PRÉFACE(1)





    « Le Verbe incarné, la Parole divine ou Dieu lui-même, est venu parmi nous pour nous sauver tous. Il s'est laissé crucifier pour que sa vie demeure au sein de cette mort qu'est notre monde. Par lui, chaque humain possède un germe de vie éternelle, et son sang est la greffe miraculeuse, entée sur le sauvageon, afin qu'il produise des fruits conformes au divin Principe. »

     Ces quelques lignes de Madame D... nous mettent immédiatement en face du grand problème, du grand drame, pourrions-nous dire, de la régénération de l'humanité.

     Si formidable que soit ce problème, il n'en est pas moins simple. Si angoissant que soit ce drame - synthèse de tous les drames - ses grandes lignes, qui ne varient guère pour chacun des fils d'Adam, n'en sont pas moins nettement tracées.

     Chacun suit sa voie, mais toute voie, finalement, mène à l'unique Voie de salut.

     Car, « ce qu'il y a de fixe dans l'univers, ce sont les chemins. Chaque clan, chaque famille d'êtres a son chemin... Tout homme qui agit engage, en même temps que lui, dans son action et dans ses conséquences, la série des êtres qui sont sur son chemin... Sur le même chemin sont les ancêtres, soi-même, puis - par ordre décroissant - les animaux, les végétaux, les minéraux. Chacun se croit libre et est le maître de ce qui le sait. Mais chacun est aussi mené par ceux qui le précèdent... On peut progresser dans le mal comme dans le bien, c'est-à-dire redescendre au lieu de lutter pour monter. »(2).

     Cette courte citation suffit à faire entrevoir l'immensité de la tâche assignée à l'homme : de voie en voie, atteindre - enfin - la Voie où se rencontrent la Liberté vraie, la vraie Béatitude, et la totale Connaissance dans la plénitude de l'Amour.

     Tâche immense, certes, et véritablement « universelle » puisque tous les règnes de la nature, entraînés par nous dans notre chute, attendent de nous leur réintégration dans leur pureté primitive. Et nous, nous qui ne pouvons rien attendre de nos inférieurs - puisque ce sont eux qui attendent tout de nous - comment accomplirions-nous l'œuvre gigantesque qui est notre lot, si le sang du Christ ne nous infusait une nouvelle vie, si sa stature puissante ne nous apparaissait, de temps à autre, sur les cimes qui nous semblaient inaccessibles ?

     C'est le rayonnement de cette présence amie qui réchauffe nos cœurs glacés par l'égoïsme. Longtemps aveugles, nous nous sentons baignés, par instants, dans l'invisible Lumière du Verbe. Un jour arrive cependant où nos yeux aguerris, nos sens purifiés, perçoivent plus nettement le foyer éternel d'où jaillit cette Lumière, le cœur du Christ, qui est aussi le cœur spirituel du monde.

     Mais, entre temps, que de combats, d'échecs, de reniements, de désespoirs... De désespoirs, surtout, car, plus que le rire, le désespoir, à propos de tout et de rien, est le propre de l'homme déchu. L'Espérance est l'apanage des vrais disciples, et il fallait plus que du génie pour la placer au centre des vertus théologales. 

     Le tableau d'ensemble de notre retour vers la Maison du Père est simple, si complexes qu'en soient les épisodes : Si nous sommes appelés à agir, c'est par le Ciel qui veut nous sauver ou par l'Enfer qui veut nous perdre. Dieu est partout où les siens réalisent le plan providentiel, où ils contribuent à la résurrection du cadavre cosmique d'Adam. Il est partout où règnent l'Harmonie, l'Amour, le Sacrifice, le Bon Vouloir. Satan est partout où sévissent la Haine, l'Égoïsme et l'Orgueil.

     Entre ces deux puissances, ni paix ni trêve, mais une guerre de tous les instants.

     Et cette guerre, où chaque Principe lutte avec les armes qui lui sont propres, n'est pas seulement une théomachie, plus ou moins symbolique. Depuis la chute d'Adam, c'est le cœur spirituel de l'Homme qui en est l'enjeu - comme il en est, souvent, le champ de bataille final. Dès que nous esquissons un mouvement pour le fuir, l'Adversaire - qui nous tient depuis des siècles de siècles - ne nous ménage pas les embûches. C'est en fin de compte dans le plan matériel qu'aboutissent les prolongements ultimes de ces actions et de ces réactions. Ah ! Si le voile pouvait être un instant soulevé devant l'apprenti soldat - traqué de toutes parts et si prompt, si prompt, à se croire perdu - quel spectacle !... Il verrait de quels combats vraiment surhumains, hors du temps et de l'espace, la simple bouchée de pain quotidienne, qu'il s'entête à ne pas mériter, est l'enjeu. Il verrait quelles luttes indescriptibles sont acceptées par le Ciel, dans le spirituel, pour que le plus médiocre d'entre ses médiocres serviteurs échappe aux pièges tendus sur sa route - dans tous les plans. Il verrait aussi quelles roueries emploie l'Adversaire pour le décourager et faire - au contraire - triompher ses séides. Il verrait surtout combien chacun de ses découragements, chacune de ses impatiences, chacune de ses négligences - parce qu'elles sont marquées du sceau du Prince de ce Monde - donnent à ce dernier barre sur lui et lui fait perdre le terrain péniblement conquis. Quel spectacle - et quelle leçon !...

     Or, dans ce conflit gigantesque, nous nous enrôlons, tout à tour, sous la bannière de l'« Agneau » et sous les oriflammes du « Dragon ». Nous nous donnons - mais avec réticence ; nous donnons - mais avec parcimonie ; nous faisons de petits sacrifices - mais combien fugaces et intermittents - et surtout, comme nous sommes facilement persuadés de nos talents et de notre mérite !... De fait, des siècles et des siècles, nous demeurons pour la plupart les perpétuels insoumis, les déserteurs sans vergogne, les inlassables transfuges de tous les camps, toujours doubles et nous prenant nous-mêmes à nos propres filets : « Ecce Homo ! ».

     Et pourtant, le jour vient où notre cœur doit enfin « choisir » - sans retour. Car tout est là ! Ce jour du choix définitif, toutes les lumières, toutes les puissances de notre esprit, nous sont rendues un instant. Tout le Ciel et tout l'Enfer enregistrent notre décision. Puis le voile retombe quand notre cœur s'est donné au Maître de son choix - car la graine a besoin de l'obscurité pour germer.

     Si c'est au Maître du Mensonge que nous avons fait appel, l'occasion du Rachat ne se représentera à nous qu'au terme d'un ou de plusieurs de ces cycles, que la tradition appelle « jours cosmiques ».

     Si c'est au Bon Pasteur - quelles que soient nos rechutes inévitables - jamais il n'abandonnera la brebis égarée, jamais il n'éteindra le lumignon qui rougeoie encore.

     Relisons la parabole de la brebis perdue et celle de l'enfant prodigue, nous y puiserons, aux heures sombres où le doute et le désespoir ricanent en nous, la force de secouer leur hantise et le courage de nous élever jusqu'aux cimes vertigineuses d'où l'on voit poindre cette merveilleuse Espérance, aube liliale du Soleil de justice.

     Dans cette nouvelle plaquette de Madame D..., le lecteur attentif trouvera la même nourriture spirituelle que dans les précédentes. Chaque chapitre y est une baie largement ouverte sur un des aspects de la Voie.

     Mais le but de l'auteur ne serait pas atteint si le lecteur se contentait de la vision qu'il nous présente. La vie est faite pour être vécue et la Voie pour être parcourue. Ce n'est pas en étudiant les cartes géographiques qu'on apprend à connaître un pays, c'est en le visitant.

     Ces perspectives que nous offre Madame D..., fruits de son expérience intérieure, sont - en somme - récits de voyageur. De tels récits peuvent éveiller la curiosité - non la satisfaire.

     À chacun de prendre le bâton, la lampe et le manteau du pèlerin ; à chacun de s'engager sur la route où, avec les jalons posés par ceux qui le précédèrent, il retrouvera les traces impérissables laissées par Celui qui les précéda tous : le Christ, universel Sauveur.

     Puisse, pour beaucoup, sonner bientôt l'heure bénie où ils connaîtront la vérité de Sa Parole : « le suis la Résurrection et la Vie ! »

A. SAVORET.


(1) Préface au récent livre de Madame D... : La Genèse Universel, Éditions J. Heugel.
(2) Docteur MARC HAVEN : « Le Corps, le Cœur de l'Homme et l'Esprit », VIème partie : « Paroles de Monsieur Philippe ».