La religion de combat par l’abbé Joseph Lémann

Livre Quatrième

Chapitre Septième

SECONDE SECTION : L’ATTAQUE

L’Attaque catholique, sa nécessité, sa légitimité
et sa nature à notre époque.



- I. Passage de la défense à l’attaque.
– II. Notion de l’attaque catholique: elle s’adresse uniquement au mal, et demande un courage soutenu par l’amour.
– III. L’attaque devenue nécessaire. Comparaison tirée des oiseaux de nuit aveuglés par une lumière subite.
– IV. Réponse aux objections suscitées par le découragement: «Les urnes, au lieu des armes»; «Le salut viendra de l’excès du mal». – V. La grande voix de Léon XIII appelant au combat.
– VI. Quel est, dans le passé, le combat qui exprime le mieux celui que les catholiques doivent engager, et qui leur promet la victoire?



I


Il y a des luttes où, pour être victorieux, il faut savoir prendre l’offensive, c’est-à-dire adopter la marche en avant. Un profond tacticien a donné ce conseil: «Ceux qui sont le plus en danger ne doivent pas s’en tenir à la défensive; il faut qu’ils aillent jusqu’à l’offensive, jusqu’à l’attaque.»En effet, avec la simple défensive, dans une grande cause, on est perdu; car on languit, on s’émiette, on se dissout, et l’on finit par disparaître. Ce qui a fait le salut de l’Europe et de la chrétienté à l’époque des Croisades, c’est que, précisément, on sut prendre l’offensive contre le Croissant. Un excellent penseur a dit: «Quelle conduite devaient tenir les chrétiens pour se préserver du péril? Valait-il mieux attendre tranquillement en Europe l’attaque des Musulmans, ou se lever en masse, se précipiter sur l’Asie, chercher l’ennemi dans son propre pays, là où il se croyait invincible? Le problème fut résolu dans ce dernier sens; les Croisades eurent lieu, et les siècles ont donné leur suffrage à l’habileté de cette résolution.» L’Europe, en effet, passa hardiment en Asie, et fut sauvée de l’Islam. La même résolution est indispensable à cette heure; il faut absolument adopter la marche en avant: non pas contre des infidèles au delà des mers, mais contre des infidèles, hélas! dans nos rangs; des infidèles par apostasie, mille fois plus redoutables et d’une méchanceté plus perfide. C’est dans ce passage de la défense à l’attaque que se réaliserait vraiment, pour les catholiques, la belle dénomination qui leur appartient: fils du Dieu vivant; Dieu est vivant, parce qu’il agit toujours, et qu’il reste le maître L’Église est vivante, parce que, sa marche étant toujours en avant comme celle d’un fleuve au cours triomphal, sa catholicité se renouvelle sans cesse: rien ne l’arrête; Et les catholiques se montreront dignes de leur belle dénomination en restant les maîtres du mouvement du monde et de la direction des choses. Aussi bien, saint Thomas d’Aquin dit: Il est permis d’attaquer ses ennemis pour les éloigner du péché; à plus forte raison pour les empêcher de plonger dans le péché la société chrétienne tout entière. Mais quelle est cette attaque?

II

L’attaque catholique implique deux éléments: L’opposition au mal, et le courage dans cette opposition. Quel est ce mal contre lequel on doit se lever comme autrefois se levait le Seigneur dans sa juste colère? «À cause de la misère du pauvre, et des gémissements de ceux qui souffrent; à cause de l’oppression de mon peuple, je vais me lever», a répété, maintes fois, le Seigneur sous l’ancienne Alliance, et son secours apparaissait; À son exemple, quel est le mal contre lequel on doit se lever, justement indigné? C’est:

Le mal intellectuel ou l’erreur; Le mal moral ou le vice; L’erreur et le vice, ces deux louves cruelles qui ravagent le troupeau de Dieu, ainsi que Dante les nommait; l’erreur qui fait sombrer les intelligences, le vice qui ruine les volontés et les santés. Voilà le mal, les louves, que, sans cesse, a recherchées et poursuivies l’attaque catholique, avec une indignation presque toujours triomphante. Mais ne vise-t-elle pas aussi les personnes? ne doit-on pas chercher à frapper et à détruire les personnes qui sont les ennemis déclarés de Jésus-Christ et de son Église? Cela n’est licite que dans un cas extrêmement rare, celui des guerres saintes: par exemple les Croisades, où les armées de l’Europe se jetèrent contre les Turcs, à ce cri de commandement poussé par un Pape: Dieu le veut! Dans tous les autres cas, l’attaque catholique qui s’adresse à l’erreur et au vice qu’elle déteste, respecte et épargne la personne humaine qu’elle chérit. Autre éclaircissement: L’attaque catholique ne peut-elle pas viser un gouvernement persécuteur? Réponse:

L’autorité légitime de ce gouvernement? non, jamais; mais l’erreur et le vice dont ce gouvernement empoisonne ses sujets, c’est-à-dire le mal intellectuel et moral? oui, vraiment, et résolument, avec noble indépendance. Lorsque l’apôtre saint Pierre entra pour la première fois dans Rome païenne, sous le règne de Néron, il est dit dans les magnifiques homélies de saint Léon le Grand, que l’intrépide apôtre pénétrait dans cette espèce de forêt, retraite de bêtes farouches, et qu’il marchait sur les profonds abîmes de cet océan plein de tempêtes. Saint Pierre respecta l’autorité de Néron; mais il affronta cet océan dangereux, il brava ces bêtes farouches, et bêtes et océan, tout fut dompté par lui.

Donc, en thèse générale, le mal, uniquement le mal, voilà ce contre quoi le zèle catholique se lève, comme il est dit dans la Bible que le Seigneur se levait.

Le courage est son deuxième élément constitutif: courage d’autant plus élevé et invincible, qu’il a Dieu comme source, Dieu pour soutien, et Dieu comme récompense.

Que ses exploits sont beaux à travers les siècles! Autant de formes du mal, autant de variétés du courage chrétien: C’est le soldat saint Victor qui, entraîné devant les statues des idoles pour leur brûler de l’encens: «Voici l’encens,» dit-il, et d’un coup de pied il les fait rouler à terre; C’est le pontife saint Basile qui, menacé par un prince hérétique d’avoir son ministère entravé, répond: «Il n’est pas plus facile d’enchaîner la parole d’un évêque que d’enchaîner un rayon de soleil.» C’est la grande comtesse Mathilde qui, après un revers de ses armes au service du Saint-Siège, accueille les débris de son armée par ces paroles: «Vainqueurs hier, nous sommes vaincus aujourd’hui; il n’y a que le courage qui soit de tous les jours.» C’est le Croisé qui s’arrache aux douceurs d’une vie de château, et aux étreintes de sa femme et de ses enfants, pour aller au loin, bien loin, délivrer le Saint-Sépulcre; C’est l’héroïque enfant de la Vendée qu’un soldat de la République couche en joue, en lui criant: «Rends-toi!» – «Et toi, rends-moi mon Dieu!» répond l’intrépide chrétien, et il tombe martyr. Tel est le courage dans l’attaque catholique; il se confond avec l’amour, c’est son plus bel éloge, cet amour dont parle ainsi l’auteur de l’Imitation: L’amour souvent ne connaît point de mesure; mais, comme l’eau qui bouillonne, il déborde de toutes parts… Jamais l’amour ne prétexte l’impossibilité parce qu’il se croit tout possible et tout permis, et aussi, le courage chrétien dans son zèle contre le mal, il déborde de toutes parts, et il ne prétexte jamais l’impossibilité.

III

La nécessité de cette attaque qui a le mal pour objet et, pour aliment, la flamme du courage, ne s’est jamais fait sentir plus impérieusement aux catholiques qu’à l’heure présente. Une comparaison tirée des oiseaux de nuit va le faire comprendre. Voici, d’abord, la description de ces sombres oiseaux et de leurs mœurs cruelles: «Ils ont une haine déclarée pour la lumière, ils l’évitent comme leur ennemie, et ils se cachent dans les antres les plus obscurs, pendant qu’elle éclaire l’univers. Ils attendent avec impatience le retour des ténèbres, pour sortir des prisons où le jour les tient enfermés, et ils témoignent alors leur joie par des cris, qui portent la crainte et l’effroi dans l’esprit de ceux qui les entendent. «Leur figure a quelque chose de sauvage, de hideux, de taciturne; on croit voir, dans leur physionomie, la haine peinte contre l’homme et contre tous les êtres vivants. «Ils ont presque tous un bec crochu et des serres tranchantes; leur proie une fois saisie ne peut échapper. «Ils se servent des ténèbres et du temps du sommeil pour surprendre les autres oiseaux endormis, joignant ainsi la surprise à la cruauté, l’artifice à la fureur; et après n’avoir veillé que pour le malheur public, ils se retirent avant le lever du soleil dans leurs cavernes sombres et inaccessibles à la lumière. «Ils préfèrent ordinairement les anciens bâtiments tombés en ruine, à toutes les autres retraites, comme si la désolation et les ruines qui marquent les négligences des maîtres ou la décadence des familles étaient capables d’inspirer quelque sentiment de joie à ces funestes oiseaux.»

De la description des oiseaux de nuit, passons à celle des hommes de mal: La physionomie de ces hommes, qui ont l’âme noire, n’est-elle pas identique à la figure sauvage, hideuse, taciturne des oiseaux de nuit? Ne joignent-ils pas, comme eux, la surprise à la cruauté, l’artifice à la fureur? N’apparaissent-ils pas aux époques sombres de l’humanité, alors que la nuit descend sur la société? Les ruines ne sont-elles pas les retraites qu’ils choisissent de préférence? Il leur faut des ruines; et depuis que, sous les coups de la Révolution, l’Europe et, en particulier, la France, se sont couvertes de décombres, les oiseaux de nuit, je veux dire les hommes de ténèbres, ne se sont-ils pas multipliés? Il semble qu’on n’aperçoive plus dans l’air qu’esprits impurs, que bandes noires: l’atmosphère en est vicié. Et enfin, le sommeil de l’indifférence ayant favorisé la sortie et les manœuvres des hommes de mal, n’ont-ils pas, sinon en proie, du moins en expectative de proie, tous les hommes de bien?

C’est là notre état. Heureusement qu’il peut aboutir à une solution de délivrance, mais à la condition d’une offensive hardie et générale. En effet, revenons aux oiseaux de nuit:

Il y a un moyen de les rendre faibles. Si pendant qu’ils sont sortis de leurs retraites et répandent l’effroi au milieu des ténèbres, une lumière vient subitement à briller et les surprend; aussitôt ces funestes oiseaux sont éblouis et aveuglés. Ils ne voient plus où ils vont. Ils donnent tête baissée contre tous les obstacles, au lieu de les tourner et de se tirer d’affaire. En un mot, à l’encontre des autres créatures pour qui la nuit est pleine de dangers, pour eux, c’est le jour qui est plein de dangers! N’y a-t-il pas là, gravée dans la nature, une bien éloquente leçon d’offensive? Les hommes de mal sont des oiseaux de nuit, et les catholiques sont des porte-lumières. Montrez-vous donc, ô catholiques! Vous avez tous les moyens d’aveugler et de déconcerter vos ennemis. Ce qui fait leur audace et leur force, ce sont les ténèbres; ils se sentent forts dans un temps de conspirations, de sociétés secrètes. Ce qui amène leur faiblesse, c’est le plein jour, un temps d’action à découvert. Il faudrait, si c’était possible, saisir le soleil dans son orbite et le plonger dans les yeux et les actes de ces gens-là!

IV

«Nous sommes découragés, nous sommes devenus timides,» objectent beaucoup d’hommes de bien. De fait, à part quelques champions fiers mais passagers comme les aigles, l’audacieuse et entreprenante race de Japhet ne se reconnaît plus, en Europe, dans les rangs du bien; et dans cette France, dont le nom signifie franchise, exemption du joug, marchent, la tête baissée, trop de Français qui ont accepté le joug du mal. Allons, race de Japhet, reprends ton audace; enfants de la vieille France, brisez le joug des hommes de mal. Voyons vos objections: Vous dites: «Les conditions du combat ont changé. Au temps des Croisades, on criait: Aux armes! maintenant, on crie: Aux urnes! Ce n’est plus le glaive qui décide de la victoire, c’est le scrutin. Or, s’il s’agissait de tirer le glaive, nous nous lèverions; mais devant le scrutin, nous sommes sans force, sans énergie.»

Hommes de bien, quelle erreur est la vôtre! Comment! parce que le combat n’est plus sanglant, mais est devenu intellectuel, vous croyez devoir vous abstenir, et vous laissez tomber vos bras. Comprenez donc, et revenez vite à l’action. Ces combats nouveaux où le glaive n’intervient plus, mais où les voix se comptent, et où, sous les voix, les âmes se montrent: ces sortes de combats s’annoncent comme devant être les grandes luttes providentielles de la consommation des siècles. Ils furent les combats du commencement, alors que saint Michel avec les anges fidèles combattait contre Lucifer et ses légions: nullement avec des glaives, mais avec leurs voix. Qui est comme Dieu! avec leurs votes d’esprits purs! Combattez de même, votez bien. Ces combats, où les âmes se montrent, vous sont avantageux: si les fils de lumière doivent être vainqueurs quelque part, c’est bien dans la région des âmes et des esprits!

Vous dites, dans une autre objection: «Pourquoi nous montrer, pourquoi agir? Ce n’est plus nécessaire. Les mauvais sont en possession légale du pouvoir public. Le salut viendra de l’excès du mal.» C’est là une fausse espérance, et, de plus, cette manière de penser et de parler n’est pas permise. Non, il n’est pas permis de rien attendre de l’excès du mal. Le mal ne produira jamais que le mal. Dieu sans doute laisse faire le mal parce qu’il sait qu’avec sa souveraine sagesse et sa toute-puissance il en tirera le bien. Mais nous, créatures, nous ne devons jamais faire fond sur l’excès du mal pour en espérer la sortie du bien. Pareil procédé n’est pas catholique. Ce qui pourra contribuer à notre salut, ce n’est pas l’excès du mal, c’est ce que j’appellerai l’avènement du mal à la lumière; c’est bien différent. En effet, il est prouvé par l’expérience que le plein jour est funeste aux projets des mauvais, tout comme la lumière aux oiseaux de nuit. Or, en s’emparant du pouvoir ou de la puissance publique, il est arrivé que le mal s’est fourvoyé dans le grand jour, et j’affirme que c’est là ce qui le tuera. Les peuples commencent déjà à se rendre compte des résultats des Sociétés secrètes par leur avènement à la lumière. Le grand comte de Maistre a porté ce jugement prophétique: La Révolution de 89 et de 93 enfantera un monstre, et les peuples reculeront d’horreur. Nous y sommes, à cette époque du monstre! Cela étant, quel est le devoir des catholiques? S’abstenir? Qu’ils s’en gardent. Mais puisque le mal s’est fourvoyé dans la lumière en prenant possession du pouvoir, les catholiques doivent avoir comme tactique, et se faire une obligation, d’augmenter, d’accumuler la lumière, de la rendre vengeresse, de la promener du haut en bas, et de long en large, du corps social, afin que le mal soit bien éclairé, et qu’on contemple le monstre! Tout doit contribuer à cette clarté vengeresse: réunions où l’on démasque la franc-maçonnerie; publications populaires pour dire au peuple trompé: «Mais regarde donc!» vigoureuse organisation de la bonne presse qui atteigne les endroits les plus reculés. En un mot, dans ces terribles et dernières convulsions du mal révolutionnaire, il faut que l’immense clarté catholique soit la voix qui crie: Laissez passer la justice de Dieu!

V

Si quelque hésitation était encore possible, ne devrait-elle pas s’évanouir devant la grande voix de Léon XIII, ordonnant le combat, et devant l’attitude du courageux Pontife qui, joignant l’exemple au commandement, s’est dressé, avec ses muscles de lion, avec sa plume qui vaut mieux que l’épée des Machabées, contre la franc-maçonnerie? Il vous appelle au feu, à l’action, au péril; que sa voix est pressante! écoutez:

Comme un général d’armée, il montre ceux qu’il faut attaquer: «Il importe souverainement de démasquer, de traduire au grand jour leurs secrets conseils, afin que, après avoir ouvert les yeux sur leurs desseins, les catholiques sentent se réveiller l’ardeur de leurs âmes, et se décident à défendre ouvertement et intrépidement l’Église, le Pontife romain, c’est-à-dire leur salut.»

Il déclare légitime la guerre catholique: «Les biens de l’ordre le plus digne d’estime sont en péril; pour les conserver il n’y a pas de fatigues qu’il ne faille endurer.» Et encore: «Cela semble incroyable, et pourtant cela est vrai: nous en sommes à ce point en Italie d’avoir à redouter la perte même de la foi.»

Il condamne et flétrit l’inertie: «Jusqu’à présent, soit par inexpérience du nouvel état de choses, soit faute de s’être suffisamment rendu compte de l’étendue du péril, le courage de plusieurs dont on pouvait beaucoup attendre n’a pas paru se déployer avec toute l’activité et toute la vigueur que demandait le soutien d’une si grande cause. Mais, maintenant que nous avons appris par expérience en quels temps nous sommes, rien ne serait plus funeste que de supporter avec une lâche inertie la malice des méchants qui jamais ne se lasse, et de leur laisser le champ libre pour persécuter l’Église jusqu’à pleine satisfaction de leur haine.»

Et ces autres paroles: «C’est pourquoi, après avoir secoué la négligence ou la torpeur qui aurait pu s’établir, que tous les bons embrassent la cause de la religion et de l’Église comme la leur, et qu’ils combattent fidèlement et avec persévérance pour elle. Il arrive trop souvent, en effet, que les méchants se confirment dans leur malice et dans la faculté de nuire, et même qu’ils s’en prévalent par l’inertie et la timidité des bons.»

Il convie ses frères les évêques à faire comme lui: «Pour vous, Vénérables Frères, réveillez les endormis, stimulez les hésitants.» «Puisque l’ennemi ne se donne aucune relâche, le silence et l’inaction ne sauraient non plus nous convenir, ni à Nous, ni à vous.» «Nous vous prions, Vénérables Frères, nous vous conjurons d’unir vos efforts aux Nôtres, et d’employer tout votre zèle à faire disparaître l’impure contagion du poison qui circule dans les veines de la société et l’infecte tout entière.»

Il réclame l’élan d’une généreuse audace: «Que tous les amis du nom catholique comprennent donc enfin qu’il est temps d’oser quelques efforts et de s’arracher à tout prix à une languissante insouciance, car on n’est pas plus promptement opprimé qu’en dormant dans une lâche sécurité. Qu’ils voient comment le noble courage de leurs ancêtres n’a connu aucune crainte ni aucun repos; comment, par leurs infatigables travaux et au prix de leur sang, la foi catholique a grandi dans le monde.» Et encore, avec plus de force: «Arrachez à la franc-maçonnerie le masque dont elle se couvre et faites la voir telle qu’elle est.»

Il recommande la vertu tacticienne: «La prudence de l’esprit!» «Cette vertu nous apprend à garder un admirable tempérament entre la lâcheté qui porte à la crainte et au désespoir, et une présomptueuse témérité.»

Il félicite ceux qui auront à souffrir: «Si quelques vexations attendent nos fils dévoués, s’il leur faut soutenir le combat, qu’ils osent descendre dans l’arène; un chrétien ne saurait souffrir pour une plus juste cause que pour préserver la religion d’être déchirée par les méchants. Car, si l’Église a engendré et élevé des fils, ce n’est pas pour qu’aux heures difficiles elle ne pût en attendre aucun secours, mais bien pour qu’à son repos et à d’égoïstes intérêts chacun préférât le salut des âmes et l’intégrité de la cause chrétienne.»

Il en appelle enfin à une immense coalition: «Que les gens de bien s’unissent donc, et forment une immense coalition de prières et d’efforts!» «Quoi qu’il en puisse advenir!» a dit, en donnant ses ordres, le magnanime vieillard, dépositaire du feu sacré.

Acclamations donc, et obéissance, à cet athlète divin qui a sonné ainsi la charge contre la cité du mal! Debout, toute la cité du bien! Deux amours ont fondé deux cités: l’amour de Dieu qui va jusqu’au mépris de soi, et sa cité est celle du bien; l’amour de soi qui va jusqu’au mépris de Dieu, et sa cité est celle du mal; La cité de l’amour de Dieu s’est rangée tout entière autour de son Pontife, contre la cité de l’amour de soi; Debout! voici poindre le jour, et c’est l’heure de marcher.

VI

Notre marche en avant qui, avec le même souffle qu’aux Croisades, n’en appelle pas à l’épée et à la lance des chevaliers, n’a-t-elle pas, cependant, quelque part, un type, un modèle, qui soit sa force? Oui, vraiment; et ce type est si relevé, si exceptionnel, qu’il a eu sa figure sous l’ancienne Loi, avant d’avoir sa réalité sous la Loi nouvelle. Quel est-il? Voici, d’abord, la figure: L’homme le plus fort qui ait paru en Israël, Samson, étant tombé entre les mains des Philistins, était devenu le captif des ténèbres: ses ennemis lui avaient arraché les yeux, et il était employé à tourner la meule.

Dans une des réjouissances solennelles en l’honneur de leur dieu Dagon, les Philistins le font venir. Il est amené dans l’intérieur du temple, qui avait un toit plat. Là, il devient le jouet de ses ennemis, l’objet de leurs insultes et de leurs railleries les plus lâches. Le pauvre aveugle avait été placé, debout, entre deux colonnes. Il dit au jeune garçon qui le conduisait: Laissez-moi toucher les colonnes qui soutiennent toute la maison, afin que je m’appuie dessus et que je prenne un peu de repos. Or, la maison était pleine de monde; du toit plat qui formait terrasse, plus de trois mille personnes, dit la Bible, se divertissaient à le regarder par l’ouverture du milieu, et à le railler; tous les princes des Philistins y étaient. Samson fait à Dieu cette prière suppliante: Seigneur mon Dieu, souvenez-vous de moi; mon Dieu, rendez-moi maintenant ma force première. Prenant donc les deux colonnes sur lesquelles la maison était appuyée, tenant l’une de la main droite, et l’autre de la main gauche, il les secoue avec force, en disant: Que je meure avec les Philistins! Et la maison s’écroule, l’écrasant avec l’immense assemblée: glorieux holocauste de lui-même sur les cadavres de ses ennemis! Telle fut la figure; voici, maintenant, la réalité: Jésus-Christ, le Fort, ainsi que le nomme Isaïe, est venu pour sauver le genre humain; mais les ténèbres obtiennent aussi, contre lui, une heure de puissance. On s’est emparé de lui, on ne lui a pas arraché les yeux, on ne le pouvait pas: Il était la lumière du monde! On les lui a bandés dans le prétoire de Caïphe, et, là, il devient le jouet de ses ennemis: on le bafoue, on l’abreuve d’outrages, on l’accable de coups. Mais la Passion a commencé par cette exclamation de bravoure que le Christ a adressée à ses disciples au jardin de Gethsémani, lorsqu’il a entendu les pas de ceux qui venaient le saisir: Surgite, eamus, Levez-vous, allons! C’était l’attaque, la marche en avant! Il étend ses deux bras sur la Croix, comme pour bien saisir à droite et à gauche les colonnes de l’empire du prince des ténèbres, il pousse un grand cri, et il meurt: et à l’instant, l’empire de Satan croule, renversé de fond en comble; et peu après croule également le Temple de Jérusalem, renversé de fond en comble; et peu après croulent également tous les temples du paganisme, renversés de fond en comble: rien ne peut plus lutter contre ces deux grands bras qui se sont étendus pour atteindre le mal et pour le détruire, à travers tous les espaces et tous les temps. Il est facile de comprendre à présent notre genre de combat: Nous aussi catholiques, nous sommes devenus, au soir des siècles, les captifs des ténèbres: Notre Saint Père le Pape est leur prisonnier; leurs scellés tiennent dans l’obscurité et dans un silence de mort un grand nombre de nos chapelles; et la haine pousse l’atrocité jusqu’à arracher la foi à nos enfants dans les écoles, à nos infirmes et à nos malades dans les hôpitaux, ce qui équivaut à crever les yeux de leur âme, ils n’aperçoivent plus le ciel et leurs fins dernières! Surgite, eamus, levez-vous, ô catholiques, allons! Au milieu des outrages dont on nous abreuve, des moqueries et des injustices dont nous sommes l’objet, mieux que Samson, comme le Christ, étendons nos bras: les grands bras du peuple catholique! Étendez vos bras, saintes religieuses, au fond des cloîtres, et versez des larmes suppliantes; Étendez vos bras, petits enfants dont l’innocence est si touchante; vos petits bras étendus font trembler l’abîme! Hommes valeureux de France, de Belgique, d’Allemagne, approchez vos bras des urnes qui contiennent à cette heure les destinées des peuples; (1)
Tous ensemble, allons !(2) Et que le ciel accorde aux oreilles de nos enfants ou de leur postérité la faveur d’entendre un craquement gigantesque, ce craquement les colonnes de la Maçonnerie qui s’écroulent, renversées par l’offensive catholique; la Révolution est finie, et le royaume de Dieu sur la terre est parsemé de ses décombres…



Notes :

(1) Les catholiques italiens, seuls, ne doivent pas aller aux urnes, pour la nomination des députés du royaume; par une décision de haute sagesse, Léon XIII leur à formellement commandé l'abstention.

(2) Les catholiques de l’Allemagne viennent de donner le bel exemple de cette marche en avant. Mayence, la ville de saint Boniface, a vu se réunir les hommes les plus influents de l’Allemagne, à l’appel du prince de Lœwenstein; une grande ligue populaire catholique allemande a été créée, et voici le manifeste qu’elle a lancé :

Au peuple catholique allemand,

Des erreurs graves et de dangereuses tendances révolutionnaires se montrent partout. L’ordre social et l’ordre monarchique établi sont menacés jusque dans leurs bases.
Le socialisme non seulement prêche ces hérésies, mais il essaie aussi de les mettre en pratique. À la vérité, le socialisme sent que le peuple catholique d’Allemagne est le plus redoutable adversaire de pareilles erreurs et tendances. Aussi, dans leurs assises de Halle, les socialistes ont-ils déclaré la guerre ouverte au catholicisme. Il y a donc urgence de repousser l’ennemi avec nos forces unies et bien organisées.
À cet effet, des hommes catholiques de toute l’Allemagne se sont réunis à plusieurs reprises; ils ont décidé d’organiser une ligue catholique, dont le but est de combattre les erreurs et tendances révolutionnaires sur le terrain social, et de défendre l’ordre social chrétien.
Ce but devra être obtenu par l’action personnelle de chaque membre, par des conférences instructives et par la propagation d’une bonne presse et de bons écrits. Tout catholique allemand majeur peut faire partie de la ligue, en payant une cotisation annuelle d’un mark (soit 1 fr. 25).

En avant donc! Marchons vers l’ennemi commun! Formons notre grande Ligue, qui embrassera tous nos pays allemands. Cette Ligue organisera nos forces, augmentera nos ressources, dirigera l’action catholique dans la presse et les brochures et dans les réunions populaires. Nous serons ainsi organisés jusque dans le moindre village, dans le dernier hameau, et nous pourrons combattre partout avec la vérité contre l’erreur socialiste. Que chaque membre de notre Ligue fasse une propagande personnelle. La ligue vise non seulement le rejet des erreurs et fausses doctrines, mais aussi la propagande des vrais principes sur le terrain social. La Ligue veut que patrons et ouvriers se pénètrent de plus en plus de leurs devoirs réciproques et reconnaissent de plus en plus la solidarité de leurs intérêts.
Notre épiscopat, toujours soucieux du salut public, a encore récemment, lors de sa réunion à Fulda, donné l’alarme au sujet du danger qui approche. Notre union montrera à nos évêques que leur appel a été entendu. Quand le Saint-Père apprendra notre œuvre, son cœur paternel se remplira de joie, parce que les catholiques allemands ont compris les exigences d’un temps nouveau et veulent y faire droit, en travaillant ensemble pour le bien commun.
Recueille-toi donc, peuple catholique! Fais de nouveau preuve de ton esprit de sacrifice et de ta fidélité pour l’Église et la patrie. Recueille-toi pour la défense de la société chrétienne!
Défends l’autel et le trône, ton foyer et ton âtre. Réunissons-nous tous, grands et petits, ecclésiastiques et laïques, patrons et ouvriers, pour nous opposer à l’ennemi menaçant, pour instruire les égarés, appuyer les faibles et réchauffer le zèle des fidèles.
Et c’est ainsi que nous conserverons sa foi à notre peuple et que nous accomplirons la plus grande et importante action sociale!
Fait à Mayence, en novembre 1890.

Le bureau de la ligue populaire pour l’Allemagne catholique :

  • Windthorst, ancien ministre d’État, président honoraire;
    François Brandts jeune, manufacturier à Markisch-Gladbach, premier président;
    Charles Trimborn, avocat à Cologne, second président;
    Abbé Hitze, député au Reichstag allemand et au Landtag prussien, secrétaire;
    Dr Joseph Drammer, à Cologne, administrateur;
    Jean Elkan, banquier à Cologne, trésorier; Le comte de Ballestrem, de Planovitz, en Silésie;
    Fritzen, conseiller, à Dusseldorf; Le comte de Galen, à Dinklage;
    Abbé Stamminger, à Wurzbourg; Stœtzel, rédacteur, à Essen;
    Grœber, conseiller de la cour, à Heilbronn;
    Abbé Galland, à Munster;
    Le comte Hœnsbroich, château de la Haye, à Gueldres;
    Dr Lieber, à Camberg;
    Abbé Orterer, à Freysing;
    Otto, rédacteur, à Krefeld;
    Abbé Porsch, à Breslau;
    Le comte de Preissing, à Munich;
    M. Siben, à Deidesheim.

Les journaux catholiques de France ont, tous, rapporté, envié, cette marche en avant. Nous citerons le Nouvelliste de Lyon :
Une union catholique s’impose plus que jamais en France.
Assez de pays étrangers nous ont donné l’exemple.
Les catholiques d’Allemagne lançaient il y a quelques jours de Mayence au peuple catholique allemand le manifeste de la grande ligue populaire catholique contre le socialisme qui envahit toute la nation et contre la neutralité religieuse qui, là-bas comme chez nous, doit être le véhicule de l’irréligion d’abord et de l’athéisme ensuite. Derrière la signature de l’infatigable M. Windthorst se pressaient des signatures de négociants, d’avocats, de banquiers, de prêtres éminents.
Tous demandaient à fortifier l’organisation de leur presse catholique, à multiplier les réunions populaires, à se constituer par groupes dans le moindre village et le moindre hameau.
La lutte de trois siècles que les catholiques de là-bas ont essuyée de la part du protestantisme triomphant les avait formés et les avait mûris pour ces nouvelles batailles. Ils ont déchiré déjà les lois de mai 1871 qui empêchaient les nominations ecclésiastiques;
ils ont réduit Bismarck à la capitulation, et demain ils vont emporter de haute lutte, au grand jour des discussions du Reichstag, la rentrée des Jésuites.
On compte avec eux parce qu’on les sait organisés, forts et irréductibles. Eh bien, irréductibles, nous aussi nous le sommes dans nos consciences!
Ce qui nous manque, ce sont les chefs, c’est l’organisation, c’est le sentiment de notre force. Catholiques de France, organisez-vous!…



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