutŽ aucune foi ˆ des vŽritŽs que je pourrais certifier aujourdÕhui. Je serais donc injuste et inconsŽquent de vouloir commander ˆ la persuasion de mes Lecteurs ; non, je ne crains pas de le rŽpŽter, je dŽsire sincrement quÕaucun dÕeux ne me croie sur ma parole, parce que, comme homme, je nÕai point de droits ˆ la confiance de mes semblables ; mais je serais au comble de ma joie, si chacun dÕeux pouvait prendre une assez grande idŽe de lui-mme et de la Cause qui veille sur lui, pour espŽrer que par sa persŽvŽrance et ses efforts, il lui serait possible de sÕassurer de la vŽritŽ.

Des dogmes mystŽrieux

Je sais que par des vues sages et hors de la portŽe du vulgaire, les Chefs et les Ministres de presque toutes les Religions en ont annoncŽ les dogmes avec prudence, et surtout avec une rŽserve quÕon ne peut assez louer ; pŽnŽtrŽs sans doute de la sublimitŽ de leurs fonctions, ils ont senti combien la multitude devait en rester ŽloignŽe, et cÕest sžrement pour cela, quՎtant dŽpositaires de la clef de la Science, ils ont mieux aimŽ amener les Peuples ˆ avoir pour elle une vŽnŽration tŽnŽbreuse, que dÕen exposer les secrets ˆ la profanation.

SÕil est vrai que ce soient lˆ leurs motifs, je ne peux les bl‰mer. LÕombre et le silence sont les asiles que la vŽritŽ prŽfre ; et ceux qui la possdent, ne peuvent prendre trop de prŽcautions pour la conserver dans sa puretŽ ; mais ne puis-je leur reprŽsenter quÕils auraient dž craindre aussi de lÕempcher de se rŽpandre, quÕils sont prŽposŽs pour la faire fructifier, pour veiller ˆ sa dŽfense, et non pour lÕensevelir ; enfin, que la renfermer avec trop de soin, cÕest peut-tre lui faire manquer son but, qui est de sՎtendre et de triompher ?

Je croirais donc quÕils auraient agi trs sagement, sÕils avaient approfondi davantage ce mot Mystre, dont ils ont fait un rempart ˆ leurs religions. Ils pouvaient bien Žtendre des voiles sur les points importants, en annoncer le dŽveloppement comme le prix du travail et de la constance, et Žprouver par lˆ leurs prosŽlytes, en exerant ˆ la fois leur intelligence et leur zle ; mais ils ne devaient pas rendre ces dŽcouvertes si impraticables que lÕUnivers en fžt dŽcouragŽ ; ils ne devaient pas rendre inutiles les plus belles facultŽs de lÕEtre pensant, qui ayant pris naissance dans le sŽjour de la lumire, Žtait dŽjˆ assez malheureux de ne plus habiter auprs dÕelle, sans quÕon lui ™t‰t encore lÕespŽrance de lÕapercevoir ici-bas ; en un mot, jÕaurais ˆ leur place, annoncŽ un Mystre comme une vŽritŽ voilŽe, et non comme une vŽritŽ impŽnŽtrable, et jÕai le bonheur dÕavoir la preuve que cette dŽfinition aurait mieux valu.

Rien ne mÕempchera donc de persŽvŽrer dans les principes que je mÕefforce de rappeler aux hommes, et dÕassurer ˆ mes semblables que non seulement la Cause active et intelligente doit nŽcessairement les diriger dans tous leurs actes, et par consŽquent dans ceux qui ont rapport au culte, mais encore, quÕil est en leur pouvoir de sÕen assurer par eux-mmes, et cela dÕune manire qui ne leur laisse point de doutes.

En effet, il ne faut quÕobserver la conduite des diffŽrentes Nations, pour apercevoir quÕelles ont toutes regardŽ leur culte comme Žtant fondŽ sur la base que je viens dՎtablir. Ne sait-on pas avec quelle ardeur elles ont dŽfendu leurs cŽrŽmonies et leurs dogmes religieux ? Chacune dÕelle nÕa-t-elle pas soutenu sa Religion, avec autant de zle et dÕintrŽpiditŽ, que si elle ežt eu la certitude que la vŽritŽ mme lÕavait Žtablie ?

Que dis-je, ce nom de vŽritŽ nÕest-il pas le rempart de toutes les Sectes et de toutes les Opinions ? NÕa-t-on pas vu les Ministres mmes des plus grandes abominations, sÕenvelopper de ce nom sacrŽ, sachant bien que par lˆ ils en imposeraient plus sžrement aux peuples ? Pourquoi donc cette marche serait-elle si universelle, si le Principe nÕen Žtait pas dans lÕhomme ? Pourquoi, mme dans ses faux pas, chercherait-il ˆ sÕappuyer dÕun nom qui en impose, sÕil ne connaissait pas intŽrieurement que ce nom est puissant, et quÕil en a besoin ? Et en mme temps, pourquoi annoncerait-il que ses pas sont dirigŽs par la vŽritŽ, sÕil ne sentait pas quÕils le peuvent tre ?

Nous croyons ces observations suffisantes, pour convaincre nos Lecteurs de la nŽcessitŽ et de la possibilitŽ du concours dÕune Cause active et intelligente dans toutes les actions des hommes, et principalement dans la connaissance et la pratique des Lois qui doivent diriger leurs hommages envers le premier Etre, que nul dÕentre eux ne peut avoir mŽconnu de bonne foi.

De lÕextŽrieur des religions

Ainsi, ds que par leur nature, la Loi leur est imposŽe de ne jamais marcher sans cet appui, et que dÕaprs tous les Principes quÕon vient de voir, il leur est possible de lÕobtenir, il est clair quÕils erreront sans cesse, et seront exposŽs ˆ toutes sortes de dangers, lorsquÕils voudront agir par eux-mmes. Alors ils seront bien plus condamnables encore de sÕannoncer aux autres hommes, comme Žtant guidŽs par cette vraie lumire, quand ils nÕen auront pas la certitude.

Mais, quelles que soient ˆ ce sujet leurs Erreurs ou leur mauvaise foi, quelques bizarreries quÕils puissent introduire dans leurs institutions religieuses, nous devons assez reconna”tre ˆ prŽsent comme je lÕai dŽjˆ dit, quÕon nÕen peut pas conclure quÕil nÕy ait ni rgle, ni vŽritŽ pour lÕhomme. Nous devons voir bien plut™t, que les mŽprises des hommes en ce genre, ne peuvent tomber sur dÕautres objets, que sur lÕextŽrieur et le sensible de leurs Religions, et quՎtant infŽrieurs et absolument subordonnŽs ˆ lÕEtre premier, toutes les opinions et toutes les contradictions quÕils pourront enfanter, ne lui porteront jamais la moindre atteinte.

De la morale

CÕest lˆ la premire consŽquence que lÕon doit insŽrer de tout ce quÕon vient de lire sur la diversitŽ des Religions et des cultes. Par lˆ lÕhomme sage et accoutumŽ ˆ percer lÕenveloppe des choses, ne doit plus se laisser sŽduire par la variŽtŽ des Žtablissements de cette espce, ni tre ŽbranlŽ par les contradictions universelles des hommes sur cet objet. Il doit voir actuellement quelle en est la source, et ne pas douter que si lÕhomme porte en lui lÕidŽe du premier Etre, il doit aussi avoir un moyen fixe et uniforme de lui tŽmoigner quÕil le commit et quÕil lui rend hommage, moyen qui doit tre un et aussi inaltŽrable que cet Etre mme, quoique les hommes se mŽprennent chaque jour sur la nature de lÕun et de lÕautre.

CÕest lˆ en mme temps o nous pouvons voir le peu de confiance que mŽritent ceux qui prŽtendent prouver une religion par la Morale, et combien ils sont dignes du peu de succs quÕils ont ordinairement. Car la Morale, quoique Žtant un des premiers devoirs de lÕhomme actuel, nÕa pas toujours ŽtŽ enseignŽe par des Ma”tres assez ŽclairŽs pour lÕappliquer juste ; elle a presque toujours ŽtŽ bornŽe au sensible corporel, et ds lors elle a dž varier selon les lieux, et selon les diffŽrentes habitudes dans lesquelles lÕhomme aura fait consister sa vertu : dÕailleurs cette Morale nՎtant jamais que lÕaccessoire de la Religion, lors mme quÕelle est le plus perfectionnŽe, la vouloir employer pour preuve, cÕest annoncer ˆ la fois, et quÕon ne conna”t pas les vŽritables preuves, et quÕil y en a nŽcessairement qui portent ce titre.

De lÕanciennetŽ de la religion

Je ne crois pas inutile, non plus, de faire observer que cÕest par lˆ que pchent les Doctrines modernes, qui rŽduisent toutes les Lois de lÕhomme ˆ la Morale, et toute sa Religion ˆ des actes dÕhumanitŽ, ou au soulagement des malheureux dans lÕordre matŽriel, cÕest-ˆ-dire, ˆ cette vertu si naturelle et si peu remarquable, dont mon sicle essaie dՎtayer ses systmes, et qui concentrant lÕhomme dans des Ïuvres purement passives, nÕest plus quÕun voile ˆ lÕignorance, et perd tout son prix aux yeux du Sage. Cette vertu est sans doute au nombre de nos obligations, et personne ne doit la nŽgliger sous aucun prŽtexte ; mais on ne bornerait pas exclusivement tous nos devoirs, ˆ des actes temporels et sensibles, si on ne sՎtait pas persuadŽ que les choses sensibles et lÕhomme sont du mme rang et de la mme nature.

Aprs le rŽsultat que nous venons dÕapercevoir, nous devons en attendre un second, qui peut nous aider ˆ combattre et ˆ renverser une autre erreur, ˆ laquelle les Observateurs se sont laissŽs entra”ner sur le mme sujet, et qui tient naturellement ˆ la mme source.

En effet, si selon eux, la connaissance dÕun Etre supŽrieur, objet dÕun culte, ainsi que celle de la nŽcessitŽ de ce culte, nՎtaient point innŽes dans lÕhomme, il sÕensuivrait que lÕorigine et la naissance des institutions religieuses seraient tout ˆ fait indŽcises ; il serait alors dÕune difficultŽ insurmontable de savoir de quelle manire, ou dans quel temps, elles auraient ŽtŽ imaginŽes, parce quÕalors les hommes nÕayant pour rgle et pour Loi que les rŽvolutions continuelles de la Nature, ou les impulsions de leur caprice et de leur volontŽ, chaque instant aurait pu tre lՎpoque dÕune nouvelle Religion, comme chaque instant aurait pu anŽantir les plus anciennes, et successivement dŽtruire toutes celles qui sont en honneur sur la terre.

Dans cette supposition, il serait trs certain que les institutions dont nous parlons, nՎtant plus que lÕouvrage de la faiblesse ou de lÕintŽrt, non seulement lÕhomme vrai pourrait les mŽpriser, mais mme il devrait employer ses efforts, pour en effacer jusquՈ la moindre trace dans lui-mme et dans tous ses semblables.

Mais, aprs avoir assurŽ tous nos principes, en les fondant, comme nous lÕavons fait, sur la nature de lÕhomme, aprs avoir reconnu lÕuniversalitŽ dÕune base fondamentale ˆ toutes les Religions des peuples, on devrait tre suffisamment persuadŽ que ce sentiment na”t avec lÕhomme, et ds lors toute difficultŽ devrait cesser sur lÕorigine de cette idŽe dÕun Etre supŽrieur et du culte qui lui est dž.

De lÕaffinitŽ des tres pensants

On ne verrait plus dans lÕaccord et la conformitŽ des idŽes des Peuples sur ces deux points, que les fruits naturels de ce germe indestructible, innŽ dans tous les hommes, et qui leur a parlŽ dans tous les temps, quoique nous ne puissions nier les usages bizarres et faux quÕil en ont presque toujours faits ; on ne peut dire autant des Lois uniformes quÕils devraient tous observer dans leur culte ; car, quoique par une funeste suite de leur LibertŽ, ils Žloignent et mŽconnaissent presque continuellement la Cause physique supŽrieure, prŽposŽe pour diriger ce culte, ainsi que toutes leurs autres actions, on verrait bient™t quÕils nÕont jamais ŽtŽ privŽs de la facultŽ de la sentir et de lÕentendre, puisque ds lors quÕils sont liŽs au temps, cette Cause active et intelligente, qui veille essentiellement sur le temps, nÕa jamais pu les perdre de vue, comme eux-mmes auraient encore cet avantage ˆ son Žgard, sÕils nՎtaient les premiers ˆ la fuir et ˆ lÕabandonner.

Si nous voulons nous convaincre encore mieux des rapports qui se trouvent entre lÕhomme et ces vŽritŽs lumineuses, dont nous lÕannonons comme dŽpositaire, nous nÕavons quՈ rŽflŽchir sur la nature de la pensŽe ; nous verrons bient™t quՎtant simple, unique et immuable, il ne peut y avoir quÕune seule espce dÕEtres qui en soient susceptibles, parce que rien nÕest commun parmi des Etres de diffŽrente nature ; nous verrons que si lÕhomme a en lui cette idŽe primitive dÕun Etre supŽrieur, et dÕune Cause active et intelligente qui exŽcute ses volontŽs, il doit tre de la mme Essence que cet Etre supŽrieur et que la Cause qui correspond de lÕun ˆ lÕautre ; nous verrons, dis-je, que la pensŽe leur doit tre commune, tandis que tous les Etres qui ne pourront recevoir aucune communication de cette pensŽe, ni en donner le moindre tŽmoignage, seront exclus nŽcessairement de la classe de ceux dont nous parlons.

Et cÕest bien par lˆ que lÕhomme pourrait acquŽrir des lumires sur lui-mme, en apprenant ˆ se distinguer de tous les Etres passifs et corporels qui lÕenvironnent. Car, quelque effort quÕil emploie pour se faire entendre de quelquÕun dÕeux, sur les principes de la justice, sur la connaissance dÕun Etre supŽrieur et des autres objets qui sont du ressort de sa pensŽe, il nÕapercevra dans cet Etre corporel et sensible aucun signe, aucune dŽmonstration qui lui annonce quÕil en ait ŽtŽ entendu. Tout ce quÕil pourra obtenir, et non encore de tous les animaux, cÕest de leur faire concevoir et exŽcuter les actes de sa volontŽ, sans toutefois quÕils en comprennent la raison ; encore faudrait-il, pour la perfection de ce commerce, que lÕhomme pžt se rappeler leur langage naturel dont il a perdu la connaissance ; car les moyens factices dont il se sert aujourdÕhui pour y supplŽer, ne sont que des preuves de son impuissance, et ne servent quՈ lui montrer que la grandeur ne consiste pas dans lÕindustrie, mais dans la force et dans lÕautoritŽ.

Lorsque lÕhomme au contraire, cessant de fixer les yeux sur les Etres sensibles et corporels, les ramne sur son Etre propre, et que dans le dessein de le conna”tre, il fait usage avec soin de sa facultŽ intellectuelle ; sa vue acquiert une Žtendue immense, il conoit et touche, pour ainsi dire, des rayons de lumire quÕil sent bien tre hors de lui, mais dont il sent aussi toute lÕanalogie avec lui-mme ; des idŽes neuves descendent dans lui, mais il est surpris, tout en les admirant, de ne les point trouver Žtrangres. Or, y verrait-il tant de rapports avec lui-mme, si leur source et la sienne nՎtaient pas semblables ? Se trouverait-il si ˆ lÕaise et si satisfait, ˆ la vue des lueurs de vŽritŽ qui se communiquent ˆ lui, si leur Principe et le sien nÕavaient pas la mme essence ?

CÕest lˆ ce qui nous fait reconna”tre que la pensŽe de lÕhomme Žtant semblable ˆ celle de lÕEtre premier, et ˆ celle de la Cause active et intelligente, il doit y avoir eu entre eux une correspondance parfaite ds le moment de lÕexistence de lÕhomme. Alors, si cÕest vraiment sur cette affinitŽ nŽcessaire entre tout Etre pensant, que sont fondŽes toutes les Lois qui doivent diriger lÕhomme, tant dans la connaissance de lÕEtre supŽrieur, que dans celle du culte quÕil doit lui rendre, nous pouvons voir ˆ prŽsent, avec Žvidence, quelle a dž tre lÕorigine de la Religion parmi les hommes, et si elle nÕest pas aussi ancienne quÕeux-mmes.

DiffŽrence entre les tres immatŽriels

Cependant, la similitude que je viens de faire entrevoir entre tous les Etres qui sont douŽs de la pensŽe, exige que je fasse remarquer en ce moment une distinction importante qui Žchappe ˆ la plus grande partie des hommes, ce qui les retient dans dՎpaisses tŽnbres, et les expose aux mŽprises les moins excusables.

En effet, sÕils accordent la pensŽe ˆ un Etre immatŽriel, tel que lÕhomme, et quÕon leur avoue, comme je lÕai fait, que le Principe de la Matire est immatŽriel, ils voudront aussi que ce Principe ait la pensŽe, et ne concevront pas que lÕon puisse la lui refuser.

DÕun autre c™tŽ, si je refuse la pensŽe au Principe immatŽriel de la Matire, ils ne sauront plus sÕils ne doivent pas la refuser aussi au Principe immatŽriel de lÕhomme, parce quÕils ne voient dans ces deux diffŽrents Etres immatŽriels, quÕune mme nature, et par consŽquent, que les mmes propriŽtŽs. Mais cÕest toujours la mme erreur qui les abuse ; cÕest toujours pour ne vouloir pas dŽmler deux natures aussi distinctes, quÕils se laissent aller aux plus grands Žcarts sur cet objet. Rappelons–les donc aux premiers Principes sur lesquels nous nous sommes dŽjˆ appuyŽs.

Tous les Etres immatŽriels proviennent mŽdiatement ou immŽdiatement, de la mme source, et cependant ils ne sont pas Žgaux. Nous ne pouvons douter de cette inŽgalitŽ des Etres, puisque lÕhomme, qui est un Etre immatŽriel, reconna”t nŽcessairement au dessus de lui, des Etres immatŽriels auxquels il doit des hommages et des soins assidus, comme Žtant dans leur dŽpendance ; il reconna”t que quoiquÕil soit semblable ˆ ces Etres immatŽriels, par sa nature immatŽrielle et par sa pensŽe, cependant il est infiniment infŽrieur ˆ eux, en ce quÕil peut perdre lÕusage de ses facultŽs et sՎgarer, au lieu que les Etres qui le dominent sont ˆ couvert de ce funeste danger.

De mme, le Principe de la Matire est immatŽriel et indestructible comme le Principe immatŽriel de lÕhomme, mais ce qui met entre eux une distinction hors de tout rapport, cÕest que lÕun a la pensŽe et que lÕautre ne lÕa point, et cela parce que, comme je viens de le dire, lÕEtre immatŽriel de lÕhomme provient immŽdiatement de la source des Etres, au lieu que lÕEtre immatŽriel de la Matire nÕen provient que mŽdiatement.

DiffŽrence entre les tres pensants

Je ne crois pas faire dÕindiscrŽtion en avouant que cÕest un nombre qui les distingue, ce qui sera expliquŽ ci-aprs. Je crois en mme temps rendre un service essentiel ˆ mes semblables, en les engageant ˆ croire ˆ des Etres immatŽriels qui ne pensent point. Car plusieurs Observateurs de mon temps ont cru nՐtre plus MatŽrialistes, ds quÕils ont pu parvenir ˆ admettre et reconna”tre comme moi, un Principe immatŽriel dans la Matire. Mais le MatŽrialisme consistera-t-il uniquement ˆ nÕavoir pas une connaissance parfaite, ni une idŽe juste de la Matire et de son Principe ; et le vrai MatŽrialiste nÕest-il pas plut™t, et ne sera-t-il pas toujours celui qui mettra dans la mme classe et au mme rang, le Principe immatŽriel de lÕhomme intellectuel, et le Principe immatŽriel de la Matire.

Je ne puis donc trop recommander de ne pas confondre les vraies notions que nous portons en nous sur ces objets, et de croire ˆ des Etres immatŽriels qui ne pensent point ; cÕest une distinction et une vŽritŽ qui doit rŽsoudre toutes les difficultŽs quÕon a ŽlevŽes sur cet objet.

Si cependant il restait encore des doutes sur la PensŽe, que jÕai prŽsentŽe comme devant tre commune et uniforme dans tous les Etres distincts de la Matire et du sensible, et que, pour appuyer ces doutes, on object‰t cette diffŽrence si remarquable parmi les facultŽs intellectuelles des hommes, que chacun dÕeux para”t nՐtre pas en ce genre ,partagŽ plus Žgalement que dans les facultŽs corporelles et sensibles ; je conviendrais avec eux qui auraient cette incertitude, quÕen effet, ˆ juger dÕaprs la diffŽrence universelle que lÕon aperoit dans les facultŽs intellectuelles des hommes, il para”t difficile ˆ croire quÕils puissent tous avoir une Žgale idŽe de leur Etre, ainsi que du culte auquel ils sont tenus envers lui.

Mais nous nÕavons jamais prŽtendu que les idŽes de tous, fussent Žgales sur cet objet, il nous suffit quÕelles soient semblables. Il nÕest pas nŽcessaire, il nÕest pas mme possible que tous les hommes sentent Žgalement leur Principe, mais il constant que tous le sentent, et quÕil nÕy en a aucun qui nÕen ait une idŽe quelconque. Cet aveu est tout ce que nous souhaitons de leur part, et cÕest ˆ la cause active et intelligente ˆ faire le reste.

Ce ne sera point trop mՎcarter de mon sujet, que de mÕarrter un instant sur la diffŽrence naturelle que nous apercevons dans les facultŽs intellectuelles de lÕhomme, et il sera utile dÕapprendre ˆ conna”tre ce quÕelles auraient ŽtŽ dans son origine premire, sÕil se fžt maintenu dans sa gloire, et ce quÕelles sont aujourdÕhui quÕil en est descendu.

Quand mme lÕhomme aurait conservŽ tous les avantages de son premier Žtat, il est certain que les facultŽs intellectuelles de chacun des hommes de sa postŽritŽ auraient annoncŽ des diffŽrences, parce que ces facultŽs Žtant toutes le signe du Principe premier dont ils Žmanent, et ce Principe Žtant toujours neuf, quoique toujours le mme, les signes qui le reprŽsentent, doivent manifester par eux-mmes sa nouveautŽ continuelle, et faire conna”tre par lˆ dÕautant plus sa fŽconditŽ. Mais, loin que ces diffŽrences eussent produit une imperfection, ni causŽ des peines et des humiliations parmi les hommes, aucun dÕeux ne sÕen fut seulement aperu ; trop occupŽs ˆ jouir, ils nÕauraient pas eu le loisir de comparer, et quoique les mesures de leurs facultŽs nÕeussent pas ŽtŽ Žgales, elles auraient chacune satisfait abondamment ceux ˆ qui elles auraient ŽtŽ rŽparties.

Dans lՎtat actuel de lÕhomme, au contraire, outre ces mmes inŽgalitŽs originelles qui ont toujours lieu, il est sujet ˆ celles qui proviennent des Lois de la rŽgion sensible quÕil habite ; ce qui rend bien plus pŽnible encore lÕexercice de ses facultŽs premires, et en multiplie ˆ lÕinfini les diffŽrences. Cependant, nՎtant point condamnŽ ˆ la mort, ou ˆ la privation perpŽtuelle de ces mmes facultŽs premires, la rŽgion ŽlŽmentaire ne fait que lui prŽsenter un obstacle de plus, et il a toujours lÕobligation indispensable de travailler ˆ la surmonter ; enfin aujourdÕhui, comme dans son premier Žtat, la mesure de ses dons serait suffisante, sÕil avait toujours la ferme rŽsolution de les employer ˆ son profit.

Mais qui ne sait que loin de tirer avantage de ces obstacles, et de les faire tourner ˆ sa gloire, lÕhomme les augmente encore par lÕusage faux de sa volontŽ, par les gŽnŽrations irrŽgulires, par lÕignorance o sÕil sÕenfonce tous les jours sur les choses qui lui conviennent, ou qui lui sont contraires, ainsi que par une multitude dÕautres causes qui occasionnent sans cesse le dŽpŽrissement de ces mmes facultŽs, et qui les dŽnaturent au point de les rendre presque mŽconnaissables.

Aussi, dans cet Žtat de dŽgradation o lÕhomme se laisse entra”ner, il perd la vŽritable notion des privilges qui lui appartiennent, son cÏur se vide, et ne connaissant plus ses vraies jouissances, il se rabaisse, et ne sÕestime plus que sur des diffŽrences conventionnelles, qui nÕexistent que dans sa volontŽ dŽrŽglŽe, mais auxquelles il sÕattache avec dÕautant plus dÕardeur, quÕayant laissŽ Žchapper son seul appui, il nÕa plus rien qui le soutienne.

Cependant, malgrŽ ces diffŽrences originelles, multipliŽes encore, soit par les Žcueils de la rŽgion sensible, soit par les vicieuses habitudes des hommes, pourrons-nous jamais dire que lÕhomme ait changŽ de nature, pendant que nous avons vu que les Etres corporels mmes ne sauraient en changer, malgrŽ la multitude des rŽvolutions, auxquelles leur propre Loi et la main de lÕhomme peuvent les assujettir ?

Tribut imposŽ ˆ lÕHomme

Or, sÕil est de la nature et de lÕessence des hommes dÕavouer un Etre supŽrieur, et de sentir quՎtant attachŽs ˆ la rŽgion sensible, il doit y avoir un moyen sensible de lui faire parvenir leurs hommages, il est certain que, malgrŽ tous leurs Žgarements, la Loi ne saurait jamais varier pour eux. Ils pourront rendre leur t‰che plus longue et plus difficile, comme ils le font en effet tous les jours par leur aveuglement et leur imprudence, mais ils ne se dispenseront jamais de lÕobligation de la remplir. Soit que lÕun se trouve plus chargŽ que lÕautre par sa nature, soit quÕil le devienne par sa propre faute, il faudra nŽanmoins que le tribut de chacun se paie, et ce tribut nÕest autre chose, de la part de lÕhomme, que le sentiment, lÕaveu et le juste emploi des facultŽs qui le constituent.

Alors, quelque dŽfigurŽ que soit lÕhomme, nous devons toujours trouver en lui sa Loi premire, puisque sa nature est toujours la mme ; nous devons toujours le trouver semblable ˆ lÕEtre qui lui communique la pensŽe, puisque cette pensŽe ne peut correspondre quÕentre des Etres de mme nature ; nous devons, dis-je, le reconna”tre comme insŽparablement liŽ ˆ lÕidŽe de son Principe, et ˆ celle des devoirs qui lÕattachent ˆ lui, puisque Žtant convenus que ces idŽes sont universelles parmi les hommes, nous nÕavons pas pu nier quÕelles ne naissent et quÕelles ne vivent perpŽtuellement avec eux.

Erreur sur lÕorigine de la religion

CÕest pour cela que nous avons portŽ jusquՈ lÕorigine mme de lÕhomme, lՎpoque de la naissance de sa Religion.

Quel cas pouvons-nous faire alors des opinions imprudentes et insensŽes, qui ont fait na”tre cette institution sacrŽe, de la crainte et de la timiditŽ des hommes ? Comment de pareilles faiblesses leur pourraient-elles donner une idŽe aussi sublime que celle dÕun guide qui peut les Žclairer et les soutenir ˆ tous leurs pas, si le germe nÕen Žtait pas dans leur sein ? Et, puisquÕils portent ce germe en eux-mmes, pourquoi lui chercher une autre origine ?

Non, sans doute, on ne dira plus que les effrayantes rŽvolutions de la Nature auront donnŽ naissance ˆ cette idŽe dans lÕhomme. Tout au plus, auraient-elles ŽtŽ un des moyens propres ˆ ranimer dans lui les facultŽs prŽcieuses qui sÕy sont si souvent assoupies ; mais jamais elles ne lui auront communiquŽ le germe de ces facultŽs, puisque ce nÕest que par lˆ quÕil est homme.

Bien moins encore, lui auraient-elles donnŽ, toutes les lumires et toutes les connaissances nŽcessaires ˆ lÕentier accomplissement des devoirs relatifs ˆ sa Religion et ˆ son culte, puisquÕen mme temps que lÕhomme sent que ces lumires lui manquent, il sent quÕil ne peut les tenir que dÕune Cause intelligente, qui Žtant au dessus de lui, est ˆ plus forte raison au-dessus de la Nature matŽrielle. Or, si lÕhomme, malgrŽ sa misre et sa privation, est encore par son essence au dessus de cette mme Nature matŽrielle, quels sont donc les secours et les lumires quÕil pourrait en attendre ?

On voit par lˆ quels mŽdiocres fruits toutes les rŽvolutions de la RŽgion ŽlŽmentaire ont pu produire dans lÕhomme, et combien il serait dŽraisonnable dÕy chercher la source de ses vertus et de sa grandeur.

Ce nÕest pas, comme je viens de le dire, que les terribles ŽvŽnements auxquels la Nature ŽlŽmentaire est exposŽe, nÕaient servi souvent ˆ rŽveiller les facultŽs intellectuelles engourdies dans lÕhomme, en le rappelant ˆ la fois ˆ lÕidŽe de lÕEtre premier, et ˆ la nŽcessitŽ de lÕhonorer.

Je veux mme que dans la f‰cheuse situation o il sÕest trouvŽ frŽquemment, et qui a dž devenir encore plus affreuse par lÕignorance ˆ laquelle il sÕest presque toujours abandonnŽ, il ait choisi parmi les objets Žpars autour de lui, ceux qui lui ont paru les plus puissants, et quÕil leur ait adressŽ des vÏux pour en obtenir des secours contre les malheurs qui le menaaient ; je veux quÕayant ainsi fait choix de ses Dieux, il leur ait encore rendu un culte sensible et quÕil leur ait offert des sacrifices ; je veux que la mme mŽprise ayant eu lieu diversement en diffŽrentes parties de la Terre, selon que lÕhomme y aura ŽtŽ plus ou moins effrayŽ, ait ŽtŽ lˆ une des causes qui ont produit la variŽtŽ qui se trouve entre toutes les Religions.

Que pourrait-on statuer dÕaprs cela qui fžt contraire au principe que je dŽfends ? Ne voit-on pas quel a ŽtŽ le mobile de ces Institutions ; ne voit-on pas quel en est le frivole objet ? Ne voit-on pas enfin que ceux mmes qui les ont Žtablies, ne pouvant se cacher lÕinfirmitŽ de leurs Idoles, ont cherchŽ ˆ les Žtayer en en multipliant le nombre, que souvent ils les ont rŽpudiŽes pour les remplacer ensuite ˆ leur grŽ, et quÕils ont montrŽ la mme inconstance dans le choix des moyens quÕils avaient employŽs pour se les rendre favorables. Or, si cՎtait une lumire fixe qui les ežt dirigŽs, ils seraient eux et leurs Ïuvres ˆ couvert de toutes ces contradictions.

Il est donc Žvident que ceux qui ont observŽ de pareils faits, en ont portŽ beaucoup trop loin les consŽquences. De ce que la crainte et la superstition ont fait na”tre des institutions Religieuses en diffŽrents lieux, ou, ce qui est encore plus vrai, ont introduit des variŽtŽs dans les Religions dŽjˆ Žtablies, il ne serait pas juste de conclure que telle a ŽtŽ la source de toutes les Religions, et que cÕest lˆ o lÕhomme a puisŽ les principes et les notions qui lui sont communes universellement avec ses semblables. Mais il nÕest pas absolument impossible de montrer encore plus clairement la cause de cette erreur, et de la mettre entirement ˆ dŽcouvert.

NÕai-je pas annoncŽ lÕhomme comme Žtant un assemblage de facultŽs sensibles et de facultŽs intellectuelles ? NÕa-t-on pas dž concevoir par lˆ que ses facultŽs sensibles lui Žtant communes avec les btes, il devenait ds lors susceptible dÕhabitudes comme elles ; mais aussi que ces habitudes, tenant toutes au sensible, ne pouvaient na”tre que par le secours des causes et des moyens sensibles.

NÕa-t-on pas dž concevoir, au contraire, que les facultŽs intellectuelles de lÕhomme Žtant dÕun ordre supŽrieur aux causes sensibles, ne pouvaient pas tre commandŽes par ces causes sensibles, et quÕil leur fallait, pour les mouvoir et les animer, la rŽaction dÕune cause et dÕun agent dÕun autre ordre, cÕest-ˆ-dire, qui fžt de la mme nature que lÕEtre intellectuel de lÕhomme.

CÕest donc lˆ que se trouve la solution du problme ; il fallait distinguer les Ïuvres sensibles de lÕhomme dÕavec ses idŽes premires qui nÕappartiennent quՈ son Etre intellectuel ; il fallait voir que le climat, la tempŽrature et tous les accidents plus ou moins considŽrables de la Nature matŽrielle et sensible pouvait bien opŽrer sur les mÏurs, les habitudes et les actions extŽrieures de lÕhomme, quÕils pouvaient mme par la liaison de lÕhomme au sensible, opŽrer passivement sur ses facultŽs intellectuelles ; mais que le concours de toutes les rŽvolutions ŽlŽmentaires quelconques ne lui donneraient jamais la moindre idŽe dÕune Cause supŽrieure, ni des points fondamentaux que nous avons dŽcouverts en lui ; puisquÕen un mot toutes les causes que nous examinons dans ce moment, Žtant par leur nature, dans lÕordre sensible, ne peuvent opŽrer activement que sur le sensible, et jamais ainsi sur lÕintellectuel.

Alors nous ne verrions dans tous ces fruits de la faiblesse et de la crainte de lÕhomme, quÕun usage faux et une application insensŽe de ses facultŽs intellectuelles ; mais nous nÕy verrions jamais leur origine. Car si lors mme que ces facultŽs intellectuelles agissent sur le sensible, elles le font simplement mouvoir, et ne le crŽent pas, quoiquÕelles lui soient supŽrieures ; ˆ plus forte raison le sensible leur Žtant infŽrieur, elles en pourront tre affectŽes, lorsquÕil agira sur elles, mais elles nÕen recevront jamais la naissance et la vie.

Germe intellectuel de lÕHomme

Nous rentrons donc de nouveau dans notre principe, qui a ŽtŽ de placer lÕexistence de la Religion au premier moment de lÕexistence de lÕhomme.

Si, aprs de semblables dŽmonstrations, ceux qui ont avancŽ lÕopinion contraire, persistaient encore ˆ la soutenir, et ˆ vouloir que lÕhomme ežt trouvŽ dans des causes infŽrieures et sensibles, la source des notions et de toutes les lumires dont nous annonons quÕil porte le germe en lui-mme ; nous nÕaurions, pour renverser absolument leur systme, quÕune seule chose ˆ leur demander : savoir, pourquoi, si selon eux, les rŽvolutions de la Nature matŽrielle ont donnŽ aux hommes une Religion, les Btes nÕont-elles pas aussi la leur ; car elles ont ŽtŽ prŽsentes, comme les hommes, ˆ toutes ces rŽvolutions.

Cessons donc de nous arrter ˆ une pareille opinion, et attachons-nous plut™t ˆ reconna”tre tout le prix du germe qui a ŽtŽ placŽ dans nous-mmes ; attachons-nous ˆ sentir que si ce germe prŽcieux doit nous rendre des fruits sans nombre, quand il aura reu sa culture naturelle ; il ne pourra aussi annoncer que la confusion et le dŽsordre, quand il recevra des cultures Žtrangres. Enfin, nÕattribuons quՈ ces fausses cultures, les incertitudes que lÕhomme a montrŽes dans tous les pas quÕil a faits sans son guide.

Premire religion de lÕHomme

Mais je pressens la curiositŽ de mes Lecteurs sur cette culture naturelle, sur les effets invariables de la Cause active et intelligente que jÕai reconnue comme la lumire indispensable de lÕhomme ; en un mot, sur cette Religion et ce culte unique, qui dÕaprs les principes que jÕai exposŽs, ramneraient tous les cultes ˆ la mme loi.

Quoique jÕaie annoncŽ que ce nՎtait point de la main de son semblable que lÕhomme devait attendre les preuves et les tŽmoignages certains de ces vŽritŽs ; il peut au moins en recevoir le tableau, et je me propose de le lui prŽsenter.

Je ne lui cacherai cependant pas tous les efforts que je me fais ˆ moi-mme pour lÕentreprendre. Je ne jette point les yeux sur la science, que je ne sois couvert de honte, en voyant tout ce que lÕhomme a perdu, et je voudrais que rien de moi ne sžt ce que je sais, car je ne trouve rien en moi qui en soit digne ; cÕest pour cette raison que je ne puis jamais mÕexprimer sur ces objets que par des symboles.

La Religion de lÕhomme dans son premier Žtat, Žtait soumise ˆ un culte, comme elle lÕest encore aujourdÕhui, quoique la forme en fut diffŽrente ; la principale Loi de cet homme Žtait de porter continuellement sa vue depuis lÕOrient jusquՈ lÕOccident, et depuis le Nord jusquÕau Midi ; cÕest-ˆ-dire, de dŽterminer les latitudes et les longitudes dans toutes les parties de lÕUnivers.

CÕest par lˆ quÕil avait une connaissance parfaite de tout ce qui sÕy passait, quÕil purgeait de malfaiteurs tout son empire, quÕil assurait la route aux voyageurs bien intentionnŽs, et quÕil Žtablissait lÕordre et la paix dans tous les Etats soumis ˆ sa domination ; par lˆ aussi, il manifestait pleinement la puissance et la gloire de la Cause premire qui lÕavait chargŽ de ces sublimes fonctions, et cՎtait lui rendre les hommages les plus dignes dÕelle, et les seuls capables de lÕhonorer et de lui plaire ; car Žtant Une par essence, elle nÕa jamais eu dÕautre objet que de faire rŽgner son UnitŽ, cÕest-ˆ-dire, de faire le bonheur de tous les Etres.

Cependant, si lÕhomme nÕežt pas ŽtŽ secondŽ dans lÕexercice de lÕemploi immense qui lui Žtait confiŽ, il nÕaurait pu seul en embrasser toutes les parties : aussi avait-il autour de lui des Ministres fidles qui exŽcutaient ses ordres avec prŽcision et cŽlŽritŽ : il pensait, ses Ministres lisaient ses volontŽs, et les Žcrivaient avec des caractres si nets et si expressifs quÕils Žtaient ˆ couvert de toute Žquivoque.

La premire Religion de lÕhomme Žtant invariable, il est, malgrŽ sa chute, assujetti aux mmes devoirs ; mais comme il a changŽ de climat, il a fallu aussi quÕil change‰t de Loi pour se diriger dans lÕexercice de sa Religion.

Seconde religion de lÕHomme

Or, ce changement nÕest autre chose que de sՐtre soumis ˆ la nŽcessitŽ dÕemployer des moyens sensibles pour un culte qui ne devait jamais les conna”tre. NŽanmoins comme ces moyens se prŽsentent naturellement ˆ lui, il nÕa que trs peu de soins ˆ donner pour les chercher, mais beaucoup plus, il est vrai, pour les faire valoir et sÕen servir avec succs.

Premirement, il ne peut faire un pas sans rencontrer son Autel ; et cet Autel est toujours garni de Lampes qui ne sՎteignent point, et qui subsisteront aussi longtemps que lÕAutel mme. En second lieu, il porte toujours lÕencens avec lui, en sorte quՈ tous les instants il peut se livrer aux actes de sa Religion.

Mais avec tous ces avantages, il est effrayant de songer combien lÕhomme est encore ŽloignŽ de son terme, combien il a de tentatives ˆ faire avant de parvenir au point de pouvoir remplir entirement ses premiers devoirs ; et mme encore quand il y serait parvenu, resterait-il toujours dans une sujŽtion irrŽvocable et qui lui ferait sentir jusquՈ la fin la rigueur de sa condamnation.

Cette sujŽtion est de ne pouvoir absolument rien de lui-mme, et dՐtre toujours dans la dŽpendance de cette Cause active et intelligente qui peut seule le remettre sur la voie quand il sՎgare ; qui peut seule lÕy soutenir, et qui doit diriger aujourdÕhui tous ses pas, en sorte que sans elle non seulement il ne peut rien conna”tre, mais quÕil ne peut pas mme tirer le moindre fruit de ses connaissances et de ses propres facultŽs.

De la lecture et de lՎcriture

En outre, ce nÕest plus comme pendant sa gloire o il lisait jusquÕaux pensŽes les plus intimes de ses SupŽrieurs et de ses Sujets, et o il pouvait, en consŽquence, commercer avec eux selon sa volontŽ. Mais dans lÕhorrible expiation ˆ laquelle il sÕest exposŽ, il ne peut se flatter de rŽtablir ce commerce quÕil ne commence par apprendre ˆ Žcrire ; heureux ensuite sÕil se trouve dans le cas dÕapprendre ˆ lire, car il y a bien des hommes, et mme des plus cŽlbres par leurs connaissances, qui passent leur vie sans avoir jamais lu.

Ce nÕest pas que quelques-uns nÕaient lu sans avoir jamais Žcrit ; mais ce sont lˆ des privilges particuliers, et la Loi gŽnŽrale est de commencer par Žcrire ; au lieu que lÕhomme, dans son premier Žtat, pouvait ˆ son grŽ sÕoccuper continuellement ˆ la lecture. Or, comme lÕexpiation de lÕhomme doit se passer dans le temps, cÕest cette Loi du temps qui lÕassujettit ˆ une gradation pŽnible et indispensable dans le recouvrement de ses droits et de ses connaissances, tandis que dans sa premire origine, rien ne se faisait attendre, et que chacune de ses facultŽs rŽpondant toujours ˆ ses besoins, agissait sur le champ selon son dŽsir.

Du Livre de lÕHomme

Ces avantages inexprimables Žtaient attachŽs ˆ la possession et ˆ lÕintelligence dÕun Livre sans prix, qui Žtait au nombre des dons que lÕhomme avait reus avec la naissance. Quoique ce Livre ne cont”nt que dix feuilles, il renfermait toutes les lumires et toutes les Sciences de ce qui a ŽtŽ, de ce qui est et de ce qui sera ; et le pouvoir de lÕhomme Žtait si Žtendu alors, quÕil avait la facultŽ de lire ˆ la fois dans les dix feuilles du Livre et de lÕembrasser dÕun coup dÕÏil.

Lors de sa dŽgradation, le mme Livre lui est bien restŽ, mais il a ŽtŽ privŽ de la facultŽ de pouvoir y lire aussi facilement, et il ne peut plus en conna”tre toutes les feuilles que lÕune aprs lÕautre. Cependant il ne sera jamais entirement rŽtabli dans ses droits quÕil ne les ait toutes ŽtudiŽes ; car, quoique chacune de ces dix feuilles contienne une connaissance particulire et qui lui soit propre, elles sont nŽanmoins tellement liŽes, quÕil est impossible dÕen possŽder une parfaitement, sans tre parvenu ˆ les conna”tre toutes ; et quoique jÕaie dit que lÕhomme ne pouvait plus les lire que successivement, aucun de ses pas ne serait assurŽ, sÕil ne les avait parcourues en entier, et principalement la quatrime, qui sert de point de ralliement ˆ toutes les autres.

CÕest une vŽritŽ sur laquelle les hommes ont peu fixŽ leur attention, cÕest cependant celle quÕil leur Žtait infiniment nŽcessaire dÕobserver et de conna”tre : car ils naissent tous le Livre ˆ la main ; et si lՎtude et lÕintelligence de ce Livre sont prŽcisŽment la t‰che quÕils ont ˆ remplir, on peut juger de quel intŽrt il est pour eux de nÕy pas faire de mŽprise.

Mais leur nŽgligence sur cet objet a ŽtŽ portŽe ˆ un point extrme ; il nÕen est presque pas parmi eux qui aient remarquŽ cette union essentielle des dix feuilles du Livre, par laquelle elles sont absolument insŽparables. Les uns se sont arrtŽs ˆ la moitiŽ de ce Livre, dÕautres ˆ la troisime feuille, dÕautres ˆ la premire ; ce qui a produit les AthŽes, les MatŽrialistes et les DŽistes ; quelques-uns en ont bien aperu la liaison, mais ils nÕont pas saisi la distinction importante quÕil y avait ˆ faire entre chacune de ces feuilles, et les trouvant liŽes, ils les ont crues Žgales et de la mme nature.

QuÕen est-il arrivŽ ? CÕest que se bornant ˆ lÕendroit du Livre quÕils nÕavaient pas eu le courage de passer, et sÕappuyant sur ce quÕils ne parlaient cependant que dÕaprs le Livre, ils ont prŽtendu quÕils le possŽdaient tout entier, et se croyant par lˆ infaillibles dans leur doctrine, ils ont fait tous leurs efforts pour le persuader. Mais ces vŽritables isolŽes, ne recevant aucune nourriture, ont bient™t dŽpŽri entre les mains de ceux qui les avaient ainsi sŽparŽes, et il nÕest plus restŽ ˆ ces hommes imprudents quÕun vain fant™me de Science, quÕils ne pouvaient donner comme un corps solide, ni comme un Etre vrai, sans avoir recours ˆ lÕimposture.

CÕest de lˆ prŽcisŽment dÕo sont sorties toutes les erreurs que nous aurons ˆ examiner dans la suite de ce TraitŽ, ainsi que toutes celles que nous avons dŽjˆ relevŽes sur les deux Principes opposŽs, sur la nature et les Lois des Etres corporels, sur les diffŽrentes facultŽs de lÕhomme, sur les principes et lÕorigine de sa Religion et de son culte.

On verra ci-aprs sur quelle partie du Livre sont tombŽes principalement les mŽprises ; mais, avant dÕen venir lˆ, nous complŽterons lÕidŽe quÕon doit avoir de ce Livre incomparable, en donnant le dŽtail des diffŽrentes Sciences et des diffŽrentes propriŽtŽs, dont chacune de ses feuilles renfermait la connaissance.

La premire traitait du Principe universel, ou du Centre, dÕo Žmanent continuellement tous les Centres. La seconde, de la Cause occasionnelle de lÕUnivers ; de la double Loi corporelle qui le soutient ; de la double Loi intellectuelle, agissant dans le temps ; de la double nature de lÕhomme, et gŽnŽralement de tout ce qui est composŽ et formŽ de deux actions.

La troisime de la base des Corps ; de tous les rŽsultats et des productions de tous les Genres, et cÕest lˆ que se trouve le nombre des Etres immatŽriels qui ne pensent point.

La quatrime, de tout ce qui est actif ; du Principe de toutes les Langues, soit temporelles, soit hors du temps ; de la Religion et du culte de lÕhomme, et cÕest lˆ que se trouve le nombre des Etres immatŽriels qui pensent.

La cinquime, de lÕIdol‰trie et de la putrŽfaction.

La sixime, des Lois de la formation du Monde temporel, et de la division naturelle du Cercle par le rayon.

La septime, de la cause des Vents et des MarŽes ; de lՃchelle gŽographique de lÕhomme ; de sa vraie Science et de la source de ses productions intellectuelles ou sensibles.

La huitime, du nombre temporel de celui qui est le seul appui, la seule force et le seul espoir de lÕhomme, cÕest-ˆ-dire, de cet Etre rŽel et physique, qui a deux noms et quatre nombres, en tant quÕil est ˆ la fois actif et intelligent, et que son action sՎtend sur les quatre Mondes. Elle traitait aussi de la Justice et de tous les pouvoirs lŽgislatifs ; ce qui comprend les droits des Souverains, et lÕautoritŽ des GŽnŽraux et des juges.

La neuvime, de la formation de lÕhomme corporel dans le sein de la femme, et de la dŽcomposition du triangle universel et particulier.

La dixime enfin Žtait la voie et le complŽment des neuf prŽcŽdentes. CՎtait sans doute la plus essentielle, et celle sans laquelle toutes les autres ne seraient pas connues, parce quÕen les disposant toutes dix en circonfŽrence, selon leur ordre numŽrique, elle se trouve avoir le plus dÕaffinitŽ avec la premire, dont tout Žmane ; et si lÕon veut juger de son importance, que lÕon sache que cÕest par elle que lÕAuteur des choses est invincible, parce que cÕest une barrire qui le dŽfend de toutes parts, et que nul Etre ne peut passer.

Ainsi, comme lÕon voit renfermŽes dans cette ŽnumŽration, toutes les connaissances o lÕhomme peut aspirer, et les Lois qui lui sont imposŽes, il est clair quÕil ne possdera jamais aucune Science, ni quÕil ne pourra jamais remplir aucun de ses vrais devoirs, sans aller puiser dans cette source ; nous savons aussi actuellement quelle est la main qui doit lÕy conduire, et que si par lui-mme il ne saurait faire un pas vers cette source fŽconde, il peut tre sžr dÕy parvenir, en oubliant sa volontŽ, et laissant agir celle de la Cause active et intelligente qui doit seule agir pour lui.

FŽlicitons-le donc de pouvoir encore trouver un tel appui dans sa misre ; que son cÏur se remplisse dÕespŽrance, en voyant quÕil peut mme aujourdÕhui dŽcouvrir sans erreur, dans ce prŽcieux Livre, lÕessence et les propriŽtŽs des Etres, la raison des choses, les Lois certaines et invariables de sa Religion et du culte quÕil doit nŽcessairement rendre ˆ lÕEtre premier ; cÕest-ˆ-dire, quՎtant ˆ la fois intellectuel et sensible, et nÕy ayant rien qui ne soit lÕun ou lÕautre, il doit conna”tre les rapports de lui-mme avec tout ce qui existe.

Car, si ce Livre nÕa que dix feuilles, et que cependant il contienne tout, rien ne peut exister sans appartenir par sa Nature ˆ lÕune des dix feuilles. Or, il nÕy a pas un Etre qui nÕindique lui-mme quelle est sa classe et ˆ laquelle des dix feuilles il appartient. Chaque Etre nous offre donc par lˆ les moyens de nous instruire de tout ce qui le concerne. Mais, pour se diriger dans ces connaissances, il faut savoir distinguer les Lois vraies et simples qui constituent la nature des Etres, dÕavec celles que les hommes supposent et leur substituent tous les jours.

Erreurs sur le Livre de lÕHomme

Venons ˆ cette partie du Livre, dont jÕai annoncŽ que lÕon avait le plus abusŽ. CÕest cette quatrime feuille qui a ŽtŽ reconnue comme ayant le plus de rapport avec lÕhomme, en ce que cÕest lˆ o Žtaient Žcrits ses devoirs et les vŽritables Lois de son Etre pensant, de mme que les prŽceptes de sa Religion et de son culte.

En effet, en suivant avec exactitude, avec constance et avec une intention pure, tous les points qui y Žtaient clairement ŽnoncŽs, il pouvait obtenir des secours de la main mme qui lÕavait puni, sՎlever au dessus de cette RŽgion corrompue, dans laquelle il est relŽguŽ par condamnation, et retrouver des traces de cette ancienne autoritŽ, en vertu de laquelle il dŽterminait autrefois les latitudes et les longitudes pour le maintien de lÕordre universel.

Mais, comme cÕest ˆ cette quatrime feuille quՎtaient attachŽs de si puissantes ressources, cÕest aussi, comme nous lÕavons dit, sur cette partie du Livre, que ses erreurs devaient tre les plus importantes ; et en effet si lÕhomme nÕen ežt point nŽgligŽ les avantages, tout serait encore heureux et en paix sur la Terre.

La premire de ces erreurs a ŽtŽ de transposer sur cette quatrime feuille, et dÕy substituer la cinquime, ou celle qui traite de lÕidol‰trie ; parce quÕalors lÕhomme dŽfigurant les Lois de sa Religion, ne pouvait en retirer les mmes fruits, ni les mmes secours que sÕil ežt persŽvŽrŽ dans le vrai culte. Au contraire, ne recevant que les tŽnbres pour rŽcompense, il sÕy ensevelissait au point de ne plus mme dŽsirer la lumire.

Telle fut la marche de ce Principe, dont nous avons dit au commencement de cet Ouvrage, quÕil sՎtait fait mauvais par sa propre volontŽ ; telle a ŽtŽ celle du premier homme, et telle a ŽtŽ celle de plusieurs de ses descendants, surtout parmi les Nations qui prennent leur Orient au Sud de la Terre.

CÕest lˆ cette erreur ou ce crime, qui ne se pardonne point, et qui, au contraire, subit indispensablement les punitions les plus rigoureuses ; mais la multitude des hommes est ˆ couvert de ces Žgarements ; car ce nÕest quÕen marchant que lÕon tombe, et le plus grand nombre ne marche point ; cependant, comment avancer sans marcher ?

La seconde erreur est dÕavoir pris une idŽe grossire des propriŽtŽs attachŽes ˆ cette quatrime feuille, et dÕavoir cru pouvoir les appliquer ˆ tout ; car, en les attribuant ˆ des objets auxquels elles ne pouvaient convenir, il Žtait impossible de rien trouver.

Aussi, qui ne sait quel est le peu de succs de ceux qui fondent la Matire sur quatre ElŽments, qui nÕosent refuser la pensŽe aux btes, qui sÕefforcent de faire quadrer le calcul Solaire avec le calcul Lunaire, qui cherchent la longitude sur la Terre et la quadrature du cercle ; en un mot, qui tentent tous les jours une infinitŽ de dŽcouvertes de cette nature, et dans lesquelles ils nÕont jamais de rŽsultats satisfaisants, comme nous continuerons ˆ le faire voir dans la suite de ce TraitŽ ? Mais, cette erreur nՎtant pas dirigŽe directement contre le Principe universel, ceux qui la suivent, nÕen sont punis que par lÕignorance, et elle ne demande point dÕexpiration.

Il y en a une troisime, par laquelle, avec cette mme ignorance, lÕhomme sÕest cru trs lŽgrement en possession des avantages sacrŽs que cette quatrime feuille pourrait en effet lui communiquer ; dans cette idŽe, il a rŽpandu parmi ses semblables les notions incertaines quÕil sÕest faites de la VŽritŽ, et a tournŽ sur lui les yeux des Peuples, qui ne devaient les porter que vers le premier Etre, vers la Cause Physique active et intelligente, et vers ceux qui par leurs travaux et leurs Vertus avaient obtenu le droit de la reprŽsenter sur la Terre.

Cette erreur, sans tre aussi funeste que la premire, est cependant infiniment plus dangereuse que la seconde, parce quÕelle donne aux hommes une idŽe fausse et puŽrile de lÕAuteur des choses, et des sentiers qui mnent ˆ lui ; parce quÕenfin chacun de ceux qui ont eu lÕimprudence et lÕaudace de sÕannoncer ainsi, ont pour ainsi dire, Žtabli autant de Systmes, autant de dogmes et autant de Religions. Or, ces Žtablissements dŽjˆ peu solides par eux-mmes, et par le vice de leur Institution, nÕont pu manquer dՎprouver encore des altŽrations, de faon quՎtant obscurs et tŽnŽbreux, ds le moment de leur origine, ils ont par la longueur des temps, dŽcouvert pleinement leur difformitŽ.

Origine de la diversitŽ des religions

Joignons donc les Žnormes abus qui ont ŽtŽ faits des connaissances renfermŽes dans la quatrime feuille de ce Livre dont nous naissons tous dŽpositaires ; joignons la confusion qui en est provenue, ˆ tout ce que nous avons observŽ sur lÕignorance, la crainte et la faiblesse des hommes ; et laissant lˆ les symboles, nous aurons lÕexplication et lÕorigine de cette multitude de Religions et de cultes en usage parmi les nations.

Nous ne pourrons que les mŽpriser, sans doute, en apercevant cette variŽtŽ qui les dŽfigure, et cette opposition mutuelle qui en dŽcouvre la faussetŽ ; mais lorsque nous ne perdrons pas de vue que ces diffŽrences et ces bizarreries nÕont jamais pu tomber que sur le sensible, lorsque nous nous rappellerons que lÕhomme par sa pensŽe, Žtant lÕimage et la similitude du premier Etre pensant, apporte avec lui toutes ses Lois, nous reconna”trons alors que sa Religion na”t Žgalement avec lui-mme ; que loin quÕelle ait ŽtŽ en lui une suite de lÕexemple, du caprice, de lÕignorance, et de la frayeur quÕont pu lui inspirer les catastrophes de la Nature, ce sont, au contraire, toutes ces causes qui lÕont si souvent dŽfigurŽe, et ont amenŽ lÕhomme au point de se dŽfier mme du seul remde quÕil ežt ˆ ses maux. Nous reconna”trons bien mieux encore quÕil est le seul qui souffre de ses variations et de ses faiblesses ; que la source de son Existence et la voie qui lui est accordŽe pour y parvenir, nÕen seront jamais moins pures, et quÕil sera toujours sžr de trouver un point de rŽunion qui lui soit commun avec ses semblables, quand il portera les yeux vers cette source, et vers la seule lumire qui doit lÕy conduire.

Telles sont les idŽes que nous devons avoir de la vŽritable Religion de lÕhomme, et de toutes celles qui ont usurpŽ ce nom sur la terre. Maintenant cherchons la cause des erreurs que les Observateurs ont faites dans la Politique ; car, aprs avoir considŽrŽ lÕhomme en lui­-mme, et relativement ˆ son Principe, il para”t trs important de le considŽrer dans ses relations avec ses semblables.

 

Fin du premier volume

 

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Table des chapitres de ce premier volume

Introduction

Chapitre 1

De la cause des erreurs

De la vŽritŽ

Du bien et du mal

Du bon et du mauvais principe

Fausse doctrine sur les deux principes

De la diffŽrence des deux principes

Le mal, rŽsultat de la libertŽ

Origine du mal

Le mal, rŽsultat de la libertŽ

De la libertŽ et de la volontŽ

Ancien Žtat du mauvais principe

Etat actuel du mauvais principe

IncompatibilitŽ du bien et du mal

Des deux Žtats de lÕhomme

Etat primitif de lÕhomme

DŽgradation de lÕhomme

Peine de lÕhomme

Voie de sa rŽhabilitation

Secours accordŽs ˆ lÕhomme

Travaux de lÕhomme

Double effet du corps de lÕhomme

Origine du matŽrialisme

Systme des sensations

Dangers de ce systme

FacultŽ innŽe dans lÕhomme

De lÕancienne enveloppe de lÕhomme

De la nouvelle enveloppe de lÕhomme

Deux tres dans lÕhomme

Le sensible dans la bte

De lՐtre actif dans la Bible

Des habitudes dans la bte

De lÕintellectuel et du sensible

Manire de distinguer les trois rgnes

Progression quaternaire universelle

Union des trois ŽlŽments

SupŽrioritŽ de lÕhomme

De la pensŽe de lÕhomme

Des sens de lÕhomme

Droits de lÕhomme sur sa pensŽe

Grandeur de lÕhomme

MŽprises sur lÕhomme

 Moyens dՎviter ces mŽprises 27 UniversalitŽ de ces mŽprises

 

     Chapitre 2

Source universelle des erreurs Des souffrances de la bte

De la double action

Des recherches sur la nature

De la matire et de son principe

De la divisibilitŽ de la matire

Bornes des mathŽmatiques

Des productions et de leurs principes

De la reproduction des formes

ImmuabilitŽ de leurs principes

Des Žmanations de lÕunitŽ

Des tres secondaires

De la gŽnŽration des corps

De la destruction des corps

De la digestion

De la rŽintŽgration des corps

De la femme

De la vŽgŽtation

Des aliments

Du mŽlange des corps

Des semences vermineuses

UnitŽ dÕaction dans les principes

Faux systme sur la matire

DiversitŽ des essences matŽrielles

Du systme des dŽveloppements RŽcapitulation

 

Chapitre 3

 

Encha”nement des erreurs

Droits des tres intelligents

Du principe du mouvement

Mobile de la nature

Des dŽsordres de la nature

Cause distincte de la matire

Des causes temporelles

Du ternaire universel

LÕair

Division du corps humain

LÕHomme, miroir de la science

Harmonie des ŽlŽments

MŽprises des observateurs

Des lois de la nature

Routes de la science

Du mercure

Du tonnerre

PrŽservatifs contre le tonnerre

Rapports des ŽlŽments ˆ lÕhomme

Erreurs principales

Du poids, du nombre et de la mesure

DiffŽrentes actions dans lÕanimal

DiffŽrentes actions dans lÕintellectuel

Des deux natures de lÕhomme

Des deux natures universelles

Sige de lՉme corporelle

Sige de lՉme intellectuelle

Liaison de lÕintellect au sensible

Des difformitŽs et des maladies

Effets de lÕamputation

Des trois actions temporelles

Source de lÕignorance

NŽcessitŽ dÕune troisime cause

Du hasard

De la troisime cause

Remarque sur les deux principes

Encha”nement des vŽritŽs

 

Chapitre 4

 

Tableau allŽgorique

Imprudence des observateurs

Danger des erreurs sur lÕhomme

Des diverses institutions

Source des fausses observations

De lÕinstitution religieuse

Des fausses religions

VŽritŽs indŽpendantes de lÕhomme

De la diversitŽ des religions

Du zle sans lumire

Du mobile de lÕhomme

De lÕunitŽ dans le culte

Incertitudes de lÕhomme

Rgle de lÕhomme

Des dogmes mystŽrieux

De lÕextŽrieur des religions

De la morale

De lÕanciennetŽ de la religion

De lÕaffinitŽ des tres pensants

DiffŽrence entre les tres immatŽriels

DiffŽrence entre les tres pensants

Tribut imposŽ ˆ lÕhomme

Erreur sur lÕorigine de la religion

Germe intellectuel de lÕhomme

Premire religion de lÕhomme

Seconde religion de lÕhomme

De la lecture et de lՎcriture

Du livre de lÕhomme

Erreurs sur le livre de lÕhomme

Origine de la diversitŽ des religions

 

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