Vous êtes sur le site de : livres-mystiques.com ©

CHAPITRE III

 

IL N'EST PAS VRAI QUE DES PROPHÉTIES
DE L'ANCIEN ET DU NOUVEAU TESTAMENTS
ANNONCENT LA RÉINTÉGRATION D'ISRAEL
DANS LA PALESTINE, APRÈS SA CONVERSION

 

I. Texte des prophéties invoquées. Conclusions qu'en tirent les auteurs favorables à la réintégration d'Israël. - II. Que leur mode d'interprétation n'est que le renouvellement de l'erreur juive s'en tenant uniquement à la lettre des prophéties et repoussant systématiquement le sens spirituel caché sous la lettre. Réfutation de ces conclusions. - III. Harmonie de notre exégèse avec l'esprit de la nouvelle alliance.

 

I

 

   Les prophéties invoquées par les partisans de la réintégration d'Israël sont les mêmes que celles mises en avant par les Juifs dans leur attente d'un royaume messianique temporel. Elles ont été rapportées ci-dessus (p. 27-38) Pour la commodité de nos lecteurs, nous en plaçons ici un extrait sous leurs veux. Il leur sera ainsi plus facile de saisir et d'apprécier combien fausses sont les conclusions qu'on s'est plu à en tirer :

          Ainsi parle le Seigneur Dieu :
Maintenant je ramènerai les captifs de Jacob,
J'aurai pitié de toute la maison d'Israël,
Et je serai jaloux de mon saint nom.
Alors ils oublieront leur opprobre,
Et toutes les infidélités qu'ils ont commises envers moi,
Lorsqu'ils habitaient en sécurité leur pays,
Et qu'il n'y avait personne pour les troubler.
Quand je les ramènerai d'entre les peuples,
Quand je les rassemblerai du pays de leurs ennemis,
Je serai sanctifié par eux aux yeux de beaucoup de nations,
Et ils sauront que je suis le Seigneur, leur Dieu,
Qui les avait emmenés captifs parmi les nations,
Et qui les rassemble dans leur pays.
Je ne laisserai chez elles aucun d'eux,
Et je ne leur cacherai plus ma face,
Car je répandrai mon esprit sur la maison d'Israël,
          Dit le Seigneur, Dieu.
                     (Ézéchiel, XXXIX, 25_29.)


   Assurément il ne faut qu'ouvrir les yeux, s'écrient les partisans d'un nouvel État juif après la conversion d'Israël, pour se convaincre que ces promesses n'ont point été accomplies par le retour de la captivité de Babylone. Après avoir nettement distingué le peuple d'Israël de toutes les autres nations, le Seigneur lui promet, de la manière la plus expresse, de le retirer d'entre tous les autres peuples, de le rassembler de tous les pays où il avait été dispersé ; de le ramener dans la terre qu'il avait autrefois donnée à leurs pères. Cette terre n'est donc pas l'Église ; elle n'est non plus ni la vérité ni la justice, puisque ces dons spirituels n'appartiennent point aux Juifs à l'exclusion des autres peuples, et qu'il est visible que le prophète parle ici d'une terre particulière aux Israélites, d'un héritage qui leur est propre, et qu'ils ne partagent point avec les autres nations. D'ailleurs, pour entrer dans l'Église, pour connaître la vérité, pour être mis en possession de la vraie justice, il n'est point nécessaire que les Juifs se séparent de tous les autres peuples. Et toutefois le Seigneur déclare formellement qu'il va retirer les enfants d'Israël d'entre tous les peuples, qu'il va les rassembler de tous les pays, pour les remettre en possession de la terre que leurs pères avaient autrefois possédée : il est donc clair comme le jour que c'est la Palestine qui est proprement l'objet de la promesse (1).
Autre prophétie d'Ézéchiel :


          Ainsi parle le Seigneur, Jéhova :
   Voici, je prendrai les enfants d'Israël du milieu des nations où ils sont allés, je les rassemblerai de toutes parts, et je les ramènerai dans leur pays.
   Je ferai d'eux une seule nation clans le pays, dans les montagnes d'Israël ; ils auront tous un même roi, ils ne formeront plus deux nations, et ne seront plus divisés en deux royaumes.
   Ils ne se souilleront plus par leurs idoles, par leurs abominations et par toutes leurs transgressions ; je les retirerai de tous les lieux qu'ils ont habités et où ils ont péché, et je les purifierai ; ils seront mon peuple, et je serai leur Dieu.
   Mon serviteur David sera leur roi, et ils auront tous un seul pasteur. Ils suivront mes ordonnances, ils observeront mes lois et les mettront en pratique.
   Ils habiteront le pays que j'ai donné à mon serviteur Jacob, qu'ont habité vos pères ; ils y habiteront, eux, leurs enfants et les enfants de leurs enfants, à perpétuité ; et mon serviteur David sera leur prince pour toujours.
   Je traiterai avec eux une alliance de paix, et il y aura une alliance éternelle avec eux ; je les établirai, je les multiplierai, et je placerai mon sanctuaire au milieu d'eux pour toujours. Ma demeure sera parmi eux ; je serai leur Dieu, et ils seront mon peuple.
   Et les nations sauront que je suis le Seigneur, qui sanctifie Israël, lorsque mon sanctuaire sera pour toujours au milieu d'eux
(2).


   « Je le demande à tout esprit équitable, continue l'opinion que nous tenons à exposer largement, si les prophètes avaient eu en effet le dessein d'annoncer, de la part de Dieu, le retour réel et physique du peuple d'Israël dans la terre sainte, auraient-ils pu, pour prédire cet événement, choisir des expressions plus simples, plus naturelles, plus éloignées de toute métaphore ? N'est-ce pas déshonorer les divines Écritures que de chercher des allégories, là où le sens propre et littéral se montre avec tant d'évidence ? Peut-on, sans fermer volontairement les yeux à la lumière, ne pas entendre de la terre de Chanaan ce que dit Ézéchiel, que les Juifs y seront ramenés, puisqu'il assure en termes exprès que le Seigneur les fera revenir dans la même terre d'où il les avait chassés dans son indignation ? Car assurément ce n'est ni du paradis, ni de l'Église chrétienne, ni des voies de la justice, qu'il les avait chassés, mais d'une terre proprement dite, ou de la Palestine. »
   « De plus, le prophète distingue nettement deux bienfaits, l'un spirituel, l'autre temporel : le retour à la justice, et le rétablissement dans la Terre sainte ; et il promet expressément l'un et l'autre de la part du Seigneur. Il est visible que le rappel à la foi d'Abraham et des autres patriarches est l'objet principal, mais non l'unique de la promesse. Les menaces de la dispersion ayant eu une exécution réelle, pourquoi les promesses de retour ne seraient-elles pas vérifiées par un accomplissement de même nature ? »
   « Ceux qui s'obstinent à ne voir dans la terre où Dieu doit enfin rappeler les Israélites, que l'Église chrétienne où les Juifs viendront s'unir, n'auraient-ils pas dû se détromper en lisant avec plus d'attention les textes d'Ezéchiel, de Jérémie, etc., et les expliquer d'une manière simple et naturelle, au lieu de les dénaturer par des interprétations forcées et ridicules ? Ces prophètes déclarent que le Seigneur ira prendre, parmi les nations, tous les enfants d'Israël, qui y avaient été dispersés ; qu'il va les rassembler de toutes parts. Mais si les Juifs, une fois convertis, doivent simplement retourner à la foi et à la piété, et s'unir à l'Église, quelle nécessité y aurait-il de les retirer d'entre les nations, de les rassembler de tous les lieux de la terre ? »
   « Les prophètes annoncent aussi que, même après leur conversion, les Juifs formeront un peuple particulier, distingué des autres nations. Il est dit plus d'une fois dans les textes déjà rapportés, que le peuple juif, réconcilié avec Dieu, comblé de toutes sortes de biens spirituels et temporels, sera, pour toutes les autres nations, le sujet du plus grand étonnement ; qu'une si éclatante merveille les portera à reconnaître que c'est le Seigneur, le vrai Dieu, qui est le Sauveur et le sanctificateur d'Israël : Je serai leur Dieu, et ils seront mon peuple ; et les autres nations sauront que c'est moi qui suis le Seigneur et le sanctificateur d'Israël, lorsque mon sanctuaire sera pour jamais au milieu d'eux (3). »
   « Les Juifs existeront donc, même après leur rappel à la foi, en corps de nation ; et comme ils doivent exister quelque part, pourquoi ne pas convenir qu'ils seront ramenés et rassemblés dans la terre sainte, puisque aussi bien les prophètes l'ont prédit si souvent et en termes si formels (4) ? »

 

II

 

   À nous de répondre maintenant à une opinion qu'il convenait d'exposer avec ampleur, non seulement parce qu'elle a un côté spécieux, mais aussi parce que ses adeptes, toujours renaissants, se recrutent même dans les rangs du clergé.
   Loin de convenir, comme nous y sommes invité, que les Juifs, à l'époque de leur conversion, seront ramenés et rassemblés dans la Terre sainte, nous affirmons qu'il est faux que les prophètes aient prédit ce retour.
   Le mode d'interprétation des exégètes que nous combattons n'est pas autre chose, en effet, que le renouvellement de l'erreur juive, s'en tenant uniquement à la lettre des prophéties et repoussant systématiquement le sens caché sous la lettre, sens relatif à la libération spirituelle, au royaume spirituel, par le Messie.
   En observant que les prophéties qui annonçaient le rétablissement d'un État juif après les soixante-dix années de captivité à Babylone, n'avaient pas reçu un accomplissement parfait avec l'édit de Cyrus et la rentrée d'Israël en Palestine, les Juifs ont eu raison. Leur erreur a été de croire que ces prophéties recevraient, au temps du Messie, un second accomplissement temporel, cette fois parfait, complet. La vérité consistait à attendre cet accomplissement parfait, non pas dans une nouvelle et plus magnifique attribution de biens temporels, mais dans l'effusion meilleure de biens spirituels, dont les avantages matériels et imparfaits qui suivirent le retour de la captivité babylonienne, n'avaient été que la figure. Le rétablissement de Jérusalem prédit par les prophètes, ainsi que le retour des Juifs dans leur patrie, s'est effectué après cette captivité. Si les circonstances de ce rétablissement n'ont pas répondu à l'étendue et à l'énergie des termes prophétiques qui l'annonçaient, c'est que ce sont des expressions figurées, qui cachent, sous l'écorce de la lettre, un sens spirituel, lequel regarde d'abord l'Église, et ultérieurement la Cité céleste. En admettant donc qu'il y aura un second accomplissement temporel de ces prophéties par le rétablissement d'un État juif en Palestine au temps de la conversion d'Is-raël, les auteurs et exégètes que nous signalons ne font que renouveler l'erreur des anciens Juifs. Ceux-ci attendaient, il y a dix-neuf siècles, un second accomplissement temporel des prophéties dans le rétablissement d'un État juif par le Messie ; ceux-là le préconisent, à la suite des dix-neuf siècles, pour l'époque où les Juifs reconnaîtront que Jésus-Christ est le Messie. Ne voient-ils pas, ces exégètes imprudents, que si l'État juif devait se reconstituer à la suite de la conversion des Juifs, ceux-ci auraient presque le droit de se plaindre et de dire : « C'est donc une erreur de date qui a été la principale cause que nos pères ont méconnu Jésus-Christ ! Car si, de son vivant, il leur eût rendu la Palestine en l'affranchissant du joug des Romains, comme il vient de nous la rendre, après dix-neuf siècles, à la suite de notre conversion, en la retirant de la domination de tant de peuples qui la convoitent, assurément nos pères eussent acclamé Jésus-Christ, loin de demander qu'il fût crucifié. Ils attendaient, s'autorisant des prophéties d'Ézéchiel, de Jérémie, d'Isaïe, un second rétablissement de l'État juif et de Jérusalem, ébauché seulement au retour de Babylone. Ce rétablissement nous est accordé aujourd'hui, à nous leurs descendants. Hélas ! que ne s'est-il réalisé dix-neuf siècles plus tôt, durant la vie de Jésus. Nos pères n'eussent pas eu le malheur de le méconnaître comme le Messie ! »
   Le rétablissement des Juifs, à l'époque de leur conversion, ne sera donc point un rétablissement politique temporel, mais un rétablissement spirituel. La terre où ils seront ramenés ne sera point ce coin de terre situé entre deux mers, la Palestine, mais l'Église même de Jésus-Christ répandue dans le monde entier. C'est là leur propre terre, parce que la tige de l'olivier franc sur laquelle les Gentils ont été entés est leur propre tige. C'est sur elle qu'ils reprendront leur place. Dans le style mystérieux des apôtres et des prophètes, leur olivier et leur terre sont des termes synonymes qui désignent également l'Église de Jésus-Christ. La punition des Juifs a été non seulement d'être bannis de la Judée et dispersés parmi les nations, mais encore d'être bannis de l'Église et mis au rang des nations infidèles ; d'être retranchés de l'olivier franc qui est leur propre tige, et d'être jetés sur la face de la terre comme des branches mortes et abandonnées. Ce qui leur est promis, lorsque le Seigneur annonce par ses prophètes qu'ils seront ramenés dans la terre de leurs pères, dans leur pays, c'est qu'ils rentreront dans l'Église, qu'ils seront entés de nouveau sur l'olivier franc qui est leur propre tige. Le bonheur de l'homme n'est pas d'habiter dans la Terre sainte, mais d'habiter dans l'Église de Jésus-Christ, de devenir citoyen des saints, cives sanctorum et domestici Dei (5).

 

III

 

   Cette manière d'interpréter les prophéties de l'Ancien Testament par rapport au second objet qu'elles annoncent sous le voile de la lettre, est parfaitement analogue à l'esprit de la nouvelle Alliance dans laquelle les Juifs entreront en se convertissant. Remplis et pénétrés de cet esprit, ils ne s'occuperont point des idées d'un règne terrestre, toujours dangereux pour le salut ; ils se rappelleront le sort de Salomon, ce roi si grand, si puissant, si magnifique, placé sur le trône de la main de Dieu même ; hélas ! sur la fin de sa vie il devint idolâtre. David lui-même, favorisé de tant de grâces spirituelles, se sait perdu sur le trône si Dieu l'avait abandonné à lui-même, et s'il ne lui avait pas tendu une main secourable pour le tirer du bourbier où il s'était précipité. Les avantages temporels ne sont pas dignes de l'ambition d'un disciple de Celui qui a refusé le diadème, et qui a consenti à être couronné d'épines.
   Ainsi, ces prophéties ravissantes qu'on allègue pour faire espérer, au temps de la conversion des Juifs, un rétablissement du royaume d'Israël en leur faveur : J'ouvrirai vos tombeaux... Je rassemblerai les enfants d'Israël de toutes parts ; je les rassemblerai dans leur pays ; ils ne se souilleront plus par le culte de leurs idoles ; je les purifierai de leurs iniquités ; David, mon serviteur, sera leur Prince à perpétuité ; ces prophéties, disons-nous, et autres semblables, dans lesquelles on voit ce retour à Jérusalem lié, et comme attaché inséparablement à la conversion des enfants d'Israël et à un règne perpétuel sous un même Prince, s'expliquent d'elles-mêmes. On y reconnaît les deux sens, littéral et spirituel, qui se rencontrent souvent dans les prophéties. Sous Zorobabel, au retour de la captivité, le sens littéral, qui regardait l'ancienne Loi, s'est accompli Jérusalem a été rebâtie, les Juifs sont revenus l'habiter, l'État juif s'est reconstitué. Mais ces prophéties ne parlent pas d'une seconde destruction, ni d'un nouveau rétablissement temporel.
   Si Jésus-Christ, dans le Nouveau Testament, a prédit que Jérusalem serait détruite une seconde fois, il n'y a pas un mot chez les trois évangélistes rapportant cette prédiction, qui puisse faire naître l'idée d'un second rétablissement de cette ville ingrate, pour redevenir la capitale d'un nouvel État juif. Lorsque saint Paul prédit le rappel des Juifs, tout est dans l'ordre de la grâce, dans l'analogie et dans l'esprit de la nouvelle alliance ; rien qui puisse faire soupçonner quelque chose de terrestre ; la richesse qu'ils procureront aux Nations est, selon cet Apôtre, de même nature que celle dont les premiers fidèles furent les dispensateurs. En un mot, c'est bien ici qu'on peut dire avec vérité qu'il faut faire une violence continuelle aux oracles des prophètes, de Jésus-Christ et des apôtres, pour y trouver l'apparence du rétablissement d'un royaume terrestre en faveur des Juifs convertis, et pour ne pas voir, au contraire, que, loin de favoriser cette idée, la lettre, comme l'esprit de ces divins oracles, la contredit ouvertement. Et comme c'est dans les choses de cette nature principalement que le Nouveau Testament est la clef pour entrer dans l'intelligence de l'Ancien, ce que nous venons de rapporter en particulier de l'apôtre saint Paul, et surtout cette parole de Jésus-Christ : Mon royaume n'est pas de ce monde (6), tout cela s'oppose à ce qu'on puisse admettre le rétablissement d'un royaume terrestre à Jérusalem en faveur des Juifs convertis.


(1) P. Lambert, Exposition des prédictions et des promesses faites à l'Église, t. I, pp. 307, 308.
(2) Ezéch., XXXVII, 21.28.
(3) Ézéch., XXXVII, 26.
(4) P. Lambert, Exposition des prédictions et des promesses faites à l'Église, t. I, pp. 310-316.
(5) Épît. aux Éphés., II, 19.
(6) S. Jean, XIX, 36.