CHAPITRE Il

QU' ON DONNE TRES BIEN L'INTELLIGENCE DES CHOSES DIVINES ET CÉLESTES
PAR LE
MOYEN DE SIGNES QUI NE LEUR RESSEMBLENT PAS.

Argument

- 1. On expose la division de tout l'ouvrage
- 2. On avertit que les symboles sous lesquels sont dépeintes les choses spirituelles et célestes ne leur ressemblent pas; et l'on
prévient une objection,  en faisant voir pourquoi les êtres moins nobles sont employés préférablement aux plus nobles dans
ces descriptions figuratives.
- 3. On montre qu'en ce sujet il y a deux manières de procéder: l'une qui offre les réalités sous le déguisement des signes qui leur ressemblent, l'autre sous des formes qui leur sont diamétralement opposées; comme il y a deux manières de parler de Dieu, l'une par affirmations, l'autre par négations.
- 4. On enseigne que nulle chose n'est mauvaise de tout point; et l'on explique comment la colère, la concupiscence et les autres passions pareilles peuvent être attribuées aux anges.
- 5. On rappelle que les …critures désignent Dieu lui-même par le nom des substances de tous les degrés, suprême, inférieur et intermédiaire.

I. J'ai cru devoir procéder ainsi : exposer d'abord le but des différentes hiérarchies, et le profit qui revient à leurs membres divers; puis célébrer les chœurs célestes, d'après ce que nous en apprennent les saints enseignements; enfin dire sous quelles formes les ordres invisibles nous sont représentés dans les Ecritures, et à quelle conception toute Spirituelle ces symboles nous doivent ramener. Car il ne faut pas imaginer avec l'ignorance impie du vulgaire fine ces nobles et pures intelligences aient des pieds et des visages, ni qu'elles affectent la forme du bœuf stupide, ou du lion farouche, ni qu'elles ressemblent en rien à l'aigle impérieux, ou aux légers habitants des airs (1). Non encore; ce ne sont ni des chars de feu qui roulent dans les cieux, ni des trônes matériels destinés à porter le Dieu des dieux (2), ni des coursiers aux riches couleurs, ni des genéraux superbement armés (3), ni rien de ce que les Ecritures nomment dans leur langage si fécond en pieux symboles (4). Car, si la théologie a voulu recourir a la poésie de ces saintes fictions, en parlant des purs esprits, ce fut, comme il a été dit, par égard pour notre mode de concevoir, et pour nous frayer vers les réalités supérieures ainsi crayonnées un chemin que notre faible nature peut suivre.

Il. Quiconque applaudit aux religieuses créations sous lesquelles on peint ces pures substances que nous n'avons ni vues, ni connues, doit se souvenir que ce grossier dessein ne ressemble pas à l'original, et que toutes les qualifications imposées aux anges ne sont, pour ainsi dire, qu'imaginaires.
D'autre part, il y en a qui veulent que la théologie, quand elle prête un corps aux choses qui n'en ont pas, respecte du moins leur noblesse naturelle, et les dépeigne sous les formes les plus pures et les plus spiritualisées en quelque sorte, et n'aille pas appliquer les plus ignobles conditions du multiple à des substances éminemment simples et spirituelles. Car ainsi, croient-ils, notre pensée apprendrait à s'élever, et de sublimes vérités ne seraient pas défigurées par d'inconvenantes comparaisons : faire autrement , c'est outrager les vertus célestes et fausser.,notre esprit  fixé sur de profanes symboles. Car peut-être va-t-il imaginer que le ciel tressaille donc sous les pas des lions et des chevaux, ou retentit d'hymnes mugissantes, et qu'on y voit tout une république d'oiseaux et d'autres animaux encore et des objets purenient matériels : tous êtres plus ou moins stupides et pleins de passions diverses dont le texte sacré rappelle l'impertinente idée, en établissant une ressemblance énigmatique là où il n'y a pas de ressemblance réelle.
A cela je réponds : tout homme studieux de la vérité découvrira la sagesse des saints oracles en cette peinture des intelligences célestes, et comment il fut pourvu avec bonheur à ce que ni les vertus divines ne fussent indignement rabaissées, ni notre esprit trop ,plongé en de basses et terrestres imaginations. Au reste, si l'on revêt de corps et de formes ce qui n'a ni corps ni formes, ce n'est pas seulement parce que nous ne pouvons avoir l'intuition directe des choses spirituelles, et qu'il nous faut le secours d'un symbolisme proportionné à notre faiblesse, et dont le langage sensible nous initie aux connaissances d'un monde supérieur; c'est encore parce qu'il est bon et pieux que les divines Lettres enveloppent sous le mystère d'énigmes ineffables, et dérobent au vulgaire la mystérieuse et vénérable nature des esprits bienheureux. Car chacun n'est pas saint, et la science n'est pas pour tous, disent les Ecritures (5). Si donc quelqu'un réprouve ces emblèmes imparfaits, prétextant qu'il répugne d'exposer ainsi les beautés saintes et essentiellement pures sous de méprisables dehors, nous ferons simplement observer que cet enseignement se fait de deux manières.

III. Effectivement on conçoit que la vérité puisse s'offrir sous les traits sacrés de figures auxquelles elle ressemble, ou bien sous le déguisement de formes qui lui sont diamétralement opposées. Ainsi , dans le mystérieux langage des livres sacrés, l'adorable et sur-essentielle nature de notre Dieu bienheureux se nomme quelquefois Verbe, intelligence, essence (6), comme pour exprimer sa raison et sa sagesse. Son existence si souverainement essentielle , et seule cause véritable de toutes les existences, y est comparée à la lumière (7), et s'appelle vie. Mais quoique ces nobles et pieuses manières de dire paraissent mieux aller que les symboles purement matériels, elles sont loin toutefois de représenter la divine réalité qui surpasse toute essence et toute vie, que nulle lumière ne reflète, et dont n'approche ni raison, ni intelligence quelconque. Souvent encore, prenant l'opposé, et élevant notre pensée , les Ecritures nomment cette substance invisible , immense , incompréhensible (8), indiquant ainsi ce qu'elle n'est pas, et non point ce qu'elle est. Et ces paroles me semblent plus dignes; car, si j'en crois nos saints et traditionnels enseignements , quoique nous ne connaissions pas cet infini sur-essentiel, incompréhensible, ineffable, cependant nous disons avec vérité qu'il n'est rien de tout ce qui est. Si donc, dans les choses divines, l'affirmation est moins juste, et la négation plus vraie, il convient qu'on n'essaie point d' exposer, sous des formes qui leur soient analogues, ces secrets enveloppés d'une sainte obscurité; car ce n'est point abaisser, c'est relever au contraire les célestes beautés que de Ics dépeindre sous des traits évidemment inexacts, puisqu'on avoue par la qu'il y a tout un monde entre elles et les objets matériels.

Que ces défectueux rapprochements aident notre pensée, à s'élever, c'est, Je crois , ce qu'un homme réfléchi ne voudra pas nier; car il est probable que de plus majestueux symboles séduisent certains esprits qui se représentent les natures célestes comme des êtres brillants d'or et d'un splendide éclat, riches ,magnifiquement vétus, rayonnants d'une douce lumière, enfin affectant je ne sais quelles autres formes que la théologie prête aux bienheureux archanges.C'est afin de désabuser ceux qui ne soupçonnent rien au dessus des beautés du monde sensible, et pour élever sagement leur pensée, que les saints docteurs ont cru devoir adopter ces images si dissemblables; car ainsi formes abjectes ne peuvent séduire sans retour ce qu'il y a de matériel en nous , parce que leur grossièreté même réveille et soulève la partie supérieure de nos ‚mes et de la sorte ceux mêmes qui sont épris des choses terrestres jugent faux et invraissemblable que de si difformes inventions ressemblent aucunement à la splendeur des réalités célestes et divines. Du reste , il faut se souvenir que rien de ce qui existe n'est radicalement dépouillé de quelque beauté; car toutes choses sont éminemment bien, dit la vérité même (10).

IV. Toutes choses donc offrent matière aux plus nobles contemplation; et il est permis de présenter le monde purement spirituel sous l'enveloppe si peuassortie cependant du monde matériel, étant avéré d'ailleurs que ces formes vont au premier d'une tout autre manière qu'au second. Effectivement chez les créatures privées de raison, l'irritation n'est qu'une fougue passionnelle, et leur colère un mouvement tout à fait fatal , mais quand on parle de l'indignation des êtres spirituels, on veut au contraire marquer la m‚le énergie de leur raison, et leur invincible persistance dans l' ordre divin et immuable. Egalement nous disons que la brute a des goûts aveugles et grossiers, des sortes de penchants qu'une disposition naturelle ou l'habitude lui a forcément imposés, et une puissance irrésistible des appétits sensuels qui le poussent vers le but sollicité par les exigences de son organisme.
Quand donc imaginant des ressemblances éloignées, nous attribuons de la convoitise aux substances spirituelles, il faut comprendre que c'est un divin amour pour le grand Esprit qui surpasse toute raison et toute intelligence que c'est un immuable et ferme désir de la contemplation éminemment chaste et inaltérable, et de la noble et éternelle union avec cette sainte et sublime clarté, avec cette beauté souveraine qui n'a pas de déclin. De même, par leur fougue impétueuse, on prétend désigner la magnanime et inébranlable constance qu'elles puisent dans un pur et perpétuel entbousiasme pour la divine beauté, et dans un généreux dévouement a ce qui est vraiment aimable. Enfin, par silence et insensibilité , nous entendons, chez les brutes et chez les êtres inanimés, la privation de la parole et du sentiment ; mais en appliquant ces mots aux substances immatérielles et intelligentes, nous voulons dire que leur nature supérieure n'est point soumise à la loi d'un langage fugitif et corporel, ni à notre sensibilité organique, et indigne de purs esprits. Ce n'est donc point inconvenant de déguiser les choses célestes sous le voile des plus méprisables emblèmes; d'abord, parce que la matière tirant son existence de celui qui est essentiellement beau, conserve dans l'ordonnance de ses parties quelques vestiges de la beauté intelligible; ensuite parce que ces vestiges mêmes nous peuvent ramener à la pureté des formes primitives, si nous sommes fidèles aux règles antérieurement tracées, C'est-à-dire, si nous distinguons en quel sens différent une même figure s'applique avec égal justesse aux choses spirituelles et aux choses sensibles.

V. Du reste la théologie mystique, comme on sait, n'emploie pas seulement ce langage saintement figuratif, quand Il s'agit des ordres célestes, mais aussi quand elle parle des attributs divins. Ainsi , tantôt voilée sous les plus nobles substances , la divinité est le soleil de justice (11), l'étoile du matin dont le lever se fait au fond des cœurs pieux (12), ou la lumière spirituelle qui nous enveloppe de ses rayons : tantôt revêtant de plus grossiers symboles , c'est un feu qui brûle sans consumer (13), une eau qui donne la vie à satiété, et qui , pour parler en Figure, descend en nos poitrines, et coule à flots intarissables (14) : tantôt enfin, déguisée sous des objets infimes, c'est un parfum de bonne odeur (15), c'est une pierre angulaire (16). Même les Ecritures la présentent sous des formes animal (17), la comparant au lion, a la panthère, au léopard et à l'ours en fureur. Mais il y a quelque chose qui pourrai sembler plus injurieux et moins exact encore; c'est que le Seigneur s' est nommé lui-même un ver de terre (18) comme l'enseignent nos maîtres dans la foi. De la sorte tous ceux qui, pleins d'une divine sagesse, parlent le langage de l'inspiration sacrée, conservent aux choses saintes leur pureté originelle, au moyen de ces imparfaites et vulgaires indications; et ils usent tellement de cet heureux symbolisme que d'un côté, ni les profanes ne pénètrent le mystère, ni les hommes d'attention pieuse ne s'attachent rigoureusement à ces paroles purement figuratives, et que d'autre part, les réalités célestes brillent à travers des formules négatives qui respectent la vérité, et des comparaisons dont lajustesse se cache sous l'apparence d'un objet ignoble. Il n'est donc pas mal, pour les raisons qu'on a dites, de donner aux natures spirituelles des formes qui ne leur ressemblent que de si loin. Effectivement si la difficulté de comprendre nous a poussés à la recherche, et si une scrupuleuse investigation nous a portés jusqu'à la hauteur des choses divines peut-être le devons-nous aux méprisables apparences imposées aux saints anges; car ainsi notre esprit ne pouvant se faire à ces repoussantes images, était sollicité de se dépouiller de toute conception matérielle et s'accoutumait avec bonheur à s'élever du symbole jusqu'à la pureté du type. Ceci soit dit pour justifier les Écritures d'avoir déguisé les natures célestes sous l'emblème obscur des êtres corporels.

Maintenant il faut définir ce que nous entendons par la hiérarchie et quels avantages reviennent à ceux qui s'y font initier. Or, je supplie mon Jésus-Christ ( s'il m'est permis de l'appeler mien ), de me guider en ces discours, lui qui inspire tout bon enseignement sur les hiérarchies. Pour vous, mon fils, selon la loi sacrée de la tradition sacerdotale, recevez avec de saintes dispositions des paroles saintes; devenez divin par cette initiation aux choses divines; cachez au fond de votre cœur les mystères de ces doctrines d'unité , et ne les livrez pas aux profanations de la multitude. Car comme disent les oracles il ne ne faut pas jeter aux pourceaux l'éclat si pur et la beauté si splendide des perles spirituelles.