CHAPITRE IV
Des signes auxquels on reconnaît
la vraie Eglise de Dieu
et les vrais membres de son Chef
Jésus-Christ.

Qui est-ce qui montera à la montagne de l'Eternel, et qui est-ce qui demeurera au lieu de sa sainteté ? C'est l'homme qui a les mains innocentes et le coeur pur. Psaume XXIV 3,4

Nous avons parlé de l'église intérieure de Dieu sur la terre, de l'église de l'Antéchrist et de l'idolâtrie de la chair et du monde; nous avons dit aussi comment les hommes se trouvent exposés à une erreur funeste, non seulement lorsqu'ils sont déjà tout à fait égarés spirituellement; non seulement lorsqu'ils suivent la lumière mensongère de la raison, et ne s'attachent qu'aux choses extérieures, se croyant devenus spirituels, parce que leur mémoire est remplie de mots qui expriment les objets de l'esprit; mais comment ceux-là même qui, ayant déjà réellement vu la vraie lumière, et s'étant écartés du chemin de la vérité, tombent et s'enfoncent d'autant plus profondément dans les ténèbres.

1- Disons maintenant quels sont les signes auxquels on distingue la vraie église de Dieu, et les vrais membres de celui qui en est le chef et le maître, c'est-à-dire les vrais chrétiens.
Partout où Jésus-christ n'est point la pierre angulaire, le fondement et le but, le premier et le dernier, le commencement et la fin de tout l'édifice; partout où l'on ne cherche pas avant tout le Royaume de Dieu et sa justice; là où avec Saint Paul on n'estime pas tout comme rien pour l'amour de Jésus-Christ (Philippiens III.8); là où l'esprit du crucifié, du chef, du maître de l'église ne vivifie pas tout; si ce n'est pas lui qui commence, qui continue et qui achève : là n'est point la vraie église de Dieu.

2 - Mais quels sont donc les signes distinctifs de ces vrais membres, c'est-à-dire des vrais chrétiens ?
Est-ce la foi ? - Mais les démons croient aussi, et ils tremblent.

La force de la prière ? Mais si j'ai toute la foi, au point que je transporte les montagnes, je puis n'exister encore dans la vérité, et n'être rien à ses yeux.

Sera-ce le jeune, l'abstinence, les mortifications ? Il est vrai que leur observation est indispensablement nécessaire au chrétien; mais les superstitieux et les hypocrites peuvent également les observer, et les agents les plus corrompus du règne des ténèbres s'en servent précisément comme d'un moyen pour produire leurs opérations infernales.

Serait-ce la connaissance et l'intelligence des mystères ? - Mais qu'est-ce que l'oeil qui regarde les prodiges, et à qui la chute d'un fétu peut faire perdre la vue ?

Sont-ce les visions ? - Mais elles peuvent être trompeuses; et, quand elles seraient vraies, qu'est-ce qu'un aveugle, accablé de maladie et enchaîné dans une prison, qui n'a vu qu'en songe les beautés du paradis, et la liberté dont on y jouit ?

Sera-ce le don de prophétie ? - Mais qu'est-ce que le verre, qui rapproche des objets très éloignés ?

Seront-ce des paroles mystérieuses et le langage des Anges ? - Mais celui qui le parle peut n'être qu'un airain retentissant, ou une cymbale qui résonne.

Le don des miracles ? - Mais les faux prophètes, les faux Christs feront aussi des prodiges et opéreront des grands miracles.

La distribution de son bien ? - Mais on peut aussi le distribuer par l'excès de cet amour-propre spirituel qui, pour se complaire, ne craint non seulement le dénuement, ni la mort même.

Sera-ce le zèle ardent pour le salut éternel et la souffrance à laquelle il expose ? - Mais, dès qu'une fois on connaît la possibilité de jouir du salut et de la béatitude éternelle, il est tout naturel qu'on y tende de toutes ses forces; et puis, combien n'y a-t-il pas de fanatiques qui, dans leur religion, dans leur vertu imaginaire et dans leur faux patriotisme, se sont livrés avec joie aux flammes, prosternés devant des idoles qui n'étaient que l'ouvrage de leurs mains, et dans le but de parvenir à la félicité de la vie à venir.

Il n'y a pas jusqu'à l'humilité même que la nature ne puisse tellement altérer par la longue habitude d'une patience intéressée, que non seulement l'observateur peu exercé y sera induit en erreur; mais ces hommes humbles se tromperont eux-mêmes, se persuadant que leur résignation a son principe en Dieu.

Nous pouvons de même, en contrariant notre propre volonté et en la subjuguant même, n'avoir d'autre but qu'à y trouver un aliment à notre orgueil spirituel, et un puissant agent pour accomplir nos propres désirs. On en voit aujourd'hui un exemple frappant dans ces plus habiles opérateurs du magnétisme. Ils vous disent que le plus sûr moyen pour produire des effets, c'est de soumettre tous vos désirs; ou, en d'autres termes, que le magnétiseur se tienne dans une parfaite inaction. Mais qui ne voit pas qu'ils se servent de cette inaction même pour arriver plus sûrement au but qu'ils s'étaient d'abord proposé ? C'est ce but qui les rend actifs, dans le temps même qu'ils ne prétendent être que passifs.

Ainsi tous ces caractères que nous venons de passer en revue pour constituer la véritable nature du chrétien peuvent aussi se manifester sans elle.

3 - A quoi reconnaîtrons-nous donc le vrai membre de Jésus-Christ, et quel est son caractère primitif ?

L'Amour ! I Cor. XIII. L'amour est l'essence du corps vivifiant de Jésus-Christ. L'amour est la manifestation de son esprit, qui ne peut exister que dans l'amour, ni agir que par l'amour. Ce qui provient de cet esprit est le seul bon et le seul vrai, et n'est point sujet aux épreuves du feu purifiant. L'amour seul est le noeud indissoluble qui unit à Jésus-Christ. Dieu est charité, et celui qui demeure dans la charité demeure en Dieu, et Dieu demeure en lui. (I Jean IV.16).

Cet amour qui ne finira jamais, qui ne cherche point son propre intérêt, c'est-à-dire qui se dépouille vers Dieu uniquement pour l'amour de lui-même; cet amour parfait, qui n'a pas de crainte (I Jean IV.18); cet amour qui hait le péché et le fuit, non par la crainte du châtiment, mais parce que le péché est contraire à son principe - c'est cet amour qui est le vrai signe de la régénération en Jésus-Christ; il est l'âme de ce corps intérieur nouvellement régénéré, et cette âme se manifeste à proportion qu'il avance en croissance. Ce corps ne peut se conserver et prendre de l'accroissement que dans l'être qui se dépouille du vieil homme extérieur. Le moyen radical pour la destruction invisible de l'homme pécheur est une profonde abnégation de soi-même qui, à l'aide de l'esprit de l'amour, doit à la fin être suivie, pour ainsi dire, par l'abnégation de cette abnégation de nous-mêmes. Non seulement le moi ne doit point agir, il ne doit pas même avoir le sentiment de son inaction; tant s'en faut qu'il lui soit permis d'en jouir. C'est au moyen de cette jouissance de nous-mêmes que Lucifer peut, en un moment, établir son trône dans le coeur. L'amour-propre, ce règne du moi, est le nid du péché; il est l'aimant qui attire celui qui en est le père; il est son plus puissant agent. - C'est donc l'amour qui est le caractère essentiel de la nature divine dans la régénération; il est le signe distinctif des vrais membres de Jésus-Christ et des enfants de Dieu.