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CHAPITRE IV

 

LE RÉTABLISSEMENT À JÉRUSALEM D'ISRAËL CONVERTI
NE SERA PAS UTILE
COMME SIGNE DE LA RÉCONCILIATION DE DIEU
AVEC SON ANCIEN PEUPLE

 

I. Complaisance de Dieu à établir des signes indicateurs de sa miséricorde : l'arc-en-ciel, le sabbat, la robe la plus belle, la croix. De même la Palestine rendue aux Juifs serait le signe du pardon de Dieu. - II. Réfutation de cette prétendue convenance : Que la possession de la Palestine dans le passé n'a pas été un signe nécessaire de l'amitié de Dieu. - III. Cette possession principalement concédée aux Juifs comme gage de la venue du Messie, gage qui, désormais, n'a plus de raison d'être. - IV. L'économie plus large du Nouveau Testament opposée à un enserrement nouveau d'Israël entre les étroites barrières de la Palestine. - V. Une Palestine mystique meilleure a pris la place de l'ancienne Palestine figurative. - VI. En quoi consistera le signe de la réconciliation de Dieu avec son ancien peuple.

 

I

 

   L'opinion favorable au rétablissement d'Israël dans la Palestine à la suite de sa conversion invoque un second motif qui serait une raison de convenance, dutilite.
   On l'explique ainsi :
   Dieu s'est toujours plu à établir des signes qui rappelassent la cessation de sa colère et son retour à la miséricorde.
   Après le déluge, il dit à Noé : J'établirai mon alliance avec vous ; et toute chair ne périra plus désormais par les eaux du déluge. Voici le signe de l'alliance : Je mettrai mon arc dans les nuées ; et lorsque j'aurai couvert le ciel de nuages, mon arc paraîtra dans les nuées. Et je me souviendrai de l'alliance que j'ai faite avec vous et avec toute âme qui vit et anime la chair ; et il n'y aura plus à l'avenir de déluge (1).
    Après la longue captivité d'Égypte, Dieu dit à Moïse : Parle aux enfants d'Israël et dis-leur : Ayez grand soin d'observer mon sabbat, parce que c'est le signe que j'ai établi entre moi et vous de génération en génération. Souvenez-vous que vous avez été esclaves dans l'Egypte, et que le Seigneur votre Dieu vous en a tirés par sa main toute -puissante. C'est pourquoi il vous a ordonné d'observer le jour du sabbat... Je leur ai donné mes sabbats, comme un signe entre moi et eux (2).
   Ainsi, dans l'Ancien Testament, c'est l'arc-en-ciel, signe que miséricorde a été faite à toute chair, aux hommes et aux animaux ; c'est le sabbat, signe que miséricorde a été faite aux enfants d'Israël !
   Jésus-Christ paraît :
   Parmi les délicieuses paraboles tombées de ses lèvres, il y a celle de l'enfant prodigue. Ce pauvre prodigue, dans l'abîme du vice et du malheur, rentre en lui-même, il revient trouver son père, figure de Dieu, et se frappant la poitrine, il s'écrie : Mon Père, j'ai péché contre le Ciel et contre vous ! Que fait le père, tout attendri et qui a déjà tout pardonné ? Il veut qu'il y ait aux yeux de tous des signes de ce pardon et de sa miséricorde. Il s'écrie donc à son tour, s'adressant à ses serviteurs : Vite, apportez la robe la plus belle et la plus précieuse et l'en revêtez, et mettez-lui un anneau à la main et des chaussures aux pieds. Et amenez le veau gras et tuez-le, et mangeons-le, et faisons grande chère ; car mon fils que voici était mort et il revit, il était perdu et il est retrouvé (3) ! C'est dans tous ses anciens privilèges que le pauvre prodigue paronné se voit ainsi réintégré.
   La Rédemption s'accomplit : Jésus-Christ est immolé sur le Calvaire ; son sang y crie miséricorde pour tous les pécheurs. Un signe de cette miséricorde est encore donné par Dieu. Lequel ? La croix, ainsi que l'avait annoncé Isaïe : En ce jour-là la racine de Jessé sera élevé comme un étendard devant les peuples (4).
   Ainsi, dans le Nouveau Testament, la robe, l'anneau, la chaussure, le festin, signes que miséricorde est faite a tout pécheur repentant ; la croix, signe que le salut est offert à tous les peuples, à tous les siècles !
  Eh bien, pourquoi, après la conversion du peuple juif, n'y aurait-il pas également, de la part de Dieu, un signe materiel, tangible, attestant aux yeux de tous la rentrée en grâce dun peuple si longtemps éloigné de lui ? Et quel signe plus convenable que la réintégration de ce peuple dans son ancienne patrie, dans la Palestine et à Jérusalem ! Ne serait-ce pas la robe précieuse rendue au pauvre prodigue, l'anneau, symbole de l'union, replacé à son doigt ?
   Ne serait-ce pas la croix étendant, cette fois, ses cieux bras sur un peuple redevenu fidèle, et la cessation de ce gémissement dont l'écho s'est prolongé à travers dix-neuf siècles : J'ai étendu mes mains pendant tout le jour vers un peuple incrédule (5) ?
  Ne serait-ce pas enfin l'arc-en-ciel apparaissant sur la Palestine, gémissante encore sous les ténèbres non entièrement dissipées du vendredi saint ?
   Israël replacé comme peuple dans son ancienne patrie, ce serait dire à tous : Dieu a pardonné !
  Donc raison de convenance pour qu'un jour l'État juif soit reconstitué.


II

 

   Il ne le sera pas, et voici les motifs en opposition avec cette prétendue convenance.
   En effet, si, pour les Juifs, la possession de la Palestine était de convenance comme signe de réconciliation et du retour de l'amitié de Dieu à leur égard, il s'ensuivrait que tous les Juifs qui, avant Jésus-Christ, ont vécu durant deux cent cinquante ans en Égypte, après que Jacob s'y fut établi avec sa famille, et que tous les Juifs convertis qui, depuis Jésus-Christ, ont vécu dispersés dans les diverses parties du monde, il s'ensuivrait, disons-nous, que les uns et les autres auraient dû être replacés par Dieu dans la Palestine. Car, parmi eux, beaucoup lui ont été agréables, ont joui de son amitié, ont marché dans les voies du salut. Or nul d'entre eux, cependant, n'a été mis en possession d'un seul pouce de terre en Palestine, preuve que, pas plus pour les Juifs en général que pour les Juifs en particulier, la possession de la Palestine ne saurait constituer un signe nécessaire ou même utile de l'amitié de Dieu à leur égard.

 

III

 

   C'est surtout comme gage de la venue du Messie, comme arrhes des benedictions spirituelles dont il serait la source, que la terre de Palestine avait été donnée par Dieu à Abraham et à ses descendants, les Juifs. On lit, en effet, dans la Genèse que la première promesse faite par Dieu au patriarche fut celle-ci : En toi seront bénis tous les peuples de la terre (6). C'était l'annonce du Messie en tant que descendant d'Abraham, comme l'ont si nettement affirmé saint Pierre (7) et saint Paul (8), résumant toute la tradition juive. Mais ce ne sera qu'après de longs siècles que ce Messie apparaîtra et, avec lui, toutes les bénédictions promises. Dieu, dans sa bonté, va donner un gage matériel, et comme des arrhes palpables de cette venue, non pas au patriarche dont la foi n'en avait nul besoin, mais à ses descendants, à ce peuple hébreu qui se montrera si souvent incrédule. Voilà pourquoi dès qu'Abraham, au sortir de la Chaldée, a mis le pied sur la terre de Palestine, Dieu ajoute cette autre annonce à la première : Je donnerai ce pays à votre postérité (9). C'est donc principalement comme gage de la venue du Messie, comme signe des bénédictions futures que la Palestine avait été concédée aux Juifs. Or le Messie une fois venu avec toutes les benedictions promises, il n'y avait plus de raison de maintenir le gage, surtout si le peuple juif se montrait infidèle. C'est ce qui est arrivé.
   Son retour en Palestine et la fondation d'un nouvel État juif pourraient aussi devenir l'occasion d'un malentendu nuisible à la religion et aux âmes. Le gage de la venue du Messie replacé, en effet, entre les mains des Juifs, plusieurs seraient amenés à se demander si le Messie est encore à venir ? Pour couper court à toute confusion, la sagesse divine ne permettra jamais que les Juifs, même après leur conversion, soient replacés comme peuple au sein de la Palestine.

 

IV

 

   L'économie libérale et large du Nouveau Testament s'oppose également à ce qu'Israël revienne se confiner entre les étroites limites de la Palestine. C'est dans son entretien avec la Samaritaine que Jésus a fait connaître cette belle économie, relative au culte qui est dû à Dieu : Femme, croyez-moi, l'heure vient où vous n'adorerez le Père ni sur cette montagne (le Garizim) ni à Jérusalem. L'heure vient, et elle est déjà venue, où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité ; car le Père cherche ceux qui l'adorent ainsi (10). Ce qui signifiait que bientôt tout particularisme religieux allait cesser, parce qu'il régnera un culte supérieur, universel, qui sera l'abrogation de celui des Juifs et de celui des Samaritains. Le vrai culte ne sera désormais ni dans le judaïsme schismatique de Samarie, ni dans le judaïsme orthodoxe de Jérusalem : ces limites étroites vont tomber. De plus, jusqu'alors le culte avait été extérieur, attaché à des localités spéciales ; il va devenir intérieur avant tout, les restrictions locales cessant d'exister. C'est donc dans la terre entière, dans l'univers, qu'à partir du christianisme, tous ont pu offrir à Dieu un culte qui lui est agréable ; et, à ses yeux, aucun lieu n'est inférieur à un autre, du moment qu'on l'honore en esprit et en vérité. Mais si les Juifs, après leur conversion, devaient être ramenés en Palestine pour y vivre désormais comme dans un enclos, ne voit-on pas que la belle économie du Nouveau Testament cesserait d'exister à leur égard. Privés d'un bienfait dû à la venue de Jésus-Christ, ce seraient les restrictions de la loi mosaïque qui les enserreraient de nouveau, tenus qu'ils seraient de regagner leur ancienne terre, et d'y vivre désormais confinés.

 

V

 

   Enfin on est bien obligé d'admettre que l'Église, Palestine mystique et spirituelle, l'emporte de beaucoup sur la Palestine physique et temporelle qui fut autrefois sa figure ; elle l'emporte sur elle autant que l'âme l'emporte sur le corps. Or si, à l'origine de l'Église, les Juifs, qui reconnurent Jésus comme le Messie, se détachèrent eux-mêmes de la Palestine temporelle, vendant tout ce qu'ils y possédaient de terres, pour s'attacher uniquement à Jésus-Christ et à l'Église, pourquoi vouloir que ceux de leur race, qui se convertiront dans les derniers temps, refassent une Palestine figurative qui n'aurait aucune raison d'être ? Ne serait-ce pas opposer la figure à la réalité, placer sur le même rang des avantages terrestres, transitoires, et les biens spirituels, impérissables, de l'âme, en un mot confondre les deux Testaments ?

 

VI

 

   Il n'y a donc aucune utilité à ce que l'État juif se reconstitue à la suite de la conversion finale. Le signe palpable, manifesté à tous, de la réconciliation de Dieu avec son ancien peuple, sera l'entrée même de celui-ci dans l'Église. Ce signe, grandiose par lui-même, suffira, et il n'y en aura point d'autre.
   Alors Israël pourra se dire, comme nous nous le disons à nous-mêmes, à la vue de l'arc-en-ciel : « À présent je vois que le Seigneur s'est souvenu de nous en bien (11). »
   La belle robe dont il sera revêtu sera la grâce sanctifiante, l'indunentum Spiritus sancti (12), que le péché du déicide lui avait enlevée.
   L'anneau sera son union avec Dieu, désormais éternelle (13).
   Les chaussures représentent le zèle avec lequel le nouveau converti marchera dans la voie des divins préceptes (14).



(1) Genèse, IX, 12-16.
(2) Exode, XXXI, 13 ; Deutér., V, 15 ; Ézéch., 12
(3) Luc, XV, 22-24.
(4) Isaïe, XI, 10. Cf. XLIX, 22 ; LV, 13 ; LXII, 10.
(5) Isaïe, LXV, 2.
(6) Genèse, XII, 3.
(7) Act., II, 26.
(8) Galat., III, 16.
(9) Gen., XII, 7.
(10) S. Jean. IV, 21, 23.
(11) « Dominus memor fuit nostri, et benedixit nobis. »(Ps. CXIII, 12.)
(12) Tertullien.
(13) Osée, II, 19, 20.
(14) Éphés., VI, 15.