DES ERREURS OU
Ouvrage dans lequel, en faisant remarquer aux observateurs lÕincertitude de leurs recherches, et leurs mprises continuelles, on leur indique la route quÕils auraient d suivre, pour acqurir lÕvidence physique sur lÕorigine du bien et du mal, sur lÕhomme, sur la nature matrielle, la nature immatrielle, et la nature sacre, sur la base des gouvernements politiques, sur lÕautorit des souverains, sur la justice civile et criminelle, sur les sciences, les langues, et les arts.
Par un PhilÉ IncÉ
Premire partie (Tome1)
A EDIMBOURG |
LÕouvrage que jÕoffre aux hommes nÕest point un recueil de conjectures, ce nÕest point un systme que je leur prsente, je crois leur faire un don plus utile. Ce nÕest pas nanmoins la science mme que je viens leur apporter : je sais trop que ce nÕest pas de lÕhomme que lÕhomme doit lÕattendre : cÕest seulement un rayon de leur propre flambeau que je ranime devant eux, afin quÕil les claire sur les ides fausses quÕon leur a donnes de la Vrit, de mme que sur les armes faibles et dangereuses que des mains mal sres ont employes pour la dfendre.
JÕai t vivement affect, je lÕavoue, en jetant les yeux sur lÕtat actuel de la Science ; jÕai vu combien les mprises lÕont dfigure, jÕai vu le voile hideux dont on lÕa couverte, et pour lÕintrt de mes semblables jÕai cru quÕil tait de mon devoir de lÕarracher.
Sans doute que pour une telle entreprise, il me faut plus que des ressources ordinaires : mais, sans mÕexpliquer sur celles que jÕemploie, il suffira de dire quÕelles tiennent la nature mme des hommes, quÕelles ont toujours t connues de quelques-uns dÕentre eux depuis lÕorigine des choses, et quÕelles ne seront jamais retires totalement de dessus la Terre, tant quÕil y aura des Etres pensants.
CÕest l o jÕai puis lÕvidence et la conviction des vrits dont la recherche occupe tout lÕUnivers.
Aprs cet aveu, si lÕon mÕaccusait encore dÕenseigner une doctrine inconnue on ne pourrait pas au moins me souponner dÕen tre lÕinventeur, puisque si elle tient la nature des hommes, non seulement elle ne vient pas de moi, mais mme il mÕet t impossible dÕen tablir solidement aucune autre.
Et vraiment, si le lecteur ne prononce pas sur lÕouvrage, avant dÕen avoir aperu lÕensemble et la liaison, sÕil se donne le temps de sentir le poids et lÕenchanement des principes que je lui expose : il conviendra quÕils sont la vraie clef de toutes les Allgories et des Fables mystrieuses de tous les peuples, la source premire de toutes les espces dÕinstitutions, le modle mme des lois qui dirigent lÕUnivers et qui constituent tous les Etres ; cÕest--dire quÕils servent de base tout ce qui existe et tout ce qui sÕopre, soit dans lÕhomme et par la main de lÕhomme, soit hors de lÕhomme et indpendamment de sa volont ; et que par consquent, hors de ces principes, il ne peut y avoir de vritable Science.
De l, il connatra plus facilement encore, pourquoi lÕon voit parmi les hommes une varit universelle de Dogmes et de systmes ; pourquoi lÕon aperoit cette multitude innombrable de sectes philosophiques, politiques et religieuses, dont chacune est aussi peu dÕaccord avec elle-mme quÕavec toutes les autres sectes ; pourquoi malgr les efforts que les chefs de ces diffrentes sectes font tous les jours pour se former une doctrine stable sur les points les plus importants, et pour concilier les opinions particulires, ils ne peuvent jamais y parvenir ; pourquoi, nÕoffrant rien de fixe leurs Disciples, non seulement ils ne les persuadent pas, mais ils les exposent mme se dfier de toute science, pour nÕen avoir connu que dÕimaginaires ou de vicieuses ; pourquoi enfin les Instituteurs et les observateurs montrent sans cesse dcouvert quÕils nÕont ni la rgle, ni la preuve du vrai ; le lecteur conclura, dis-je, que si les principes dont je traite, sont le seul fondement de toute vrit, cÕest pour les avoir oublis, que toutes ces erreurs dvorent la Terre, et quÕainsi il faut quÕon les y ait presque gnralement mconnus, puisque lÕignorance et lÕincertitude y sont comme universelles.
Tels sont les objets sur lesquels lÕhomme qui cherche connatre, pourra trouver ici se former des ides plus saines et plus conformes la nature du germe quÕil porte en lui-mme.
Cependant, quoique la Lumire soit faite pour tous les yeux, il est encore plus certain que tous les yeux ne sont pas faits pour la voir dans son clat. CÕest pour cela que le petit nombre des hommes dpositaires des vrits que jÕannonce, est vou la prudence et la discrtion par les engagements les plus formels.
Aussi me suis-je promis dÕuser de beaucoup de rserve dans cet crit, et de mÕy envelopper souvent dÕun voile que les yeux les moins ordinaires ne pourront pas toujours percer, dÕautant que jÕy parle quelquefois de toute autre chose que de ce dont je parais traiter.
Par la mme raison, quoique je runisse sous le mme point de vue un nombre considrable de sujets diffrents, peine ai-je montr lÕesquisse du vaste tableau que je pouvais offrir ; nanmoins, jÕen dis assez pour donner penser au plus grand nombre, sans en excepter ceux qui en fait de science, jouissent de la plus haute clbrit.
Mais nÕayant pour but que le bien de lÕhomme en gnral, et surtout ne voulant point faire natre la discorde parmi les individus, je nÕattaque directement, ni aucun des Dogmes reus, ni aucune des Institutions politiques tablies ; et mme dans mes remarques sur les sciences et sur les diffrents systmes, je me suis interdit tout ce qui pourrait avoir le moindre rapport avec des objets trop particuliers.
De plus, jÕai cru ne devoir employer aucune citation, parce que premirement, je frquente peu les Bibliothques, et que les livres que je consulte ne sÕy trouvent pas ; en second lieu, parce que des vrits qui ne reposeraient que sur des tmoignages, ne seraient plus des vrits.
Il est propos, je pense, dÕexposer ici lÕordre et le plan de cet ouvrage. On y verra dÕabord quelques observations sur le bien et le mal, pourquoi les systmes modernes ont confondu lÕun et lÕautre, et ont t forcs par l dÕen nier les diffrences. Un coup dÕÏil jet rapidement sur lÕhomme, claircira pleinement cette difficult, et apprendra pourquoi il se trouve encore dans la plus profonde ignorance, non seulement sur ce qui lÕenvironne, mais encore sur sa vritable nature. Les distinctions qui se trouvent entre ses facults, se confirmeront par celles que nous ferons remarquer mme entre les facults des Etres infrieurs ; par l nous dmontrerons lÕuniversalit dÕune double loi dans tout ce qui est soumis au temps. La ncessit dÕune troisime loi temporelle, sera encore bien plus clairement prouve en faisant voir que la double loi est absolument dans sa dpendance.
Les mprises qui ont t faites sur tous ces objets, dvoileront clairement la cause de lÕobscurit, de la varit et de lÕincertitude qui se montrent dans tous les ouvrages des hommes, de mme que dans toutes les Institutions, tant civiles que sacres, auxquelles ils sont enchans ; ce qui apprendra quelle doit tre la vraie source de la Puissance souveraine parmi eux, et celle de tous les droits qui constituent leurs diffrents tablissements. Nous ferons les mmes applications sur les principes reus dans les hautes sciences, et principalement dans les mathmatiques o lÕorigine et la vritable cause des erreurs paratront avec vidence.
Enfin, nous rappellerons lÕhomme celui de ses attributs naturels qui le distingue le mieux des autres Etres, et qui est le plus propre le rapprocher de toutes les connaissances qui conviennent sa nature. Tous ces objets sont renferms dans sept divisions, lesquelles quoique reposant toutes sur la mme base, offrent cependant chacune un sujet diffrent.
Si quelques-uns avaient peine admettre les principes que je viens rappeler aux hommes, comme leur embarras ne viendrait que de ce quÕils auraient suivi leur propre sens et non celui de lÕouvrage, ils ne doivent pas attendre de moi dÕautres explications, dÕautant que pour eux, elles ne seraient pas plus claires que lÕouvrage mme.
On sÕapercevra facilement, en lisant ces rflexions, que je me suis peu attach la forme, et que jÕai nglig les avantages de la diction ; mais si le lecteur est de bonne foi, il conviendra que je mÕen suis encore trop occup, car mon sujet nÕen avait pas besoin.
DES ERREURS & DE LA VRIT
1
De la cause des erreurs
CÕEST un spectacle bien affligeant, lorsquÕon veut contempler lÕhomme, de le voir la fois tourment du dsir de connatre, nÕapercevant les raisons de rien, et cependant ayant lÕaudace et la tmrit de vouloir en donner tout. Au lieu de considrer les tnbres qui lÕentourent, et de commencer par en sonder la profondeur ; il sÕavance, non seulement comme sÕil tait sr de les dissiper, mais encore comme sÕil nÕy avait point dÕobstacles entre la Science et lui : bientt mme sÕefforant de crer une Vrit, il ose la mettre la place de celle quÕil devrait respecter en silence, et sur laquelle il nÕa presque aujourdÕhui dÕautre droit, que de la dsirer et de lÕattendre.
Et en effet, sÕil est absolument spar de la Lumire, comment pourra-t-il seul allumer le flambeau qui doit lui servir de guide ? Comment pourra-t-il, par ses propres facults, produire une Science qui lve tous ses doutes ? Ces lueurs et ces apparences de ralit quÕil croit dcouvrir dans les prestiges de son imagination, ne sÕvanouissent-elles pas au plus simple examen ? et aprs avoir enfant des fantmes sans vie et sans consistance, ne se voit-il pas forc de les remplacer par de nouvelles illusions, qui bientt aprs ont le mme sort, et le laissent plong dans les plus affreuses incertitudes ?
Heureux, nanmoins, si sa faiblesse tait lÕunique cause de ses mprises ! sa situation en serait beaucoup moins dplorable, car ne pouvant, par sa nature, trouver de repos que dans la vrit, plus les preuves seraient douloureuses, plus elles serviraient le ramener au seul but qui soit fait pour lui.
Mais ses erreurs prennent encore leur source dans sa volont drgle ; on voit que loin dÕemployer son avantage le peu de forces qui lui restent, il les dirige presque toujours contre la Loi de son Etre : on voit, dis-je, que loin dÕtre retenu par cette obscurit qui lÕenvironne, cÕest de sa propre main quÕil se met le bandeau sur les yeux. Alors, nÕentrevoyant plus la moindre clart, le dsespoir ou la frayeur lÕentranent, et il se jette lui-mme dans des sentiers, dangereux qui lÕloignent jamais de sa vritable route.
CÕest donc par ce mlange de faiblesses et dÕimprudences que se perptue lÕignorance de lÕhomme ; telle est la source de ses inconsquences continuelles ; en sorte que, consumant ses jours dans des efforts inutiles et vains, on doit peu sÕtonner que ses travaux ne produisent aucuns fruits, ou ne laissent aprs eux que de lÕamertume.
Toutefois lorsque je rappelle ici les carts et la marche inconsidre de mes semblables, je suis bien loign de vouloir les avilir leurs propres yeux ; le plus ardent de mes vÏux, au contraire, serait quÕils ne perdissent jamais de vue la grandeur dont ils sont susceptibles. Puiss-je au moins y contribuer en essayant de faire vanouir devant eux les difficults qui les arrtent, en excitant leur courage, et en leur montrant la voie qui mne au but de leurs dsirs !
Au premier coup dÕÏil que lÕhomme voudra jeter sur lui-mme, il nÕaura pas de peine sentir, et avouer quÕil doit y avoir pour lui une Science ou une Loi vidente, puisquÕil y en a une pour tous les Etres, quoiquÕelle ne soit pas universellement dans tous les Etres, et puisque mme, au milieu de nos faiblesses, de notre ignorance et de nos mprises, nous ne nous occupons quÕ chercher la paix et la lumire.
Alors, quoique les efforts que lÕhomme fait journellement pour atteindre au but de ses recherches, aient si rarement des succs, on ne doit pas croire pour cela que ce but soit imaginaire, mais seulement que lÕhomme se trompe sur la route qui y conduit, et quÕil est, par consquent, dans la plus grande des privations, puisquÕil ne connat pas mme le chemin par lequel il doit marcher.
De la vrit
On peut donc convenir ds prsent que le malheur actuel de lÕhomme nÕest pas dÕignorer quÕil y a une vrit, mais de se mprendre sur la nature de cette vrit ; car ceux mmes qui ont prtendu la nier et la dtruire, nÕont jamais cru pouvoir y russir sans avoir une autre vrit lui substituer. Et en effet, ils ont revtu leurs opinions chimriques, de la force, de lÕimmutabilit, de lÕuniversalit, en un mot, de toutes les proprits dÕun Etre rel et existant par soi ; tant ils sentaient quÕune Vrit ne saurait tre telle sans exister essentiellement, sans tre invariable et absolument indpendante, comme ne tenant que dÕelle-mme la source de son existence ; puisque, si elle lÕavait reue dÕun autre Principe, celui-ci pourrait la replonger dans le nant ou lÕinaction dont il lÕaurait tire.
Ainsi, ceux qui ont combattu la vrit, ont prouv par leurs propres systmes quÕils avaient lÕide indestructible dÕune Vrit. Rptons-le donc, ce qui tourmente ici-bas la plupart des hommes, cÕest moins de savoir sÕil y a une Vrit, que de savoir quelle est cette Vrit.
Du bien et du mal
Mais ce qui trouble ce sentiment dans lÕhomme, et obscurcit si souvent en lui les rayons les plus vifs de cette lumire, cÕest le mlange continuel de bien et de mal, de clarts et de tnbres, dÕharmonie et de dsordres quÕil aperoit dans lÕUnivers et dans lui-mme. Ce contraste universel lÕinquite, et rpand dans ses ides une confusion quÕil a peine dmler. Afflig, autant que surpris, dÕun si trange assemblage, sÕil veut lÕexpliquer, il sÕabandonne aux opinions les plus funestes, en sorte que cessant bientt de sentir cette mme Vrit, il perd toute la confiance quÕil avait en elle. Le plus grand service quÕon pt lui rendre dans la pnible situation o il se trouve, serait donc de le persuader quÕil peut connatre la source et lÕorigine de ce dsordre qui lÕtonne, et surtout de lÕempcher dÕen rien conclure contre cette Vrit quÕil avoue, quÕil aime, et dont il ne peut se passer.
Du bon et du mauvais principe
Il est certain quÕen considrant les rvolutions et les contrarits quÕprouvent tous les Etres de la Nature, les hommes ont d avouer quÕelle tait sujette aux influences du bien et du mal, ce qui les amenait ncessairement reconnatre lÕexistence de deux Principes opposs. Rien, en effet, de plus sage que cette observation, et rien de plus juste que la consquence quÕils en ont tire. Pourquoi nÕont-ils pas t aussi heureux lorsquÕils ont tent dÕexpliquer la nature de ces deux Principes ? Pourquoi ont-ils donn leur science une base trop troite qui les force de dtruire eux-mmes tout instant, les systmes quÕils y veulent appuyer ?
CÕest quÕaprs avoir nglig les vrais moyens quÕils avaient de sÕinstruire, ils ont t assez inconsidrs pour prononcer dÕeux-mmes sur cet objet sacr, comme si, loin du sjour de la lumire, lÕhomme pouvait tre assur de ses jugements. Aussi, aprs avoir admis les deux Principes, ils nÕont pas su en reconnatre la diffrence.
Tantt ils leur ont accord une galit de force et dÕanciennet qui les rendait rivaux lÕun de lÕautre, en les plaant au mme rang de puissance et de grandeur.
Tantt, la vrit, ils ont annonc le mal comme tant infrieur au bien en tout genre ; mais ils se sont contredits eux-mmes lorsquÕils ont voulu sÕtendre sur la nature de ce mal et sur son origine. Tantt ils nÕont pas craint de placer le mal et le bien dans un seul et mme Principe, croyant honorer ce Principe en lui attribuant une puissance exclusive qui le rend auteur de toutes choses sans exception, cÕest--dire, que par-l ce Principe se trouve la fois pre et tyran, dtruisant mesure quÕil lve, mchant, injuste force de grandeur, et devant par consquent se punir lui-mme pour le maintien de sa propre justice.
A la fin, las de flotter dans ces incertitudes, sans pouvoir trouver une ide solide, quelques-uns ont pris le parti de nier lÕun et lÕautre Principe ; ils se sont efforcs de croire que tout marchait sans ordre et sans loi, et ne pouvant expliquer ce que cÕtait que le bien et le mal, ils ont dit quÕil nÕy avait ni bien ni mal.
Quand, sur cette assertion, on leur a demand quelle tait donc lÕorigine de tous ces prceptes universellement rpandus sur la terre, de cette voix intrieure et uniforme qui force, pour ainsi dire, tous les peuples les adopter, et qui mme, au milieu de ses garements, fait sentir lÕhomme quÕil a une destination bien suprieure aux objets dont il sÕoccupe ; alors ces observateurs continuant sÕaveugler, ont trait dÕhabitudes, les sentiments les plus naturels ; ils ont attribu lÕorganisation et des lois mcaniques, la pense et toutes les facults de lÕhomme; de-l ils ont prtendu, quÕen raison de sa faiblesse, les grands vnements physiques avaient dans tous les temps produit en lui la crainte et lÕeffroi ; quÕprouvant sans cesse sur son dbile individu la supriorit des lments et des Etres dont il est entour, il avait imagin quÕune certaine puissance indfinissable gouvernait et bouleversait, son gr, la Nature ; dÕo il sÕtait fait une suite de principes chimriques de subordination et dÕordre, de punitions et de rcompenses, que lÕducation et lÕexemple avaient perptus, mais avec des diffrences considrables, relatives aux circonstances et aux climats.
Fausse doctrine sur les deux principes
Prenant ensuite pour preuve la varit continuelle des usages et des coutumes arbitraires des peuples, la mauvaise foi et la rivalit des Instituteurs, ainsi que le combat des opinions humaines, fruit du doute et de lÕignorance, il leur a t facile de dmontrer que lÕhomme ne trouvait, en effet, autour de lui, quÕincertitudes et contradictions, dÕo ils se sont crus autoriss affirmer de nouveau quÕil nÕy a rien de vrai, ce qui est dire que rien nÕexiste essentiellement ; puisque, selon ce qui a dj t expos, lÕexistence et la vrit ne sont quÕune mme chose.
Voil cependant les moyens que ces Matres imprudents ont employs pour annoncer leur doctrine et pour la justifier ; voil les sources empoisonnes dÕo sont dcouls sur la terre, tous les flaux qui affligent lÕhomme, et qui le tourmentent plus encore que ses misres naturelles.
Combien nous auraient ils donc pargn dÕerreurs et de souffrances, si, loin de chercher la vrit dans les apparences de la nature matrielle, ils se fussent dtermins descendre en eux-mmes ; quÕils eussent voulu expliquer les choses par lÕhomme, et non lÕhomme par les choses, et quÕarms de courage et de patience, ils eussent poursuivi, dans le calme de leur imagination, la dcouverte de cette lumire que nous dsirons tous avec tant dÕardeur. Peut-tre nÕeut-il pas t en leur pouvoir de la fixer du premier coup dÕÏil ; mais frapps de lÕclat qui lÕenvironne, et employant toutes leurs facults la contempler, ils nÕeussent pas song prononcer dÕavance sur sa nature, ni vouloir la faire connatre leurs semblables, avant dÕavoir pris ses rayons pour guides.
Lorsque lÕhomme, aprs avoir rsist courageusement, parvient surmonter tout ce qui rpugne son tre, il se trouve en paix avec lui-mme, et ds lors il lÕest avec toute la nature. Mais si, par ngligence, ou lass de combattre, il laisse entrer en lui la plus lgre tincelle dÕun feu tranger sa propre essence, il souffre et languit jusquÕ ce quÕil en soit entirement dlivr.
CÕest ainsi que lÕhomme a reconnu dÕune manire encore plus intime, quÕil y avait deux Principes diffrents, et comme il trouve avec lÕun le bonheur et la paix, et que lÕautre est toujours accompagn de fatigues et de tourments, il les a distingus sous les noms de Principe bon, et de Principe mauvais.
De la diffrence des deux principes
Ds lors, sÕil et voulu faire la mme observation sur tous les Etres de lÕunivers, il lui aurait t facile de fixer ses ides sur la nature du bien et du mal, et de dcouvrir par ce moyen quel est leur vritable origine. Disons donc que le bien est, pour chaque tre, lÕaccomplissement de sa propre loi, et le mal, ce qui sÕy oppose. Disons que chacun des Etres, nÕayant quÕune seule loi, comme tenant tous une Loi premire qui est une, le bien, ou lÕaccomplissement de cette loi, doit tre unique aussi, cÕest--dire, tre seul et exclusivement vrai, quoiquÕil embrasse lÕinfinit des Etres.
Au contraire, le mal ne peut avoir aucune convenance avec cette loi des Etres, puisquÕil la combat ; ds lors il ne peut plus tre compris dans lÕunit, puisquÕil tend la dgrader, en voulant former une autre unit. En un mot, il est faux, puisquÕil ne peut pas exister seul ; que malgr lui la Loi des Etres existe en mme temps que lui, et quÕil ne peut jamais la dtruire, lors mme quÕil en gne ou quÕil en drange lÕaccomplissement.
JÕai dit, quÕen sÕapprochant du bon Principe, lÕhomme tait, en effet, combl de dlices, et par consquent, au-dessus de tous les maux ; cÕest quÕalors il est entier sa jouissance, quÕil ne peut avoir ni le sentiment, ni lÕide dÕaucun autre Etre ; et quÕainsi, rien de ce qui vient du mauvais Principe ne peut se mler sa joie, ce qui prouve que lÕhomme est l dans son lment, et que sa loi dÕunit sÕaccomplit.
Mais sÕil cherche un autre appui que celui de cette loi qui lui est propre, sa joie est dÕabord inquite et timide ; il ne jouit quÕen se reprochant sa jouissance, et se partageant un moment entre le mal qui lÕentrane et le bien quÕil a quitt, il prouve sensiblement lÕeffet de deux lois opposes, et il apprend par le mal-tre qui en rsulte, quÕil nÕy a point alors dÕunit pour lui, parce quÕil sÕest cart de sa loi. Bientt, il est vrai, cette jouissance incertaine se fortifie, et mme le domine entirement ; mais loin dÕen tre plus une et plus vraie, elle produit dans les facults de lÕhomme un dsordre dÕautant plus dplorable, que lÕaction du mal tant strile et borne, les transports de celui qui sÕy livre, ne font que lÕamener plus promptement un vide et un abattement invitable.
Voici donc la diffrence infinie qui se trouve entre les deux Principes ; le bien tient de lui-mme toute sa puissance et toute sa valeur ; le mal nÕest rien, quand le bien rgne. Le bien fait disparatre, par sa prsence, jusquÕ lÕide et aux moindres traces du mal ; le mal, dans ses plus grands succs, est toujours combattu et importun par la prsence du bien. Le mal nÕa par lui-mme aucune force, ni aucuns pouvoirs ; le bien en a dÕuniversels qui sont indpendants, et qui sÕtendent jusque sur le mal mme.
Ainsi, il est vident quÕon ne peut admettre aucune galit de puissance, ni dÕanciennet entre ces deux Principes ; car un Etre ne peut en galer un autre en puissance, quÕil ne lÕgale aussi en anciennet, puisque ce serait toujours une marque de faiblesse et dÕinfriorit dans lÕun des deux Etres de nÕavoir pu exister aussitt que lÕautre. Or, si antrieurement, et dans tous les temps, le bien avait coexist avec le mal, ils nÕauraient jamais pu acqurir aucune supriorit puisque, dans cette supposition, le mauvais Principe tant indpendant du bon, et ayant par consquent le mme pouvoir, ou ils nÕauraient eu aucune action lÕun sur lÕautre, ou ils se seraient mutuellement balancs et contenus : ainsi, de cette galit de puissance, il serait rsult une inaction et une strilit absolue dans ces deux Etres, parce que leurs forces rciproques se trouvant sans cesse gales et opposes, il leur eut t impossible lÕun et lÕautre de rien produire.
On ne dira pas que pour faire cesser cette inaction, un Principe suprieur tous les deux aura augment les forces du bon Principe, comme tant plus analogue sa nature ; car alors ce Principe suprieur serait lui-mme le Principe bon dont nous parlons. On sera donc forc, par une vidence frappante, de reconnatre dans le Principe bon, une supriorit sans mesure, une unit, une indivisibilit, avec lesquelles il a exist ncessairement avant tout ; ce qui suffit pour dmontrer pleinement que le mal ne peut tre venu quÕaprs le bien. Fixer ainsi lÕinfriorit du mauvais principe, et faire voir son opposition au Principe bon, cÕest prouver quÕil nÕy a jamais eu, et quÕil nÕy aura jamais entre eux la moindre alliance, ni la moindre affinit ; car pourrait-il entrer dans la pense, que le mal et jamais t compris dans lÕessence et dans les facults du bien, auquel il est si diamtralement oppos ?
Mais cette conclusion nous conduit ncessairement une autre, tout aussi importante, qui est de nous faire sentir que ce bien, quelque puissant quÕil soit, ne peut cooprer en rien la naissance et aux effets du mal ; puisquÕil faudrait, ou quÕavant lÕorigine du mal, il y et eu dans le Principe bon quelque germe, ou facult mauvaise ; et avancer cette opinion, ce serait renouveler la confusion que les jugements et les imprudences des hommes ont rpandue sur ces matires ; ou il faudrait que depuis la naissance du mal, le bien et pu avoir avec lui quelque commerce et quelque rapport, ce qui est impossible et contradictoire. Quelle est donc lÕinconsquence de ceux qui, craignant de borner les facults du bon Principe, sÕobstinent enseigner une doctrine, si contraire sa nature, que de lui attribuer gnralement tout ce qui existe, mme le mal et le dsordre ?
Le mal, rsultat de la libert
Il nÕen faut pas davantage pour faire sentir la distance incommensurable qui se trouve entre les deux Principes, et pour connatre celui auquel nous devons donner notre confiance. Puisque les ides que je viens dÕexposer, ne font que rappeler les hommes des sentiments naturels, et une science qui doit se trouver au fond de leur cÏur ; cÕest, en mme temps, faire natre en eux lÕesprance de dcouvrir de nouvelles lumires sur lÕobjet qui nous occupe ; car lÕhomme tant le miroir de la vrit ; il en doit voir rflchir, dans lui-mme, tous les rayons ; et en effet, si nous nÕavions rien de plus attendre que ce que nous promettent les systmes des hommes, je nÕaurais pas pris la plume pour les combattre.
Mais reconnatre lÕexistence de ce mauvais Principe, considrer les effets de son pouvoir dans lÕUnivers et dans lÕhomme, ainsi que les fausses consquences que les observateurs en ont tires, ce nÕest pas dvoiler son origine. Le mal existe, nous voyons tout autour de nous ses traces hideuses, quels que soient les efforts quÕon a faits pour nier sa difformit. Or, si ce mal ne vient point du bon Principe, comment donc a-t-il pu natre ?
Certes, cÕest bien l pour lÕhomme la question la plus importante et celle sur laquelle je dsirerais convaincre tous mes Lecteurs. Mais je ne me suis point abus sur le succs, et toutes certaines que soient les vrits que je vais annoncer, je ne serai point surpris de les voir rejetes ou mal entendues par le plus grand nombre.
Origine du mal
Quand lÕhomme, sÕtant lev vers le bien, contracte lÕhabitude de sÕy tenir invariablement attach, il nÕa pas mme lÕide du mal ; cÕest une vrit que nous avons tablie, et que nul Etre intelligent ne pourra raisonnablement contester. SÕil avait constamment le courage et la volont de ne pas descendre de cette lvation pour laquelle il est n, le mal ne serait donc jamais rien pour lui ; et en effet, il nÕen ressent les dangereuses influences, quÕ proportion quÕil sÕloigne du bon Principe ; en sorte quÕon doit conclure de cette punition, quÕil fait alors une action libre ; car sÕil est impossible quÕun Etre non libre sÕcarte par lui-mme de la Loi qui lui est impose, il est aussi impossible quÕil se rende coupable et quÕil soit puni ; ce que nous ferons concevoir dans la suite en parlant des souffrances des btes.
Enfin, la puissance et toutes les vertus, formant lÕessence du bon Principe, il est vident que la sagesse et la justice en sont la rgle et la loi, et ds lors cÕest reconnatre que si lÕhomme souffre, il doit avoir eu le pouvoir de ne pas souffrir.
Oui, si le Principe bon est essentiellement juste et puissant, nos peines sont une preuve vidente de nos torts, et par consquent de notre libert ; lors donc que nous voyons lÕhomme soumis lÕaction du mal, nous pouvons assurer que cÕest librement quÕil sÕy est expos, et quÕil ne tenait quÕ lui de sÕen dfendre et de sÕen tenir loign ; ainsi ne cherchons pas dÕautre cause ses malheurs que celle de sÕtre cart volontairement du bon Principe, avec lequel il aurait sans cesse got la paix et le bonheur.
Appliquons le mme raisonnement au mauvais Principe ; sÕil sÕoppose videmment lÕaccomplissement de la loi dÕunit des Etres, soit dans le sensible, soit dans lÕintellectuel, il faut quÕil soit lui-mme dans une situation dsordonne. SÕil nÕentrane aprs lui que lÕamertume et la confusion, il en est sans doute la fois, et lÕobjet et lÕinstrument ; ce qui nous fait dire quÕil doit tre livr sans relche, au tourment et lÕhorreur quÕil rpand autour de lui.
Le mal, rsultat de la libert
Or, il ne souffre que parce quÕil est loign du bon Principe ; car ce nÕest que ds lÕinstant quÕils en sont spars, que les Etres sont malheureux. Les souffrances du mauvais Principe ne peuvent donc tre quÕune punition, parce que la justice, tant universelle, doit agir sur lui, comme elle agit sur lÕhomme ; mais, sÕil subit une punition, cÕest donc librement quÕil sÕest cart de la Loi qui devait perptuer son bonheur ; cÕest donc volontairement quÕil sÕest rendu mauvais. CÕest ce qui nous engage dire, que si lÕAuteur du mal et fait un usage lgitime de sa libert, il ne se serait jamais spar du bon Principe, et le mal serait encore natre ; par la mme raison, si aujourdÕhui il pouvait employer sa volont son avantage, et la diriger vers le bon Principe, il cesserait dÕtre mauvais, et le mal nÕexisterait plus.
Ce ne sera jamais que par lÕenchanement simple et naturel de toutes ces observations, que lÕhomme pourra parvenir fixer ses ides sur lÕorigine du mal ; car, si cÕest en laissant dgnrer sa volont, que lÕEtre intelligent et libre acquiert la connaissance et le sentiment du mal, on doit tre assur que le mal nÕa pas dÕautre principe, ni dÕautre existence que la volont mme de cet Etre libre ; que cÕest par cette volont seule, que le Principe, devenu mauvais, a donn originairement la naissance au mal, et quÕil y persvre encore aujourdÕhui : en un mot, que cÕest par cette mme volont que lÕhomme a acquis et acquiert tous les jours cette Science funeste du mal, par laquelle il sÕenfonce dans les tnbres, tandis quÕil nÕtait n que pour le bien et pour la lumire.
De la libert et de la volont
Si on a agit en vain tant de questions sur la Libert, et quÕon les ait si souvent termines par dcider vaguement que lÕhomme nÕen est pas susceptible, cÕest quÕon nÕa pas observ la dpendance et les rapports de cette facult de lÕhomme avec sa volont, et quÕon nÕa pas su voir que cette volont tait le seul agent qui pt conserver ou dtruire la libert ; cÕest--dire, quÕon cherche dans la libert une facult stable, invariable, qui se manifeste en nous universellement sans cesse, et de la mme manire, qui ne puisse ni diminuer ni crotre, et que nous retrouvions toujours nos ordres, quel que soit lÕusage que nous en avions fait. Mais comment concevoir une facult qui tienne lÕhomme, et qui soit cependant indpendante de sa volont, tandis que cette volont constitue son essence fondamentale ?
Et ne conviendra-t-on pas quÕil faut ncessairement, ou que la libert nÕappartienne pas lÕhomme, ou quÕil puisse influer sur elle, par lÕusage bon ou mauvais quÕil en fait, en rglant plus ou moins bien sa volont ?
Et en effet, lorsque les Observateurs veulent tudier la libert, ils nous font bien voir quÕelle doit appartenir lÕhomme, puisque cÕest toujours dans lÕhomme, quÕils sont obligs dÕen suivre les traces et les caractres : mais sÕils continuent la considrer, sans avoir gard sa volont, nÕest-ce pas exactement comme sÕils voulaient lui trouver une facult qui ft en lui, mais qui lui ft trangre ; qui ft lui, mais sur laquelle il nÕet aucune influence, ni aucun pouvoir ? Est-il rien de plus absurde et de plus contradictoire ? Est-il tonnant quÕon ne trouve rien en observant de cette manire, et sera-ce jamais dÕaprs des recherches aussi peu solides, quÕon pourra prononcer sur notre propre nature ?
Si la jouissance de la Libert ne dpendait en rien de lÕusage de la volont ; si lÕhomme ne pouvait jamais lÕaltrer par ses faiblesses et ses habitudes drgles, je conviens quÕalors tous les actes en seraient fixes et uniformes, et quÕainsi il nÕy aurait point, comme il nÕy aurait jamais eu, de libert pour lui.
Mais si cette facult ne peut tre telle que les observateurs la conoivent et voudraient lÕexiger, si sa force peut varier tout instant, si elle peut devenir nulle par lÕinaction, de mme que par un exercice soutenu et par une pratique trop constante des mmes actes, alors on ne peut nier quÕelle ne soit nous et dans nous, et que nous nÕayons, par consquent, le pouvoir de la fortifier ou de lÕaffaiblir ; et cela, par les seuls droits de notre Etre et par le privilge de notre volont, cÕest--dire, selon lÕemploi bon ou mauvais que nous faisons volontairement des lois qui nous sont imposes par notre nature.
Une autre erreur qui a fait proscrire la libert par ces observateurs, cÕest quÕils auraient voulu se la prouver par lÕaction mme qui en provient ; en sorte quÕil faudrait, pour les satisfaire, quÕun acte pt la fois, tre et nÕtre pas, ce qui tant videmment impossible, ils en ont conclu que tout ce qui arrive a d ncessairement arriver, et par consquent, quÕil nÕy avait point de libert. Mais ils auraient d remarquer que lÕacte, et la volont qui lÕa conu, ne peuvent quÕtre conformes et non pas opposs ; quÕune puissance qui a produit son acte ne peut en arrter lÕeffet ; quÕenfin, la libert, prise mme dans lÕacception vulgaire, ne consiste pas pouvoir faire le pour et le contre la fois, mais pouvoir faire lÕun et lÕautre alternativement : or, quand ce ne serait que dans ce sens, lÕhomme prouverait assez ce quÕon appelle communment sa libert, puisquÕil fait visiblement le pour et le contre dans ses diffrentes actions successives, et quÕil est le seul Etre de la nature qui puisse ne pas marcher toujours par la mme route.
Mais ce serait sÕgarer trangement que de ne pas concevoir une autre ide de la libert ; car cette contradiction dans les actions dÕun Etre, prouve, il est vrai, quÕil y a du drangement et de la confusion dans ses facults, mais ne prouve point du tout quÕil soit libre, puisquÕil reste toujours savoir, sÕil se livre librement ou non, tant au mal quÕau bien ; et cÕest en partie pour avoir mal dfini la libert, que ce point est encore couvert des plus paisses tnbres pour le commun des hommes.
Je dirai donc que la vritable facult dÕun Etre libre, est de pouvoir par lui-mme, se maintenir dans la loi qui lui est prescrite, et de conserver sa force et son indpendance, en rsistant volontairement aux obstacles et aux objets qui tendent lÕempcher dÕagir conformment cette Loi ; ce qui entrane ncessairement la facult dÕy succomber, car il ne faut pour cela que cesser de vouloir sÕy opposer. Alors on doit juger si, dans lÕobscurit o nous sommes, nous pouvons nous flatter de toujours parvenir au but avec la mme facilit ; si nous ne sentons pas, au contraire, que la moindre de nos ngligences augmente infiniment cette tche, en paississant le voile qui nous couvre : ensuite portant la vue pour un moment sur lÕhomme en gnral, nous dcouvrirons que si lÕhomme peut dgrader et affaiblir sa libert tous les instants, de mme lÕespce humaine est moins libre actuellement quÕelle ne lÕtait dans ses premiers jours, et plus forte raison quÕelle ne lÕtait avant de natre.
Ce nÕest donc plus dans lÕtat actuel de lÕhomme, ni dans ses actes journaliers, que nous devons prendre des lumires pour dcider de sa vraie libert, puisque rien nÕest plus rare que dÕen voir aujourdÕhui des effets purs et entirement indpendants des causes qui lui sont trangres ; mais ce serait tre plus quÕinsens dÕen conclure quÕelle ne fut jamais au nombre de nos droits. Les chanes dÕun esclave prouvent, je le sais, quÕil ne peut plus agir selon toute lÕtendue de ses forces naturelles, mais non pas quÕil ne lÕa jamais pu ; au contraire, elles annoncent quÕil le pourrait encore, sÕil nÕet pas mrit dÕtre dans la servitude ; car, sÕil ne lui tait pas possible de jamais recouvrer lÕusage de ses forces, sa chane ne serait pour lui, ni une punition, ni une honte.
En mme temps, de ce que lÕhomme est si difficilement, si obscurment et si rarement libre aujourdÕhui, on ne serait pas plus raisonnable dÕen infrer que ses actions soient indiffrentes, et quÕil ne soit pas oblig de remplir la mesure de bien qui lui est impose mme dans cet tat de servitude ; car la privation de sa libert consiste en effet ne pouvoir, par ses propres forces, obtenir la jouissance entire des avantages renferms dans le bien pour lequel il a t fait, mais non pouvoir sÕapprocher du mal sans se rendre encore plus coupable ; puisque lÕon verra que son corps matriel ne lui a t prt que pour faire continuellement la comparaison du faux avec le vrai, et que jamais lÕinsensibilit o le conduit chaque jour sa ngligence sur ce point, ne pourra dtruire son essence ; ainsi, il suffit quÕil se soit loign une fois de la lumire laquelle il devait sÕattacher, pour rendre la suite de ses carts inexcusable, et pour quÕil nÕait aucun droit de murmurer de ses souffrances.
Mais, faut-il le dire, si les observateurs ont tant balbuti sur la libert de lÕhomme, cÕest quÕils nÕont pas encore pris la premire notion de ce quÕest sa volont : rien ne le prouve mieux que leurs recherches continuelles pour savoir comment elle agit : ne pouvant souponner que son principe dt tre en elle-mme, ils lÕont cherch dans des causes trangres, et voyant, en effet, quÕelle tait ici-bas si souvent entrane par des motifs apparents ou rels, ils ont conclu quÕelle nÕagissait point par elle-mme, et quÕelle avait toujours besoin dÕune raison pour se dterminer. Mais si cela tait, pourrions-nous dire avoir une volont, puisque, loin dÕtre nous, elle serait toujours subordonne aux diffrentes causes qui agissent sans cesse sur elle ? NÕest-ce pas alors tourner dans le mme cercle, et renouveler la mme erreur que nous avons dissipe relativement la libert ? En un mot, dire quÕil nÕy a point de volont sans motifs, cÕest dire que la libert nÕest plus une facult qui dpende de nous, et que nous nÕavons jamais t matres de la conserver. Or, raisonner ainsi, cÕest ignorer ce que cÕest que la volont qui annonce prcisment un Etre agissant par lui-mme, et sans le secours dÕaucun autre Etre.
Par consquent, cette multitude dÕobjets et de motifs trangers qui nous sduisent et nous dterminent si souvent aujourdÕhui, ne prouve pas que nous ne puissions vouloir sans eux, et que nous ne soyons pas susceptibles de libert, mais seulement quÕils peuvent prendre empire sur notre volont, et lÕentraner quand nous ne nous y opposons pas. Car, avec de la bonne foi, on conviendra que ces causes extrieures nous gnent et nous tyrannisent ; or, comment pourrions-nous le sentir et lÕapercevoir, si nous nÕtions pas essentiellement faits pour agir par nous-mmes, et non par lÕattrait de ces illusions ?
Quant la manire dont la volont peut se dterminer indpendamment des motifs et des objets qui nous sont trangers, autant cette vrit paratra certaine quiconque voudra oublier tout ce qui lÕentoure, et regarder en soi, autant lÕexplication en est-elle un abme impntrable pour lÕhomme et pour quel que Etre que ce soit, puisquÕil faudrait pour la donner, corporiser lÕincorporel ; ce serait de toutes les recherches la plus nuisible lÕhomme, et la plus propre le plonger dans lÕignorance et dans lÕabrutissement, parce quÕelle porte faux, et quÕelle use en vain toutes les facults qui sont en lui. Aussi, le peu de succs quÕont eu les observateurs sur cette matire, nÕa servi quÕ jeter dans le dcouragement ceux qui ont eu lÕimprudence de les suivre, et qui ont voulu chercher auprs dÕeux des lumires que leur fausse marche avait loignes. Le Sage sÕoccupe chercher la cause des choses qui en ont une, mais il est trop prudent et trop clair pour en chercher celles qui nÕen ont point, et la volont naturelle lÕhomme est de ce nombre, car elle est cause elle-mme.
Par cette raison, ds quÕil lui reste toujours une volont, et quÕelle ne peut se corrompre que par le mauvais usage quÕil en fait, je continuerai le regarder comme libre, quoique tant presque toujours asservi.
Ce nÕest point pour lÕhomme aveugle, frivole et sans dsir, que jÕexpose de pareilles ides ; comme il nÕa que ses yeux pour guides, il juge les choses sur ce quÕelles sont, et non sur ce quÕelles ont t ; ce serait donc inutilement que je lui prsenterais des vrits de cette nature, puisquÕen les comparant avec ses ides tnbreuses, et avec les jugements de ses sens, il nÕy trouverait que des contradictions choquantes, qui lui feraient nier galement ce quÕil aurait dj conu, et ce quÕon lui ferait concevoir de nouveau, pour se livrer ensuite au dsordre de ses affections, et suivre la loi morte et obscure de lÕanimal sans intelligence.
Mais lÕhomme, qui se sera assez estim pour chercher se connatre, qui aura veill sur ses habitudes, et qui ayant dj donn ses soins carter le voile pais qui lÕenveloppe, pourrait tirer quelques fruits de ces rflexions ; celui l, dis-je, peut ouvrir ce livre, je le lui confie de bon cÏur, dans la vue de fortifier lÕamour quÕil a dj pour le bien.
Cependant, quels que soient ceux entre les mains de qui cet crit pourra tomber, je les exhorte ne pas chercher lÕorigine du mal ailleurs que dans cette source que jÕai indique, cÕest--dire, dans la dpravation de la volont de lÕEtre ou du Principe devenu mauvais. Je ne craindrai point dÕaffirmer quÕen vain ils feraient des efforts pour trouver au mal une autre cause ; car, sÕil avait une base plus fixe et plus solide, il serait ternel et invincible, comme le bien ; si cet Etre dgrad pouvait produire autre chose que des actes de volont, sÕil pouvait former des Etres rels et existants, il aurait la mme puissance que le Principe bon ; cÕest donc le nant de ses Ïuvres qui nous fait sentir sa faiblesse, et qui interdit absolument toute comparaison entre lui et le bon Principe dont il sÕest spar.
Ancien tat du mauvais principe
Ce serait tre encore bien plus insens, de chercher lÕorigine du bien ailleurs que dans le bien mme ; car aprs tout ce quÕon vient de voir, si des Etres dgrads, comme le mauvais Principe et lÕhomme, ont encore le droit dÕtre la propre cause de leurs actions, comment pourrait-on refuser cette proprit au bien, qui, comme tel, est la source infinie de toutes les proprits, le germe mme et lÕagent essentiel de tout ce qui est parfait ? Il faudrait donc nÕavoir pas le sens juste, pour aller chercher la cause et lÕorigine du bien hors de lui, si elles ne sont et ne peuvent tre que dans lui.
JÕen ai dit assez pour faire concevoir lÕorigine du mal ; cependant lÕexpos que jÕen ai fait, mÕoblige, premirement, donner quelques notions sur la nature et lÕtat du mauvais Principe avant sa corruption ; secondement, prvenir une difficult qui pourrait arrter ceux mmes qui passent pour les plus instruits sur ces objets ; savoir, pourquoi lÕAuteur du mal ne fait aucun acte de libert, pour se rconcilier avec le bon Principe ; mais je ne mÕarrterai quÕun instant sur ces deux objets, pour ne pas interrompre ma marche, et pour ne pas trop mÕcarter des bornes qui me sont prescrites.
En annonant que le Principe du mal sÕtait rendu mauvais par le seul acte de sa volont, jÕai donn entendre quÕil tait bon avant dÕenfanter cet acte. Or tait-il alors gal ce Principe suprieur que nous avons reconnu prcdemment ? Non, sans doute ; il tait bon, sans tre son gal ; il lui tait infrieur, sans tre mauvais ; il tait provenu de ce mme Principe suprieur, et ds lors il ne pouvait lÕgaler ni en force, ni en puissance ; mais il tait bon, parce que lÕEtre qui lÕavait produit, tait la bont et lÕexcellence mme ; enfin, il lui tait encore infrieur, parce que ne tenant pas sa loi de lui-mme, il avait la facult de faire ou de ne pas faire ce qui lui tait impos par son origine ; et par-l, il tait expos sÕcarter de cette loi et devenir mauvais, tandis que le Principe suprieur, portant en lui-mme sa propre loi, est dans la ncessit de rester dans le bien qui le constitue, sans pouvoir jamais tendre une autre fin.
Quant au second objet, jÕai donn connatre que si lÕAuteur du mal usait de sa libert pour se rapprocher du bon principe, il cesserait dÕtre mauvais et de souffrir, et que ds lors il nÕy aurait plus de mal ; mais on voit tous les jours par ses Ïuvres quÕil est comme enchan sa volont criminelle, en sorte quÕil nÕen produit pas un seul acte qui nÕait pour but de perptuer la confusion et le dsordre.
Etat actuel du mauvais principe
CÕest sur ce point que les fatalistes ont cru triompher, prtendant que le mal porte en soi la raison et la ncessit de son existence ; ils jettent ainsi les hommes dans le dcouragement et le dsespoir, puisque, si le mal est ncessaire, il est impossible, jamais, dÕviter ses coups, et de conserver aucune esprance de cette paix et de cette lumire qui fait lÕobjet de tous nos dsirs et de toutes nos recherches ; mais gardons-nous dÕadopter ces erreurs, et dtruisons les consquences dangereuses qui en sont les suites, en exposant la vritable cause de la dure du mal.
En descendant en nous-mmes, il nous sera ais de sentir que cÕest une des premires lois de la Justice universelle, quÕil y ait toujours un rapport exact entre la nature de la peine et celle du crime, ce qui ne se peut quÕen assujettissant le prvaricateur des actes impuissants, semblables ceux quÕil a criminellement produits, et par consquent opposs la loi dont il sÕest cart. Voil pourquoi lÕAuteur du mal, sÕtant corrompu par le coupable usage de sa libert, persvre dans sa volont mauvaise, de la mme manire quÕil lÕa conue, cÕest--dire, quÕil ne cesse de sÕopposer aux actes et la volont du Principe bon, et que, dans ces vains efforts, il prouve une continuit des mmes souffrances, afin que, selon les lois de la justice, ce soit dans lÕexercice mme de son crime quÕil rencontre sa punition.
Incompatibilit du bien et du mal
Mais ajoutons encore quelques rflexions sur un sujet aussi important.
Si le bon Principe est lÕunit essentielle, sÕil est la bont, la puret et la perfection mme, il ne peut souffrir en lui ni division, ni contradiction, ni souillure ; il est donc vident que lÕAuteur du mal dt en tre entirement spar et rejet par le seul acte dÕopposition de sa volont la volont du bon Principe ; en sorte que ds lors il ne pt lui rester quÕune puissance et une volont mauvaise, sans communication ni participation du bien. Ennemi volontaire du bon Principe, et de la rgle unique, ternelle et invariable, quel bien, quelle loi pouvait-il y avoir en lui hors de cette rgle, puisquÕil est impossible quÕun seul et mme Etre soit la fois bon et mauvais, quÕil produise en mme temps lÕordre et le dsordre, le pur et lÕimpur ? Il est donc ais de se convaincre, que sa sparation entire dÕavec le bon Principe, lÕayant ncessairement loign de tout bien, il ne fut plus en tat de connatre et de produire rien de bon, et que dsormais il ne put sortir de sa volont que des actes sans rgle et sans ordre, et une opposition absolue au bien et la vrit.
Des deux tats de lÕhomme
CÕest ainsi quÕabm dans ses propres tnbres, il nÕest susceptible dÕaucune lumire et dÕaucun retour au bon Principe ; car, pour quÕil pt diriger ses dsirs vers cette vraie lumire, il faudrait auparavant que la connaissance lui en ft rendue, il faudrait quÕil puisse concevoir une bonne pense ; et comment trouverait-elle accs en lui, si sa volont et toutes ses facults sont tout fait impures et corrompues ? En un mot, ds quÕil nÕa par lui-mme aucune correspondance avec le bien, et quÕil nÕest en son pouvoir, ni de le connatre, ni de le sentir, la facult et la libert dÕy revenir sont toujours sans effet pour lui, cÕest ce qui rend si horrible la privation laquelle il se trouve condamn.
La loi de la Justice sÕexcute galement sur lÕhomme, quoique par des moyens diffrents ; ainsi, elle nous fournira de mme, des lumires qui nous guideront dans les recherches que nous aurons faire sur lui.
Il nÕy a personne de bonne foi, et dont la raison ne soit pas obscurcie ou prvenue, qui ne convienne que la vie corporelle de lÕhomme est une privation et une souffrance presque continuelles. Ainsi, dÕaprs les ides que nous avons prises de la Justice, ce ne sera pas sans raison que nous regarderons la dure de cette vie corporelle comme un temps de chtiment et dÕexpiation ; mais nous ne pouvons la regarder comme telle, sans penser aussitt quÕil doit y avoir eu pour lÕhomme un tat antrieur et prfrable celui o il se trouve prsent, et nous pouvons dire, quÕautant son tat actuel est born, pnible, et sem de dgots, autant lÕautre doit avoir t illimit et rempli de dlices. Chacune de ses souffrances est un indice du bonheur qui lui manque ; chacune de ses privations prouve quÕil tait fait pour la jouissance ; chacun de ses assujettissements lui annonce une ancienne autorit ; en un mot, sentir aujourdÕhui quÕil nÕa rien, cÕest une preuve secrte quÕautrefois il avait tout.
Par le sentiment douloureux de lÕaffreuse situation o nous le voyons aujourdÕhui, nous pouvons donc nous former lÕide de lÕtat heureux o il a t prcdemment. Il nÕest pas prsent le matre de ses penses, et cÕest un tourment pour lui que dÕavoir attendre celles quÕil dsire, et repousser celles quÕil craint ; de-l nous sentons quÕil tait fait pour disposer de ces mmes penses, et quÕil pouvait les produire son gr, dÕo il est ais de prsumer les avantages inapprciables, attachs un pareil pouvoir. Il nÕobtient actuellement quelque paix et quelque tranquillit que par des efforts infinis et des sacrifices pnibles, de-l nous concluons quÕil tait fait pour jouir perptuellement et sans travail, dÕun tat calme et heureux, et que le sjour de la paix a t sa vritable demeure. Ayant la facult de tout voir et de tour connatre, il rampe nanmoins dans les tnbres, mais cÕest en frmissant de son ignorance et de son aveuglement ; nÕest-ce pas une preuve certaine que la lumire est son lment ? Enfin, son corps est sujet la destruction, et cette mort, dont il est le seul Etre qui ait lÕide dans la nature, est le pas le plus terrible de sa carrire corporelle, lÕacte le plus humiliant pour lui, et celui quÕil a le plus en horreur ; pourquoi cette loi, si svre et si affreuse pour lÕhomme, ne nous ferait-elle pas concevoir que son corps en avait reu une infiniment plus glorieuse, et devoir jouir de tous les droits de lÕimmortalit ?
Or, dÕo pouvait provenir cet tat sublime qui rendait lÕhomme si grand et si heureux, si ce nÕest de la connaissance intime et de la prsence continuelle du bon Principe, puisque cÕest en lui seul que se trouve la source de toute puissance et de toute flicit ? Et pourquoi cet homme languit-il prsent dans lÕignorance, dans la faiblesse et dans la misre, si ce nÕest parce quÕil est spar de ce mme Principe, qui est la seule lumire et lÕunique appui de tous les Etres ?
CÕest ici quÕen rappelant ce que jÕai dit plus haut de la justice du premier Principe, et de la libert des Etres provenus de lui, nous sentirons parfaitement que si par une suite de son crime, le Principe du mal subit encore les ptiments attachs sa volont rebelle, de mme les souffrances actuelles de lÕhomme ne sont que des suites naturelles dÕun premier garement ; de mme aussi cet garement nÕa pu provenir que de la libert de lÕhomme, qui ayant conu une pense contre la Loi suprme, y aura adhr par sa volont.
DÕaprs la connaissance des rapports, qui se trouvent entre le crime et les souffrances du mauvais Principe, je pourrais, en suivant leur analogie, faire prsumer quelle est la nature du crime de lÕhomme originel, par la nature de sa peine. Je pourrais mme, par ce moyen, apaiser les murmures qui ne cessent de sÕlever, sur ce que nous sommes condamns participer son chtiment, quoique nous nÕavions point particip son crime. Mais ces vrits seraient mprises par la multitude, et gotes dÕun si petit nombre, que je croirais faire une faute en les exposant au grand jour. Je me contenterai donc de mettre les lecteurs sur la voie, par un tableau figuratif de lÕtat de lÕhomme dans sa gloire, et des peines auxquelles il sÕest expos, depuis quÕil en est dpouill.
Etat primitif de lÕhomme
Il nÕy a point dÕorigine qui surpasse la sienne, car il est plus ancien quÕaucun Etre de Nature, il existait avant la naissance du moindre des germes, et cependant il nÕest venu au monde quÕaprs eux Mais ce qui lÕlevait bien au-dessus de tous ces Etres, cÕest quÕils taient soumis natre dÕun pre et dÕune mre, au lieu que lÕhomme nÕavait point de mre. DÕailleurs, leur fonction tait tout fait infrieure la sienne ; celle de lÕhomme tait de toujours combattre pour faire cesser le dsordre et ramener tout lÕUnit ; celle de ces Etres tait dÕobir lÕhomme. Mais comme les combats que lÕhomme avait faire, pouvaient tre trs dangereux pour lui, il tait revtu dÕune armure impntrable, dont il variait lÕusage son gr, et dont il devait mme former des copies gales et absolument conformes leur modle.
En outre, il tait muni dÕune lance compose de quatre mtaux si bien amalgams, que depuis lÕexistence du monde, on nÕa jamais pu les sparer. Cette lance avait la proprit de brler comme le feu mme ; de plus elle tait si aigu que rien pour elle nÕtait impntrable, et si active quÕelle frappait toujours en deux endroits la fois. Tous ces avantages joints une infinit dÕautres dons que lÕhomme avait reus en mme temps, le rendaient vraiment fort et redoutable.
Le Pays o cet homme devait combattre tait couvert dÕune fort forme de sept arbres, qui avaient chacun seize racines et quatre cent quatre-vingt-dix branches. Leurs fruits se renouvelant sans cesse, fournissaient lÕhomme la plus excellente nourriture, et ces arbres eux-mmes lui servaient de retranchement, et rendaient son poste comme inaccessible.
Dgradation de lÕhomme
CÕest dans ce lieu de dlices, le sjour du bonheur de lÕhomme, et le trne de sa gloire, quÕil aurait t jamais heureux et invincible ; parce quÕayant reu ordre dÕen occuper le centre, il pouvait de l observer sans peine tout ce qui se passait autour de lui, et avait ainsi lÕavantage dÕapercevoir toutes les ruses et toutes les marches de ses adversaires, sans jamais en tre aperu ; aussi, pendant tout le temps quÕil garda ce poste, il conserva sa supriorit naturelle, il jouit dÕune paix et gota une flicit qui ne peuvent sÕexprimer aux hommes dÕ prsent ; mais ds quÕil sÕen fut loign, il cessa dÕen tre le matre, et un autre agent fut envoy pour prendre sa place ; alors lÕhomme aprs avoir t honteusement dpouill de tous ses droits, fut prcipit dans la rgion des pres et des mres, o il reste depuis ce temps, dans la peine et lÕaffliction de se voir ml et confondu avec tous les autres Etres de la Nature.
Peine de lÕhomme
Il nÕest pas possible de concevoir un tat plus triste et plus dplorable que celui de ce malheureux homme au moment de sa chute ; car non seulement il perdit aussitt cette lance formidable laquelle nul obstacle ne rsistait, mais lÕarmure mme dont il avait t revtu, disparut pour lui, et elle fut remplace, pour un temps, par une autre armure qui, nÕtant point impntrable comme la premire, devint pour lui une source de dangers continuels, en sorte quÕayant toujours le mme combat soutenir, il fut infiniment plus expos.
Cependant, en le punissant ainsi, son pre ne voulut pas lui ter tout espoir et lÕabandonner entirement la rage de ses ennemis ; touch de son repentir et de sa honte, il lui promit quÕil pourrait, par ses efforts, recouvrer son premier tat ; mais que ce ne serait quÕaprs avoir obtenu dÕtre remis en possession de cette lance quÕil avait perdue, et qui avait t confie lÕagent par lequel lÕhomme tait remplac, dans le centre mme quÕil venait dÕabandonner.
CÕest donc la recherche de cette arme incomparable, que les hommes ont d sÕoccuper depuis, et quÕils doivent sÕoccuper tous les jours, puisque cÕest par elle seule quÕils peuvent rentrer dans leurs droits, et obtenir toutes les faveurs qui leur furent destines.
Il ne faut pas non plus tre tonn des ressources qui restrent lÕhomme aprs son crime ; cÕtait la main dÕun pre qui le punissait, et cÕtait aussi la tendresse dÕun pre qui veillait sur lui, lors mme que sa Justice lÕloignait de sa prsence. Car le lieu dont lÕhomme est sorti, est dispos avec tant de sagesse, quÕen retournant sur ses pas, par les mmes routes qui lÕont gar, cet homme doit tre sr de regagner le point central de la fort dans lequel seul il peut jouir de quelque force et de quelque repos.
Voie de sa rhabilitation
En effet, il sÕest gar en allant de quatre neuf, et jamais il ne pourra se retrouver quÕen allant de neuf quatre. Au reste, il aurait tort de se plaindre de cet assujettissement ; telle est la Loi impose tous les Etres qui habitent la rgion des pres et des mres ; et puisque lÕhomme y est descendu volontairement, il faut bien quÕil en ressente toute la peine. Cette loi est terrible, je le sais, mais elle nÕest rien compare la Loi du nombre cinquante-six, loi effrayante, pouvantable pour ceux qui sÕy exposent, car ils ne pourront arriver soixante-quatre, quÕaprs lÕavoir subie dans toute sa rigueur.
Telle est lÕhistoire allgorique de ce quÕtait lÕhomme dans son origine, et de ce quÕil est devenu en sÕcartant de sa premire Loi ; jÕai tch par ce tableau, de le conduire jusquÕ la source de tous ses maux, et de lui indiquer, mystrieusement il est vrai, les moyens dÕy remdier. Je dois ajouter que, quoique son crime et celui du mauvais Principe soient galement le fruit de leur volont mauvaise, il faut remarquer nanmoins que lÕun et lÕautre de ces crimes sont de nature trs diffrente, et que par consquent, ils ne peuvent tre assujettis une gale punition, ni avoir les mmes suites ; parce que dÕailleurs la Justice value jusquÕ la diffrence des lieux o leurs crimes se sont commis. LÕhomme et le Principe du mal ont donc continuellement leur faute devant les yeux, mais tous deux nÕont pas les mmes secours, ni les mmes consolations.
JÕai donn entendre prcdemment que le Principe du mal ne peut par lui-mme que persvrer dans sa volont rebelle, jusquÕ ce que la communication avec le bien lui soit rendue. Mais lÕhomme, malgr sa condamnation, peut apaiser la Justice mme, se rconcilier avec la vrit, et en goter de temps en temps les douceurs, comme si en quelque sorte, il nÕen tait pas spar.
Secours accords lÕhomme
Il est vrai de dire nanmoins que le crime de lÕun et de lÕautre, ne se punit que par la privation, et quÕil nÕy a de diffrence, que dans la mesure de ce chtiment. Il est bien plus certain encore que cette privation est la peine la plus terrible, et la seule qui puisse rellement subjuguer lÕhomme. Car, on a eu grand tort de prtendre nous mener la Sagesse, par le tableau effrayant des peines corporelles dans une vie venir ; ce tableau nÕest rien, quand on ne les sent pas. Or, ces aveugles Matres ne pouvant nous faire connatre quÕen ide les tourments quÕils imaginent, doivent ncessairement faire peu dÕeffet sur nous.
Si au moins ils eussent pris soin de peindre lÕhomme les remords quÕil doit prouver, quand il est mchant, il leur et t plus facile de le toucher, parce quÕil nous est possible dÕavoir ici-bas le sentiment de cette douleur. Mais combien nous eussent-ils rendus plus heureux, et nous eussent-ils donn une ide plus digne de notre Principe, sÕils eussent t assez sublimes pour dire aux hommes, que ce Principe tant amour, ne punit les hommes que par lÕamour, mais en mme temps que nÕtant quÕamour, lorsquÕil leur te lÕamour, il ne leur laisse plus rien.
CÕest par-l quÕils auraient clair et soutenu les hommes, en leur faisant sentir que rien ne devrait plus les effrayer que de cesser dÕavoir lÕamour de ce Principe, puisque ds lors ils sont dans le nant ; et certes ce nant que lÕhomme peut prouver tout instant, si on le lui peignait dans toute son horreur, serait pour lui, une ide plus efficace et plus salutaire que celle de ces ternelles tortures, auxquelles malgr la Doctrine de ces Ministres de sang, lÕhomme voit toujours une fin, et jamais de commencement.
Les secours accords lÕhomme pour sa rhabilitation, quelque prcieux quÕils soient, tiennent cependant des conditions trs rigoureuses. Et vraiment plus les droits quÕil a perdu sont glorieux, plus il doit avoir souffrir pour les recouvrer ; enfin tant assujetti par son crime la loi du temps, il ne peut viter dÕen subir les pnibles effets, parce que sÕtant oppos lui-mme tous les obstacles que le temps renferme, la loi veut quÕil ne puisse rien obtenir quÕ mesure quÕil les prouve, et quÕil les surmonte.
CÕest au moment de sa naissance corporelle, quÕon voit commencer les peines qui lÕattendent. CÕest alors quÕil montre toutes les marques de la plus honteuse rprobation ; il nat comme un vil insecte dans la corruption et dans la fange ; il nat au milieu des souffrances et des cris de sa mre, comme si cÕtait pour elle un opprobre de lui donner le jour ; or quelle leon nÕest-ce pas pour lui, de voir que de toutes les mres, la femme est celle dont lÕenfantement est le plus pnible et le plus dangereux ! Mais peine commence-t-il lui-mme respirer, quÕil est couvert de larmes et tourment par les maux les plus aigus. Les premiers pas quÕil fait dans la vie, annoncent donc quÕil nÕy vient que pour souffrir, et quÕil est vraiment le fils du crime et de la douleur.
Travaux de lÕhomme
Si lÕhomme, au contraire, nÕet point t coupable, sa naissance aurait t le premier sentiment du bonheur et de la paix. En voyant la lumire, il en aurait clbr la splendeur par de vifs transports, et par des tributs de louanges envers le Principe de sa flicit. Sans trouble sur la lgitimit de son origine, sans inquitude sur la stabilit de son sort, il en et got tous les dlices, parce quÕil en aurait connu sensiblement les avantages. O homme, verse des larmes amres sur lÕnormit de ton crime, qui a si horriblement chang ta condition ; frmis sur le funeste arrt qui condamne ta postrit natre dans les tourments et dans lÕhumiliation, tandis quÕelle ne devait connatre que la gloire, et un bonheur inaltrable.
Ds les premires annes de son cours lmentaire, la situation de lÕhomme devient beaucoup plus effrayante, parce quÕil nÕa encore souffert que dans son corps, au lieu quÕil va souffrir dans sa pense. De mme que son enveloppe corporelle a t jusque l en butte la fougue des lments, avant dÕavoir acquis la moindre des forces ncessaires pour se dfendre ; de mme sa pense va tre poursuivie dans un ge o nÕayant pas encore exerc sa volont, lÕerreur peut le sduire plus aisment, porter par mille sentiers ses attaques jusquÕau germe, et corrompre lÕarbre dans sa racine.
Il est certain que lÕhomme commence alors une carrire si pnible et si prilleuse, que si les secours ne suivaient pour lui la mme progression, il succomberait infailliblement ; mais la mme main qui lui a donn lÕtre, ne nglige rien pour sa conservation ; mesure quÕil avance en ge, que les obstacles se multiplient et sÕopposent lÕexercice de ses facults, mesure aussi son enveloppe corporelle acquire de la consistance ; cÕest--dire, que sa nouvelle armure se fortifie et devient plus puissante contre les attaques de ses ennemis, jusquÕ ce quÕenfin le temple intellectuel de lÕhomme tant lev, cette enveloppe devenue inutile, se dtruise, laissant lÕdifice dcouvert et hors de toute atteinte.
Double effet du corps de lÕhomme
Il est donc vident que ce corps matriel que nous portons, est lÕorgane de toutes nos souffrances ; cÕest donc lui qui formant des bornes paisses notre vue et toutes nos facults, nous tient en privation et en ptiment ; je ne dois donc plus dissimuler que la jonction de lÕhomme cette enveloppe grossire, est la peine mme laquelle son crime lÕa assujetti temporellement, puisque nous voyons les horribles effets quÕil en ressent depuis le moment o il en est revtu, jusquÕ celui o il en est dpouill ; et que cÕest par-l que commencent et se perptuent les preuves, sans lesquelles il ne peut rtablir les rapports quÕil avait autrefois avec la Lumire.
Mais malgr les tnbres que ce corps matriel rpand autour de nous, nous sommes obligs dÕavouer aussi quÕil nous sert de rempart et de sauvegarde contre les dangers qui nous environnent, et que sans cette enveloppe, nous serions infiniment plus exposs.
Ce sont l, nÕen doutons point, les ides que les Sages en ont eu dans tous les temps. Leur premire occupation a t de se prserver sans cesse des illusions que ce corps leur prsentait. Ils lÕont mpris, parce quÕil est mprisable par sa nature ; ils lÕont redout par les funestes suites des attaques auxquelles il les exposait, et ils ont tous parfaitement connu quÕil tait pour eux la voie de lÕerreur et du mensonge.
Mais lÕexprience leur a appris aussi que cÕest le canal par o arrivent, dans lÕhomme, les connaissances et les lumires de la Vrit ; ils ont senti, que puisquÕil nous sert dÕenveloppe, et que nous nÕavons pas mme la pense nous, il faut bien que nos ides venant toutes du dehors, sÕintroduisent ncessairement par cette enveloppe, et que nos sens corporels en soient les premiers organes.
Origine du matrialisme
Or, cÕest ce sujet que lÕhomme par la promptitude et la lgret de ses jugements, a commenc se livrer des erreurs funestes qui ont produit dans son imagination les ides les plus monstrueuses ; cÕest del, dis-je, que les Matrialistes ont tir cet humiliant systme des sensations qui ravale lÕhomme au-dessous de la bte, puisque celle-ci, ne recevant jamais la fois quÕune seule sorte dÕimpulsion, nÕest pas susceptible de sÕgarer, au lieu que lÕhomme tant plac au milieu des contradictoires, pourrait, selon cette opinion, se livrer en paix indiffremment toutes les impressions dont il serait affect.
Mais dÕaprs les lumires de justice que nous avons dj reconnues en lui, il ne se peut que nous adoptions ces opinions avilissantes. Nous avons dmontr que lÕhomme, charg de sa conduite, est comptable de toutes ses actions ; je me garderai bien prsent de lui laisser enlever un privilge aussi sublime, et qui lÕlve si fort au-dessus de toutes les Cratures.
Systme des sensations
Rien ne mÕempchera donc dÕassurer mes semblables, que cette erreur est la ruse la plus adroite et la plus dangereuse qui ait pu tre employe pour les arrter dans leur marche, et pour les garer. Ce serait pour un voyageur une incertitude des plus dsesprantes, de rencontrer deux routes opposes, sans connatre le lieu o lÕune et lÕautre aboutiraient. Cependant, en observant le chemin quÕil aurait dj fait, se rappelant le point dÕo il serait parti, et celui auquel il tend, il ferait peut-tre assez de combinaisons pour se dterminer et pour choisir juste mais si quelquÕun se prsentait lui, et lui disait quÕil est trs inutile de prendre tant de peines pour dmler la vritable route, que celles qui sÕoffrent ses yeux mnent galement au but, et quÕil peut suivre indiffremment lÕune ou lÕautre ; alors, la situation du voyageur deviendrait bien plus fcheuse et plus embarrassante que lorsquÕil tait rduit prendre conseil de lui-mme ; car enfin il lui serait impossible de se nier lÕopposition quÕil verrait entre ces deux routes ; et le premier sentiment qui devrait alors natre en lui, serait de se dfier des conseils quÕon lui donne, et de se persuader quÕon veut lui tendre un pige.
Voil cependant quelle est la position actuelle de lÕhomme, relativement aux obscurits que les Auteurs du systme des sensations ont rpandues sur sa carrire. Lui annoncer quÕil nÕa dÕautres lois que celles de ses sens, et quÕil ne peut avoir dÕautre guide, cÕest lui dire quÕen vain chercherait-il faire un choix parmi les choses quÕils lui prsentent, puisque ces sens eux-mmes sont sujets varier dans leur action, et quÕainsi lÕhomme ne pouvant pas en diriger les mobiles, essayerait inutilement dÕen diriger le cours et les effets.
Mais, ainsi que le voyageur, lÕhomme ne peut se refuser sa propre conviction ; il voit bien que les sens amnent tout en lui, mais en mme temps, il est forc dÕavouer que parmi les choses quÕils lui amnent, il y en a quÕil sent tre bonnes, comme il y en a quÕil sent tre mauvaises.
Dangers de ce systme
Quelle devrait donc tre sa dfiance contre ceux qui le voudraient dtourner de faire un choix, en lui insinuant que toutes ces choses sont indiffrences ou de mme nature ? Ne devrait-il pas en ressentir la plus vive indignation, et se mettre en garde contre des matres aussi dangereux ?
CÕest cependant l, je le rpte, la plus commune tentative qui se soit faite contre la pense de lÕhomme ; cÕest en mme temps la plus sduisante, et celle dont le Principe du mal tirerait le plus dÕavantage ; parce que sÕil pouvait nourrir lÕhomme dans la persuasion quÕil nÕy a point de choix faire parmi les choses qui lÕenvironnent, il viendrait facilement bout de faire passer jusquÕ lui, lÕhorrible incertitude et le dsordre dans lequel il se trouve lui-mme plong par la privation o il est de toute loi.
Mais si la Justice veille toujours sur lÕhomme, il faut quÕil ait en lui les moyens de dmler les stratagmes de son ennemi, et de dconcerter, quand il le voudra, toutes ses entreprises ; sans quoi il ne pourrait tre puni de sÕy laisser surprendre : ces moyens doivent tre fonds sur sa propre nature, qui ne peut pas plus changer que la nature mme du Principe dont il est provenu ainsi sa propre essence tant incompatible avec le mensonge, lui fait connatre tt ou tard quÕon lÕabuse, et le ramne naturellement la Vrit.
JÕemploierai donc ces mmes moyens qui me sont communs avec tous les hommes, pour leur montrer le danger et lÕabsurdit de cette opinion ennemie de leur bonheur, et qui nÕest propre quÕ les abmer dans le crime et dans le dsespoir. JÕai suffisamment prouv par nos souffrances, que nous tions libres ; ainsi je mÕadresserai aux Matrialistes, et je leur demanderai comment ils ont pu sÕaveugler assez pour ne voir dans lÕhomme quÕune machine ? Je voudrais au moins quÕils eussent eu la bonne foi dÕy voir une machine active, et ayant en elle-mme son Principe dÕaction, car si elle tait purement passive, elle recevrait tout et ne rendrait rien.
Facult inne dans lÕhomme
Alors, ds quÕelle manifeste quelque activit, il faut quÕelle ait au moins en elle le pouvoir de faire cette manifestation, et je ne crois pas que personne prtende que ce pouvoir-l nous vienne par les sensations. Je crois en mme temps que sans ce pouvoir inn dans lÕhomme, il lui serait impossible dÕacqurir ni de conserver la science dÕaucune chose, ce qui sÕobserve sans aucun doute sur les Etres privs de discernement. Il est donc clair que lÕhomme porte en lui la semence de la lumire et des vrits dont il offre si souvent les tmoignages. Et faudraitil quelque chose de plus pour renverser ces principes tmraires par lesquels on a prtendu le dgrader ?
Je sais quÕ la premire rflexion, on pourra mÕopposer que non seulement les btes, mais mme tous les Etres corporels, rendent aussi une action extrieure, dÕo il faudra conclure que tous ces Etres ont aussi quelque chose en eux, et ne sont pas de simples machines. Alors, me demandera-t-on, quelle est la diffrence de leur Principe dÕaction dÕavec celui qui est dans lÕhomme ? Cette diffrence sera facilement aperue de ceux qui voudront lÕobserver avec attention, et mes lecteurs la reconnatront avec moi, en fixant un moment leur vue sur la cause de cette mprise.
Il y a des Etres qui ne sont quÕintelligents, il y en a qui ne sont que sensibles ; lÕhomme est la fois lÕun et lÕautre. Voil le mot de lÕnigme. Ces diffrentes classes dÕEtres ont chacune un Principe dÕaction diffrent, lÕhomme seul les runit tous les deux ; et quiconque voudra ne les pas confondre, sera sr de trouver la solution de toutes les difficults.
De lÕancienne enveloppe de lÕhomme
Par son origine, lÕhomme jouissait de tous les droits dÕun Etre intelligent, quoique cependant il eut une enveloppe ; car, dans la rgion temporelle, il nÕy a pas un seul tre qui puisse sÕen passer. Et ici, lÕayant dj fait assez entrevoir, jÕavouerai bien que lÕarmure impntrable dont jÕai parl prcdemment, nÕtait autre chose que cette premire enveloppe de lÕhomme. Mais pourquoi tait-elle impntrable ? CÕest quÕtant une et simple, cause de la supriorit de sa nature, elle ne pouvait nullement se dcomposer, et que la loi des assemblages lmentaires nÕavait absolument aucune prise sur elle.
De la nouvelle enveloppe de lÕhomme
Depuis sa chute, lÕhomme sÕest trouv revtu dÕune enveloppe corruptible, parce quÕtant compose, elle est sujette aux diffrentes actions du sensible, qui nÕoprent que successivement, et qui par consquent se dtruisent les unes et les autres. Mais, par cet assujettissement au sensible, il nÕa point perdu sa qualit dÕEtre intelligent ; en sorte quÕil est la fois grand et petit, mortel et immortel, toujours libre dans lÕintellectuel, mais li dans le corporel par des lois indpendantes de sa volont ; en un mot, tant un assemblage de deux Natures, diamtralement opposes, il en dmontre alternativement les effets, dÕune manire si distincte, quÕil est impossible de sÕy tromper. Car, si lÕhomme actuel nÕavait que des sens, ainsi que les systmes humains le voudraient tablir, on verrait toujours le mme caractre dans toutes ses actions, et ce serait celui de ses sens ; cÕest--dire, quÕ lÕgal de la bte, toutes les fois quÕil serait excit par ses besoins corporels, il rendrait avec effort, les satisfaire, sans jamais rsister aucunes de leurs impulsions, si ce nÕest pour cder une impulsion plus forte, mais qui ds lors doit se considrer comme agissant seule, et qui naissant toujours du sensible, dans les sens, et tient toujours aux sens.
Deux Etres dans lÕhomme
Pourquoi donc lÕhomme peut-il sÕcarter de la loi des sens ? Pourquoi peut-il se refuser ce quÕils lui demandent ? Pourquoi, press par la faim, est-il nanmoins le matre de refuser les mets les plus exquis quÕon lui prsente, de se laisser tourmenter, dvorer, anantir mme par le besoin, et cela la vue de ce qui serait le plus propre le calmer ? Pourquoi, dis-je, y a-t-il dans lÕhomme une volont quÕil peut mettre en opposition avec ses sens, sÕil nÕy a pas en lui plus dÕun Etre ? Et deux actions si contraires, quoique se montrant ensemble, peuvent-elles tenir la mme source ?
En vain on mÕobjecterait, prsent, que quand sa volont agit ainsi, cÕest quÕelle est dtermine par quelque motif ; jÕai assez fait entendre, en parlant de la libert, que la volont de lÕhomme tant cause elle-mme, devait avoir le privilge de se dterminer seule et sans motif, autrement elle ne devrait pas porter le nom de volont. Mais en supposant que dans le cas dont il sÕagit, sa volont se dtermint en effet par un motif, lÕexistence des deux Natures de lÕhomme nÕen serait pas moins vidente ; car il faudrait toujours chercher ce motif ailleurs que dans lÕaction de ses sens, puisque sa volont la contrarie ; puisque, lors mme que son corps cherche toujours exister et vivre. il peut vouloir le laisser souffrir, sÕpuiser et sÕteindre. Cette double action de lÕhomme est donc une preuve convaincante quÕil y a en lui plus dÕun principe.
Le sensible dans la bte
Au contraire, les Etres qui ne sont que sensibles, ne peuvent jamais donner des marques que de ce quÕils sont. Il faut, il est vrai, quÕils aient le pouvoir de rendre et de manifester ce que les sensations oprent sur eux ; sans cela, tout ce qui leur serait communiqu, serait comme nul, et ne produirait aucun effet. Mais je ne crains point dÕerrer, en assurant que les plus belles affections des btes, leurs actions les mieux ordonnes, ne sÕlvent jamais au-dessus du sensible ; elles ont, comme tous les Etres de la Nature, un individu conserver, et elles reoivent avec la vie, tous les pouvoirs ncessaires cet objet, en raison des dangers auxquels elles doivent tre exposes, selon leur espce, pendant le cours de leur dure, soit dans les moyens de se procurer la nourriture, soit dans les circonstances qui accompagnent leur reproduction, et dans tous les autres vnements qui se multiplient et varient suivant les diffrentes classes de ces Etres, ainsi que pour chaque individu. Mais je demande si jamais on a aperu dans les btes quelque action qui nÕet pour unique but leur bien-tre corporel, et si elles ont jamais rien manifest qui ft le vritable indice de lÕintelligence.
Ce qui trompe la plus grande partie des hommes cet gard, cÕest de voir que parmi les btes, il y en a plusieurs qui sont susceptibles dÕtre formes des actes qui ne leur sont point naturels ; elles apprennent, elles se ressouviennent, elles agissent mme souvent en consquence de ce quÕelles ont appris, et de ce que leur mmoire leur rappelle. Cette observation pourrait en effet nous arrter, sans les principes que nous avons tablis.
JÕai dit que ds que les btes manifestaient quelque chose au dehors, il fallait ncessairement quÕelles eussent un Principe intrieur et actif, sans lequel elles nÕexisteraient pas ; mais ce Principe, je lÕai annonc comme nÕayant que le sensible pour guide, et la conservation du corporel pour objet. CÕest par ces deux moyens que lÕhomme parvient dresser la bte ; il la frappe, ou il lui donne manger, et par-l il dirige, sa volont, le Principe actif de lÕanimal, qui ne tendant quÕau maintien de son Etre, se porte avec effort des actes quÕil nÕaurait jamais pratiqus, sÕil et t laiss sa propre Loi. LÕhomme, par la crainte, ou nourriture, le presse et lÕoblige tendre et augmenter son action ; il est donc vident que ce Principe, tant actif et sensible, est susceptible de recevoir des impressions ; sÕil peut recevoir des impressions, il peut aussi les conserver, car il suffit pour cela, que la mme impression se prolonge et continue son action. Alors, recevoir des impressions et les conserver, cÕest prouver, en effet, que lÕanimal est susceptible dÕhabitude.
De lÕEtre actif dans la Bible
Nous pouvons donc, sans danger, reconnatre que le Principe actif des btes est capable dÕacqurir lÕhabitude de diffrents actes par lÕindustrie de lÕhomme ; car soit dans les actes que la bte produit naturellement, soit dans ceux auxquels elle est dresse, on ne voit aucune marche, ni aucune combinaison dans lesquelles le sensible ne soit pour tout et le mobile de tout ; alors donc, quelques merveilles que la bte tale mes yeux, je la trouverai certainement trs admirable, mais mon admiration nÕira pas jusquÕ reconnatre en elle un Etre intelligent, pendant que je nÕy vois quÕun Etre sensible ; car enfin le sensible nÕest pas intelligent.
Des habitudes dans la bte
Pour mieux sentir la diffrence de lÕAnimal avec lÕEtre intelligent, faut-il considrer les classes qui sont au-dessous de ce mme Animal, tels que le vgtal et le minral ? Ds que ces classes infrieures oprent des actes extrieurs, comme la croissance, la fructification, la gnration et autres, nous ne pourrons douter quÕelles nÕaient, aussi bien que lÕAnimal, un Principe actif, inn en elles, et dÕo manent toutes ces diffrentes actions.
Nanmoins, quoique nous apercevions en elles une loi vive, qui tend avec force son accomplissement, nous ne leur avons jamais vu produire les moindres signes de douleur, de plaisir, de crainte, ni de dsir, toutes affections qui sont propres lÕAnimal ; de-l nous pouvons dire, que de mme quÕentre lÕAnimal et les Etres infrieurs, il y a une diffrence considrable dans les Principes, quoiquÕils aient les uns et les autres la facult vgtative, de mme lÕhomme a de commun avec lÕAnimal un Principe actif, susceptible dÕaffections corporelles et sensibles, mais il en est essentiellement distingu par son Principe intellectuel, qui anantit toute comparaison entre lui et la bte.
De lÕintellectuel et du sensible
CÕest donc uniquement pour avoir t sduit par cet enchanement universel, dans lequel un Etre tient toujours celui qui le suit, et celui qui le prcde, quÕon a confondu les diffrents anneaux qui composent lÕhomme actuel, et quÕon ne lÕa pas cru diffrent de ce Principe infrieur et sensible, auquel il nÕest attach que pour un temps.
Quelle confiance pouvons-nous avoir alors aux systmes que lÕimagination de lÕhomme a enfants sur ces matires, quand nous les voyons poser sur une base aussi videmment fausse ? Et quelle plus forte preuve pouvons-nous dsirer que celle du sentiment et de lÕexprience ?
Manire de distinguer les trois rgnes
A cette occasion, je vais entrer dans quelques dtails sur la distinction et lÕenchanement des trois rgnes de la nature, pour tcher de nous confirmer dans les principes que nous venons dÕtablir sur la diffrence des Etres, malgr leur affinit. Je prviens nanmoins que ces discussions devraient tre trangres lÕhomme, et que cÕest un malheur pour lui, dÕavoir besoin de ces preuves pour se connatre, et pour croire sa propre nature ; car elle porte en elle-mme des tmoignages bien plus vidents que ceux quÕil peut trouver dans ses observations sur les objets sensibles et matriels.
Les sciences humaines ne fournissent aucune rgle sre pour classer rgulirement les trois Rgnes ; on nÕy pourra jamais parvenir quÕen suivant un ordre conforme la Nature ; en ce cas, il faut premirement mettre au rang des Animaux les Etres corporels qui portent en eux toute lÕtendue du Principe de leur fructification, qui par consquent nÕen ayant quÕun, nÕont pas besoin dÕtre adhrents la terre, pour le faire agir, mais prennent leur corporisation par la chaleur de la femelle de leur espce, soit quÕils lÕacquirent dans le sein de cette mme femelle, ou par le feu extrieur quÕelle leur communique, comme il arrive pour la fructification des ovipares, soit quÕils lÕacquirent par la chaleur du soleil, ou par celle de tout autre feu.
Secondement, il faut placer au rang des Vgtaux tout Etre qui, ayant son matras dans la terre, fructifie ainsi par lÕaction de deux agents, et manifeste une production, soit au dehors, soit au-dedans de cette mme terre.
Enfin, on doit regarder comme Minraux tous les Etres, qui ont galement leur matras dans la terre, et y prennent leur croissance et leur vgtation, mais qui, provenant de lÕaction de trois agents, ne peuvent donner aucun signe de reproduction, parce quÕils ne sont que passifs, et que les trois actions qui les constituent, ne leur appartiennent pas en propre.
Ces rgles, une fois tablies, pour savoir si un Etre est Vgtal ou Animal, il faut voir sÕil tire sa substance des sucs de la terre, ou sÕil se nourrit de ses productions. SÕil est attach la terre, de manire quÕil meure, lorsquÕil en est dtach, il nÕest que Vgtal. SÕil nÕest point li cette mme terre, quoiquÕil se nourrisse de ses productions, il est Animal, quel quÕait t le moyen de sa corporisation.
La diffrence, je le sais, est infiniment plus difficile faire entre le Vgtal et le Minral, quÕentre le Vgtal et lÕAnimal, parce quÕentre les Plantes et les Minraux, il y a une si grande affinit, et ils ont tant de facults qui leur sont communes, quÕil nÕest pas toujours ais de les dmler.
Progression quaternaire universelle
Cette difficult vient de ce que la diffrence des genres de tous les Etres corporels est toujours en proportion gomtrique Quaternaire. Or dans lÕordre vrai des choses, plus le degr des puissances est lev, plus la puissance est affaiblie, parce quÕalors elle est plus loigne de la puissance premire, dÕo toutes les puissances subsquentes sont manes. Ainsi, les premiers termes de la progression, tant plus voisins du terme radical, ont des proprits plus actives, dÕo rsultent par consquent des effets plus sensibles, et par-l plus faciles distinguer : et cette force, dans les facults, diminuant, mesure que les termes de la progression se multiplient, il est clair que les rsultats des derniers termes doivent nÕavoir que des nuances en quelque sorte imperceptibles.
Voil pourquoi le Minral est plus difficile distinguer du Vgtal, que le Vgtal de lÕAnimal ; car cÕest dans le Minral que se trouve le dernier terme de la progression des choses cres.
Il faut appliquer le mme principe tous les Etres qui semblent intermdiaires entre les diffrents rgnes, et qui paraissent les lier, parce que la progression du nombre est continue, sans borne et sans aucune sparation ; mais, pour connatre parfaitement la puissance dÕun terme quelconque de la progression dont il sÕagit, il faudrait au moins connatre une des racines, et cÕest une des choses que lÕhomme perdit, lorsquÕil fut priv de son premier tat ; en effet, il ne connat aujourdÕhui la racine dÕaucun nombre, puisquÕil ne connat pas la premire de toutes les racines, ce que lÕon verra par la suite.
Il faut galement appliquer le principe de la progression Quaternaire, aux Etres qui sont au-dessus de la Matire, parce quÕil sÕy fait apercevoir avec la mme exactitude, et dÕune manire encore plus marque, en ce quÕils sont moins loigns du premier terme de cette Progression ; mais peu de gens me comprendraient dans lÕapplication que jÕen pourrais faire cette Classe, aussi mon dessein et mon devoir mÕempchent dÕen parler ouvertement.
Si lÕhomme avait une Chymie, par laquelle il pt, sans dcomposer les corps, connatre leurs vrais Principes, il verrait que le feu est le propre de lÕAnimal, lÕeau le propre du Vgtal, et la terre le propre du Minral ; alors il aurait des signes encore plus certains pour reconnatre la vritable nature des Etres, et ne serait plus embarrass, pour discerner leur Rang et leur classe.
Union des trois lments
Je ne mÕarrte pas lui faire observer que ces trois Elments, qui doivent servir de signes pour dmler les diffrents Rgnes, ne peuvent pas exister chacun sparment et indpendamment des deux autres ; je prsume que cette notion est assez commune pour ne devoir pas rappeler ici que dans lÕAnimal, quoique le feu y domine, lÕeau et la terre y doivent exister ncessairement, et ainsi des deux autres Rgnes, o le Principe dominant est de toute ncessit accompagn des deux autres Principes. Il nÕy a pas, jusquÕau mercure mme, sur qui cette observation ne sÕapplique avec la mme justesse, quoique certains Alchimistes ne lui trouvent point de feu ; mais ils devraient faire attention que le mercure minral nÕa encore reu que la seconde opration, et quÕainsi, quoiquÕil ait en lui, comme tout Etre corporel, un feu lmentaire, cependant ce feu nÕest pas sensible, jusquÕ ce quÕun feu suprieur vienne lÕagiter, et cÕest l la troisime opration que je dmontrerai ncessaire pour complter toute corporisation ; voil pourquoi le mercure, quoique avec un feu lmentaire, est cependant le corps de la nature le plus froid.
CÕest, je le rpte, uniquement pour dfendre la nature de lÕhomme, que je me suis laiss entraner tous ces dtails. JÕai voulu montrer ceux qui lÕavilissent, en le confondant avec les btes, quÕils tombent, son sujet, dans une mprise qui nÕest pas pardonnable, mme sur les Etres purement lmentaires, puisque dÕun Rgne lÕautre, nous trouvons des diffrences infinies, quoique tous ces Rgnes aient des parits et des similitudes fondamentales.
Supriorit de lÕhomme
Nous voyons que dans toutes les classes, lÕinfrieure nÕa rien de ce qui se manifeste dÕune manire particulire dans la suprieure. Ainsi, ds que dans les Etres corporels, au-dessous de lÕhomme, nous nÕavons aperu aucune des marques de lÕintelligence, nous ne pouvons lui refuser quÕil ne soit ici-bas le seul favoris de cet avantage sublime, quoique, par sa forme lmentaire, il se trouve assujetti au sensible, et toutes les affections matrielles de la bte.
Ceux donc qui ont essay de dpouiller lÕhomme de ses plus beaux droits, en se fondant sur son assujettissement et sa liaison lÕEtre corporel qui lÕenveloppe, nÕont prsent, pour preuve, quÕune vrit que nous reconnaissons comme eux, puisque nous savons tous quÕil ne reoit aucune lumire que par les sens. Mais, pour nÕavoir pas port plus loin leur observation, ils sont rests dans les tnbres, et y ont entran la multitude. Dans la malheureuse condition de lÕhomme actuel, aucune ide ne peut en effet se faire sentir en lui, quÕelle ne soit entre par les sens ; en sorte quÕil faut convenir encore, que ne pouvant pas toujours disposer des objets et des Etres qui actionnent ses sens, il ne peut, par cette raison, tre responsable des ides qui naissent en lui ; de faon que reconnaissant, comme nous lÕavons fait, un Principe bon et un Principe mauvais, et par consquent un Principe de penses bonnes et un Principe de penses mauvaises, on ne doit pas tre surpris que lÕhomme se trouve expos aux unes et aux autres, sans pouvoir se dispenser de les sentir.
De la pense de lÕhomme
CÕest l ce qui a fait croire aux Observateurs que nos penses et toutes nos facults intellectuelles nÕavaient point dÕautre origine que nos sens. Mais, premirement, ayant confondu en un seul les deux Etres qui composent lÕhomme dÕaujourdÕhui, nÕayant pas aperu en lui ces deux actions opposes, qui en manifestent si clairement les diffrents Principes, ils ne reconnaissent en lui quÕune seule sorte de sens, et font vaguement driver tout, de sa facult de sentir. Cependant, aprs tout ce que nous avons dit, il nÕy aurait quÕ ouvrir les yeux, pour convenir que lÕhomme actuel ayant en lui deux Etres diffrents gouverner, et que ne pouvant en effet connatre les besoins de lÕun et de lÕautre que par la sensibilit, il fallait bien que cette facult ft double, puisquÕil tait double lui-mme ; aussi quel sera lÕhomme assez aveugle, pour ne pas trouver en lui une facult sensible relative lÕintellectuel, et une facult sensible relative au corporel ? Et ne faut-il pas convenir que cette distinction, prise dans la Nature mme, aurait clairci toutes les mprises ? Je dois dire nanmoins, que dans cet ouvrage, jÕemploierai le plus souvent ces mots de sens et de sensible, dans lÕacception corporelle, et que lorsque je parlerai du sensible intellectuel, ce sera de manire quÕon ne puisse pas confondre lÕun avec lÕautre.
Des sens de lÕhomme
Secondement, sous quelque point de vue que les Observateurs eussent considr la facult sensible de lÕhomme, sÕils avaient mieux pes leur systme, ils auraient vu que nos sens sont bien, la vrit, lÕorgane de nos penses, mais quÕils nÕen sont pas lÕorigine ; ce qui fait sans doute une trop grande diffrence pour quÕon soit excusable de ne lÕavoir pas aperue.
Oui, telle est notre peine, quÕaucune pense ne puisse nous parvenir immdiatement, et sans le secours de nos sens qui en sont les organes ncessaires dans notre tat actuel ; mais si nous avons reconnu dans lÕhomme un Principe actif et intelligent qui le distingue si parfaitement des autres Etres, ce Principe doit avoir en lui-mme ses propres facults ; or la seule, dont lÕusage nous soit rest dans notre pnible situation, cÕest cette volont inne en nous, dont lÕhomme a joui pendant sa gloire et dont il jouit encore aprs sa chute. Comme cÕest par elle quÕil sÕest gar, cÕest par la force de cette volont seule quÕil peut esprer dÕtre rtabli dans ses premiers droits ; cÕest elle qui le prserve absolument des prcipices o lÕon veut le plonger, et de croire ce nant auquel on voudrait rduire sa nature : cÕest par elle, en un mot, que nÕtant pas le matre dÕempcher que le bien et le mal se communiquent jusquÕ lui, il est cependant responsable de lÕusage quÕil fait de cette volont, par rapport lÕun et lÕautre. Il ne peut faire quÕon ne lui offre, mais il peut choisir, et choisir bien ; et je nÕen donnerai pas, pour le moment, dÕautres preuves, sinon quÕil souffre, et quÕil est puni quand il choisit mal.
Le lecteur intelligent, pour qui jÕcris, ne peut pas ignorer que la peine et les souffrances, dont je veux parler, sont dÕune nature bien diffrente des maux passagers, corporels ou conventionnels, les seuls qui soient connus de la multitude.
Toutes les attaques, que lÕon a portes contre la dignit de lÕhomme, ne sont donc plus dÕaucune valeur pour nous, ou bien il faudrait renverser les premiers et les plus fermes fondements de la Justice que nous avons poss prcdemment, ainsi que les notions invariables que nous savons tre communes tous les hommes, et quÕaucun Etre intelligent et raisonnable ne pourra jamais rvoquer en doute.
Droits de lÕhomme sur sa pense
Je ne mÕarrte point examiner si dans la conduite ordinaire de lÕhomme, sa volont attend toujours une raison dcisive pour se dterminer, ou si elle est dirige par lÕattrait seul du sentiment ; je la crois susceptible de lÕun et de lÕautre mobile ; et je dirai que pour la rgularit de sa marche, lÕhomme ne doit exclure ni lÕun ni lÕautre de ces deux moyens, car autant la rflexion sans le sentiment le rendrait froid et immobile, autant le sentiment sans la rflexion serait sujet lÕgarer.
Mais, je le rpte, ces questions sont trangres mon sujet, et je les crois abusives et infructueuses ; ainsi je laisse la Mtaphysique de lÕEcole chercher comment la volont se dtermine et comment elle agit ; il suffit lÕhomme de reconnatre que cÕest toujours librement, et que cette libert est un malheur de plus pour lui et la raison de toutes ses souffrances, quand il abandonne les Lois qui doivent la diriger. Revenons notre sujet.
Quoique nous ayons reconnu que tous les Etres avaient ncessairement quelque chose en eux, sans quoi ils nÕauraient ni vie, ni existence, ni action, nous nÕadmettrons pas pour cela quÕils aient tous la mme chose. Quoique cette Loi dÕun Principe inn soit unique et universelle, nous nous garderons bien de dire que ces Principes soient gaux et agissent uniformment dans tous les Etres, puisque au contraire nos observations nous font connatre une diffrence essentielle entre eux ; et surtout entre les Principes inns dans les trois Rgnes matriels et le principe sacr dont lÕhomme est le seul favoris parmi tous les Etres qui composent cet Univers.
Grandeur de lÕhomme
Car cette supriorit du Principe actif et intelligent de lÕhomme ne doit plus nous tonner, si nous nous rappelons la proprit de cette progression Quaternaire qui fixe le rang et les facults des Etres, et qui ennoblit leur essence, en raison de ce quÕils sont plus voisins du premier terme de la progression. LÕhomme est la seconde Puissance de ce premier terme gnrateur universel ; le Principe actif de la matire nÕest que le troisime ; en faut-il davantage pour reconnatre que lÕon ne peut absolument admettre entre eux aucune galit.
Mprises sur lÕhomme
La source des systmes injurieux lÕhomme vient donc de ce que leurs Auteurs nÕont pas distingu la nature de nos affections. DÕun ct, ils ont attribu notre Etre intellectuel, les mouvements de lÕEtre sensible, et de lÕautre ils ont confondu les actes de lÕintelligence avec des impulsions matrielles, bornes dans leurs principes comme dans leurs effets. Il nÕest pas tonnant quÕayant ainsi dfigur lÕhomme, ils lui trouvent des ressemblances avec la bte, et quÕils ne lui trouvent que cela ; il nÕest pas tonnant, dis-je, que par ce moyen, touffant dans lui toute notion, toute rflexion, loin de lÕclairer sur le bien et le mal, ils le tiennent sans cesse dans le doute et dans lÕignorance sur sa propre nature, puisquÕils effacent ses yeux les seules diffrences qui pourraient lÕen instruire.
Moyens dÕviter ces mprises
Mais, aprs avoir enseign, comme nous lÕavons fait, que lÕhomme tait la fois intelligent et sensible, nous devons observer que ces deux facults diffrentes doivent ncessairement sÕannoncer en lui par des signes et des moyens diffrents, et que les affections qui leur sont particulires, nÕtant nullement les mmes, ne peuvent en aucune manire se prsenter sous la mme face ! Le principal objet de lÕhomme devrait donc tre dÕobserver continuellement la diffrence infinie qui se trouve entre ces deux facults et entre les affections qui leur sont propres ; et comme elles sont unies dans presque toutes ses actions, rien ne doit lui paratre plus important que de distinguer avec prcision ce qui appartient lÕune ou lÕautre.
En effet, pendant le court intervalle de la vie corporelle de lÕhomme, la facult intellectuelle se trouvant jointe la facult sensible, ne peut absolument rien recevoir que par le canal de cette facult sensible ; et son tour, la facult infrieure et sensible doit toujours tre dirige par la justesse et la rgularit de la facult intelligente. On voit par consquent que dans une union aussi intime, si lÕhomme cesse de veiller un instant, il ne dmlera plus ses deux natures, et ds lors il ne saura o trouver les tmoignages de lÕordre et du vrai.
De plus, chacune de ces facults tant susceptible de recevoir en son particulier des impressions bonnes et des impressions mauvaises, lÕhomme est expos, chaque instant, confondre non seulement le sensible avec lÕintellectuel, mais encore ce qui peut tre avantageux ou nuisible lÕun ou lÕautre.
Universalit de ces mprises
JÕexaminerai les suites et les effets de ce danger attach la situation actuelle de lÕhomme ; je dvoilerai les mprises o sa ngligence discerner ses diffrentes facults lÕa entran, tant sur le Principe des choses, que sur les ouvrages de la Nature, et sur ceux qui sont sortis de ses propres mains et de son imagination ; Sciences divines, intellectuelles et physiques, Devoirs civils et naturels de lÕhomme, arts, Lgislations, tablissements et Institutions quelconques, tout rentre dans lÕobjet dont je mÕoccupe. Je ne crains point mme de dire que je regarde cet examen comme une obligation pour moi, parce que, si lÕignorance et lÕobscurit o nous sommes sur ces points importants, ne sont pas de lÕessence de lÕhomme, mais lÕeffet naturel de ses premiers carts et de tous ceux qui en sont provenus, il est de son devoir de chercher retourner vers la lumire quÕil a abandonne, et si ces connaissances taient son apanage avant sa chute, elles ne se sont point absolument perdues pour lui, puisquÕelles dcoulent sans cesse de cette source inpuisable o il a pris naissance : en un mot, si malgr lÕtat dÕobscurit o il languit, lÕhomme peut toujours esprer apercevoir la Vrit, et sÕil ne lui faut pour cela que des efforts et du courage, ce serait la mpriser, que de ne pas faire tout ce qui est en nous pour nous rapprocher dÕelle.
LÕusage continuel que je fais dans cet ouvrage, des mots facults, actions, causes, principes, agents, proprits, Vertus, rveillera sans doute le mpris et le ddain de mon sicle pour les qualits occultes. Cependant il serait injuste de donner ce nom cette doctrine, uniquement parce quÕelle nÕoffre rien aux sens. Ce qui est occulte pour les yeux du corps, cÕest ce quÕils ne voient point ; ce qui est occulte pour lÕintelligence, cÕest ce quÕelle ne conoit point ; or, dans ce sens, je demande sÕil est quelque chose de plus occulte pour les yeux et pour lÕintelligence, que les notions gnralement reues sur tous les objets que je viens dÕannoncer ? Elles expliquent la Matire par la Matire, elles expliquent lÕhomme par les sens, elles expliquent lÕAuteur des choses par la Nature lmentaire. Ainsi les yeux du corps ne voyant que des assemblages cherchent en vain les Principes lmentaires quÕon leur annonce, et ne pouvant jamais les apercevoir, il est clair quÕon les a tromps.
LÕhomme voit dans ses sens le jeu de ses organes, mais il nÕy reconnat point son intelligence. Enfin la Nature visible prsente aux yeux lÕouvrage dÕun grand Artiste, mais nÕoffrant point lÕintelligence la raison des choses, elle laisse ignorer la Justice du Matre, la tendresse du Pre et tous les conseils du Souverain ; de faon quÕon ne peut nier que ces explications ne soient absolument nulles et sans vrit, puisquÕelles ont toujours besoin dÕtre remplaces par de nouvelles explications.
Alors, si je ne mÕattache quÕ loigner de tous ces objets les enveloppes qui les obscurcissent, si je ne porte la pense des hommes que sur le vrai Principe en chaque chose, ma marche est donc moins obscure que celle des Observateurs ; et en effet, sÕils ont vraiment de la rpugnance pour les qualits occultes, ils devraient commencer par changer de route ; car trs certainement il nÕen est pas de plus occulte et de plus tnbreuse que celle dans laquelle ils voudraient nous entraner.
2
Source universelle des erreurs
TOUT ce que jÕai dit de lÕhomme, considr dans son origine et dans sa premire splendeur, de sa volont impure qui lÕen a fait dchoir, et de lÕaffligeante situation o il sÕest plong, se trouve confirm par les observations que nous allons faire sur sa conduite et sur les opinions quÕil enfante journellement.
On peut faire les mmes Observations sur la puret originelle, la dgradation et les tourments actuels du Principe qui sÕest rendu mauvais ; la marche de tous ces carts est uniforme ; les premires erreurs, celles qui les ont suivies et celles qui suivront ont eu et auront perptuellement les mmes causes ; en un mot, cÕest toujours la volont mauvaise, quÕil faut attribuer les faux pas de lÕhomme et de tout autre Etre revtu du privilge de la Libert ; car, je lÕai dj dit, pour dmontrer que le principe dÕune action quelconque est lgitime, il en faut considrer les suites ; si lÕEtre est malheureux, coup sr, il est coupable, parce quÕil ne peut tre malheureux, sÕil nÕest libre.
Des souffrances de la bte
On aurait pu, sans doute, mÕarrter cette proposition, en mÕopposant les souffrances de la bte, mais lÕobjection ne mÕa point chapp ; et comme je puis ici la rsoudre sans interrompre mon sujet, jÕy vais travailler avant dÕentrer en matire.
Je sais quÕen qualit dÕEtre sensible, la bte souffre, et quÕainsi lÕon peut en quelque sorte la regarder comme malheureuse ; mais je prie dÕobserver si le titre de malheureux nÕappartiendrait pas avec plus de raison aux Etres, qui connaissant quÕils devraient tre heureux par leur nature, prouvent intrieurement le dsespoir de ne lÕtre pas. Dans ce sens, il ne pourrait convenir la bte, qui est sa place ici-bas, et qui nÕest pas faite pour un autre bien-tre que celui de ses sens ; lors donc que ce bien-tre est drang, elle souffre, sans doute, comme Etre sensible, mais elle ne voit rien au-del de ses souffrances ; elle les supporte, elle travaille mme les faire cesser, seulement par lÕaction de sa facult sensible, et sans avoir pu juger quÕil y ait pour elle un autre tat ; cÕest--dire, quÕelle nÕa point ce qui fait le malheur de lÕhomme, ce remords et cette ncessit de sÕattribuer comme lui, ses souffrances. Eh ! comment le pourrait-elle ? Elle nÕagit point, on la fait agir.
Cependant il reste toujours savoir pourquoi elle souffre, et pourquoi elle est prive si souvent de ce bien-tre sensible qui la rendrait heureuse sa manire. Je pourrais rendre raison de cette difficult, sÕil mÕtait permis de mÕtendre sur la liaison des choses, et de faire voir jusquÕo le mal a gagn par les carts de lÕhomme ; mais cÕest un point que je ne ferai jamais quÕindiquer, et pour le prsent, il suffira de dire que la Terre nÕest plus vierge, ce qui lÕexpose, elle et ses fruits, tous les maux quÕentrane la perte de la Virginit.
Nous pouvons donc dire avec raison quÕil ne peut y avoir dÕEtre vraiment malheureux que lÕEtre libre, quoi jÕajouterai que si cÕest librement que lÕhomme sÕest plong dans les peines et dans les douleurs, cette mme Libert lui impose lÕobligation continuelle de travailler rparer son crime ; car plus il se ngligera sur ce point, plus il se rendra coupable, et par consquent plus il se rendra malheureux. Reprenons notre sujet.
Pour nous guider dans lÕimportant examen que nous nous sommes proposs, et qui entre essentiellement aujourdÕhui dans la tche de lÕhomme, remarquons que la cause principale de toutes nos erreurs dans les Sciences, est de nÕavoir pas observ une Loi de deux actions distinctes qui se montre universellement dans tous les Etres de la Cration, et jette souvent lÕhomme dans lÕincertitude.
De la double action
Nous ne devons cependant pas tre tonns de voir que chaque Etre ici-bas, soit assujetti cette double action, puisque nous avons reconnu prcdemment deux Natures trs distinctes ou deux Principes opposs dont le pouvoir sÕest manifest ds le commencement des choses, et se fait sentir continuellement dans la Cration entire.
Or, de ces deux principes, il ne peut y en avoir quÕun qui soit rel et vraiment ncessaire, attendu quÕaprs UN, nous ne connaissons plus rien. Ainsi, le second Principe, quoique ncessitant lÕaction du premier dans la cration, ne peut certainement avoir ni poids, ni nombre, ni mesure, puisque ces Lois appartiennent lÕEssence mme du premier Principe. LÕun stable, permanent, possde la vie en lui-mme, et par lui-mme ; lÕautre irrgulier et sans lois, nÕa que des effets apparents et illusoires pour lÕintelligence qui voudrait sÕy laisser tromper.
Ainsi, comme nous le laissons entrevoir, si cÕest une raison double qui a fait donner la naissance et la vie temporelle lÕUnivers, il est indispensable que les corps particuliers suivent la mme loi, et ne puissent, ni se reproduire, ni subsister sans le secours dÕune double action.
Toutefois, la raison double qui dirige les corps et toute la matire, nÕest pas la mme que cette raison double qui provient de lÕopposition des deux Principes ; celle-ci est purement intellectuelle, et ne prend sa source que dans la volont contraire de ces deux Etres. Car, lorsque lÕun ou lÕautre agit sur le sensible et sur le corporel, cÕest toujours dans des vues intellectuelles, cÕest--dire, pour dtruire lÕaction intellectuelle qui lui est oppose. Il nÕen est pas de mme de la double action qui assujettit la Nature ; elle nÕest attache quÕaux Etres corporels, pour servir tant leur reproduction quÕ leur entretien ; elle est pure en ce quÕelle est dirige par une troisime action qui la rend rgulire ; en un mot, cÕest le moyen ncessaire tabli par la source de toutes les puissances pour la construction de tous ses ouvrages matriels.
Cependant, quoique dans cette raison double attache tout ce qui est corporel, il nÕy ait rien dÕimpur, et que ni lÕun ni lÕautre terme nÕen soit mauvais, il y en a un nanmoins qui est fixe et imprissable, lÕautre nÕest que passager et momentan, et par-l mme nÕest pas rel pour lÕintelligence, quoique ses effets le soient pour les yeux du corps.
Ce sera donc nous avancer beaucoup que de parvenir distinguer la nature et les rsultats de ces deux diffrents termes, ou de ces deux diffrentes Lois qui soutiennent la cration corporelle ; parce que si nous apprenons reconnatre leur action dans toutes les choses temporelles, ce sera un moyen de plus de la dmler dans nous-mmes. En effet, on ne conoit pas combien les mprises qui se font journellement sur notre Etre, tiennent de prs celles qui se font sur les Etres corporels et sur la Matire, et celui qui aurait lÕintelligence pour juger les corps, aurait bientt celle qui lui est ncessaire pour juger lÕhomme.
Des recherches sur la Nature
La premire erreur qui se soit introduite en ce genre, est dÕavoir fait de la Nature matrielle, une classe et une tude part. Quoique les hommes aient vu que cette branche tait vivante et active, ils lÕont regarde comme tant spare du tronc ; et force de sÕarrter ce dangereux examen, le tronc leur a paru son tour si loign de la branche, quÕils nÕont plus senti le besoin quÕil existt, ou du moins sÕils en ont reconnu lÕexistence, ils nÕont vu en lui quÕun Etre isol dont la voix se perd dans lÕloignement, et quÕil est mme inutile dÕentendre pour concevoir et accomplir le cours et les Lois de cette Nature matrielle.
Si nous nous bornons comme eux considrer cette Nature en elle-mme et comme agissant sans la mdiation dÕun Principe extrieur, nous pourrions bien, il est vrai, apercevoir ses lois sensibles et apparentes, mais nous ne pourrions pas dire que notre notion fut complte, puisquÕil nous resterait toujours connatre son Principe rel qui nÕest visible quÕ lÕintelligence, par lequel tout ce qui existe est ncessairement gouvern, et dont les Lois sensibles et apparentes ne sont que les rsultats.
DÕun autre ct, si pendant notre sjour parmi les Etres de cette Nature matrielle, nous voulions les loigner entirement de nos recherches, pour nous efforcer dÕatteindre celle du principe invisible, nous aurions craindre de nous tenir trop levs au-dessus du sentier que nous devons suivre, et par l de ne point parvenir au but de nos dsirs, et de nÕobtenir quÕune partie des lumires qui nous sont destines.
Nous devons sentir les inconvnients de ces deux excs ; ils sont tels, quÕen nous livrant lÕun ou lÕautre, nous pouvons tre assurs de nÕavoir aucune russite, et si nous ngligeons lÕune des deux Lois pour rechercher lÕautre, nous ne pourrons avoir de toutes les deux quÕune fausse ide, parce que leur liaison actuelle est indispensable, quoique nÕayant pas toujours t manifeste ; enfin, vouloir aujourdÕhui sÕlever au Principe premier, suprieur et invisible, sans sÕappuyer sur la Matire, cÕest lÕoffenser et le tenter ; et vouloir connatre la Matire en excluant ce Principe premier et les Vertus quÕil emploie pour la soutenir, cÕest la plus absurde des impits.
De la Matire et de son Principe
Ce nÕest pas que les hommes ne soient destins avoir un jour une parfaite connaissance du Principe premier sans tre obligs dÕy joindre lÕtude de la Matire, de mme que depuis leur chute il y a eu un temps o ils taient entirement assujettis cette Loi de Matire, sans quÕils pussent songer lÕexistence du Principe premier. Mais pendant ce passage intermdiaire qui nous est accord, tant placs entre les deux extrmes, nous ne devons perdre de vue ni lÕun ni lÕautre, si nous ne voulons pas nous garer.
La seconde erreur, cÕest que depuis que lÕhomme est enchan dans la Rgion sensible, il a cherch, la vrit, le Principe de la Matire, parce quÕil ne peut douter quÕelle en ait un ; mais comme dans cette recherche il a confondu les deux Lois, il a voulu que le Principe de la Matire fut aussi palpable que la Matire elle-mme. Il a voulu soumettre lÕun et lÕautre la mesure de ses yeux corporels.
Or, une mesure corporelle ne peut sÕappliquer que sur lÕEtendue : lÕEtendue nÕest quÕun assemblage, et par consquent un Etre compos ; et si lÕhomme sÕobstinait croire que le Principe de lÕEtendue ou de la Matire, est la mme chose que la Matire, il faudrait donc que ce Principe ft tendu et compos comme elle ; alors il est vrai que les yeux de son corps en pourraient calculer les dimensions, toutefois selon les bornes de ses facults, et sans en tre plus avanc. Car pour mesurer juste, il faudrait quÕil et une base ses mesures, et il nÕen a point. Mais certes, nous sommes bien loigns dÕavoir une pareille ide du principe de la Matire, dÕaprs celle que nous avons dÕun principe en gnral.
Tous ceux qui ont voulu expliquer ce que cÕest quÕun principe, nÕont pu sÕempcher de dire quÕil doit tre indivisible, incommensurable et absolument diffrent de ce que la Matire prsente nos yeux. Les Mathmaticiens mmes et les Gomtres, quoique nÕagissant que par leurs sens, et nÕayant que lÕtendue pour objet, viennent lÕappui de cette dfinition ; car tout matriel quÕest ce point mathmatique dont ils font la base de leur travail, ils sont obligs de le revtir de toutes les proprits de lÕEtre immatriel ; sans cela, leur science nÕaurait pas encore de commencement.
Ainsi, un Etre indivisible et incommensurable, tel que nous sentons que doit se concevoir tout Principe, quÕest-il autre chose pour nous quÕun Etre simple ? Et, certes, nous ne pouvons douter que les apparences matrielles ne soient au contraire divisibles et soumises la mesure sensible ; par consquent, la Matire nÕest donc point un Etre simple ; par consquent, elle ne peut donc tre son principe elle-mme ; il serait donc absurde de vouloir confondre la Matire avec le principe de la Matire.
De la divisibilit de la Matire
Je dois, ce sujet, faire remarquer les obscurits o cette fausse manire de considrer les corps a entran la multitude. Le Vulgaire a cru quÕen mutilant, divisant et subdivisant la Matire, il mutilait, divisait et subdivisait en effet le Principe et lÕessence de la Matire ; et croyant que les bornes seules de ses organes corporels lÕempchaient dÕaller aussi loin que sa pense dans cette opration, il a imagin que cette division tait essentiellement possible audel de ce quÕil pouvait oprer lui-mme, et il a cru que la Matire tait divisible lÕinfini ; de l, il lÕa regarde comme indestructible, et par consquent, comme ternelle.
CÕest absolument pour avoir confondu la Matire avec le principe de la Matire, que ces erreurs ont t presque universellement adoptes. En effet, diviser les formes de la Matire, ce nÕest pas diviser son essence, ou, pour mieux dire, dsunir les parties diverses dont tous les corps sont composs, ce nÕest pas diviser, ce nÕest pas dcomposer la Matire, parce que chacune des parties matrielles provenant de cette division, demeure intacte dans son apparence de Matire, par consquent dans son essence, et dans le nombre des principes qui constituent toute la Matire.
Par quel trange aveuglement lÕhomme a-t-il donc pu croire quÕen diversifiant les dimensions des corps, il divisait rellement la Matire ?
NÕest-il pas ais de voir que toutes les oprations de lÕhomme en ce genre se bornent transposer, dsunir ce qui tait joint ; et pour que sa main pt dcomposer la Matire, ne faudrait-il pas que ce ft lui qui lÕet compose ?
Je ne vois donc ici que la faiblesse et les bornes des facults de lÕhomme, qui est arrt par la force invincible des principes de la Matire ; car nous savons quÕil peut varier son gr les figures et les formes corporelles, parce que ces formes ne sont quÕun assemblage de particules diffrentes, et nÕont par cette raison aucune des proprits de lÕUnit ; mais enfin, il nÕy a pas une seule de ces particules quÕil puisse anantir, parce que si le Principe qui les soutient nÕest point compos, il ne peut tre sujet aucune division dans son essence ; et dans ce sens, non seulement la Matire nÕest pas divisible lÕinfini, selon lÕide commune, mais il nÕest pas mme possible que la main de lÕhomme commence ou opre sur elle la premire et la moindre des divisions ; nouvelle preuve pour dmontrer que ce Principe corporel est un et simple, et par consquent quÕil nÕest point Matire.
Bornes des mathmatiques
Ce que jÕai dit de la mthode des Mathmaticiens, a d faire sentir la diffrence quÕil y a de leur marche celle de la Nature. La Science Mathmatique nÕoffrant entre leurs mains quÕune copie trompeuse de la vraie Science, nÕa pour base et pour rsultats que des relations, sur lesquelles ayant une fois fix leurs suppositions, les consquences se trouvent justes et convenables lÕobjet quÕils se proposent ; en un mot, les Mathmaticiens ne peuvent pas sÕgarer, parce quÕils ne sortent pas de leur enceinte, et quÕils ne font que tourner sur un pivot ; alors tous leurs pas les ramnent au point dÕo ils sont partis. En effet, quelque lev que soit leur difice, on voit quÕil est gal dans toutes ses parties, et quÕil nÕy a pas la moindre distinction entre les matriaux qui servent de fondement, et ceux dont ils btissent les plus hauts tages ; aussi que nous apprennent-ils ?
La Nature, au contraire, ayant pour Principe un Etre vrai et infini, produit des faits qui lui ressemblent, et quoique ces faits soient lÕenveloppe dont elle se couvre nos yeux, quoiquÕils soient passagers, ils sont si multiplis, si varis, si actifs, que nous voyons assez clairement que la source en doit tre inpuisable. Mais on verra dans la suite de cet Ouvrage, de plus amples observations sur la Science Mathmatique, et sur lÕemploi quÕon aurait d en faire pour parvenir la connaissance de la Nature et de ce qui est au-dessus.
Des productions et de leurs principes
Nous joindrons ici une autre vrit qui appuiera toutes celles que nous avons tablies pour prouver combien la Matire est infrieure au Principe qui lui sert de base et qui la produit.
Je prie dÕabord les observateurs dÕexaminer, sÕil nÕest pas certain universellement, et dans tout ordre de gnration quelconque, que la production ne peut jamais tre gale son Principe gnrateur. Cette vrit se ralise continuellement dans lÕordre des gnrations matrielles, quoique ensuite venant crotre, les fruits et les productions de cette classe, galent et mme surpassent en force et en grandeur lÕindividu qui les a engendrs ; parce que la classe de ces individus tant soumise la Loi du temps, lÕancien individu dprit en mme temps que son fruit sÕavance vers le terme de sa croissance et de sa perfection.
Mais dans le moment de la gnration, ce fruit est ncessairement infrieur lÕindividu dÕo il est provenu, puisque cÕest de lui quÕil tient sa vie et son action.
Dans quelque classe que nous fassions nos recherches, je ne crains point dÕassurer que nous trouverons lÕapplication de cette vrit ; dÕo nous pouvons dire hardiment, que cÕest avec raison que nous lÕavons annonce comme universelle ; ds lors il faudra convenir aussi quÕelle est applicable la Matire, relativement son principe, parce que si nous pouvons voir natre la Matire, nous ne pouvons nier quÕelle nÕait t engendre ; et si elle a t engendre, elle est ainsi que tous les Etres, infrieure son principe gnrateur.
CÕest tre dj bien avanc que dÕavoir reconnu la supriorit du Principe de la Matire sur la Matire, et de sentir quÕils ne peuvent tre tous deux de la mme nature ; par-l nous nous trouvons couvert des jugements hasardeux quÕon a os prononcer sur cet objet, et qui par le crdit des Matres qui en ont t les organes, sont devenus comme autant de Lois pour la plupart des hommes : par-l on est dispens de croire comme eux, que la Matire est ternelle et imprissable. En distinguant la forme du Principe, nous saurons que lÕune peut varier sans cesse, pendant que lÕautre reste toujours le mme, et on nÕaura plus de peine reconnatre la fin et le dprissement de la Matire dans la succession des faits et des Etres que la Nature expose nos yeux, tandis que le Principe de cette Matire nÕtant point Matire, demeure inaltrable et indestructible.
De la reproduction des formes
Cette succession de faits, et ce renouvellement continuel des Etres corporels a entran les Observateurs de la Nature dans dÕautres opinions aussi fausses que les prcdentes, et qui les exposent aux mmes inconsquences. Ils ont vu les corps sÕaltrer, se dcomposer et disparatre de devant eux ; mais en mme temps, ils ont vu que ces corps taient sans cesse remplacs par dÕautres corps ; alors ils ont cru que ceux-ci taient forms des dbris des anciens corps, et quÕtant dissous, les diffrentes parties dont ils taient composs, devaient entrer leur tour, dans la composition des nouvelles formes ; de-l ils ont conclu que les formes prouvaient bien une mutation continuelle, mais que leur Matire fondamentale demeurait toujours la mme.
Ensuite, ignorant la vritable cause de lÕexistence et de lÕaction de cette Matire, ils nÕont pas vu pourquoi elle nÕaurait pas toujours t en mouvement, et pourquoi elle nÕy serait pas toujours, ce qui leur a fait dcider de nouveau quÕelle tait ternelle.
Mais si, levant les yeux dÕun degr, ils eussent reconnu les vrais principes des corps, et quÕils leur eussent attribu la stabilit quÕils ont cru voir dans leur prtendue Matire fondamentale, nous nÕaurions pas leur reprocher cette nouvelle mprise ; nous voyons comme eux les rvolutions et les mutations des formes ; nous reconnaissons aussi que les principes des corps sont indestructibles et imprissables ; mais ayant montr, comme nous lÕavons fait, que ces principes nÕtaient point Matire, dire quÕils sont imprissables, ce nÕest pas dire que la Matire ne prit point.
Immuabilit de leurs principes
CÕest ainsi quÕen distinguant les corps dÕavec leurs principes, les observateurs auraient vit lÕerreur dangereuse quÕils sÕefforcent en vain de pallier, et quÕils se seraient bien gards dÕattribuer lÕternit et lÕimmortalit lÕEtre matriel qui frappe leurs sens. Je suis dÕaccord avec eux sur la marche journalire de la Nature ; je vois natre et prir toutes les formes, et je les vois remplaces par dÕautres formes ; mais je me garderai bien dÕen conclure, comme eux, que cette rvolution nÕait point eu de commencement, et quÕelle ne doive point avoir de fin, puisquÕelle ne sÕopre en effet, et ne se manifeste que sur les corps qui sont passagers, et non sur leurs Principes qui nÕen reoivent jamais la moindre atteinte. LorsquÕon aura bien conu lÕexistence et la stabilit de ces Principes, indpendamment et sparment des corps, il faudra bien convenir quÕils ont pu exister avant ces corps, et quÕils pourront encore exister aprs eux.
Je ne joindrai pas ce raisonnement des preuves sur lesquelles on refuserait de me croire, mais elles sont de nature quÕil nÕest pas plus en mon pouvoir dÕen douter que si jÕeusse t prsent la formation des choses.
DÕailleurs la loi numrique des Etres est un tmoignage irrvocable ; UN existe et se conoit indpendamment des autres nombres ; et aprs les avoir vivifis pendant le cours de la Dcade, il les laisse derrire lui et revient son Unit.
Des manations de lÕUnit
Les principes des corps tant uns, peuvent donc se concevoir seuls et spars de toute forme de matire, au lieu que les moindres particules de cette matire ne peuvent subsister, ni se concevoir sans tre soutenues et animes par leur Principe ; de mme que nous concevons lÕUnit numrique, comme pouvant subsister part des autres nombres, quoique aucun des nombres subsquents lÕUnit ne puisse trouver accs dans notre entendement, si ce nÕest comme lÕmanation et le produit de cette unit.
En un mot, si nous voulons appliquer ici la maxime fondamentale qui a t tablie ci-devant, sur lÕingalit qui existe ncessairement entre lÕEtre gnrateur et sa production, nous verrons, que si les Principes de la Matire sont indestructibles et ternels, il est impossible que la Matire jouisse des mmes privilges.
Cependant cette assertion dÕune ingalit ncessaire entre lÕEtre gnrateur et sa production, aurait pu laisser quelque inquitude sur la nature de lÕhomme, qui ayant pris naissance dans une source indestructible, devrait comme infrieur son Principe, nÕavoir pas le mme avantage, et tre par consquent susceptible de destruction. Mais une simple rflexion dissipera ce doute.
Des Etres secondaires
Quoique la Matire et lÕhomme aient galement leur principe gnrateur, il sÕen faut de beaucoup quÕils aient le mme. Le Principe gnrateur de lÕhomme est lÕUnit ; cette Unit possdant tout en soi, communique aussi ses productions une existence totale et indpendante ; en sorte quÕelle peut bien, comme chef et principe, tendre ou resserrer leurs facults ; mais elle ne peut pas leur donner la mort, parce que ses ouvrages tant rels, ce qui est, ne peut pas ne pas tre.
Il nÕen est pas ainsi de la Matire qui, tant le produit dÕun Principe secondaire, infrieur et subordonn un autre Principe, est toujours dans la dpendance de lÕun et de lÕautre ; de manire que le concours de leur action mutuelle est absolument ncessaire pour la continuation de son existence ; car il est constant, que lorsque lÕune des deux vient cesser, les corps sÕteignent et disparaissent.
Or, la naissance et la fin de ces diffrentes actions se manifeste assez clairement dans la Nature corporelle, pour nous dmontrer que la Matire ne peut pas tre durable. DÕailleurs, reconnaissant, comme nous le devons faire, que lÕaction de lÕUnit, ou du Principe premier, est perptuelle et indivisible, nous ne pourrions sans la plus grossire erreur, attribuer la mme perptuit dÕaction aux Principes secondaires qui enfantent la Matire. CÕest pourquoi lÕAuteur des choses ne peut pas faire que le Monde soit ternel comme lui ; car ce ne serait pas rendre le Monde ternel que de lui faire succder dÕautres Mondes, comme ce sera toujours en sa puissance, puisque chacun de ces Mondes ne pouvant tre que lÕÏuvre dÕun Principe secondaire, serait ds lors ncessairement prissable.
De la gnration des corps
Examinons actuellement un autre systme relatif notre sujet. On a enseign, quÕaprs la dissolution des Etres corporels, les dbris de ces corps taient employs faire partie de la substance des autres corps. Assurment, les observateurs de la Nature se sont tromps dans cette doctrine, ainsi que dans les consquences quÕils en ont tires. Car, dire que les corps se forment les uns des autres, et ne sont que divers assemblages successifs des mmes matriaux, cÕest une erreur aussi grande que de prtendre que la Matire est ternelle. Ils se seraient bien gards dÕavancer de pareilles opinions, sÕils avaient pris plus de prcautions pour marcher srement dans la connaissance de la Nature.
Les Principes universels de la Matire sont des Etres simples ; chacun dÕeux est un, ainsi quÕil rsulte de nos observations, et de lÕide que nous avons donne dÕun Principe en gnral : les principes inns de la moindre particule de matire doivent donc avoir la mme proprit ; chacun dÕeux sera donc un et simple, comme les principes universels de cette mme Matire : il ne peut y avoir de diffrence entre ces deux sortes de principes, que dans la dure et dans la force de leur action, qui est plus longue et plus tendue dans les principes universels que dans les principes particuliers. Or lÕaction propre dÕun principe simple est ncessairement simple et unique elle-mme, et ne peut avoir, par consquent, quÕun seul but remplir ; elle a en elle tout ce quÕil lui faut pour lÕentier accomplissement de sa loi ; enfin, elle nÕest susceptible ni de mlange, ni de division.
Celle du principe universel matriel a donc les mmes facults, et quoique les rsultats qui en proviennent, se multiplient, sÕtendent et se subdivisent lÕinfini, il est certain que ce Principe universel nÕa quÕun seul Ïuvre faire, et quÕun seul acte oprer. Lorsque son Ïuvre sera rempli, son action doit cesser, et tre retire par celui qui lui avait ordonn de la produire ; mais pendant toute la dure du temps, il est assujetti faire le mme acte et manifester les mmes effets.
Il en est ainsi des principes inns des diffrents corps particuliers ; ils sont soumis la mme loi dÕunit dÕaction, et lorsque la dure en est accomplie, elle leur est galement retire.
Alors, si chacun de ces principes nÕa quÕune seule action, et quÕ la fin de cette action, ils doivent tous rentrer dans leur source primitive, nous ne pouvons avec raison attendre dÕeux de nouvelles formes, et nous devons conclure que les corps que nous voyons natre successivement, tirent leur origine et leur substance dÕautres Principes, que de ceux dont nous avons vu lÕaction suspendue dans la dissolution des corps quÕils avaient produits. Nous sommes donc obligs de chercher ailleurs la source dÕo doivent natre ces nouveaux corps.
Mais o pourrons-nous mieux la trouver que dans la force et lÕactivit de cette double loi, qui constitue la Nature universelle corporelle, et qui se montre en mme temps sous mille faces diffrentes dans la production et les progrs des corps particuliers ?
Nous savons, en effet, que cette terre que nous habitons, ne pourrait exister et se conserver, si elle nÕavait en elle un principe vgtatif qui lui est propre ; mais quÕil faut ncessairement quÕune cause extrieure, qui nÕest autre chose que le Feu cleste ou plantaire, ragisse sur ce Principe pour que son action se manifeste.
Il en est de mme des corps particuliers ; chacun de ces corps provient dÕune semence, dans laquelle rside un germe ou principe inn, dpositaire de toutes ses proprits et de tous les effets quÕil doit produire. Mais ce Germe resterait toujours dans lÕinaction, et ne pourrait manifester aucune de ses facults, sÕil nÕtait aussi ractionn par une cause extrieure igne, dont la chaleur le met porte dÕagir sur tous les Etres corporels qui lÕenvironnent, lesquels, leur tour, pntrant son enveloppe, lÕaiguillonnent, lÕchauffent, et le disposent soutenir lÕaction de la cause extrieure, pour la manifestation de ses propres fruits et de ses propres Vertus.
Et en effet, la cause extrieure igne, oprant la raction, aurait bientt surmont lÕaction des Principes individuels, et dtruit leurs proprits, si le secours des Etres alimentaires ne venait renouveler leur force, et les mettre en tat de rsister la chaleur dvorante de cette cause extrieure. CÕest pour cela que si lÕon expose la chaleur, des Germes privs dÕaliments, ils se consument dans leur berceau, sans avoir produit la moindre partie de leur action ; cÕest pour cela aussi que des germes, qui ont t porte de commencer le cours de leur croissance, seraient encore plutt consums et dtruits, sÕils venaient manquer des aliments qui leur sont ncessaires pour se dfendre de lÕactivit continuelle de la raction igne, parce quÕalors cette raction, ayant dj pntr jusquÕau germe, y peut dÕautant mieux dployer sa force destructive.
On voit par-l que les aliments, dont nous parlons, sont eux-mmes un second moyen de raction, que la Nature emploie pour lÕentretien et la conservation de ses ouvrages ; mais on le verra encore mieux dans la suite.
Telle est donc cette double loi universelle, qui prside la naissance et aux progrs des Etres corporels. Le concours de ces deux actions leur est absolument ncessaire, pour quÕils puissent vivre sensiblement nos yeux ; savoir, la premire action inne en eux, ou lÕaction intrieure, et lÕaction seconde ou extrieure, qui vient agiter et ractionner la premire, et jamais parmi les choses matrielles, un corps ne sÕest form que par ce moyen.
Appliquons la constitution de lÕUnivers ce que nous avons dit de la Terre ; nous pouvons le regarder comme un assemblage dÕune multitude infinie de germes et de Semences, qui toutes ont en elles le principe inn de leurs lois et Proprits, selon leur classe et selon leur espce, mais qui attendent, pour engendrer et se reproduire au-dehors, que quelque cause extrieure vienne les aider et les disposer la gnration. Ce serait mme l, o lÕon trouverait lÕexplication dÕun phnomne qui tonne la multitude, savoir, pourquoi on trouve des vers dans des fruits sans piqre, et des animaux vivants dans le cÏur des pierres ; cÕest, parce que les uns et les autres placs par la Nature, ou parvenus par filtration dans ces sortes de matras, y ont trouv, ou y ont reu, par la mme voie de filtration, des sucs propres oprer sur eux la loi ncessaire de raction. Mais ne nous loignons pas de notre sujet.
Voyons donc prsent quelle part les corps et les dbris des corps peuvent avoir la formation et lÕaccroissement des autres corps ; ils peuvent augmenter les forces des Etres corporels, et les soutenir contre la raction continuelle du Principe extrieur ign ; ils peuvent mme contribuer, par leur propre raction, la manifestation des facults des Germes, et en faire oprer les proprits. Mais ce serait aller contre les Lois de la Nature, et mconnatre lÕessence dÕun Principe en gnral, que de croire quÕils pourraient sÕimmiscer dans la substance de ces Germes. Ils peuvent, je le rpte, en tre le soutien et lÕaiguillon, mais jamais ils ne feront portion de leur essence. Les observations suivantes en seront la preuve.
De la destruction des corps
Nous avons tabli prcdemment que les principes des corps ne sont point Matire, mais des Etres simples ; quÕen cette qualit, ils doivent avoir en eux tout ce qui est ncessaire leur existence, et quÕils nÕont rien emprunter des autres Etres. Ils nÕen emprunteraient pas mme le secours de cette raction extrieure, dont nous venons de parler, si par lÕinfriorit de leur nature, ils nÕtaient assujettis la double Loi qui rgit tous les Etres lmentaires. Car il y a une Nature, o cette double Loi nÕest pas connue, et o les Etres reoivent la naissance sans le secours dÕEtres secondaires, et par les seules vertus de leur Principe gnrateur ; cÕest celle par o lÕhomme a pass autrefois. Mais, afin que notre marche soit plus sre, ne comptons pour rien la thorie, jusquÕ ce que lÕexprience vienne la justifier ; et dÕabord observons ce qui se passe dans la destruction des corps.
Cette destruction ne peut avoir lieu que par la cessation de lÕaction du Principe inn, producteur de ces corps, puisque cette action est leur vritable base et leur premier appui ; or ce Principe ne peut cesser dÕagir, que lorsque la Loi qui lÕasservissait lÕaction, est suspendue, parce quÕalors tant dlivr de ses chanes, il se spare de ses productions et rentre dans sa source originelle. Car tant que cette Loi oprerait, jamais lÕenveloppe ne pourrait cesser dÕtre sous sa forme naturelle et individuelle ; et si cette forme est sujette se dcomposer, ce ne peut tre que parce que la Loi de la raction tant retire, le Principe inn dans cette forme, et qui la fait exister, en liant ensemble les trois lments dont elle est compose, se spare de ces lments, et les abandonne leurs propres Lois ; alors, ces Lois tant opposes les unes aux autres, les lments qui sÕy trouvent livrs, se combattent, se divisent, et se dtruisent enfin tout fait nos yeux.
CÕest ainsi quÕinsensiblement les corps meurent, disparaissent, et sÕanantissent. Je ne vois donc plus dans un cadavre quÕune matire sans vie, prive du Principe inn qui en avait produit et qui en soutenait lÕexistence ; je ne vois dans ces dbris, que des parties qui sont encore soutenues par la prsence des actions secondaires que le Principe inn avait manes dans ce corps pendant la dure de sa propre action ; car ces manations secondaires sont rpandues dans les moindres particules corporelles, mais elles se sparent elles-mmes successivement de leurs enveloppes particulires, aprs que leur Principe producteur a abandonn le corps entier, dont leur runion formait lÕassemblage.
QuÕest-ce donc, quÕun corps priv de la vie pourra dans le cours de sa dissolution, communiquer aux nouveaux corps, dont il seconde la croissance et la formation ? Sera-ce le Principe dominant ? Mais il nÕexiste plus dans le cadavre, puisque ce nÕest que par la retraite de ce Principe, que le corps est devenu cadavre. DÕailleurs chaque Germe, ayant son propre Principe inn et dpositaire de toutes ses facults, il nÕa pas besoin de la runion dÕun autre Principe. En un mot, deux Etres simples ne pouvant jamais se runir, ni confondre leur action ; leur assemblage, bien loin de concourir la vie des nouveaux corps, ne ferait quÕen occasionner le dsordre et la destruction, puisquÕil nÕest pas possible de placer deux centres dans une circonfrence, sans la dnaturer.
Dira-t-on que les parties matrielles du corps qui se dissout, se runissent et passent dans lÕessence des Germes ? Mais nous venons de voir, que chaque Germe est anim par un Principe, qui renferme en lui tout ce qui est ncessaire son existence. DÕailleurs, ne voyons-nous pas toutes les parties du cadavre se dissoudre successivement, et ne pas laisser aprs elles la moindre trace ? Ne savons-nous pas que cette dissolution particulire ne sÕopre, que par la sparation des manations secondaires, qui taient demeures dans le cadavre, et que nous pouvons regarder chacune comme le centre de la partie quÕelle occupait ; mais alors nous ne pourrons nous dispenser de reconnatre que les corps, que les parties des corps, que tout lÕUnivers nÕest quÕun assemblage de Centres, puisque nous voyons par gradation les corps se dissiper entirement. Or, si tout est centre, et si tous les centres disparaissent dans la dissolution, que restera-t-il dÕun corps dissous, qui puisse faire partie de lÕexistence et de la vie des nouveaux corps ?
CÕest donc une erreur, de croire que les Principes, soit gnraux, soit particuliers, des Etres corporels qui se dissolvent, aillent, aprs sÕtre spars de leur enveloppe, animer de nouvelles formes, et que recommenant une nouvelle carrire, ils puissent vivre successivement plusieurs fois. Si tout est simple, si tout est un dans la Nature et dans lÕessence des Etres, il en doit tre de mme de leur action, et chacun dÕeux doit avoir sa tche particulire, simple et unique comme lui, autrement il y aurait faiblesse dans lÕAuteur des choses, et confusion dans ses ouvrages.
De la digestion
Mais, prenant la digestion animale pour exemple, on mÕobjectera sans doute, que dans la dissolution des aliments qui se fait par cette digestion, la plus grande quantit en passe dans le sang, dans la lymphe, et dans les autres fluides de lÕindividu, et que del, se portant dans toutes les parties du corps, lÕanimal en reoit lÕentretien et la subsistance ; alors on me demandera comment il se pourrait, que ces aliments ne fissent que fortifier lÕaction et la vie de lÕanimal qui les reoit, sans lui communiquer la moindre partie dÕeux-mmes, et sans que le feu inn en eux ne pntrt le Principe et lÕEssence de cet individu, pour sÕy unir et en accrotre lÕexistence.
Je rponds cela, que trs certainement le seul emploi des aliments est de soutenir la vie et lÕaction de lÕindividu qui les a dvors ; il ne peut les recevoir comme des nouveaux Principes pour lui, ni comme une augmentation de son Etre, mais comme les agents dÕune raction qui lui est ncessaire pour dployer ses forces et conserver son action temporelle ; et quoique aucun Etre corporel ne puisse se passer de cette raction, il nÕy en a point dans qui elle nÕait sa mesure ; car il est constant, que si le Principe contenu dans lÕaliment pouvait sÕunir au Principe du corps qui sÕen nourrit, il nÕy aurait plus de mesure dans la Loi dÕaction, par laquelle ce dernier aurait t constitu.
De la Rintgration des corps
Nous le savons par exprience et par les ravages que causent dans lÕanimal les crudits et les viandes mal cuites et mal saignes ; nous savons, dis-je, combien une raction trop vive est contraire la vie corporelle ; et nous ne pouvons nier que les Animaux qui sont destins par leur nature, dvorer dÕautres Animaux, ne soient plus froces et plus cruels, quÕils nÕaient, dis-je, un caractre plus avide et plus destructeur, que les Animaux qui ne se nourrissent que de Vgtaux. CÕest que les premiers prouvent une raction excessive, en recevant avec les chairs dont ils vivent, une grande quantit de Principes animaux secondaires, et quÕils emploient tous les efforts de lÕaction inne en eux, pour oprer, avant le temps, la dissolution des enveloppes de ces Principes ; mais ceux-ci ne se trouvant point alors dans leur menstrue naturelle, emploient aussi toute leur force pour rompre ces chanes trangres, et retourner leur source primitive.
Pendant ce combat, lÕindividu prouve une effervescence qui lÕagite et lÕentrane des actes dsordonns, et il ne peut tre rendu un tat plus tranquille, quÕaprs que lÕenveloppe de ces Principes secondaires est dissoute et quÕils ont rejoint leur Principe gnrateur.
CÕest ce sujet, que nous devons blmer, en passant, lÕusage de la plupart des Nations, qui ont cru honorer les Morts, soit en conservant leurs cadavres, soit en les consumant par le feu. LÕune et lÕautre de ces pratiques est galement insense et contraire la Nature. Car la vraie menstrue des corps, cÕest la terre, et la main des hommes nÕayant pu produire ces corps, elle ne devait pas tenter, ni dÕen dterminer, ni dÕen prolonger la dure, laissant chacun de leurs Principes, le soin de suspendre son action suivant sa Loi, et de se runir dans son temps sa source.
De la femme
Je ne puis me dispenser non plus de mÕarrter un moment sur cette Proposition, que la vraie menstrue des corps cÕest la terre. CÕest dans elle, en effet, que doit se dcomposer principalement le corps de lÕhomme ; mais le corps de lÕhomme prend sa forme dans le corps de la femme ; lorsquÕil se dcompose, il ne fait donc que rendre la terre, ce quÕil a reu du corps de la femme. La terre est donc le vrai Principe du corps de la femme, puisque les choses retournent toujours leur source, et ces deux Etres tant si analogues lÕun lÕautre, on ne peut nier que le corps de la femme nÕait une origine terrestre ; nous rappelant ensuite quÕelle a t la premire origine corporelle de lÕhomme, nous verrions sensiblement pour quelle raison la femme lui est universellement infrieure.
Mais on sÕest trangement gar, lorsquÕon a cru pouvoir porter cette diffrence au-del de la forme ou des facults corporelles. La femme, quant au Principe intellectuel, a la mme source et la mme origine que lÕhomme ; car cet homme nÕtant condamn quÕ la peine et non la mort, il fallait prs de lui un Etre de sa nature, et malheureux comme lui, qui par ses infirmits et sa privation, le rappela la sagesse, en retraant continuellement ses yeux les suites amres de ses garements : dÕailleurs lÕhomme nÕest point le pre de lÕEtre intellectuel de ses productions, comme lÕont enseign des doctrines fausses et dÕautant plus funestes, quÕelles se sont appuyes sur des comparaisons prises dans la Matire, telles que les intarissables manations du feu lmentaire ; mais dans tout ceci est un Mystre que je ne croirai jamais assez enseveli. Reprenons la chane de nos observations.
De la vgtation
Il y a un fait que les Naturalistes ne manqueront pas de mÕopposer, cÕest celui des liqueurs colores quÕils font passer dans quelques plantes, parvenant ainsi varier la couleur des fleurs, et mme changer absolument celle qui leur appartenait par la Nature. Ma rponse sera simple, et tiendra tout ce que jÕai dit sur la digestion.
Toute plante a son Principe inn comme les autres corps ; les sucs, qui lui tiennent lieu dÕaliments, ne peuvent rien ajouter ce Principe ; mais ils lui servent de dfense contre la raction de la cause extrieure igne qui sans eux surmonterait et consumerait bientt, par sa chaleur, les forces et lÕaction des Principes individuels. Alors on doit sentir, par le nombre infini des diffrentes substances qui peuvent servir dÕaliments aux Etres corporels, quelle varit de raction ils sont exposs. Il est vrai quÕil nÕy en a quÕune seule qui soit rellement propre chaque espce : mais la Nature des choses prissables, comme les corps, et les rvolutions continuelles auxquelles ils sont soumis, les exposent en recevoir dÕtrangres, qui affaiblissent, qui contraignent leurs facults, et mme qui les dtruisent tout fait, quoique le Principe de lÕEtre soit indestructible.
Ces ractions sont opres, comme on le sait, par des Etres secondaires, qui sont aussi dpositaires dÕun Principe qui leur est propre. Ce Principe ne peut oprer de raction, soit par lui-mme, soit par les Principes particuliers mans de lui, quÕils ne soient tous revtus de leur enveloppe corporelle, puisque tous les Etres simples ne sont ici-bas quÕ cette condition. Il est donc certain que lÕenveloppe de ces Principes secondaires passe, ainsi quÕeux, dans la masse corporelle des Plantes et des Animaux, pour leur servir dÕaliment, et pour les aider rsister lÕaction de la cause extrieure igne. Il est certain quÕils y portent aussi leur couleur et toutes leurs proprits. Mais, quoiquÕils passent dans ces diffrents individus, nous ne pourrons jamais admettre quÕils sÕy confondent, et quÕils fassent partie de leur substance.
Des aliments
Pour que ces enveloppes alimentaires parvinssent sÕunir avec la substance de lÕindividu qui sÕen empare, il faudrait que leurs Principes pussent rciproquement se confondre. Mais nous avons vu que ces Principes, tant des Etres simples, la runion en est impossible, et puisque les enveloppes nÕont de proprits que par leur Principe, la runion des enveloppes est donc impossible aussi. Les aliments sont donc toujours des substances trangres, quoique ncessaires lÕEtre qui les reoit, car on sait quÕils ne lui sont profitables, quÕautant quÕil en opre la dissolution.
Je pense quÕon nÕaura pas de peine convenir quÕil ne peut y avoir aucune espce de mlange, avant que cette dissolution soit commence or, si la dissolution ne peut sÕoprer, sans avoir t prcde de la retraite des Principes inns, si elle nÕest en elle-mme que division et destruction, comment se ferait-il que lÕindividu qui opre cette destruction, pt tre confondu avec lÕenveloppe mme quÕil dtruit ?
En effet, si les aliments et les Principes quÕils renferment, pouvaient se confondre avec la substance et les Principes des Etres quÕils ractionnent, ils pourraient galement leur tre substitus, et en prendre la place ; alors il serait facile de dnaturer entirement les individus et les espces ; il se pourrait quÕayant chang une fois la classe et la nature dÕun Etre, on en ft autant sur toutes les classes qui existent, dÕo proviendrait une confusion gnrale, qui empcherait que nous fussions jamais srs du rang et de la place que les Etres doivent occuper dans lÕordre des choses.
Aussi la Loi, par laquelle la Nature a constitu ses productions, se refuse-t-elle absolument ces tentatives chimriques ; elle a donn chacun des Etres corporels un Principe inn particulier, qui peut tendre, et qui tend souvent son action au-del de la mesure ordinaire, par le secours des ractions forces, et dÕun matras plus favorable, mais qui ne peut jamais perdre, ni changer son essence. Ce Principe, tant le producteur et le pre de son enveloppe, ne peut sÕen sparer, que lÕenveloppe nÕentre aussitt en dissolution, et ne se dtruise insensiblement ; et il est de toute impossibilit, quÕun autre Principe ou un autre Pre, vienne habiter cette enveloppe, et lui servir de soutien, car dans la Nature corporelle, il nÕy a point dÕadultres, ni de Fils adoptifs, attendu quÕil nÕy a rien de libre.
Du mlange des corps
Chaque Etre simple ou Principe a donc son existence part, et par consquent, une action et des facults individuelles, qui sont aussi incommunicables que son existence.
QuÕon ne mÕobjecte point, que dans le mlange des liqueurs et des corps susceptibles de se lier, on aperoit des effets uns et simples, dont aucun de ces corps nÕtait capable en particulier ; car je ne craindrai point dÕassurer que, dans ces amalgames, lÕaction et la raction des divers Principes les uns sur les autres ne produisent des rsultats uns et simples quÕen apparence, et cause de la faiblesse de nos organes, et que ces rsultats sont, en effet, combins et produits par lÕaction propre et particulire chacun des Principes rassembls.
Si cÕest un mlange de divers corps, qui ne soient susceptibles ni dÕaction, ni de raction sensible les uns sur les autres, mais ayant chacun eux leur proprit particulire de couleur, saveur, ou autre ; il rsulte de leur assemblage une troisime proprit, qui nÕest rellement quÕun produit apparent des deux premires, lesquelles se trouvent mles et combines, mais point du tout unies et confondues. Car on ne me niera pas que dans ce fait, les Principes et leurs enveloppes restent parfaitement distincts et spars, et quÕil nÕy a que la faiblesse de nos sens qui puisse nous empcher dÕapercevoir sparment les actions propres et particulires chacun de ces corps. On ne voit donc autre chose ici quÕune multitude de corps de mme espce, entasss ou rassembls avec une multitude de corps dÕespce diffrente, mais conservant toujours leur existence, leurs facults, et leur action propre et individuelle.
Si cÕest un corps solide jet dans un fluide qui lui soit analogue, le fluide en surmonte la force et les proprits, il en dtache les parties, il les divise, il dtruit leur solidit apparente et sensible, il le dissout et parat sÕen emparer. Par le moyen de cette dissolution, le fluide nous prsente, en effet, des rsultats, quÕil tait impossible de dcouvrir sparment dans lÕune ou lÕautre des substances qui ont form lÕassemblage. Mais pourra-t-on en conclure quÕil sÕy fasse aucun mlange des Principes, et nÕest-il pas certain quÕil nÕy a l quÕune simple extension de lÕaction du Principe dominant sur celle du Principe infrieur ; extension qui diminue et cesse mme, lorsque le Principe suprieur en force a actionn une quantit suffisante des corps quÕon a exposs son action, et y a consum tout le pouvoir qui tait en lui ?
Si cÕest un corps solide qui sÕempare dÕun fluide, et qui lÕabsorbe ; ou deux fluides, qui par leur mlange, produisent des corps solides ou des amalgames indissolubles en apparence ; enfin, si ce sont des corps, qui dÕabord ne prsentaient en particulier ni force, ni proprits, mais qui, par leur assemblage, produisent des effets surprenants, des flammes ardentes, des feux, des bruits, des couleurs vives et brillantes ; pourrait-on jamais dmontrer quÕil y ait dans aucun de ces faits, runion, confusion ou communication dÕun Principe avec un autre Principe ? Puisque, si la force du Principe dominant nÕa fait que suspendre lÕaction du Principe le plus faible, sans en dtruire lÕenveloppe, alors il se peut que lÕArt parvienne encore a les sparer, et les remettre lÕun et lÕautre en leur premier tat ; ce qui est une preuve invincible de la Vrit que je viens dÕtablir.
Si, toujours sans dtruire les enveloppes, le Principe suprieur en forces nÕa fait que diviser des assemblages, et si rendant les parties constituantes de ces masses leur libert et leur tnuit naturelle, il les a seulement repousses par lÕvaporation, alors les Principes individuels de mme nature, qui taient auparavant rassembls, se trouvent, il est vrai, disperss a et l, sur la terre et dans les airs, mais sans avoir rien communiqu, ni perdu de leurs facults, de leur substance, ou de leur action.
Mais, si au contraire le Principe dominant a par sa force et sa puissance dcompos lÕenveloppe mme du Principe infrieur ; sÕil lÕa dissoute et dtruite, alors lÕaction du Principe infrieur est anantie, et bien loin quÕen terminant ainsi sa carrire, ce Principe ait pu sÕunir, ou communiquer son action au Principe dominant, cÕest que dans ce fait, lÕaction mme du Principe dominant se trouve borne sa premire activit, si elle nÕa t altre, ou puise, sans retour, par sa propre victoire.
Des semences vermineuses
Enfin, la confusion et la continuit dÕaction du mme Principe dans diffrentes formes successives, ne se trouve pas davantage dans la naissance des vers et autres insectes qui paraissent la putrfaction des cadavres ; le Principe de lÕexistence de ces animalcules est galement dans leur propre semence : car nos corps, comme tous ceux de la Cration, sont lÕassemblage dÕune multitude infinie de germes destructeurs, et de semences vermineuses qui nÕattendent, pour se produire et pour engendrer, quÕune raction et des circonstances convenables.
Tant que nos corps subsistent dans la plnitude de leur vie et de leur action, le Principe dominant qui les dirige tenant toute lÕenveloppe dans lÕquilibre, en empche la dissolution, et contient lÕaction de ces germes destructeurs. Mais, quand ce Principe dominant vient abandonner cette enveloppe, alors les Principes secondaires nÕayant plus de lien, se sparent naturellement et laissent le champ ouvert tous ces animalcules ; ils aident mme leur naissance et leur accroissement, par une raction et une chaleur propre leur faire percer leur enveloppe sminale.
Alors, les dbris du cadavre servent de pture ces insectes, et passent en eux comme les aliments passent par la digestion dans tous les corps vivants ; dans les uns et dans les autres, mme dissolution, mme emploi des Principes inns ; mais, ni dans les uns, ni dans les autres, le Principe du corps dissous ne passe dans le corps vivant pour lÕanimer ; car, je lÕai assez tabli, chaque Etre a la vie en soi, et nÕa besoin que dÕune cause extrieure, pour mettre en action et soutenir son propre principe.
Unit dÕaction dans les principes
Il est donc vident que, dans les actes les plus cachs des Etres corporels, tels que la formation, la naissance, lÕaccroissement et la dissolution, les Principes ne se mlangent et ne se confondent jamais avec les Principes.
Les aliments ne sont donc que des moyens de raction propres garantir les corps vivants de lÕexcs de lÕaction igne qui dvore et dissout successivement ces Etres alimentaires, comme elle dissoudrait sans eux le corps vivant lui-mme. Ainsi ils ne sont pas, comme le croient les Observateurs et la multitude aprs eux, des matriaux dont lÕEtre qui se forme doive tre compos, puisque cet Etre a tout en lui avec la vie, que les Etres alimentaires tant dissous nÕont plus rien ; et que ce qui pourrait leur rester se perd continuellement mesure que les Principes particuliers se sparent de leur enveloppe, et vont se runir leur source originelle.
Faux systme sur la matire
Ainsi, cette mutation apparente des formes ne doit plus nous sduire, jusquÕ nous faire croire que les mmes Principes recommencent une nouvelle vie ; mais nous resterons persuads que les nouvelles formes que nous voyons sans cesse natre et se reproduire sous nos yeux, ne sont que les effets, les rsultats et les fruits de nouveaux Principes qui nÕavaient point encore agi ; et nous aurons srement de lÕAuteur des choses, lÕide qui lui convient, lorsque nous dirons que tout tant simple, tout tant neuf dans ses ouvrages, tout doit y paratre pour la premire fois.
CÕest par de telles vrits que nous dmontrons de nouveau, combien lÕopinion de lÕternit de la Matire est contraire aux Lois de la Nature. Car, non seulement ce ne sont pas les mmes Principes inns qui demeurent continuellement chargs de la reproduction successive des corps ; mais il est certain quÕun Principe quelconque ne peut avoir quÕune seule action, et par consquent, quÕun seul cours. Or, il est assez visible que le cours des Etres particuliers qui composent la Matire est born, puisquÕil nÕy a pas un instant o nous nÕen apercevions la fin, et que le temps nÕest sensible que par leur continuelle destruction.
Mais il ne faut plus tre tonns des erreurs qui ont rgn jusquÕ prsent sur cet objet, et si nous adoptions les opinions dont elles sont les suites, il nÕy aurait point de termes nos garements. Les Observateurs, ayant peine fait un pas pour distinguer la Matire dÕavec le Principe qui soutient et engendre cette Matire, donnent lÕune ce qui nÕappartient quÕ lÕautre. Ils regardent leur Matire premire, comme tant toujours et essentiellement la mme, recevant seulement et sans cesse une multitude de formes diffrentes ; ainsi, la confondant avec son Principe agent, intrieur, inn, ils nous disent que nÕy ayant quÕune seule Essence dans la Matire, il ne peut y avoir quÕune seule action universelle dans cette Matire ; et que, par consquent, la Matire est permanente et indestructible.
Je les prie dÕapprofondir ce que jÕai dit au commencement de cet ouvrage, sur lÕorigine et la nature du bien et du mal. JÕai fait voir quÕil rpugne tout homme de sens, dÕadmettre que des proprits diffrentes aient la mme source. Appliquons donc ceci aux diffrentes proprits que la Matire manifeste nos yeux, et voyons sÕil est vrai quÕil nÕy ait quÕune seule essence matrielle.
Diversit des essences matrielles
Je demande si lÕaction du feu est semblable celle de lÕeau ; si lÕeau agit comme la terre, et si nous ne voyons pas dans ces lments des proprits non seulement diffrentes, mais mme tout fait opposes ; cependant ces lments, quoique tant plusieurs, sont vraiment la base et le fondement de toutes les enveloppes matrielles. Il nous est donc impossible dÕadopter avec les Observateurs, quÕil nÕy ait quÕune seule essence dans les corps, lorsque nous voyons leurs proprits se montrer si diffremment ; loin donc, ainsi quÕils le prtendent, que la mme Matire soit continuellement employe dans la successive rvolution des formes, il nÕen est seulement pas deux, dans lesquelles on puisse raisonnablement lÕadmettre.
Je ne cesserai donc de rpter que lÕessence des corps nÕest point unique, comme ils le croient ; que toutes les formes sont le rsultat de leurs Principes inns, qui ne peuvent manifester leur action que sous la Loi gnrale de trois lments, essentiellement diffrents par leur nature ; quÕun rsultat de cette espce ne peut tre considr comme un Principe, attendu que nÕtant point un, il est expos varier, et il dpend de lÕaction plus ou moins forte de lÕun ou lÕautre de ces lments ; quÕainsi la Matire ne peut tre stable et permanente, ni passer successivement dÕun corps lÕautre, mais que ces corps proviennent tous de lÕaction dÕun Principe nouveau et par consquent diffrent.
En un mot, cette diffrence de tous les Principes inns est assez sensible, si lÕon observe que toutes les classes et tous les Rgnes de la Nature corporelle sont marqus par des caractres frappants et distinctifs : si lÕon observe, dis-je, lÕopposition qui rgne entre la plupart des classes et des espces ; cÕest l ce qui fera convenir que ces Principes inns et agents des divers corps, sont ncessairement diffrents. Car pour que le Principe agent, intrieur et inn des corps ft le seul, ou le mme, dans toute la Nature, il faudrait quÕil agt partout, et quÕil repart continuellement et dÕune manire uniforme dans les divers corps.
Mais, aprs avoir reconnu cette diffrence individuelle des Principes, rappelons-nous avec quelle prcision et quelle exactitude chacun dÕeux opre lÕaction particulire qui lui est impose, et nous complterons par-l lÕide que nous avons dj donne de ces Principes des Etres corporels, en disant quÕils ne peuvent point tre un assemblage, comme les essences de la matire, mais quÕils sont des Etres simples, dpositaires de leur Loi et de toutes leurs facults ; des Etres dpositaires dÕune seule action, comme tout Etre simple ; cÕest--dire des Etres indestructibles, mais dont lÕaction sensible doit finir, et finit tout instant, parce quÕils ne sont prposs que pour agir dans le temps, et pour composer le temps.
Du systme des dveloppements
Je nÕai plus quÕune lgre remarque faire aux Observateurs de la Nature sur un mot quÕils emploient, en traitant des corps. Ils en annoncent la naissance et lÕaccroissement sous le nom de dveloppement. Nous ne pouvons leur passer cette expression ; parce que, sÕil tait vrai que les corps ne fissent que se dvelopper, il faudrait quÕils fussent entiers dans leurs germes ou dans leurs Principes. Or, si ces corps taient essentiellement et rellement contenus dans les Principes, ils en feraient disparatre leur qualit primitive dÕEtre simple ; alors ils ne seraient plus indivisibles, ni par consquent revtus de lÕimmortalit, ou il faudrait pour la conserver aux Principes, la conserver aussi aux Etres corporels qui y seraient renferms ; ce serait accorder ce que nous avons ni jusquÕ prsent, et contredire grossirement ce que nous avons tabli.
Si les Observateurs ne veulent pas sÕexposer aux consquences les plus absurdes, il faut donc quÕils sÕaccoutument ne point regarder la croissance des Etres corporels comme un dveloppement, mais comme lÕÏuvre et lÕopration du Principe inn, producteur des essences matrielles qui les dispose et les conforme selon la Loi particulire quÕil porte avec lui. Je sais que ceux qui je mÕadresse, sont bien loin de souponner une pareille doctrine, et quÕils seront peu disposs lÕadmettre ; car rien nÕest plus oppos leurs penses et la manire dont ils ont envisag la Nature jusquÕ prsent ; cependant je leur prsente ces Vrits avec confiance, et dans la conviction o je suis quÕils nÕen peuvent mettre aucune autre la place.
Je ne sais pas mme comment, en admettant la croissance de lÕEtre corporel par le dveloppement, ils ont pu sÕarrter un moment lÕide que jÕai combattue plus haut, sur le passage et la runion des parties diffrentes dÕun corps dans un autre corps ; car, si le germe ne fait que se dvelopper, il faut donc quÕil ait en lui toutes ses parties ; or, sÕil a toutes ses parties, pourquoi aurait-il besoin des parties dÕun autre corps pour se former ?
Mais, quÕon ne croie pas pouvoir tourner lÕargument contre moi, et dire que si je nie que toutes les parties dont la formation est ncessaire la corporisation complte dÕun Etre matriel, soient contenues dans son germe, cÕest convenir quÕil doit recevoir du dehors les matriaux de son accroissement ; ce qui serait, sans doute trs contraire aux Vrits que jÕai tch dÕexposer sur la Nature. Cette Nature est vivante partout, elle a en elle le mobile de tous ses faits, sans avoir besoin que les germes renferment en eux lÕassemblage abrg de toutes les parties qui doivent un jour leur servir dÕenveloppe. II ne leur faut que la facult de les produire, et ils lÕont. Ds lors, sÕils ont cette facult, tous les autres expdients quÕon a invents pour expliquer la croissance et la formation des Etres corporels, deviennent superflus ; car les Observateurs nÕy avaient eu recours quÕaprs avoir mconnu dans la Matire, le Principe inn de sa vie et de son action, et quÕaprs avoir ainsi imagin quÕelle tait essentiellement morte et strile. Un mot de plus achvera de proscrire entirement cette ide de dveloppement des Etres corporels ; cÕest que sÕil avait lieu, il nÕy aurait point de monstres, puisque tout aurait t cr rgulier ; et que sÕil nÕy avait quÕun dveloppement, lÕAuteur des choses nÕaurait plus rien faire. Or nous sommes loin de croire quÕil puisse, ni lui, ni tout ce quÕil a produit, demeurer dans lÕinaction.
Rcapitulation
Je bornerai l mes observations sur la manire dfectueuse dont les hommes ont considr lÕessence de la nature corporelle ; jÕose croire que sÕils veulent mditer ce que je leur ai annonc, ils avoueront que cÕest pour nÕavoir pas distingu la Matire dÕavec son Principe, quÕils se sont si souvent gars ; et dÕaprs ce que je viens de dire sur la formation des Etres la mutation continuelle des formes, la distinction des essences dÕavec leur Principe inn, les proprits et la simplicit de ce Principe, tant dans le particulier que dans lÕuniversel, et sur lÕunit de son action qui nÕest ordonne que pour un temps, ils conviendront que les Principes des diffrents Etres corporels ne se confondent point, ni ne se communiquent point, par la raison quÕils sont indivisibles ; quÕtant indivisibles, ils ne peuvent jamais se dissoudre ; quÕils sont distincts entre eux, tant par la nature particulire de leur action, que par le terme de sa dure ; ce qui sÕannonce par la destruction des lments qui composent la Matire ; quÕil rsulte de-l une infinit de combinaisons corporelles successives, dÕo les Observateurs ont trop lgrement conclu que les corps se succdant sans cesse, la matire qui leur sert de base est imprissable. Car, loin de la regarder comme ternelle, ils doivent convenir avec nous, quÕil nÕy a pas un seul instant o elle ne se dtruise, puisque dans elle une action fait toujours place lÕautre. Ils ne se flatteront plus alors, comme les Alchymistes, dÕune revivification continuelle qui les mette eux et tous les corps lÕabri de la dissolution ; car, si lÕexistence des corps nÕa quÕune dure limite, ce terme une fois arriv, il serait impossible de retarder leur destruction, sans y joindre un nouveau Principe, celui qui est prt sÕen sparer ; or nous avons vu que ceci ne pouvait arriver dans lÕordre mme naturel des choses ; les hommes croiraient-ils donc leurs pouvoirs suprieurs la Nature et aux Lois qui constituent les Etres ?
Ainsi, ayant appris distinguer la Matire dÕavec le Principe qui lÕengendre, et ayant reconnu les diffrentes actions qui se manifestent dans cette Matire, ils ne croiront plus toutes ces identits chimriques qui leur ont fait insensiblement tout confondre, mme le bien et le mal. Portons actuellement notre vue sur des objets plus levs.
3
Enchanement des erreurs
SÕIL tait possible quÕune erreur ne ft pas toujours la source dÕune infinit dÕautres erreurs, je semis peu sensible celles que je viens de combattre, concernant le Principe, et les Lois de la Matire ; car la connaissance de ces objets nÕtant pas dÕune grande importance, de pareilles mprises ne peuvent pas tre bien dangereuses par elles-mmes. Mais, dans lÕtat des choses, ces Erreurs se tiennent entre elles comme les Vrits; et de mme que nos preuves contre les faux raisonnements des hommes se sont mutuellement servies dÕappui, de mme leurs opinions sur les corps, et les fragiles consquences quÕils en ont tires, ont en effet pour eux, les suites les plus funestes, parce quÕelles sont essentiellement lies avec des choses dÕun ordre suprieur.
Aprs avoir confondu dans les corps particuliers, la Matire avec le Principe de la Matire, les hommes, gars au premier pas, nÕont plus t en tat, ni de dcouvrir la vritable essence de cette Matire, ni de discerner le Principe qui la soutient et qui lui donne lÕaction et la vie; ayant ainsi assimil les deux natures qui constituent toute la rgion lmentaire, ils nÕont pas eu lÕide de chercher sÕil y en avait une diffrente et suprieure.
En effet, nous avons vu quÕils se sont exposs cette vicieuse alternative, ou de donner au Principe les bornes et les sujtions de la Matire, ou de donner la Matire les droits et les proprits du Principe. Ds lors le Principe des corps et les parties grossires qui les constituent, nÕtant pour eux quÕune seule et unique chose ; ils sont facilement parvenus, en raisonnant de la mme manire, confondre aussi ces corps et leur Principe, avec des Etres dÕune Nature indpendante de la Matire.
Ainsi, dÕchelons en chelons, ils ont bientt tabli une galit universelle entre tous les Etres, en sorte quÕil faudrait admettre avec eux, ou que la Matire est elle-mme la cause de tout ce qui sÕopre, ou que la cause qui fait oprer la Matire nÕest pas plus intelligente que les Principes que nous avons reconnu dans cette Matire ; ce qui revient absolument au mme. Car, donner la Matire, comme ils le font, des proprits aussi tendues, cÕest annoncer quÕelle a tout en elle ; or, si elle a tout en elle, quelle ncessit y a-t-il quÕun Etre intelligent veille sur elle et la dirige, puisquÕelle peut se diriger elle-mme ? Alors, que serait-ce donc que cet tre intelligent, si les hommes lui refusent la connaissance et lÕaction sur cette Matire ? Et lui ter ce pouvoir, ne serait-ce pas lui ter lÕintelligence, puisquÕil y aurait quelque chose au-dessous de lui, qui lui serait inconnu, et quÕil ne pourrait concevoir.
Voil le cercle troit dans lequel des hommes imprudents voudraient renfermer nos connaissances et nos lumires.
Je sais que la plupart dÕentre eux ont aperu les suites dangereuses de leurs principes, et que sÕils sÕy laissent entraner, cÕest moins par conviction et par got, que par dfaut de prcautions, mais ils nÕen sont pas moins blmables de sÕtre exposs ces inconsquences. LÕhomme est tout moment susceptible de sÕgarer, surtout quand il veut seul porter la vue sur des objets dont son exil obscurcit en lui la connaissance. Nanmoins, malgr sa privation, il y a des Erreurs quÕil est coupable de ne pas viter.
Celles dont il sÕagit sont de ce nombre, et avec un peu de bonne foi et les principes que nous avons tablis, il est impossible que les Auteurs de pareils systmes leur trouvent encore quelque vraisemblance.
Je pourrais mÕen tenir ce que jÕai dj dit sur la diffrence des Etres sensibles et des Etres intelligents, et aux preuves que jÕai donnes que les plus rares facults dÕun Etre corporel, ne peuvent pas sÕlever au-del du sensible, ainsi que je lÕai fait remarquer dans les Animaux, qui tiennent le premier rang parmi les trois Rgnes de la Nature ; confrontant ensuite les mouvements et la marche des Animaux, avec les facults dÕun autre ordre que nous avons dcouvertes si videmment dans lÕhomme, nous ne pourrions plus douter dsormais que cet homme ne soit un Etre intelligent; nous ne pourrions nier galement quÕil nÕy ait dÕautres Etres dous de cette facult dÕintelligence, puisque nous avons vu que dans lÕtat o lÕhomme se trouve prsent, il nÕa rien lui, et quÕil est oblig dÕattendre tout du dehors, jusquÕ la moindre de ses penses.
De plus, nous rappelant que parmi les penses qui lui sont communiques, il ne peut se dispenser dÕavouer quÕil nÕy en ait qui rpugnent sa nature, et dÕautres qui y sont analogues, en sorte quÕil ne saurait raisonnablement les attribuer un seul et mme Principe, nous aurions dj suffisamment prouv lÕexistence de deux Principes extrieurs lÕhomme, et par consquent, extrieurs la Matire, puisquÕelle est infiniment au-dessous de lui.
Droits des tres intelligents
Alors, je le rpte, on, ne pourrait refuser lÕintelligence ces deux Principes opposs, puisque dans lÕtat de rprobation que nous subissons, ils sont les seuls par qui nous puissions sentir notre intelligence. Or, sÕils sont intelligents, il faut quÕils connaissent et conoivent tout ce qui est au-dessous dÕeux; car sans cela ils ne jouiraient pas de la moindre des facults de lÕintelligence; sÕils connaissent et conoivent ce qui est au-dessous dÕeux, il ne se peut que, comme Etres actifs, ils ne sÕen occupent, soit pour dtruire, si cÕest le Principe mauvais; soit pour conserver, si cÕest lÕEtre bon.
Par-l nous pourrions dmontrer aisment que la Matire ne va pas toute seule. Mais cÕest dans elle-mme quÕil en faut chercher les preuves, pour dissuader ceux qui lui ont attribu une activit essentielle sa Nature.
Nous avons tabli les Principes de la Matire, tant gnraux que particuliers, comme renfermant en eux la vie et les facults corporelles qui doivent en provenir. Nous avons ajout que, malgr cette proprit indestructible et inne dans ces Principes, ils ne pourraient jamais rien produire, sÕils nÕtaient ractionns et rchauffs par les Principes ardents extrieurs, destins mettre en action leurs facults, et cela en vertu de cette double Loi qui assujettit tout Etre corporel, et qui prside toutes les actions et toutes les gnrations de la Matire.
Du principe du mouvement
CÕest dj sans doute une marque de faiblesse et dÕassujettissement dans le Principe de lÕEtre corporel, dÕavoir la vie en soi, et de ne pouvoir de soi-mme la mettre en action. Cependant nous ne pouvons douter que ce Principe de vie inn dans le germe de tout Etre corporel, ne soit au-dessus des Principes ardents extrieurs, qui nÕemploient sur lui quÕune simple raction secondaire, sans pouvoir rien lui communiquer dÕessentiel son existence. Alors, si ces Principes ardents sont infrieurs au Principe de vie quÕils viennent ractionner, ils peuvent encore moins que lui, se mettre dÕeux-mmes en action.
Ce serait en vain quÕon parcourrait le cercle de la rvolution des Etres corporels, pour y trouver le premier Principe de cette action; et si lÕon finissait par dire que ces Etres se ractionnant mutuellement, nÕont pas besoin dÕune autre cause pour produire ce qui est en eux, on serait oblig dÕadmettre, que dÕabord le premier mouvement aurait t communiqu ce cercle dans lequel ils sont renferms; car les Principes les plus actifs parmi les Principes corporels, ne pouvant rien, sans la raction dÕun autre Principe, comment ceux qui leur sont infrieurs pourraient-ils se passer de cette raction ? On voit par l, quÕ quelque point du cercle quÕon fasse commencer la premire action, il est de toute ncessit que cette action commence.
Je demande donc aux Observateurs de bonne foi, sÕils conoivent prsent que ce commencement dÕaction puisse se trouver dans la Matire, et appartenir sa Nature; et si au contraire, elle ne leur dmontre pas physiquement sa dpendance originelle par cette Loi irrvocable, qui soumet le Principe de sa reproduction journalire, au concours et lÕaction dÕun autre Principe.
Ils doivent dÕautant moins douter de cette Vrit, que les moyens quÕils emploient pour la dtruire, sont, au contraire, ce qui sert le mieux lÕtayer. QuÕon mette, disent-ils, telles et telles matires ensemble, et on y apercevra bientt de la fermentation, de la putrfaction et une production ; mais si ces matires pouvaient seules se rapprocher les unes des autres, serait-il ncessaire de les mettre ensemble ? Alors, si ces manipulations particulires ne peuvent avoir lieu, sans le secours dÕune main trangre, lÕuniversel ne sera-t-il pas dans le mme cas, puisque sa nature nÕtant pas diffrente de celle de toutes les parties de la Matire, il nÕa rien de plus quÕelles, et ne peut se conduire par une autre loi ?
Mobile de la Nature
Ainsi, je crois pouvoir annoncer la ncessit dÕune cause intelligente et active par elle-mme, qui ait communiqu la premire action la Matire, comme elle la lui communique continuellement dans les actes successifs de sa reproduction et de sa croissance, et dans tous les effets quÕelle manifeste nos yeux. Non seulement on ne peut concevoir que cette Matire ne tienne pas son origine dÕune Cause qui soit hors dÕelle, mais on voit que mme aujourdÕhui, il faut ncessairement quÕil y ait une cause qui dirige sans cesse toutes les actions de cette Matire, et quÕil nÕy a pas un seul instant o elle pt vivre et se soutenir, si elle tait abandonne elle-mme, et prive de ses Principes de raction.
Enfin, sÕil a fallu une Cause pour donner la premire action la Matire, sÕil faut encore et toujours le concours de cette Cause pour entretenir la Matire, il nÕest plus possible de se former lÕide de cette Matire, sans avoir la fois celle de sa Cause, qui seule la fait tre ce quÕelle est, et sans laquelle elle ne peut pas avoir un moment dÕexistence : et de mme que je ne puis concevoir la forme dÕun corps, sans le Principe inn qui lÕa produite, de mme je ne puis concevoir lÕactivit des Corps et de la Matire sans une cause physique, mais immatrielle, active et intelligente la fois, suprieure aux Principes corporels, et qui leur donne ce mouvement et cette action que je vois en eux, mais que je sais ne pas leur appartenir essentiellement.
Ceci peut suffire pour expliquer tous les Phnomnes rguliers de la Nature, o reconnaissant pour chef et pour guide, une Cause suprieure, qui nous ne pouvons refuser lÕintelligence, nous regarderons lÕordre et lÕexactitude qui rgnent dans lÕUnivers, comme un effet et une suite naturelle de lÕintelligence de cette mme Cause.
Alors, rien ne nous tonnera plus dans cette Nature, toutes ses oprations et mme la destruction des Etres, nous paratront simples et conformes sa Loi, parce que la mort nÕest point un nant, mais une action, et que le temps qui compose cette Nature, nÕest quÕun assemblage et une succession dÕactions, tantt cratrices et tantt destructrices. En un mot, nous devons nous attendre trouver partout dans lÕUnivers, le caractre et les tmoignages de la Sagesse qui lÕa construit et qui le soutient.
Des dsordres de la Nature
Mais, autant cette Vrit se fait sentir la pense de lÕhomme, autant il est frapp des dsastres et de la confusion quÕil aperoit si souvent dans la Nature ; qui donc attribuer ce contraste ? Serait-ce cette Cause active et intelligente, qui est le vritable Principe de la perfection des choses corporelles ? Il nÕest pas possible de sÕarrter un instant cette ide; et il rpugne absolument de penser que cette Cause puissante agisse la fois pour elle-mme et contre elle-mme.
Que ce spectacle difforme ne lui enlve donc aucun de nos hommages, et nÕaffaiblisse point notre vnration pour elle. Aprs ce quÕon a vu sur la double Loi intellectuelle, cÕest--dire, sur lÕopposition des deux Principes, nous devons savoir qui on peut attribuer les maux et les dsordres de la Nature, quoique ce ne soit pas encore ici le lieu de parler des motifs qui les font oprer.
Mais la purile dfiance de ces Vrits est un des obstacles qui a le plus retard les progrs de nos connaissances et de la lumire; cÕest la principale cause des Erreurs, o les ides des hommes les ont entrans sur ces objets, et de lÕincertitude de tous les raisonnements quÕils ont fait pour expliquer la Nature des choses.
Cause distincte de la matire
SÕils se fussent mieux appliqus considrer les deux divers Principes quÕils taient forcs de reconnatre, ils auraient aperu la diffrence et lÕopposition de leurs facults et de leurs actions, ils auraient vu que le Mal est absolument tranger au Principe du bien; agissant par son propre pouvoir sur les productions temporelles de ce Principe, avec lesquelles il est emprisonn, mais nÕayant aucune action relle sur le bien mme, qui plane au-dessus de tous les Etres, soutient ceux qui par leur nature, ne peuvent se soutenir eux-mmes, et laisse agir et se dfendre ceux qui il a accord le privilge de la Libert. Ils auraient vu, dis-je, quoique la Sagesse ait dispos les choses, de manire que le mal soit souvent lÕoccasion du bien, cela nÕempche pas que dans le moment o ce mal agit, il ne soit mal, et que ds lors on ne puisse en aucune faon attribuer son action au Principe du Bien.
Ce serait donc l ce qui pourrait aider encore nous convaincre de la fragilit des systmes des hommes, et nous confirmer dans les principes o nous sommes, que ce nÕest quÕen distinguant la vritable nature et les vritables Proprits des diffrents Etres, quÕon peut parvenir sÕen former une ide juste; mais il est temps de retourner notre sujet.
Si les observations que nous venons de faire sur les Lois qui dirigent la formation des corps, nous ont fait dcouvrir la ncessit dÕune Cause suprieure et intelligente; si nous avons vu que les deux agents infrieurs, savoir, le Principe premier, inn dans les germes, et le Principe secondaire, oprant la raction, ne sont pas suffisants par eux-mmes, pour produire la moindre corporisation ; cÕest la Nature mme et la Raison qui nous enseignent ces vrits, et il nÕest plus permis dÕen douter.
Je dois nanmoins fortifier cette doctrine par une observation simple, qui lui donnera beaucoup plus de poids et dÕautorit ; je ferai donc remarquer que la cause active, suprieure, universelle, temporelle, intelligente, ayant en cette qualit la connaissance et la direction des Etres infrieurs, a sur eux une influence qui sÕaugmentera sans doute infiniment nos yeux, si nous observons que cÕest par son action que tous les Etres corporels ont pris originairement leur forme, et que cÕest aussi par cette action quÕils sÕentretiennent et se reproduisent comme sÕils sÕentretiendront et se reproduiront par elle pendant toute la dure du temps.
Les facults dÕun Etre si puissant doivent srement sÕtendre toutes les Ïuvres quÕil dirige, il doit tre tel quÕil puisse veiller tout, prsider tout, cÕest--dire, embrasser toutes les parties de son ouvrage.
Des causes temporelles
Nous devons donc prsumer quÕil a lui-mme dirig la production de la substance qui sert de fondement aux corps, comme il a dirig ensuite la corporisation de cette mme substance ; et que son pouvoir et son intelligence sÕtendent lÕessence des corps, ainsi quÕaux actions qui les ont forms. Simple dans sa Nature et dans son action, comme tous les Etres simples, ses facults doivent se montrer par tout sous le mme caractre, et quoiquÕil y ait une distinction entre la production des germes de la Matire et la corporisation des formes qui en sont provenues, il ne se peut cependant que la Loi qui a dirig lÕune et lÕautre, soit diffrente, autrement il y aurait diversit dÕaction ; ce qui rpugne absolument tout ce que nous avons observ.
Car nous avons indiqu prcdemment, que les essences ou les lments dont les corps sont universellement composs, taient au nombre de trois, cÕest par le nombre de trois que sÕest manifeste la Loi qui a dirig la production des lments ; il faut donc que ce soit aussi par le nombre de trois que se manifeste la Loi qui a dirig et qui dirige la corporisation de ces mmes lments. CÕest la ncessit de lÕaction simple dans un Etre simple, qui commence nous faire sentir cette analogie ; mais, quand lÕuniformit de cette Loi se trouve confirme par le plus svre examen, et par le fait mme, alors elle devient pour nous une ralit.
Ce serait, en effet, profaner lÕide quÕon doit avoir de la Cause intelligente, que de ne pas reconnatre son action vidente sur des Etres qui ne peuvent pas sÕen passer un instant. Car, confondre cette Cause intelligente avec les causes infrieures de tous les actes et de tous les produits corporels, cÕest la mme chose que de lÕexclure ; alors, cÕest donc vritablement remettre la Matire la seule direction de ces causes ou de ces actions infrieures.
Or nous avons vu que ces causes et ses actions infrieures taient rduites au nombre de deux, savoir celle inne dans tous les germes, et celle provenant de lÕagent second, qui est employ ncessairement dans tout acte de reproduction corporelle. Alors, quÕon examine de nouveau si jÕai eu tort de dire quÕil serait impossible dÕobtenir aucune production par ces deux causes remises elles-mmes.
Si elles sont gales, elles seront dans lÕinaction ; sÕil y en a une suprieure lÕautre, la suprieure surmontera lÕinfrieure, et la rendra nulle ; alors il nÕy en aurait quÕune qui pourrait agir.
Mais nous savons avec toute lÕvidence possible, quÕune seule cause ne peut suffire pour la formation dÕaucun Etre corporel, et quÕoutre lÕAction ou le Principe inn dans tous les germes, il faut ncessairement, et sans quÕon puisse jamais sÕen passer, une action secondaire qui en fasse oprer la production ; de mme quÕil faut que cette cause secondaire les actionne pendant toute leur dure. Nous savons, dis je, que sans le concours de ces deux causes ou de ces deux actions, il est impossible quÕaucun Etre corporel reoive la naissance et la corporisation et quÕil conserve la vie : cependant nous voyons clairement, que si ces deux causes taient remises leur propre action, rien ne se ferait, puisque lÕune surmontant lÕautre, demeurerait seule.
NÕest-ce pas alors le fait mme qui mÕapprend la ncessit de cette troisime cause, dont la prsence et lÕintelligence servent diriger ces deux causes infrieures, maintenir entre elles lÕquilibre et le concours mutuel, sur lesquels la Loi de la Nature corporelle est tablie.
Il me suffira donc de rappeler ce que jÕai dit ci-dessus. JÕai tabli quÕil y avait une Loi par laquelle tous les Principes des corps taient soumis la raction dÕautres Corps ou Principes secondaires ; nÕtait-ce pas dj mettre les Observateurs porte de reconnatre les deux agents distincts, employs la corporisation de tout Etre de forme ? JÕai montr ensuite, que sans une cause suprieure et intelligente, ces deux agents infrieurs ne pourraient pas produire la moindre des corporisations, puisquÕil leur faut une action premire, et que nous nÕavons pu la trouver en eux.
Du Ternaire universel
La ncessit dÕun agent suprieur dans le temporel est donc ainsi dmontre ; et tout nous enseignant quÕil y a une cause physique, immatrielle et intelligente, qui prside tous les Faits que nous prsente la Matire, la runion de toutes ces preuves doit oprer en nous la plus ferme conviction. Revenons au nombre ternaire par lequel cette cause a manifest sa Loi dans les lments.
Je sais quÕon ne sÕaccordera pas dÕabord avec moi sur ce que jÕai enseign que les Elments nÕtaient quÕau nombre de trois, tandis quÕon en reconnat quatre universellement. On aura t surpris de mÕentendre parler de la Terre, de lÕEau et du Feu, sans que jÕaie rien dit de lÕAir. Je dois donc expliquer pourquoi il ne faut admettre, en effet, que trois Elments, et pourquoi lÕair nÕen est point un.
La Nature indique quÕil nÕy a que trois dimensions dans les corps ; quÕil nÕy a que trois divisions possibles dans tout Etre tendu ; quÕil nÕy a que trois figures dans la Gomtrie ; quÕil nÕy a que trois facults innes dans quelque Etre que ce soit ; quÕil nÕy a que trois Mondes temporels ; quÕil nÕy a que trois degrs dÕexpiation pour lÕhomme, ou trois Grades dans la vraie F.M. ; en un mot, que sous quelque face quÕon envisage les choses cres, il est impossible dÕy trouver rien au dessus de trois.
Or, cette Loi, se montrant universellement avec tant dÕexactitude, pourquoi ne serait-elle pas la mme dans le nombre des Elments qui sont le fondement des corps ? Et pourquoi se serait-elle fait connatre dans les rsultats de ces Elments, si eux-mmes nÕy avaient pas t assujettis ? Il faut donc le dire, cÕest la fragilit des corps qui indique celle de leur base, et qui sÕoppose ce quÕon leur donne quatre lments pour essence ; car, sÕils taient forms de quatre lments, ils seraient indestructibles, et le monde serait ternel ; au lieu que nÕtant forms que de trois, ils nÕont point dÕexistence permanente, parce quÕils nÕont point en eux lÕUnit ; ce qui sera trs clair pour ceux qui connaissent les vritables Lois des nombres.
Ainsi, ayant dmontr prcdemment lÕtat dÕimperfection et de caducit de la Matire, cÕest une ncessit de trouver cette mme caducit dans les substances qui la composent, et une preuve que son nombre ne peut pas tre parfait, puisquÕelle ne lÕest pas elle-mme.
Je ne puis me dispenser de mÕarrter un moment, et de prvenir ici les alarmes que mes expressions pourraient rpandre dans plusieurs esprits. JÕannonce le nombre trois comme fragile et prissable : alors, que deviendra donc ce Ternaire si universellement rvr, quÕil y a eu des Nations qui nÕont jamais compt au-del de ce nombre ?
Je dclare que personne ne respecte plus que moi ce Ternaire sacr ; je sais que sans lui, rien ne serait de ce que lÕhomme voit et de ce quÕil connat ; je proteste que je crois quÕil a exist ternellement et quÕil existera jamais, et il nÕy a aucune de mes penses qui ne me le prouve ; cÕest mme l o je prendrai ma rponse lÕobjection prsente, et jÕose dire mes semblables que, malgr toute la vnration quÕils portent ce Ternaire, lÕide quÕils en ont, est encore au dessous de celle quÕils en devraient avoir ; je les engage tre trs rservs dans leurs jugements sur cet objet. Enfin, il est trs vrai quÕil y a trois en un, mais il ne peut y avoir un en trois, sans que celui qui serait tel ne ft sujet la mort. Ainsi mon Principe ne dtruit rien, et je puis sans danger reconnatre la dfectuosit de la Matire, fonde sur la dfectuosit de son nombre.
JÕengage encore plus ceux qui me liront faire une distinction absolue entre le Ternaire sacr, et le Ternaire des actions employes aux choses sensibles et temporelles ; il est certain que le Ternaire employ dans les choses sensibles nÕa pris naissance, nÕexiste, et nÕest soutenu que par le Ternaire suprieur ; mais, comme leurs facults et leurs actions sont videmment distinctes, il ne serait pas possible de concevoir comment ce Ternaire est indivisible et au-dessus du temps, lorsquÕon en voudrait juger par celui qui est dans le temps ; et comme celui-ci est le seul quÕil nous soit permis de connatre ici-bas, je ne dis presque rien de lÕautre dans cet ouvrage.
Voil pourquoi il serait contraire mon intention quÕon insrt quelque chose de mon expos, et quÕon en fit la moindre application sur le plus sublime objet de mes hommages, moins que ce ne ft pour constater dÕautant plus la supriorit et lÕindivisibilit de ce Ternaire sacr. Revenons aux Elments.
LÕAir
JÕai enseign que lÕAir nÕtait pas au nombre des Elments, parce quÕon ne peut, en effet, regarder comme Elment particulier, ce fluide grossier que nous respirons, qui enfle ou resserre les corps, selon quÕil est plus ou moins charg dÕeau ou de feu.
Il y a sans doute dans ce fluide un Principe que nous devons appeler Air. Mais il est incomparablement plus actif et plus puissant, que les Elments grossiers et terrestres dont les corps sont composs ; ce qui se confirme par mille expriences. Cet Air est une production du Feu, non de ce Feu matriel que nous connaissons, mais du Feu qui a produit le Feu et toutes les choses sensibles. LÕAir, en un mot, est absolument ncessaire pour lÕentretien et la vie de tous les temps lmentaires, il ne subsistera pas plus longtemps quÕeux ; mais nÕtant point Matire, comme eux, on ne peut le regarder comme Elment, et par consquent, il est vrai de dire quÕil ne peut entrer dans la composition de ces mmes corps.
Quelle sera donc sa destination dans la Nature ? Nous ne craindrons pas de dire quÕil nÕest prpos que pour communiquer aux Etres corporels les forces et les vertus de ce Feu qui les a produits. Il est le char de la vie des Elments, et ce nÕest que par son secours quÕils peuvent recevoir le soutien de leur existence ; car sans lui toutes les circonfrences rentreraient dans le centre dÕo elles sont sorties.
Mais en mme temps quÕil coopre le plus lÕentretien des corps, il faut remarquer quÕil est aussi lÕagent principal de leur destruction, et cette Loi universelle de la Nature ne doit plus nous tonner, puisque la double action qui constitue lÕUnivers corporel, nous apprend quÕune de ces actions ne peut jamais y dominer quÕau dtriment de lÕautre.
CÕest pour cela que lorsque les Etres corporels ne jouissent pas de toutes les vertus particulires, il est trs ncessaire de les prserver de lÕAir, si lÕon veut les conserver. CÕest pour cela que lÕon couvre trs soigneusement toutes les blessures et toutes les plaies, parmi lesquelles il sÕen trouve quelquefois, auxquelles il ne faut dÕautres remdes que de les garantir de lÕaction de lÕAir ; cÕest pour cela aussi que les Animaux de toute espce se mettent couvert pendant le sommeil, parce quÕalors lÕAir agirait plus fortement sur eux, que pendant la veille, o ils ont toutes leurs forces pour rsister ses attaques, et nÕen retirer que les avantages ncessaires leur conservation.
Si, outre ces proprits de lÕAir, on veut voir encore mieux sa supriorit sur les Elments, il suffira dÕobserver que, lorsque lÕon parvient, autant quÕil est possible, le sparer des corps, il conserve toujours sa force et son lasticit, aussi violentes et aussi longues que soient les oprations quÕon peut faire sur lui ; ds lors on doit le reconnatre comme inaltrable ; ce qui ne convient aucun des autres Elments, qui tombent tous dissolution, lorsquÕils sont spars les uns et autres ; cÕest donc, par toutes ces raisons runies, que nous devons le placer au dessus des Elments, et ne pas le confondre avec eux.
Cependant lÕon pourrait ici me faire une objection ; quoique je ne place point lÕAir au nombre des Elments, je lÕattache nanmoins lÕentretien des corps, et je ne lui donne pas plus de dure quÕ eux ; cela fait donc ncessairement un Principe de plus dans la constitution des Etres corporels ; ils ne seront donc plus Ternaires, comme je lÕai annonc. Examinant ensuite lÕanalogie que jÕai tablie entre la Loi de la constitution des corps et le nombre des agents qui en font oprer la corporisation, on pourrait en conclure que je suis forc dÕaugmenter aussi le nombre de ces agents.
Sans doute. Il existe une Cause au dessus des trois causes temporelles dont jÕai parl, puisque cÕest elle qui les dirige, et qui leur communique leur action. Mais cette Cause qui domine sur les trois autres, ne se fait connatre quÕen les manifestant nos yeux. Elle se renferme dans un sanctuaire impntrable tous les Etres assujettis au temporel, et sa demeure, ainsi que ses actions, tant absolument hors du sensible, nous ne pouvons la compter avec les trois causes employes aux actions de la corporisation de la Matire et toute autre action temporelle.
CÕest cette mme raison qui nous empcherait encore dÕadmettre lÕAir au nombre des Elments, quoique les Elments et les Corps quÕils engendrent ne puissent vivre un instant sans lui ; car, quoique son action soit ncessaire pour lÕentretien des Corps, il nÕest pas soumis la vue corporelle, comme le sont les Corps et les Elments. Enfin, dans la dcomposition des Corps, nous trouvons visiblement lÕEau, la Terre et le Feu, et quoique nous sachions indubitablement que lÕAir y existe, nous ne lÕy pouvons jamais voir, parce que son action est dÕun autre ordre et dÕune autre classe.
Ainsi on trouve toujours une parfaite analogie entre les trois actions ncessaires lÕExistence des Corps et le nombre des trois Elments constitutifs ; puisque lÕAir est dans lÕordre des Elments, ce que la Cause premire et dominante est dans lÕordre des actions temporelles qui oprent la corporisation ; et de mme que cette Cause nÕest point confondue avec les trois actions dont il sÕagit, quoiquÕelle les dirige ; de mme lÕAir nÕest point confondu avec les trois Elments, quoiquÕil les vivifie. Nous sommes donc bien fonds admettre la ncessit de ces trois actions, comme nous ne pouvons nous dispenser de reconnatre les trois Elments.
Division du corps humain
Je vais ce sujet entrer dans quelques dtails sur les rapports universels de ces trois Elments avec les Corps et les facults des Corps ; ce qui nous mettra sur la voie de faire des dcouvertes dÕun autre genre, et de nous confirmer dans la certitude de tous les principes que jÕexpose.
La distinction gnralement reue parmi les anatomistes, est celle qui divise le corps humain en trois parties, savoir, la tte, la poitrine et le bas ventre. Sans doute, que cÕest la Nature mme qui les a dirigs dans cette division, et que par un instinct secret, ils justifient eux-mmes ce que jÕai dire sur le nombre, ainsi que sur les diffrentes actions des trois diffrents Principes lmentaires.
Premirement, nous trouvons que cÕest dans le bas Ventre que sont contenus et travaills les Principes sminaux, qui doivent servir la reproduction corporelle de lÕhomme. Or, comme on sait que lÕaction du mercure est la base de toute forme matrielle quelconque, il est ais de voir que le Ventre infrieur ou le bas Ventre, nous offre vraiment lÕimage de lÕaction de lÕElment mercuriel.
Secondement, la Poitrine renferme le cÏur ou le foyer du sang, cÕest--dire, le Principe de la vie ou de lÕaction des Corps. Mais on sait aussi, que le feu ou le soufre est le Principe de toute vgtation et de toute production corporelle ; le rapport de la Poitrine ou du second Ventre, lÕElment sulfureux, se trouve donc par l assez clairement indiqu.
Quant la troisime division, ou la Tte ; elle contient la source et la substance primitive des nerfs, qui dans les Corps animaux sont les organes de la sensibilit ; mais il est connu que la proprit du sel est galement de rendre tout sensible ; il est donc clair quÕil y a une parfaite analogie entre leurs facults, et quÕainsi la Tte a un rapport incontestable avec le troisime Elment ou le sel ; ce qui convient parfaitement avec ce que les Physiologistes nous enseignent sur le sige et la source du fluide nerveux.
Cependant quelque justes que soient ces divisions, et quelque certains quÕen soient les rapports avec les trois Elments, il faudrait avoir la vue bien borne pour nÕy apercevoir que cela. Car, outre cette facult, attache la Tte, de porter en elle le Principe et lÕagent de la sensibilit, ne pourrait-on pas voir quÕelle est doue de tous les organes par lesquels lÕAnimal peut distinguer les objets qui lui sont salutaires ou nuisibles, et quÕainsi elle est charge spcialement de veiller la conservation de lÕindividu ? Ne pourrait-on pas voir que dans la Poitrine, outre le foyer du sang, on y trouve encore le rcipient de lÕeau, ou ces viscres spongieux qui ramassent lÕhumidit arienne, et la communiquent au feu ou au sang pour en temprer la chaleur ?
Alors, sans avoir besoin de recourir la Tte pour dcouvrir nos trois Elments, on les apercevrait clairement tous trois dans les deux Ventres infrieurs ; pour la Tte, quoique lmentaire elle-mme, tant par les organes dont elle est doue, que par le rang quÕelle occupe, elle se trouverait dominer sur eux, occuper le centre du triangle, et le maintenir en quilibre ; et par l, on viterait cette erreur gnrale, par laquelle on confond le suprieur avec lÕintrieur, et lÕactif avec le passif, puisque la distinction en est crite clairement jusque sur la Matire. Mais ces objets sont trop levs, pour tre entirement exposs aux yeux de la multitude.
Voil ce que lÕAnatomie nÕa pas envisag, parce quÕtant isole par lÕhomme, comme toutes les autres Sciences, ceux qui la professent ont cru pouvoir considrer sparment les Corps et les parties des Corps, et ils se sont persuads que les divisions quÕils imaginaient nÕavaient aucun rapport avec des Principes dÕun ordre suprieur.
Cependant cÕtait dans la division que je viens de montrer, quÕils eussent trouv une image sensible du Quaternaire, cÕest--dire, de ce nombre sans lequel on ne peut rien connatre, puisque, selon quÕon le verra dans la suite, il est lÕemblme universel de la perfection.
Mais je nÕen dirai pas davantage pour le prsent sur ce nombre, pour ne pas trop mÕcarter de mon sujet, je me contenterai de lÕavoir fait entrevoir, et je vais exposer dÕautres Vrits relatives lÕarrangement des diffrents Principes lmentaires dans le Corps de lÕhomme, ainsi que dans tous les autres Corps.
LÕHomme, miroir de la Science
Lorsque les Observateurs ont dsir avec tant dÕardeur de connatre lÕorigine des choses il tait inutile quÕils allassent chercher au dehors et loin dÕeux, il fallait jeter les yeux sur eux-mmes, les Lois de leur propre Corps leur eussent indiqu celles qui ont donn la naissance tout ce qui lÕa reue ; ils auraient vu que lÕaction oppose, qui se passe dans la Poitrine entre le soufre et le sel, ou le feu et lÕeau, soutient la vie du Corps, et que si lÕun ou lÕautre de ces agents vient manquer, le Corps cesse de vivre.
Appliquant ensuite cette observation tout ce qui existe corporellement, ils auraient reconnu que ces deux Principes font de mme par leur opposition et leur combat, la vie et la rvolution corporelle de toute la Nature ; il nÕen faut pas davantage pour sÕinstruire ; lÕhomme a dans lui tous les moyens, ainsi que toutes les preuves de la Science, et il nÕaurait besoin que de sÕexaminer lui-mme, pour savoir comment les choses ont pris leur origine.
Harmonie des lments
Mais on remarquera quÕil est absolument ncessaire que deux agents, aussi ennemis lÕun de lÕautre, aient un Mdiateur qui serve de barrire leur action, et qui les empche rciproquement de se surmonter, puisque ds lors tout finirait ; ce Mdiateur, cÕest le Principe mercuriel, la base de toute corporisation, et avec lequel les deux autres Principes concourent au mme but, cÕest lui qui, tant rpandu partout avec eux, les oblige partout agir selon lÕordre prescrit, cÕest--dire, oprer et entretenir les formes.
CÕest l cette harmonie par laquelle les Corps des Animaux prouvent, sans souffrir, lÕaction de lÕeau par les poumons, et lÕaction du feu par le sang, parce que la Loi, dont le mercure est dpositaire, prside toutes ces actions, et en mesure lÕtendue.
Par cette mme harmonie la Terre reoit lÕaction des fluides par sa surface, et lÕaction du feu par son centre, et cela, sans en prouver de drangements, puisque cÕest la mme Loi qui la dirige.
Je nÕai pas besoin de rpter, que dans ces deux exemples, la vraie proprit du fluide est de modrer lÕardeur du feu, qui sans cela sortirait de ses limites, comme il parat dans toutes les effervescences du sang des Animaux, et dans toutes les ruptions du feu terrestre. Car on sent que si ces diffrents feux nÕtaient temprs par un fluide, qui pntre jusquÕau centre mme, ils ne connatraient point de bornes leur action, et embraseraient successivement tous les Corps et la Terre entire.
CÕest pour cela que lÕAnimal respire, et que la terre est sujette au flux et reflux de sa partie Aquatique ; parce que par la respiration, lÕAnimal reoit un fluide qui humecte son sang, indpendamment de celui quÕil reoit des aliments et des boissons ; et que par le flux et reflux, la terre reoit dans toutes ses parties lÕhumide et le sel ncessaire pour arroser son soufre, ou son Principe de Vgtation.
Mprises des observateurs
Je ne parle point de la manire dont les plantes et les minraux reoivent leur humide ; ds quÕils sont attachs la terre, il est naturel quÕils se nourrissent des aliments, et de la digestion de leur mre ; car mme pour les arroser, o prendrait-on de lÕeau qui ne ft pas elle ?
Laissons nos lecteurs faire ici des comparaisons avec tout ce quÕils ont vu sur la cause active et intelligente ; laissons-les observer, que si tout part de la mme main, il est prsumer que la loi intellectuelle et la loi corporelle ont la mme marche, chacune dans leur classe et dans lÕaction qui leur est propre. Laissons-les dcouvrir enfin que si partout il y a du Volatil, partout il faut du Fixe pour le contenir. Pour nous, continuons montrer pourquoi de si belles analogies sont presque toujours oublies par les Observateurs.
CÕest que loin dÕavoir discern des agents et des Lois de deux classes diffrentes, ils nÕont pas mme discern, comme nous lÕavons vu, les agents et les Lois diffrentes dans la mme classe, cÕest quÕen sparant tout, et examinant chaque objet part, ils les ont vu seuls et isols, et nÕont pas t assez sages et assez intelligents, pour souponner les rapports quÕils avaient avec dÕautres objets.
Si, par exemple, ils sont encore la recherche dÕune explication satisfaisante sur le flux et reflux dont je viens de parler, cÕest uniquement parce quÕils sont toujours dans cette funeste habitude de diviser les sciences, et de considrer chaque Etre sparment.
Des lois de la Nature
Car sÕils nÕavaient pas destitu la Matire de son Principe, en la confondant avec lui ; sÕils nÕavaient pas loign de ce mme Principe une Loi suprieure, active et intelligente, temporelle et physique, qui doit en rgler toute la marche, ils auraient vu quÕaucun Etre corporel ne pouvant sÕen passer, la Terre y tait assujettie comme tous les corps ; ils auraient vu que cÕtait sur cette Terre que sÕoprait en nature cette double loi indispensable pour lÕexistence de tout Etre corporis matriellement.
Mais de ces deux lois, nous avons vu lÕune rsider essentiellement, dans le Principe corporel de tout Etre de forme, soit gnral, soit particulier, et la seconde provenir du dehors ; il faut donc que cette seconde loi soit extrieure la Terre, ainsi quÕ tous les autres corps, quoiquÕelle soit absolument ncessaire son existence, comme elle lÕest la leur.
Nous reconnatrons donc ici, comme dans le double mouvement du cÏur de lÕhomme animal, la prsence de deux Agents lis violemment lÕun lÕautre, dirigs par une cause physique suprieure, et manifestant chacun leur tour leur action sensible aux yeux corporels.
On sait que cette manifestation a lieu dans les quadratures de la Lune, temps auquel lÕaction Solaire, se fait sentir sur la partie saline universelle.
Quoique nous ne puissions connatre ces deux Agents que par leur action sensible, comme nous ne connaissons les Principes des corps, que par leur production corporelle ou leur enveloppe, nous serions inexcusables de douter de leur pouvoir, puisque leurs effets le dmontrent dÕune manire aussi irrvocable.
Ainsi ce phnomne du flux et reflux nÕest quÕun effet en grand de cette double loi, laquelle tout ce qui est corps de matire est ncessairement assujetti.
JÕajouterai que puisque nous voyons tant de rgularit dans la marche et dans tous les actes de la Nature, et que nous sentons en mme temps que les Etres corporels qui la composent, ne sont pas susceptibles dÕintelligence, il faut quÕil y ait pour eux dans le temporel, une main puissante et claire qui les dirige, main active place au dessus dÕeux par un principe vrai comme elle, par consquent indestructible, vivant par soi, et que la loi qui mane de lÕun et de lÕautre, soit la rgle et la mesure de toutes les lois qui sÕoprent dans la Nature corporelle.
Routes de la Science
Je sais que toutes videntes que soient ces vrits, ds quÕelles sont hors des sens, elles trouveront difficilement accs auprs des Observateurs de mon temps, parce que sÕtant ensevelis dans le sensible, ils ont perdu le tact de ce qui ne lÕest pas.
Nanmoins, comme la route quÕils prennent, les claire sans doute beaucoup moins que celle que je leur indique, je ne cesserai de les engager chercher plutt la raison des choses sensibles dans le Principe, que de chercher le Principe dans les choses sensibles ; car sÕils cherchent un Principe Vrai et rel, comment le trouver dans lÕapparence ? SÕils cherchent un Principe immatriel, comment le trouver dans un corps ? SÕils cherchent un Principe indestructible, comment le trouver dans un assemblage ? En un mot, sÕils cherchent un Principe vivant par soi, comment le trouver dans un Etre qui nÕa quÕune vie dpendante, laquelle doit cesser aussitt que son acte passager sera rempli ?
Mais je nÕaurais quÕune seule chose dire ceux qui poursuivraient encore une recherche aussi chimrique : SÕils veulent absolument que leurs sens comprennent, quÕils commencent donc par trouver des sens qui parlent, car cÕest le seul moyen de leur faire avoir de lÕintelligence.
Cette preuve deviendra dans la suite un Principe fondamental, et cÕest elle qui fera concevoir aux hommes le vritable moyen de parvenir aux connaissances qui doivent tre le seul objet de leurs dsirs ; mais en attendant, ne ngligeons pas de jeter les yeux sur les diffrentes parties de la Nature, qui pourront le mieux persuader aux Observateurs, la certitude des diffrentes lois que nous leur exposons ; cÕest l o ils se convaincront eux-mmes de la Vrit des Causes qui sont au dessus de leurs sens, puisquÕils en verront la marche crite dÕune manire si palpable dans les choses sensibles.
Du Mercure
Le Mercure, ainsi que je lÕai dit plus haut, sert universellement de mdiateur au feu et lÕeau, qui comme ennemis irrconciliables, ne pourraient jamais agir de concert sans un Principe intermdiaire, parce que ce Principe intermdiaire participant de la nature de lÕun et de lÕautre, les rapproche en mme temps quÕil les spare, et fait ainsi tourner toutes leurs proprits lÕavantage des Etres corporels.
Aussi dans la Nature, il y a, comme dans les corps particuliers, un Mercure arien qui spare le feu provenant de la partie terrestre, dÕavec le fluide qui doit se rpandre sur la Terre, parce quÕavant que ce fluide y parvienne, le Mercure arien le purifie, et le dispose ne communiquer la Terre que des proprits salutaires, ce qui produit la qualit bienfaisante de la rose, et sa supriorit sur le serein et sur le brouillard, qui ne sont que des fluides mal purs.
CÕest donc en raison de cette proprit universelle, que le Mercure tient dans tous les corps, le milieu entre les deux Principes opposs, le feu et lÕeau, faisant en cela dans la formation et la composition des corps, ce que la Cause active et intelligente fait dans tout ce qui existe, lorsquÕelle maintient lÕquilibre entre les deux lois dÕaction et de raction qui constituent tout lÕUnivers.
Tant que le Mercure occupe cette place, le bien-tre de lÕindividu est assur, parce que cet lment tempre la communication du feu avec lÕeau ; quand au contraire ces deux derniers Principes peuvent surmonter ou rompre leur barrire, et quÕils se joignent, cÕest alors quÕils se combattent avec tout la force qui est dans leur nature, et quÕils produisent les plus grands dsordres, et les plus grands drangements dans lÕindividu dont ils formaient lÕassemblage ; parce que dans le choc de ces deux agents, il faut toujours que lÕun des deux surmonte lÕautre, et dtruise par l lÕquilibre.
Du tonnerre
Le Tonnerre est pour nous lÕimage la plus parfaite de cette Vrit. On sait quÕil se forme des exhalaisons salines et sulfureuses de la Terre, lesquelles tant tires de leur sjour naturel par lÕaction du Soleil, de mme que pousses au dehors par le feu terrestre, sÕlvent dans les airs, o le Mercure arien sÕen empare et les enveloppe peu prs comme le charbon amalgame et enveloppe le soufre et le salptre dans la poudre artificielle.
Ici, ce Mercure arien ne se place point entre les deux Principes qui forment lÕexhalaison, parce quÕil serait trop actif pour y sjourner, et quÕtant dÕune classe suprieure la leur, ils ne peuvent pas ensemble constituer un corps. Mais il les enveloppe et les renferme par sa tendance naturelle la forme sphrique et circulaire, et par la proprit inhrente en lui, de tout lier, de tout embrasser.
En mme temps, il a une autre facult trs remarquable, cÕest celle de se diviser dÕune manire incomprhensible, de faon quÕil nÕy a pas jusquÕau plus petit globule de ces exhalaisons sulfureuses et salines, qui nÕen rencontre une quantit suffisante pour lui servir dÕenveloppe, et cÕest lÕamas de tous ces globules qui forme les nuages, ou le matras des foudres.
Or, dans cette formation, nous ne pouvons nous dispenser de reconnatre nos deux agents trs parfaitement distincts, savoir, le sel et le soufre, et en outre lÕimage de lÕagent suprieur, ou ce Mercure arien qui lie les deux autres. Nous voyons donc dj clairement la ncessit de toutes ces diffrentes substances, pour cooprer un assemblage quelconque, et cÕest la Matire seule qui nous la fait connatre.
Mais il ne suffit pas de trouver l les vrais signes de tous les Principes qui ont t tablis sur les lois universelles des Etres, il faut les trouver encore dans les diffrentes actions, et dans la diversit des rsultats qui proviennent des mlanges de ces substances lmentaires.
Ne considrons pour le moment les nuages o se forme la foudre, que comme lÕunion de deux sortes de vapeurs, les unes terrestres, les autres ariennes ; or, trs certainement si aucun autre agent ne les chauffait, et ne les faisait fermenter, jamais nous nÕy verrions dÕexplosion. Il est donc de toute ncessit dÕadmettre encore une chaleur extrieure qui se communique aux deux substances renfermes dans lÕenveloppe mercurielle, et qui divise avec clat tous les globules salins et sulfureux, renferms dans ces nuages ; cette chaleur extrieure est un tmoignage sensible de tous les Principes que nous avons poss prcdemment, et dont nos lecteurs feront aisment ici lÕapplication.
Mais pour la leur rendre encore plus facile, il ne sera pas inutile dÕexaminer les diffrentes proprits du sel et du soufre dans lÕexplosion de la foudre, parce que nous pourrons par l donner quelques ides sur les deux Lois principales de la Nature, dÕautant que le sel et le soufre sont les organes et les instruments de ces deux lois.
La chaleur extrieure agit, ainsi quÕon lÕa vu, sur la masse des matires qui composent la foudre ; elle en dissout lÕenveloppe mercurielle, qui par sa nature est susceptible dÕune division considrable ; alors elle communique jusquÕaux deux substances intrieures, et enflamme la partie sulfureuse, qui pousse et carte avec force la partie saline, dont la jonction avec elle tait contraire sa vritable loi, et formait une maladie dans la Nature.
Dans cette explosion, le Mercure se trouve si prodigieusement divis, que tout ce quÕil contenait rentre en libert ; quant lui, aprs avoir reu cette entire dissolution, il tombe avec le fluide sur la surface terrestre, et cÕest pour cela que lÕeau de pluie a plus de proprits que les autres eaux, parce quÕelle est plus charge de Mercure, et que ce Mercure est infiniment plus pur que le Mercure terrestre.
Toute la rvolution sÕopre donc sur les deux autres substances, cÕest--dire, sur celles qui dans la Nature corporelle sont les signes des deux Lois et des deux Principes incorporels. Aussi cÕest sur les diffrents mlanges de ces deux substances que sont appuys tous les effets que nous voyons produire au tonnerre.
On sait en effet, que le feu tant le Principe de toute action lmentaire, ramasse les vapeurs terrestres et clestes, dont se forme la foudre ; cÕest lui aussi qui les fait fermenter, et qui ensuite en opre la dissolution ; cÕest donc au feu que lÕon doit attribuer lÕorigine, ainsi que lÕexplosion de la foudre.
Quant au bruit qui provient de lÕexplosion de la foudre, on ne peut lÕattribuer quÕau choc de la partie saline sur les colonnes dÕair, parce que le feu par lui-mme ne peut rendre aucun bruit, ce que lÕon voit aisment, quand il agit en Libert ; et, quoique le feu soit le principe de toute action lmentaire, aucune de ces actions ne serait sensible dans la Nature sans le sel ; couleur, saveur, odeur, son, magntisme, lectricit, lumire, tout se montre et parat par lui ; cÕest pour cela que nous ne pouvons douter quÕil ne soit aussi lÕinstrument du bruit du tonnerre, dÕautant que plus la foudre est charge de parties salines, plus ses coups et ses clats sont violents.
Nous ne pouvons douter aussi que le sel nÕinflue sur la couleur des clairs, qui est beaucoup plus blanche quand il y domine, que lorsque cÕest le soufre qui lÕemporte.
Enfin, il est si vrai que le sel est lÕinstrument de tous les effets sensibles, que la foudre est beaucoup plus dangereuse quand elle abonde en sels, parce que son explosion tant plus violente proportion, opre des chocs plus rudes et des ravages plus effrayants.
DÕailleurs, cette explosion par lÕabondance du sel, se fait presque toujours dans la partie infrieure du nuage, comme tant la plus grossire, la moins expose la chaleur, et par consquent, la plus susceptibles dÕtre congele ; ce qui produit les grles.
Au contraire, lorsque la foudre abonde en soufre, son bruit nÕest pas aigu, ni brusque ; ses clairs sont de couleur rouge, et son explosion parvient rarement communiquer jusquÕ nous ses effets, parce quÕelle se fait alors communment par en haut, vu la faiblesse du nuage dans cette partie, et la proprit naturelle au feu, qui est de monter.
Voil pourquoi il est reu que le tonnerre tombe tous les coups, quoique cependant nous nÕen ayons pas toujours la preuve oculaire. Voil pourquoi aussi la connaissance des matires dont la foudre est charge, doit apprendre sur quelles parties de la Terre elle peut tomber, parce quÕelle tend toujours vers les matires qui lui sont analogues ; sans que cependant on puisse dterminer pour cela, quel est le point fixe o elle tombera, parce quÕil faudrait connatre entirement sa direction, et que dans le choc et lÕopposition de toutes ces matires diffrentes, la direction change tous les instants.
CÕest donc l o nous voyons clairement lÕeffet de la double action de la Nature. Cependant tous ces diffrents chocs, si confus en apparence, nous offrent, lorsquÕils sont observs de prs, ainsi que toutes les autres actions corporelles, la loi fixe dÕune cause qui les dirige, et cÕest dans cette tendance des matires de la foudre, vers les matires analogues, que cette cause nous manifeste principalement sa puissance et sa proprit.
En effet, si la direction de la foudre tait vers une partie de la surface terrestre, dÕo elle pt perdre sa communication avec les colonnes ariennes charges des mmes matires, elle finirait et sÕteindrait lÕendroit de sa chute, lorsque toute sa matire serait consume. CÕest pour cette raison que la foudre ne se relve jamais, quand elle tombe dans des eaux profondes, parce quÕalors la libre communication avec lÕAir lui est interdite, et quÕelle ne trouve point l de manires qui lui conviennent.
Mais, quand sa direction la conduit des colonnes dÕair, charges de matires qui lui sont analogues, elle les enfile et les suit, en augmentant plus ou moins ses forces, selon quÕelle trouve plus ou moins se nourrir. Ainsi elle peut, au moyen de toutes ces colonnes dont est compos lÕAtmosphre, parcourir trs promptement diffrentes routes, et mme les plus opposes les unes aux autres ; ainsi elle doit se dtourner, quand elle trouve des matires qui lui sont contraires, ou un lieu dont lÕAir nÕaurait point dÕissue, parce que cet Air tant impntrable, lui oppose une rsistance invincible ;en un mot, elle ne doit sÕarrter que quand elle ne rencontre plus de ces matires dont elle puisse sÕalimenter ; et lorsquÕelle semble tre au moment de cesser son cours, si elle en rencontre de nouvelles, elle reprend des forces, et produit de nouveaux effets.
Voil ce qui rend sa marche si irrgulire en apparence, et gnralement si incomprhensible ; cependant, dans cette irrgularit mme, on ne peut nier quÕil nÕexiste une Loi, puisque tous les Principes quÕon a vus ci-devant, nous lÕenseignent, et que tous les rsultats nous le prouvent ; il nÕy a donc pas un seul moment o cette Nature soit livre elle-mme, et o elle puisse faire un pas, sans la cause prpose pour la gouverner.
Je nÕai plus quÕun mot dire sur le sujet que je viens de traiter. LÕon a cru communment que celui qui verrait lÕclair nÕaurait rien craindre de la foudre. Voyons jusquÕ quel point il faut ajouter foi cette ide.
SÕil nÕy avait quÕune seule colonne dans lÕAir et quÕune seule explosion de la foudre, il est sr que celui qui aurait vu lÕclair nÕaurait rien craindre du coup qui accompagne cet clair, parce que le Temps cleste est si prompt quÕil ne peut tre aperu sur la Terre.
Mais, comme les colonnes ariennes, charges de matires analogues la foudre, sont en grand nombre, lÕon peut avoir vit lÕexplosion de la premire, et nÕtre pas couvert de lÕexplosion de la seconde, ni de toutes celles qui successivement seront enflammes aprs lÕclair aperu, puisque la foudre peut prolonger son cours ; autant quÕelle rencontrera de ces colonnes propres lÕalimenter.
Prservatifs contre le tonnerre
Alors, un homme qui aurait eu le temps de voir lÕclair, aurait tort de se croire en sret pour cela, jusquÕ ce que la chane de toutes les explosions qui doivent se faire dans le coup actuel, soit parcourue.
Cependant il nÕest pas moins vrai que cette opinion a un fondement rel, et quÕil y a une face sous laquelle on ne peut pas la contester. Car, de mme quÕil nÕy a point dÕclair sans explosion, de mme, et plus forte raison, nÕy a-t-il point dÕexplosion sans clair ; or, ds que lÕintervalle entre lÕun et lÕautre, est presque nul, quÕun homme soit frapp la premire explosion ou . la dernire, il est constant quÕil ne pourra jamais avoir vu lÕclair de celle des explosions dont le coup le frappe.
Ce sont-l ces observations naturelles, qui toutes frivoles quÕelles soient en elles-mmes, mÕont paru cependant les plus propres peindre aux yeux de lÕhomme, lÕuniversalit du Principe auquel il doit sÕattacher, sÕil veut connatre ; jÕajouterai seulement quÕaprs tout ce que jÕai expos au Lecteur, il lui sera ais de sentir quel est le moyen de se prserver du tonnerre. Ce serait de rompre les colonnes dÕair dans tous les sens, cÕest--dire, celles qui sont horizontales, comme celles qui sont perpendiculaires, et de chasser aux extrmits, la direction de la foudre, parce quÕalors, en se tenant au centre, on ne peut pas craindre quÕelle en approche.
Je nÕen dirai pas la raison, ce serait mÕcarter de mon devoir ; je la laisserai donc dcouvrir mes Lecteurs ; mais je les prierai de rflchir sur ce quÕils viennent de lire des diffrentes proprits et actions des Elments, ainsi que des Lois qui les dirigent, lors mme de la plus grande confusion apparente ; ils en concluront sans doute, que quoiquÕils ne puissent apercevoir les causes et les agents dpositaires de ces Lois, il leur est impossible dÕen nier lÕExistence. Poursuivons notre carrire, et prouvons par lÕhomme mme la ralit des Causes suprieures, ou distinctes du sensible.
Rapports des lments lÕHomme
Les dtails qui ont prcds, sur lÕanalogie des trois Elments avec les trois diffrentes parties du corps de lÕhomme, sont susceptibles par rapport lui-mme, dÕexplications dÕun ordre bien plus digne de lui, et qui doivent lÕintresser davantage en ce quÕelles sont directement relatives son Etre, et quÕelles lui montreront la diffrence de ses facults sensibles et de ses facults intellectuelles, ou si lÕon veut, de ses facults passives et de ses facults actives.
Les tnbres o les hommes sont gnralement sur ces objets, nÕont pas peu contribu toutes les erreurs que nous leur avons vu faire sur leur propre nature, et cÕest pour nÕavoir pas aperu les disparits les plus frappantes, quÕils nÕont pas encore les premires notions de leur Etre.
Erreurs principales
Car la vraie raison pour laquelle ils se sont crus semblables aux btes, cÕest, nÕen doutons point, quÕils nÕont pas discern leurs diverses facults. Ainsi, ayant confondu les facults de la Matire, avec celles de lÕintelligence, ils nÕont reconnu dans lÕhomme quÕun seul Etre, et ds lors, quÕun seul Principe et que la mme Essence dans tout ce qui existe ; de faon que pour eux lÕhomme, les btes, les pierres, toute la Nature ne prsente que les mmes Etres, distincts seulement par leur organisation et par leurs formes.
Je ne rpterai pas ici ce qui a t dit au commencement de cet Ouvrage, sur la diffrence des actions innes dans les Etres, de mme que sur la diffrence de toute Matire et de son Principe, dÕo lÕon a pu connatre trs clairement, quelle a t lÕErreur de ceux qui ont confondu toutes ces choses. Mais je commencerai par prier mes Lecteurs dÕobserver avec des yeux attentifs, ce qui se passe dans les btes, auxquelles convient, aussi bien quÕ lÕhomme animal, la division de la forme en trois parties distinctes, et de voir si chacune de ces trois divisions ne pourrait pas nous indiquer rellement des facults diffrentes, quoique appartenantes au mme Etre, et quoique ayant toutes les matriel pour objet et pour fin.
Du poids, du nombre et de la mesure
Qui ne sait, en effet, que tout est constitu par poids, par nombre et par mesure ? Or le poids nÕest pas le nombre, le nombre nÕest pas la mesure, et la mesure nÕest ni lÕun ni lÕautre, et, quÕil me soit permis de le dire, le nombre est ce qui enfante lÕaction, la mesure est ce qui la rgle, et le poids est ce qui lÕopre. Mais ces trois mots, quoique applicables universellement, ne doivent pas sans doute, signifier la mme chose, dans lÕAnimal et dans lÕHomme intellectuel ; nanmoins il faut que si les trois parties des corps animaux sont constitues par ces trois Principes, nous en trouvions sur elles lÕapplication.
Aussi, cÕest par le moyen des organes de la tte, que lÕAnimal met en jeu le Principe de ses actions ; ce qui fait quÕon doit appliquer le nombre cette partie.
Le cÏur, ou le sang, prouve une sensation plus ou moins forte, en raison de la force plus ou moins grande, et de la constitution de lÕindividu ; or, cÕest lÕtendue de cette sensation qui dtermine lÕtendue de lÕaction dans le sensible ; cÕest donc pour cela que la mesure peut convenir la seconde division du corps animal.
Enfin, les intestins oprent cette mme action, qui dans lÕAnimal, selon la Loi paisible de la Nature, doit se borner la digestion des aliments dans lÕestomac, et la fermentation des semences reproductives dans les reins. CÕest pour cette raison que le poids doit se rapporter cette troisime partie, qui avec les deux autres, constituent essentiellement tout Animal.
PuisquÕil est certain que nous ne pouvons nous dispenser de sentir la nature diffrente de ces trois sortes dÕactions, nous devons reconnatre ncessairement une diffrence essentielle entre les facults qui les manifestent. Cependant nous ne pouvons nier que ces diffrentes facults ne rsident dans le mme Etre ; nous sommes donc obligs dÕavouer, que quoique cet Etre ne forme quÕun seul individu, il est vident nanmoins, que dans lui tout nÕest pas gal, que la facult qui vgte nÕest pas celle qui le rend sensible ; que celle qui le rend sensible, nÕest pas celle qui lui fait oprer et excuter ses actions en raison de sa sensibilit, et que chacun de ses actes porte avec lui un caractre particulier.
Diffrentes actions dans lÕAnimal
Appliquons lÕhomme la mme observation, et nous pourrons alors le prserver de la confusion horrible dans laquelle on prtend lÕentraner. Car, si lÕon aperoit que dans lui le poids, le nombre et la mesure reprsentent des facults non seulement diffrentes entre elles, mais mme encore infiniment suprieures celles que ces trois Lois nous ont dmontr dans la Matire, nous pourrons en conclure lgitimement que lÕEtre qui sera dou de ces facults, sera trs diffrent de lÕEtre corporel, et alors on ne serait plus excusable de confondre lÕun avec lÕautre.
On conviendra srement sans peine, que quant aux fonctions corporelles, les trois distinctions que nous avons faites se peuvent appliquer aux corps de lÕhomme, comme tout autre Animal, parce quÕil est Animal en cette partie. Il peut, comme les Animaux, manifester par le secours des organes de la tte, ses facults et ses fonctions Animales. Il prouve ; comme eux, ses sensations dans le cÏur, et comme eux il prouve dans le ventre infrieur, les effets auxquels les lois corporelles assujettissent tous les Animaux pour leur soutien et pour leur reproduction.
Ainsi, dans ce sens, le poids, le nombre et la mesure lui appartiennent aussi essentiellement et de la mme manire, quÕ tout autre Animal.
Mais il nÕest plus possible de douter que ces trois signes nÕavaient dans lÕhomme des effets dont toutes les proprits de la Matire nÕoffrent pas la moindre trace.
Diffrentes actions dans lÕIntellectuel
Car, premirement, quoique nous soyons convenus que toutes les penses de lÕhomme actuel ne lui venaient que du dehors, on ne peut nier cependant que lÕacte intrieur et le sentiment de cette pense, ne se passent au dedans et indpendamment des sens corporels. Or cÕest donc dans ces actes intrieurs que nous trouverons parfaitement lÕexpression de ces trois signes, le poids, le nombre et la mesure, dÕo proviennent ensuite tous les actes sensibles auxquels lÕhomme se dtermine en consquence de sa Libert.
Le premier de ces signes est le nombre, que nous appliquons la pense, comme le Principe et le sujet sans lequel aucun des actes subsquents nÕaurait lieu.
Aprs cette pense, nous trouvons dans lÕhomme une volont bonne ou mauvaise, et qui fait seule la rgle de sa conduite et de sa conformit la justice ; aussi rien ne nous parat mieux convenir cette volont que le second signe, ou la mesure.
En troisime lieu, de cette pense et de cette volont, il rsulte un acte qui leur est conforme, et cÕest cet acte pris comme rsultat, que lÕon doit appliquer le troisime signe ou le poids ; cet acte nanmoins se passe dans lÕintrieur, comme la pense et la volont ; il est vrai quÕil enfante son tour un acte sensible, qui doit faire rpter aux yeux du corps, lÕordre et la marche de tout ce qui sÕest pass dans lÕintelligence ; mais comme la liaison de cet acte intrieur cet acte sensible qui en provient, est le vrai mystre de lÕhomme, je ne pourrais mÕy arrter plus longtemps sans indiscrtion et sans danger ; et si jÕen parle dans la suite, lorsque je traiterai des langues, ce ne pourra jamais tre quÕavec rserve.
Des deux natures de lÕhomme
Cela nÕempche pas quÕon ne reconnaisse avec moi dans lÕhomme intrieur ou intellectuel, le poids, le nombre et la mesure, images des lois par lesquelles tout est constitu, et alors quoique nous ayons aussi reconnu ces trois signes dans la Bte, nous nous garderons bien de faire aucune comparaison entre elle et lÕHomme, puisque dans la Bte, ils nÕoprent uniquement et ne peuvent oprer que sur les sens, au lieu que dans lÕHomme, ils oprent sur ses sens et sur son intelligence, mais dÕune manire particulire chacune de ces facults, et relativement au rang quÕelles occupent lÕune par rapport lÕautre.
Si lÕon persistait nier ces deux facults dans lÕHomme, je ne demanderais ceux qui les contestent, que de jeter les yeux sur eux-mmes, ils y verraient que les diffrentes parties de leurs corps o elles se manifestent, sont un indice frappant de la diffrence de ces facults.
Des deux natures universelles
Quand lÕHomme veut considrer quelque objet de raisonnement, quÕil se propose la solution de quelque difficult, nÕest-ce pas dans la tte que se fait tout le travail ?
Quand au contraire, il prouve des sentiments de quelque nature quÕils soient, et quel quÕen soit lÕobjet, ou intellectuel, ou sensible, nÕest-ce pas dans le cÏur que se fait connatre tout le mouvement, toute lÕagitation, toutes les sensations de joie, de plaisir, de peine, de crainte, dÕamour, et toutes les affections dont nous sommes susceptibles ?
Ne sentons-nous pas aussi, combien les actes qui se passent dans chacune de ces parties, sont opposs, et que sÕils nÕtaient rapprochs par un lien suprieur, ils seraient par eux-mmes irrconciliables ?
CÕest donc l cette diffrence manifeste qui doit de nouveau convaincre lÕhomme quÕil y a en lui plus dÕune nature.
Or si lÕhomme, malgr son tat de rprobation, trouve encore en lui une nature suprieure sa nature sensible et corporelle, pourquoi nÕen voudrait-il pas admettre une semblable dans le sensible universel, mais galement distincte et suprieure lÕUnivers, quoique prpose particulirement pour le gouverner.
Sige de lÕme corporelle
CÕest aussi l o nous apprendrons ce que nous devons penser dÕune question qui inquite communment les hommes ; savoir, dans quelle partie du corps le Principe actif, ou lÕme, est plac, et quel est le lieu qui lui est fix pour tre le sige de toutes ses oprations.
Dans les Etres corporels et sensibles, le Principe actif est dans le sang, qui, comme feu, est la source de la vie corporelle ; alors dÕaprs ce qui a t dit, en parlant des diffrentes facults des Etres, nous ne pouvons nier que son sige principal ne soit dans le cÏur, dÕo il tend son action dans toutes les parties du corps.
QuÕon ne soit plus arrt par la difficult de ceux qui ont dit que si lÕme corporelle tait dans le sang, elle se diviserait, et sÕchapperait en partie, lorsque lÕanimal perdrait du sang ; car elle affaiblit seulement par l son action, en ce quÕelle perd les moyens de lÕexercice ; mais elle nÕen souffre en elle mme aucune altration, puisque tant simple, elle est ncessairement indivisible.
Ce que nous appelons, la mort des corps, nÕest donc autre chose que la fin totale de cette action qui se trouve prive de ses vhicules secondaires, comme dans les puisements ; ou trop contrainte, comme dans les maladies dÕhumeurs ; ou enfin trop libre, et par l tant intercepte ou interrompue, comme dans les blessures qui attaquent les parties indispensablement ncessaires la vie du corps.
Sige de lÕme intellectuelle
Quoique jÕannonce que la vie, ou lÕme corporelle, rside dans le sang, nanmoins je dois en passant, faire remarquer que le sang est insensible ; observation qui pourra faire connatre aux hommes la diffrence quÕil y a entre les facults de la Matire, et les facults du Principe de la Matire, et qui les empchera de confondre deux Etres aussi distincts.
LÕhomme tant semblable aux animaux par la vie corporelle et sensible, tout ce que lÕon vient de voir sur le Principe actif animal, peut lui convenir quant cette partie seulement. Mais quant son Principe intellectuel, comme il nÕtait point fait pour habiter la Matire, cÕest une des plus grandes mprises que les hommes aient faites, que de lui chercher son berceau dans la Matire, et de vouloir lui assigner une demeure fixe, et un lien pris parmi des assemblages corporels, comme si une portion de matire impure et prissable pouvoir servir de barrire un Etre de cette nature.
Il est bien plus vident quÕen qualit dÕEtre immatriel, ce nÕest quÕavec un Etre immatriel quÕil peut avoir de la liaison et de lÕaffinit, et lÕon conoit quÕavec tout autre Etre la communication serait impraticable.
Liaison de lÕintellect au sensible
Aussi cÕest sur le Principe immatriel corporel de lÕhomme, et non sur aucune portion de sa matire, que repose son Principe intellectuel : cÕest l quÕil est li pour un temps par la main suprieure qui lÕy a condamn ; mais par sa nature, il domine sur le Principe corporel, comme le Principe corporel domine sur le corps, et nous nÕen devons plus douter, en ce que cÕest dans la partie suprieure, ou dans la tte, que nous avons montr ci-devant quÕil manifestait toutes ses facults ; en un mot, il se sert de ce Principe pour lÕexcution sensible de ces mmes facults ; et tel eu le moyen de discerner clairement le sige et lÕemploi des deux diffrents Principes de lÕhomme.
Cependant, quoique par sa Nature et par sa place, le Principe corporel soit infrieur, cÕest par sa liaison avec lui que lÕhomme prouve dans son Etre intellectuel tant de souffrances, tant dÕinquitudes, tant de privations, et cette terrible obscurit qui lui fait enfanter tant dÕerreurs. CÕest par cette liaison, quÕil est forc de subir lÕaction des sens de ce aujourdÕhui absolument ncessaire, pour obtenir la jouissance des vritables affections qui sont faites pour lui.
Mais, comme cette voie est variable et incertaine, et quÕelle ne rend pas toujours la lumire dans toute sa clart, lÕhomme nÕen retire pas les avantages et les satisfactions dont sa nature le rendrait susceptible.
Des difformits et des maladies
De l vient que les drangements, soit naturels, soit accidentels, que le Principe sensible et corporel peut prouver, sont trs nuisibles au Principe intellectuel, en ce quÕils affaiblissent la fois, et lÕinstrument de ses actions, et lÕorgane de ses affections.
Ces faits ont paru si favorables aux Matrialistes, quÕils ont cru pouvoir les donner comme un appui solide leur systme, cÕest--dire, quÕayant fond les facults intellectuelles de lÕhomme sur sa constitution corporelle, ils les ont fait dpendre absolument du bon ou du mauvais tat, o son corps pourrait tre selon le cours variable de la Nature.
Mais aprs tout ce quÕon a vu sur la Libert de lÕhomme, et sur la diffrence des deux Etres qui le composent, ces objections nÕont plus aucune valeur ; lÕhomme nÕest point tenu la jouissance entire de toutes les facults qui pourraient appartenir sa nature intellectuelle, puisque, par leur origine mme, tous les hommes nÕen reoivent pas la mme mesure, et puisque mille vnements indpendants de leur volont, peuvent dranger tout instant, leur constitution corporelle ; mais il est coupable lorsquÕil laisse dprir par sa faute les facults qui lui sont accordes. Tous ne sont pas ns pour avoir le mme Domaine ; mais tous rpondent de lÕemploi de celui qui leur est chu.
Ainsi, quelque drangement, quelque irrgularit quÕun homme prouve dans sa constitution corporelle et dans ses facults intellectuelles, ne le croyons pas pour cela lÕabri de la Justice, parce que, quelque petit que soit le nombre et la valeur des facults qui lui restent, il en devra toujours compte, et il nÕy a que lÕhomme dans la folie, de qui la vraie Justice ne puisse rien exiger, parce quÕalors cette Justice le tient elle-mme sous son flau.
Ne croyons pas non plus avec nos adversaires que ces drangements et ces irrgularits corporelles, nÕaient dÕautre Principe que la Loi aveugle par laquelle ils prtendent expliquer la Nature. Nous montrerons par la suite combien le conduite de lÕhomme, dans sa vie corporelle, sÕtend jusque sur sa postrit ; nous montrerons en outre dans son lieu, quelles sont les immenses facults du Principe ou de cette cause temporelle, attache de toute ncessit la direction de lÕUnivers.
Ainsi, en rflchissant sur la nature de cette cause temporelle universelle, qui non seulement prside essentiellement aux corps, mais qui devrait mme aussi tre toujours la boussole des actions des hommes, il sera facile de voir si rien dans cette rgion corporelle peut arriver qui nÕait un motif et un but.
Nous croirons bien plutt que toutes ces difformits, tous ces accidents auxquels nous sommes exposs, tant dans notre Etre corporel, que dans notre Etre intellectuel, ont incontestablement un principe ; mais que nous ne le connaissons pas toujours, parce quÕon le cherche dans la Loi morte de la Matire, au lieu de le chercher dans les lois de la justice, dans lÕabus de notre volont, ou dans les garements de nos anctres.
Je laisse lÕhomme aveugle et lger, murmurer sur cette Justice, qui tend la punition des garements des pres sur leur postrit. Je ne lui apporterai point pour preuve cette Loi physique, par laquelle une source impure communique son impuret ses productions, parce que cette Loi si connue, est fausse, abusive, lorsquÕon lÕapplique ce qui nÕest pas corps. Il nÕest pas corps. Il verrait encore moins que si cette Justice peut affliger les Enfants par les Pres, elle peut aussi blanchir et laver les Pres par les Enfants ; ce qui devrait suffire pour suspendre tous nos Jugements sur elle, tant que nous ne serons pas admis son Conseil.
Ce coup dÕÏil prudent, juste et salutaire, est une des rcompenses de la Sagesse mme ; comment le donnerait-elle donc ceux qui croient pouvoir se passer de sa lumire, et qui se persuadent nÕavoir pas besoin dÕautre guide que leurs propres sens, et les notions grossires de la multitude ?
Effets de lÕamputation
La question que je viens de traiter sur le lieu que lÕme occupe dans le corps, me mne naturellement une autre tout aussi intressante sur le Principe corporel, et qui occupe galement les Observateurs ; cÕest de savoir pourquoi lorsquÕun homme est priv, par accident, de lÕun de ses membres, il prouve pendant quelques temps des sensations qui lui semblent tre dans le membre dont il ne jouit plus.
Si lÕme ou le Principe corporel tait divisible, comme il faudrait lÕinsrer des opinions des Matrialistes, il est certain quÕaprs lÕamputation dÕun membre, jamais un homme ne pourrait souffrir dans cette partie, parce que les portions du Principe corporel, qui auraient t spares en mme temps que le membre amput, ne conservant plus de liaison avec leur source sÕteindraient dÕelles-mmes, et ne pourraient plus donner aucun tmoignage de sensibilit.
CÕest encore moins dans ce membre amput que nous devons chercher le Principe de cette sensibilit, puisquÕau contraire, ds lÕinstant de sa sparation, il nÕest plus rien pour le corps dont il est spar.
CÕest donc uniquement dans le Principe corporel lui-mme, que nous pourrons trouver la cause du fait dont il sÕagit, et nous rappelant toutes les Vrits que nous avons tablies, nous dirons que dans lÕassemblage de lÕhomme actuel, de mme que son Principe corporel sert dÕinstrument et dÕorgane aux facults de son Etre intellectuel, de mme son corps sert dÕorgane et dÕinstrument aux facults de son Principe corporel.
Nous avons vu que si ce Principe corporel prouvait des drangements dans les organes principaux du corps, qui sont fondamentalement ncessaires lÕexercice des facults intellectuelles, il pouvait arriver que le Principe intellectuel en souffrt ; mais on ne croira pas, je lÕespre, que cette souffrance puisse aller jusquÕ altrer lÕEssence de ce Principe intellectuel, ni le diviser dÕaucune manire ; on sait que par sa nature dÕEtre simple il demeure toujours le mme ; tout ce quÕon lui voit prouver alors, cÕest un drangement dans ses facults, et cela, parce que lÕorgane qui devait lui servir les exercer et lui faire parvenir la raction intellectuelle extrieure dont il ne peut se passer, nÕtant point dans son tat de perfection, lÕaction de ces facults intellectuelles devient nulle, ou reflue sur lÕEtre intellectuel lui-mme.
Dans le premier cas, cÕest--dire, lorsque lÕaction des facults devient nulle, lÕEtre intellectuel ne dmontre que la privation ; ce qui est le commencement de lÕimbcillit et de la dmence, mais il nÕy a point de peine alors, aussi est-il reconnu que la folie ne fait point souffrir.
Dans le second cas, cÕest--dire, lorsque cette action reflue sur le Principe, il montre de la confusion, du dsordre, et un mal-tre qui est une vritable souffrance intellectuelle, parce que ce Principe, qui ne tend quÕ exercer son action, se trouve born et resserr dans lÕemploi de ses facults.
Il en est absolument de mme pour la souffrance corporelle dans le cas de la privation dÕun membre. Le corps doit servir dÕorgane au Principe corporel qui lÕanime ; si ce corps reoit quelque mutilation considrable, il est certain que lÕorgane tant tronqu, le Principe corporel ne peut plus faire excuter ses facults dans toute leur tendue, parce que lÕaction de la facult qui avait besoin du membre amput pour avoir son effet, ne trouvant plus dÕagent qui corresponde avec elle, devient nulle, ou reflue sur elle-mme ; cÕest alors quÕelle occasionne une confusion et des douleurs trs sensibles dans le Principe corporel dÕo elle est mane, dÕautant que lÕamputation dÕun membre donne entre des actions extrieures et destructives, qui repoussent avec encore plus de promptitude lÕaction du Principe corporel, et la font retourner vers son centre.
Malgr cette souffrance, nous ne devons donc point admettre de dmembrement dans le Principe corporel, ni dans aucune sorte de Principes, et nous reconnatrons simplement que tout Etre corporel ayant besoin dÕorganes pour faire excuter son action, doit souffrir quand ces organes sont drangs, parce quÕalors ils ne peuvent pas rendre lÕeffet qui leur est propre.
Il nÕest pas tout fait inutile de remarquer que ceci ne peut avoir lieu que sur les quatre membres extrieurs, ou sur les quatre correspondances du corps ; car des trois parties principales qui composent le buste, aucune ne peut tre supprime sans que le corps ne prisse.
Des trois actions temporelles
Reprenons en peu de mots les divers objets que je viens de traiter. JÕai fait voir par les diffrentes proprits des Elments, plusieurs actions diffrentes dans la composition des corps ; jÕai fait voir quÕoutre les deux actions opposes et innes dans ces corps, il y avait une Loi suprieure par laquelle elles taient rgies, mme dans leurs plus grands chocs et dans leur plus grande confusion ; jÕai fait voir ensuite que cette Loi suprieure se trouvait mme aujourdÕhui dans lÕhomme, en qui elle tait distincte du sensible, quoique tant attache au sensible ; nous ne pouvons donc plus nier quÕil nÕy ait trois actions ncessairement employes la conduite des choses temporelles, en similitude des trois Elments dont les corps sont composs.
De ces trois actions ordonnes par la premire Cause, pour diriger la formation des Etres corporels, lÕune est cette Cause temporelle, intelligente et active qui dtermine lÕaction du Principe inn dans les germes, par le moyen dÕune action secondaire, ou dÕune raction sans laquelle nous avons reconnu quÕil ne se ferait aucune reproduction ; et sans doute, tout ce que lÕon a vu, a fait sentir assez clairement lÕexistence et la ncessit de cette Cause intelligente, dont lÕaction suprieure doit diriger les deux actions infrieures.
Source de lÕignorance
Comment se fait-il donc que les hommes lÕaient mconnu, et quÕils aient cru pouvoir marcher sans elle dans la connaissance de la Nature ? On en voit maintenant la raison. CÕest quÕils ont dnatur les nombres qui constituent ces actions, comme ils ont dnatur ceux qui constituent les Elments ; car dÕun ct, dans ce qui est trois, ils nÕont reconnu que deux : de lÕautre, ils ont cru voir quatre, dans ce qui nÕest que trois ; cÕest--dire, quÕen considrant les deux actions passives des corps, ils ont perdu d vue la Cause active et intelligente, en sorte quÕils ont assimil et confondu lÕaction et les facults de cette cause avec celles des deux actions infrieures, comme ils ont assimil la facult passive des trois Elments la facult active de lÕair, qui est un des plus forts Principes de leur raction. Ds lors ces nombres tant ainsi dfigurs, les Observateurs nÕont plus aperu le rapport qui se trouvait entre le ternaire des Elments et le ternaire des actions qui oprent la corporisation universelle et particulire.
Ce rapport leur ayant chapp, et tant ainsi devenu nul pour eux, ils nÕont plus senti la ncessit et la supriorit de cette action de la cause intelligente sur les deux actions infrieures qui servent de base toute production corporelle ; ils ont pris les unes pour les autres, toutes ces causes et ses actions diffrentes, ou plutt ils nÕen ont fait quÕune.
Et comment auraient-ils pu se prserver de cette erreur, puisquÕils avaient commenc par confondre la Matire avec le Principe de la Matire, et que donnant cette Matire toutes les proprits de son Principe, il ne leur en a pas cot davantage de lui attribuer aussi toutes les proprits et les actions des Causes suprieures qui sont indispensablement ncessaires son existence.
Mais on doit voir prsent, que mconnatre la puissance et la ncessit dÕune troisime cause, cÕest se priver du seul appui qui reste aux hommes pour expliquer la marche de la Nature ; cÕest lui donner dÕautres Lois que celles quÕelle a reues ; cÕest lui attribuer ce qui nÕest pas en elle ; en un mot, cÕest admettre, ce qui non seulement nÕest pas vraisemblable, mais ce qui est hors de toute possibilit.
Ncessit dÕune troisime cause
Aussi, qui ignore ce que les hommes ont mis en place de cette Cause indispensable ? Qui ne sait les purils raisonnements quÕils ont employs pour expliquer sans elle les Lois de la Matire, et pour asseoir le systme de lÕUnivers ? Aveugles sur lÕorigine des choses, sur lÕobjet de la Cration, sur sa dure, sur son action, toutes les explications quÕil en ont donnes, sont le langage du doute et de lÕincertitude, et toute leur doctrine est moins une Science quÕune question continuelle.
Du hasard
Lorsque, par la seule force de leur raison, ils ont pu faire eux-mmes, ces observations, et apercevoir le besoin indispensable dÕun Principe qui serve de guide la Nature ; ou ils ont cherch ce Principe dans lÕEtre premier lui-mme, et nÕont pas craint de le ravaler nos yeux, en ne sparant point son action de celles des choses sensibles ; ou ils sÕen sont tenus une sentiment lger sur la ncessit dÕun agent intermdiaire entre cet Etre premier et la Matire, et ne se donnant pas le temps de considrer quelle pouvait tre cette cause intermdiaire, ils lÕont dsigne confusment sous le nom de cause aveugle, fatalit, hasard et autres expressions, qui tant destitues de vie et dÕaction, ne pouvaient jamais quÕaugmenter les tnbres o lÕhomme est plong aujourdÕhui.
Ils nÕont pas vu quÕils taient eux-mmes la source de toutes ces obscurits ; que ce hasard enfin tait engendr par la seule volont de lÕhomme, et nÕavait lieu que dans son ignorance : car il ne peut nier que les lois qui constituent tous les Etres, devraient avoir des effets invariables et une influence universelle ; mais quand il en drange lÕaccomplissement dans les classes soumises son pouvoir, ou quand il sÕaveugle lui-mme, il ne voit plus ces lois indestructibles, et ds lors il conclut quÕelles nÕexistent pas.
Cependant, ce ne sera jamais dans les actes et dans les Ïuvres de la Cause premire quÕil pourrait admettre le hasard, puisque cette cause tant la source unique et intarissable de toutes les lois et de toutes les perfections, il faut que lÕordre qui rgne autour dÕelle soit invariable comme sa propre essence.
Ce ne serait pas plus dans les Ïuvres de la Cause temporelle intelligente, que ce hasard pourrait se concevoir, parce quÕtant charge spcialement de lÕÏuvre temporel de la Cause premire, il est impossible que cet Ïuvre ne tende sans cesse son but, et ne surmonte tous les obstacles.
Ce ne peut donc tre que dans les faits particuliers de la Nature corporelle, ainsi que dans les actes de la volont de lÕhomme que nous pouvons cesser de voir de la rgularit, et des rsultats toujours infaillibles et toujours prvus. Mais si lÕhomme nÕoubliait jamais combien ces faits particuliers et sa volont sont intimement lis, sÕil avait toujours prsent la pense quÕil a t tabli pour rgner sur lui-mme et sur la rgion sensible, il conviendrait quÕen remplissant sa destination, non seulement il pourrait dcouvrir ces lois universelles qui gouvernent les rgions suprieures, et quÕil a si souvent mconnues ; mais mme il sentirait que le pouvoir de ces lois jamais imprissables, sÕtendrait jusque sur son Etre, ainsi que sur les faits particuliers de sa rgion tnbreuse, cÕest--dire, quÕil nÕy aurait plus de hasard pour lui, ni pour aucun des faits de la Nature.
Alors, quand il apercevrait du drangement dans les actes particuliers de cette Nature, ou quand il ignorerait les causes qui les font oprer, et les rgles qui les dirigent, il ne pourrait plus attribuer ce dsordre et cette ignorance, quÕ sa ngligence et lÕusage faux de sa volont qui nÕaura pas employ tous ses droits, ou qui en aura fait valoir de criminels.
Mais pour acqurir lÕintelligence de ces vrits, il faut avoir plus de confiance que nÕen ont les observateurs dans la grandeur de lÕhomme et dans la puissance de sa volont, il faut croire que sÕil est au dessus des Etres qui lÕenvironnent, ses vices, comme ses vertus doivent avoir un rapport et une influence ncessaire sur tout son Empire.
Convenons donc que lÕignorance et la volont drgle de lÕhomme, sont les seules causes de ces doutes o nous le voyons flotter tous les jours. CÕest ainsi quÕayant laiss effacer en lui lÕide dÕun ordre et dÕune loi qui embrasse tout, il leur a substitu la premire chimre que lui a prsent son imagination ; car dans son aveuglement mme il cherche toujours un mobile la Nature ; cÕest ainsi quÕil renouvelle sans cesse cette coupable erreur, par laquelle, aprs avoir volontairement sem lÕincertitude et le hasard autour de lui, il est assez injuste et assez malheureux que de les imputer son Principe.
Ceux mmes qui nÕont pas ni que les choses corporelles ont eu un commencement, ne leur ont pas donn dÕautre cause que le hasard ;ne sachant pas quÕil y et une raison premire leur existence, ou ne prsumant pas mme quÕune cause hors dÕelles, et pu sÕen occuper assez pour la faire oprer et cependant, convaincus que cette existence avait commenc, ils ont renferm tout la fois dans les seules proprits des corps, la vertu active et inne en eux qui les anime, et la Loi suprieure qui leur a ordonn de natre.
Ils ont suivi le mme ordre dans lÕexplication quÕils ont donne de la Loi qui soutient lÕexistence de ces mmes Etres corporels ; et cela devait tre ainsi. Aprs en avoir tabli lÕorigine sur une base imaginaire et fausse, il fallait bien que le reste de lÕÏuvre y ft conforme ; ainsi selon eux, les corps vivent par eux-mmes, comme cÕest par eux-mmes quÕils sont ns.
Quant ceux qui prtendent que la Matire et les Etres corporels ont toujours exist, leur erreur est infiniment plus grossire et plus outrageante pour la Vrit. Ces deux Doctrines ont galement mconnu la Loi et la raison premire des choses, mais lÕune a seulement enseign quÕon pouvait se passer dÕune cause active et intelligente pour expliquer leur origine, lÕautre a avili cette Cause, en lui galant le Principe actif des Etres corporels, et en ne la croyant pas suprieure, ni plus ancienne que la Matire.
Les Observateurs ne sÕen sont pas tenus l ; car aprs avoir pos des Principes aussi obscurs sur la marche et la nature des choses, aprs sÕtre renferms dans un cercle aussi troit, ils ne sont vus comme forcs dÕy ramener tous les phnomnes et tous les vnements que nous voyons arriver dans lÕUnivers. CÕest, selon eux, un Etre sans intelligence et sans but, qui a tout fait, et qui fait tout continuellement ; et comme il nÕy a que deux causes qui soient les instruments de ce qui sÕopre, ds quÕils ont trouv ces deux causes dans les Etres corporels, ils se sont crus dispenss dÕen chercher une suprieure.
Il est heureux que la Nature ne se soumette point la pense des hommes ; toute aveugle quÕils la supposent, elle les laisse raisonner, et elle agit. CÕest mme la fois un bonheur inapprciable pour eux, et le plus beau caractre de la grandeur de lÕEtre physique et temporel qui les gouverne, que la marche de cette Nature soit aussi ferme et aussi intrpide ; car tant impntrable aux systmes des hommes, et leur en dmontrant la faiblesse par sa constance suivre sa Loi, elle les forcera peut-tre un jour dÕavouer leurs erreurs, de quitter les sentiers obscurs o ils se tranent, et de chercher la Vrit dans une source plus lumineuse.
De la troisime cause
Mais pour prvenir lÕinquitude de mes semblables, qui pourraient croire que cette Cause active et intelligente dont je leur parle, est un Etre chimrique et imaginaire, je leur dirais quÕil y a des hommes qui lÕont connue physiquement, et que tous la connatraient de mme, sÕils mettaient leur confiance en elle, et quÕils prissent plus de soin dÕpurer et de fortifier leur volont.
Je dois avertir cependant que je ne prends pas ce mot physique, dans lÕacceptation vulgaire qui nÕattribue de ralit et dÕexistence quÕaux objets palpables aux sens matriels. Les moindres rflexions sur tout ce qui est contenu dans cet Ouvrage, suffiront pour faire voir combien on est loign de savoir le sens du mot physique, quand on lÕapplique aux apparences matrielles.
Remarque sur les deux principes
Avant de passer un autre sujet, je mÕarrterai un moment pour aplanir une difficult qui pourrait natre, quoique je lÕaie dj rsolue en quelque sorte. JÕai annonc, dans le commencement de cet Ouvrage, lÕexistence de deux Principes opposs qui se combattent lÕun et lÕautre, et quoique jÕaie assez dmontr lÕinfriorit du mauvais Principe lÕgard du Principe bon, il se pourrait que dÕaprs les observations quÕon vient de voir sur la nature corporelle, on crt ces deux Principes ncessaires lÕexistence lÕun et lÕautre, comme on a vu que les deux causes infrieures renfermes dans les Etres corporels, taient absolument ncessaires pour leur faire oprer une production.
Pour viter cette mprise, il suffira de se rappeler que jÕai annonc que tout produit, tout Ïuvre, tout rsultat dans la Nature corporelle, ainsi que dans tout autre classe, tait toujours infrieur son Principe gnrateur. Cette infriorit assujettit la nature corporelle ne pouvant se reproduire, sans lÕaction de ces deux causes que nous avons reconnues en elle, et qui annoncent sa faiblesse et sa dpendance.
Or, si cette cration temporelle tire son origine du Principe suprieur et bon, comme nous nÕen pouvons pas douter, ce Principe doit montrer sa supriorit en tout, et lÕun de ses attributs principaux, cÕest dÕavoir absolument tout en lui except le mal, et de nÕavoir besoin que de lui-mme et de ses propres facults pour oprer toutes ses productions. Quel sera donc alors lÕtat du mauvais principe, si ce nÕest de servir manifester la grandeur et la puissance du Principe bon, que tous les efforts de ce Principe mauvais ne pourront jamais branler.
Ainsi il nÕest plus possible de dire que le mauvais Principe ait t et soit universellement ncessaire lÕexistence et la manifestation des facults du bon Principe ; quoique comme influant sur lÕexistence du temps, ce mauvais Principe soit ncessaire pour occasionner la naissance de toutes les manifestations temporelles ; car comme il y a des manifestations qui ne sont point dans le temps, et que le Principe mauvais ne peut sortir du temporel, il est bien clair que le Principe bon agit sans lui ; ce que lÕon verra plus en dtail dans la suite.
Que les hommes apprennent donc ici distinguer de nouveau, les Lois et les facults du Principe unique, universellement bon, et vivant par lui-mme, dÕavec celles de lÕEtre infrieur matriel qui ne tient rien de soi, et qui ne peut vivre que par des secours extrieurs.
Enchanement des vrits
Je crois avoir fait entrevoir suffisamment mes semblables, le peu de fondement des opinions humaines sur tous les points dont je me suis occup jusquÕ prsent. Aprs les avoir mis sur la voie pour leur apprendre distinguer les corps dÕavec le Principe inn dans ces corps ; aprs avoir fix leurs yeux sur la simplicit lÕunit et lÕimmatrialit de ce Principe indivisible, incommunicable, qui ne souffre aucun mlange, et qui demeure toujours le mme quoique la forme quÕil produit et dont il sÕenveloppe soit soumise une continuelle variation, ils pourront reconnatre avec vidence que la Matire tant dans une dpendance incontestable, et cependant agissant par des lois rgulires, les deux causes infrieures qui oprent sa reproduction et tous les actes de son existence ne peuvent absolument se passer de lÕaction dÕune Cause suprieure et intelligente, qui les commande pour les faire agir, et qui les dirige pour les faire agir avec succs.
Par consquent ils avoueront que les deux causes infrieures doivent tre soumises aux lois de la Cause suprieure et intelligente, pour que les temps et lÕuniformit soient observs dans tous leurs actes ; pour que les rsultats de toutes leurs diffrentes actions ne soient pas nuls, informes, et incertains, et pour que nous puissions nous rendre raison de lÕordre qui y rgne universellement.
Ils nÕauront pas de peine convenir ensuite que cette Cause suprieure nÕtant assujettie aucune des lois de la Matire, quoiquÕelle soit prpose pour la conduire, en doit tre entirement distincte ; que le moyen de parvenir la connaissance de lÕune et de lÕautre, est de les prendre chacune dans sa classe ; dÕen tudier les facults particulires ; de les rapprocher dans le mme tableau, mais pour en dmler les diffrences et non pour les confondre ; de faire cette distinction sur tous les autres Etres de la Nature, et sur ses moindres parties, o les yeux du corps et de lÕintelligence nous apprennent quÕil y a toujours deux Etres ensemble, et que cÕest la violence qui les a runis ; mais cependant de ne jamais perdre de vue que ce lien ne les unit lÕun lÕautre que pour un temps ; et de ne pas regarder cette union comme ayant toujours exist, et comme devant exister jamais, puisquÕau contraire nous la voyons cesser tous les jours.
Ce sont toutes ces observations qui rendront lÕhomme prudent et sage, et qui lÕempcheront de sÕabandonner en insens dans des sentiers inconnus, dÕo il ne peut se tirer quÕen rtrogradant, ou en se livrant au dsespoir, lorsquÕil sent quÕil est trop avanc et que le temps lui manque. CÕest l ce qui lui fera viter lÕcueil o la plupart des hommes sont entrans, lorsque tant seuls et dans les tnbres, ils osent prononcer sur leur propre nature et sur celle de la Vrit. Nous verrons dans ce qui va suivre, les frquentes chutes, qui en ont t, et qui en sont tous les jours les suites. Nous verrons que la plupart de leurs souffrances ont pris l leur source, de mme que cÕest pour tre dchus de leur premier tat de splendeur, quÕils sont exposs aujourdÕhui sÕenfoncer de plus en plus dans lÕopprobre et dans la misre.
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Tableau allgorique
QUELQUES hommes levs dans lÕignorance et dans la paresse, tant parvenus lÕge mr, entreprirent de parcourir un grand Royaume ; mais comme ils nÕtaient conduits que par une vaine curiosit, ils firent peu dÕefforts pour connatre les vrais moyens par lesquels ce pays tait gouvern. Ils nÕavaient ni assez de courage, ni assez de crdit pour sÕintroduire chez les Grands de lÕEtat, qui auraient pu leur dcouvrir les ressorts cachs du Gouvernement ; ainsi ils se contentrent dÕerrer de villes en villes, dÕy promener leurs regards incertains dans les places et les lieux publics, o voyant le peuple tumultueusement assembl, et comme abandonn lui-mme, ils ne prirent aucune ide de lÕordre et de la sagesse des lois qui veillaient secrtement la sret et au bonheur des habitants : ils crurent que tous les citoyens galement oisifs, y vivaient dans une entire indpendance.
En effet, ce quÕils avaient aperu, ne prsentait ni rgle, ni loi, leur esprit peu clair ; en sorte que ne consultant que leurs yeux, ils furent bien loigns de connatre que des hommes suprieurs par leur rang et par leurs pouvoirs y gouvernaient cette multitude qui sÕagitait confusment devant eux ; il se persuadrent que nÕy ayant point de Lois dans le pays quÕils parcouraient, il nÕy avait point de chef ; ou que sÕil y en avait un, il tait sans autorit et sans action.
Flatts de cette indpendance, et ne prvoyant aucune suite dangereuse leurs actions, ils les regardrent bientt comme arbitraires et indiffrentes, et crurent pouvoir sÕabandonner leurs caprices ; mais ils ne tardrent pas tre les victimes de leur Erreur et de leurs Jugements inconsidrs ; car les vigilants Administrateurs de lÕEtat, instruits de leurs dsordres, les privrent de la Libert, et les resserrrent si troitement quÕils languirent dans la plus profonde obscurit, sans savoir si jamais la lumire leur serait rendue.
Imprudence des observateurs
Voil exactement quelle a t la conduite et le sort de ceux qui ont os par eux-mmes juger de lÕHomme et de la Nature ; toujours occups dÕtudes inutiles et frivoles, leur vue sÕest rtrcie par lÕhabitude, et ne pouvant parcourir toute lÕtendue de la carrire, ils se sont arrts aux apparences des objets ; en sorte que bornant l leurs regards, ils ont ignor, ou ni tout ce quÕils nÕont pu apercevoir. Ils nÕont vu dans les corps que leurs enveloppes, et ils les ont transformes en Principes. Ils nÕont vu dans les Lois de ces corps que deux actions, ou deux causes infrieures, et ils se sont hts de rejeter la Cause suprieure active et intelligente, dont ils avaient confondu les oprations avec celles des deux autres causes.
Ensuite, se croyant bien assurs de leurs consquences, ils ont fait du tout un Etre matriel hypothtique, sur lequel ils ont eu lÕimprudence de mesurer tous les Etres de la Nature quÕils avaient entirement dfigure ; et cÕest dÕaprs ce modle, ainsi mutil, quÕils ont os dessiner lÕHomme.
Et vraiment, on ne peut plus douter quÕils nÕaient fait son gard, les mmes mprises quÕils avaient faites auparavant sur toute la Nature. Non seulement ils nÕont pas mieux distingu, dans son corps, que dans les autres Etres corporels, le Principe dÕavec lÕapparence ou lÕenveloppe et nÕen ont pas mieux connu, ni suivi la marche et les Lois ; mais, aprs avoir pris le change sur ce point, ils ont encore confondu cette enveloppe corporelle de lÕhomme avec son Etre intellectuel et pensant, comme ils avaient confondu le Principe inn dans tous les corps, avec la cause active et intelligente qui les dirige.
Ainsi, nÕayant pas dml dÕabord la cause suprieure, dÕavec les facults innes dans lÕEtre corporel ; ayant ensuite confondu les facults des deux diffrents Etres qui composent lÕhomme dÕaujourdÕhui, il leur a t impossible dÕy reconnatre lÕaction de cette mme Cause active et intelligente, qui en mme temps quÕelle communique tous les pouvoirs la Nature, donne lÕhomme par son intelligence, toutes les notions du bien quÕil a perdu. CÕest pourtant avec cette ignorance, que non seulement ils ont t assez tmraires pour prononcer sur lÕEssence et la Nature de lÕhomme, mais encore, quÕils ont voulu expliquer tous les contrastes quÕil prsente, et tablir la base de ses Ïuvres.
Danger des erreurs sur lÕHomme
Quand lÕhomme ne sÕest tromp que sur la Nature lmentaire, nous avons vu que ses Erreurs nÕavaient que des lgres suites ; car ses opinions ne pouvant influer sur la marche des Etres, leurs Lois invariables sÕexcutent sans cesse avec la mme prcision, quoique lÕhomme en ait dnatur et mconnu le Principe. Mais il nÕen sera jamais ainsi de ses mprises sur lui-mme, et elles lui seront toujours invitablement funestes, parce quÕtant dpositaire de sa propre Loi, il ne peut se mprendre sur elle, ni lÕoublier, quÕil nÕagisse directement contre lui-mme, et quÕil ne se fasse un prjudice manifeste ; en un mot ; sÕil est vrai quÕil soit heureux, lorsquÕil reconnat et suit les Lois de son Principe, ses maux et ses souffrances sont une preuve vidente de ses Erreurs et des faux pas qui en ont t les suites.
Voyons donc ce qui rsultera de cet Etre ainsi dfigur, et sÕil pourra se soutenir, tant priv de son principal appui ?
Il nous sera facile de prsumer les consquences de cet examen, si nous nous rappelons ce que nous avons dit de lÕtat o serait la Nature, laisse lÕaction passive des deux Etres infrieurs, qui sont ncessaires dans toute reproduction corporelle. Ces deux Etres, on le sait, nÕtant que passifs, ne peuvent jamais rien produire par eux-mmes, si la cause active et intelligente ne leur donne lÕordre et le pouvoir dÕoprer ce quÕils ont en eux.
Or, sÕil tait possible de supposer dans ces agents infrieurs une volont, en leur laissant toujours la mme impuissance, il est vident que sÕils prtendaient mettre cette volont en action, sans le concours de la Cause active dont ils dpendent ncessairement, leurs Ïuvres seraient informes, et nÕannonceraient quÕune confusion choquante.
Maintenant, ce que nous ne pourrions pas dire de ces agents infrieurs, qui sont dpourvus de volont, appliquons-le lÕhomme qui en a une lui, et apprenons mieux dcouvrir encore les malheureux effets des erreurs que nous nous sommes proposs de combattre.
LÕhomme est prsent compos de deux Etres, lÕun sensible, lÕautre intelligent. Nous avons laiss entendre que dans son origine il nÕtait pas sujet cet assemblage, et que jouissant des prrogatives de lÕEtre simple, il avait tout en lui, et nÕavait besoin de rien pour se soutenir, puisque tout tait renferm dans les dons prcieux quÕil tenait de son principe.
Nous avons fait voir ensuite quelles taient les conditions svres et irrvocables auxquelles la Justice avait attach la rhabilitation de lÕhomme criminel par le faux usage de sa volont ; nous avons vu, dis-je, quels sont les cueils affreux et sans nombre, dont il est sans cesse menac, en habitant la rgion sensible qui est si contraire sa vritable nature. En mme temps nous avons reconnu que le corps quÕil porte prsent, tant de la mme classe que les choses sensibles, forme en effet autour de lui un voile tnbreux, qui cache sa vue la vraie lumire, et qui est tout la fois la source continuelle de ses illusions et lÕinstrument de ses nouveaux crimes.
Dans son origine, lÕhomme avait donc pour Loi de rgner sur la rgion sensible, comme il le doit encore aujourdÕhui, mais, comme il tait alors dou dÕune force incomparable, et quÕil nÕavait aucune entrave, tous les obstacles disparaissaient devant lui.
AujourdÕhui, il nÕa presque plus les mmes forces, ni la mme Libert, et cependant il est infiniment plus prs du danger, de faon que dans le combat quÕil a maintenant soutenir, on ne peut exprimer le dsavantage auquel il est expos.
Oui, telle est lÕaffreuse situation de lÕhomme actuel. Lorsque lÕArrt foudroyant eut t prononc contre lui, il ne lui resta de tous les dons quÕil avait reus, quÕune ombre de Libert, cÕest--dire, une volont presque toujours sans force et sans empire. Tout autre pouvoir lui fut t, et sa runion avec un Etre sensible le rduisit nÕtre plus quÕun assemblage de deux causes infrieures ; en similitude de celles qui rgissent tous les corps.
Je dis en similitude et non en galit, parce que lÕobjet des deux natures de lÕhomme est plus noble ; et leurs proprits bien diffrentes ; mais, quant lÕcre et lÕexercice de leurs facults, elles subissent lÕune et lÕautre absolument la mme Loi, et les deux causes infrieures qui composent, lÕhomme dÕaujourdÕhui, nÕont pas, pour ainsi dire, plus de force par elles-mmes, que les deux causes infrieures corporelles.
LÕhomme, il est vrai, en qualit dÕEtre intellectuel, a toujours sur les Etres corporels lÕavantage de sentir un besoin qui leur est inconnu ; mais il ne peut pas mieux quÕeux sÕen procurer seul le soulagement : il ne peut pas mieux par lui-mme vivifier ses facults intellectuelles, quÕils nÕont pu animer leur Etre ; cÕest--dire, quÕil ne peut pas mieux quÕeux se passer de la cause active et intelligente, sans laquelle rien de ce qui est dans le temps ne peut agir efficacement.
Quels fruits lÕhomme pourrait-il donc produire aujourdÕhui, si dans lÕimpuissance que nous lui connaissons, il croyait nÕavoir dÕautre Loi que sa propre volont, et sÕil entreprenait de marcher sans tre guid par cette Cause active et intelligente dont il dpend malgr lui, et de laquelle il doit tout attendre, ainsi que les Etres corporels parmi lesquels il est si tristement confondu ?
Il est certain quÕalors ses propres Ïuvres nÕauraient aucune valeur, ni aucune force, puisquÕelles seraient destitues du seul appui qui puisse les soutenir ; et les deux causes infrieures dont il se trouve actuellement compos, se combattant sans cesse en lui, ne feraient que lÕagiter, et lÕabmer dans la plus fcheuse incertitude.
Semblable aux deux lignes dÕun angle quelconque, qui peuvent bien se mouvoir chacune en sens contraire, sÕcarter, se rapprocher, se confondre, et se placer lÕune sur lÕautre, mais qui ne peuvent jamais produire aucune espce de figure, si lÕon nÕy joint une troisime ligne ; car cette troisime ligne est le moyen ncessaire qui fixe lÕinstabilit des deux premires, qui dtermine leur position, qui les distingue sensiblement lÕune de lÕautre, qui constitue enfin une figure, et sans contredit la plus fconde de toutes les figures.
Voil cependant quelles sont journellement les fausses tentatives de lÕhomme ; cÕest de travailler une Ïuvre impossible, cÕest--dire, de vouloir former une figure avec deux lignes, en se concentrant dans lÕaction des deux causes infrieures qui composent aujourdÕhui sa nature, et en sÕefforant continuellement dÕexclure cette Cause suprieure, active et intelligente, dont il ne peut absolument se passer. Ainsi, malgr lÕvidence du besoin quÕil en a, il va se jetant loin dÕelle, dÕillusions en illusions, sans pouvoir jamais trouver le point qui doit le fixer, parce quÕil nÕy a point dÕÏuvre parfaite sans le concours de ce troisime Principe ; et si lÕon en veut savoir la raison, cÕest que ds lÕinstant quÕon est trois, on est quatre.
Des diverses institutions
Rflchissant alors sur lÕincertitude affreuse o il se trouve, il est tonn du dsordre qui accompagne tous ses pas, et bientt il nie lÕExistence de ce Principe dÕordre et de paix quÕil a mconnu par ngligence ou par mauvaise foi.
Mais quelquefois aussi, entran par la force de la Vrit, il murmure contre ce mme Principe quÕil avait dÕabord rejet, et par l nous dmontre lui-mme la certitude de tout ce que nous avons dit sur les variations et les inconsquences de toute Etre, dont les facults ne sont pas runies et fixes par leur lien naturel.
Loin de croire que toutes les mprises de lÕhomme portent la moindre atteinte cette Cause dont il sÕloigne, nous devons tre actuellement assez instruits sur sa nature, pour savoir quÕil souffre seul de ses garements ; puisquÕen qualit dÕEtre libre, il est le seul qui puisse tre coupable ; nous devons savoir que lorsque cette Cause inaltrable dans ses facults, comme dans son Essence, tend ses rayons jusquÕ lÕhomme, ils le purifient et nÕen sont point souills.
Nous allons donc poursuivre notre marche, et claircir les difficults qui arrtent les Observateurs, quand ils veulent seuls et sans guide, jeter les yeux sur toutes les institutions de la Terre, soit celles que les hommes ont tablies eux-mmes, soit celles qui ils attribuent une origine plus releve. CÕest bien l o ces hommes aveugles, ne sachant pas 'dmler ce quÕil y a dÕarbitraire, et ce quÕil y a de rel, ont fait de lÕun et de lÕautre un monstrueux assemblage, capable dÕobscurcir les notions les plus lumineuses. CÕest aussi, nÕen doutons point, un des objets les plus intressants pour lÕhomme, et dans lequel il lui importe essentiellement de ne point faire de mprises, puisque cÕest l o il doit apprendre . rgler les facults qui le composent.
Source des fausses observations
Examinons pourquoi, par les observations que les hommes ont faites sur les diffrentes pratiques, usages, coutumes, lois, religions, cultes, qui ont dans tous les temps vari chez les diffrentes Nations, ils ont t induits penser quÕil nÕy avait rien de vrai, et que tout tant arbitraire et conventionnel parmi les hommes, ce serait une illusion dÕadmettre des devoirs remplir, et quelque ordre naturel et essentiel qui dt leur servir de flambeau.
SÕil tait vrai que tout ft conventionnel, comme ils le prtendent, ils auraient raison dÕen tirer cette consquence, parce quÕalors, nÕy ayant pour eux aucune distinction entre le bien et le mal, tous leurs pas deviendront indiffrents, et personne ne serait fond les rappeler des rgles de conduite. Mais si la mprise vient de ce que les Observateurs nÕont pas dml dans lÕhomme les deux facults qui le constituent ; sÕils ont confondu dans lui lÕintelligence et le sensible, et quÕils aient appliqu au premier toutes les variations et les disparits auxquelles le second se trouve assujetti ; sÕils ont mis le complment ces erreurs, en confondant mme la Cause active et intelligente avec les facults particulires de lÕhomme, pourrions-nous donner quelque croyance une doctrine aussi peu approfondie, et aussi fausse ?
Telle est cependant la marche quÕils ont suivie; cÕest--dire, quÕils nÕont presque jamais port leur vue au-del du sensible ; or, cette facult sensible tant borne, et prive du pouvoir ncessaire pour se diriger elle-mme, ne prsentera jamais que des preuves ritres de varit, de dpendance et dÕincertitude ; cÕest donc par elle uniquement, et par elle remise sa propre Loi, que doivent sÕintroduire toutes les diffrences que nous pouvons remarquer ici-bas.
En effet, toutes les branches de lÕordre civil et politique qui runit les diffrents Peuples, ont-elles dÕautre but que la Matire ? La partie morale mme de tous leurs tablissements sÕlve-t-elle au del de cet ordre humain et visible ? Il nÕy a pas jusquÕ leurs institutions les plus vertueuses quÕils nÕaient rduites dÕeux-mmes des rgles sensibles, et des Lois extrieures, parce que dans toutes ces choses, les Instituteurs ayant march seuls et sans guide, cÕest lÕunique terme o ils aient pu porter leurs pas.
La facult intellectuelle de lÕhomme nÕest donc absolument pour rien dans de pareils faits, et moins encore dans les observations dont ils ont t si souvent lÕobjet. Ainsi nous devons bien nous garder dÕadopter les jugements qui en sont provenus, avant dÕavoir examin jusquÕo sÕtendent leurs consquences, et sÕils sont applicables tout. Car sans cela, il nous serait impossible de les admettre, puisquÕune Vrit doit tre universelle.
De lÕinstitution religieuse
Commenons par observer lÕinstitution la plus respecte et la plus universellement rpandue chez tous les Peuples, celles quÕils regardent avec raison comme ne devant pas tre lÕouvrage de leurs mains. Il est bien clair, par le zle avec lequel toute la terre sÕoccupe de cet objet sacr, que tous les hommes en ont en eux lÕimage et lÕide. Nous apercevons chez toutes les Nations une uniformit entire sur le Principe fondamental de la Religion ; toutes reconnaissent un Etre suprieur, toutes reconnaissent quÕil faut le prier, toutes le prient ; toutes sentent la ncessit dÕune forme leur prire, toutes lui en ont donn une ; et jamais la volont de lÕhomme nÕa pu anantir cette vrit, ni en mettre dÕautres la place.
Des fausses religions
Cependant les soins que les diffrents Peuples se donnent pour honorer le premier Etre, nous prsentent, comme toutes les autres institutions, des diffrences et des changements successifs et arbitraires, dans la pratique comme dans la thorie ; encore que parmi toutes les Religions, on nÕen connat pas deux qui lÕhonorent de la mme manire. Or, je le demande, cette diffrence pourrait-elle avoir lieu, si les hommes avaient pris le mme guide, et quÕils nÕeussent pas perdu de vue la seule lumire qui pouvait les clairer, et les concilier ? Et cette lumire est-elle autre chose que cette Cause active et suprieure qui devrait tenir lÕquilibre entre leurs facults sensibles et intellectuelles, et sans laquelle il leur est impossible de faire un seul pas avec justesse ?
CÕest donc elle qui doit nourrir dans lÕhomme lÕide primitive dÕun Etre unique et universel, ainsi que la connaissance des Lois auxquelles cet Etre assujettit la conduite des hommes envers lui, lorsquÕil leur permet de lÕapprocher. CÕest donc en sÕloignant de cette lumire, que lÕhomme demeure livr ses propres facults, et alors ces facults mme sÕaffaiblissent, et sÕeffacent presque entirement en lui ; lÕobscurit les recouvre dÕun voile si pais, que sans le secours dÕune main bienfaisante, il ne pourrait jamais sÕen dlivrer.
Et cependant, quoique lÕhomme soit alors abandonn lui-mme, il est toujours oblig de voyager. CÕest ce qui fait, quÕau milieu de cette terrible ignorance, tant toujours tourment de lÕide et du besoin de cet Etre, dont il sent quÕil est spar, il tourne vers lui des yeux incertains, et lÕhonore selon sa pense ; et quoiquÕil ne sache plus si lÕhommage quÕil offre, est vraiment celui que cet Etre exige, il prfre en rendre un, tel quÕil le conoit, la secrte inquitude et au regret de nÕen point rendre du tout.
Tel est, en partie, le Principe qui a form les fausses Religions, et qui a dfigur celle que toute la Terre aurait d suivre ; alors pourrons-nous tre surpris de voir si peu dÕuniformit dans les usages pieux de lÕhomme et dans son culte ; de lui voir produire toutes ces contradictions, toutes ces pratiques opposes, tous ces rites qui se combattent, et qui en effet, ne prsentent rien de vrai la pense. NÕest-ce pas l o lÕimagination de lÕhomme nÕayant plus de frein, tout est lÕouvrage de son caprice et de son aveugle volont ? NÕest-ce pas l, par consquent, o tout doit paratre indiffrent la raison, puisquÕelle ne voit plus de rapports entre le Culte, et lÕEtre auquel les Instituteurs et leurs partisans veulent lÕappliquer ?
Mais je demande si la plupart de ces diffrences, et mme de ces contrarits palpables, tombent sur autre chose que sur ce qui est soumis aux yeux corporels de lÕhomme, cÕest--dire, sur le sensible. Alors, que pourrait-on en conclure contre le Principe, dont elles ne sÕoccupent mme pas ? Ce Principe ne serait-il pas tout aussi inaltrable et aussi intact, quand la pense tnbreuse de lÕhomme introduirait des varits jusque dans la thorie et dans les dogmes ; puisque, tant que lÕhomme nÕest pas clair de son seul flambeau, et soutenu de son seul appui, il ne peut pas avoir plus de certitude de la puret de sa doctrine, que de la justesse de ses actions ; et enfin, de quelque nature que soient ses erreurs, pourront-elles jamais rien contre la Vrit ?
Si lÕerreur poursuit les Observateurs et les rend aveugles, cÕest donc toujours faute de distinguer lÕhomme ainsi dmembr, et qui nÕemploie quÕune partie de lui-mme, dÕavec lÕhomme qui se sert de toutes ses facults ; cÕest faute de distinguer la source dfigure dÕo lÕhomme tire ses productions informes, dÕavec celle o il aurait d puiser, quÕon nous lÕannonce comme incapable de rien connatre de fixe et dÕassur.
Vrits indpendantes de lÕHomme
Voyons nanmoins jusquÕo le pouvoir particulier de lÕhomme peut sÕtendre, lorsquÕil est remis lui-mme, ne lui accordons que les droits qui lui appartiennent, et examinons sÕil nÕy a rien au-del de ce quÕil fait de ce quÕil connat.
Premirement, nous avons vu, que malgr tous leurs raisonnements sur la Nature, les hommes taient obligs de se soumettre ses Lois ; nous avons assez fait connatre que les Lois de cette Nature taient fixes et invariables, quoique par une suite des deux actions qui sont dans lÕUnivers, leur accomplissement ft souvent drang.
Voil dj une vrit sur laquelle tout lÕarbitraire de lÕhomme nÕa pas la moindre prise. Il nÕest plus temps de mÕobjecter ces sensations, ces impressions de toute espce, que font les diffrents corps sur nos sens, et qui varient dans chaque individu, dÕo la multitude sÕest crue fonde nier quÕil y et quelque rgle dans la Crature. Nous avons prvenu lÕobjection en annonant que la Nature ne pouvait agir que par relation.
Nous pourrions encore fortifier ce principe, en disant que cette Loi de relation nÕest pas plus soumise lÕarbitraire de lÕhomme que la Nature elle-mme, et que nous ne sommes pas les matres dÕen changer en rien les effets ; car les dtourner et les prvenir, ce nÕest point du tout les changer, cÕest au contraire confirmer dÕautant plus leur stabilit.
Nous savons donc dj avec vidence, quÕil est dans la Nature corporelle, une Puissance suprieure lÕhomme, et qui lÕassujettit ses Lois ; nous ne pouvons plus douter de son existence, quoique les soins que lÕhomme a pris pour connatre et expliquer cette Puissance, lui aient si rarement fait obtenir des lumires et des succs satisfaisants.
Secondement, rappelons-nous comment nous avons dmontr la faiblesse et lÕinfirmit de la Nature, relativement aux Principes dÕo elle a tir son origine, et dÕo elle tire journellement sa subsistance et sa raction, nous verrons alors que si lÕhomme est soumis cette Nature ; plus forte raison le sera-t-il aux Principes suprieurs qui la dirigent et qui la soutiennent ; et quoiquÕil ait aussi peu conu leur puissance que celle de la Nature, sa propre raison lÕempcherait dÕen nier lÕexistence, quand son sentiment ne viendrait pas lÕappui.
Que produira donc tout ce quÕil pourra faire, imaginer, dire, instituer contre les Lois de ces Principes suprieurs ? Loin quÕils en soient le plus lgrement altrs, ils ne font que montrer davantage leur force et leur puissance, en laissant lÕhomme qui sÕen loigne, livr ses propres doutes et aux incertitudes de son imagination, et en lÕassujettissant ramper tant quÕil voudra les mconnatre.
Il ne faut rien de plus que ces observations pour prouver lÕinsuffisance de lÕhomme qui ne prend que le sensible pour rgle et pour guide ; car, si lÕimpuissance que nous remarquons dans la Nature corporelle, nous empche absolument de lui attribuer les faits quÕelle opre : si lÕhomme par sa propre raison peut parvenir sentir la ncessit indispensable du concours dÕune Cause active, sans laquelle les Etres corporels nÕauraient aucune action visible, il nÕa donc besoin que de lui-mme pour avouer lÕexistence de cette Cause active et intelligente, et pour parvenir del la Cause premire et unique, qui a produit hors dÕelle toutes les causes temporelles destines lÕaccomplissement de ses Ïuvres, et lÕexcution de ses volonts.
JÕai annonc, cette Cause active et intelligente comme ayant une action universelle, tant sur la Nature corporelle que sur la Nature pensante. CÕest, en effet, la premire des causes temporelles, et celle sans laquelle aucun des Etres existants dans le temps, ne peut subsister ; elle agit sur eux par la Loi mme de son essence, et par les droits que lui en donne sa destination dans lÕUnivers. Aussi, soit que les Etres qui habitent cet Univers la conoivent ou non, il nÕen est pas un seul qui nÕen reoive des secours, et puisquÕelle est active et intelligente, il faut que les Etres pensants participent ses faveurs, comme les Etres qui ne le sont pas.
Voil donc pourquoi jÕai dit que tous les Peuples de la terre avaient reconnu ncessairement un Etre suprieur. Ils nÕont pas fait toutes les distinctions que je viens dÕtablir entre les diffrentes causes ; ils nÕont pas distingu cette Cause active et intelligente, de la Cause premire qui est absolument spare du sensible et du temps ; souvent mme ils lÕont confondue avec les causes infrieures de la Cration, auxquelles ils ont quelque fois adress leurs hommages ; aussi nÕont-ils pas reu de leur culte les secours quÕils auraient pu en attendre, si leur marche et t plus claire. Mais ce sujet nous mnerait beaucoup trop loin.
Bornons-nous donc faire observer que lÕaction de cette Cause active et intelligente, ayant t universelle, lÕhomme a d, par le sentiment et par la rflexion, parvenir en reconnatre la ncessit ; et de quelque manire quÕil lÕait envisage, il nÕa pu se tromper que sur la vritable nature de cette Cause, mais jamais sur son existence.
LÕhomme sÕtant fait cet aveu, nÕa pu se dispenser de poursuivre sa marche ; son sentiment et ses propres rflexions lÕont dirig dans le second pas, comme ils lÕavaient fait dans le premier quoique se conduisant encore par lui-mme dans ce nouveau sentier, il nÕait pas pu y trouver plus de certitude, ni des lumires plus videntes.
Mais enfin, quelles quÕaient t ses dcouvertes ; aprs avoir reconnu une Cause suprieure dans la Nature, aprs avoir mme reconnu quÕelle tait suprieure sa pense, il nÕa pu sÕempcher dÕavouer quÕil devait y avoir des Lois par lesquelles elle agissait sur ce qui lui tait soumis, et que si les Etres qui devaient tout attendre dÕelle ne remplissaient pas ces Lois, ils ne pouvaient esprer aucune lumire, aucune vie, aucun soutien.
Il tait entran ces consquences, par ses observations sur la marche de la Nature corporelle mme, laquelle il est attach ; il voyait, par exemple, que sÕil en transgressait les Lois, pour les temps et les procds de la culture, la terre ne lui rendait que des productions imparfaites et mal saines ; il voyait que sÕil nÕobservait lÕordre des Saisons, et une prcision exacte dans toutes ses combinaisons, les rsultats en taient sans fruit et sans succs. CÕest l ce qui lÕinstruisait sensiblement que cette Nature corporelle tait dirige par des Lois, et que ces Lois tenaient essentiellement la Cause active et intelligente, dont tous les hommes sentent la ncessit.
De la diversit des religions
Faisant ensuite la mme rflexion par rapport son Etre pensant, il a bien senti que ne pouvant rien sans la Cause premire, il tait de son intrt, de mettre tous ses soins se la rendre favorable ; il a conu que puisque cette Cause pouvait veiller sur lui et sÕintresser son propre bien, elle devait avoir tabli des moyens pour le prserver du mal ; que par consquent, les actes qui taient avantageux aux hommes, devaient plaire cette Cause, et que ceux qui pouvaient leur nuire, nÕtaient point conformes sa Loi, qui est de rendre heureux tous les Etres, quÕainsi ils ne pouvaient mieux faire que dÕagir toujours selon son dsir et sa volont.
Mais lÕhomme ne pouvant seul approfondir, si le culte quÕil imaginait, avait un rapport certain, tant avec lui-mme, quÕavec lÕEtre premier quÕil voulait honorer, chacun adoptait son gr les moyens quÕil croyait les plus propres se le rendre favorable, et tous les Peuples, qui ne se sont conduits que par eux-mmes dans la recherche de cette institution, ont tabli celle que leur imagination, ou quelque circonstance particulire avaient fait natre dans leur pense.
Voil la raison pour laquelle toutes les Nations de la terre ont t divises, soit dans les crmonies de leur culte, soit dans lÕide et lÕimage quÕelles se sont forme de celui qui doit tre lÕobjet de ce culte. Voil aussi pourquoi, malgr leur division sur les formalits de ce mme culte, elles sont toutes dÕaccord sur la ncessit dÕen rendre un ; et cela, parce que toutes ont connu lÕexistence dÕun Etre suprieur, et que toutes ont senti le besoin et le dsir de lÕavoir pour appui.
Du zle sans lumire
Si les hommes ainsi livrs eux-mmes, avaient pu apporter autant de vertu et de bonne foi que de zle, dans ces tablissements, chacun dÕeux et suivi en paix le culte quÕil aurait adopt, sans dprimer ceux o il aurait aperu des diffrences. Mais comme le zle sans lumire ne mne que plus promptement lÕerreur, ils ont donn exclusivement la prfrence leur ouvrage ; le mme principe qui les avait fait marcher seuls pour sÕtablir un culte, les a conduits regarder ce culte comme le seul vritable ; ils ont cru en remplir encore mieux les devoirs, en nÕen laissant subsister aucun autre ; ils se sont fait un mrite auprs de leur idole, de se combattre et de se perscuter mutuellement, parce que dans leurs vues tnbreuses, ils avaient joint leur propre cause la sienne, et il nÕy a presque pas eu de Nation qui nÕait cru honorer lÕEtre suprieur, en proscrivant les cultes diffrents de celui quÕelle avait choisi.
CÕest l, comme on le sait, une des principales causes des guerres, soit gnrales, soit particulires, et des dsordres que lÕon voit tous les jours troubler les diverses classes qui composent les Corps politiques, et mme renverser les Empires les mieux affermis, quoiquÕil y ait en eux une infinit dÕautres causes de division assez connues et trop futiles pour que je mÕoccupe dÕen faire, ni lÕnumration, ni lÕexamen dans cet Ouvrage.
Or, toutes ces erreurs et tous ces crimes que les hommes ont fait au nom de leur Religion, viennent-ils dÕune autre source que de ce quÕils se sont mis la place de la main claire qui devait les conduire, et quÕils ont cru tre guids par un Principe vrai, pendant quÕils ne lÕtaient que par eux-mmes.
Il faut donc conclure dÕabord de ce qui vient de prcder, que tous les hommes, par lÕunique secours de leurs rflexions, et par la voix de leur sentiment intrieur, nÕont pu sÕempcher de reconnatre lÕexistence dÕun Etre suprieur quelconque, de mme que la ncessit dÕun culte envers lui ; cÕest une ide que lÕhomme ne peut effacer en lui-mme, quoiquÕelle sÕobscurcisse si souvent dans le plus grand nombre.
Et certes, nous devons en tre peu surpris, puisquÕil y en a qui ont laiss sÕteindre en eux lÕide mme de leur Etre, et en qui les facults intrieures se sont tellement affaiblies, quÕils se sont crus mortels et prissables.
Du mobile de lÕHomme
Mais il faut conclure galement que si cette ide de lÕexistence dÕun Etre suprieur et de la ncessit dÕun culte, est dans lÕessence de lÕhomme, cÕest aussi le dernier terme o il puisse parvenir tout seul ici-bas : ce sont l les uniques fruits qui puissent provenir de sa facult sensible, et de sa facult intellectuelle livres leurs propres efforts. Ce sentiment est un germe fondamental dans lÕhomme ; mais si aucune puissance ne vient ractionner ce germe, il ne peut rien manifester de solide, et coup sr ses productions nÕauront aucune consistance, de mme que les germes des Etres corporels demeureraient sans action et sans production, si une Cause active et intelligente nÕen dirigeait la raction et gnralement tous les actes qui les concernent.
Nous nous persuaderons bien plus encore de la vrit de cette pense, quand nous rflchirons sur la nature et les proprits de la Cause intelligente et active ; elle est distincte de la Cause premire, elle en est le premier agent, elle ne donne point les germes aux Etres corporels, mais elle les anime ; elle ne donne point les facults intellectuelles et sensibles lÕhomme, mais elle les dirige et les claire. En un mot, tant la premire, et la souveraine de toutes les Causes temporelles, elle est charge seule de les conduire, et il nÕy en a pas une qui puisse se passer de son secours, et qui ne lui soit assujettie.
Si cÕest donc par elle exclusivement que les choses se manifestent, rien sans elle ne pourra devenir sensible ; or, ne pouvant ici-bas connatre que par le sensible, comment y russirons-nous, si cette mme Cause active et intelligente nÕagit pas elle-mme avec nous, et nÕopre pas ce quÕelle seule peut oprer dans lÕUnivers ?
Nous voyons donc alors quelle est la ncessit absolue que les deux facults de lÕhomme soient toujours guides et soutenues par cette Cause temporelle, universelle ; elle ne donnera point lÕhomme lÕide de lÕEtre premier dont elle est la premire Cause agissante, mais elle fera connatre lÕhomme les facults de cet Etre premier, en les manifestant par des productions sensibles ; elle ne donnera pas non plus lÕhomme lÕide dÕun culte envers cet Etre premier, mais elle claircira ses ides sur cet objet, et en lui rendant sensibles les facults de cet Etre premier, elle lui rendra galement sensibles les moyens sr de lÕhonorer.
De lÕunit dans le culte
CÕest l que je vois cesser tous les doutes de lÕhomme, et toutes les variations qui en sont les suites : cette Cause active et intelligente tant prpose pour actionner et diriger tout, ne peut manquer de concilier tout, lorsque son pouvoir sera employ ; et le seul et unique moyen que lÕhomme ait de ne se pas tromper, cÕest de ne lÕexclure dÕaucun de ses actes, dÕaucune de ses institutions, dÕaucuns de ses tablissements, comme elle nÕest exclue dÕaucun des actes rguliers de la Nature. Alors lÕhomme sera, sr de connatre les vrais rapports de ce quÕil cherche ; il nÕy aura plus de disparit entre les Religions des Peuples, puisquÕils auront tous la mme lumire, il nÕy aura plus entre eux de difficults sur les dogmes, ni sur le culte, puisquÕil connatront la raison premire des choses ; en un mot, tout sera dÕaccord, parce que chacun marchera selon la vritable Loi.
Nous ne pouvons donc plus douter que la raison de toutes ces diffrences que les nations nous offrent dans leurs dogmes et dans leur culte, ne vienne de ce que dans leurs institutions, elles ne se sont pas appuyes de cette Cause active et intelligente qui seule devait les conduire, et qui pouvait seule les runir ; nous ne pouvons plus douter, dis-je, que sa Lumire ne soit le seul point de ralliement ; que hors dÕelle il nÕy ait dÕautre espoir que lÕerreur et la souffrance, et que ce ne soit elle qui convienne essentiellement et par nature, cette vrit invincible que hors le centre il nÕy a rien de fixe.
On ne me souponnera pas, je lÕespre, dÕaprs cet expos, de vouloir tablir lÕgalit et lÕindiffrence entre les divers cultes qui sont en usage parmi les Peuples de la terre, et bien moins encore de vouloir enseigner lÕinutilit dÕun culte. Au contraire, jÕannonce quÕil nÕy a pas un Peuple qui nÕen ait senti la ncessit, jÕannonce encore que ce culte doit exister aussi longtemps quÕil y aura des hommes sur la terre ; mais que tant quÕils ne seront pas soutenus par un appui qui leur soit commun, il est invitable quÕils soient diviss, et par consquent, il sera impossible quÕils atteignent le but quÕils se proposent. Ainsi, non seulement je maintiens la ncessit dÕun culte, mais je fais voir encore plus clairement la ncessit dÕun seul culte, puisque cÕest un seul Chef, ou une seule Cause qui doit le diriger.
On ne doit pas non plus me demander actuellement, quel est celui de tous les cultes tablis, qui est le vritable culte ; le principe que je viens de poser doit servir de rponse toutes les questions sur cet objet. Le culte qui sera dirig par cette Cause active et intelligente, sera ncessairement juste et bon : le culte o elle ne prsidera pas, sera certainement nul ou mauvais : voil la rgle. CÕest ceux qui, parmi les diffrentes nations, sont chargs dÕinstruire les hommes et de les conduire dans la carrire, confronter leurs statuts et leur marche avec la Loi que nous leur prsentons ; notre but nÕest pas de juger les cultes tablis, mais dÕen mettre les Chefs et les Ministres en tat de se juger eux-mmes.
Incertitudes de lÕHomme
Je dois mÕattendre une objection toute naturelle, relativement cette Cause active et intelligente que jÕai fait connatre comme Chef principal et unique de tout ce qui doit sÕoprer gnralement dans lÕUnivers. Les hommes peuvent bien convenir de la ncessit de lÕaction de cette Cause sur les Etres corporels ; ils ne peuvent pas mme douter quÕelle nÕait lieu, par la rgularit et lÕuniformit des rsultats qui en proviennent : mais, me dira-t-on, quand mme ils en viendraient convenir aussi de la ncessit de lÕaction de cette Cause, pour diriger toute la conduite des hommes, quels moyens auraient-ils pour savoir quand elle y prside ou non? Car leurs dogmes et leurs tablissements en ce genre, nÕayant pas la moindre uniformit, il leur faut absolument une autre Loi que celle de lÕopinion, pour sÕassurer quÕils sont dans le vrai chemin.
CÕest ici que lÕhomme montre sa faiblesse et son impuissance, et cÕest en mme temps par l quÕil donne dÕautant plus de force ce que nous avons dit ; car, si lÕhomme pouvait par lui-mme choisir et fixer son culte, le pouvoir de la Cause active et intelligente, que je reconnais comme indispensable, deviendrait alors superflu pour cet objet.
Rgle de lÕHomme
Si cependant cette Cause active et intelligente ne pouvait jamais tre connue sensiblement par lÕhomme, il ne pourrait jamais tre sr dÕavoir trouv la meilleure route, et de possder le vritable culte, puisque cÕest cette Cause qui doit tout oprer, et tout manifester ; il faut donc que lÕhomme puisse avoir la certitude dont nous parlons, et que ce ne soit pas lÕhomme qui la lui donne ; il faut que cette Cause elle-mme offre clairement lÕintelligence et aux yeux de lÕhomme, les tmoignages de son approbation ; il faut enfin, si lÕhomme peut tre tromp par les hommes, quÕil ait des moyens de ne pas se tromper lui-mme, et quÕil ait sous la main des ressources dÕo il puisse attendre des secours vidents.
Les Principes que jÕai si souvent tablis, nous prouvent assez la certitude de ce que jÕavance. NÕavons-nous pas dj reconnu plusieurs fois que lÕhomme tait libre ? Comme tel, nÕest-il pas responsable des effets bons ou mauvais qui doivent rsulter de son choix parmi les penses bonnes ou mauvaises qui lui parviennent ? En serait-il responsable, sÕil nÕavait en lui la facult de les dmler sans erreur ? Nous voyons donc que de tous les actes quÕil enfante, il nÕen est aucun quÕil ne soit tenu essentiellement de confronter avec sa rgle, et que, tant quÕil nÕen verra pas la conformit avec cette rgle, il ne sera absolument sr de rien.
Or, quelle peut tre cette rgle, sinon lÕaveu et lÕadhsion de la Cause active et intelligente, qui tant prpose pour diriger tous les Etres soumis au temps, doit visiblement mettre lÕquilibre, entre les diffrentes facults de lÕhomme, comme elle le met parmi les diffrentes actions des Etres corporels, ou de la Matire.
Car, si elle est prpose pour diriger les facults de lÕhomme, plus forte raison doit-elle en diriger les actions ? Et, parmi ces actions, certes, la moins indiffrente est celle par laquelle il doit observer fidlement les Lois qui peuvent lui concilier le Principe premier, et le rapprocher de cet Etre auquel il sent universellement quÕil doit des hommages. Et, si la Cause active et intelligente est le soutien infaillible qui doit tayer lÕhomme dans tous ses pas, si elle est la lumire sre qui doit diriger tous les actes de son Etre pensant, il est de toute ncessit que ce guide universel vienne prsider lÕinstitution du culte de lÕhomme, comme toutes ses autres actions, et quÕil y prside dÕune manire qui mette sa voix et son tmoignage lÕabri de toute incertitude.
La question nÕest pas encore rsolue, je le sais ; et dire quelle est la ncessit que la Cause active et intelligente fixe elle-mme les Lois de nos hommages envers le premier Principe, ce nÕest pas prouver quÕelle le fasse. Mais, aprs avoir annonc dÕo lÕhomme devait tirer cette preuve, on ne peut plus attendre dÕautres indications de ma part. Je ne citerai pas mme ma propre et personnelle exprience, quelque confiance que jÕy doive apporter. Il y a eu un temps o je nÕaurais ajout aucune foi des vrits que je pourrais certifier aujourdÕhui. Je serais donc injuste et inconsquent de vouloir commander la persuasion de mes Lecteurs ; non, je ne crains pas de le rpter, je dsire sincrement quÕaucun dÕeux ne me croie sur ma parole, parce que, comme homme, je nÕai point de droits la confiance de mes semblables ; mais je serais au comble de ma joie, si chacun dÕeux pouvait prendre une assez grande ide de lui-mme et de la Cause qui veille sur lui, pour esprer que par sa persvrance et ses efforts, il lui serait possible de sÕassurer de la vrit.
Des dogmes mystrieux
Je sais que par des vues sages et hors de la porte du vulgaire, les Chefs et les Ministres de presque toutes les Religions en ont annonc les dogmes avec prudence, et surtout avec une rserve quÕon ne peut assez louer ; pntrs sans doute de la sublimit de leurs fonctions, ils ont senti combien la multitude devait en rester loigne, et cÕest srement pour cela, quÕtant dpositaires de la clef de la Science, ils ont mieux aim amener les Peuples avoir pour elle une vnration tnbreuse, que dÕen exposer les secrets la profanation.
SÕil est vrai que ce soient l leurs motifs, je ne peux les blmer. LÕombre et le silence sont les asiles que la vrit prfre ; et ceux qui la possdent, ne peuvent prendre trop de prcautions pour la conserver dans sa puret ; mais ne puis-je leur reprsenter quÕils auraient d craindre aussi de lÕempcher de se rpandre, quÕils sont prposs pour la faire fructifier, pour veiller sa dfense, et non pour lÕensevelir ; enfin, que la renfermer avec trop de soin, cÕest peut-tre lui faire manquer son but, qui est de sÕtendre et de triompher ?
Je croirais donc quÕils auraient agi trs sagement, sÕils avaient approfondi davantage ce mot Mystre, dont ils ont fait un rempart leurs religions. Ils pouvaient bien tendre des voiles sur les points importants, en annoncer le dveloppement comme le prix du travail et de la constance, et prouver par l leurs proslytes, en exerant la fois leur intelligence et leur zle ; mais ils ne devaient pas rendre ces dcouvertes si impraticables que lÕUnivers en ft dcourag ; ils ne devaient pas rendre inutiles les plus belles facults de lÕEtre pensant, qui ayant pris naissance dans le sjour de la lumire, tait dj assez malheureux de ne plus habiter auprs dÕelle, sans quÕon lui tt encore lÕesprance de lÕapercevoir ici-bas ; en un mot, jÕaurais leur place, annonc un Mystre comme une vrit voile, et non comme une vrit impntrable, et jÕai le bonheur dÕavoir la preuve que cette dfinition aurait mieux valu.
Rien ne mÕempchera donc de persvrer dans les principes que je mÕefforce de rappeler aux hommes, et dÕassurer mes semblables que non seulement la Cause active et intelligente doit ncessairement les diriger dans tous leurs actes, et par consquent dans ceux qui ont rapport au culte, mais encore, quÕil est en leur pouvoir de sÕen assurer par eux-mmes, et cela dÕune manire qui ne leur laisse point de doutes.
En effet, il ne faut quÕobserver la conduite des diffrentes Nations, pour apercevoir quÕelles ont toutes regard leur culte comme tant fond sur la base que je viens dÕtablir. Ne sait-on pas avec quelle ardeur elles ont dfendu leurs crmonies et leurs dogmes religieux ? Chacune dÕelle nÕa-t-elle pas soutenu sa Religion, avec autant de zle et dÕintrpidit, que si elle et eu la certitude que la vrit mme lÕavait tablie ?
Que dis-je, ce nom de vrit nÕest-il pas le rempart de toutes les Sectes et de toutes les Opinions ? NÕa-t-on pas vu les Ministres mmes des plus grandes abominations, sÕenvelopper de ce nom sacr, sachant bien que par l ils en imposeraient plus srement aux peuples ? Pourquoi donc cette marche serait-elle si universelle, si le Principe nÕen tait pas dans lÕhomme ? Pourquoi, mme dans ses faux pas, chercherait-il sÕappuyer dÕun nom qui en impose, sÕil ne connaissait pas intrieurement que ce nom est puissant, et quÕil en a besoin ? Et en mme temps, pourquoi annoncerait-il que ses pas sont dirigs par la vrit, sÕil ne sentait pas quÕils le peuvent tre ?
Nous croyons ces observations suffisantes, pour convaincre nos Lecteurs de la ncessit et de la possibilit du concours dÕune Cause active et intelligente dans toutes les actions des hommes, et principalement dans la connaissance et la pratique des Lois qui doivent diriger leurs hommages envers le premier Etre, que nul dÕentre eux ne peut avoir mconnu de bonne foi.
De lÕextrieur des religions
Ainsi, ds que par leur nature, la Loi leur est impose de ne jamais marcher sans cet appui, et que dÕaprs tous les Principes quÕon vient de voir, il leur est possible de lÕobtenir, il est clair quÕils erreront sans cesse, et seront exposs toutes sortes de dangers, lorsquÕils voudront agir par eux-mmes. Alors ils seront bien plus condamnables encore de sÕannoncer aux autres hommes, comme tant guids par cette vraie lumire, quand ils nÕen auront pas la certitude.
Mais, quelles que soient ce sujet leurs Erreurs ou leur mauvaise foi, quelques bizarreries quÕils puissent introduire dans leurs institutions religieuses, nous devons assez reconnatre prsent comme je lÕai dj dit, quÕon nÕen peut pas conclure quÕil nÕy ait ni rgle, ni vrit pour lÕhomme. Nous devons voir bien plutt, que les mprises des hommes en ce genre, ne peuvent tomber sur dÕautres objets, que sur lÕextrieur et le sensible de leurs Religions, et quÕtant infrieurs et absolument subordonns lÕEtre premier, toutes les opinions et toutes les contradictions quÕils pourront enfanter, ne lui porteront jamais la moindre atteinte.
De la morale
CÕest l la premire consquence que lÕon doit insrer de tout ce quÕon vient de lire sur la diversit des Religions et des cultes. Par l lÕhomme sage et accoutum percer lÕenveloppe des choses, ne doit plus se laisser sduire par la varit des tablissements de cette espce, ni tre branl par les contradictions universelles des hommes sur cet objet. Il doit voir actuellement quelle en est la source, et ne pas douter que si lÕhomme porte en lui lÕide du premier Etre, il doit aussi avoir un moyen fixe et uniforme de lui tmoigner quÕil le commit et quÕil lui rend hommage, moyen qui doit tre un et aussi inaltrable que cet Etre mme, quoique les hommes se mprennent chaque jour sur la nature de lÕun et de lÕautre.
CÕest l en mme temps o nous pouvons voir le peu de confiance que mritent ceux qui prtendent prouver une religion par la Morale, et combien ils sont dignes du peu de succs quÕils ont ordinairement. Car la Morale, quoique tant un des premiers devoirs de lÕhomme actuel, nÕa pas toujours t enseigne par des Matres assez clairs pour lÕappliquer juste ; elle a presque toujours t borne au sensible corporel, et ds lors elle a d varier selon les lieux, et selon les diffrentes habitudes dans lesquelles lÕhomme aura fait consister sa vertu : dÕailleurs cette Morale nÕtant jamais que lÕaccessoire de la Religion, lors mme quÕelle est le plus perfectionne, la vouloir employer pour preuve, cÕest annoncer la fois, et quÕon ne connat pas les vritables preuves, et quÕil y en a ncessairement qui portent ce titre.
De lÕanciennet de la religion
Je ne crois pas inutile, non plus, de faire observer que cÕest par l que pchent les Doctrines modernes, qui rduisent toutes les Lois de lÕhomme la Morale, et toute sa Religion des actes dÕhumanit, ou au soulagement des malheureux dans lÕordre matriel, cÕest--dire, cette vertu si naturelle et si peu remarquable, dont mon sicle essaie dÕtayer ses systmes, et qui concentrant lÕhomme dans des Ïuvres purement passives, nÕest plus quÕun voile lÕignorance, et perd tout son prix aux yeux du Sage. Cette vertu est sans doute au nombre de nos obligations, et personne ne doit la ngliger sous aucun prtexte ; mais on ne bornerait pas exclusivement tous nos devoirs, des actes temporels et sensibles, si on ne sÕtait pas persuad que les choses sensibles et lÕhomme sont du mme rang et de la mme nature.
Aprs le rsultat que nous venons dÕapercevoir, nous devons en attendre un second, qui peut nous aider combattre et renverser une autre erreur, laquelle les Observateurs se sont laisss entraner sur le mme sujet, et qui tient naturellement la mme source.
En effet, si selon eux, la connaissance dÕun Etre suprieur, objet dÕun culte, ainsi que celle de la ncessit de ce culte, nÕtaient point innes dans lÕhomme, il sÕensuivrait que lÕorigine et la naissance des institutions religieuses seraient tout fait indcises ; il serait alors dÕune difficult insurmontable de savoir de quelle manire, ou dans quel temps, elles auraient t imagines, parce quÕalors les hommes nÕayant pour rgle et pour Loi que les rvolutions continuelles de la Nature, ou les impulsions de leur caprice et de leur volont, chaque instant aurait pu tre lÕpoque dÕune nouvelle Religion, comme chaque instant aurait pu anantir les plus anciennes, et successivement dtruire toutes celles qui sont en honneur sur la terre.
Dans cette supposition, il serait trs certain que les institutions dont nous parlons, nÕtant plus que lÕouvrage de la faiblesse ou de lÕintrt, non seulement lÕhomme vrai pourrait les mpriser, mais mme il devrait employer ses efforts, pour en effacer jusquÕ la moindre trace dans lui-mme et dans tous ses semblables.
Mais, aprs avoir assur tous nos principes, en les fondant, comme nous lÕavons fait, sur la nature de lÕhomme, aprs avoir reconnu lÕuniversalit dÕune base fondamentale toutes les Religions des peuples, on devrait tre suffisamment persuad que ce sentiment nat avec lÕhomme, et ds lors toute difficult devrait cesser sur lÕorigine de cette ide dÕun Etre suprieur et du culte qui lui est d.
De lÕaffinit des tres pensants
On ne verrait plus dans lÕaccord et la conformit des ides des Peuples sur ces deux points, que les fruits naturels de ce germe indestructible, inn dans tous les hommes, et qui leur a parl dans tous les temps, quoique nous ne puissions nier les usages bizarres et faux quÕil en ont presque toujours faits ; on ne peut dire autant des Lois uniformes quÕils devraient tous observer dans leur culte ; car, quoique par une funeste suite de leur Libert, ils loignent et mconnaissent presque continuellement la Cause physique suprieure, prpose pour diriger ce culte, ainsi que toutes leurs autres actions, on verrait bientt quÕils nÕont jamais t privs de la facult de la sentir et de lÕentendre, puisque ds lors quÕils sont lis au temps, cette Cause active et intelligente, qui veille essentiellement sur le temps, nÕa jamais pu les perdre de vue, comme eux-mmes auraient encore cet avantage son gard, sÕils nÕtaient les premiers la fuir et lÕabandonner.
Si nous voulons nous convaincre encore mieux des rapports qui se trouvent entre lÕhomme et ces vrits lumineuses, dont nous lÕannonons comme dpositaire, nous nÕavons quÕ rflchir sur la nature de la pense ; nous verrons bientt quÕtant simple, unique et immuable, il ne peut y avoir quÕune seule espce dÕEtres qui en soient susceptibles, parce que rien nÕest commun parmi des Etres de diffrente nature ; nous verrons que si lÕhomme a en lui cette ide primitive dÕun Etre suprieur, et dÕune Cause active et intelligente qui excute ses volonts, il doit tre de la mme Essence que cet Etre suprieur et que la Cause qui correspond de lÕun lÕautre ; nous verrons, dis-je, que la pense leur doit tre commune, tandis que tous les Etres qui ne pourront recevoir aucune communication de cette pense, ni en donner le moindre tmoignage, seront exclus ncessairement de la classe de ceux dont nous parlons.
Et cÕest bien par l que lÕhomme pourrait acqurir des lumires sur lui-mme, en apprenant se distinguer de tous les Etres passifs et corporels qui lÕenvironnent. Car, quelque effort quÕil emploie pour se faire entendre de quelquÕun dÕeux, sur les principes de la justice, sur la connaissance dÕun Etre suprieur et des autres objets qui sont du ressort de sa pense, il nÕapercevra dans cet Etre corporel et sensible aucun signe, aucune dmonstration qui lui annonce quÕil en ait t entendu. Tout ce quÕil pourra obtenir, et non encore de tous les animaux, cÕest de leur faire concevoir et excuter les actes de sa volont, sans toutefois quÕils en comprennent la raison ; encore faudrait-il, pour la perfection de ce commerce, que lÕhomme pt se rappeler leur langage naturel dont il a perdu la connaissance ; car les moyens factices dont il se sert aujourdÕhui pour y suppler, ne sont que des preuves de son impuissance, et ne servent quÕ lui montrer que la grandeur ne consiste pas dans lÕindustrie, mais dans la force et dans lÕautorit.
Lorsque lÕhomme au contraire, cessant de fixer les yeux sur les Etres sensibles et corporels, les ramne sur son Etre propre, et que dans le dessein de le connatre, il fait usage avec soin de sa facult intellectuelle ; sa vue acquiert une tendue immense, il conoit et touche, pour ainsi dire, des rayons de lumire quÕil sent bien tre hors de lui, mais dont il sent aussi toute lÕanalogie avec lui-mme ; des ides neuves descendent dans lui, mais il est surpris, tout en les admirant, de ne les point trouver trangres. Or, y verrait-il tant de rapports avec lui-mme, si leur source et la sienne nÕtaient pas semblables ? Se trouverait-il si lÕaise et si satisfait, la vue des lueurs de vrit qui se communiquent lui, si leur Principe et le sien nÕavaient pas la mme essence ?
CÕest l ce qui nous fait reconnatre que la pense de lÕhomme tant semblable celle de lÕEtre premier, et celle de la Cause active et intelligente, il doit y avoir eu entre eux une correspondance parfaite ds le moment de lÕexistence de lÕhomme. Alors, si cÕest vraiment sur cette affinit ncessaire entre tout Etre pensant, que sont fondes toutes les Lois qui doivent diriger lÕhomme, tant dans la connaissance de lÕEtre suprieur, que dans celle du culte quÕil doit lui rendre, nous pouvons voir prsent, avec vidence, quelle a d tre lÕorigine de la Religion parmi les hommes, et si elle nÕest pas aussi ancienne quÕeux-mmes.
Diffrence entre les tres immatriels
Cependant, la similitude que je viens de faire entrevoir entre tous les Etres qui sont dous de la pense, exige que je fasse remarquer en ce moment une distinction importante qui chappe la plus grande partie des hommes, ce qui les retient dans dÕpaisses tnbres, et les expose aux mprises les moins excusables.
En effet, sÕils accordent la pense un Etre immatriel, tel que lÕhomme, et quÕon leur avoue, comme je lÕai fait, que le Principe de la Matire est immatriel, ils voudront aussi que ce Principe ait la pense, et ne concevront pas que lÕon puisse la lui refuser.
DÕun autre ct, si je refuse la pense au Principe immatriel de la Matire, ils ne sauront plus sÕils ne doivent pas la refuser aussi au Principe immatriel de lÕhomme, parce quÕils ne voient dans ces deux diffrents Etres immatriels, quÕune mme nature, et par consquent, que les mmes proprits. Mais cÕest toujours la mme erreur qui les abuse ; cÕest toujours pour ne vouloir pas dmler deux natures aussi distinctes, quÕils se laissent aller aux plus grands carts sur cet objet. Rappelons–les donc aux premiers Principes sur lesquels nous nous sommes dj appuys.
Tous les Etres immatriels proviennent mdiatement ou immdiatement, de la mme source, et cependant ils ne sont pas gaux. Nous ne pouvons douter de cette ingalit des Etres, puisque lÕhomme, qui est un Etre immatriel, reconnat ncessairement au dessus de lui, des Etres immatriels auxquels il doit des hommages et des soins assidus, comme tant dans leur dpendance ; il reconnat que quoiquÕil soit semblable ces Etres immatriels, par sa nature immatrielle et par sa pense, cependant il est infiniment infrieur eux, en ce quÕil peut perdre lÕusage de ses facults et sÕgarer, au lieu que les Etres qui le dominent sont couvert de ce funeste danger.
De mme, le Principe de la Matire est immatriel et indestructible comme le Principe immatriel de lÕhomme, mais ce qui met entre eux une distinction hors de tout rapport, cÕest que lÕun a la pense et que lÕautre ne lÕa point, et cela parce que, comme je viens de le dire, lÕEtre immatriel de lÕhomme provient immdiatement de la source des Etres, au lieu que lÕEtre immatriel de la Matire nÕen provient que mdiatement.
Diffrence entre les tres pensants
Je ne crois pas faire dÕindiscrtion en avouant que cÕest un nombre qui les distingue, ce qui sera expliqu ci-aprs. Je crois en mme temps rendre un service essentiel mes semblables, en les engageant croire des Etres immatriels qui ne pensent point. Car plusieurs Observateurs de mon temps ont cru nÕtre plus Matrialistes, ds quÕils ont pu parvenir admettre et reconnatre comme moi, un Principe immatriel dans la Matire. Mais le Matrialisme consistera-t-il uniquement nÕavoir pas une connaissance parfaite, ni une ide juste de la Matire et de son Principe ; et le vrai Matrialiste nÕest-il pas plutt, et ne sera-t-il pas toujours celui qui mettra dans la mme classe et au mme rang, le Principe immatriel de lÕhomme intellectuel, et le Principe immatriel de la Matire.
Je ne puis donc trop recommander de ne pas confondre les vraies notions que nous portons en nous sur ces objets, et de croire des Etres immatriels qui ne pensent point ; cÕest une distinction et une vrit qui doit rsoudre toutes les difficults quÕon a leves sur cet objet.
Si cependant il restait encore des doutes sur la Pense, que jÕai prsente comme devant tre commune et uniforme dans tous les Etres distincts de la Matire et du sensible, et que, pour appuyer ces doutes, on objectt cette diffrence si remarquable parmi les facults intellectuelles des hommes, que chacun dÕeux parat nÕtre pas en ce genre ,partag plus galement que dans les facults corporelles et sensibles ; je conviendrais avec eux qui auraient cette incertitude, quÕen effet, juger dÕaprs la diffrence universelle que lÕon aperoit dans les facults intellectuelles des hommes, il parat difficile croire quÕils puissent tous avoir une gale ide de leur Etre, ainsi que du culte auquel ils sont tenus envers lui.
Mais nous nÕavons jamais prtendu que les ides de tous, fussent gales sur cet objet, il nous suffit quÕelles soient semblables. Il nÕest pas ncessaire, il nÕest pas mme possible que tous les hommes sentent galement leur Principe, mais il constant que tous le sentent, et quÕil nÕy en a aucun qui nÕen ait une ide quelconque. Cet aveu est tout ce que nous souhaitons de leur part, et cÕest la cause active et intelligente faire le reste.
Ce ne sera point trop mÕcarter de mon sujet, que de mÕarrter un instant sur la diffrence naturelle que nous apercevons dans les facults intellectuelles de lÕhomme, et il sera utile dÕapprendre connatre ce quÕelles auraient t dans son origine premire, sÕil se ft maintenu dans sa gloire, et ce quÕelles sont aujourdÕhui quÕil en est descendu.
Quand mme lÕhomme aurait conserv tous les avantages de son premier tat, il est certain que les facults intellectuelles de chacun des hommes de sa postrit auraient annonc des diffrences, parce que ces facults tant toutes le signe du Principe premier dont ils manent, et ce Principe tant toujours neuf, quoique toujours le mme, les signes qui le reprsentent, doivent manifester par eux-mmes sa nouveaut continuelle, et faire connatre par l dÕautant plus sa fcondit. Mais, loin que ces diffrences eussent produit une imperfection, ni caus des peines et des humiliations parmi les hommes, aucun dÕeux ne sÕen fut seulement aperu ; trop occups jouir, ils nÕauraient pas eu le loisir de comparer, et quoique les mesures de leurs facults nÕeussent pas t gales, elles auraient chacune satisfait abondamment ceux qui elles auraient t rparties.
Dans lÕtat actuel de lÕhomme, au contraire, outre ces mmes ingalits originelles qui ont toujours lieu, il est sujet celles qui proviennent des Lois de la rgion sensible quÕil habite ; ce qui rend bien plus pnible encore lÕexercice de ses facults premires, et en multiplie lÕinfini les diffrences. Cependant, nÕtant point condamn la mort, ou la privation perptuelle de ces mmes facults premires, la rgion lmentaire ne fait que lui prsenter un obstacle de plus, et il a toujours lÕobligation indispensable de travailler la surmonter ; enfin aujourdÕhui, comme dans son premier tat, la mesure de ses dons serait suffisante, sÕil avait toujours la ferme rsolution de les employer son profit.
Mais qui ne sait que loin de tirer avantage de ces obstacles, et de les faire tourner sa gloire, lÕhomme les augmente encore par lÕusage faux de sa volont, par les gnrations irrgulires, par lÕignorance o sÕil sÕenfonce tous les jours sur les choses qui lui conviennent, ou qui lui sont contraires, ainsi que par une multitude dÕautres causes qui occasionnent sans cesse le dprissement de ces mmes facults, et qui les dnaturent au point de les rendre presque mconnaissables.
Aussi, dans cet tat de dgradation o lÕhomme se laisse entraner, il perd la vritable notion des privilges qui lui appartiennent, son cÏur se vide, et ne connaissant plus ses vraies jouissances, il se rabaisse, et ne sÕestime plus que sur des diffrences conventionnelles, qui nÕexistent que dans sa volont drgle, mais auxquelles il sÕattache avec dÕautant plus dÕardeur, quÕayant laiss chapper son seul appui, il nÕa plus rien qui le soutienne.
Cependant, malgr ces diffrences originelles, multiplies encore, soit par les cueils de la rgion sensible, soit par les vicieuses habitudes des hommes, pourrons-nous jamais dire que lÕhomme ait chang de nature, pendant que nous avons vu que les Etres corporels mmes ne sauraient en changer, malgr la multitude des rvolutions, auxquelles leur propre Loi et la main de lÕhomme peuvent les assujettir ?
Tribut impos lÕHomme
Or, sÕil est de la nature et de lÕessence des hommes dÕavouer un Etre suprieur, et de sentir quÕtant attachs la rgion sensible, il doit y avoir un moyen sensible de lui faire parvenir leurs hommages, il est certain que, malgr tous leurs garements, la Loi ne saurait jamais varier pour eux. Ils pourront rendre leur tche plus longue et plus difficile, comme ils le font en effet tous les jours par leur aveuglement et leur imprudence, mais ils ne se dispenseront jamais de lÕobligation de la remplir. Soit que lÕun se trouve plus charg que lÕautre par sa nature, soit quÕil le devienne par sa propre faute, il faudra nanmoins que le tribut de chacun se paie, et ce tribut nÕest autre chose, de la part de lÕhomme, que le sentiment, lÕaveu et le juste emploi des facults qui le constituent.
Alors, quelque dfigur que soit lÕhomme, nous devons toujours trouver en lui sa Loi premire, puisque sa nature est toujours la mme ; nous devons toujours le trouver semblable lÕEtre qui lui communique la pense, puisque cette pense ne peut correspondre quÕentre des Etres de mme nature ; nous devons, dis-je, le reconnatre comme insparablement li lÕide de son Principe, et celle des devoirs qui lÕattachent lui, puisque tant convenus que ces ides sont universelles parmi les hommes, nous nÕavons pas pu nier quÕelles ne naissent et quÕelles ne vivent perptuellement avec eux.
Erreur sur lÕorigine de la religion
CÕest pour cela que nous avons port jusquÕ lÕorigine mme de lÕhomme, lÕpoque de la naissance de sa Religion.
Quel cas pouvons-nous faire alors des opinions imprudentes et insenses, qui ont fait natre cette institution sacre, de la crainte et de la timidit des hommes ? Comment de pareilles faiblesses leur pourraient-elles donner une ide aussi sublime que celle dÕun guide qui peut les clairer et les soutenir tous leurs pas, si le germe nÕen tait pas dans leur sein ? Et, puisquÕils portent ce germe en eux-mmes, pourquoi lui chercher une autre origine ?
Non, sans doute, on ne dira plus que les effrayantes rvolutions de la Nature auront donn naissance cette ide dans lÕhomme. Tout au plus, auraient-elles t un des moyens propres ranimer dans lui les facults prcieuses qui sÕy sont si souvent assoupies ; mais jamais elles ne lui auront communiqu le germe de ces facults, puisque ce nÕest que par l quÕil est homme.
Bien moins encore, lui auraient-elles donn, toutes les lumires et toutes les connaissances ncessaires lÕentier accomplissement des devoirs relatifs sa Religion et son culte, puisquÕen mme temps que lÕhomme sent que ces lumires lui manquent, il sent quÕil ne peut les tenir que dÕune Cause intelligente, qui tant au dessus de lui, est plus forte raison au-dessus de la Nature matrielle. Or, si lÕhomme, malgr sa misre et sa privation, est encore par son essence au dessus de cette mme Nature matrielle, quels sont donc les secours et les lumires quÕil pourrait en attendre ?
On voit par l quels mdiocres fruits toutes les rvolutions de la Rgion lmentaire ont pu produire dans lÕhomme, et combien il serait draisonnable dÕy chercher la source de ses vertus et de sa grandeur.
Ce nÕest pas, comme je viens de le dire, que les terribles vnements auxquels la Nature lmentaire est expose, nÕaient servi souvent rveiller les facults intellectuelles engourdies dans lÕhomme, en le rappelant la fois lÕide de lÕEtre premier, et la ncessit de lÕhonorer.
Je veux mme que dans la fcheuse situation o il sÕest trouv frquemment, et qui a d devenir encore plus affreuse par lÕignorance laquelle il sÕest presque toujours abandonn, il ait choisi parmi les objets pars autour de lui, ceux qui lui ont paru les plus puissants, et quÕil leur ait adress des vÏux pour en obtenir des secours contre les malheurs qui le menaaient ; je veux quÕayant ainsi fait choix de ses Dieux, il leur ait encore rendu un culte sensible et quÕil leur ait offert des sacrifices ; je veux que la mme mprise ayant eu lieu diversement en diffrentes parties de la Terre, selon que lÕhomme y aura t plus ou moins effray, ait t l une des causes qui ont produit la varit qui se trouve entre toutes les Religions.
Que pourrait-on statuer dÕaprs cela qui ft contraire au principe que je dfends ? Ne voit-on pas quel a t le mobile de ces Institutions ; ne voit-on pas quel en est le frivole objet ? Ne voit-on pas enfin que ceux mmes qui les ont tablies, ne pouvant se cacher lÕinfirmit de leurs Idoles, ont cherch les tayer en en multipliant le nombre, que souvent ils les ont rpudies pour les remplacer ensuite leur gr, et quÕils ont montr la mme inconstance dans le choix des moyens quÕils avaient employs pour se les rendre favorables. Or, si cÕtait une lumire fixe qui les et dirigs, ils seraient eux et leurs Ïuvres couvert de toutes ces contradictions.
Il est donc vident que ceux qui ont observ de pareils faits, en ont port beaucoup trop loin les consquences. De ce que la crainte et la superstition ont fait natre des institutions Religieuses en diffrents lieux, ou, ce qui est encore plus vrai, ont introduit des varits dans les Religions dj tablies, il ne serait pas juste de conclure que telle a t la source de toutes les Religions, et que cÕest l o lÕhomme a puis les principes et les notions qui lui sont communes universellement avec ses semblables. Mais il nÕest pas absolument impossible de montrer encore plus clairement la cause de cette erreur, et de la mettre entirement dcouvert.
NÕai-je pas annonc lÕhomme comme tant un assemblage de facults sensibles et de facults intellectuelles ? NÕa-t-on pas d concevoir par l que ses facults sensibles lui tant communes avec les btes, il devenait ds lors susceptible dÕhabitudes comme elles ; mais aussi que ces habitudes, tenant toutes au sensible, ne pouvaient natre que par le secours des causes et des moyens sensibles.
NÕa-t-on pas d concevoir, au contraire, que les facults intellectuelles de lÕhomme tant dÕun ordre suprieur aux causes sensibles, ne pouvaient pas tre commandes par ces causes sensibles, et quÕil leur fallait, pour les mouvoir et les animer, la raction dÕune cause et dÕun agent dÕun autre ordre, cÕest--dire, qui ft de la mme nature que lÕEtre intellectuel de lÕhomme.
CÕest donc l que se trouve la solution du problme ; il fallait distinguer les Ïuvres sensibles de lÕhomme dÕavec ses ides premires qui nÕappartiennent quÕ son Etre intellectuel ; il fallait voir que le climat, la temprature et tous les accidents plus ou moins considrables de la Nature matrielle et sensible pouvait bien oprer sur les mÏurs, les habitudes et les actions extrieures de lÕhomme, quÕils pouvaient mme par la liaison de lÕhomme au sensible, oprer passivement sur ses facults intellectuelles ; mais que le concours de toutes les rvolutions lmentaires quelconques ne lui donneraient jamais la moindre ide dÕune Cause suprieure, ni des points fondamentaux que nous avons dcouverts en lui ; puisquÕen un mot toutes les causes que nous examinons dans ce moment, tant par leur nature, dans lÕordre sensible, ne peuvent oprer activement que sur le sensible, et jamais ainsi sur lÕintellectuel.
Alors nous ne verrions dans tous ces fruits de la faiblesse et de la crainte de lÕhomme, quÕun usage faux et une application insense de ses facults intellectuelles ; mais nous nÕy verrions jamais leur origine. Car si lors mme que ces facults intellectuelles agissent sur le sensible, elles le font simplement mouvoir, et ne le crent pas, quoiquÕelles lui soient suprieures ; plus forte raison le sensible leur tant infrieur, elles en pourront tre affectes, lorsquÕil agira sur elles, mais elles nÕen recevront jamais la naissance et la vie.
Germe intellectuel de lÕHomme
Nous rentrons donc de nouveau dans notre principe, qui a t de placer lÕexistence de la Religion au premier moment de lÕexistence de lÕhomme.
Si, aprs de semblables dmonstrations, ceux qui ont avanc lÕopinion contraire, persistaient encore la soutenir, et vouloir que lÕhomme et trouv dans des causes infrieures et sensibles, la source des notions et de toutes les lumires dont nous annonons quÕil porte le germe en lui-mme ; nous nÕaurions, pour renverser absolument leur systme, quÕune seule chose leur demander : savoir, pourquoi, si selon eux, les rvolutions de la Nature matrielle ont donn aux hommes une Religion, les Btes nÕont-elles pas aussi la leur ; car elles ont t prsentes, comme les hommes, toutes ces rvolutions.
Cessons donc de nous arrter une pareille opinion, et attachons-nous plutt reconnatre tout le prix du germe qui a t plac dans nous-mmes ; attachons-nous sentir que si ce germe prcieux doit nous rendre des fruits sans nombre, quand il aura reu sa culture naturelle ; il ne pourra aussi annoncer que la confusion et le dsordre, quand il recevra des cultures trangres. Enfin, nÕattribuons quÕ ces fausses cultures, les incertitudes que lÕhomme a montres dans tous les pas quÕil a faits sans son guide.
Premire religion de lÕHomme
Mais je pressens la curiosit de mes Lecteurs sur cette culture naturelle, sur les effets invariables de la Cause active et intelligente que jÕai reconnue comme la lumire indispensable de lÕhomme ; en un mot, sur cette Religion et ce culte unique, qui dÕaprs les principes que jÕai exposs, ramneraient tous les cultes la mme loi.
Quoique jÕaie annonc que ce nÕtait point de la main de son semblable que lÕhomme devait attendre les preuves et les tmoignages certains de ces vrits ; il peut au moins en recevoir le tableau, et je me propose de le lui prsenter.
Je ne lui cacherai cependant pas tous les efforts que je me fais moi-mme pour lÕentreprendre. Je ne jette point les yeux sur la science, que je ne sois couvert de honte, en voyant tout ce que lÕhomme a perdu, et je voudrais que rien de moi ne st ce que je sais, car je ne trouve rien en moi qui en soit digne ; cÕest pour cette raison que je ne puis jamais mÕexprimer sur ces objets que par des symboles.
La Religion de lÕhomme dans son premier tat, tait soumise un culte, comme elle lÕest encore aujourdÕhui, quoique la forme en fut diffrente ; la principale Loi de cet homme tait de porter continuellement sa vue depuis lÕOrient jusquÕ lÕOccident, et depuis le Nord jusquÕau Midi ; cÕest--dire, de dterminer les latitudes et les longitudes dans toutes les parties de lÕUnivers.
CÕest par l quÕil avait une connaissance parfaite de tout ce qui sÕy passait, quÕil purgeait de malfaiteurs tout son empire, quÕil assurait la route aux voyageurs bien intentionns, et quÕil tablissait lÕordre et la paix dans tous les Etats soumis sa domination ; par l aussi, il manifestait pleinement la puissance et la gloire de la Cause premire qui lÕavait charg de ces sublimes fonctions, et cÕtait lui rendre les hommages les plus dignes dÕelle, et les seuls capables de lÕhonorer et de lui plaire ; car tant Une par essence, elle nÕa jamais eu dÕautre objet que de faire rgner son Unit, cÕest--dire, de faire le bonheur de tous les Etres.
Cependant, si lÕhomme nÕet pas t second dans lÕexercice de lÕemploi immense qui lui tait confi, il nÕaurait pu seul en embrasser toutes les parties : aussi avait-il autour de lui des Ministres fidles qui excutaient ses ordres avec prcision et clrit : il pensait, ses Ministres lisaient ses volonts, et les crivaient avec des caractres si nets et si expressifs quÕils taient couvert de toute quivoque.
La premire Religion de lÕhomme tant invariable, il est, malgr sa chute, assujetti aux mmes devoirs ; mais comme il a chang de climat, il a fallu aussi quÕil changet de Loi pour se diriger dans lÕexercice de sa Religion.
Seconde religion de lÕHomme
Or, ce changement nÕest autre chose que de sÕtre soumis la ncessit dÕemployer des moyens sensibles pour un culte qui ne devait jamais les connatre. Nanmoins comme ces moyens se prsentent naturellement lui, il nÕa que trs peu de soins donner pour les chercher, mais beaucoup plus, il est vrai, pour les faire valoir et sÕen servir avec succs.
Premirement, il ne peut faire un pas sans rencontrer son Autel ; et cet Autel est toujours garni de Lampes qui ne sÕteignent point, et qui subsisteront aussi longtemps que lÕAutel mme. En second lieu, il porte toujours lÕencens avec lui, en sorte quÕ tous les instants il peut se livrer aux actes de sa Religion.
Mais avec tous ces avantages, il est effrayant de songer combien lÕhomme est encore loign de son terme, combien il a de tentatives faire avant de parvenir au point de pouvoir remplir entirement ses premiers devoirs ; et mme encore quand il y serait parvenu, resterait-il toujours dans une sujtion irrvocable et qui lui ferait sentir jusquÕ la fin la rigueur de sa condamnation.
Cette sujtion est de ne pouvoir absolument rien de lui-mme, et dÕtre toujours dans la dpendance de cette Cause active et intelligente qui peut seule le remettre sur la voie quand il sÕgare ; qui peut seule lÕy soutenir, et qui doit diriger aujourdÕhui tous ses pas, en sorte que sans elle non seulement il ne peut rien connatre, mais quÕil ne peut pas mme tirer le moindre fruit de ses connaissances et de ses propres facults.
De la lecture et de lÕcriture
En outre, ce nÕest plus comme pendant sa gloire o il lisait jusquÕaux penses les plus intimes de ses Suprieurs et de ses Sujets, et o il pouvait, en consquence, commercer avec eux selon sa volont. Mais dans lÕhorrible expiation laquelle il sÕest expos, il ne peut se flatter de rtablir ce commerce quÕil ne commence par apprendre crire ; heureux ensuite sÕil se trouve dans le cas dÕapprendre lire, car il y a bien des hommes, et mme des plus clbres par leurs connaissances, qui passent leur vie sans avoir jamais lu.
Ce nÕest pas que quelques-uns nÕaient lu sans avoir jamais crit ; mais ce sont l des privilges particuliers, et la Loi gnrale est de commencer par crire ; au lieu que lÕhomme, dans son premier tat, pouvait son gr sÕoccuper continuellement la lecture. Or, comme lÕexpiation de lÕhomme doit se passer dans le temps, cÕest cette Loi du temps qui lÕassujettit une gradation pnible et indispensable dans le recouvrement de ses droits et de ses connaissances, tandis que dans sa premire origine, rien ne se faisait attendre, et que chacune de ses facults rpondant toujours ses besoins, agissait sur le champ selon son dsir.
Du Livre de lÕHomme
Ces avantages inexprimables taient attachs la possession et lÕintelligence dÕun Livre sans prix, qui tait au nombre des dons que lÕhomme avait reus avec la naissance. Quoique ce Livre ne contnt que dix feuilles, il renfermait toutes les lumires et toutes les Sciences de ce qui a t, de ce qui est et de ce qui sera ; et le pouvoir de lÕhomme tait si tendu alors, quÕil avait la facult de lire la fois dans les dix feuilles du Livre et de lÕembrasser dÕun coup dÕÏil.
Lors de sa dgradation, le mme Livre lui est bien rest, mais il a t priv de la facult de pouvoir y lire aussi facilement, et il ne peut plus en connatre toutes les feuilles que lÕune aprs lÕautre. Cependant il ne sera jamais entirement rtabli dans ses droits quÕil ne les ait toutes tudies ; car, quoique chacune de ces dix feuilles contienne une connaissance particulire et qui lui soit propre, elles sont nanmoins tellement lies, quÕil est impossible dÕen possder une parfaitement, sans tre parvenu les connatre toutes ; et quoique jÕaie dit que lÕhomme ne pouvait plus les lire que successivement, aucun de ses pas ne serait assur, sÕil ne les avait parcourues en entier, et principalement la quatrime, qui sert de point de ralliement toutes les autres.
CÕest une vrit sur laquelle les hommes ont peu fix leur attention, cÕest cependant celle quÕil leur tait infiniment ncessaire dÕobserver et de connatre : car ils naissent tous le Livre la main ; et si lÕtude et lÕintelligence de ce Livre sont prcisment la tche quÕils ont remplir, on peut juger de quel intrt il est pour eux de nÕy pas faire de mprise.
Mais leur ngligence sur cet objet a t porte un point extrme ; il nÕen est presque pas parmi eux qui aient remarqu cette union essentielle des dix feuilles du Livre, par laquelle elles sont absolument insparables. Les uns se sont arrts la moiti de ce Livre, dÕautres la troisime feuille, dÕautres la premire ; ce qui a produit les Athes, les Matrialistes et les Distes ; quelques-uns en ont bien aperu la liaison, mais ils nÕont pas saisi la distinction importante quÕil y avait faire entre chacune de ces feuilles, et les trouvant lies, ils les ont crues gales et de la mme nature.
QuÕen est-il arriv ? CÕest que se bornant lÕendroit du Livre quÕils nÕavaient pas eu le courage de passer, et sÕappuyant sur ce quÕils ne parlaient cependant que dÕaprs le Livre, ils ont prtendu quÕils le possdaient tout entier, et se croyant par l infaillibles dans leur doctrine, ils ont fait tous leurs efforts pour le persuader. Mais ces vritables isoles, ne recevant aucune nourriture, ont bientt dpri entre les mains de ceux qui les avaient ainsi spares, et il nÕest plus rest ces hommes imprudents quÕun vain fantme de Science, quÕils ne pouvaient donner comme un corps solide, ni comme un Etre vrai, sans avoir recours lÕimposture.
CÕest de l prcisment dÕo sont sorties toutes les erreurs que nous aurons examiner dans la suite de ce Trait, ainsi que toutes celles que nous avons dj releves sur les deux Principes opposs, sur la nature et les Lois des Etres corporels, sur les diffrentes facults de lÕhomme, sur les principes et lÕorigine de sa Religion et de son culte.
On verra ci-aprs sur quelle partie du Livre sont tombes principalement les mprises ; mais, avant dÕen venir l, nous complterons lÕide quÕon doit avoir de ce Livre incomparable, en donnant le dtail des diffrentes Sciences et des diffrentes proprits, dont chacune de ses feuilles renfermait la connaissance.
La premire traitait du Principe universel, ou du Centre, dÕo manent continuellement tous les Centres. La seconde, de la Cause occasionnelle de lÕUnivers ; de la double Loi corporelle qui le soutient ; de la double Loi intellectuelle, agissant dans le temps ; de la double nature de lÕhomme, et gnralement de tout ce qui est compos et form de deux actions.
La troisime de la base des Corps ; de tous les rsultats et des productions de tous les Genres, et cÕest l que se trouve le nombre des Etres immatriels qui ne pensent point.
La quatrime, de tout ce qui est actif ; du Principe de toutes les Langues, soit temporelles, soit hors du temps ; de la Religion et du culte de lÕhomme, et cÕest l que se trouve le nombre des Etres immatriels qui pensent.
La cinquime, de lÕIdoltrie et de la putrfaction.
La sixime, des Lois de la formation du Monde temporel, et de la division naturelle du Cercle par le rayon.
La septime, de la cause des Vents et des Mares ; de lÕchelle gographique de lÕhomme ; de sa vraie Science et de la source de ses productions intellectuelles ou sensibles.
La huitime, du nombre temporel de celui qui est le seul appui, la seule force et le seul espoir de lÕhomme, cÕest--dire, de cet Etre rel et physique, qui a deux noms et quatre nombres, en tant quÕil est la fois actif et intelligent, et que son action sÕtend sur les quatre Mondes. Elle traitait aussi de la Justice et de tous les pouvoirs lgislatifs ; ce qui comprend les droits des Souverains, et lÕautorit des Gnraux et des juges.
La neuvime, de la formation de lÕhomme corporel dans le sein de la femme, et de la dcomposition du triangle universel et particulier.
La dixime enfin tait la voie et le complment des neuf prcdentes. CÕtait sans doute la plus essentielle, et celle sans laquelle toutes les autres ne seraient pas connues, parce quÕen les disposant toutes dix en circonfrence, selon leur ordre numrique, elle se trouve avoir le plus dÕaffinit avec la premire, dont tout mane ; et si lÕon veut juger de son importance, que lÕon sache que cÕest par elle que lÕAuteur des choses est invincible, parce que cÕest une barrire qui le dfend de toutes parts, et que nul Etre ne peut passer.
Ainsi, comme lÕon voit renfermes dans cette numration, toutes les connaissances o lÕhomme peut aspirer, et les Lois qui lui sont imposes, il est clair quÕil ne possdera jamais aucune Science, ni quÕil ne pourra jamais remplir aucun de ses vrais devoirs, sans aller puiser dans cette source ; nous savons aussi actuellement quelle est la main qui doit lÕy conduire, et que si par lui-mme il ne saurait faire un pas vers cette source fconde, il peut tre sr dÕy parvenir, en oubliant sa volont, et laissant agir celle de la Cause active et intelligente qui doit seule agir pour lui.
Flicitons-le donc de pouvoir encore trouver un tel appui dans sa misre ; que son cÏur se remplisse dÕesprance, en voyant quÕil peut mme aujourdÕhui dcouvrir sans erreur, dans ce prcieux Livre, lÕessence et les proprits des Etres, la raison des choses, les Lois certaines et invariables de sa Religion et du culte quÕil doit ncessairement rendre lÕEtre premier ; cÕest--dire, quÕtant la fois intellectuel et sensible, et nÕy ayant rien qui ne soit lÕun ou lÕautre, il doit connatre les rapports de lui-mme avec tout ce qui existe.
Car, si ce Livre nÕa que dix feuilles, et que cependant il contienne tout, rien ne peut exister sans appartenir par sa Nature lÕune des dix feuilles. Or, il nÕy a pas un Etre qui nÕindique lui-mme quelle est sa classe et laquelle des dix feuilles il appartient. Chaque Etre nous offre donc par l les moyens de nous instruire de tout ce qui le concerne. Mais, pour se diriger dans ces connaissances, il faut savoir distinguer les Lois vraies et simples qui constituent la nature des Etres, dÕavec celles que les hommes supposent et leur substituent tous les jours.
Erreurs sur le Livre de lÕHomme
Venons cette partie du Livre, dont jÕai annonc que lÕon avait le plus abus. CÕest cette quatrime feuille qui a t reconnue comme ayant le plus de rapport avec lÕhomme, en ce que cÕest l o taient crits ses devoirs et les vritables Lois de son Etre pensant, de mme que les prceptes de sa Religion et de son culte.
En effet, en suivant avec exactitude, avec constance et avec une intention pure, tous les points qui y taient clairement noncs, il pouvait obtenir des secours de la main mme qui lÕavait puni, sÕlever au dessus de cette Rgion corrompue, dans laquelle il est relgu par condamnation, et retrouver des traces de cette ancienne autorit, en vertu de laquelle il dterminait autrefois les latitudes et les longitudes pour le maintien de lÕordre universel.
Mais, comme cÕest cette quatrime feuille quÕtaient attachs de si puissantes ressources, cÕest aussi, comme nous lÕavons dit, sur cette partie du Livre, que ses erreurs devaient tre les plus importantes ; et en effet si lÕhomme nÕen et point nglig les avantages, tout serait encore heureux et en paix sur la Terre.
La premire de ces erreurs a t de transposer sur cette quatrime feuille, et dÕy substituer la cinquime, ou celle qui traite de lÕidoltrie ; parce quÕalors lÕhomme dfigurant les Lois de sa Religion, ne pouvait en retirer les mmes fruits, ni les mmes secours que sÕil et persvr dans le vrai culte. Au contraire, ne recevant que les tnbres pour rcompense, il sÕy ensevelissait au point de ne plus mme dsirer la lumire.
Telle fut la marche de ce Principe, dont nous avons dit au commencement de cet Ouvrage, quÕil sÕtait fait mauvais par sa propre volont ; telle a t celle du premier homme, et telle a t celle de plusieurs de ses descendants, surtout parmi les Nations qui prennent leur Orient au Sud de la Terre.
CÕest l cette erreur ou ce crime, qui ne se pardonne point, et qui, au contraire, subit indispensablement les punitions les plus rigoureuses ; mais la multitude des hommes est couvert de ces garements ; car ce nÕest quÕen marchant que lÕon tombe, et le plus grand nombre ne marche point ; cependant, comment avancer sans marcher ?
La seconde erreur est dÕavoir pris une ide grossire des proprits attaches cette quatrime feuille, et dÕavoir cru pouvoir les appliquer tout ; car, en les attribuant des objets auxquels elles ne pouvaient convenir, il tait impossible de rien trouver.
Aussi, qui ne sait quel est le peu de succs de ceux qui fondent la Matire sur quatre Elments, qui nÕosent refuser la pense aux btes, qui sÕefforcent de faire quadrer le calcul Solaire avec le calcul Lunaire, qui cherchent la longitude sur la Terre et la quadrature du cercle ; en un mot, qui tentent tous les jours une infinit de dcouvertes de cette nature, et dans lesquelles ils nÕont jamais de rsultats satisfaisants, comme nous continuerons le faire voir dans la suite de ce Trait ? Mais, cette erreur nÕtant pas dirige directement contre le Principe universel, ceux qui la suivent, nÕen sont punis que par lÕignorance, et elle ne demande point dÕexpiration.
Il y en a une troisime, par laquelle, avec cette mme ignorance, lÕhomme sÕest cru trs lgrement en possession des avantages sacrs que cette quatrime feuille pourrait en effet lui communiquer ; dans cette ide, il a rpandu parmi ses semblables les notions incertaines quÕil sÕest faites de la Vrit, et a tourn sur lui les yeux des Peuples, qui ne devaient les porter que vers le premier Etre, vers la Cause Physique active et intelligente, et vers ceux qui par leurs travaux et leurs Vertus avaient obtenu le droit de la reprsenter sur la Terre.
Cette erreur, sans tre aussi funeste que la premire, est cependant infiniment plus dangereuse que la seconde, parce quÕelle donne aux hommes une ide fausse et purile de lÕAuteur des choses, et des sentiers qui mnent lui ; parce quÕenfin chacun de ceux qui ont eu lÕimprudence et lÕaudace de sÕannoncer ainsi, ont pour ainsi dire, tabli autant de Systmes, autant de dogmes et autant de Religions. Or, ces tablissements dj peu solides par eux-mmes, et par le vice de leur Institution, nÕont pu manquer dÕprouver encore des altrations, de faon quÕtant obscurs et tnbreux, ds le moment de leur origine, ils ont par la longueur des temps, dcouvert pleinement leur difformit.
Origine de la diversit des religions
Joignons donc les normes abus qui ont t faits des connaissances renfermes dans la quatrime feuille de ce Livre dont nous naissons tous dpositaires ; joignons la confusion qui en est provenue, tout ce que nous avons observ sur lÕignorance, la crainte et la faiblesse des hommes ; et laissant l les symboles, nous aurons lÕexplication et lÕorigine de cette multitude de Religions et de cultes en usage parmi les nations.
Nous ne pourrons que les mpriser, sans doute, en apercevant cette varit qui les dfigure, et cette opposition mutuelle qui en dcouvre la fausset ; mais lorsque nous ne perdrons pas de vue que ces diffrences et ces bizarreries nÕont jamais pu tomber que sur le sensible, lorsque nous nous rappellerons que lÕhomme par sa pense, tant lÕimage et la similitude du premier Etre pensant, apporte avec lui toutes ses Lois, nous reconnatrons alors que sa Religion nat galement avec lui-mme ; que loin quÕelle ait t en lui une suite de lÕexemple, du caprice, de lÕignorance, et de la frayeur quÕont pu lui inspirer les catastrophes de la Nature, ce sont, au contraire, toutes ces causes qui lÕont si souvent dfigure, et ont amen lÕhomme au point de se dfier mme du seul remde quÕil et ses maux. Nous reconnatrons bien mieux encore quÕil est le seul qui souffre de ses variations et de ses faiblesses ; que la source de son Existence et la voie qui lui est accorde pour y parvenir, nÕen seront jamais moins pures, et quÕil sera toujours sr de trouver un point de runion qui lui soit commun avec ses semblables, quand il portera les yeux vers cette source, et vers la seule lumire qui doit lÕy conduire.
Telles sont les ides que nous devons avoir de la vritable Religion de lÕhomme, et de toutes celles qui ont usurp ce nom sur la terre. Maintenant cherchons la cause des erreurs que les Observateurs ont faites dans la Politique ; car, aprs avoir considr lÕhomme en lui-mme, et relativement son Principe, il parat trs important de le considrer dans ses relations avec ses semblables.
Fin du premier volume
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Table des chapitres de ce premier volume
Introduction
Chapitre 1
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De la cause des erreurs
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De la vrit
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Du bien et du mal
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Du bon et du mauvais principe
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Fausse doctrine sur les deux principes
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De la diffrence des deux principes
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Le mal, rsultat de la libert
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Origine du mal
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Le mal, rsultat de la libert
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De la libert et de la volont
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Ancien tat du mauvais principe
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Etat actuel du mauvais principe
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Incompatibilit du bien et du mal
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Des deux tats de lÕhomme
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Etat primitif de lÕhomme
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Dgradation de lÕhomme
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Peine de lÕhomme
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Voie de sa rhabilitation
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Secours accords lÕhomme
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Travaux de lÕhomme
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Double effet du corps de lÕhomme
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Origine du matrialisme
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Systme des sensations
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Dangers de ce systme
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Facult inne dans lÕhomme
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De lÕancienne enveloppe de lÕhomme
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De la nouvelle enveloppe de lÕhomme
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Deux tres dans lÕhomme
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Le sensible dans la bte
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De lÕtre actif dans la Bible
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Des habitudes dans la bte
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De lÕintellectuel et du sensible
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Manire de distinguer les trois rgnes
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Progression quaternaire universelle
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Union des trois lments
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Supriorit de lÕhomme
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De la pense de lÕhomme
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Des sens de lÕhomme
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Droits de lÕhomme sur sa pense
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Grandeur de lÕhomme
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Mprises sur lÕhomme
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Moyens dÕviter ces mprises 27 Universalit de ces mprises
Chapitre 2
Source universelle des erreurs Des souffrances de la bte
De la double action
Des recherches sur la nature
De la matire et de son principe
De la divisibilit de la matire
Bornes des mathmatiques
Des productions et de leurs principes
De la reproduction des formes
Immuabilit de leurs principes
Des manations de lÕunit
Des tres secondaires
De la gnration des corps
De la destruction des corps
De la digestion
De la rintgration des corps
De la femme
De la vgtation
Des aliments
Du mlange des corps
Des semences vermineuses
Unit dÕaction dans les principes
Faux systme sur la matire
Diversit des essences matrielles
Du systme des dveloppements Rcapitulation
Chapitre 3
Enchanement des erreurs
Droits des tres intelligents
Du principe du mouvement
Mobile de la nature
Des dsordres de la nature
Cause distincte de la matire
Des causes temporelles
Du ternaire universel
LÕair
Division du corps humain
LÕHomme, miroir de la science
Harmonie des lments
Mprises des observateurs
Des lois de la nature
Routes de la science
Du mercure
Du tonnerre
Prservatifs contre le tonnerre
Rapports des lments lÕhomme
Erreurs principales
Du poids, du nombre et de la mesure
Diffrentes actions dans lÕanimal
Diffrentes actions dans lÕintellectuel
Des deux natures de lÕhomme
Des deux natures universelles
Sige de lÕme corporelle
Sige de lÕme intellectuelle
Liaison de lÕintellect au sensible
Des difformits et des maladies
Effets de lÕamputation
Des trois actions temporelles
Source de lÕignorance
Ncessit dÕune troisime cause
Du hasard
De la troisime cause
Remarque sur les deux principes
Enchanement des vrits
Chapitre 4
Tableau allgorique
Imprudence des observateurs
Danger des erreurs sur lÕhomme
Des diverses institutions
Source des fausses observations
De lÕinstitution religieuse
Des fausses religions
Vrits indpendantes de lÕhomme
De la diversit des religions
Du zle sans lumire
Du mobile de lÕhomme
De lÕunit dans le culte
Incertitudes de lÕhomme
Rgle de lÕhomme
Des dogmes mystrieux
De lÕextrieur des religions
De la morale
De lÕanciennet de la religion
De lÕaffinit des tres pensants
Diffrence entre les tres immatriels
Diffrence entre les tres pensants
Tribut impos lÕhomme
Erreur sur lÕorigine de la religion
Germe intellectuel de lÕhomme
Premire religion de lÕhomme
Seconde religion de lÕhomme
De la lecture et de lÕcriture
Du livre de lÕhomme
Erreurs sur le livre de lÕhomme
Origine de la diversit des religions