CHAPITRE TROISIÈME


VALEUR MORALE DES PERSONNES QUI SIÉGÈRENT

DANS LE PROCÈS DE JÉSUS


LA SOLUTION DE CETTE QUESTION DESTINÉE À JETER UN GRAND JOUR SUR LA VALEUR JURIDIQUE DU PROCÈS. - POSSIBILITÉ DE FAIRE RESSORTIR DES RECOINS OÙ ILS SE CACHENT DEPUIS VINGT SIÈCLES, LA PLUPART DES JUGES DE JÉSUS-CHRIST. - NOMS ET VALEUR MORALE DES MEMBRES DE LA CHAMBRE DES PRÊTRES QUI FIGURÈRENT DANS CE PROCÈS. - NOMS ET VALEUR MORALE DES MEMBRES DE LA CHAMBRE DES SCRIBES. - NOMS ET VALEUR MORALE DES MEMBRES DE LA CHAMBRE DES ANCIENS. - PLUS DE LA MOITIÉ DU SANHÉDRIN NOUS EST CONNUE. - À L’AIDE DE CETTE MAJORITÉ, TELLE QU’ELLE EST APPRÉCIÉE PAR LES JUIFS EUX-MÊMES, IL EST AISÉ DE PRÉVOIR CE QUE SERA L’ISSUE DU PROCÈS.

Les membres du sanhédrin, qui jugèrent Jésus-Christ, étaient donc au nombre de soixante et onze. Comme nous l’avons établi, ils se distribuaient en trois chambres.

Mais les noms de ces juges, leur provenance, leur caractère, leur valeur morale, voilà ce qu’il importerait surtout de connaître. Une telle connaissance, on le comprend, jetterait un grand jour sur la cause célèbre qui s’est agitée. Assurément on sait déjà ce que valait Caïphe, ce que valait Anne et aussi Pilate ; ce sont là les trois grandes figures sinistres du drame de la Passion. Mais les autres qui y parurent, ne serait-il point possible de les produire pareillement devant l’histoire? Ce travail, nous croyons qu’il n’a jamais été entrepris. On a pensé que les documents manquaient. C’est une erreur. Ils existent, nous les avons consultés ; et, dans ce siècle des révélations historiques, nous allons faire ressortir des recoins où ils se cachent la plupart des juges de Jésus-Christ.

Trois sortes de documents nous ont particulièrement aidé à découvrir la valeur de ces hommes : les livres évangéliques, les écrits précieux de l’historien Josèphe, les in-folio inexplorés du Talmud.

Près de quarante juges de Jésus vont comparaître, et par conséquent plus de la moitié du sanhédrin va se reconstituer sous nos yeux. Majorité suffisante pour faire apprécier la valeur morale de toute l’assemblée.

Pour procéder avec ordre, commençons par la chambre la plus importante des trois, celle des prêtres.

I. - CHAMBRE DES PRÊTRES.

Nous disons : la chambre des prêtres. Dans le récit évangélique, cette fraction du sanhédrin porte un titre plus considérable. Saint Matthieu, saint Marc et les autres évangélistes la désignent ainsi qu’il suit : Le conseil des grands prêtres, le conseil des princes des prêtres (1).

Or, pourquoi ce nom plus pompeux de conseil des grands prêtres, donné par les évangélistes à la chambre des prêtres? N’y a-t-il pas là une erreur? Une assemblée de prêtres, rien de plus naturel. Mais une assemblée de grands prêtres, n’est-ce pas une amplification, puisque, d’après l’institution mosaïque, il ne devait y avoir en charge qu’un seul grand prêtre, et que cette charge était à vie?

Eh bien, non, il n’y a pas eu erreur ni amplification de la part des évangélistes. De plus, les deux Talmuds eux-mêmes font positivement mention d’une assemblée de grands prêtres .

Mais alors comment expliquer cette présence de plusieurs grands prêtres à la fois dans le sanhédrin?

Voici cette explication, à la honte de l’assemblée juive.

Depuis près d’un demi-siècle, un détestable abus s’était introduit, qui consistait à nommer et à destituer arbitrairement les grands prêtres. Tandis que, durant quinze siècles, le souverain pontificat était héréditaire, par l’ordre de Dieu, dans une seule famille, et se conservait à vie(2) ; à l’époque de Jésus-Christ, il était devenu l’objet d’un véritable trafic. Hérode avait commencé ces destitutions arbitraires(3) ; et depuis que la Judée était devenue province romaine, elles se succédaient presque chaque année à Jérusalem, les procurateurs nommant et renversant les grands prêtres, comme plus tard les prétoriens firent et défirent les empereurs(4) . Le Talmud s’exprime avec douleur sur cette vénalité du souverain pontificat et sur ces grands prêtres d’une année. C’était à qui offrirait davantage pour l’obtenir, car les mères étaient particulièrement sensibles aux nominations de leurs fils comme grands prêtres (5).

Cette expression des évangélistes, le conseil des grands prêtres, pour désigner la première chambre du sanhédrin, se trouve donc d’une rigoureuse exactitude, puisqu’à l’époque du procès de Jésus on comptait environ une douzaine de grands prêtres déposés, et que tous ceux qui avaient été une fois honorés de cette charge conservaient néanmoins leur titre pour le reste de leur vie, et restaient de droit dans la haute assemblée. Avec eux, comme complément de cette première chambre, siégeaient de simples prêtres. Mais la plupart étaient des parents de ces grands prêtres. Car, au milieu des intrigues qui agitaient alors le sacerdoce, c’était une coutume que les membres les plus influents de la chambre des grands prêtres y fissent entrer avec eux leurs fils ou leurs alliés. L’esprit de caste était tout-puissant, et, comme l’avoue un savant Israélite de nos jours, M. Dérembourg : Quelques familles sacerdotales, aristocratie puissante et brillante, qui n’avaient aucun souci pour les intérêts et la dignité de l’autel, se disputaient les places, les influences et les richesses (6).

Donc, en résumé, double élément dans cette première chambre : grands prêtres et simples prêtres.

Nous allons maintenant les faire connaître par leurs noms et même révéler ce qu’ils valaient. Nous indiquons toutes les sources des documents.

CAÏPHE
Grand prêtre alors en fonction. Il était gendre d’Anne et occupa la souveraine sacrificature durant onze ans, années 25-36 de Jésus-Christ, pendant tout le temps du gouvernement de Pilate.C’est lui qui présida les débats contre Jésus-Christ, et le récit de la Passion suffit pour le faire connaître. ( Voy. S. Matth., XXVI, 3 ; S. Luc, III, 2, etc. - Josèphe, Antiq., liv. XVIII, ch. II, n° 2. )

ANNE
Ex-grand prêtre durant sept ans sous les gouvernements de Coponius, Ambivius et Rufus, ann. 7-11 de J. C. Ce personnage était le beau-père de Caïphe ; et bien qu’il fût hors de charge, on continuait à le consulter sur toutes les questions graves. On peut même dire qu’au milieu de l’instabilité du pontificat, il conserva au fond toute autorité. Pendant cinquante ans, le pontificat demeura presque sans interruption dans sa famille ; cinq de ses fils revêtirent successivement cette dignité. Aussi cette famille se faisait-elle appeler la " famille sacerdotale ", comme si le sacerdoce y était devenu héréditaire. Les grandes charges du temple lui appartenaient également. L’historien Josèphe rapporte qu’Anne passait parmi les Juifs pour le plus heureux homme de son temps. Mais il fait cependant remarquer que l’esprit dans cette famille était altier, audacieux, cruel. ( S. Luc, III, 2. Jean, XVIII, 13, 24. Act. des Apôtres, IV, 6. - Josèphe, Antiq. juiv., XV, III, 1 ; XX, IX, 1, 3. - Guerre des Juifs, IV, V, 2, 6, 7 ).

ÉLÉAZAR
Ex-grand prêtre durant un an sous Valérius Gratus, ann. 23-24 de J. C. C’était l’aîné des fils d’Anne. ( Josèphe, Antiq., XVIII, II, 2. )

JONATHAS
Fils d’Anne. Alors simple prêtre, et plus tard grand prêtre durant un an à la place de Caïphe, lorsque celui-ci fut déposé, après la disgrâce de Pilate, par Vitellius, gouverneur général de Syrie, ann. 37 de J. C. ( Josèphe, Antiq., XVIII, IV, 3. )

THÉOPHILE
Fils d’Anne. Alors simple prêtre ; mais plus tard grand prêtre durant cinq ans à la place de son frère Jonathas, lorsque celui-ci fut déposé par Vitellius, ann. 38-42 de J. C. ( Josèphe, Antiq., XIX, VI, 2. - Munk, Hist. de la Palest., p. 568. )

MATHIAS
Fils d’Anne. Alors simple prêtre ; mais plus tard grand prêtre durant deux ans, ann. 42-44 de J. C. Il succéda à Simon Canthère déposé par le roi Hérode-Agrippa. ( Josèphe, Antiq., XIX, VI, 4. )

ANANUS
Fils d’Anne. Alors simple prêtre ; mais plus tard fait grand prêtre par le roi Hérode-Agrippa, à la mort du gouverneur romain Porcius Festus, ann. 63 de J. C. C’était un Sadducéen d’une grande dureté. Aussi n’occupa-t-il le souverain pontificat que durant trois mois. Il fut destitué par Albinus, successeur de Porcius Festus, pour avoir fait lapider arbitrairement l’apôtre saint Jacques. ( Actes des Apôtres, XXIII, 2 ; XXIV, 1 ; Josèphe, Antiq., XX, IX, 1. )

JOAZAR
Ex-grand prêtre durant six ans, pendant les derniers jours d’Hérode le Grand et les premières années d’Archélaüs, ann. 4 avant J. C. - 2 ap. J. C. Il était fils de Simon Boëthus, qui dut son élévation et sa fortune à une cause assez peu honorable, comme le raconte, ainsi qu’il suit, l’historien Josèphe. " Ce Simon Boëthus, prêtre à Jérusalem, avait une fille, Mariamne, qui passait pour la plus belle Juive de son temps. La réputation de sa beauté vint jusqu’à Hérode, qui sentit son coeur ému sur les premiers rapports qu’on lui en fit. Il le fut bien davantage lorsqu’il l’eut vue. Il se résolut donc à l’épouser ; et comme Simon Boëthus n’était pas d’un rang assez distingué pour en faire son beau-père, afin de se mettre en état de satisfaire sa passion, il ôta la charge de grand prêtre à Jésus, fils de Phabète, la conféra à Simon, et épousa ensuite sa fille. " Telle est, d’après Josèphe, l’origine peu surnaturelle de la vocation pontificale de Simon Boëthus et de toute sa famille. Simon Boëthus était déjà mort à l’époque du procès de Jésus. Mais Joazar y figura avec ses deux frères, dont l’un était, comme lui, ex-grand prêtre. ( Josèphe, Antiq., XV, IX, 3 ; XVII, VI, 4 ; XIII, 1 ; XVIII, I, 1 ; XIX, VI, 2. )

ÉLÉAZAR
Ex-grand prêtre, deuxième fils de Simon Boëthus. Il succéda à son frère Joazar, lorsque celui-ci fut privé de la souveraine sacrificature par le roi Archélaüs. Mais il ne jouit pas longtemps de sa charge, car le même roi l’en déposséda quelques mois après son élévation, ann. 2 de J. C. ( Josèphe, Antiq., XVII, XIII, 1 ; XIX, VI, 2. )

SIMON CANTHÈRE
Alors simple prêtre ; troisième fils de Simon Boëthus. Plus tard fait grand prêtre durant quelques mois par le roi Hérode-Agrippa, ann. 42 de J. C. C’est le même roi qui le déposa. ( Josèphe, Antiq., XIX, VI, 2 et 4. )

JOSUÉ BEN SIÉ
Ex-grand prêtre durant cinq ou six ans sous le règne d’Archélaüs, qui le fit succéder à Éléazar, deuxième fils de Simon Boëthus, ann. 1-6 de J.-C. ( Josèphe, Antiq., XVII, XIII, 1. )

ISMAËL BEN PHABI
Ex-grand prêtre durant neuf ans sous le procurateur Valérius Gratus, prédécesseur de Ponce Pilate. Il passait, au dire des rabbins, pour le plus bel homme de son temps. Le luxe efféminé de ce pontife était poussé si loin, que sa mère lui ayant fait faire une tunique d’un très grand prix, il se contenta de la porter une fois et l’abandonna ensuite au vestiaire commun : comme ferait une grande dame d’un vêtement qu’elle ne trouverait plus digne d’elle. ( Talmud, traité Pesachim ou de la fête de Pâques, fol. 57, verso ; traité Ioma ou du Jour des Expiations, fol. 9, verso ; 35, recto. - Josèphe, Antiq., XVIII, II, 2 ; XX, 8 et 11. - Bartolocci, Grande bibliothèque rabbinique, t. III, p. 297. - Munk, Palestine, p. 563, 575. )

SIMON BEN CAMITE

Ex-grand prêtre durant un an sous le procurateur Valérius Gratus, ann. 24-25 de J. C. Ce pontife était célèbre par la grandeur excessive de sa main. Le Talmud rapporte de lui cette particularité : la veille de la fête des Expiations, il arriva, dans une conversation qu’il eut avec Aréthas, roi des Arabes, dont Hérode-Antipas venait d’épouser la fille, qu’un peu de salive, sortant de la bouche du roi tomba sur les vêtements de Simon. Dès que le roi fut sorti, le grand prêtre n’hésita pas à s’en dévêtir comme impurs et impropres au service du lendemain. Ô charité et pureté pharisaïques! ( Josèphe, Antiq., XVIII, II, 2 . - Talmud, traité Ioma ou du Jour des Expiations, fol. 47, verso. - Dérembourg, Essai sur l’histoire, etc., p. 197, note 2. )

JEAN
Simple prêtre. Il ne nous est connu que par les Actes des Apôtres. " Le lendemain, les princes des prêtres, les anciens et les scribes s’assemblèrent dans Jérusalem, avec Anne le grand prêtre, Caïphe, Jean et Alexandre et tous ceux qui étaient de la race sacerdotale. " ( Act. des Ap., IV, 6. )

ALEXANDRE
Simple prêtre ; également nommé par les Actes des Apôtres dans le texte cité. Josèphe en fait aussi mention. Il rapporte qu’il fut plus tard alabaque, c’est-à-dire premier magistrat des Juifs à Alexandrie. Il était très riche, puisque le roi Hérode-Agrippa lui demanda à emprunter deux cent mille pièces d’argent. ( Act. des Ap., IV, 6. - Josèphe, Antiq., XVIII, VI, 3 ; XX, V, 2. - Petri Wesselingii, Diatribe de Judaeorum archontibus, Trajecti ad Rhenum, p. 69-71. )

ANANIE BEN NEBEDAI
Alors simple prêtre ; mais plus tard grand prêtre sous les procurateurs Ventidius Cumanus et Félix, an. 48-54. Les Actes des Apôtres et Josèphe en font également mention. C’est ce pontife qui traduisit saint Paul devant le procurateur Félix : " Ananie, grand prêtre, descendit à Césarée avec quelques anciens et un certain orateur nommé Tertulle, qui se rendirent accusateurs de Paul devant le gouverneur. " ( Act. des ap., XXIV, 1. ) D’après la tradition juive, ce grand prêtre était surtout connu par son extrême gloutonnerie. Ce que le Talmud rapporte de cette gloutonnerie paraît phénoménal. Il y est parlé de trois cents veaux, d’autant de tonneaux de vin, de quarante paires de jeunes pigeons, assemblés pour son entretien. ( Talm. Babyl., traité Pesachim ou de la Fête de Pâque, fol. 57, verso ; traité Keritôt ou des Péchés qui ferment l’entrée de la vie à venir, fol. 28, verso. - Josèphe, Antiq., XX, V, 2 . - Dérembourg, ouvr. cité, p. 230, 234. - Munk, Palestine, p. 573, note 1. )

HELKIAS
Simple prêtre, mais gardien du trésor du temple. C’est de lui que Judas reçut probablement les trente pièces d’argent, prix de sa trahison. ( Josèphe, Antiq., XX, VIII, 11. )

SCÉVA
L’un des principaux prêtres. Il en est parlé dans les Actes des apôtres, à propos de ses sept fils qui s’adonnaient à la magie. ( Act., XIX, 13, 14. )

Tels sont les principaux prêtres qui composaient la première chambre du sanhédrin, à l’époque du procès de Jésus.

Il ressort des documents qui viennent de passer sous nos yeux :

1° Que plusieurs de ces pontifes étaient personnellement très peu honorables ;

2° Que tous les grands prêtres qui se succédaient annuellement dans la charge d’Aaron, au mépris de l’ordre établi par Dieu, n’étaient que de misérables intrus.

Nous espérons que ces expressions ne heurteront pas nos chers lecteurs israélites ; car voici qui va achever de les édifier.

En première ligne, l’historien Josèphe, irrécusable témoin, pense comme nous. Bien qu’il ait dissimulé autant que possible les hontes de cette chambre des prêtres, il n’a pu, dans un moment de dégoût, s’empêcher de la stigmatiser : En ces temps-là, dit-il, les prêtres du premier ordre ( ce sont les grands prêtres ) entrèrent dans de grandes contestations avec ceux du second. On se faisait accompagner de part et d’autre par une troupe de déterminés et de séditieux, on se chargeait d’injures, on s’accablait à coups de pierres. Les prêtres du premier ordre se livrèrent à un tel excès d’emportement et de violence, qu’ils ne craignirent point d’envoyer leurs domestiques enlever dans les greniers du temple les dîmes qui étaient dues aux simples prêtres (7) . Voilà les belles manières, l’esprit d’équité et de douceur des principaux juges de Jésus-Christ! Mais le Talmud va plus loin… ; lui, qui d’ordinaire ne tarit point en éloges sur les gens de notre nation, prenant à partie ces grands prêtres d’alors et les désignant par leurs noms comme nous l’avons fait nous-mêmes, il s’écrie : Quel fléau que la famille de Simon Boëtus ; malheur à leurs lances! Quel fléau que la famille d’Anne ; malheur à leurs sifflements de vipères! Quel fléau que la famille de Canthère ; malheur à leurs plumes! Quel fléau que la famille d’Ismaël ben Phabi ; malheur à leurs poings! Ils sont grands prêtres eux-mêmes, leurs fils sont trésoriers, leurs gendres commandants, et leurs serviteurs frappent le peuple de leurs bâtons (8). Et le Talmud continue : Le parvis du sanctuaire poussa quatre cris ; d’abord : Sortez d’ici, descendants d’Éli (9), vous souillez le temple de l’Éternel! Puis : Sortez d’ici, Issachar de Kéfar Barkaï, qui ne respectez que vous-même et profanez les victimes consacrées au ciel (10)! Un troisième cri retentit du parvis : Élargissez-vous, portes du sanctuaire, laissez entrer Ismaël ben Phabi, le disciple des capricieux, pour qu’il remplisse les fonctions du pontificat! On entendit encore un cri du parvis : Élargissez-vous, ô portes, laissez entrer Ananie ben Nebedaï, le disciple des gourmands, pour qu’il se gorge des victimes (11). Devant de pareilles moeurs, avouées par les moins suspects de notre nation, est-il possible de dissimuler l’indignité de ceux qui siégèrent contre Jésus-Christ, comme membres de la chambre des prêtres? Indignité d’autant plus manifeste que chez la plupart de ces hommes une hypocrisie ambitieuse avait, dans un but de domination, dénaturé la loi de Moïse. Le plus grand nombre des prêtres appartenait, en effet, au pharisaïsme, secte dont les membres faisaient servir la religion à leur ambition personnelle. Dans le but de dominer le peuple par des apparences religieuses, ces prêtres pharisiens n’avaient pas craint de surcharger la loi de Moïse de pratiques exagérées, de fardeaux insupportables, qu’ils imposaient aux autres, mais qu’ils se gardaient bien de toucher du bout du doigt. Comment s’étonner ensuite de la haine homicide que ces hommes dissimulés et ambitieux conçurent contre Jésus-Christ? Quand sa parole, aiguë comme le glaive, mit à nu leur hypocrisie, et montra, sous le masque d’une fausse justice, la pourriture intérieure de ces tombeaux blanchis, ils lui vouèrent une haine mortelle ; jamais ils ne lui pardonnèrent de les avoir démasqués devant le peuple. L’hypocrisie ne pardonne jamais à qui la démasque publiquement!

Tels étaient les hommes qui composaient la chambre des prêtres, la plus noble des trois, lorsque le sanhédrin se réunit pour juger Jésus-Christ. Avions-nous tort d’avancer qu’elle était moins qu’honorable?… Mais passons à la seconde chambre, celle des scribes ou des docteurs.

II. - CHAMBRE DES SCRIBES

Rappelons en deux mots ce qu’étaient les scribes. Choisis indistinctement parmi les lévites ou les laïques, ils formaient le corps savant de la nation. Ils étaient les docteurs en Israël. L’estime et la vénération les entouraient ; car on sait de quel respect les Juifs et les Orientaux ont toujours entouré leurs sages.

Après la chambre des prêtres, celle des scribes était la plus considérée. Mais éclairés par les documents qui ont passé entre nos mains, nous sommes contraints de prononcer qu’à part quelques exceptions, la chambre des scribes ne valait pas mieux que celle des prêtres.

Voici, en effet, les noms et l’histoire de ces sages qui siégèrent, comme tels, dans le sanhédrin.

GAMALIEL
Surnommé l’Ancien. C’était un très digne Israélite. Son nom est en honneur, aussi bien dans le Talmud que dans les Actes des apôtres. Il était de grande famille, petit-fils du fameux Hillel qui, venu de Babylone, enseigna si brillamment à Jérusalem, quarante ans avant J. C. Gamaliel jouissait dans sa nation d’une si grande réputation de science, que le Talmud a pu dire de Lui : " Le rabbin Gamaliel est mort, c’est la gloire de la loi qui disparut. " Ce fut aux pieds de ce docteur que Saul, devenu plus tard saint Paul, apprit la Loi et les traditions juives ; et l’on sait qu’il s’en faisait gloire. Gamaliel eut encore pour disciples saint Barnabé et le proto-martyr saint Étienne. Lorsque le sanhédrin délibéra sur le moyen de mettre à mort les apôtres, ce digne Israélite empêcha leur condamnation en prononçant ces paroles célèbres : " Israélites, voici le conseil que je vous donne : cessez de tourmenter ces gens-là, et laissez-les aller. Car si cette oeuvre vient des hommes, elle se détruira elle-même. Mais si elle vient de Dieu, vous ne sauriez la détruire, et vous seriez même en danger de combattre contre Dieu. " Le sanhédrin se rendit à cet avis. Peu de temps après, Gamaliel embrassa le christianisme, et le pratiqua si fidèlement, que l’Église l’a mis au nombre des saints. Il est porté au Martyrologe du 3 août. Gamaliel mourut dix-neuf ans après J. C., l’an 52. ( Act. des ap., V, 34-39 ; XXII, 3. - Mischna, traité Sota ou de la Femme soupçonnée d’adultère, C, IX. - Sepher Jusachin, ou livre des aïeux, p. 53. - David Ganz, Germe de David ou Chronologie, à l’année 4768. - Bartolocci, Bibliotheca Magna rabbinica, t. I, p. 727-732. - Vie des Saints, par le P. Giry, p. 77-84. )

SIMÉON
Fils de Gamaliel l’Ancien. Il siégeait comme son père dans le sanhédrin. Les livres rabbiniques en font un grand éloge. La Mischna, par exemple, lui prête cette sentence : " Élevé depuis ma naissance au milieu des savants, je n’ai rien trouvé qui vaille mieux pour l’homme que le silence. La doctrine n’est pas la chose principale, mais l’oeuvre. Qui a l’habitude de beaucoup parler, tombe facilement dans l’erreur. " Siméon ne suivit point l’exemple de son père, et n’embrassa point le christianisme. Il devint, au contraire, l’intime ami du trop célèbre Jean de Giscala, dont la cruauté et les excès contre les Romains et même les Juifs forcèrent Titus à ordonner le sac de Jérusalem. Siméon fut tué au dernier assaut, l’an 70. ( David Ganz, Chronolog., à l’ann. 4810. - Mischna, traité bot ou des Pères, chap. I. - Talm. de Jérusal., traité Béracoth ou des Prières, fol. 6, verso. - Historia doctorum misnicorum, J.-H. Otthonis, p. 110-113. - De Champagny, Rome et le Judée, t. II, 86-171. )

ONKELOS
Il était né de parents idolâtres, mais il embrassa le judaïsme et devint l’un des plus célèbres disciples de Gamaliel. C’est lui qui est l’auteur de la fameuse paraphrase chaldaïque des cinq livres de Moïse. Bien que les documents rabbiniques ne disent point qu’il ait fait partie du sanhédrin, on n’en saurait douter à cause de la singulière estime que les Juifs ont toujours professée à l’égard de sa mémoire et de ses écrits. Aujourd’hui encore ils sont tenus de lire chaque semaine une certaine partie du Pentateuque, d’après la version d’Onkelos. Onkelos portait au dernier degré l’intolérance pharisaïque. Converti de l’idolâtrie au judaïsme, il haïssait tellement la gentilité, qu’il jeta dans la mer Morte, comme impure, la portion d’argent qui lui revenait de ses parents à titre d’héritage. On comprend que de pareilles dispositions ne durent pas le rendre favorable à Jésus-Christ, qui accueillait les païens non moins bien que les Juifs. ( Talmud, traité Megilla ou Fête de la Lecture d’Esther, fol. 3, verso ; Baba bathra, ou de la dernière porte, fol. 134, verso ; Succa, ou de la Fête des Tabernacles, fol. 28, verso. - Thosephthot, ou Suppléments de la Mischna, ch. V. - Rab. Gedalia, Scialscèleth Hakkabala ou Chaîne de la Cabale, p. 28. - Histor. Doct. Misnic., p. 110. - De Rossi, Dizionario degli autori Ebrei, p. 81. )

JONATHAS BEN UZIEL
Auteur de très remarquables paraphrases chaldaïques sur le Pentateuque et les prophètes. On ne s’accorde pas sur la date précise de sa vie. Les uns le font vivre quelques années avant Jésus-Christ ; les autres, au temps même de Jésus-Christ. Pour nous, nous ne saurions douter qu’il n’ait été contemporain et même juge du Christ. En voici deux preuves irréfragables : La première, c’est que Jonathas, traducteur des prophètes, a omis à dessein Daniel, parce que, dit le Talmud, un ange vint l’avertir que la manière dont ce prophète parle de la mort du Messie se rapporte trop clairement à Jésus de Nazareth. Or, puisque Jonathas a omis volontairement Daniel à cause de Jésus, c’est une preuve qu’il a vécu non pas avant le fils de Marie, mais de son temps. - Deuxième preuve : En comparant les paraphrases d’Onkelos et de Jonathas, on constate que Jonathas a mis à profit le travail d’Onkelos, par exemple : Deutér., XXII, 5 ; Jug., V, 26 ; Nombr., XXI, 28, 29. Or, puisque Jonathas s’est servi, pour composer ses écrits, du travail d’Onkelos, contemporain du Christ, c’est une preuve qu’il n’a pas vécu avant Jésus-Christ. Les talmudistes, pour récompenser ce personnage d’avoir, par haine de Jésus-Christ, rayé Daniel du rang des prophètes, font de lui les éloges les plus absurdes. C’est ainsi qu’ils racontent que lorsqu’il étudiait la loi de Dieu, l’atmosphère qui l’entourait devenait si brûlante au contact de ses lumières, que les oiseaux, assez étourdis pour s’y engager, tombaient à l’instant consumés. ( Talmud, traité Succa, ou de la Fête des Tabern, fol. 28, verso. - David Ganz, Chronol., ann. 4728. - Gésénius, Comment. sur Isaïe, 1re part., p. 65. - Zunz, Culte divin des Juifs, Berlin, 1832, p. 61. - Dérembourg, ouvr. cité, p. 276. - Hanneberg, Révélat. bibliq., II, 163, 432. )

SAMUEL KAKKATON OU LE PETIT
Ainsi nommé pour le distinguer de Samuel le prophète. Samuel le Petit était l’un des membres les plus fougueux du sanhédrin. C’est lui qui composa contre les chrétiens, quelque temps après la résurrection de Jésus-Christ, la fameuse imprécation nommée bénédiction des mécréants, birhat hamminim. " La bénédiction des mécréants, disent le Talmud et la glose de Jarchi, fut composée par Rabbi Samuel Kakkaton à Japhné, où le sanhédrin s’était transporté de Jérusalem, vers le temps de l’inconduite du Nazaréen, qui enseignait une doctrine contraire aux paroles du Dieu vivant. " Voici cette singulière bénédiction : Que pour les apostats de la religion il n’y ait aucune espérance, et que tous les hérétiques, quels qu’ils soient, périssent subitement! Que le règne de l’orgueil soit déraciné, qu’il soit anéanti promptement de nos jours. Sois béni, ô Seigneur Dieu, toi qui détruis les impies et humilies les superbes! Dès qu’elle eut été composée par Samuel Kakkaton, cette malédiction fut insérée par le sanhédrin comme bénédiction additionnelle dans la célèbre pièce de la Synagogue, le Schemone Esré, ou les dix-huit bénédictions, qui remonte au temps d’Esdras, cinq siècles avant J. C., et que tout Israélite est tenu de réciter chaque jour. Saint Jérôme n’ignorait pas l’étrange prière de Samuel Kakkaton : Les Juifs, dit-il, anathématisent trois fois par jour dans toutes les synagogues le nom chrétien, en le déguisant sous le nom Nazaréen. Samuel mourut, d’après Rabbi Ghédalia, avant la dévastation du temple, c’est-à-dire quinze ou vingt ans après J. C. ( Talmud, traités Bercoth, ou des Prières, fol. 28, verso ; Megilla ou Fête de la Lecture d’Esther, fol. 28, verso. - Saint Jérôme, Comment. in Isaiam, liv.II, chap. V, vers. 18, 19. Tom. IV, p. 81 de l’éd. de Vallarsius, in-4°. - Vitringa, de Synagoga vetere, t. II, p. 1036, 1047-1051. - Castellus, Lexicon. heptaglotton, art. Min.

CHANANIA BEN CHISKIA

C’était un grand conciliateur, au milieu des querelles doctrinales, fréquentes à cette époque. Aussi les écoles rivales d’Hillel et de Schammaï, qui ne s’étaient point éteintes avec la mort de leurs fondateurs, le prirent-elles souvent pour arbitre. L’habile conciliateur ne réussit pas toujours à calmer les différends ; car on lit dans les anciens récits que, plus d’une fois, passant de la force d’un argument à l’argument de la force, les disciples des écoles de Schammaï et d’Hillel en vinrent aux mains, d’où l’expression se chamailler. Toutefois, d’après le Talmud, Chanania se serait départi une fois de son système d’équilibre en faveur du prophète Ézéchiel. Les membres les plus influents du sanhédrin ayant proposé de censurer et de rejeter le livre de ce prophète, parce que, d’après eux, il contiendrait plusieurs passages en contradiction avec la loi de Moïse, Chanania l’aurait défendu avec tant d’éloquence, que le sanhédrin se serait désisté de son projet. Ce fait, rapporté en toutes lettres dans le Talmud, suffirait à lui seul pour donner la mesure des dispositions que l’on apportait dans l’étude des prophéties. Quoiqu’on ignore la date précise de la mort de Chanania, on sait cependant qu’elle arriva avant la destruction de Jérusalem. ( Talmud, traité Chagiga ou de l’Obligation que les mâles d’Israël avaient de se présenter trois fois par an à Jérusalem, 2, 13. - Schabbath ou du Sabbat, c. 1. - Sepher Juchasin ou livre des Ancêtres, p. 57. )

ISMAËL BEN ELIZA
Renommé par la pénétration de son esprit et la beauté de son visage. Aussi les livres rabbiniques rapportent-ils de ce docteur des choses incroyables. Par exemple : que les anges descendaient du ciel et y remontaient à sa volonté ; qu’un jour qu’il revenait de l’école, sa mère, poussée par l’admiration, lui lava les pieds et but avec respect l’eau qui avait servi à le laver. Sa mort aurait été non moins romanesque. Après la prise de Jérusalem, la fille de Titus, qui avait été frappée de sa beauté, aurait obtenu de son père qu’on lui écorchât le visage ; après quoi, elle aurait conservé la peau de ce rabbin dans du baume et des parfums, pour la faire figurer, à Rome, parmi les dépouilles qui devaient servir au triomphe, l’an 70 de J. C. ( Talmud, traité Avoda Zara ou de l’Idolâtrie, c. 1. - R. Gedalia, Scialscèleth Hakkabola ou Chaîne de la Cabale, p. 29. - Sepher Juchasin ou liv. des Anc., p. 25. - Tosephot, Kidduschin, cap. IV. )

RABBI ZADOK
Il avait environ quarante ans lors du procès de Jésus, et il mourut après l’incendie du temple, septuagénaire. Le Talmud rapporte que, quarante ans avant cet incendie, il ne cessa de jeûner pour obtenir de Dieu que le temple ne fût point livré aux flammes. Sur quoi le Talmud se demande d’où ce rabbin avait pu connaître le grand malheur qui menaçait le temple. Et le Talmud est embarrassé pour répondre. À notre avis, Rabbi Zadok n’avait pu connaître d’avance ce formidable événement que par l’une de ces deux voix : ou par la voix prophétique de Daniel, qui avait annoncé, depuis plus de quatre cents ans, que l’abomination de la désolation pèserait sur le temple de Jérusalem, lorsque le Messie aurait été mis à mort ; ou par la voix plus rapprochée de Jésus-Christ lui-même, qui avait dit, quarante ans avant la destruction du temple : Vous voyez tous ces grands édifices? En vérité, je vous le dis, viendront des jours où, de tout ce que vous voyez, il ne restera pas ici pierre sur pierre qui ne soit détruite. ( Mischna, tr. Schabbath ou du Sabbat, ch. XXIV, n° 5 à la fin ; Idioth ou des Témoignages, VII, n° 1 ; Aboth ou des Pères de la tradition, IV, n° 5. - David Ganz, Chronolog., ann. 4785. - Seph. Juchasin, fol. 21 et 26. - Schikardi, Jus regium Hebraeorum, p. 468. - Daniel, IX, 25-27. - S. Luc, XXI, 6 ; Matth., XXIV, 2. )

JOCHANAN BEN ZACHAÏ
Les livres rabbiniques accordent à ce docteur une longévité extraordinaire ; il aurait vécu, comme Moïse, cent vingt ans, dont quarante auraient été consacrés à un travail manuel, quarante à l’étude de la Loi, quarante à l’enseignement. Sa réputation de savant était si bien établie, qu’on l’aurait surnommé la Splendeur de la Sagesse. Après la destruction de Jérusalem, il rallia à Japhné les restes du sanhédrin, et présida ce tronçon d’assemblée durant trois ou quatre ans, époque de sa mort, l’an 73 de Jésus-Christ. Lorsqu’il eut rendu le dernier soupir, dit la Mischna, on fit entendre ce cri de douleur : " La mort de Rabbi Jochanan ben Zachaï, c’est la splendeur de la sagesse qui s’éteint! " Toutefois, voici d’autres renseignements qui sont comme le revers de la médaille : " Rabbi Jochanan, dit le livre Bereschit rabba, se décernait à lui-même des éloges en disant que : Si les cieux étaient de parchemin, tous les hommes des Scribes, tous les arbres des forêts des plumes, on ne suffirait pas à transcrire toute la doctrine qu’il avait apprise des maîtres. " Quelle humilité dans ce langage! De plus, un jour que ses disciples lui demandaient à quoi il attribuait sa longévité extraordinaire, il répondit hardiment, toujours avec le même mépris de lui-même : " À ma sagesse et à ma piété! " Au reste, si l’on juge de sa moralité par une ordonnance dont il est l’auteur, peut-être élèverait-on ses moeurs à la hauteur de son humilité. Jusqu’à lui, lorsqu’une femme était soupçonnée d’adultère, on lui faisait subir, d’après la loi de Moïse, l’épreuve des eaux amères. Mais Rabbi Jochanan abolit cette prescription mosaïque en s’appuyant sur ce verset du prophète Osée, isolé immoralement du contexte : Je ne punirai point vos filles de leur prostitution, ni vos femmes de leurs adultères. Voici le passage tout entier. Dieu s’adresse aux Israélites prévaricateurs, et leur dit : Je ne punirai point vos filles de leur prostitution, ni vos femmes de leurs adultères, parce que vous vivez vous-mêmes avec des courtisanes, et que vous sacrifiez avec des efféminés : c’est ainsi que ce peuple qui est sans intelligence sera châtié. Enfin, pour comble d’honnêteté, Rabbi Jochanan devint l’un des plus bas courtisans de Titus, le destructeur de sa patrie. Mais tandis qu’il s’abaissait de la sorte devant la puissance humaine, il s’endurcissait d’autre part contre les avertissements de Dieu. Car lorsque, après la mort de Jésus de Nazareth, des bruits de bataille se firent entendre dans les airs, ainsi que le rapporte le Talmud ; lorsqu’un jour ce cri des anges : " Sortons d’ici, sortons d’ici, " éclata dans le temple de Jérusalem, et que la grande porte d’airain, si pesante à faire mouvoir que vingt hommes pouvaient à peine la faire rouler sur ses gonds, s’ouvrit d’elle-même avec fracas, ce fut ce même Rabbi qui prononça ces paroles devenues célèbres : " Ô temple! ô temple! qu’est-ce qui t’émeut ; et pourquoi te troubles-tu toi-même? " Mais l’émotion, chez lui, ne fut que passagère ; il mourut orgueilleux et incrédule. ( Talmud, traité Rosch Haschana ou de la Nouvelle année, fol. 20, recto, 31, recto ; Sota ou de la femme soupçonnée d’adultère, IX, 9 ; Ioma ou du Jour de l’expiat. des péchés, fol. 39, recto, et 43 ; Gittin ou des Divorces, fol. 56, recto et verso ; Succa ou de la Fête des Tabern., fol. 28, verso. - Mischna, chap. Eghlà arupha. - Sepher Juchasin ou Liv. des Anc., fol. 20, recto. - Sepher Hakkabala, Liv. de la Cabale. - Othonis, Hist. doct. misn., p. 93-103. - Osée, IV, 4. - Josèphe, Guerre des Juifs., VI, V, 3. - de Champagny, Rome et la Judée, t. I, p. 158, 159. )

ABBA SAUL
Il était d’une prodigieuse stature, et avait la charge de veiller à l’ensevelissement des morts, afin que tout se passât conformément à la Loi. Les rabbins, qui aiment le merveilleux, affirment que, dans l’exercice de sa charge, il fit la trouvaille du tibia d’Og, roi de Basan, et de l’oeil droit d’Absalon. Par la vertu de la moelle extraite du tibia d’Og, il aurait poursuivi et serré de près un jeune chevreuil durant trois lieues. Quant à l’oeil d’Absalon, il était si profond, qu’Abba Saul s’y serait caché comme dans une caverne. Niaiseries que de tels récits. Et cependant, d’après le livre talmudique Menoraï-Hammaor ( Candélabre de lumière ), qui jouit d’une grande autorité dans la Synagogue moderne, voici comment on doit juger ces récits : " Tout ce que nos docteurs ont dit dans les Medraschim ( Commentaires allégoriques ou historiques ) et autres recueils, sont choses auxquelles nous sommes tenus de croire comme à la loi de Moïse notre maître. Et si quelque chose nous en paraît exagéré ou incroyable, nous devons l’attribuer plutôt à la faiblesse de notre entendement qu’à leurs enseignements. Et quiconque fait des plaisanteries sur quoi que ce soit de ce qu’ils ont dit en recevra le châtiment. " D’après Maïmonide, Abba Saul serait mort avant la destruction du temple. ( Mischna, tr. Middoth ou des Dimensions du Temple, chap. Har habbaith - Talmud, tr. Nidda ou de la Purification de la femme, chap. III, fol. 24, recto. - Maïmonide, Proef. ad Zeraïm. - Drach, Harmonie entre l’Égl. et la Synag., t. II, p. 375. )

R. CHANANIA
Surnommé le Vicaire des prêtres. La Mischna lui attribue une parole qui jette un grand jour sur la situation sociale du peuple juif, dans les derniers temps de Jérusalem. " Priez pour l’empire romain, disait-il ; car si la terreur de sa puissance venait à disparaître, chacun en Palestine dévorerait son voisin tout vivant. " Aveu qui atteste l’état déplorable de division auquel la Judée était en proie. Les Romains ne lui surent aucun gré de ses sympathies ; car ils le mirent à mort après la prise de la ville, l’an 70. ( Mischna, tr. Aboth ou des Pères de la tradition, chap. III, n° 2 ; Zevachim ou des Sacrifices, chap. IX, n° 3 ; Idioth ou des Témoignages, chap. II, n° 1. - David Ganz, Chronolog., ann. 4828. - Sepher Juchasin ou livre des Ancêtres, p. 57. )

R. ÉLÉAZAR BEN PARTA
L’un des scribes les plus estimés du sanhédrin à cause de sa science, dit le Talmud. Déjà fort âgé lorsque arriva la destruction du temple, il vécut encore quelques années après ce malheur. ( Traité Gittin ou des Divorces, chap. III, n°4. - Seph. Juchas., p. 31. )

R. NACHUM HALBALAR
Les livres rabbiniques le nomment comme faisant partie du sanhédrin, l’an 28 de Jésus-Christ ; mais ils ne mentionnent rien de remarquable sur son compte. ( Talm., tr. Peâh ou de l’Angle, cap. II, n° 6. - Sanhédr. )

R. SIMÉON ISC HAMMISPA
Même remarque que sur le précédent ( Peâh, II, 6. )

Tels sont, d’après la tradition juive, les principaux scribes ou docteurs qui siégèrent, comme membres de la seconde chambre, dans le sanhédrin, lors du procès de Jésus. Les livres qui parlent d’eux sont remplis, cela va sans dire, de leurs éloges. Néanmoins, des aveux se font jour au milieu de ces éloges, et tous sont dirigés contre un vice dominant chez ces hommes, l’orgueil.

On lit dans le livre Aruch de R. Nathan, le Dictionnaire talmudique le plus autorisé (12): Dans les temps antérieurs, qui étaient beaucoup plus dignes, on ne se servait pas de ces titres de Rabban, Rabbi ou Rav(13) pour désigner les sages de Babylone ou de Palestine. Ainsi, lorsque Hillel arriva de Babylone, le titre de Rabbi n’était pas joint à son nom. Il en était de même parmi les prophètes : car on disait Aggée et non pas Rabbi Aggée. Esdras ne vint pas non plus de Babylone avec le titre de Rabbi. C’est à partir de Rabbi Gamaliel, de Rabbi Siméon, son fils, de Rabbi Jochanan ben Zaccai que cette mode s’est introduite parmi les dignitaires du sanhédrin (14). En effet, les titres fastueux apparaissent pour la première fois avec la génération contemporaine de Jésus-Christ. Les scribes en étaient singulièrement avides, ainsi que le leur reprochait Jésus-Christ : Ils aiment à être salués rabbi et à occuper les premières places dans les repas et les synagogues (15). Jaloux de ces titres et de leur science, ils allaient même se placer au sommet de la société. Car voici l’ordre hiérarchique qu’ils avaient la prétention d’établir. Un sage, disaient-ils, doit être préféré au roi ; le roi au grand prêtre ; le grand prêtre à un prophète ; le prophète à un prêtre ; le prêtre au lévite ; le lévite à l’Israélite. Oui, le sage doit être préféré au roi ; car si le sage meurt, nul ne peut le remplacer, tandis que si c’est le roi qui meurt, tout Israélite est propre à lui succéder (16) . S’autorisant d’une pareille maxime, il ne faut pas s’étonner que le sanhédrin ait lancé, comme le rapporte encore le Talmud (17), vingt-quatre excommunications parce qu’on ne rendait pas aux rabbi tout l’honneur qu’ils exigeaient. Au reste il en fallait peu pour s’attirer leurs foudres. Ils frappaient sans miséricorde dès que l’on manquait aux règles suivantes de révérence qu’ils avaient établi :

Si quelqu’un fait opposition à son docteur, c’est comme s’il s’opposait à Dieu lui-même (18).
Si quelqu’un excite une querelle contre son docteur, c’est comme s’il excitait contre Dieu lui-même (19).
Si quelqu’un pense mal de son docteur, c’est comme s’il pensait mal de Dieu lui-même (20).

Et cette suffisance d’eux-mêmes ira si loin que lorsque Jérusalem tombera sous le bras de Titus armé du glaive de Dieu, Rabbi Juda écrira d’une plume imperturbable : Si Jérusalem a été dévastée, il ne faut pas en chercher d’autre cause que le manque de respect à l’égard des docteurs (21).

Eh bien, nous le demandons maintenant à tout Israélite sincère, que doit-on penser de cette seconde catégorie d’hommes qui allaient juger Jésus-Christ? L’impartialité pouvait-elle être possible dans des intelligences si orgueilleuses et sur des lèvres si infatuées d’elles-mêmes? Quelle crainte ne doit-on pas avoir pour la conclusion du jugement, lorsqu’on se rappelle que c’était en désignant ces hommes que le Christ avait dit : Gardez-vous des scribes, qui se plaisent à se promener avec de longues robes ; ils élargissent leurs phylactères et allongent leurs franges ; ils aiment à être salués sur la place publique, et à être appelés rabbi (22). Ils n’ont pas oublié ce reproche de la Vérité. Lorsque le Christ sera devant eux, ce ne sera plus seulement des accès d’orgueil, ce sera la vengeance de l’orgueil!

Cette seconde chambre du sanhédrin, dite la chambre des scribes, ne valait donc pas mieux que la première, celle des prêtres. Toutefois il y a une réserve à faire. Nous montrerons bientôt que parmi ces hommes criminellement épris d’eux-mêmes (23), il y en avait un dont la droiture égalait la science : Gamaliel!

III. - CHAMBRE DES ANCIENS

Elle était, dans le sanhédrin, la moins influente des trois. Aussi les noms des personnages qui en faisaient partie au temps de Jésus-Christ ne sont-ils arrivés jusqu’à nous qu’en fort petit nombre.

JOSEPH D’ARIMATHIE
L’Évangile fait de lui ce bel éloge : Homme riche…, noble décurion ; homme bon et juste. Il n’avait consenti ni au dessein ni aux actes des autres. Et lui aussi était dans l’attente du royaume de Dieu. Joseph d’Arimathie est appelé dans la Vulgate ou version latine que nous venons de citer : noble décurion, parce qu’il était l’un des dix magistrats ou sénateurs qui avaient dans Jérusalem la principale autorité sous les Romains. Ce qui est plus clairement expliqué dans le texte grec, qui marque sa dignité par les deux noms d’illustre et de sénateur ( eschvmwn bouleuthv" ). De ces observations on peut conclure que Joseph d’Arimathie était certainement l’un des soixante-dix du sanhédrin, 1° parce qu’il était ordinaire d’y donner entrée aux sénateurs, qui étaient les anciens du peuple, ses chefs et ses princes : Seniores populi, principes nostri ; 2° parce que ces paroles : Il n’avait consenti ni au dessein ni aux actes des autres, prouvent qu’il avait le droit de se trouver dans la haute assemblée et d’y délibérer. ( Matth., XXVII, 57-59 ; Marc, XV, 43-46 ; Luc, XXIII, 50 ; Jean, XIX, 38. - Jacobi Alting, Schilo seu de Vaticinio patriarchae Jacobi, p. 310. - Goschler, Diction. encyclopédiq., mot Arimathie. - Cornelius a Lapide, Comment. in Script. sac., édit. Vivès, t. XV, p. 638, 2e col. - Giry, Vie des saints, t. III, p. 328-331. )

NICODÈME
Saint Jean l’Évangéliste dit de Nicodème qu’il était pharisien de profession, prince des Juifs, maître en Israël et membre du sanhédrin, où il essaya un jour de prendre contre ses collègues la défense de Jésus-Christ ; ce qui lui attira de leur part cette réponse dédaigneuse : " Et toi aussi, serais-tu Galiléen? " Il l’était, en effet, mais en secret. On sait encore, d’après l’Évangile, que Nicodème était possesseur de grandes richesses ; c’est lui qui employa environ cent livres de myrrhe et d’aloès à la sépulture de Jésus-Christ. Le Talmud fait également mention de Nicodème ; et, nonobstant la certitude qu’on avait de son attachement au Christ, il est parlé de lui avec de très grands éloges. Il est vrai que c’est à cause de ses richesses. " Il y avait, dit le livre hébraïque, trois hommes célèbres à Jérusalem : Nicodème ben Gorion, Ben Tsitsit Haccassat, Ben Calba Scheboua ; chacun d’eux aurait pu entretenir et nourrir la ville pendant dix ans. " ( Jean, III, 1-10 ; VII, 50-52 ; XIX, 39. - Talmud, traité Gitlin ou des Divorces, chap. V, fol. 56, verso ; Avoda Zara ou de l’Idolâtrie, chap. II, fol. 25, verso ; Thaanith ou des différents jours de jeûne, chap. III, fol. 19, recto, et fol. 20, verso. - Midrasch-rabba sur Kohélet, VII, 11. - David Ganz, Chronol., ann. 4757. - Knappius, Comment. in colloquium Christi cum Nicodemo.. - Cornelius a Lap., Comment. in Joann, cap. III, et sq. )

BEN CALBA SCHEBOUA
Le Talmud, après avoir rapporté qu’il était l’un des trois hommes riches de Jérusalem, ajoute : " Quiconque entrait dans sa maison affamé comme un chien en sortait rassasié. Il n’est pas douteux que la haute position financière de ce personnage ne lui ait valu un des premiers sièges dans la chambre des anciens, parmi les membres du sanhédrin ; d’autant que son souvenir se conserve encore aujourd’hui, comme l’affirme Ritter, parmi les Juifs de Jérusalem. ( Talmud, traité Gitlin ou des Divorces, chap. V, fol. 56, verso. - David Ganz, Chronol., ann. 4757. - Ritter, Erdkunde, XVI, 478. )

BEN TSITSIT HACCASSAT
Le troisième richard de cette époque. La mollesse de sa vie est célébrée par le Talmud. " La queue de son pallium, dit le livre hébraïque, ne trainait jamais que sur des tapis moelleux. " Comme Nicodème et Ben Calba Scheboua, Ben Tsitsit Haccassat a certainement fait partie du sanhédrin. ( Talm., tr. Gitlin, V, fol. 56, verso. - David Ganz, ann. 4757. )

SIMON
C’est l’historien Josèphe qui nous le fait connaître. " C’était, dit-il, un Juif de naissance et qui était très estimé à Jérusalem pour sa science de la Loi. " Il osa un jour convoquer l’assemblée du peuple et accuser le roi Hérode Agrippa, qui méritait, disait-il, qu’on lui refusât l’entrée des sacrés portiques, à cause de sa conduite. Ceci se passait huit ou neuf ans après Jésus-Christ, c’est-à-dire l’an 42 ou 43. On en peut conclure qu’un homme qui avait assez de puissance pour convoquer l’assemblée du peuple, assez de réputation et de savoir pour oser accuser un roi, devait indubitablement faire partie du sanhédrin. Au reste sa naissance toute seule, à une époque où la noblesse d’origine constituait, comme nous l’avons dit, un droit aux honneurs, lui eût ouvert les portes de l’assemblée. ( Josèphe, Antiq., XIX, VII, 4 . - Dérembourg, Essai sur l’hist. et la géogr. de la Palest., p. 207, note 1. - Frankel, Monatsschrift, III, 440. )

DORAS
Habitant très influent de Jérusalem, dont parle également l’historien Josèphe. C’était un homme d’un caractère adulateur et cruel. Devenu l’un des familiers du gouverneur romain Félix, il se chargea de faire assassiner le grand prêtre Jonathas, qui avait déplu à ce gouverneur à cause de quelques justes remontrances sur son administration. Doras fit exécuter froidement cet assassinat par des sicaires soudoyés aux frais de Félix, l’an 52 ou 53 de Jésus-Christ. La haute influence que Doras avait acquise depuis longtemps à Jérusalem permet de supposer qu’il était membre du sanhédrin. ( Josèphe, Antiq., XX, VIII, 5 . )

JEAN FILS DE JEAN - DOROTHÉE FILS DE NATHANAËL - TRYPHON FILS DE THEUDION - CORNÉLIUS FILS DE CERON
Ces quatre personnages furent envoyés comme députés auprès de l’empereur Claude par les Juifs de Jérusalem, l’an 44, sous le gouverneur Cuspius Fadus. L’empereur en fait mention dans la lettre qu’il expédia à ce gouverneur, et que Josèphe nous a conservée. Il est très probable qu’eux ou leurs pères auront siégé dans la chambre des anciens, car les Juifs ne choisissaient jamais pour les ambassades que les plus habiles membres du sanhédrin. ( Josèphe, Antiq., XX, I, 1, 2. )


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Les documents hébraïques bornent là leurs renseignements sur les membres de la chambre des anciens ; ils ne nous font connaître aucun autre nom. Or, à s’en tenir aux documents cités, il ressortirait, de prime-abord, que si cette troisième chambre était la moins influente dans le sanhédrin, elle en était peut-être la plus estimable, et que par conséquent elle devait se montrer la moins passionnée dans le procès de Jésus.

Un aveu échappé à l’historien Josèphe prouvera surabondamment que cette troisième chambre ne valait pas mieux que les deux autres. C’est parmi les classes riches de la société juive, dit Josèphe, que se recrutait le sadducéisme (24). Par conséquent, puisque à cette époque d’intrigues et de cabales, la chambre des anciens se recrutait parmi les personnes les plus riches de Jérusalem, on en peut conclure que la plupart de ses membres étaient infectés des erreurs du sadducéisme, c’est-à-dire enseignaient, comme le dit encore Josèphe, que l’âme meurt avec le corps (25). Nous sommes donc là en présence de véritables matérialistes, pour qui la destinée de l’homme ne consistait que dans la jouissance des biens terrestres (26). Esprits dévoyés que l’indignation prophétique de David avait stigmatisés d’avance : Ils se sont ravalés jusqu’à devenir semblables aux bêtes qui n’ont pas de raison (27)! Et qu’on ne s’imagine point qu’en parlant de la sorte nous chargions à dessein les défauts et la mémoire de l’assemblée juive. Un fait de la plus haute importance prouve que les sadducéens ou épicuriens étaient nombreux dans le sanhédrin. Lorsque, quelques années après le procès de Jésus, l’apôtre saint Paul dut comparaître, à son tour, devant le sanhédrin, en homme habile il sut mettre à profit les divisions doctrinales de l’assemblée : Frères, s’écria-t-il, je suis pharisien et fils de pharisien ; c’est à cause de l’espérance d’une vie future et de la résurrection des morts que l’on veut me condamner (28). À peine l’Apôtre a-t-il prononcé ces paroles qu’une discussion bruyante s’établit entre pharisiens et sadducéens . Tous se lèvent, tous parlent à la fois, qui pour la croyance à la résurrection, qui pour la négation. C’est un pêle-mêle de récriminations et une confusion indescriptible à la faveur de laquelle l’Apôtre put tranquillement se retirer. Voilà ce qu’était l’état des esprits et comment des hommes notoirement hérétiques se trouvaient investis de la charge de juges des doctrines. Toutefois, parmi ces matérialistes de la chambre des anciens, deux justes faisaient contraste comme autrefois Loth parmi les habitants de l’ancienne Sodome, c’étaient Nicodème et Joseph d’Arimathie.

Et maintenant résumons ce chapitre :

Nous connaissons d’une manière certaine plus de la moitié des soixante et onze membres du sanhédrin, et parmi eux presque tous les grands prêtres qui en faisaient partie. Cette majorité, ainsi que nous l’avons dit, suffit pour apprécier la valeur morale de l’assemblée, et, avant que les débats commencent, il est aisé de prévoir quelle sera l’issue du procès de Jésus.

Quelle peut être, en effet, l’issue de ce procès devant une première chambre composée de prêtres dégénérés, ambitieux et intrigants? Ces prêtres, ils sont en majeure partie des pharisiens, c’est-à-dire des hommes d’un esprit étroit, donnant beaucoup à l’extérieur, d’une dévotion dédaigneuse, officielle et assurée d’elle-même (29). Ils se croient infaillibles et impeccables ; ils attendent bien le Messie, mais un Messie qui foulera aux pieds tous leurs ennemis, lèvera la dîme sur tous les peuples du monde, et consacrera toutes les prescriptions dont ils ont surchargé la loi de Moïse. Or l’homme qu’ils vont avoir à juger a démasqué leur piété feinte et amoindri la considération dont ils jouissaient. Il rejette les prescriptions qu’ils ont inventées et qu’ils mettent au-dessus de la loi ; il veut même abolir les dîmes illégales dont ils pressurent le peuple. N’est-ce pas plus qu’il n’en faut pour le rendre coupable à leurs yeux et digne de mort?

Quelle peut être l’issue du procès devant une deuxième chambre composée de scribes infatués d’eux-mêmes? Ces docteurs, ils rêvent pour Messie un autre Salomon à l’aide duquel ils établiront à Jérusalem une académie savante qui verra accourir tous les rois de la terre, comme autrefois la reine de Saba. Or l’homme qu’ils vont avoir à juger, et qui se proclame Messie, a l’audace de béatifier les humbles d’esprit. Ses disciples ne sont que des bateliers ignorants, recrutés dans les recoins des plus obscures tribus. Sa parole, d’une simplicité outrageante, condamne devant les foules le langage hautain et les prétentions des docteurs… N’est-ce pas plus qu’il n’en faut pour le rendre coupable à leurs yeux et digne de mort?

Quelle peut être enfin l’issue du procès devant une troisième chambre qui compte en majeure partie, parmi les anciens, des sadducéens corrompus, contents de jouir des biens de cette vie et ne se souciant ni de l’âme, ni de Dieu, ni de la résurrection? À leurs yeux, la mission du Messie n’est pas de régénérer le peuple d’Israël et l’humanité. Elle doit consister à centraliser dans Jérusalem tous les biens de ce monde, qu’apporteront, comme d’humbles esclaves, les païens vaincus et humiliés. Or l’homme qu’ils vont avoir à juger, loin d’attacher, comme eux, de l’importance aux biens et aux dignités de la terre, prescrit à ses disciples de s’en dépouiller. il affecte même de mépriser tout ce que les sadducéens estiment le plus : les généalogies, les étoffes soyeuses, les coupes d’or, les somptueux repas… N’est-ce pas plus qu’il n’en faut pour le rendre coupable à leurs yeux et digne de mort?

Et ainsi, à ne s’en tenir qu’à la valeur morale des juges, l’issue du procès ne peut être que défavorable à l’accusé. Indubitablement, lorsque les trois chambres qui constituent le sanhédrin entreront en séance, nul espoir de bienveillance, ni de la part des grands prêtres, ni de la part des scribes ni de la part des anciens (30).

L’étude du procès va bientôt confirmer cette triste supposition. Nous avons fini d’apprécier la valeur morale des juges ; il est temps d’étudier la valeur juridique de leurs actes.