LE COMMERCE DES ÂMES « La contemplation du Sei
Tous les inventeurs, les vrais savants, les poètes et les prophètes de chaque peuple sont des contemplatifs, qui, abandonnant momentanément la vie active, concentrent leur esprit sur la nature de l'objet qu'ils veulent connaître, grâce à un intermédiaire, soit du monde naturel, soit du monde surnaturel. Cette contemplation naturelle de la vérité a été connue de tous temps par les Philosophes, les Sages, qui l'ont toujours vénérée en se la proposant comme récompense de leurs travaux. Et tous soutenaient que c'était dans cette vision que consistait le bonheur de l'homme ; et de fait, en sa qualité d'être raisonnable, la contemplation de la vérité convient parfaitement à l'homme. Cette contemplation naturelle, en dehors de toute image sensorielle, est possible ; car, nous le savons, l'Esprit-Saint aide nos faiblesses. À chacun de nous le Créateur a donné le pouvoir de fixer notre esprit sur les Vérités éternelles, en dehors de la vie active sidérique. Dans ce cas, c'est l'Esprit Saint qui orne l'esprit de l'homme d'un grand nombre de grâces surnaturelles, afin de l'élever, l'aider et le fortifier. Cependant ces grâces surnaturelles font partie de la grâce commune, comme les trois vertus théologales et les sept dons du Saint-Esprit, par lesquels les justes demeurent sanctifiés et disposés à une contemplation plus élevée. La première méthode pour aller à la science divine, consiste dans la réflexion et le raisonnement ; puis lorsque l'âme, après s'être servie de son imagination et de ses idées corporelles, est portée de connaissance en connaissance, elle arrive à celle qu'elle souhaite ; alors grâce à sa persévérance récompensée par l'aide surnaturelle, l'âme peut s'élever jusqu'au Créateur. Elle est alors transportée au-dessus de tout raisonnement, par le chemin de la Foi vivante. Et plus l'âme avance vers l'Unité plus s'éloigne l'animalité dans laquelle elle était plongée. À un certain degré de cheminement, la raison, la science, les idées, tout disparaît : l'âme se trouve nue, avec sa foi simple et les ailes de l'Amour, elle va se perdre dans l'Unité. Car dit Hugo (Les Trésors Mystiques) « C'est l'ouvrage de la méditation de sonder les choses secrètes comme celui de la contemplation d'admirer les choses claires ; et c'est beaucoup plus facile d'admirer ce qui est clair, que de sonder ce qui est caché. Puis il est plus facile aussi de voir, que de parler, de croire que de rechercher, de goûter et d'admirer que de montrer par des arguments la nécessité de ces actes. » L'âme, ayant recouvré son indépendance vis-à-vis de toute créature, s'appuie sur Dieu et sur ses inspirations secrètes, par une foi pure, un amour constant et ferme de la vérité. Délaissant son savoir acquis, sa science, ses fortes connaissances, l'âme abandonne tout, pour entrer dans les divines ténèbres ; là où se cache le Tout, le Dieu d'Amour, qui ne saurait admettre autre chose que l'âme complètement détachée de tout le crée, pauvre et indigente. Alors cette âme voit l'imperfection et la faiblesse de ses sens, elle constate que tout ce que le monde et les plus vastes cerveaux du siècle ont pu écrire ou dire, n'est en réalité que le tombeau de la vérité. Mais aussi, quelle profonde et sincère humilité puise ce « rapatrié » dans cette constatation ! Quelle ardente reconnaissance l'enlève éperdu d'amour vers la source de toute vérité ! Avec quelle joie son âme se soumet définitivement à son Sauveur : n'ayant plus de volonté, c'est la Sagesse qui remplace le moi ; c'est Dieu qui la transforme et la gouverne. Mais souvent cette âme doit se soumettre à l'épreuve de la privation, languissante et dépouillée de tous les secours que réclame la faiblesse humaine. Cependant malgré sa solitude, malgré son aridité et ses ténèbres, l'âme ne se décourage pas, car soutenue par sa foi ferme et constante, elle sait et sent que le grand Purificateur opère en elle, malgré sa propre inaction matérielle et sensible, infiniment distante de Dieu. L'Être souverain est incompréhensible à l'homme animal, il surpasse toutes les pensées, toutes les idées de son esprit grossier ; cependant que l'âme telle qu'un fleuve s'écoule dans l'océan d'amour. Aussi, il faut avouer, que souvent on connaît plus parfaitement Dieu, dit Saint Denis, par négation que par affirmation ; pour cette raison que toutes les idées sensibles et distinctes, de quelque beauté qu'elles soient, émises par un esprit de ce monde, ont pour effet de nous détacher de la Divinité et de nous placer sous la dépendance des créatures, ; tandis que la négation nous éloigne d'elles et nous rapproche de Dieu. C'est au-dessus de toute créature que l'âme doit élever son esprit après sa purification, pour considérer les Mystères de la foi ; c'est ainsi que cet esprit parvient à la liberté. Et, en possession de la vérité, l'âme n'a plus besoin de preuves, pour s'en convaincre. C'est avec un cur sincère dans le repos et le silence, que la volonté adore cette vérité, l'admire et se réjouit de la posséder : Voilà ce que l'on appelle la contemplation. D'après Saint Thomas, « c'est une vue sincère et douce de la vérité éternelle, sans raisonnement, ni réflexion ». C'est la constatation de Dieu dans toutes les créatures, dans tous ses ouvrages et surtout dans l'Humanité de Jésus-Christ, le plus parfait de tous ; c'est la connaissance parfaite de Dieu, tel qu'il est lui-même ; c'est l'élévation de la Nouvelle Jérusalem, dans laquelle se produisent les échanges internes et mystérieux des dons et de l'amour de la Divinité à l'homme et qui retournent de l'homme à Dieu, pour sa plus grande gloire ! La créature se laisse conduire intérieurement par l'attrait divin, et, au dehors, par les événements, en se livrant à la Providence sans s'inquiéter nullement d'elle-même. À cette âme là, les moyens extérieurs deviennent inutiles, il lui faut le calme ; aussi abandonne-t-elle tout raisonnement, tout effort d'imagination, pour rentrer dans le repos et le silence. Presque continuellement elle s'élève au-dessus de tout être de toute connaissance, pour se jeter en Dieu, dans son centre. Et quoi que cette âme fasse, elle reste en oraison, car elle passe du temps à l'Éternité : l'Amour a opéré la mort de la nature inférieure et rappelé l'Esprit à la Vie. Or, celui qui n'est pas aveugle peut clairement se rendre compte que le commerce interne des âmes avec Dieu est un fait constant, expérimental, vérifiable et aussi ancien que le monde ; il peut constater que ce n'est ni une fiction, ni une innovation. Ce principe est fondé sur le sentiment universel de tous les siècles, sur tous les Écrits sacrés et toutes les Traditions ; mais le mensonge est tellement enraciné dans ce monde que la vérité semble un songe : « Seigneur, à qui m'adresserai-je dit le Prophète, ta parole parait un piège ; chacun suit sa méthode et d'un vin exquis, ils en font un breuvage, un mélange affreux qui plonge l'homme dans le somnambulisme ». Cependant qu'au débonnaire, à l'humble de cur, à tout homme de désir les dons de la Sagesse et de l'Intelligence sont prodigués sans compter et sans qu'il soit nécessaire d'avoir un esprit subtil, d'être rompu aux controverses des Écoles, d'avoir parcouru le cycle des sciences abstraites et spéculatives ; car ces hommes possèdent la simplicité de l'esprit un cur pur et un ardent amour de la Vérité, vertus autrement précieuses que toute science humaine, puisqu'elles conduisent à l'illumination du Saint Esprit ! Dieu nous aime tendrement ; à tous il nous offre les secours ordinaires de la grâce, en venant en aide à celui qui veut en profiter. Et cela se comprend, puisque partout dans l'Écriture Sainte Dieu nous exhorte à prier sans cesse, à le rechercher, à nous attacher uniquement à lui, à marcher en sa présence et à contempler les vérités éternelles. Or, Dieu nous connaît bien, il sait que nous ne pouvons rien faire sans lui ; il ne peut donc pas nous refuser les secours nécessaires, pour exécuter ce qu'il nous prescrit. Essayons donc de coopérer avec le rayon divin car le Christ a mérité pour nous tous la possibilité de la perfection, aussi bien que celle du salut. Et l'amour du Christ ainsi que l'imitation du divin Crucifié, nous conduisent, comme par la main, à la vision des vérités divines : « lorsque quelqu'un aura cherché le Seigneur son Dieu, il le trouvera, si cependant il l'a cherché dans toute l'angoisse de son âme ». (Deut, 4-29). Lorsque l'âme est redevenue ce petit enfant, dont parle L'Écriture, c'est dans le silence et le détachement de toutes les lumières de ce monde, qu'elle trouve la vie dans la mort et que sa douleur est changée en allégresse. « Quand tu sauras aimer dans l'ignorance,
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