Textes appartenant au site de : livres-mystique.com © Roland Soyer - 1/05/1999
LE CORPS, LE CŒUR DE L’HOMME ET L’ESPRIT
Pour faire un corps humain, il a fallu - en partant de la matière brute, c'est-à-dire des atomes de carbone, d'oxygène, de silice, de calcium, de soufre, tels que nous les trouvons dans les couches profondes de la terre ; en partant, en un mot, de la plus extrême limite que l'analyse chimique nous permette d'atteindre - il a fallu, disons-nous, que durant des siècles et des siècles, la molécule de carbone, par exemple : I° Ait pris contact avec d'autres molécules de carbone (I). 2°Ait pris contact avec d'autres molécules de calcium, d'hydrogène ou d'azote en se combinant avec elles. 3° Car, en devenant composant d'un corps végétal, la molécule complexe où figure notre atome de carbone a manifesté des propriétés différentes. Si bien que la chimie a dû, devant la complexité et les propriétés nouvelles de cette série de molécules qu'elle trouve dans le végétal, établir une division entre les corps qu'elle étudie - chimie organique et inorganique - avouant ainsi son impuissance à faire entrer complètement les actions biologiques, la vie, dans le cadre des actions chimiques pures. C'est ainsi que la chlorophylle, certains sucres qu'on trouve dans les végétaux peuvent être analysés, contenir notre molécule de carbone, mais que si la chimie arrive - ce qu'elle a fait pour certains corps (essences)- à bâtir de toutes pièces, en partant du carbone minéral, un corps :
elle constate que son corps synthétique, quoique de même architecture que le corps pris à la nature et contenant le même nombre d'atomes semblables, n'a pas exactement les propriétés du corps végétal, à l'égard de nos sens, à l'égard même des réactifs chimiques. 4° Du règne végétal, l'atome de carbone va passer dans le règne animal, par l'intermédiaire des herbivores. Qu'on étende cela aux divers atomes des corps simples, aux molécules, aux cellules, on jugera quel chemin a fait la matière vers un état nouveau, quelle transformation de nature et de capacités elle présente déjà. Ce n'est plus la même matière ; une force spéciale, une vie est en elle, la douant de qualités qui n'existaient pas à l'origine. Baignée dans le même océan d'éther cosmique, d'esprit, elle en reçoit, réfléchit, réfracte les ondes en les transmuant autrement. Elle se rapproche de son énergie ; elle traduit mieux, plus complètement le symbole qu’elle est en principe, la face de l’être universel qu'elle reflète. 5° Enfin, du corps animal primitif, l'atome de carbone passe dans le corps humain. Un milieu organique, qui existait déjà dans le végétal, s'est perfectionné dans le protoplasma animal. Cette gelée protoplasmique s'agrège : une cellule naît, avec son centre d'équilibre et d'attraction, sa zone limitante ou cuticule.
6° Il a fallu, ensuite, que cette cellule entre en contact avec une autre cellule, avec un non-moi, avec plusieurs autres, - contacts d'abord hostiles, car la défense de son existence fait de tout autre élément analogue une proie ou un ennemi (instinct de conservation). Elle prend conscience de la lutte, de l’effort, de la souffrance. Enfin, l'adaptation se fait, si elle a survécu (5), et, réunies dans un même milieu, les cellules composent : A - par leur homogénéité, un tissu ; Si petits soient-ils, ces groupements sont les premiers qui se sont produits et ont créé un corps complexe primitif, celui qui était le plus apte à maintenir et à conserver la variété des cellules qui s'étaient agglutinées et adoptées. N'oublions pas que ce développement de l'être se fait au sein de l'éther universel (Ki, des Chinois), au sein de l'esprit universel. Son champ d'action augmente, en même temps que sa conscience. En s'élevant, en s'augmentant, l'être réfléchit par ses sensations, ses sentiments, ses pensées, une lumière plus grande. 7° A l'apogée, le corps animal atteint la figure, la proportion humaine. Il a son corps physique, qui s'étend au-delà de son corps apparent. Il a la somme des instincts acquis par toutes les cellules, par tous les êtres que son moi a vécus. II a son action et reçoit les réactions de tous ces êtres. Tout à coup surgit la fleur, attirant les yeux, réfléchissant la lumière colorée, appelant les abeilles et les oiseaux du ciel, symétrique, merveilleuse, entièrement différente du reste de l'arbuste, et comme nature et comme fonction ; de même, chez l'homme, après un lent travail de préparation insoupçonné, un jour surgit l'âme, réfléchissant l'Esprit (6), participant à l'Esprit, avec ses fonctions spéciales (volonté libre, mémoire, intelligence). Le cœur, le sentiment s'ouvrent : les oiseaux du ciel viennent. Un Moi-Esprit est né. Il prend conscience de Lui, de son libre esprit, de ce qui l'entoure. " Dans ce corps total, le corps humain de chaque conscience constitue une fraction, faite de représentations (7), au moyen de laquelle la conscience " agit sur le reste de l'objet. Impossible, en effet " de distinguer absolument notre corps de la nature, dans laquelle il se perd par une multiplicité immense de relations (8). Si la nature est un système (9), l'objet total est vraiment mon corps. " C'est lui tout entier, soit le monde complet avec la complexité inouïe de ses parties, que je perçois confusément dans l'ensemble de mes sensations : " la coénesthésie (10) en est la portion la plus obscure, la vue et l'ouïe, la portion la plus distincte. " Par abstraction, j'appelle " mon corps " la région la plus voisine et docile, par où j’agis le plus consciemment sur le monde. Mon idéal est, comme l’a dit Renouvier, de l’étendre jusqu'à le lui rendre coextensif, dans ma conscience, malgré la mort qui ne doit pas être absolue " (11). Mais mon corps va plus profondément, il plonge par des racines jusqu'au fond de la matière primitive, il est en rapport sans cesse, par échange, respiration, nourriture, actions, réactions, avec tout l'univers, des couches profondes de notre terre jusqu'à Sirius dans le ciel (12). L'homme prend conscience de l'Esprit en lui, de l'Esprit en l'univers, de l'Esprit qui est Dieu même, - " susceptible de tout aimer, de tout savoir, de tout adorer " (PASCAL).
L'Esprit ne s'affirmera pas complet, parfait, dès le début. Il a en germe, - comme la graine contient l'arbre, - toutes ses puissances d'être, ses aptitudes innées à développer, à réaliser le type idéal de son espèce. Mais ce n'est que progressivement, par luttes, oppositions, contacts, adaptations aux autres " Moi-Esprits ", qu'il arrivera à développer entièrement en Lui le Savoir et l'Etre, à réfléchir dans la perfection l'esprit selon l'espèce qu'il manifeste (13). Ce processus de développement d'une individualité humaine dans le corps de l'humanité sera le même que celui d'une cellule dans le corps d'un homme, d'un atome dans la matière. L'Homme-Esprit communique latéralement, en direction horizontale, avec tous les Hommes-Esprits de son espèce - de sa famille. Ils vivent de la même vie, l'un dans l'autre, accomplissant la même fonction (14).
Au-dessous de lui, il communique avec sa souche matérielle. Il reçoit de tous les êtres qui sont sur sa route, au travers de qui son corps a évolué et évolue, la force vitale, la substance physique qui fait que son corps existe. Sur ces êtres, y compris les êtres humains d'ordre inférieur (17), il règne, il a tous droits, mais il leur est attaché par une responsabilité devant l'Esprit. C'est le prolongement réel de son corps dans la matière. Il a, à l'égard de ces êtres, les mêmes devoirs qu'il a à l'égard de son propre corps, car ils en font partie : il en est le chef, le patriarche, le pontife.
Les Sages, les Saints, réenseignent toujours les mêmes vérités, la même Vérité, puisque la Vérité, - cette constitution du monde que nous venons d'exposer étant Une et Unité, Union, ils ne sauraient enseigner autre chose. La forme seule change, selon les temps et les gens. Avant, comme après N.-S. Jésus-Christ, l'action de l'Esprit s'est toujours exercée à travers les hommes doués (terme chinois : Jên, égal à homme de désir, homme-esprit, en opposition à Siao Jên, homme du torrent, homme du siècle). Mais N.-S. Jésus-Christ a été le modèle et le témoin parfait, divin, l'agneau qui s'est laissé sacrifier, donnant sa vie en témoignage de la Vérité. Chacun a son mandat à remplir (Ming). Chacun a son cœur avec ses deux portes, ouvertes ou fermées : la supérieure, sur le monde de l'Esprit, laissant pénétrer la rosée du Ciel, la voix des ancêtres, du Maître, l'inspiration des anges, des hommes supérieurs à nous ; l'inférieure, qui nous apporte la vie matérielle (22) et communique avec toutes les forces, tous les êtres d'en bas, utiles, mais dangereux. Le désir de l'infini, de l'Unité, est l'orientation de l'homme vers le haut, vers l'esprit religieux (23), vers le Vrai, le Réel, l'Un. Par la porte inférieure, toujours entrouverte, viennent les forces matérielles, les instincts, toutes les voix de la nature. La force vitale vient de là et toute activité cesserait en nous si ce courant ascendant ne se faisait pas, mais l'homme est toujours poussé à ouvrir largement cette porte et c'est ce qu'indique L.-C. de Saint-Martin. Alors les forces élémentaires arrivent en excès, submergent l'homme, sa raison, son désir de lumière. Il est envahi par l'esprit de domination, il n'est plus le maître, mais l'esclave. Et par une impulsion continue, - analogue à celle qui attire l'âme de l'homme en haut vers la lumière, vers l'Unité (24) - toutes ces forces tendent sans cesse à envahir son cœur : elles sont attirées par la lumière, car c’est l’unique chemin par où elles peuvent atteindre cette lumière, conquérir l'immortalité (25). C'est pourquoi l'homme doit veiller et prier, discerner les esprits (26), ne pas se laisser submerger par eux. Mettre dans ce triangle inférieur, la paix, l'harmonie ; cultiver, élaborer, instruire par l’exemple ses cellules, ses inférieurs, sa souche, sa famille, c'est faire sabbatiser son corps. La connaissance grandit avec l'effort ; la liberté, le pouvoir grandissent avec la connaissance. Tout, dans le Saint, s'élance vers l'Unité (28), vit en elle, va vers le Fils (sommet du triangle) qui est Un avec le Père. (Juillet 1926) DOCTEUR MARC HAVEN
(I) Avec d'autres molécules du même corps simple, de ce que l'on est convenu d'appeler un corps simple, la chimie commençant à peine à considérer les corps simples comme dissociables, destructibles, formées d'éléments primordiaux plus généraux (Théorie électronique de la molécule). L'atome - ce qui ne peut être divisé, comme l'indique l'étymologie - serait lui-même décomposable, formé d'un noyau, soleil central, autour duquel graviteraient avec des vitesses croissantes, un ou plusieurs électrons qui seraient les planètes de ce système solaire microscopique. (Cf. Dr P. DESFOSSES. Le Problème de l'Etre in revue Psyché, Décembre 1923 et Janvier-Février 1924). En tout cas, c'est un fait établi que, pas plus qu'il n'y a deux grains de sable identiques dans l'infinie multiplicité de la nature, il n'y a pas non plus deux atomes de carbone minéral identiques. Et si, chimiquement, ils sont interchangeables, s'ils jouent le même rôle, ce n'est qu'au point de vue relativement grossier de nos analyses chimiques. Mais on reconnaît déjà que l'atome de carbone peut se présenter avec des propriétés et sous des aspects différents dans les minéraux : état allotropique, diamant et charbon, état colloïdal, état amorphe, cristallisé, etc. (2) Dans les échanges gazeux qui s'accomplissent dans les poumons, entre l'air et le sang, la membrane qui sépare le gaz du liquide ne se comporte pas comme le fait cette même membrane en dehors du corps animal. Abel REY in Philosophie moderne, p. 184 (d'après les observations et expériences de Bohr et de Hendenham). (3) Car nous ne pesons - et c'est là notre seul critérium - que des éléments pondérables, et physiciens comme chimistes ne peuvent que mesurer, c'est-à-dire peser, de la matière. Mais il est des sources d'énergie impondérable - le magnétisme, la pensée, la volonté, pour ne citer que ces exemples - qu'une cellule peut recevoir du milieu d'éther universel, de l'esprit universel, où elle vit et se meut, et qu'elle peut tendre en énergies pondérables qui paraissent alors donner une somme supérieure à la somme des éléments reçus. (Cf. LEBON. L'Evolution des Forces, in-16, Patis, 1907, p. 122). (4) La cuticule, formée de cellulose (hydrate de carbone) se trouve être le réservoir d'énergie le plus puissant qui existe dans le règne végétal. Type : coton, matière première des explosifs les plus formidables que nous fabriquions. (5) Car il est des êtres qui n'arrivent pas à conquérir leur immortalité. Les alchimistes connaissaient bien ces corps, or ou argent, qui, laissés à eux-mêmes, n'ayant pas atteint la fixité, retournaient à leur origine : plomb ou mercure, - et la fixation du volatil était leur grand souci. De même la paléontologie nous révèle des espèces animales ou végétales qui n'ont fait qu’apparaître et sont retournées au grand creuset de la nature. (6) Car l'Esprit (le TAO en langue chinoise) parcourt sans cesse les six directions, pénétrant toutes choses, les plus petites (atomes) comme les plus subtiles (esprits, éther invisible). Cf. Tao Te King et Yih King. (7) " Représentations " : sensations, impressions, images reçues de l'univers, d'une part et de l'autre : idées, pensées, désirs, volontés, actions, par lesquels l'homme réagit sur l'univers. (8) " Notre être est partout à la fois sans que nous nous en doutions ". J. HEUGEL. Essais sur la Vie et la Mort, p. 93. Paris, I926. Ed. Psyché. (9) " Système ". L'auteur vient de démontrer que l'ensemble des choses et des êtres qui constituent l'univers ne sont pas amassés sans ordre, à l'état de chaos, mais que, au contraire, tout y est organisé, harmonisé, comme le sont les membres et les organes dans notre corps, pour former un " système ", un ensemble, avec ses rouages et ses mouvements. (10) " Coénesthésie " : ensemble de toutes les sensibilités, réceptivités, par lesquelles l'homme reçoit, inconsciemment, l'action de toutes les forces invisibles de l'atmosphère (électricité, magnétisme, rayons inconnus). (11) HAMELIN. (12) Chaque individu est comme un arbre dont les racines s'étendent à l'infini dans tous les sens. Cf. N. LANDUR. Loc. cit. (13) " Selon son espèce ". Genèse, chap. I, v. 21à 25. Saint PAUL. Ire Epître aux Corinthiens, ch. XII, v. 4 à 11. (14) ECKARTSHAUSEN. La Nuée sur le Sanctuaire. - Thomas a Kempis. Les trois Tabernacles, ch. XI. (15) Le double symbolisme était représenté en Chine par le caractère Tsing, puits au centre d'un hameau, correspondant au nombre 9, à la famille et au groupement des familles ; il constitue l'un des 64 Kouas. C'était la base de répartition des terres. Cf. Li-Ki, chap. III, § I ; la note explicative du P. Couvreur à ce sujet est très intéressante : p. 265, éd. de 1913. (16) Saint PAUL. Ire Epître aux Corinthiens, ch. XII, v. 2 : " Car comme le corps est un et a plusieurs membres et comme tous les membres, malgré leur diversité, ne forment qu'un seul corps, ainsi en est-il du Christ. Vous êtes le corps du Christ et vous êtes ses membres, chacun pour sa part ". (17) Celui qui marche bien (selon le TAO)... excelle constamment à sauver les êtres ; c'est pourquoi il n'abandonne pas les êtres... C'est pourquoi l'homme vertueux est le maître de celui qui n'est pas vertueux. (Tao Te King, ch. XXVII). (18) Si les rois et les princes feudataires pouvaient le garder (le TAO), tous les êtres se transformeraient d'eux-mêmes. (Tao Te King, ch. XXXVII). (19) Le discernement des esprits, c'est-à-dire le jugement entre la part que l'homme doit donner au (20) Nos pères les Philosophes, parlant à Dieu face .à face, se plaignirent à Lui du malheur de ces peuples (les esprits élémentaires) et Dieu, de qui la miséricorde est sans borne leur révéla qu'il n'était pas impossible de trouver du remède à ce mal. Il leur inspira que de même que l'homme, par l'alliance qu'il a contractée avec Dieu, a été fait participant de la divinité, les sylphes, les gnomes, les nymphes et les salamandres, par l'alliance qu'ils peuvent contracter avec l'homme, peuvent être faits participants de l'immortalité. (Abbé DE VILLARS. Le Comte de Gabalis, p. 24. - Symbolisme du mariage des esprits élémentaires). (21) " C'est pourquoi, dit Boehme, il n'y a rien de mieux que de laisser chaque chose dans sa vertu (22) " Que Dieu te donne de la rosée du Ciel et de la graisse de la Terre ". Genèse, XXVII, v. 28. (23) Cf. L'Homme des Hauteurs et les Hommes du Torrent, in Psyché, Août-Septembre 1926, p. 292, (24) Elémentaire, mariage des sylphes (Abbé DE VILLARS. Le Comte de Gabalis, p. 24). (25) " Le Tao produit (les êtres). La Vertu les nourrit. Les êtres (prennent) un corps et, par une secrète impulsion, arrivent à leur complet développement. C'est pourquoi, des dix mille êtres, il n'en est aucun qui ne révère et n'honore le Tao ". (Tao Te King, ch, 51). (26) " Discerner les esprits, c'est reconnaître en chaque individu son "mandat ", son nom, sa fonction, pour laquelle il a été créé et l'aider à l'accomplissement de son œuvre ". (L'Homme des Hauteurs et les Hommes du Torrent in revue Psyché, Août-Septembre 1926, p. 294). (27) L'effort, c'est ce que le Tao Te King (ch. IX et passim) appelle " Kong ", " le travail méritoire ", celui qui coûte, qui est pénible, le chemin de la croix. (Cf. L'Homme des Hauteurs et les Hommes du Torrent, loc. Cit., p. 294). (28) " Celui qui ramène tout à l'Unité, qui rappelle tout à l'Unité et voit tout en elle, ne sera point ébranlé ". (Imitation de J.-C., ch. III, § 2). |