Moïse nous enseigne que deux puissances absolues planent sur la face de l'Abîme, circonscrivant tout : L'une, les Ténèbres, force compressive et constrictive, s'élève de l'insondable Colère ; l'autre, c'est le Souffle de Dieu. C'est la Vie, force expansive et dilatante qui s'élève de l'Amour. Tous les êtres se meuvent au sein de cet Esprit, qui peut être, pour eux, celui de la Colère ou celui de l'Amour, selon qu'ils ouvrent leur cœur à l'un ou à l'autre ; mais, toujours, la porte qu'ils ouvrent pour recevoir l'un, ferme l'entrée à l'autre. Dans leur ensemble, les hommes terrestres ferment sur eux l'Amour, pour entrer dans la sphère de la haine, de l'égoïsme, à l'exemple de Kaïn. Alors, la Mère Admirable, la Miséricorde divine intervient et nous distribue plus de grâces dans notre calamité que nous n'en aurions reçues dans la fidélité d'Adam - avec cette réserve, toutefois, que ces grâces se manifestent différemment, de telle sorte que nous y voyons souvent le summum de l'affliction. La nécessité de mourir, les maladies, les luttes pour la vie, la rébellion des sens, toutes ces misères, sous l'impulsion de la Providence, servent à la purification de l'homme, selon son désir du bien, sa patience et sa résignation.

     L'existence, terrestre est un combat, nous vivons au hasard des batailles que nos ennemis nous livrent, et si nous ne résistons pas, nous périssons. Il est écrit de l'homme que « jamais il n'est en un même état » (Job XIV, 2) ; il faut qu'il avance ou qu'il recule, la stagnation lui est interdite. Plus il possède et jouit sur cette terre, plus il est malheureux de ne pas posséder et jouir davantage ; jamais, ici-bas, l'âme n'est en repos avant d'avoir rafraîchi sa fièvre aux Eaux-Vives de la divine fontaine. Notre modèle, c'est le Verbe de Dieu, qui va toujours, agit toujours et ne s'arrête jamais : nous ne pouvons donc nous unir à lui qu'en marchant de l'avant, « jusqu'au suprême sacrifice » (Phil. 11. 8).

     L'incarnation du Verbe dans le monde, la trouée formidable de sa descente inconcevable à travers les hiérarchies, a provoqué un afflux de vertus et de bénédictions, diffusées sur toute la race humaine, sur les méchants comme sur les bons, car, que sont nos différences de supérieur à inférieur, considérées de l'altitude divine ? Aucun être n'est plus étranger que l'autre au Créateur, mais nul ne monte au Père, Source Universelle, que par le Fils, le Verbe éternel, homme par la chair et Dieu par l'Esprit : « Si vous vivez de mon esprit, a-t-il dit à ses apôtres, votre chair sera ma chair et votre sang, mon sang ». Et l'Esprit de Jésus-Christ, c'est l'Esprit de science, d'intelligence, de force et de conseil, c'est l'Esprit de Liberté.

     Lorsque cet Esprit sera compris, les idolâtries, les superstitions, les erreurs, les ténèbres, disparaîtront puisque la plus haute expression des aspirations vers l'Amour et l'Intelligence de l'humanité se trouve dans l'Esprit du Verbe éternel.

     En nous disant d'aimer Dieu, c'est l'Esprit et la Vérité que le Christ nous recommande d'aimer par-dessus toute chose, et le prochain comme nous-mêmes : Voilà toute la Loi.

     Tel est le véritable christianisme qui doit transformer le vieux monde. Ici, Jésus n'interpose aucun mystère entre ses disciples et la vérité, aucun symbole entre l'homme qui cherche et le but cherché : son arme est la loi morale. Celle-là, seule, n'est pas aveugle. La vie de Jésus, c'est sa doctrine ; son existence est toute dans sa conduite ; toujours le Christ a fait ce qu'il disait dans le domaine de l'Esprit. Plus d'une fois, il a dit : « je retourne à mon Père », pour nous inciter à le faire aussi, mais nous nous attachons à la terre, de sorte que nos ténèbres et notre ignorance nous empêchent de suivre le conseil et l'exemple de notre divin modèle.

     Cependant, tous les éléments retournent à leur source, après avoir accompli leur destinée. En révélant la Loi d'Unité, Jésus a donné à l'Esprit la puissance pour vaincre l'égoïsme de la chair, qui n'est que division et mort ; mais l'homme prend pour le bien de son être réel le bien-être de son enveloppe passagère ; au lieu de tendre vers son Créateur, insensible aux mirages suscités sur sa route, il gaspille le temps que lui prête miséricordieusement la Mère divine, afin qu'il s'échappe de ce labyrinthe, de ce chaos où le vrai bonheur ne saurait résider. C'est pourquoi il y reste, jusqu'à ce que ses yeux s'ouvrent.

     L'âme de l'homme est unique, mais possède divers degrés de perfection : la partie appelée raisonnable se scinde en deux portions : l'inférieure qui discute, s'agite et expérimente par les sens ; la supérieure qui conçoit, disserte, s'éclaire selon la connaissance intellectuelle fondée sur le discernement et le jugement. La partie supérieure de l'âme est appelée esprit, tandis que la partie inférieure se nomme sens, sentiment ou raison ; quant à la partie animale, elle renferme l'instinct et l'appétit sensuel.

     L'esprit, modalité supérieure de l'âme, peut recourir à deux sortes de lumières : la lumière naturelle ou science humaine et la lumière surnaturelle ou science divine ; cette modalité supérieure de l'âme est toujours soumise à la Loi Universelle, elle a la notion du devoir et la faculté de s'y soumettre ; c'est la partie inférieure qui résiste, voulant échapper au sacrifice, pourtant nécessaire. Le Christ a laissé parler la partie inférieure de son âme, lors de sa passion, en demandant que le calice s'éloignât de lui, mais, malgré cette manifestation de l'âme inférieure, Jésus ajouta : « Que votre volonté soit faite, ô mon Père, et non la mienne. »

     Si nous comparons l'âme à un sanctuaire, nous dirons qu'elle possède trois vestibules ou degrés de raison : dans le premier degré, l'homme parle selon l'expérience des sens ; au second, il parle selon les sciences humaines et, au troisième, il discourt selon la Foi.

     Au-dessus de ces trois degrés, il y a une faculté spirituelle qui n'est point conduite par la raison humaine, c'est une vue de l'entendement par laquelle l'esprit désire et se soumet à la Vérité et à la Volonté divine. Cette cime de notre âme, cette pointe de notre esprit, c'est le sanctuaire. Là, il n'y a ni raisonnement, ni discours, toute la Lumière pénètre par l'unique porte. Et dès que l'âme commence à sentir la beauté de la Vérité, les effluves de l'infinie Bonté et la magnificence de Dieu, elle reste comme anéantie, cependant que son esprit s'unit à l'Esprit de l'Éternel Vivant, selon la Loi d'Amour. À cette période, comme toutes choses restaurées par le Christ, cet esprit chante un hymne mélodieux à la gloire du Créateur : cette musique, c'est l'expression de l'harmonie de la Loi Universelle, c'est la prière spirituelle de l'homme unie à celle de Jésus.

     Dès cette prise de contact avec la Vie, l'homme se transforme, ses sens s'harmonisent, ses passions s'équilibrent et il reçoit le baiser de paix qui efface toutes ses impuretés. C'est le Verbe qui nous rend saint, mais la sainteté ne doit pas être un rêve, dans la vie, mais une réalité.

     « Les âmes d'élite ne sont pas avides des biens terrestres, elles recherchent l'écho des harmonies de la Loi Universelle, de la Loi d'Amour ; elles ont soif des choses divines ; et souvent distraites par cette musique intérieure, elles négligent en peu les choses de la vie mortelle ; aussi ces âmes privilégiées sont-elles considérées comme des simples d'esprit par le commun des mortels. C'est cependant grâce à ces petits enfants que la présence de Dieu réside avec l'homme en exil. Lorsque l'homme a la connaissance parfaite de la Divinité, l'âme qui l'assume, c'est l'âme de la vie ; cette âme reçoit directement les délices et les transmet au corps. Souvent les larmes coulent le long de ses joues à l'insu de cet homme ; on lui parle, il n'entend pas, mais il laisse tomber sur la terre des chants que personne n'écoute ; réveillé par les nécessités de la vie, il est encore ébloui de ce qu'il a vu et entendu, alors il se heurte contre les choses et les hommes ; mais sa voix reste l'écho vivant de l'harmonie éternelle et sa bouche parle d'abondance et du cœur. »(1).

     C'est par la nature que Dieu exerce sa justice, et, c'est par l'intervention de ses Élus qu'il exerce sa Miséricorde, les justes sont les eaux qui alimentent l'âme humaine et la Divinité est la mer. C'est pour donner ou recevoir la vie que tout est organisé dans la création ; nous sommes tous destinés à reproduire en nous l'image de Dieu, par l'intervention du divin Modèle, Jésus-Christ ; alors à l'exemple des Élus, notre âme doit nourrir son esprit des Livres sacrés, de ce pain divin qui, tout en soutenant l'âme et le corps, éclaire le chemin que nous devons parcourir. Le Verbe scripturaire est la seule communication de Dieu avec l'âme ; il est notre seule clarté dans la prison où nous nous sommes jetés par nos désordres ; lui seul peut nous rendre la liberté et nous éclairer sur les plus secrètes vérités. Dieu est présent dans sa Parole, comme l'homme est présent dans son langage ; c'est donc dans la Sainte Écriture que nous communions avec le Créateur ; sa Parole est la lumière de l'âme. Alors, avec vénération et humilité, l'homme de désir se nourrit de la divine science, grâce à la Bonté de Dieu, car livrés à nous-mêmes nous ne pourrions assimiler rien de divin. Et tel le cœur d'une bonne mère, l'amour de Dieu se donne tout entier à chacun de ses enfants, à chaque âme, comme s'il n'avait qu'elle à aimer.

(1) E. Lévy.