LA GENESE UNIVERSELLE

LA LÉGENDE

« Les grandes pensées sont comme 
des arbres qui jettent leur semence 
et reproduisent des forêts. »
(E. Lévi).


     Les légendes forment une mine inépuisable d'enseignements de tous ordres, mais principalement d'ordre spirituel.

     Que l'on compulse les romans de chevalerie, les chansons de geste, les mythologies orientales, les mythes sacrés ; de tous les temps et de tous les pays, on s'aperçoit vite que leur sujet est au-delà des actions qu'ils racontent.

     Il est étrange, par exemple, de trouver, dans les légendes presque aussi vieilles que le monde, de lumineuses préfigurations du divin Sauveur et des annonciations prophétiques de sa venue.

     De même que, dans l'homme temporel, l'émotion, le sentiment, précèdent toujours l'entendement, de même les fables précèdent les dogmes. On peut même dire que les dogmes ne sont, en général, que des fables systématisées, des légendes réduites à leur armature schématique et trop souvent privées, de ce fait, du souffle subtil qui les vitalisait. Mais c'est, en fin de compte, la même vérité qui germe, fleuritet fructifie dans tous ces efforts du génie humain à la recherche du divin.

     Les Évangiles renferment tous, en dehors du sens historique que chacun peut y trouver, une série de symboles et d'allusions aux réalités spirituelles. Plus flous, historiquement, mais également riches de signification sont les Évangiles apocryphes.

     Cette signification, parfois difficile à saisir, est assez claire dans certains récits, en particulier les Évangiles de l'Enfance.

     Bien des lecteurs connaissent l'épisode de Jésus jouant, avec des enfants de son âge, à modeler dans la glaise des petits oiseaux. Ses camarades s'irritèrent de voir la beauté de ceux qu'avaient modelés Jésus et, de dépit, voulurent les piétiner. Mais ce dernier ayant béni ses petits chefs-d'œuvre leur dit : Allez ! Et ils s'envolèrent aussitôt, à la stupéfaction des petits envieux.

     Une autre fois, comme l'enfant divin s'amusait sur une terrasse avec ses amis, l'un d'eux, bousculé, perdit l'équilibre et se tua dans le ravin qu'elle surplombait. Tous les enfants s'enfuirent sauf Jésus. Les parents accourus l'accusèrent d'être la cause de l'accident, mais, sans leur répondre, Jésus appela le mort qui se leva instantanément pour témoigner de son innocence.

     Ailleurs, on voit le Christ enfant prendre un grain de blé, le bénir et le mettre en terre. Le grain germe et produit bientôt de quoi nourrir tous les indigents du pays, à tel point que joseph, son père nourricier, en a encore de reste.

     Le grain de blé c'est le Verbe divin, viatique toujours à la disposition de ceux qui souffrent ici-bas. La légende des petits oiseaux n'est qu'une illustration des premières phrases de l'Évangile de Jean.

     « Et le Verbe était la vie, et tout ce qui a été fait a été fait par Lui, et rien de ce qui a été fait n'a été fait sans Lui. »

     Celui qui est la Résurrection et la Vie peut tout, certes ! Mais admirons ici avec quelle sagesse il proportionne ses actes aux nécessités : Il ressuscite un mort, mais c'est pour faire éclater la vérité, en face d'une accusation mensongère. Il anime des oiselets d'argile, mais c'est pour leur éviter la destruction stupide par la main de quelques envieux. Il y a une économie de la Révélation, une économie de la Création, une économie du miracle !

     Nous pourrions apprendre bien d'autres choses en lisant ces récits qu'illuminent tour à tour la grâce de l'enfant et la majesté du Dieu.

     Quant à la Bible, si elle touche à l'histoire proprement dite, à plus d'une reprise, elle n'est cependant pas une histoire. Éliphas Lévi qui appelait le Tarot « la Bible en images » aurait aussi bien pu nommer la Bible « Un Tarot en récits ».

     L'histoire d'Abraham renferme, sous une forme allégorique, une claire révélation des destinées de l'âme : Abraham, c'est l'homme du devoir qui s'empare, par la pensée, d'un pays nouveau ; mais sa pensée ou son « épouse », Saraï puis Sarah (en hébreu « celle qui rend libre » et aussi « celle qui doit lutter pour vaincre »), reste tout d'abord stérile.

     C'est pourquoi il a recours à la force, à l'esclave, à l'Étrangère, fille de ce monde où l'homme n'est qu'en exil, cette Agar qui produit son fruit selon l'automatisme du destin.

     Puis, sa pensée devenue féconde, le Fils de l'Intelligence divine fait exiler l'enfant de la force, le fils de l'Étrangère.

     Le fils de son libre génie, c'est Isaaq (en hébreu « la joie » et aussi ce qui franchit (Isa) le cercle de l'a loi fatale (haq).

     Mais l'homme de l'intelligence, l'homme du devoir, doit confirmer ses conquêtes par le sacrifice de cette « joie » qu'il s'est édifiée.
Telle est l'épreuve imposée à sa fidélité car il est bien vrai que celle-ci ne se mesure qu'au sacrifice.
Mais, au dernier moment, c'est le bélier qui prend la place de la victime et il n'est pas difficile de voir dans cette scène symbolique, qui a inspiré tant d'artistes, une sublime allégorie de la Rédemption.

     La légende de Joseph, persécuté par ses frères, contient en germe tout le génie moral de l'Évangile.

     L'histoire est connue de tous, mais comment ne pas être ému par la scène pathétique et sobre où Joseph (« celui qui assemble, qui réunit. ») se fait reconnaître par ses frères, triomphe éternel de l'Amour sur la haine ?

     « Plus vraie que l'Histoire, la légende la supplée et la complète, dans les périodes lointaines », a dit Alfred de Vigny ; et cette belle pensée est également applicable aux Évangiles, récit de ce qui a été, pierre de touche de ce qui est, et révélation de ce qui sera toujours, puisque toujours le Sauveur du monde sera recherché et adoré par les rois de l'intelligence, figurés par les Mages ; puisque toujours le Verbe incarné nourrira et consolera les âmes. Ce n'est pas seulement sur le plan physique que le Christ accourt, marchant sur les eaux, vers ceux qui l'implorent dans la tempête spirituelle. Et toujours il les sauve, guérit leurs langueurs, ouvre les yeux aveugles à Sa Lumière, inlassablement répandue.

     Il n'est pas jusqu'aux apologues outrés du Talmud qui ne contiennent les plus profondes vérités, pour qui sait les entendre, et la poésie profane elle-même n'est pas sans apporter souvent sa contribution au trésor spirituel de l'humanité. Ceci est particulièrement, sensible dans les œuvres d'un Gœthe, instruit dans la Qabbale et familier du Zohar, mais pour en être moins conscient, plus spontané, moins « volontaire », l'apport de cent poètes, de moindre renommée, n'en est pas moins précieux.

     En ce monde, les vérités naissantes ne trouvent pas d'asile. C'est une des leçons qu'il faut tirer des circonstances de la naissance de Jésus et de sa fuite en Égypte : « La Lumière luit dans les Ténèbres, mais les Ténèbres la repoussent ».

     L'idée chrétienne a toujours épouvanté les favoris de Mammon, les profiteurs du vieux monde ; cependant la doctrine de Jésus abrège les longueurs de notre exil. Les cultes extérieurs doivent prendre fin dès qu'ils sont remplacés par la religion de l'Amour : Les images cèdent la place à la Réalité.
Au Dieu inconnu, annoncé par l'apôtre, les fidèles des vieilles religions cristallisées avaient érigé un temple.

     N'était-il pas en effet par trop inconnu des formalistes toujours portés à oublier que la lettre tue et que c'est l'Esprit seul qui vivifie ?

     L'humanité entière ne fait-elle pas, de nos jours, comme le peuple conduit par Moïse ?

     Pendant que celui-ci recevait la loi qui leur défendait de se former des images de la Divinité, les Israélites fondaient un veau d'or.

     Les cultes agonisants s'attachent au visible, au tangible, au formel, se matérialisant de plus en plus, tandis que l'Esprit leur échappe et abandonne le cadavre de religion que ses sectateurs cherchent à embaumer ou à galvaniser.

     Comme l'homme délaisse un vêtement devenu trop étroit, ainsi l'Esprit s'évade des dogmes pétrifiés. Aussi le christianisme selon la lettre devra-t-il, au temps révolu, céder la place au Roi de gloire et à la grande armée des disciples de la Parole de Dieu, qui attendent dans le sépulcre du monde temporel le jour béni de la Résurrection.

     C'est l'Amour qui doit affranchir l'humanité, par la perpétuelle renaissance, non symbolique mais réelle, du Christ, sur la terre transformée. Mais, d'ici là, il faut que soient nombreux les Noëls, il faut que les petits enfants du Ciel naissent abondamment parmi nous.

     Jean, l'Évangéliste de l'Esprit, est supposé immortel par les légendaires, parce qu'il appartient à l'Amour, et que l'avenir lui appartient. Il attend dans un sépulcre le retour de son Maître, l'heure où il plaira à la Divinité de se manifester de nouveau. Et la légende raconte qu'une huile merveilleuse suinte de son tombeau, qui rend la santé aux malades ayant conscience de leur état.

     À chaque Noël mystique, à chaque naissance du Christ dans le tabernacle de notre cœur (tabernacle dont nous avons fait une étable où se vautrent les puissances de l'animalité), les anges descendent proclamer la paix pour les hommes de bonne volonté et apporter, à celui qui vient de reprendre contact avec la Vie, les trésors de la miséricorde divine.

     Désormais, par la vertudu sacrifice ignoré de tous, il aura le pouvoir de répandreles dons du Ciel sur toute la famille humaine.

     Désormais, en ce monde enténébré par la haine, et l'égoïsme, une fraction nouvelle des Ténèbres aura dit : Oui ! À la Lumière, abjurant le « non serviam » des féaux du Grand Révolté.

     Chacune de ces pacifiques conquêtes de l'Amour nous rapproche de l'heure où tout sera renouvelé, où naîtront des cieux nouveaux et une nouvelle terre, où, dans l'aurore d'un nouveau cycle, l'Éternel séparera de nouveau la Lumière des Ténèbres.

     L'heure de la dissolution universelle semble avoir sonné mais, déjà, sur les ruines du vieux monde, plane la céleste Colombe.

Madame D...