La religion de combat par l’abbé Joseph Lémann

Livre premier

Chapitre III

Le passage possible pour n’importe qui des ténèbres à la lumière, et du trouble à la paix

– I. Le péché produit les ténèbres.
– II. Nuit dans l’intelligence de l’homme au moment où il commet le mal.
– III. Glaces dans son coeur.
– IV. Honte et abîmes dans sa conscience.
– V. Horrible sang-froid et cynisme du pharisaïsme moderne devant ce douloureux état. Impuissance du judaïsme et du protestantisme pour en tirer : c’est l’impuissance d’Agar au désert, s’éloignant pour ne pas voir mourir Ismaël.
– VI. L’Église catholique, seule, est la mère compatissante qui arrache aux ténèbres et ramène à la lumière et à la vie.

I

La séparation qui s’opère, au dehors, entre les partisans de la lumière et les partisans des ténèbres, n’est-il pas essentiel de la transporter au dedans de soi-même? Conviendrait-il, en effet, de paraître inscrit publiquement dans l’armée du bien et du beau, et d’être, dans sa conduite privée, livré aux ténèbres? Non, assurément. Traitons donc, avec soin, de cette séparation dans le for intérieur. Les ténèbres se lèvent dans l’homme, avec le péché. Une faute grave amène la nuit. On a très justement comparé le péché à la nuit. En effet, de même que la nuit, quand elle vient et s’étend, confond, efface toutes les beautés du jour, et semble anéantir, en les faisant disparaître, tous les objets de la création: de même, du péché, procèdent le sombre et le néant; il assombrit, il anéantit; le désordre, la confusion, le chaos s’étendent sur l’âme humaine; et sans une intervention divine, les beautés et les forces natives de l’homme s’évanouiraient. Pénétrons dans cette nuit profonde du monde moral.

II

Nuit dans l’intelligence. Nous avons une terrible puissance: la puissance de mentir; non pas précisément mentir à nos semblables, mais, ce qui est étrange, nous mentir à nous-même; Nous mentir à nous-même, voilà notre terrible puissance, car nous ne pouvons connaître le péché qu’à la suite d’un mensonge intime. J’en appelle à l’homme loyal qui a eu la faiblesse de commettre le mal, qu’il dise si l’analyse suivante n’est pas exacte: Dans ce moment fatal, mon frère, la vérité, la lumière, la loi, étaient là, devant vous, devant votre intelligence, devant votre raison: lumière éblouissante, impérative, inexorable, d’où sortait cette voix «Arrête; ne fais pas…: cet acte que tu vas poser, c’est un mal;» Et tandis que, dans cette partie haute de votre être, vous vous défendiez de cette action, vous, la même personne, dans cette partie basse, obscure, profonde de la passion, vous la même personne, vous retournant contre vous-même, vous vous répondiez secrètement: «Fais …; cet acte te sera un bien, il te sera un plaisir…» Au grand jour de votre personnalité, vous disiez non. Dans l’intimité de votre personnalité, vous disiez: oui. En vous, le jugement d’estime spéculatif était bien en faveur de la loi; mais le jugement d’estime pratique fut tout en faveur de la passion. Et ainsi, opposant en vous-même la négation à l’affirmation, vous vous êtes menti à vous-même; et faisant autrement que vous aviez jugé d’abord, c’est alors que vous avez pu commettre le mal. Et tandis que vous le commettiez, il y avait peut-être des ténèbres qui vous enveloppaient. Chose accablante et humiliante pour notre belle nature, quand on a la faiblesse du mal, on souhaite les ténèbres, et, de fait, on les recherche. Mais ce ne sont point ces ténèbres du dehors qui forment les plus épaisses ténèbres. Pour commettre le mal, on a commencé par éteindre la lumière dans sa propre pensée, sorte de Jérusalem paisible où tout était clair; on a voilé par un mensonge la face de la Vérité importune; et, la personnalité devenant ténébreuse au dedans, on est bien aise alors de rencontrer des ténèbres au dehors. La nuit au dehors répond à l’appel de la nuit au-dedans; hélas! oui, le péché a besoin de la nuit, parce que le péché est fils du mensonge!

III

Glaces dans le cœur. Ténèbres et mensonge dans l’esprit, le péché devient en même temps égoïsme dans le cœur. C’est logique, c’est fatal. Les ténèbres ne sont-elles pas froides et glacées? Oui, le mal est égoïste. On commet le mal, parce qu’on préfère froidement son intérêt, son plaisir, sa passion, à la loi de Dieu et à l’intérêt d’autrui; et c’est pourquoi le cœur, oubliant alors sa propension exquise à la sensibilité, se rétrécit et devient dur. En effet, si l’on n’y prend garde, une des plus malheureuses conséquences que le péché produise dans un cœur, c’est de le rendre dur. Cette dureté, qui est une suite du péché, est en même temps un châtiment de Dieu. Quand Dieu veut dès ici-bas punir un cœur, il le rend dur. Dans les pages des Livres saints, se rencontre fréquemment cette terrible menace : J’endurcirai leur cœur… son cœur deviendra dur comme le rocher. Ne semble-t-il pas qu’on aperçoive la main de Dieu retirer du côté de la région du cœur cette disposition tendre et délicate, ce présent si noble qu’il nous fit : la sensibilité; la sensibilité, cette âme de notre âme qui en anime toutes les facultés? Dès lors, privé de sa sève nourricière, le cœur se dessèche, il ne sait plus s’attendrir, il ne sait plus pleurer, il ne sait plus être bon. Et quand le pécheur en arrive à se faire un jeu du crime, à ne plus craindre d’accumuler ses forfaits, son cœur aussi en arrive à ce degré d’endurcissement où il ne ressent plus la pitié et où la miséricorde n’a plus d’accès auprès de lui. Qu’on considère avec attention cette race d’hommes qui aujourd’hui s’appelle ouvertement la race sans Dieu: sur le visage de ces hommes il n’y a plus de bonté; leurs lèvres n’ont plus de sourire; au lieu de deux yeux avec la douce flamme du regard humain, il n’y a plus sur leur face que deux trous, comme disait déjà Bossuet, deux trous où bouillonne, avec la luxure, la haine de la société. Ces physionomies dégradées et dures semblent ne plus appartenir à la famille humaine, et c’est pourquoi, quand elles passent, l’honnête homme se dit avec inquiétude, comme dans le voisinage d’un fauve:

Je crains l’homme qui ne craint pas Dieu!

Ô Seigneur, préservez-nous de la dureté de cœur, en nous-même d’abord, mais aussi dans ces rues basses et ces sous-sol dont l’impiété fait des repaires!

IV

Honte et abîmes dans la conscience. Au centre de notre être, – comme au centre des merveilles de la nature, où Dieu avait primitivement planté un endroit plus merveilleux, l’Éden, le paradis de délices; – au centre de notre être, Dieu a établi aussi un autre paradis, dont le premier avec ses fleurs virginales, ses parfums exquis, sa pourpre et sa blancheur, n’était qu’un pâle reflet; au centre donc de notre être, là où les sens parlent, où l’imagination s’émeut, au point de rencontre de l’intelligence et de la sensibilité, un paradis a été disposé par Dieu, qui s’appelle la conscience. De même que le paradis de l’Éden était le résumé de toutes les splendeurs créées, le retentissement harmonieux de toutes les voix terrestres qui venaient doucement murmurer dans son sein leur soumission et leur admiration pour l’homme; de même, la conscience a été placée en nous comme le résumé, comme le retentissement harmonique et harmonieux de tout notre être: là, notre intelligence s’applaudit de suivre la belle lumière de la vérité; là notre cœur se raconte ses purs et chastes amours; là, toutes nos facultés se rencontrent, se nomment et se retrempent; et dans les cryptes sacrées de cet Éden intérieur se chante l’intarissable cantique de la paix, de l’ordre, de la félicité. Oui, lorsqu’en nous tout est pur et dans l’ordre, la conscience est un paradis!
Mais, dès que par un péché grave nous venons à nous séparer de Dieu, à ce coup notre paradis tressaille, se bouleverse, et change d’aspect; état de bouleversement qui s’appelle de deux noms: la honte et le remords.
La honte est une nuit! L’enivrement du péché une fois passé, on n’ose plus se regarder au dedans, on n’ose plus penser à soi-même… Et c’est pourquoi la pensée de notre faute se creuse au fond de l’ancien paradis de notre âme une espèce d’antre, de recoin ténébreux et sourd, où elle se cache en silence. Antre ténébreux et sourd, ah! nous voudrions pouvoir oublier les sentiers qui y conduisent. Corruption secrète! secrète, que le monde entier ignore, et qui, néanmoins, nous met mal à l’aise partout, en face d’une mère, d’une sœur, d’un enfant, de n’importe quel regard vertueux. Nous frissonnons, nous avons peur qu’à tout instant il ne s’en échappe quelque indice; et l’on peut dire qu’il n’y a pas de plus cruelle torture morale, de plus pénible moment que celui où nous nous entendons quelquefois louer de vertus que nous ne possédons plus: le rouge alors nous monte au visage. Ah! nous en voulons à cette rougeur de chercher à nous trahir: et volontiers, de nos deux mains, nous pèserions sur notre conscience, sur le marbre du tombeau, pour empêcher le terrible secret de monter à notre face.
La honte n’est pas seule à fatiguer notre vie; à côté de la honte, il y a le remords: le remords dont la mission est de désenchanter la vie à l’extérieur, tandis que la honte la resserre à l’intérieur.
Pour peindre ce désenchantement extérieur, causé par le remords, la poésie antique avait trouvé ce vers, un des plus beaux de l’antiquité :

Sunt lacrymæ rerum, et mentem mortalia tangunt.

Il y a des larmes dans les choses, et l’esprit frissonne sous des étreintes de mort.

Il y a des larmes dans les choses: oh! oui, rappelons nos souvenirs: c’est étrange, mais c’est bien vrai, la première fois que nous avons eu le malheur de commettre le mal, il semblait, après, que les choses pleuraient autour de nous! Désenchantées, elles avaient pris la teinte de notre âme. La nature semblait pleurer, elle était comme trempée de larmes. Les fêtes où les autres se réjouissaient n’avaient pour nous que des tristesses; et dans l’étude, nos livres eux-mêmes, nos livres, ces vieux amis eux aussi, étaient devenus tristes. Il se faisait en quelque sorte, autour de nous, comme un suintement universel : sunt lacrymæ rerum, il y a des larmes dans les choses!
Mais ces larmes, à mesure qu’elles tombaient des choses, où donc allaient-elles? où allaient-elles se réunir?
Pauvres cœurs qui me lirez et qui avez conscience d’avoir accumulé péchés sur péchés, ne reconnaissez-vous pas qu’il s’est formé, creusé, au dedans de vous, comme un abîme intérieur? Eh bien, c’est lui, cet abîme, qui s’emplit peu à peu de ce suintement des choses et de leurs larmes, au point d’en former comme un lac d’amertume. Et alors, à certaines phases de la vie, dans ces heures de grand découragement, où l’homme se prend à se pencher en lui-même pour regarder dans l’abîme de ses peines et de ses souvenirs, l’amertume de toutes ces larmes rassemblées se fait sentir: et l’homme épouvanté tressaille, détourne la tête et se jette en arrière. Et cependant l’amertume n’est pas tout ce qu’elle pourrait être, parce que, tant que dure la vie, la main de Dieu est là, miséricordieuse, qui comprime et retient le lac amer entre ses bords pour l’empêcher de déborder. Mais lorsqu’un jour Dieu voudra former l’enfer dans une âme réprouvée, à cette heure suprême où il n’y aura plus de ménagement: pour former l’enfer, Dieu n’aura qu’à lâcher l’écluse! L’Écriture dit : Le Seigneur a ouvert le puits de l’abîme; les larmes amoncelées, rassemblées de toutes les tristesses et de toutes les choses, se répandant alors librement et n’ayant plus de bords, la pauvre âme sera comme noyée en elle-même, perdue, abreuvée dans une amertume sans fonds. Bossuet peint cet état par un mot : l’âme ne sera plus qu’un pleur!
Et ainsi, en résumé, par le péché :
À la place de la vérité dans l’intelligence, le mensonge;
À la place de la bonté dans le cœur, les glaces de l’égoïsme et de la dureté;
À la place du paradis de la conscience, la honte, et des abîmes de noir et de tristesse;
N’est-ce pas la nuit de l’âme? nuit épaisse, qui donne peur, où l’on croit entendre déjà le ricanement du spectre infernal qui attend sa proie; oh! comme on se jetterait avec reconnaissance dans des bras libérateurs!

V

En face de cette grande misère du péché ou mal moral, on aperçoit, à cette heure de l’histoire, les attitudes différentes de trois doctrines: l’horrible sang-froid ou cynisme du pharisaïsme moderne; l’impuissance séculaire du judaïsme et du protestantisme; la miséricordieuse intervention de l’Église catholique.
Le pharisaïsme moderne.
Qui eût jamais pensé qu’un jour viendrait où les vieux pharisiens de Judée, si perfides et si retors, seraient pourtant dépassés! On sait ce qu’était le pharisaïsme dans l’antiquité. Il consistait, non pas précisément à se tromper soi-même, mais à tromper les autres; car il reconnaissait parfaitement le mal en lui-même, le mal avec ses rides et ses laideurs; seulement il était habile à les dissimuler au dehors en les enveloppant des apparences du bien. Ce pharisaïsme, en un mot, était un sépulcre blanchi, comme l’a stigmatisé Jésus-Christ lui-même; mais, au moins, le sépulcre n’était-il blanchi qu’au dehors. Tandis que, dans le pharisaïsme moderne, ce n’est plus seulement au dehors qu’on veut blanchir le sépulcre, c’est au dedans; ce n’est plus seulement dans la personnalité que le mal est nié, mais le mal en soi, le mal intrinsèque. «Le mal, s’écrient les pharisiens modernes, le mal, mais c’est une chimère! Il vous plaît d’appeler certaines choses du nom de mal, certaines autres du nom de bien. Ce qui fait le mal, c’est la défense, c’est la limite. Supprimons la limite, supprimons la défense, et nous supprimerons le mal. Nous étions timides et hésitants dans la glorification des sens: limite absurde! De même qu’on glorifie l’esprit et le cœur, on peut en faire autant pour les sens. Glorifions-les, glorifions tout dans notre nature, car tout est bon dans la nature humaine!»
Telle est la négation intrinsèque du mal, tel est le langage osé des pharisiens modernes.
Toute controverse est inutile, serait de trop, avec pareille cohorte, digne de faire suite à la cohorte conduite par Judas! Au surplus, c’est le mal lui-même qui se charge de donner à ces audacieux un démenti formidable. Car, tandis qu’on veut le blanchir et l’effacer au dedans, lui, le mal, fait irruption au dehors, et il s’affirme à tous les regards sous deux formes terribles qui s’appellent le suicide et la folie. Le suicide et la folie, dont les cas se multiplient d’une manière effrayante, se multiplient d’autant plus que de parricides doctrines réhabilitent davantage les passions et la jouissance; le suicide et la folie qui venant à s’emparer des foules se nommaient, il y a vingt ans en France, l’incendie de Paris! Le suicide et la folie, ces deux effroyables attestations du mal, ah! qu’on commence par les faire disparaître, et ensuite il sera permis d’écrire dans les feuilletons et les romans, permis d’écrire, en parlant des passions et de la jouissance, que tout est bon dans la nature humaine!

Au-dessus de cette doctrine malsaine, dans une région meilleure, viennent se placer les religions qui reconnaissent le mal, mais qui restent impuissantes à le guérir: le judaïsme et le protestantisme. Il semblerait même que la misère morale, à mesure qu’elle grandit, fasse ressortir davantage l’impuissance séculaire de ces deux religions. S’inspirant toutes deux de la Bible, elles répètent, l’une comme l’autre, ce chant plaintif de Job, le patriarche de l’Idumée : L’homme né de la femme vit très peu de temps, et il est rempli de beaucoup de misères. Il naît comme une fleur qui n’est pas plutôt éclose qu’elle est foulée aux pieds; il fuit comme l’ombre, et il ne demeure jamais en un même état… Qui peut rendre pur celui qui est né d’un sang impur? N’est-ce pas Vous seul qui le pouvez? (Job.XIV.1,2,4.) Mais, hélas! après avoir fait entendre sur les misères de leurs enfants ce chant de douleur, la religion juive et la religion protestante les laissent sans secours. «C’est vers Dieu seul qu’il faut aller, disent-elles, c’est Dieu qu’il faut implorer; car il n’y a que Dieu seul qui puisse remettre les péchés.» – Ah! oui, ô protestantisme, et toi ô judaïsme, «il n’y a que Dieu seul qui puisse remettre les péchés»; avec vous, nous le reconnaissons et le proclamons bien haut: il n’y a que Dieu seul qui puisse remettre les péchés. Mais qui me dit, à moi coeur brisé par le remords, à moi qui répète cent fois le jour: Pardon, mon Dieu! ô pardon! qui me dit, qui m’assure que j’ai suffisamment gémi et pleuré; qui me dit que Dieu m’a pardonné, et à quelle heure son pardon est descendu sur ma tête! … Ah! ne voyez-vous pas que j’ai besoin d’entendre une réponse, qui vienne frapper mon oreille; une réponse sensible, vibrante comme mon aveu; que j’ai besoin, en un mot, d’avouer devant quelqu’un, afin que quelqu’un me pardonne? Ô protestantisme, ô judaïsme, quelle que soit la part de vérité qui puisse encore se trouver en vous, vous m’apparaissez comme cette femme de la Bible, cette pauvre mère à qui l’enfant de ses entrailles, mourant de soif au désert, demandait de l’eau pour apaiser sa soif dévorante : Agar, dit la Genèse, laisse son fils couché sous un des arbres qui étaient là, s’éloigne d’un trait d’arc, s’assied vis-à-vis en disant: Je ne verrai point mourir mon enfant. Et elle se met à pleurer. «Ma mère, ne me laisse pas mourir!» dira à la religion protestante un pauvre protestant inquiet et torturé par ses fautes comme par une soif ardente;
«Ma mère, ne me laisse pas mourir!» dira à la synagogue un pauvre enfant d’Israël mourant de soif sur le sable d’or de ses richesses, «ne me laisse pas mourir!»
Mais Agar s’éloigne, s’éloigne, en cachant sa faiblesse et ses larmes… Il n’y a qu’une mère compatissante à qui Dieu ait révélé et confié la source d’eau vive, et cette mère, c’est l’Église catholique!

VI

L’Église catholique fait jaillir deux sources d’eaux vives, qui ne demandent qu’à s’épancher: l’une, des lèvres de l’homme; l’autre, du cœur de Jésus-Christ; elles se nomment l’aveu et l’absolution. Ah! ne sont-ce pas là deux sources de lumière et de tendresse, dont le judaïsme et le protestantisme ne savent pas profiter pour les enfants des hommes en détresse: l’Église catholique y puise pour eux la paix et l’honneur.
En effet, l’aveu, d’abord, réhabilite l’homme pécheur; l’aveu le replace dans sa dignité première; non seulement parce que l’aveu rétablit en nous l’harmonie entre notre intelligence et la vérité, entre notre cœur et la bonté, et l’harmonie dans notre conscience; mais parce que cette harmonie ne se rétablit que par un acte héroïque, et l’aveu est cet acte d’héroïsme, comme précédemment le péché avait été un acte de faiblesse. Oui, il faut le reconnaître, il y a de l’héroïsme dans cet aveu, souvent très pénible, et qui est tout volontaire et spontané; de l’héroïsme, dans cet aveu qui se fait à genoux, mais hâtons-nous d’ajouter: qui humilie sans abaisser. Ô hommes qui avez le courage de vous agenouiller et de vous accuser sur ce trône de planches où siège le ministre de Dieu, ah! vous ne vous doutez pas du frémissement d’admiration qui saisit le prêtre lorsqu’il contemple en vous l’ange tombé qui se relève! Vous ne vous doutez pas de l’estime large, catholique, qu’il ressent pour vous lorsqu’il contemple vos larmes, vos sanglots, l’effort de votre aveu: à ce moment, pour l’heureux prêtre, témoin et confident de votre courage, il se fait comme une vision du ciel. En effet, le royaume du ciel souffre violence, a déclaré le Christ, et il n’y a que les violents qui puissent le conquérir. Sainte violence des prédestinés, nécessaire pour monter aux cieux, vous êtes belle et variée de bien des manières, dans l’étendue de l’Église catholique et romaine: belle dans la palme aux mains du martyr, belle dans le voile au front de la vierge du cloître, belle dans les pieds nus du religieux mendiant! Mais jamais, ô sainte violence des prédestinés, vous n’apparaissez plus belle que lorsqu’un vieillard à tête blanche ou une Madeleine en pleurs vient se placer à tes pieds par la miséricorde. À cet ineffable moment de la vie du prêtre se renouvelle en quelque sorte, pour lui, la vision de Jacob à la pierre de Béthel: il vit, le patriarche, il vit des anges qui, sur une échelle mystérieuse, descendaient et montaient, montaient et descendaient sans efforts. Le prêtre a une vision supérieure à celle de Jacob: car, dans ce front blanchi et courbé, ou dans cette Madeleine en pleurs, il contemple au bas de l’échelle un ange! un ange qui sanglote et se fait violence pour remonter de ses fautes vers l’éternelle Beauté et dans les bras de l’éternelle Bonté!

Après l’aveu, l’absolution.

L’aveu a été l’effort, le travail de l’homme pénitent l’absolution sera le fruit ou l’application du travail de l’Homme-Dieu. Le pénitent a mis courageusement la main à la reconstruction de sa dignité personnelle, Dieu va y mettre la sienne:

Quelle parole que cette parole Ego te absolvo, moi je t’absous! On est saisi par sa brièveté et par sa hardiesse. Tout de suite on la reconnaît comme devant appartenir à la famille de ces paroles scripturaires, courtes, toutes puissantes, qui opèrent à l’instant ce qu’elles expriment (Saint Léon), à la famille des paroles comme celles -ci :
FIAT LUX, et facta est lux : Que la lumière soit, et la lumière fut;
HOC EST CORPUS MEUM : Ceci est mon corps
TU ES PETRUS : Tu es Pierre;
EGO TE ABSOLVO : Moi, je t’absous.

Voilà la parenté de cette étonnante parole; mais voici maintenant sa signification. Un prêtre étend sa main droite sur la tête d’un pénitent incliné, et il dit:
Ego, moi : moi qui te suis présent, moi homme comme toi, que tu vois et que tu entends, afin qu’à jamais tu saches bien qu’à tel jour et à telle heure il y a eu, de ta part, une suprême ouverture de tes fautes, et, sur ces fautes, une suprême réponse; afin que tu saches bien que cette réponse n’a pas été un fantôme de ton imagination, ni même une voix céleste dont les accents inconnus pourraient encore te laisser dans la perplexité; mais la réponse de moi, la réponse d’un homme dont tu étais venu humblement implorer le secours;

Et d’autre part moi, toujours moi, qui ne suis pas seul, mais qui, dans ma personne humaine consacrée par le baume sacerdotal, tiens la place de Jésus-Christ; moi en quelque sorte le prolongement du Christ, sacerdos alter Christus; moi vers qui, ô mon frère, ô pénitent de Dieu, si un séraphin venu du ciel t’apparaissait pour me disputer l’honneur et la consolation d’entendre ton aveu, moi vers qui il faudrait hardiment te porter, parce que c’est à moi, c’est à l’homme et non pas à l’ange que le Seigneur a conféré le pouvoir de pardonner: Il nous a confié le ministère de la réconciliation;

Moi donc homme et mandataire du Christ:

En face de toi: de TOI qui as pris courageusement ton pauvre cœur à deux mains, et qui l’as retourné pour verser dans le mien; oh! de toi qui t’inclines vers moi, comme moi je m’incline vers toi;
Moi et toi:
ABSOLVO, je t’absous, je te délie du péché qui t’étreint, je te délivre du poids qui t’étouffe… Moi, je repousse dans la mort ce qui en toi était déjà au pouvoir de la mort; je refoule dans les ténèbres ce qui en toi était déjà gagné par les ténèbres; absolvo, au nom de Jésus-Christ et en vertu de sa toute-puissance qu’il m’a confiée, je t’absous, ta vie passée ne compte plus;

Et de même qu’au matin de mon sacrifice eucharistique à l’autel, sous cette parole de la consécration, sous ce tonnerre de mes lèvres «hoc est corpus meum, ceci est mon corps», la matière du pain s’était précipitée, obéissante, dans le changement de substance où elle devient le corps de Jésus-Christ lui-même;

Au soir de ce même jour, sous cet autre tonnerre de mes lèvres: ego te absolvo, moi je t’absous, le péché s’est enfui; du péché il n’y avait plus la trace, plus même le souvenir ni devant Dieu ni devant son prêtre; et le pénitent incliné relevait lentement sa tête, il la relevait dans l’honneur et dans la liberté!

Ô séparation des ténèbres d’avec la lumière au sein de l’âme humaine, que tu rappelles bien celle du matin de la création, alors que Dieu rangeait d’un côté la lumière et de l’autre côté les ténèbres! L’Église a reçu cette toute-puissance de son divin Fondateur, et elle en investit chacun de ses prêtres. Aussi, à toute minute du temps, et sur n’importe quel point de l’espace, il y a un prêtre, placé là par la miséricorde, pour répéter aux désespérés, à ceux qui disent qu’il est trop tard pour se repentir
Jusqu’au dernier soir de la vie, la tige de l’espérance est encore verte; la fleur du repentir y peut éclore!(Dante)

«Trop tard», dites-vous;

Mais, entre TARD et TROP TARD, il y a un abîme: il y a le sang de Jésus- Christ!

 

retour   suite