Tableau naturel des rapports qui existent entre Dieu, l'Homme et l'Univers.
par Louis-Claude de Saint-Martin
XIX
Quant à la revivification attachée à l'acte universel central et quaternaire, nous en avons des traces indicatives dans les Traditions des Hébreux sur l'origine de l'Univers ; elles nous enseignent que le Soleil fut formé le quatrième jour, et qu'avant qu'il le fût, rien d'animé animalement n'avait la vie ; c'est son feu de réaction qui concourut à faire sortir du sein de la terre et des eaux tous les Etres corporels dont l'Univers matériel est habilité. N'était-ce pas nous annoncer par ce tableau, que si l'homme devenait criminel et qu'il s'assujettît au temps, il ne pourrait recouvrer sa vraie lumière qu'à la quatrième époque de la durée des choses temporelles ? N'était-ce pas fixer le nombre de cette lumière, et tracer la loi par laquelle elle s'est dirigé et se dirigera éternellement. C'est pour cela que la Loi donnée au Peuple Hébreu ne portait la punition des crimes que jusqu'à la quatrième génération ; or le Réparateur universel en paraissant au quatrième âge de l'Univers, satisfaisait pleinement à la Loi, il pouvait à cette époque consommer l'expiation universelle des prévarications de toute la postérité des hommes ; par conséquent opérer celle des souillures et de l'illégitimité de ses propres ancêtres, et celle de toutes les malédictions où son ministère pouvait l'exposer de la part des hommes. Toutefois, dois-je présenter la formation du Soleil au quatrième jour comme un signe prophétique d'un événement prévu alors, puisque selon plusieurs, le crime qui l'a occasionné ne pouvait se prévoir, sans que l'Auteur des choses ne fit le pour et le contre, et ne participât à l'erreur de sa créature ? Ne dois-je pas plutôt présenter cette formation du Soleil au quatrième jour comme une simple conformation de l'action universelle du nombre quaternaire, qui devait être complète avant que l'homme coupable et ténébreux pût recouvrer la vie de son Etre intellectuel, ainsi que les animaux demeurèrent dans l'inertie, et pour ainsi dire dans le néant jusqu'au moment où le Soleil élémentaire vint donner l'essor à l'action qui leur était propre Il est constant que si l'on a fait tant d'erreurs sur la prescience Divine, c'est que ceux qui disputent sur ces objets, confondent deux ordres de choses très différentes ; l'ordre visible des choses corruptibles où nous vivons ; et l'ordre des choses incorruptibles, qui était celui de notre vraie nature. A défaut de faire cette importante distinction, ils imputent à la Sagesse suprême un concours universel avec nos uvres, qu'elle a peut-être pour quelques uns de nous dans notre état actuel, où nous sommes liés aux actions variées des Etres non libres, mais qu'on ne saurait lui imputer dans notre état primitif, sans l'injurier et sans dénaturer toutes ses Lois. Ne nous arrêtons pas plus longtemps à cette question ; elle est au nombre de celles qui sont inutiles et dangereuses à traiter par le raisonnement séparé de l'action. Nous devons agir pour obtenir des bases de méditation, et non pas méditer avant d'avoir obtenu ces bases. Sans cela chacun erre dans le vide, et dans l'espace ténébreux : chacun saisit un sens particulier que par ignorance et par légèreté, il veut généraliser tout s'obscurcit, parce que tout se divise ; tout s'anéantit, parce que l'homme réduit à lui-même épuise ses forces et ne reçoit rien pour les renouveler ; et voilà d'où sont provenus les Schismes, les Sectes, c'est-à-dire, le néant ; enfin une des grandes sciences est de savoir s'arrêter à propos. Bornons-nous donc à reconnaître que l'Agent universel paraissant au milieu des temps à une époque quaternaire, et donnant à l'homme la vraie réaction dont il avait besoin, l'a mis à portée de rentrer dans son ancien domaine et d'en parcourir toutes les parties : car si le corps de l'homme lui présente deux diamètres, si par là, ce corps est un signe périssable de la mesure universelle, son Etre intellectuel tenant au Principe infini, est à plus forte raison revêtu d'un signe quaternaire participant de l'infini, et avec lequel il peut mesurer à ,jamais tous les Etres. Mais les deux diamètres corporels de l'homme sont, pour ainsi dire, confondus, insensibles, défigurés, et sans action dans le sein de la femme, jusqu'au moment où parvenant à la lumière élémentaire, il lui est permis de les déployer, c'est donc nous indiquer que la mesure quaternaire de l'homme intellectuel était resserrée, et comme nulle depuis qu'il avait commis le désordre ; et qu'elle ne pouvait s'étendre et se développer qu'à l'époque de la grande lumière, à cette époque où les vertus de l'Unité se sont elles-mêmes sensibilisées, afin de couler dans les quatre canaux qui forment le caractère hiéroglyphique de l'homme. Cette époque rend donc à l'homme les moyens positifs d'exercer à son tour la même réaction sur tout ce qui est encore obscur et caché pour lui ; et il n'y a plus rien dans les lois et dans la nature des Etres qui doivent pouvoir se refuser à son empire puisque tous les Etres sont eux-mêmes des subdivisions de la mesure universelle, et qu'ils tiennent tous partiellement au grand quaternaire. Mais pour que ce développement universel produisit de semblables effets, il a dû s'opérer au milieu du temps universel, et au milieu du temps particulier qui en est la répétition abrégée, et qui divise par quatre le cours de la Lune ; l'Agent chargé de cette uvre a dû la compléter, non seulement entre la nouvelle et la pleine Lune, mais encore au milieu d'une période septénaire de jours sous-multiple de la période lunaire : enfin, c'est à la fois au centre d'une semaine, au centre du mois périodique de la Lune, et au centre du cours universel de la Nature, que cet Agent a dû divulguer aux hommes la Loi secrète voilée pour eux depuis leur exil dans ce séjour d'expiation, afin qu'en agissant virtuellement dans ces trois centres, il ouvrît pour ainsi dire le passage aux vertus des trois facultés suprêmes, qui seules pouvaient revivifier les trois organes intellectuels de l'homme, et rendre l'ouïe, la vue, et la parole à toute sa postérité. C'est à cette triple époque qu'il a dû entrer dans le Saint des Saints, s'y revêtir de cet Ephod, de cette Robe de lin, de ce pectoral, de cette Tiare dont les Grands Prêtres des Hébreux faisaient usage dans leurs fonctions sacerdotales, et qui n'étaient pour eux que le symbole des vrais vêtements dont le Régénérateur devait couvrir un jour la nudité de la postérité humaine. Là, il a dû développer la Science aux yeux de ceux qu'il s'était choisis ; il a dû rétablir devant eux, les mots qui s'étaient effacés dans cet ancien Livre confié autrefois à l'homme, et que cet homme avait défigurés ; il a dû même leur donner un nouveau Livre plus étendu que le premier, afin que par là ceux à qui il serait transmis, pussent connaître et dissiper les maux et les ténèbres dont la postérité de l'homme était environnée ; et qu'ils apprissent encore à les prévenir et à se rendre invulnérables. Là, il a dû préparer cet antique parfum dont il est parlé dans l'Exode, composé de quatre aromates d'égal poids, et que les Prêtres des Hébreux ne pouvaient employer qu'aux usages du Temple, sous les défenses les plus rigoureuses ; il a dû en remplir l'encensoir sacré, et après avoir parfumé toutes les régions du Temple, il a dû convaincre ses Elus, qu'ils ne pouvaient rien sans ce parfum. Enfin son uvre eût été inutile pour eux, s'il ne les eût pas initiés à ses connaissances, en leur enseignant à cueillir eux-mêmes ces quatre précieux aromates, à en composer à leur tour ce même parfum incorruptible et à en extraire ces exhalaisons pures qui par leur vivante salubrité sont destinées depuis l'origine du désordre à contenir la corruption, et à assainir tout l'Univers. Car l'Univers est comme un grand feu allumé depuis le commencement des choses pour la purification de tous les Etres corrompus. Suivant la loi des feux terrestres, il a commencé par être couvert de fumée ; ensuite la flamme s'est développée, et doit continuer insensiblement à consumer toutes les substances matérielles et impures, afin de reprendre sa première blancheur, et de rendre à ces Etres leurs couleurs primitives. C'est pour cela que dans l'ordre élémentaire, lorsque la flamme a percé, lorsqu'elle est montée au-dessus des matières combustibles, elle en poursuit la dissolution jusqu'à leur destruction totale ; c'est pour cela qu'à mesure qu'elle a attirée vers elle tous leurs Principes de vie, qu'elle les a dégagés et unis à sa propre essence, elle s'élève avec eux dans les airs, et leur rend cette existence libre et active dont ils ne jouissaient pas dans les corps. Le Chef Universel de tous les Instituteurs spirituels du culte pur et sacré a dû comme eux retracer sur la terre ce qui se passe dans la classe supérieure ; et cela conformément à cette grande vérité, que tout ce qui est sensible n'est que la représentation de ce qui ne l'est pas, et que toute action qui se manifeste, est l'expression des propriétés du Principe caché auquel elle appartient. L'Elu Universel doit même avoir accompli cette Loi d'une manière plus éminente que ne l'avaient fait tous les Agents dont il venait compléter l'uvre, puisque ceux-ci n'avaient montré sur la terre que le culte de justice et de rigueur et qu'il venait lui-même y apporter le culte de gloire, de lumière et de miséricorde. Ainsi dans tous ces actes, et dans le culte qu'il a exercé, il a dû démontrer tout ce qui s'opère dans l'ordre invisible. Du haut de son trône, la Sagesse Divine ne cesse de créer les moyens de notre réhabilitation : ici-bas le Régénérateur universel n'a pas dû cesser de coopérer au soulagement corporel et spirituel des hommes, en leur transmettant les différents dons relatifs à leur propre préservation, et à celle de leurs semblables, en leur apprenant à éloigner d'eux les pièces qui les environnent, et à se remplir de la vérité. Du haut de son trône, la Sagesse Divine ne cesse de tempérer le mal que nous commettons, et d'absorber nos iniquités dans l'immensité de son amour ici-bas le Régénérateur universel a dû pardonner aux coupables, et quand on les a accusés devant lui, il a dû montrer que c'était faire un plus grand uvre de les renvoyer absous que de les condamner. Enfin, du haut de son trône, la Sagesse Divine donne ses propres puissances et ses propres vertus, pour annuler le traité criminel qui a soumis toute la postérité de l'homme à l'esclavage : ici-bas le Régénérateur universel a dû donner ses sueurs et sa vie même pour nous faire connaître sensiblement les vérités sublimes, et pour nous arracher à la mort. C'est ainsi que l'ordre visible et l'ordre invisible étant mus par une correspondance intime, présentent aux hommes l'unité indivisible du mobile sacré qui fait tout agir, il n'y a plus pour l'Intelligence, ni inférieur, ni supérieur parmi les pouvoirs suprêmes ; elle ne voit plus dans toutes les parties du grand uvre qu'un seul fait, qu'un seul ensemble et par conséquent qu'une seule main. Car c'est une vérité constante que tous ces faits n'auraient jamais eu lieu pour l'homme, si celui qui venait les opérer ne fût demeuré en jonction, dans tous les actes de son ministère, avec l'Unité à laquelle il tient éternellement par son essence ; de même que toutes les manifestations possibles des puissances Divines que la Sagesse envoie au secours de l'homme, seraient nulles pour lui, s'il y avait la moindre séparation, la moindre division entre ces puissances, puisque l'homme étant au dernier anneau de la chaîne, il ne pourrait jamais voir arriver jusqu'à lui, les vertus de l'extrémité supérieure, si quelques-uns des anneaux intermédiaires étaient rompus. Et pour affermir notre confiance, soit sur l'union nécessaire de ces vertus avec leur Principe, soit sur la possibilité en général de toutes les manifestations dont j'ai parlé ; je rappellerai ici que la matière, quoique vraie relativement aux corps et aux objets matériels : n'est qu'apparente pour l'intellectuel ; que c'est en raison de cette apparence, que les actions supérieures peuvent parvenir jusqu'à nous, et que nous pouvons nous élever jusqu'à elles : ce serait impossible, si l'espace qui nous sépare était fixe, réel et imperméable ; de même qu'il n'y aurait aucun commerce d'influences entre la terre et les astres, si l'air qui en occupe le milieu, n'était fluide, élastique et compressible. Toute la récompense que je désire de celui à qui je dévoile ces vérités, c'est qu'il médite sur les lois de la réfraction : qu'il observe qu'elle est plus grande en raison de la densité des milieux ; qu'ainsi il reconnaisse que l'objet de l'homme sur la terre doit être d'employer tous les droits et toute l'action de son Etre à raréfier, autant qu'il le peut, les milieux qui sont entre lui et le vrai Soleil, afin que l'opposition étant comme nulle, le passage soit libre et que les rayons de la lumière arrivent jusqu'à lui sans réfraction. On doit voir que l'homme lui-même, quoique séparé de cette Sagesse dans laquelle il a puisé la vie, ne l'est que relativement à lui, et nullement pour la suprême Intelligence, qui embrassant l'universalité des Etres et leur donnant seule l'existence, démontre l'impossibilité qu'un Etre existe, et lui soit inconnu. Mais dès que, malgré nos souillures et notre dégradation, nous ne pouvons jamais nous soustraire à la vue intime, entière et absolue du grand Principe, peut-être serait-il moins éloigné de la nôtre que nous ne le pensons, si pour nous apercevoir de sa présence, nous suivions des voies plus vraies et moins obscures ; peut-être, tous les obstacles seraient-ils nuls et insensibles, si nous employions, pour rétablir nos rapports avec lui, tous les efforts que nous mettons à les détruire. Si de tels rapports sont le privilège des Puissances pures, qu'il plaît à la Sagesse de faire communiquer jusqu'à nous, c'est que ces Puissances, ne les altérant point comme nous par une marche déréglée, lui restent unies par leur volonté, comme elles le sont par leur essence, et conservent ainsi l'unité de toutes leurs facultés, et de toutes leurs correspondances avec lui. Nous devons donc convenir que toutes les manifestations supérieures, dont nous sentons la nécessité pour nous retracer les droits de notre première Nature, ne présentent de séparation que relativement à nous qui sommes resserrés dans les bornes étroites, et qui par la faiblesse de nos yeux, ne pouvons voir qu'une partie du tableau, tandis que celui qui le tient dans sa main, le vivifie, le contemple et le voit toujours dans son entier. Ainsi tout est lié pour Dieu, tout se tient, tout existe ensemble'; toutes les vertus, soit inhérentes à lui, soit émanées de lui, tous les êtres qu'il a choisis, tous les hommes qu'il a fait naître, enfin tous les ressorts qu'il a employés depuis l'origine des choses, et qu'il emploiera jusqu'à leur fin et dans sa propre éternité, sont toujours présents devant lui : autrement son uvre serait périssable ; il ne produirait que des êtres mortels ; et quelque chose pourrait être soustrait à son universalité. Nous devons répéter aussi que la volonté fausse de l'Etre libre est la seule cause qui puisse l'exclure de l'harmonie universelle de l'Unité, puisqu'il tient toujours à cette Unité par sa Nature : d'où il résulte que, si tâchant d'imiter les puissances pures, qui manifestent devant lui les vertus Divines, sa volonté s'unissait à la volonté du grand Principe, il aurait comme elles la jouissance de tous ses rapports avec ce Principe. Il lui ressemblerait par l'indestructibilité de son Etre, fondée sur la loi de son émanation ; il serait compris dans l'harmonie de toutes les facultés divines ; et parmi toutes les vertus que la Sagesse lui fait manifester, il n'y en aurait point qui ne lui fût connue et dont il ne pût jouir, autrement il ne connaîtrait pas leur unité. Car, l'amour du bonheur des Etres étant spécialement de l'essence de la Sagesse, quand elle fait parvenir jusqu'à nous des puissances subdivisées et la sienne même, son objet n'est que de nous ramener à cette unité harmonique, dans laquelle seule tous les Etres peuvent jouir de la plénitude de leur action. Elle n'a donc semé pour ainsi dire toutes ces vertus autour de nous, qu'afin de nous porter à les recueillir, à les rassembler et à en faire notre aliment journalier ; en un mot, à en composer nous-mêmes une unité, en rapprochant les temps et les distances qui les tiennent éloignées, et en écartant d'elles tous les obstacles et tous les voiles qui les couvrent à nos yeux et nous empêchent de les apercevoir. Ainsi toutes ces vertus Divines, ordonnées par le grand Principe, pour coopérer à la réhabilitation des hommes, existent toujours autour de nous, et près de nous et ne sortent jamais de l'enceinte où nous sommes renfermés ; comme les productions de la Nature élémentaire environnent continuellement nos corps et sont toujours prêtes à nous communiquer leurs propriétés salutaires, à nous guérir de nos maladies, et même à nous en préserver, si nos vues fausses et contraires à cette Nature ne nous éloignaient pas si souvent de la connaissance de ses trésors et des fruits qu'elle pourrait nous procurer. Ainsi, sans les obstacles que nous opposons nous-mêmes aux actions bienfaisantes du grand Principe, il n'y aurait pas une de ces vertus, que nous ne puissions cueillir et nous approprier, si l'on peut ainsi s'exprimer, comme nous pourrions nous approprier toutes les vertus des substances salubres de la Nature élémentaire. Ainsi, sans la dépravation ou la faiblesse de notre volonté, nous ne serions séparés qu'en apparence de tous ces Etres, de tous ces Agents salutaires, dont les bienfaits sont consacrés dans les différentes Traditions ; et nous serions prés d'eux en réalité. Toutes les uvres de ce grand Principe nous seraient présentes, et depuis le commencement des temps jusqu'à nous, aucun Etre, aucun nom, aucune puissance, aucun fait, aucun Agent ne nous demeurerait inconnu ; de façon que ces Elus qui ont opéré sur la terre cette suite de faits transmis jusqu'à nous par les Traditions des Peuples, que toutes leurs lumières, leurs connaissances, leurs noms, leur intelligence, leurs actions ne formeraient pour nous qu'un seul ensemble, dont tous les détails seraient destinés à notre instruction et soumis à notre usage. Ce qui démontre combien les Livres seraient inutiles, si nous étions sages : car les Livres ne sont que des recueils de pensées, et nous vivons au milieu des pensées. En effet, si tout est essentiellement lié, inséparable, indivisible, comme provenant de l'essence Divine ; si toutes les vertus qui émanent du grand Principe, sont toujours unies et dans une parfaite et intime correspondance, il est évident que l'homme ne pouvant anéantir ni changer sa propre nature, qui le lie nécessairement à l'unité universelle, est sans cesse au milieu de toutes les vertus Divines envoyées dans le temps : qu'il en est environné ; qu'il ne peut faire un pas, un mouvement, sans communiquer avec elles ; qu'il ne peut agir, penser, parler dans la solitude la plus profonde, sans les avoir pour témoins, sans en être vu, entendu, touché; et que s'il n'y avait entre elle et lui le fruit de sa volonté lâche et corrompue, il les connaîtrait aussi intimement qu'elles le connaissent, il aurait sur elles, les mêmes droits qu'elles ont sur lui : et ce n'est point aller trop loin que d'assurer qu'il pourrait étendre ses privilèges jusqu'à connaître visiblement Fohi, Moïse, le Régénérateur universel lui-même, puisque ce privilège embrasse généralement tous les êtres qui depuis le commencement des temps ont été appelés sur la terre. Quelle raison pourrait même nous empêcher de croire que sans notre volonté corrompue, nous aurions de pareils droits sur les grands faits et sur les grandes actions à venir ? Si notre nature nous appelle à partager les propriétés de l'unité, ne devons nous pas, comme elle, embrasser tous les espaces, tous les temps, puisque nous sommes, comme elle, au-dessus de tout ce qui est passager et temporel ? Oui, s'il est vrai que dans notre essence nous soyions liés à l'unité d'une manière inséparable, nous devons l'être dans tous les faits qui lui sont propres, dans ceux qui ont existé avant les temps, dans ceux qui ont existé depuis le commencement des temps, dans ceux qui existeront jusqu'à la fin des temps, dans ceux même qui auront lieu après la dissolution et la disparition des choses apparentes et composées. Car nous ne tiendrions plus l'unité, si nos droits n'étaient que partiels, et que nous ne pussions pas contempler dans leur ensemble tous les détails du spectacle de l'immensité. Nous voyons par là combien se simplifie l'idée qu'on a des Prophètes ; leur gloire, leurs lumières devraient être celles de tous les hommes ; tous les hommes sont des Prophètes par leur nature ; c'est leur faiblesse et leur dépravation qui les empêchent d'en manifester les privilèges. L'étymologie de ce nom en est la preuve. Les Hébreux l'exprimaient par le mot Roêh, participe du verbe Raah, il a vu. Aussi nommaient-ils leurs Prophètes des Voyants. Aussi peut-on faire descendre de là les droits et les vertus des Rois, à qui, selon la vraie signification, devrait appartenir principalement la qualité de Voyant. Aussi le premier Roi d'Israël reçut-il ses titres et son autorité du Voyant Samuel, parce qu'alors les Chefs temporels des Hébreux étaient des Voyants, comme l'homme était dans son premier état, et comme toute sa postérité aurait dû l'être. Enfin les deux mondes sont remplis de trésors nés ou à naître, qui se manifestent au gré de l'homme quand il est sage ; car il y a un Seminal universel dans l'un et dans l'autre ; ce Seminal est sans borne, sans nombre, sans fin ; il n'attend pour produire et pour se montrer qu'un choc ou une raison convenable, et cette raison est la pureté des désirs de l'homme. Peut-il donc se plaindre de son ignorance, peut-il avoir des maux et des peines, puisqu'à tout instant il a le pouvoir de s'instruire ou de prier efficacement son Dieu. Au surplus ceux qui ne voudraient pas croire à leur âme, parce qu'on ne leur montrerait pas dans la leur tout ce qu'on leur dit devoir y être, annonceraient par là bien peu d'intelligence. En effet, la leur montrer dans l'état de ténèbres où ils l'ensevelissent, ce ne serait pas la leur montrer. Mais avant d'assurer que toutes les merveilles que nous lui attribuons, ne s'y trouvent pas, il faudrait qu'ils eussent fait quelques efforts pour les y chercher : et peut-être ces efforts les y auraient-ils fait naître ; peut-être reconnaîtraient-ils qu'il ne leur serait pas si difficile qu'ils le pensent de se rendre heureux, et que s'ils voulaient l'être, ils n'auraient qu'à parler.
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