CHAPITRE VII

De l'Imitation de Jésus-Christ





Jésus dit : Je suis la lumière du monde; celui qui me suit ne marchera point dans les ténèbres, mais il aura la lumière de la vie. Jean VIII.12

1. - Celui qui veut devenir un vrai imitateur de Jésus-Christ, inspiré par son esprit, et pour cela même que cet esprit le vivifie, doit imiter son exemple et exprimer dans tous les actes de sa vie ses préceptes, qui nous sont révélés dans l'Evangile.

En marchant dans cette route, il doit occuper sa volonté à se faire violence, à soumettre toutes ses forces aux commandements de Jésus-Christ. Il doit non seulement les remplir, mais aussi imiter intérieurement et extérieurement l'exemple qu'il a laissé. Il doit faire violence au vieil homme, pour lequel il n'y a rien de si dur et de si révoltant que la vie et la prédication du Sauveur, par la raison qu'elles le tuent.

2. - Celui qui veut avancer dans la voie qui conduit à Jésus-Christ doit sincèrement aimer la vertu, et n'avoir immédiatement en vue que Jésus-Christ, ne cherchant que lui seul, et ne le cherchant que sur la croix.

Il n'y a que cette disposition seule qui prouve qu'on est véritablement attiré, et sans un tel attrait il est impossible de faire un pas vers Jésus-Christ. Celui qui ne l'a point fera tout ce qu'il voudra : il ne marchera certainement pas dans la voie qui conduit à la vraie régénération.

3. - Celui qui y marche doit, l'oeil fixé sur le miroir de l'Evangile, s'identifier journellement avec la vie et les vertus de Jésus-Christ. Ce n'est pas qu'il puisse l'égaler par ses forces naturelles, ce qui est impossible, même en partie, à moins que Dieu ne le transforme et ne le fasse participer à la vie surnaturelle; - que la chair et le sang, hélas ! ne songent pas même à en concevoir l'idée.

Mais cet exercice constant des forces naturelles d'après le modèle divin est aussi nécessaire, non seulement pour que l'homme produise dans sa vie naturelle des actes plus conformes à la volonté de son Créateur, mais aussi pour que cette pratique lui prépare le moyen pour commencer la vie intérieure, surnaturelle et céleste.

4. - C'est surtout l'amour du prochain qui doit faire son occupation constante. C'est par là particulièrement que la nature humaine se forme et se rend propre à devenir l'habitation de ce Dieu, Trois en Un, qui n'est qu'amour. L'homme qui cherche son Sauveur doit pratiquer ce précepte, en observant la loi évangélique dans toute sa simplicité; en cachant, autant qu'il le peut, ses actes de bienfaisance, et en se tenant très en garde de les faire devenir un objet de sa propre gloire et de sa propre satisfaction, non seulement devant les hommes, mais à lui-même. Dans toutes ses bonnes oeuvres, et dans ses projets d'en faire, il doit tâcher d'entrer intimement dans le sens profond et caché de ces paroles du Sauveur : "Que ta main gauche ne sache pas ce que fait ta droite." Matthieu VI.35.

5.- L'homme qui travaille à sa régénération doit se faire sans cesse violence, et se livrer à une activité douce et tranquille, avant que l'esprit, qui le régénère, commence à opérer en lui d'une manière sensible. Il doit persévérer dans cet état, où sa croyance n'est que faible, chancelante, obscure et destituée de vie, jusqu'à ce que la foi en Jésus-Christ ait vivifié son esprit.

C'est le Père céleste lui-même qui, du fond de sa toute-puissance, excite continuellement (secrètement) cette croyance dans l'homme : lorsqu'il trouve sa volonté susceptible et bien disposée, il y verse une inclination et un attrait pour le Fils, et cet attrait augmente et se fortifie à mesure que celui qui est attiré y coopère de sa part.

6 - Le règne de Dieu doit être forcé, jusqu'à ce que ceux qui le cherchent l'aient emporté : mais la manière et la forme de cette violence ne sont pas les mêmes.

Lorsque Jésus-Christ agit dans l'homme qu'il 'régénère, tout l'effort de son âme doit consister dans l'inaction, dans l'abandon à l'esprit de celui qui opère ; elle doit combattre la loi du vieil homme, qui s'oppose à la loi de l'esprit de Jésus-Christ.

Mais, quand la vie céleste de Jésus-Christ n'a point encore manifesté son action dans celui qui le cherche, la lumière qui le conduit n'étant que faible, n'étant qu'une lampe qui allume à peine sa foi naissante, il doit employer ses forces naturelles à 'agir et à se conduire dans toute sa vie, soit intérieure ou extérieure, d'après les instructions et l'exemple de Jésus-Christ. Ce n'est que par là qu'il se mettra en état de prendre la croix qui, portée justement et par degrés en amour, est la vraie voie vivifiante de l'imitation de Jésus-Christ. Marc VIII, 14.

L'adoration de Dieu, par exemple, celle qui lui est agréable, est l'adoration qui se fait en esprit et en vérité. Jean IV. 23. Elle n'appartient qu'a celui qui s'attache et demeure dans la vérité, et à celui dont l'homme intérieur est renouvelé par l'esprit de vérité. C'est là le culte que lui rendent les régénérés ; ils sont comme les temples vivants, dans lesquels l'esprit de Jésus-Christ lui-même offre le sacrifice d'adoration : ils sont les autels spirituels, destinés à ce sacrifice, et uniquement occupés à contempler la grandeur, à goûter les douceurs de l'adoration de Dieu, qui s'opère sur eux. C'est ainsi que dans ceux qui sont dans la voie de la régénération, particulièrement ceux qui se trouvent attirés par le Père, l'esprit lui-même prie souvent par des soupirs ineffables. Romains VIII. 26.

7 - Tant que l'esprit d'oraison n'est pas encore excité, nous devons employer nos facultés naturelles à adorer et à prier.

Les facultés de notre raison servir à nous faire connaître ce véritablement utile à l'âme.

Nos désirs, qui se portent aux objets de la terre et aux vanités de monde, nous devons les en éloigner et les tourner vers ce qui est céleste et agréable à Dieu.

Nous devons employer notre mémoire à y conserver les commandements de Dieu et l'exemple de la vie de Jésus-Christ, pour nous y conformer dans tous les actes de la nôtre.

Nous devons appliquer notre pensée à des objets qui nous portent à la piété et à la crainte de Dieu ; tels que l'idée d'un Dieu tout-puissant, agissant tout et voyant tout, l'idée de sa justice, et de sa bonté ; d'un Dieu qui, s'étant fait homme, souffre pour nous sauver; l'idée de notre propre indignité, de nos chutes, l'idée de la mort, etc., etc.

8 - Toutes ces méditations de notre âme doivent aboutir à nous rendre circonspects sur nous-mêmes, à nous porter à cette contrition que demande le souvenir de nos fautes, et à nous inspirer la résignation, la vénération et l'amour de notre Créateur. C'est dans la plus grande simplicité que nous devons nous y livrer, et autant que possible par notre coeur, en consacrant à l'adoration les facultés les plus intimes de notre âme.

Mais soyons en garde contre notre propre imagination ; gardons-nous de nous former des tableaux, et de nous y livrer. Quels qu'ils soient, ils peuvent toujours produire de funestes impressions sur l'imagination même.

Ayant ainsi disposé notre âme pour servir et pour adorer notre Père céleste, il est essentiel que nous nous livrions à la prière le plus souvent qu'il nous est possible, en lui consacrant toute notre pensée, dans tout le secret de notre coeur, dans ce calme intérieur qui, en nous retirant des objets extérieurs, nous fait rentrer en nous-mêmes et nous occupe de notre Dieu.

9 - Observons ici que l'oraison ne doit point avoir pour but de chercher et de trouver ce sabbat, ce repos spirituel, dont l'état permanent n'appartient qu'au plus haut degré de la nouvelle vie divine. Dans la voie de la régénération, la jouissance s'en fait sentir momentanément pour consoler, fortifier et encourager l'homme qui doit se régénérer.

Il ne suffit pas de ne point chercher cet état, il faut même craindre d'y entrer autant que de vouloir entrer dans l'intérieur du royaume de Dieu par ses propres forces. Les tentatives de ce genre ont les suites les plus funestes ; les ténèbres n'ont rien de commun avec la lumière ; il n'y a que les sentiments spirituels de l'homme nouveau qui puissent jouir de la vie divine. La seule porte par laquelle on y entre, c'est Jésus-Christ. C'est lui et son esprit qui nous ouvrent le passage dans la cour du paradis.

10 - Jésus-Christ dit : Le vent souffle où il veut, et tu en entends le son ; mais tu ne sais ni d'où il vient, ni où il va ; il en est de même de tout homme qui est né de l'esprit. Jean III. 8.

Mais avant que la vie de cette renaissance se manifeste, l'homme doit, au lieu d'envahir les dons qui l'accompagnent, employer toutes ses forces naturelles à fuir tout ce qui est contraire à la volonté de Dieu et à s'efforcer à remplir ce qu'elle demande, s'appliquant à l'observer intérieurs et extérieurs, dans les actes et à connaître cette sainte volonté du Seigneur, telle qu'elle est proposée dans l'Ecriture sainte, dans les écrits des saints pères, dans ceux des hommes éclairés par l'esprit de Dieu, et qui sont chargés de l'instruction de son église.

Quoique tout ce que nous faisons sans l'esprit de Jésus-Christ sera consumé par le feu de l'épreuve, ce travail des forces naturelles est nécessaire pour que notre nature devienne susceptible de la renaissance divine et céleste. Le Seigneur est près de ceux qui le craignent, et qui mettent leur confiance en sa miséricorde. Ps. CXLV. 18, et CXLVII. 11. Quand une application fidèle et zélée à suivre les préceptes de la parole révélée de Dieu aura préparé notre âme, elle deviendra l'habitation de la parole de vie, qui s'incorpore en elle et y établit son règne.