La religion de combat par l’abbé Joseph Lémann

Livre Quatrième

Chapitre Cinquième

L’Église à aimer en mère et à traiter en reine.



- I. La physionomie de reine en notre sainte Mère l’Église. Sa douce royauté pastorale. Le moyen âge a été une grande époque parce qu’il a traité l’Église en reine.
– II. Désastre sans pareil causé par le droit commun pour toutes les religions: depuis lors, chez les Nations catholiques, l’Église n’est plus traitée en reine, mais en proscrite.
– III. Contraste pénible de l’Église humiliée et de la Synagogue comblée de faveurs.
– IV. Réparation du désastre, dans les moeurs à défaut des lois: En ayant, pour l’Église, des hommages de fidélité et d’amour entrelacés à notre vie journalière.
– V. En traitant le Souverain Pontife en roi.
– VI. En contribuant à conserver à l’Église sa liberté de faire le bien. Belle perspective d’un triomphe universel de cette pacifique royauté pastorale.

I

Durant bien des siècles, qui furent pour les peuples ceux de la foi vive et de la véritable grandeur, la religion catholique, dont l’Église est l’expression, l’organe et la propagatrice, a régné comme la seule vraie religion. On comprenait que, de même qu’il n’y a pas deux ou plusieurs soleils pour les yeux du corps, à plus forte raison peut-il y avoir plusieurs vraies religions pour les yeux de l’âme. L’Église catholique régnait donc en souveraine incontestée, ayant justifié sa souveraineté par toutes sortes de merveilles: par son merveilleux établissement, par sa conservation non moins merveilleuse à l’encontre de tous les assauts de l’Enfer, par la succession étonnante de ses Pontifes romains, par les rayons de sa sainteté, par l’éclat de sa doctrine et de ses docteurs, par ses martyrs, par ses miracles et ses bienfaits. Devant toutes ces merveilles, les Nations s’étaient inclinées: elles acclamaient leur reine, qui était aussi leur mère. Il ne sera pas sans importance pour l’esprit, et sans charme pour le coeur, de considérer, en l’Église, sa physionomie de reine, et les hommages qui en ont été la suite.

Le peuple d’Israël, dans l’ancienne Alliance, avait eu successivement deux genres de vie. Les patriarches, ses pères, avaient tous été pasteurs de brebis. Mais plus tard, en se développant et en devenant un peuple, ses goûts changèrent. Il abandonna la vie pastorale pour former un royaume. Saül, David, Salomon, furent ses premiers rois. Or, quand le divin Fils de David dut choisir un genre de vie pour son Église, il concilia et fondit ensemble ces gloires successives de ses ancêtres, les mœurs pastorales et la majesté royale. Quel tact dans cette combinaison! Expliquons-la:

La vie pastorale a des rapports plus intimes que n’importe quel autre genre de vie avec notre condition de voyageurs et le but où nous tendons. Elle est simple, austère; détachée de la terre. Paissant leurs grands troupeaux, les patriarches dressaient leur tente dans un lieu, et bientôt le besoin de nouveaux pâturages la leur faisait plier et porter ailleurs. La vie pastorale est donc forcément plus détachée de la terre, et conséquemment plus rapprochée des cieux. Il y a une affinité entre nos champs et les voûtes de l’azur. La vie y est plus éthérée, plus franche, libre avec les vastes horizons, et calme comme l’espace. C’est l’incomparable tableau biblique, que le pinceau de Raphaël a si bien rendu, de Rachel aimée de Jacob: leurs regards, purs comme leurs cœurs, et leurs coeurs purs comme le ciel, expriment la paix suave, pendant que leurs brebis boivent à leurs pieds… Mais les âmes ne ressemblent-elles pas aux brebis? les âmes qu’il faut conduire, non en les brusquant, non en les effrayant, mais avec ménagement, avec douceur, en les appelant, en les portant, en les arrachant aux ronces; les âmes qu’il faut conduire vers les collines éternelles! Le genre de vie pastoral convenait donc, avant n’importe quel autre, au caractère doux que devait avoir l’Église, et à là délicatesse que réclamaient les âmes. C’est pourquoi, vingt siècles après que le peuple juif eut abandonné la vie pastorale de ses pères, le Christ la reprit pour son Église. Entrant dans le monde par la porte des bergeries de Bethléem, il se présenta à sa bien-aimée avec ce langage: Je suis le Bon Pasteur. De là vient que l’Église est organisée comme un bercail. Ses moeurs sont les mœurs simples et modestes des campagnes: l’évêque tient une houlette, il écrit des lettres pastorales; le curé s’appelle un pasteur, et le Pape n’est-il pas le pasteur des pasteurs? Voilà le premier trait saillant de la physionomie de l’Église.

Ensuite, parce qu’il était le descendant non seulement des patriarches, mais des rois, et surtout parce qu’il était Dieu, le Christ a su fondre dans la vie pastorale de sa chère Église la majesté et les prérogatives de la royauté, et nuancer ses mœurs simples avec l’éclat et la parure des reines. Ô siècles chrétiens, recueillez, car il est pour vous, ce cri du Cantique des cantiques: Vous êtes toute belle, ô ma bien-aimée; Venez du Liban, ô mon épouse, venez, vous serez couronnée; c’était le cri d’amour et d’admiration du Christ invitant celle qu’il aimait à joindre le diadème à la vie pastorale; et voici ce diadème, décrit également par l’aigle des Prophètes, par Isaïe: Les rois seront vos nourriciers, et les reines, vos nourrices. Ils vous adoreront, le visage baissé contre terre; et ils baiseront la poussière de vos pieds. De fait, quel n’a pas été l’éclat de ce diadème? Les empereurs et les chefs des peuples convertis du paganisme au christianisme, et ensuite les rois des Nations chrétiennes au moyen âge, l’ont rehaussé à l’envi par leurs hommages, par leur protection et leurs riches dons. Parmi les hommages de leur amour filial, quel était celui qui était le plus précieux pour l’Église, le plus respectueux envers sa qualité de reine? Leur sollicitude à veiller à ce qu’elle jouît de la plénitude de sa liberté dans sa mission de faire le bien. Bossuet a défini la royauté: La puissance de faire le bien. Magnifique définition! On est roi pour faire le bien, et l’Église, durant plus de mille ans, a été traitée en reine par la liberté entière qu’elle avait de répandre des bienfaits. Princes et peuples respectaient cette liberté, et lui apportaient le tribut de leur aide et de leur concours. Le moyen âge, principalement, a été l’expression de ce respect et de ce concours. Nonobstant tous les sophismes et tous les mensonges, le moyen âge restera une très grande époque, parce qu’il a traité l’Église en reine, en même temps qu’il l’aimait en mère. C’est là son caractère propre, son honneur, son auréole, entre toutes les époques du monde. Il a eu ses défauts, ses rudesses, ses sauvageries; mais il a traité l’Église en reine. Aucune autre religion n’a eu place au soleil de sa foi. Reléguée dans l’ombre, la religion juive conservait son autonomie, sa liberté de conscience, comme une servante: l’Église, seule, était reine.

II

Tout à coup, au sein des Nations catholiques, retentit ce cri, qui étonne le reste du monde: Le droit commun pour toutes les religions! Il signifiait: sur la même ligne, toutes les religions; ni plus ni moins pour l’une comme pour l’autre.

Détestable impiété! erreur inimaginable! désastre sans pareil. En effet:

Détestable impiété: vu que des pays baptisés dans la vérité et dans l’amour ne tenaient plus compte, dans les affaires publiques, du Dieu fait homme et mort sur la croix. Arrière, et au loin, le Golgotha! qu’il n’apparaisse plus dans la vie politique! Détestable erreur, orgueilleux affranchissement, condamné par cette formelle déclaration de saint Paul: Dieu, en assujettissant au Christ toutes choses, n’a rien laissé qui ne lui soit assujetti.

Inimaginable erreur: vu que ce principe du ni plus ni moins assimilait la vraie religion aux fausses religions, et que l’initiative de cette assimilation blessante partait du pays le plus éclairé, le plus intelligent, le plus pieux: de la France! Désastre sans pareil: vu que permettre à toutes les religions fausses, aux hérésies, aux schismes, aux monstruosités de l’orgueil et même de l’immoralité, de venir se ranger sur la même ligne que la religion catholique, c’était autoriser d’avance la ligue légale de toutes les erreurs, de toutes les monstruosités, contre la religion catholique, contre les établissements catholiques, contre la vie catholique. Or, le désastre ne s’est pas fait attendre. Il dépasse même tout ce que les bons pouvaient redouter, tout ce que les mauvais pouvaient se promettre. Le mal n’est-il pas, à cette heure, légalement protégé, et le bien n’est-il pas légalement gêné, comprimé? Dans la première des deux Chambres françaises, un noble duc ne faisait-il pas entendre ces accents indignés, aux applaudissements de tout ce qui reste d’honnêtes gens: Allez à l’honneur, puisqu’on vous y convie, à l’honneur qui consiste à ouvrir les bagnes et à fermer les couvents! Un pareil désastre eût-il été possible, si, dès le début, on eût barré le passage au droit commun pour toutes les religions? C’est lui qui a forgé les deux clefs dont l’une ouvre les bagnes, et dont l’autre ferme les couvents.

III

Veut-on se rendre compte du désastre, par un autre exemple où la honte se joint à l’abattement, pour quiconque sent les choses? Qu’on prenne la peine de comparer le sort échu aux israélites avec celui qui est fait aux catholiques. Pour peu qu’on ait conservé un reste d’amour de la religion chrétienne, on éprouve un serrement de cœur en constatant qu’à l’encontre de ce qui se passait au moyen âge, les catholiques sont officiellement honnis et conspués, et les juifs, officiellement honorés et favorisés. Ô vous, qui frémissez de ce contraste, et qui avez feuilleté la Bible, vous souvient-il d’une histoire qui a certainement intéressé votre enfance et ému alors votre imagination: l’animosité d’Ismaël contre Isaac, dans leurs jeux d’enfants? Isaac est le fils de Sara, qui, dans la langue sainte, signifie reine: Sara est reine auprès d’Abraham, roi-pasteur. Ismaël, au contraire, est le fils de la servante, d’Agar qui est pleine d’arrogance. Stimulé par l’arrogance de sa mère, Ismaël jouant avec Isaac l’a maltraité: il le déteste, parce qu’Isaac est l’enfant du miracle et l’héritier de la promesse du Messie. Celle qui est reine se plaint auprès du patriarche, et Abraham, averti par l’ange du Seigneur d’avoir égard aux plaintes de Sara, met à la porte Agar, malgré la légitime affection qui l’unit à elle et la douleur d’une séparation; il l’abandonne dans le désert, en ayant soin de déposer un pain de froment dans sa main, et une cruche d’eau sur son épaule.

Voilà l’épisode biblique. Veut-on, maintenant, comprendre d’un seul trait la situation douloureuse faite aux catholiques sous les yeux des israélites? Qu’on renverse la figure biblique, qu’on intervertisse le rôle des personnages:

C’est la reine qui est mise à la porte, l’Église catholique; C’est la servante qui est comblé de faveurs, la Synagogue! Aussi, quels ne sont pas les cris arrogants des israélites? et quels ne sont pas les gémissements des catholiques? Mais voici le comble de l’odieux: Quand le patriarche dut renvoyer Agar, il lui mit, plein de compassion, une cruche d’eau sur l’épaule et un pain à la main: tandis qu’à l’Église catholique, à la reine qu’on jette dehors – hors les lois, hors les écoles, hors les institutions, hors le pays – à la reine chassée et vilipendée, on va jusqu’à lui soustraire, par tous les moyens possibles, le pain et l’eau. Cette soustraction n’est-elle pas manifeste, quotidienne, misérable? Mais aussi ce n’est plus une autorité, digne de ce nom, qui dirige la marche de la société, c’est l’apostasie! Ô gouvernements catholiques, ô populations catholiques, pourquoi avez-vous commis la faute de laisser établir le droit commun pour toutes les religions? Comprenez donc et contemplez donc ce qui est advenu:

Le droit commun abrite toutes les erreurs, toutes les monstruosités; mais est exclu de l’abri le seul catholicisme, parce qu’il est la vérité et le bien.

IV

Ce désastre est-il réparable? Un remède est-il possible? L’espérer de la politique qui, sans revenir au moyen âge, rendrait cependant à l’Église sa situation de reine, ce serait un vrai miracle; et le Dieu d’amour qui dispose les choses en vue de la glorification de son Église bien-aimée en est seul capable. Mais ce qui semble abandonné des projets de la politique peut être repris et préparé par la pratique, et ce qui n’est plus inscrit dans les lois peut reparaître dans les mœurs. Or les mœurs peuvent contribuer à conserver à l’Église son rang de reine, de plusieurs manières: D’abord par des hommages invariables de fidélité et d’amour. Bons catholiques, enfants fidèles, ce soin vous regarde. Voici quelques exemples où votre fidélité, et votre amour éclateront: Vous traiterez l’Église en reine si, entendant émettre cette proposition: Toutes les religions sont bonnes, vous arrêtez hardiment cette proposition en disant: Une seule est la vraie, une seule est la bonne!

Vous traiterez l’Église en reine si, apercevant un prêtre, des religieux, des religieuses en voyage, comme vous, vous ne fuyez pas leur compagnie, mais la recherchez, par honneur pour la sainte Église. Vous traiterez l’Église en reine si, ayant à faire des achats, vous les faites de préférence dans des magasins catholiques. L’étoffe de la terre sera peut-être moins brillante, l’objet passager peut-être moins bien confectionné qu’ailleurs: mais votre acte sera comme une perle déposée dans le diadème de votre reine! Vous traiterez l’Église en reine si, ayant à choisir entre deux écoles pour vos fils et vos filles, dont l’une serait catholique, et l’autre non, vous dites: Mes enfants iront auprès de la reine qui est aussi leur mère, ils n’iront pas chez l’intruse qui serait leur marâtre. Vous traiterez l’Église en reine si, ayant à nommer un homme de votre choix pour la chose publique, vous mettez tous vos soins à nommer un homme qui ne soit ni hostile à l’Église ni indifférent à l’Église, mais favorable à l’Église. Car indifférence, à cette, heure, est aussi coupable qu’hostilité.

Enfants fidèles, agrandissez votre foi, pour que dans tous vos actes, publics aussi bien que privés, vous fassiez apercevoir, en la sainte Église, une mère à aimer et une reine à servir.

V

Ce sera encore traiter l’Église en reine que de traiter en roi le Souverain Pontife.

Journée royale, extraordinairement royale, que celle du 1er janvier 1888, à Saint-Pierre de Rome, pour les noces d’or de Léon XIII! Les beaux hommages de Constantin et de Charlemagne envers le Pape et l’Église étaient revenus. Complétons ce que nous en avons déjà dit (pages 10-14 [pages 17- 20 dans cette édition]). «Il y a quarante mille personnes dans la basilique. L’abside, le chœur de Saint-Pierre présentent le plus étonnant coup d’œil: uniformes brodés des membres du corps diplomatique étincelants de dorure; parterre violet d’évêques, sur lequel se détachent des robes blanches, brunes et noires de moines; noblesse romaine chamarrée de cordons; représentants de toutes les nations du globe; il y a là comme une récapitulation de l’univers… L’horloge intérieure sonne neuf heures… Voici Léon XIII, voici le Pape. Porté sur sa sedia gestatoria, il s’avance plus grand que les hommes, détaché de la terre. Il semble glisser sur un tapis humain, revêtu de la chasuble et coiffé de la tiare. «Il s’avance entre deux haies mouvantes de suisses, dans le chemin déjà bordé par la garde palatine, par les massiers multicolores et le chapitre de Saint-Pierre, salué par des chants, auxquels répondent les trompettes d’argent, installées dans la coupole, et des cris enthousiastes, enivrants et mille fois répétés de: «Vive Léon XIII! Vive le Pape Roi!» Les chapeaux et les mouchoirs sont agités en l’air, les applaudissements recommencent sans nombre et sans fin: tout le cortège de la Foi et de l’Amour! «Sa main est tendue pour bénir. Sa tête est penchée vers son peuple, dans une attitude d’inexprimable tendresse. Il est plus que beau, il est céleste, il est diaphane, il est immatériel, entre ses deux grands éventails de plumes blanches, les flabelli, qu’on porte à ses côtés, et qui paraissent des ailes immenses planant entre le ciel et la terre. «Il ne voit personne, et il semble regarder chacun de nous en particulier. Et dans nos âmes un apaisement s’établit, une détente se crée qui fait monter dans nos yeux des larmes de joie et d’attendrissement.

«À mesure qu’il s’approche, il semble grandir encore, et nous ne voyons plus, au milieu de cette pompe extraordinaire, que lui, l’Homme blanc, le Vicaire du Christ.» Cette journée a été le triomphe des moeurs chrétiennes sur les lois révolutionnaires. Le peuple chrétien, d’un pôle à l’autre, s’est levé pour acclamer le Vicaire de Jésus-Christ, réduit en captivité dans cette Rome qui doit tout aux Papes, et dans ce palais du Vatican, la seule demeure que n’ait pas envahie l’étranger. Il a entraîné dans son élan magnanime les gouvernements et les pouvoirs publics; et tous, peuples et rois, ont fléchi le genou devant le Pontife aux trois couronnes, exaltant son nom et s’inclinant devant son irréprochable et irrésistible puissance. Une feuille peu suspecte, comparant la situation du Pape et celle du roi d’Italie, concluait: «… Le roi Humbert, en entendant les acclamations qui lui arrivaient du Vatican, a dû faire de sombres réflexions sur l’isolement dans lequel il était laissé, alors que toutes les pompes de la souveraineté entouraient le Pape, et très probablement il a dû se dire: «Le prisonnier, ce n’est pas lui, c’est moi.» Ô Église catholique, en cette éclatante journée, tu as bien apparu comme la seule reine! Puissent les moeurs arracher à la politique d’autres semblables surprises!

VI

La prérogative essentielle de la royauté réside, avons-nous dit plus haut, dans la puissance de faire le bien. Ce sera donc traiter encore l’Église en reine que de contribuer, par tous les moyens possibles, à lui assu rer le plein et libre exercice de sa puissance de faire le bien. Il y aura bientôt trois quarts de siècle que des personnalités généreuses, surgissant dans les rangs catholiques et s’armant, avec la bravoure des anciens Croisés, du glaive de la parole et de la plume, auront contribué à conserver à l’Église, devant les Parlements et l’opinion publique, sa liberté d’enseigner. Combats de tirailleurs, combats d’avant-garde, batailles rangées, rien n’a coûté à leur constance et à leur abnégation pour aider à ce rayonnement bienfaisant et princier, ordonné par le Christ: Docete omnes gentes, enseignez toutes les Nations!… Parfois, les efforts n’ont pas été assez disciplinés, et même, comme il arrive dans la fougue des batailles, il y a eu des coups de tête, des engagements périlleux, et, parfois aussi, des discussions pénibles entre compagnons d’armes. Mais l’ensemble de la lutte a été mémorable, grandiose, fructueux; et il restera à l’honneur des catholiques du milieu de ce siècle, que non seulement ils ont aimé l’Église comme la plus tendre des mères, mais que, défendant leur reine avec jalousie, ils ont maintenu à son front le premier de ses diadèmes, celui qui présente cette inscription gravée par Jéhovah lui-même, sur la tiare du Grand’Prêtre: Doctrine et Vérité. Lacordaire, Montalembert, Salinis, Veuillot, Gerbet, Dupanloup, et tant d’autres, dormez en paix: l’Église porte toujours à son front le précieux diadème pour lequel vous avez combattu, et à son tour elle garde et bénit vos tombes!

Héritiers de leurs combats, nous, catholiques des dernières années du siècle, sachons continuer l’élan de magnanimité dont nous avons reçu le dépôt. Les royales prérogatives de l’Église réclament cet élan. Car, avec sa liberté d’enseigner qui est de nouveau en péril, sont aussi menacées et sa liberté dans l’apostolat et sa liberté dans la bienfaisance. Debout donc, ô catholiques, autour de notre reine! Ô Église, tu resteras reine: vois comme tes pieux enfants combattent pour conserver libre et intacte ta puissance de faire le bien! Ils ne se montrent pas inférieurs à ceux qui ne sont plus. Porte-diadèmes de l’Église sont les Mermillod, les Freppel, les Monsabré, les de Mun, les Chesnelong, les Lucien Brun, les Keller, les Harmel, comme l’ont été les Lacordaire, les Ravignan, les Dupanloup et les Montalembert. C’est la même sève, le même feu, le même amour. L’Église, reine toujours jeune et belle, suscite toujours la lignée des chevaliers!

Ô Église, tu resteras reine, parce que, même des rangs de ceux qui te combattent et dénigrent tes diadèmes, te viendra un secours: ce secours, la lassitude de l’égarement et le besoin de ta bienfaisance. Un de tes enfants a salué, d’un regard inspiré par l’amour, ce dénoûment consolateur: «Lorsque le temps aura fait justice des malheureuses théories qui, en asservissant l’Église catholique, lui ont enlevé une grande partie de son action sociale, il sera facile de savoir quel remède y apporter; on connaîtra que l’art de gouverner les hommes ne consiste pas à lâcher sur eux la liberté du mal en mettant le bien sous fidèle et sûre garde. On délivrera le bien; on dira aux hommes fatigués d’ennuis séculaires: Vous voulez vous dévouer à Dieu? dévouez-vous. Vous voulez vous retirer de ce monde trop plein où les intelligences surabondent? retirez-vous. Vous voulez consacrer votre fortune au soulagement de vos frères souffrants? consacrez-la. Vous voulez donner votre vie à enseigner le pauvre et le petit? enseignez-les. Vous tous qui voulez le bien sous quelque forme que ce soit, qui livrez la guerre à l’orgueil et aux sens révoltés, venez et faites. Nous nous sommes usés à combiner des formes sociales, et la Vie n’est jamais descendue dans nos creusets brisés. Qui a la vie la donne, qui a l’amour le répande, qui a le secret le dise à tous! Alors commenceront des temps nouveaux avec une nouvelle effusion de richesses; et la richesse, ce n’est ni l’or, ni l’argent, ni les vaisseaux qui rapportent des extrémités de la terre des choses précieuses, ni la vapeur et les chemins de fer, ou tout ce que le génie de l’homme peut arracher des entrailles de la nature: la richesse, il n’y en a qu’une, et c’est l’amour!» Ainsi serait justifiée et exaltée, dans un complet triomphe de la terre avant de l’être dans celui des cieux, la pacifique royauté pastorale de l’Église que nous nous sommes plu à décrire. Elle avait droit à tous les honneurs, et le seul dont elle se soit montrée jalouse était la liberté de transformer la terre entière en un immense et doux bercail. Gouvernements et peuples auront compris, à la fin, l’importance de l’aider et de la favoriser dans l’achèvement de ce bercail d’amour.



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