LA GENÈSE UNIVERSELLE

V. - L'ESPRIT PUR



     Lorsque notre jugement a déterminé les limites de sa conception de l'Infini et qu'il lui apparaît que rien, au-delà, ne lui est accessible, notre cœur pressent l'existence d'un monde inconcevable à notre mentalité : le domaine de l'Esprit, où ne peuvent accéder ceux qui végètent dans la matière. Pour notre être temporel, ce monde de l'Esprit est non existant.

     Tout au plus peut-il en admettre la possibilité, lorsqu'il reconnaît nécessairement une source centrale et universelle à tout ce qui lui apparaît comme sublime, véritable et beau, autour de lui.

     La porte de l'Esprit pur, de l'Esprit d'Amour, c'est le Fils unique, le Verbe de Dieu c'est par son image que la Divinité se manifeste or cette image, la création nous en présente partout le reflet, mais c'est seulement dans l'Homme-esprit qu'elle est active. Si nous voulons donc nous mettre à la recherche de cette source spirituelle, c'est l'homme réel qu'il faut d'abord examiner ; c'est de son centre, que nous nommons âme, que s'élèvent les vertus et propriétés qui nous permettront de reconnaître de quel Esprit il est animé.

     C'est qu'en effet, lorsque l'Esprit-Un anime une création, la vie de l'Esprit qui y circule et sans laquelle cette création retournerait au néant, cette Vie nourricière, est absorbée, transformée et restituée : chaque créature en fait un Esprit de malédiction, de ténèbres et de mort ou, au contraire, un Esprit de bénédiction, de lumière et de vie, selon l'orientation de son désir intime. De sorte qu'il n'y a qu'un Esprit, comme il n'y a qu'une vie végétale, mais que deux modes spirituels en découlent, de même qu'il y a des végétaux-aliments et des végétaux-poisons.

     L'unité de l'Esprit, malgré les apparences doubles qui nous abusent, découle de ce fait que, pour continuer notre comparaison avec le monde végétal, le médecin habile peut toujours tirer un baume salutaire du poison le plus venimeux. Telle est l'œuvre du Christ, du véritable médecin des âmes, qui a dit de Lui : « Le médecin est venu pour les malades »

     L'homme qui est animé de l'esprit de négation et de division voit sa faculté d'aimer s'amoindrir et disparaître progressivement, par le triomphe de son moi égoïste. De ce fait, la puissance d'Amour, source de l'Esprit pur, est voilée pour lui, alors qu'elle ne cesse de briller de tout son éclat parmi les enfants de Dieu qui sont vraiment le sel de la terre, les auxiliaires du grand Médecin.

     Le plus grand malheur de l'homme c'est qu'il oublie qu'il est esprit et en arrive à considérer son corps comme étant lui-même. Violant sa nature, il vit animalement, selon la chair. De cette chair périssable, il se fait l'esclave oubliant qu'il était né pour la liberté et que, seul, l'homme-esprit est libre. Comme les caractères de l'esprit sont l'antithèse de ceux du corps, l'homme ne peut être en même temps ce qu'il est et le contraire de ce qu'il est. Dans les membres du corps ou vêtement de l'homme, il y a une autre loi qui combat contre la Loi de l'esprit de l'homme et c'est de cette dualité, de ce combat, que résulte tout le mal. L'homme, image de Dieu, n'est ni le corps ni rien du corps, son essence véritable est immortelle et lorsqu'il en prend conscience, la mort n'existe plus pour lui car il rompt l'alliance qu'il avait contractée avec elle.

     « Je les délivrerai, dit le Seigneur, de la puissance de la mort ». C'est par le renoncement à lui-même, conséquence de la connaissance exacte de lui-même, que l'homme fait cesser en lui cette funeste dualité. C'est en recouvrant tous ses actes conscients, c'est en redevenant pur esprit que le mal et l'erreur disparaissent, ainsi que les fruits amers de l'esclavage.

     Tout ce qui n'a pas la vie en soi et par soi, n'a de l'être que l'apparence et n'a pas de personnalité ; c'est là l'état du monde physique. Seul l'Esprit existe réellement parce qu'il a l'existence en soi et par soi. « Je suis Celui qui suis ». Dieu est l'unique personnalité ; c'est en Dieu et par Dieu que nous avons la vie, le mouvement et l'être et que nous sommes de la race divine.

     Celui qui fait le vide en lui, par l'abnégation et le néant, y fait l'être et la vie, parce qu’en s'élevant au-dessus de soi-même, il devient participant de la vie divine ; celui qui s'anéantit en l'Esprit pur transforme son moi en une personnalité divine ; il devient enfant de Dieu, vivant de la vie de Dieu et de sa félicité sans bornes. Le Christ qui s'est anéanti lui-même a dit : « Si quelqu'un veut venir après moi, qu'il se nie et se renonce à lui-même, qu'il porte sa croix et qu'il me suive. » C'est la conscience de notre néant qui constitue notre réalité.

     La vie naît de l'annihilation et la personnalité de l'abnégation de soi-même. Quant à l'esprit il est tout lorsqu'il n'est rien apparemment.

     L'holocauste de nous-même, la communion suprême de notre esprit en l'Esprit pur, c'est ce qui opère en nous la conception, la formation et le développementde notre personnalité, dans la Personnalité divine. Et, c'est le corps ou enveloppe qui devient le berceau de cet enfant de Dieu ; c'est le moule dans lequel l'Esprit pur est jeté en fusion pour qu'il s'y personnalise, par son action même. Et cette rédemption du corps par l'avènement de l'homme pur esprit, c'est là, dit Saint Jean, la première résurrection. Heureux qui a part dans cette première résurrection, car la seconde mort n'a point de pouvoir sur lui ; il devient disciple du Christ et règne avec lui.

     L'avènement de l'homme pur esprit, c'est le dernier avènement du Fils de l'Homme, du Christ-Esprit, Jésus, l'Homme-Dieu s'est révélé au monde selon l'humanité, dans la souffrance, la pauvreté et l'opprobre dans sa vie terrestre, de la crèche de Bethléem à la croix du Golgotha ; mais voici, par contre, qu'il se révèle selon sa dignité, sa divinité, dans la majesté, la splendeur et la gloire du Thabor, par l'Esprit pur. Le règne de Christ, c'est Dieu descendant dans l'homme par la grâce et par l'amour. Alors telle une plante qui ne se forme qu'en sortant de sa périssable enveloppe, la personnalité humaine, semée dans la corruption et l'infirmité, se relève dans la gloire et la puissance ; semé homme terrestre et dans l'animalité, il se relève homme céleste et pur esprit. C'est seulement dans cet état que l'homme peut reconnaître le caractère d'université de l'humanité, dans laquelle rien ne doit être exclu de ses manifestations ; C'est là le sceau de l'Esprit pur qui unit tout et qui est l'Esprit d'amour universel. L'Esprit identifie en différenciant et il différencie en identifiant afin que tout soit dans l'unité par la diversité. Tout s'oppose par les milieux et se rejoint par les extrêmes ; c'est là la double face du mystère indivisible de l'Esprit. En niant Dieu l'athée l'affirme sous sa conception la plus pure, qui est de ne pouvoir être saisi par l'esprit sous aucune forme. Le sceptique, en affirmant le doute absolu, affirme par là même la réalité de l'incompréhensible, qu'il ne saurait atteindre. Le matérialiste, en concevant la matière comme éternelle la conçoit par là même non dans ses formes visibles, mais dans l'Esprit vivant, qui en transforme incessamment les apparences sensibles. Le matérialisme n'est donc qu'un aspect négatif du dogme pur de l'Esprit. « Le dernier degré de l'humanité où le sauvage adore le « Grand Esprit », rejoint le premier degré où l'homme-esprit adore l'Esprit pur » (C. Fauvety).

     L'Esprit pur, sans forme ni limite, unit tout et c'est en Lui que résident le bien, la vérité et la justice absolus que l'homme-esprit peut seul concevoir, car il est la loi vivante de Dieu et a reçu le sacrement de rémission : « Vous êtes de la race élue, l'ordre des prêtres-rois, la nation sainte, le peuple acquis, afin que vous annonciez les vertus de Celui qui vous a appelés des ténèbres à son admirable lumière » (Pierre, XI, 9).

     Or, toutes ces choses admirables, nous dit le Christ, sont cachées aux grands et aux sages de ce monde, mais les petits auxquels elles sont révélées, tressaillent d'allégresse sous le souffle de l'Esprit pur et rendent grâces à Dieu, l'unique libérateur parce que le seul vraiment libre.
 
 
 

Madame D...