LA CONTEMPLATION




     Chacun de nous a reçu du Créateur le pouvoir de fixer son esprit sur les vérités éternelles, en dehors du domaine de la vie sidérique où nous nous sommes enfermés.
 

     Au débonnaire, à l'humble de coeur, à tout homme de désir, les dons de la sagesse et de l'intelligence sont distribués dans toute la mesure nécessaire pour accomplir les oeuvres du Ciel et au-delà.

     Subtilité de l'esprit, science abstraite, livres et spéculations philosophiques ne peuvent pas nous donner la clef du divin royaume et la connaissance de ses mystères. La simplicité de l'esprit et la pureté du coeur, un désir ardent et désintéressé de la vérité, voilà les seules facultés requises pour avancer dans la vraie science, cachée aux savants selon le monde.

     Voilà le chemin qui conduit à l'illumination, à cette réception de l'Esprit Saint, de la vraie lumière auprès de laquelle nos lumières intellectuelles ne sont que ténèbres ou lueurs crépusculaires.

     Quand l'âme est redevenue, suivant le conseil de notre Maître, semblable à celle d'un petit enfant, quand elle se détourne des fausses lueurs des Puissances astrales pour se diriger avec simplicité vers la source de toute splendeur, le travail préparatoire achevé et les dons d'En-Haut affluent vers elle.
 

     Le coeur de l'homme, temple où sont gravés l'image et le nom sacré de Dieu, a été si longtemps profané par les hôtes ténébreux que nous avons appelés qu'il faut un rude travail pour parvenir à les chasser définitivement. Mais dans ce temple souillé, l'Esprit de pureté ne saurait encore descendre.
 

     Il faut que ce temple dégradé soit de nouveau restauré dans son état primitif et qu'intervienne le divin architecte qui l'avait édifié. Alors seulement l'Esprit vient parachever l'oeuvre, la flamme intarissable brille de nouveau dans son sanctuaire et l'âme expérimente enfin la présence réelle de son Seigneur.
 

     Pour recouvrer son indépendance vis-à-vis des choses créées et s'élever jusqu'au Créateur, l'âme se détache de l'animalité dans laquelle elle est plongée et se sustente du pain des anges : la divine Parole. Elle se confie à Jésus et s'efforce de lui être fidèle, de ne plus errer comme autrefois. À chacun de ses efforts, si imparfaits soient-ils, répond un secours, une aide, une grâce d'En-Haut. Et, lentement, l'oeuvre s'accomplit, le but est entrevu puis atteint un jour : un temple nouveau du Seigneur se dresse, où s'opèrent les merveilles indicibles de la prière en Esprit et en Vérité.
 

     Mais, entre le premier élan de repentir et la grâce de la présence perpétuelle, que de temps, que d'efforts, que de renoncements et de défaillances !
 

     Que de fois l'âme se retrouve-t-elle plongée dans sa misère et expérimente-t-elle amèrement son néant ! Mais il est une différence essentielle entre son état, tout instable qu'il soit encore, et celui qu'elle éprouvait auparavant : le courage, la résignation et l'espérance l'accompagnent dans toutes ses vicissitudes vers l'Être suprême,
 

     Durant son acheminement vers l'Être suprême, son coeur se sépare progressivement de tout ce qui n'est pas son Seigneur, jusqu'au moment où, dépouillée de toute attache extérieure, elle ne possède plus que sa foi vivante qui la relie à l'unité. Elle pénètre alors dans les divines ténèbres Où se cache le Dieu d'amour et où ne pénètrent ni la raison, ni la science, ni les sens, ni les idées, mais l'âme seule, dans son essentielle nudité.

     Alors les dons célestes remplacent les dons terrestres rejetés, et s'élève la Nouvelle Jérusalem, le temple sacré dont celui de Salomon n'est que le symbole. C'est dans ce sanctuaire mystérieux que s'effectue la communion suprême, les indicibles échanges entre l'influx de l'amour divin vers l'homme et le reflux de l'amour de l'homme vers Dieu.

     La mort ou plus exactement la transformation de la nature inférieure s'est opérée, - l'homme est ressuscité à la vie spirituelle pure à l'appel de la Parole créatrice, comme l'eau des noces de Cana fut transmuée en vin.
 

     Les apôtres, sans que leur incessante activité extérieure en ait souffert, furent de vrais contemplatifs ; saint Paul, par exemple, ne se cache pas d'avoir été rendu participant à cette grâce :
 

     « Pour nous, nous contemplons comme dans un « miroir la gloire du Seigneur à face découverte, étant transformés en la même image de gloire, en gloire, comme l'Esprit du Seigneur » (Cor. III, 8). »
 

     Ce passage jette une lueur soudaine sur les mystères de la contemplation et les étapes de la Vie spirituelle ; ceux qui ont eu le bonheur de reprendre contact, fut-ce un court instant, avec le monde céleste peuvent seuls lui donner son sens véritable qui se résume dans le fait (que chacun est appelé à vivre un jour proche ou lointain), de l'expérimentation des promesses de Jésus.
 

     Or, cet ordre de choses qui devrait être l'apanage normal de l'homme est cependant assez mal compris, lorsqu'il n'est pas nié ou transposé dans le domaine purement sensoriel. Cela tient à ce que certains ont tenté de mettre en oeuvre leurs facultés naturelles pour atteindre un but qui, par essence, est au-dessus de la nature. D'autres ont pensé qu'il suffisait de raisonner, d'analyser, de peser et de mesurer pour avoir la clef de toutes choses. Mais comme l'analyse ne peut porter que sur le composé et non sur le simple, croyant trouver Dieu, ils ont seulement rencontré la matière. Plus subtile est l'analyse, plus subtile est la forme de matière qui leur a semblé être le principe universel. Mais, subtile ou non, toujours « matière ».
 

     C'est pourquoi la plus subtile philosophie, justement, engendre bien souvent les plus grossières erreurs et les plus dangereuses confusions. D'autres, enfin, saisirent bien le principe de l'action et le but à atteindre. Mais ne se fiant qu'à eux et croyant trouver du fond de leur coeur suffisamment de ressources, ils en vinrent à oublier que l'homme déchu ne peut rien par lui-même, Là où Dieu n'est pas appelé, il n'est pas. Mais comme le vide n'existe nulle part, là où Dieu n'est pas, on risque fort de rencontrer une des mille formes de l'Adversaire. Ainsi, les uns ont donné à la contemplation une telle direction qu'elle est devenue néfaste. Les autres incapables de la juger la condamnent sans appel au profit de raisonnements qui, enfantés dans le monde de la diversité, ne peuvent en forcer les frontières.
 

     Dans tous les cas, le terme même de contemplation, parce qu'il est mal entendu, est condamné - de haut - par la pauvre raison humaine.
 

     Se mettre en état de réceptivité vis-à-vis de l'Esprit Saint, le laisser opérer soit qu'il purifie par l'épreuve nécessaire, soit qu'il illumine ; suivre en meule temps la Loi du Christ de telle sorte que l'Adversaire n'ait pas de prise sur l'âme, par l'exercice de la Charité et l'accomplissement scrupuleux des devoirs petits et grands qui nous incombent, tel est l'essentiel de la méthode saine de toute contemplation. Ceux dont les oreilles spirituelles ne sont pas encore ouvertes trouveront la chose un peu simple, un peu enfantine, trop au-dessous d'eux, pour tout dire. Voire… La rareté des vrais contemplatifs prouve surtout qu'ici il y a moins d'élus que d'appelés.
 

     Qu'ils s'y essaient, en commençant par le commencement : l'accomplissement parfait de la Loi du Ciel, et ils éprouveront bien vite que ce qu'ils jugeaient au-dessous d'eux était peut-être au-dessus…
 

L'étymologie du mot contemplation nous offre un autre enseignement : « cum templo » c'est,aux divers degrés des acceptions du préfixe, être avec le temple, dans le temple, ne faire qu'un avec le temple.
 

     Ces trois aspects du même mot nous reportent aux trois parties dont était composé le temple de Salomon : le Parvis, le lieu saint, le Saint des saints. Et ces divisions ont quelque analogie avec les degrés de la vie spirituelle. Le Parvis, c'est le lieu des commençants, c'est la voie active et purgative, là où l'homme se dépouille, dans la mesure de ses forces et applique les Commandements de son Seigneur.
 

     Dans le lieu saint se font les sacrifices de ceux qui marchent dans la voie illuminative ; c'est là que Dieu se révèle à l'âme et que l'Esprit lui apprend les secrets que lui cachait auparavant la lettre des Écritures.
 

     Le Saint des saints est le lieu des parfaits, de ceux qui marchent dans la voie unitive ou divine. Là résident les fidèles dont l'âme purifiée par les épreuves et régénérée par le Verbe est redevenue le Temple où l'adoration perpétuelle s'exerce en Esprit et en Vérité. C'est cet état qu'indique l'Écriture, par cette parole : « N'êtes-vous pas le temple du Dieu vivant ? »
 

     L'apôtre Jean désigne ces trois états par celui des enfants, des jeunes gens, et des hommes faits.
 

     Seuls ceux qui sont parvenus au dernier peuvent dire, avec Saint Paul : « Ce n'est plus moi qui vis, c'est Jésus qui vit en moi ».
 

     Pour les autres, ces paroles sont un encouragement, une promesse et un indéfectible espoir,