Considérations sur la Passion
Saint Alphonse-Marie de Liguori

 (suite)


CHAPITRE XI

SUR LA PATIENCE QUE NOUS DEVONS PRATIQUER
À LA SUITE DE JÉSUS-CHRIST POUR PARVENIR AU SALUT

- I -

Il est nécessaire de souffrir, et de souffrir avec patience

Parler de patience et de souffrance, c'est tenir un langage dont n'usent guère les personnes qui aiment le monde, et qu'elles n'entendent même pas; il n'est à la portée et à l'usage que des âmes qui aiment Dieu. "Seigneur! disait saint Jean de la Croix à Jésus-Christ, je ne vous demande pas autre chose que de souffrir et d'être méprisé pour vous." Sainte Thérèse s'écriait souvent: "Mon Jésus! ou souffrir ou mourir!" et sainte Marie-Madeleine de Pazzi: "Souffrir, et ne pas mourir!" Ainsi parlent les âmes éprises d'amour pour Dieu; c'est qu'elles savent qu'on ne peut donner à Dieu une preuve plus certaine de son amour qu'en souffrant de bon coeur pour lui plaire. Telle est aussi la plus grande preuve que Jésus-Christ nous ait donnée de son amour pour nous. Comme Dieu, il nous a témoigné de son amour en nous créant, en nous comblant de biens, en nous appelant à partager la gloire dont il jouit; mais rien ne montre mieux combien il nous aime que la charité qu'il a eue de se faire homme et de s'assujettir pour nous à une vie si pénible et à une mort si pleine de douleurs et d'ignominies. De notre côté, comment pouvons-nous montrer notre amour envers ce tendre Sauveur? Est-ce en menant une vie remplie de plaisirs et de jouissances terrestres?

Gardons-nous de penser que Dieu jouisse de nos souffrances; il n'est pas d'une humeur si cruelle qu'il se plaise à voir les douleurs et à entendre les gémissements de ses créatures. C'est un Maître d'une bonté infinie, qui ne désire que de nous voir pleinement satisfaits et heureux; il est toute douceur, toute affabilité, toute compassion envers ceux qui l'invoquent (Ps 85, 5). Mais notre malheureux état de pécheurs et la reconnaissance que nous devons à Jésus-Christ exigent que nous renoncions, pour sona mour, aux plaisirs d'ici-bas, et que nous embrassions de bon coeur la croix qu'il nous donne à porter en cette vie, pour le suivre dans la voie où il nous précède, chargé d'une croix beaucoup plus pesante que la nôtre; tout cela, afin de nous faire jouir, après notre mort, d'une vie bienheureuse qui ne finira jamais. Dieu n'aime donc point à nous voir souffrir; mais, comme il est la souveraine Justice, il ne peut laisser nos fautes impunies; c'est pourquoi, afin que nos fautes soient expiées et que nous parvenions un jour à la félicité éternelle, il veut qu'en souffrant avec résignation, nous purgions nos consciences et méritions d'être éternellement heureux. Quel ordre de choses plus beau et plus doux que la divine Providence eût-elle pu inventer pour que la justice fût satisfaite et que nous fussions en même temps sauvés et heureux?

Nous devons donc mettre toutes nos espérances dans les mérites de Jésus-Christ, et attendre de lui tous les secours dont nous avons besoin pour vivre saintement et nous sauver; nous ne pouvons douter que son désir ne soit de nous voir parvenir à la sainteté (1 Th 4, 3). Tout cela est vrai; cependant, nous ne devons pas négliger de faire ce qui dépend de nous pour réparer les injures dont nous sommes coupables envers Dieu, et pour mériter la vie éternelle au moyen des bonnes oeuvres. C'est ce qu'indique l'Apôtre, lorsqu'il dit: "J'accomplis dans ma chair ce qui manque à la passion de Jésus-Christ" (Col 1, 24). S'ensuit-il que la passion de Jésus-Christ ait été incomplète, et qu'elle n'ait pas suffi elle seule pour nous sauver? Non, certainement; elle fut entière et complète quant à sa valeur, et plus que suffisante pour sauver tous les hommes; néanmoins, pour que ses mérites nous soient appliqués, dit saint Thomas, nous devons coopérer de notre côté, en souffrant patiemment les croix que le Seigneur nous envoie, afin de nous rendre conformes à Jésus-Christ, notre Chef, selon ce que le même Apôtre écrivait aux Romains: "Ceux qu'il a discernés, il les a aussi prédestinés à reproduire l'image de son Fils, afin qu'il soit l'aîné d'une multitude de frères" (Rm 8, 29). Il faut toutefois ne jamais perdre de vue, comme le Docteur Angélique nous en avertit, que toute la vertu qu'ont nos oeuvres, expiations, pénitences, leur est communiquéee par les mérites de Jésus-Christ. C'est ainsi qu'on répond à ceux qui prétendent que nos pénitences font injure à la passion du Sauveur, comme si elle n'eût pas été suffisante pour expier nos fautes.

Nous disons qu'afin de pouvoir participer aux mérites de Jésus-Christ, il est nécessaire que nous nous efforcions d'observer les commandements de Dieu, jusqu'à nous faire violence pour ne pas céder aux tentations de l'enfer; c'est ce que Notre-Seigneur nous fait entendre lorsqu'il déclare que le royaume des cieux souffre violence, et que ce sont les violents qui l'emportent (Mt 11, 12). Il faut, dans les occasions, se faire violence à soi-même, et mortifier ses sens, pour n'être pas vaincu par l'ennemi. Si l'on se trouve coupable de quelque faute, dit saint Ambroise, on doit faire violence au Seigneur, par les prières et les larmes, pour obtenir son pardon. Le même Saint ajoute, pour nous encourager: Ô heureuse violence, que Dieu ne punit point avec colère, mais qu'il accueuille avec miséricorde! Il dit encore que, plus cette sorte de violence est grande, plus elle est agréable à Jésus-Christ. Et il conclut en affirmant que nous devons d'abord régner sur nous-mêmes, en domptant nos passions, pour pouvoir un jour conquérir le ciel, que notre Sauveur nous a mérité. Il faut donc se faire violence, soit pour souffrir les contrariétés ou les persécutions, soit pour vaincre les tentations et les mauvais penchants.

Le Seigneur nous avertit que, pour ne point perdre notre âme, nous devons nous tenir prêts à subir toutes les épreuves, et même à mourir, quand cela est nécessaire; mais il promet en même temps de combattre pour quiconque est ainsi disposé, et de renverser ses enneis (Si 4, 28). Saint Jean a vu devant le trône de Dieu une grande multitude de Saints, vêtus de robes blanches, car rien de souillé ne peut entrer dans le ciel, et tous portant à la mais des palmes, symbole du martyre (Ap 7, 9). Quoi! les Saints sont-ils donc tous martyrs? Oui, tous les adultes qui se sauvent, doivent être au moins martyrs de patience, en résistant aux attaques du démon et aux appétits déréglés de la chair. Les plaisirs charnels entraînent en enfer une foule innombrable d'âmes; il faut qu'on prenne la résolution de les mépriser avec une constance invincible. Soyons persuadés que, si l'âme ne subjugue le corps, ce sera le corps qui subjuguera l'âme.

Il faut donc, je le répète, il faut se faire violence pour se sauver. Mais, dira quelqu'un, je n'en suis pas capable, si Dieu ne me fortifie pas sa grâce. Saint Ambroise lui répond: Vous dites bien: si vous regardez vos propres forces, vous ne pouvez rien; mais, si vous mettez votre confiance en Dieu, en le priant de vous aider, il vous donnera la force de résister à tous vos ennemis du monde et de l'enfer. Toutefois, cela ne se peut faire sans souffrir, il n'y a aucun moyen d'échapper à cette nécesité. L'Écriture même nous le déclare: Si nous voulons entrer dans la gloire des Élus, il faut auparavant que nous supportions avec patience beaucoup de tribulations et de peines (Ac 14, 21). Aussi, comme saint Jean contemplait la gloire des Saints dans le ciel, il lui fut dit: "Voilà ceux qui sont venus ici après avoir passé par la grande tribulation, et qui ont lavé et blanchi leurs robes dans le sang de l'Agneau" (Ap 7, 14). Il est donc vrai que tous se trouvaient au nombre des Bienheureux pour avoir été purifiés par le sang de Jésus-Christ, mais aucun d'eux n'était arrivé là qu'après avoir beaucoup souffert en cette vie.

Soyez assurés, écrivait saint Paul à ses disciples, que Dieu est fidèle à ses promesses; il ne permettra jamais que vous soyez tentés au-dessus de vos forces (1 Co 10, 13). Or, ce que le Seigneur a promis, c'est de nous donner son secours pour vaincre toutes les tentations, pourvu que nous l'invoquions: "Demandez et l'on vous donnera" (Mt 7, 7). Cette parole est infaillible. Des hérétiques ont osé prétendre que Die commande des choses que nous sommes dans l'impossibilité d'observer. Le Concile de Trente, en condamnant cette détestable erreur, répond que Dieu n'ordonne rien d'impossible; quand il ordonne, il nous avertit de faire ce que nous pouvons, et de demander son secours pour ce que nous ne pouvons pas; et alors il nous aide à tout accomplir. Si les hommes, dit sait Ephrem, n'ont pas la cruauté de charger leurs bêtes de somme de plus lourds fardeaux qu'elles n'en peuvent porter, à bien plus forte raison Dieu, qui aime tant les hommes, ne souffrira pas qu'ils aient à subir des tentations auxquelles ils ne sauraient résister.

On lit dans l'Imitation de Jésus-Christ: "La croix t'attend partout, il est nécessaire pour toi de prendre patience partout si tu veux avoir la paix. Si tu portes volontiers la croix, elle portera vers la fin désirée." Chacun ici-bass désire la paix et voudrait la trouver sans souffrir, mais cela est impossible dans notre état présent; il faut souffrir, en quelque lieu que nous portions nos pas, nos croix nous attendent partout. Comment donc trouverons-nous la paix au milieu de toutes ces croix? En embrassant avec patience celle qui se présente à nous. Selon sainte Thérèse, la croix semble pesante, fût-elle bien légère, lorsqu'on la traîne malgré soi; mais, quand on l'embrasse de bon coeur, quelque grande qu'elle soit, on ne la sent pas. Et Thomas a Kempis affirme que, si quelqu'un porte sa croix avec résignation, elle le conduira au but auquel tout chrétien doit tendre, et qui est de plaire à Dieu en vette vie et de l'aimer éternellement en l'autre.

Le même auteur se demande quel saint a été admis dans le ciel sans qu'il portât le signe de la croix. Et comment pourrait-on y entrer sans croix, si la vie de Jésus-Christ, notre Chef et notre Rédempteur, a été une croix, un martyre continuel? Ansi, tandis que Jésus, innocent, saint, Fils de Dieu, a voulu souffrir durant toute sa vie, nous rechercherions les plaisirs et le repos? Tandis que lui, pour nous enseigner la patience par son exemple, a voulu mener une vie pleine d'ignominies et de souffrances, extérieures et intérieures, nous voudrions nous sauver sans souffrir, ou en souffrant sans patience, ce qui est souffrir doublement, et cela sans fruit et avec un surcroît de châtiment? Mais, comment pourrions-nous penser que nous aimons Jésus-Christ, si nous refusons de souffrir pour l'amour de Jésus-Christ, qui a tant souffert pour l'amour de nous? Comment pourrons-nous nous glorifier d'être disciples de Jésus crucifié, si nous repoussons ou ne subissons qu'avec répugnance les fruits de la croix, tels que les souffrances, les humiliations, la pauvreté, les douleurs, les maladies et tout ce qui contrarie l'amour-propre?     

- II -

La vue de Jésus crucifié nous console et nous soutient dans les souffrances

Ne perdons point courage, regardons constamment les plaies de Jésus crucifié; nous y puiserons les forces nécessaires pour souffrir les maux de cette vie, nons seulement avec patience, mais encore avec joie et allégresse, comme ont fait les saints et comme l'annonçait Isaïe: "Vous puiserez de l'eau avec joie aux sources du salut" (Is 12, 3). Suivant le commentaire de saint Bonaventure, les sources du salut sont les plaies de Jésus-Christ. C'est pourquoi le Docteur Séraphique nous engage à tenir sans cesse les yeux de notre coeur fixés sur Jésus mourant en croix, si nous voulons vivre toujours unis à Dieu et conserver en nous la véritable dévotion. La dévotion consiste, selon saint Thomas, dans la disposition à nous conformer en tout à ce que Dieu demande de nous.

Voici la belle instruction que nous donne l'Écriture pour nous maintenir dans une continuelle union avec Dieu et pour supporter patiemment toutes les tribulations. Parlant de Jésus, elle dit: "Songez à celui qui a enduré de la part des pécheurs une telle contradiction, afin de ne pas défaillir par lassitude de vos âmes" (He 12, 3). Pour souffrir avec résignation et en paix les maux présents, il ne suffit pas de penser légèrement, et quelquefois seulement dans l'année, à la passion de Jésus-Christ, il faut y réfléchir souvent et jeter au moins chaque jour un regard sur les peines que Notre-Seigneur a souffertes pour l'amour de nous. Et quelles sont ces peines? La contradiction que Jésus-Christ essuya de la part de ses ennemis fut telle qu'il devint, ainsi que le Prophète l'avait prédit, le dernier des hommes, un homme de douleurs (Is 53, 3). On alla jusqu'à le faire mourir de pure douleur, rassasié d'opprobres, sur un gibet réservé aux plus grands scélérats. Et pourquoin otre Sauveur a-t-il voulu endurer tant de tourments et d'outrages? C'est afin que, voyant tout ce qu'un Dieu a daigné souffrir pour nous donner l'exemple de la patience, nous soyons prêts à tout supporter, sans jamais perdre courage, pour nous délivrer du péché.

Et la Lettre aux Hébreux nous demande ensuite, pour exciter notre ardeur, de songer que Jésus-Christ, dans sa passion, a épuisé pour nous tout son sang dans la violence des tortures. Elle dit aussi que les Saints Martyrs, à l'exemple de leur Roi, ont enduré avec constnce les lames ardentes, les ongles de fer, qui leur ont déchiré jusqu'aux entrailles. Mais vous, ajoute-t-elle, vous n'avez pas encore donné une goutte de votre sang pour Jésus-Christ, bien que vous soyez obligés d'être toujours prêts à sacrifier même votre vie plutôt que d'offenser Dieu (cf. He 12, 4 et 11, 37-38). Telles étaient les dispositions de saint Edmond: "Je sauterais sur un bûcher ardent plutôt que de commettre un péché contre mon Dieu." Et saint Anselme, archevêque de Cantorbéry, disait: "Si je devais endurer tous les corporels de l'enfer ou commettre un péché, je choisirais l'enfer."

Durant toute notre vie, le lion infernal ne cesse de tourner autour de nous, cherchant à nous dévorer. Pour résister à ses attaques, saint Pierre nous engage à nous armer du souvenir continuel de la passion de Jésus-Christ (1 P 4, 1). En effet, dit saint Thoms, le seul souvenir de la passion est une puissante défense contre toutes les tentations de l'enfer. Si Notre-Seigneur eût connu pour nous un autre moyen de salut, préférable à celui des souffrances, il nous l'aurait indiqué; mais, en marchant devant nous avex sa croix sur les épaules, il nous a montré que, le meilleur moyen pour parvenir au salut, c'est de souffrir avec patience et résignation; et il a coulu nous en donner lui-même un exemple dans sa personne.

Saint Bernard dit qu'en voyant les grandes afflictions de Jésus crucifié, nous devons trouver les nôtres légères. Il demande si quelque chose peut nous paraître dur quand nous considérons les peines endurées par notre divin Maître. Saint Elzéar, interrogé un jour par sa vertueuse épouse, sainte Delphine, comment il supportait tant d'injures avec un esprit si tranquille, il répondit: "Quand je reçois des injures, je pense à celles de mon Sauveur, et je ne perds point de vue cette pensée jusqu'à ce que je me retrouve tout à fait dans le calme."

Lorsqu'une âme désire plaire à Jésus-Christ, dit encore saint Bernard, les outrages qu'elle reçoit, loin de l'affliger, lui sont agréables. Qui, en effet, ne sera pas disposé à embrasser avec joie les opprobres et les persécutions, s'il considère seulement les outrages que notre Sauveur souffrit au commencement de sa passion, lorsque, dans cette cruelle nuit qu'il passa chez Caïphe, on prit plaisir à lui donner des coups de poing et des soufflet, à lui cracher au visage, et à le tourner en dérision comme un faux prophète en lui bandant les yeux, ainsi que le rapporte saint Matthieu? (Mt 26, 67).

Comment les Martyrs pouvaient-ils supporter avec tant de patience la cruauté des bourreaux ? On leur déchirait le corps avec le fer, on les brûlait vifs sur des grils...; n'étaient-ils pas des hommes de chair comme nous, ou étaient-ils devenus insensibles? Pierre de Blois répond que les Martyrs ne regardaient pas leurs propres plaies, mais celles de leur divin Rédempteur, et qu'ainsi ils sentaient peu la douleur qu'ils éprouvaient; les tourments ne laissaient pas de les affliger, mais leur amour pour Jésus-Christ les leur faisait mépriser. Il n'est point de souffrance, si violente qu'elle soit, ajoute le même auteur, qu'on n'accepterait avec empressement à la vue de Jésus mort sur la croix.

L'Apôtre nous déclare que, par les mérites de Jésus-Christ, nous avons été enrichis de toutes sortes de biens (1 Co 1, 5). Mais Notre-Seigneur exige que, pour obtenir toutes les grâces que nous désirons, nous ayons recours à Dieu par la prière, et que nous lui demandions de nous exaucer par les mérites de son Fils. Jésus nous promet que, si nous faisons ainsi, son Père nous accordera tout ce que nous lui demanderons (Jn 16, 23). Ainsi faisaient les Martyrs; quand, dans les tortures, la douleur était fort aiguë, ils recouraient à Dieu, et le Seigneur leur donnait la patience dont ils avaient besoin. Saint Théodore, au milieu de tant de cruautés qu'on exerça sur lui, éprouvant surtout une vive douleur causée par des gragments de poterie rougis au feu, qu'on appliquait sur ses plaies, pria Jésus-Christ de lui donner la force de souffrir cet horrible supplice, et il remporta la couronne du martyre.

Ne craignons donc point les combats que nous avons à soutenir contre le monde et l'enfer; si nous avons toujours soin de recourir à Jésus-Christ par la prière, il nous procurera tous les biens désirables, la patience dans les épreuves, la persévérance, et enfin une bonne mort.    

- III -

La passion du Sauveur fait notre force dans notre dernière lutte

Ce sont de grandes tribulations que celles qu'on souffre au moment de la mort. Jésus-Christ seul peut nous donner la constance nécessaire pour les supporter avec fruit. C'est alors surtout que nous avons à redouter les attaques de l'enfer; il s'efforce d'autant plus de nous perdre qu'il nous voit près de notre fin. Rainaldi rapporte de saint Elzéar, qui avait mené une vie si pure, qu'aux approches de sa mort les démons lui livrèrent d'horribles assauts, et qu'il dit alors: "Les tentations infernales sont bien grandes en ce moment, mais Jésus-Christ, par les mérites de sa passion, de leur ôte leur force." Aussi saint François voulut qu'à l'heure de sa mort on lui lût la Passion du Sauveur; et saint Charles Borromée, se voyant près de mourir, fit placer autour de lui des images représentant la Passion; c'est en considérant les souffrances de Jésus-Christ qu'il voulut rendre à Dieu son âme bénie.

La Sainte Écriture affirme que le Fils de Dieu a voulu mourir pour nous, afin d'abattre par ce moyen la puissance du démon, qui exerçait l'empire de la mort, de nous soustraire ainsi à sa domination, et de nous délivrer par conséquent de la crainte de la mort éternelle (He 2, 14). Et le texte poursuit: "Il a dû devenir en tout semblables à ses frères... car du fait qu'il a lui-même souffert par l'épreuve, il est capable de venir en aide à ceux qui sont éprouvés" (He 2, 17-18). Le Seigneur a donc daigné prendre toutes les conditions et les infirmités de la nature humaine, hormis toutefois l'ignorance, la concupiscence, et le péché; et cela à quelle fin? Pour qu'en éprouvant en lui-même nos misères, il devint plus compatissant envers nous. On connaît beaucoup mieux les maux en les souffrant soi-même qu'en les considérant seulement dans les autres; l'expérience propre de Jésus devait le rendre plus disposé à nous secourir, lorsque nous sommes tentés en cette vie, et surtout au moment de la mort. C'est à cela que saint Augustin fait allusion dans ce passage que nous avons déjà cité: Jésus-Christ, aux approches de la mort, a voulu sentir la peine d'enm être troublé, afin que, si nous éprouvons quelque trouble à notre mort, nous n'aillions pas jusqu'à perdre confiance, puisque nous devons nous souvenir alors que notre Sauveur lui-même est passé par cette épreuve.

Ainsi, dans nos derniers moments, l'enfer mettra tout en oeuvre pour nous faire désespérer de la divine miséricorde, en nous remettant devant les yeux tous les péchés de notre vie; mais le souvenir de la mort de Jésus-Christ nous portera à nous confier en ses mérites et nous ôtera la crainte de la mort, selon ce que dit saint Thomas sur le texte de la Lettre aux Hébreux que nous venons de citer. Voici comment le Docteur Angélique s'exprime: Lorsque nous considérons que le Fils de Dieu a bien voulu souffrir la mort pour nous obtenir le pardon de nos fautes, la crainte de la mort s'éloigne de nous et fait place au désir de mourir. Pour les incrédules, rien n'est plus redoutable que la mort, parce qu'ils la regardent comme la fin de tous les biens; mais pour nous, la mort de Jésus-Christ nous donne la ferme espérance que, si nous mourons dans la grâce de Dieu, nous passerons de la mort à la vie éternelle. Saint Paul nous montre combien cette espérance est fondée, en disant que le Père éternel a livré son propre Fils à la mort par tous les hommes, et que par là il leur a tout donné (Rm 8, 32). Nous ayant donné son propre Fils, Dieu ne peut rien nous refuser; il nous accordera certainement le pardon de nos péchés, la persévérance finale, son amour, une bonne mort, la vie éternelle, et tous les biens.

Si donc le démon cherche à nous troubler, soit dans le cours de la vie, soit à l'heure de la mort, en nous représentant les fautes de notre jeunesse, répondons-lui avec saint Bernard: Ce qui manque en moi-même pour aller en paradis, je le prends dans les mérites de Jésus-Christ, qui a daigné souffrir et mourir précisément pour me procurer la gloire éternelle, dont j'étais indigne. Ajoutons les paroles suivantes de l'Apôtre, paroles bien consolantes pour les pécheurs: "C'est Dieu qui justifie; qui donc nous condamnera ? Le Christ Jésus, celui qui est mort, que dis-je? ressuscité, qui est à la droite de Dieu, qui intercède pour nous?" (Rm 8, 34). Dieu lui-même pardonne nos péchés et nous justifie par sa grâce; or, si Dieu nous rend justes, qui pourra nous condamner comme coupables? est-ce Jésus-Christ qui nous condamnera, lui qui, pour ne pas nous condamner, s'est livré à la mort, et qui continue d'intercéder pour nous devant le trône de son Père; lui qui a versé son sang pour effacer nos péchés, et nous retirer de la corruption? (Ga 1, 4).

L'Apôtre vient de nous assurer que le Fils de Dieu, après s'être chargé de nos péchés, et avoir daigné les expier lui-même en mourant pour nous, afin de nous délivrer de ce monde d'iniquités et de nous conduire dans son royaume, s'y fait encore, en attendant, notre Avocat auprès de son Père éternel. Saint Thomas, expliquant ces paroles, dit que, dans le ciel, Jésus-Christ intercède pour nous en présentant à son Père les plaies qu'il a souffertes pour notre amour. Saint Grégoire le Grand ne fait pas difficulté d'affirmer, chose que tous n'osent pas admettre, que notre divin Rédempteur, comme homme proprement, n'a pas cessé de prier, même après sa mort, pour l'Église militante, qui se compose de tous les fidèles sur la terre. Tel est aussi le sentiment de saint Grégoire de Naziance. Saint Augustin dit que Jésus-Christ prie pour nous dans le ciel, non comme demandant pour nous quelque grâce nouvelle, puisqu'il nous a obtenu pendant sa vie tout ce qu'il pouvait nous obtenir, mais comme exigeant de son Père, en vertu de ses mérites, notre salut déjà obtenu et promis.

- IV -

Confiance et Amour envers Jésus-Christ

Revenons à la confiance que nous devons avoir en Jésus-Christ relativement au salut. Saint Augustin continue de nous encourager, en disant que ce bon Maître, qui nous a rachetés au prix de tout son sang, ne veut pas que nous nous perdions. Si nos fautes nous séparent de Dieu, et nous rendent dignes d'en être méprisés, notre Sauveur ne saurait mépriser le sang qu'il a répandu pour nous. Suivons donc avec confiance le conseil de la Lettre aux Hébreux: ne cessont point de courir par la patience dans la carrière qui nous est offerte par Jésus-Christ lui-même, notre Maître et notre Modèle, préférant à tout comme lui les souffrances et les humiliations, et persévérant jusqu'au dernier soupir (He 12, 1). Il nous servira peu d'avoir bien commencé, si nous ne continuons pas jusqu'à la fin; c'est par la patience et la persévérance dans le combat que nous obtiendrons la victoire et la couronne promise au vainqueur.

Cette patience même sera pour nous une cuirasse, qui nous protégera contre les traits de nos ennemis. Mais, comment acquerrons-nous cette vertu? En tenant constamment, durant la lutte, nos regards sur Jésus crucifié (He 12, 2), qui, comme le remarque saint Augustin, a méprisé tous les biens de la terre pour nous apprendre à les mépriser et à ne pas chercher en eux notre bonheur, mais qui a voulu, au contraire, souffrir tous les maux d'ici-bas, pour nous apprendre à ne pas les craindre. Voilà pourquoi ce divin Maître s'est soumis lui-même à toutes les misères de cette vie, à la pauvreté, à la faim, à la soif, aux faiblesses, aux ignominies, aux douleurs et jusqu'à la mort de la croix.

Ensuite, par sa résurrection glorieuse, il a voulu nous affermir contre la crainte de la mort; puisque, si nous lui sommes fidèles jusqu'à notre dernier soupir, nous entrerons alors dans la vieéternelle, qui est exempte de tous les maux et pleine de tous les biens. C'est ce que signifient les paroles du texte sacré, où Jésus-Christ est appelé "l'Auteur et le Consommateur de la foi" (He 12, 2). En effet, comme il est pour nous l'Auteur de la foi, en nous enseignant ce que nous devons croire, et en nous donnant la grâce nécessaire pour le croire, il est aussi le Consommateur de la foi, en nous promettant de nous faire jouir un jour de cette vie bienheureuse que maintenant il nous enseigne à croire. Et afin que nous soyons assurés de l'amour que ce divin Rédempteur nous porte et de la volonté qu'il a de nous sauver, le passage de l'Écriture termine en nous rappelant ce qu'il a fait pour nous: "Jésus, au lieu de la joie qui lui était proposée, endura une croix, dont il méprisa l'infamie" (He 12, 2). Saint Jean Chrysostome, expliquant ces dernières paroles, dit que Jésus-Christ pouvait nous sauver en menant sur la terre une vie douce et heureuse; mais, pour nous rendre plus certains de son affection, a préféré une vie pénible et une mort ignominieuse, au point d'être condamné comme un malfaiteur et de subir le supplice de la croix.

Tâchons donc, ô âmes reconnaissantes envers Jésus crucifié, tâchons, le reste de notre vie, d'aimer autant que nous le pouvons notre aimable Rédempteur, et de souffrir pour celui qui a daigné tant souffrir pour nous! Supplions-le sans cesse de nous accorder le don de son saint amour! Quel bonheur pour nous, si nous parvenons à avoir un ardent amour envers Jésus-Christ! Un grand serviteur de Dieu, le vénérable Père Vincent Carafa, dans une lettre adressée à quelques jeunes gens zélés et pieux, s'exprimait ainsi: "Pour réformer toute notre vie, nous devons nous adonner entièrement à l'exercice de l'amour divin. La charité envers Dieu, quand elle entre dans un coeur et qu'elle parvient à le posséder, suffit pour le délivrer de tout affection déréglée et le rendre aussitôt pur et docile. Le coeur est pur, dit saint Augustin, lorsqu'il est vide de tout désir terrestre. Saint Bernard disait pareillement: Celui qui aime Dieu, ne souhaite pas autre chose que de l'aimer, et bannit de son coeur tout ce qui n'est pas Dieu. Et ainsi un coeur vide devient un coeur pleine, c'est-à-dire, rempli de Dieu, qui apporte avec lui tous les biens. Alors les choses terrestres, ne trouvant plus aucune place dans son coeur, n'ont plus la force de l'entraîner. Quelle force peuvent avoir sur nous les plaisirs de la terre, quand nous jouissons des consolations divines? Que peut la passion des vains honneurs et des richesses de ce monde, quand nous avons l'honneur d'être aimés de Dieu, et quand nous commençons à posséder les trésors du ciel? Si donc nous voulons mesurer le progrès que nous avons fait dans les voies de Dieu, examinons celui que nous avons fait dans son amour. Boyons si nous produisons souvent, dans la journée, des actes d'amour envers Dieu, si nous parlons souvent de l'amour divin, si nous tâchons de l'inspirer aux autres, si nous faisons nos dévotions uniquement pour plaire à Dieu, si nous supportons avec une entière résignation à la volonté divine tout ce qui nous arrive de fâcheux, les maladies, les souffrances, la pauvreté, les mépris, les persécutions. Les Saints disent qu'une âme qui aime véritablement Dieu a besoin d'aimer autant que le corps a besoin de respirer; car la vie de notre âme, dans le temps comme dans l'éternité, consiste à aimer le Bien suprême, qui est Dieu."

Mais soyons-en persuadés, nous n'arriverons jamais à un haut degré d'amour divin que par le moyen de Jésus-Christ et par une dévotion spéciale envers sa passion, qui nous a fait rentrer en grâce avec Dieu. Tout accès près de lui nous serait fermé, à nous pécheurs, et nous ne serions pas admis à lui demander des faveurs, sans l'entremise de Jésus-Christ: "Par lui nous avons accès auprès du Père" (Ep 2, 18). C'est Jésus qui nous ouvre la porte, dit l'Apôtre, c'est lui qui nous introduit auprès de son Père, et qui, par les mérites de sa passion, nous obtient le pardon de nos péchés et de toutes les grâces que nous recevons. Que nous serions malheureuex, si nous n'avions pas Jésus-Christ! Pourrons-nous jamais assez louer et reconnaître dignement l'amour et la bonté de ce généreux Rédempteur envers nous, pauvres pécheurs, pour qui il a daigné mourir, et qu'il a délivrés par ce moyen de la mort éternelle? À peine trouverait-on quelqu'un qui consentit à mourir pour un homme juste, tandis que Jésus-Christ a bien voulu donner sa vie pour nous, quand nous étions plongés dans l'iniquité (Rm 5, 7).

Ainsi parle saint Paul. Ensuite il nous assure que, si nous sommes déterminés à aimer Jésus-Christ à tout prix, nous devons en espérer tous les secours dont nous auront besoins et toutes les faveurs. Voici comment il raisonne: Si, lorsque nous étions ennemis de Dieu, nous avons été réconciliés avec lui par la mort de son Fils, à bien plus forte raison, étant maintenant réconciliés, nous serons sauvés par ce même Fils (Rm 5, 10). Ceux qui aiment Jésus-Christ doivent donc remarquer ici que c'est faire injure à l'amour que nous porte ce bon Sauveur de craindre qu'il ne leur refuse les grâces nécessaires pour se sauver et se sanctifier. Et afin que nous ne perdions pas confiance à cause de nos péchés, l'Apôtre ajoute que la miséricorde de Dieu est infiniment plus grande que notre indignité. Par ces paroles, il veut nous faire entendre que nous recevons plus de bien du don de la grâce qui nous est acquise par la passion de notre Rédempteur que le péché d'Adam ne nous a fait de mal; car les mérites de Jésus-Christ ont plus de pouvoir pour nous faire aimer de Dieu que n'en a eu le péché d'Adam pour nous en faire haïr. En un mot, dit saint Léon, nous avons plus gagné par la grâce ineffable de notre Sauveur, que nous n'avions perdu par la malice du démon.

Terminons. Âmes dévotes, aimons Jésus-Christ, aimons ce divin Rédempteur qui mérite tant d'être aimé, et qui nous atant aimés, et qui a tant fait pour gagner notre amour qu'il semble ne pouvoir rien faire de plus. C'est assez de savoir que, pour notre amour, il a voulu mourir consumé de douleurs sur une croix. Et non content de ce grand sacrifice, il s'est donné lui-même à nous dans le sacrement de l'Eucharistie, où il nous présente à manger ce même corps qu'il a immolé pour nous sur la croix, et à boire ce même sang qu'il a répandu pour nous dans sa passion. Nous sommes donc coupables d'une extrême ingratitude envers un tel Bienfaiteur, non seulement quand nous l'offensons, mais encore quand nous l'aimons peu, quand nous ne lui consacrons pas tout notre amour.Ô mon Jésus! que ne puis-je me consumer tout entier pour vous, comme vous vous êtes consumé tout entier pour moi! Ah! puisque vous m'avez tant aimé, et que vous m'avez tant obligé à vous aimer, faites maintenant que je ne sois pas ingrat envers vous! Et je serais bien ingrat, si j'aimais autre chose que vous! Vous m'avez aimé sans réserve, je veux vous aimer aussi sans réserve. Je laisse tout, je renonce à tout, pour me donner tout à vous, et pour n'avoir dans mon coeur aucun autre amour que le vôtre. De grâce, mon Amour, acceptez-moi, sans vous souvenir de tous les déplaisirs que je vous ai donnés par le passé; ne voyez en moi qu'une de ces brebis pour lesquelles vous avez répandu votre sang! Mon cher Sauveur, oubliez toutes les offenses que je vous ai faites! Punissez-moi selon votre volonté, pourvu que vous m'épargniez le malheur de ne plus pouvoir vous aimer; disposez de moi comme il vous plaît. Privez-moi de tout, mais mon Jésus, ne me privez pas de vous, qui êtes mon unique bien! Faites-moi connaître ce que vous demandez de moi; je veux tout accomplir, moyennant votre grâce. Faites que j'oublie tout, pour ne me souvenir que de vous et de toutes les peines que vous avez endurées pour moi. Faites que je ne pense plus qu'à vous plaire et à vous aimer. Ah! regardez-moi avec cet amour avec lequel vous m'avez regardé du haut du Calvaire en agonisant pour moi sur la croix, et exaucez-moi! Je remets en vous toutes mes espérances, ô mon Jésus, mon Dieu, mon Tout!

Ô vierge Sainte, ma Mère et mon Espérance, tendre Marie, recommandez-moi à votre divin Fils, et obtenez-moi la fidélité à l'aimer jusqu'à la mort!

FIN