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LA PRIÈRE
 
 

« La perfection ne consiste pas à
parler, ni à penser beaucoup à Dieu,
mais à aimer la Divinité dans tous
nos frères. »

Jean (I.18).

     La faim de l'âme se manifeste par la Prière ; et la vie de cette âme est toujours en analogie avec la nature de sa nourriture.

     L'homme qui sollicite ce qui appartient à ce monde développe en lui la vie animale ; tandis que celui qui se nourrit de la Parole, du pain des Anges, du corps du Christ, c'est la vie divine, C'est le bonheur et l'immortalité qui se développent en lui.

     La véritable prière, par laquelle l'âme de l'homme tend à sortir de la vanité des temps pour s'élever vers l'Éternité, est l'arme de ceux qui commencent d'entrer dans le chemin spirituel. Cette prière doit être continuée tant que l'âme en sent le goût et le besoin ; car cette âme en est encore à la recherche du bien-aimé, par les rues et les places de la ville (1) ; Mais, dans la suite, si l'âme progresse vers l'Unité, Dieu enlève à l'homme le goût de la prière et de la méditation, pour le préparer à un état plus élevé. C'est à ce moment, où l'homme est jeté dans le désarroi d'une grande détresse, qu'il a besoin d'un bon guide, d'un véritable ami, ayant expérimenté lui-même les phases de la régénération, qui le console et l'engage à se jeter dans les bras de la Bonté divine, sans insister par des paroles, lui faisant comprendre que c'est le plus grand bonheur qui puisse lui arriver, puisque c'est le signe que Dieu veut l'amener à Lui par la foi et par le silence. Telle est la voie la plus directe.

     Pour faire connaître nos pensées aux hommes, on conçoit qu'il est nécessaire de parler, mais Dieu voit mieux que nous le fond de notre âme ainsi que nos vrais besoins ; aussi, nos paroles sont-elles alors inutiles.

     C'est aussi la seule manière de ne pas être victime de notre imagination, ainsi que des tromperies de l'Adversaire. C'est au milieu des ténèbres que Moïse reçut les tables de la Loi ; et c'est là aussi qu'il perçoit l'usage de la parole. C'est en terre que la semence germe et croît ; et pour s'approcher de Dieu notre adresse et notre raisonnement ne servent de rien ; il ne faut que notre soumission et le silence.

     C'est en Esprit et en Vérité que le disciple du Christ adore, et l'homme renouvelé ne reçoit rien du monde réel, sans que cette bénédiction se répande sur tous les humains. La prière de l'esprit, en l'homme, ne consiste pas en vaines paroles, mais en actions ; c'est le soulagement physique et moral que nous procurons à nos frères, par amour.

     Notre divin Modèle, qui boit constamment pour nous la coupe des souffrances, jusqu'à la lie, demande à son Père de nous épargner, d'épargner tous ses frères ; à tous, Il offre sa félicité, ses trésors, son royaume en échange de nos misères, de nos souffrances. Et à ses disciples, à ceux qui le suivent, Il dit : « Imitez-moi ». Alors, ceux qui adorent en Esprit et en Vérité voient, sur le mont du sacrifice, l'adorable Victime toujours agonisante..... Courageusement, ils marchent sur ses traces jusqu'à ce que le juste ressuscite en eux, et eux avec Lui.

     L'amour de Dieu, le respect des choses divines, la vénération des parents, la piété en un mot, est la racine des vertus célestes ou terrestres, qui attire les trésors des régions spirituelles ; c'est la porte par laquelle nous arrivent les biens du Temps et ceux de l'Éternité ; mais, dès qu'un homme pieux prie dans le but d'obtenir, soit pour le Temps, soit pour l'Éternité, un bienfait pour lui-même, il développe ainsi une force qui peut momentanément lui donner une couronne illusoire, mais tôt ou tard, la lui fait payer durement ; c'est là pour lui la source de sévères épreuves.

     Toute prière faite par l'homme qui n'a que lui pour objet, profane les sanctuaires, car elle a pour but de demander des choses particulières, des biens, des dignités, qui ne peuvent être étendus à tous, puisque toutes les choses de ce monde sont bornées et comptées.

     Dans le Pater Noster que nous a laissé le Christ, rien n'est demandé, que des choses qui peuvent être accordées à tous. Dieu a voulu montrer ainsi que sa bonté, sa munificence sans bornes se rapportent toujours aux universels besoins des hommes et à son universelle gloire. Et ce qui est demandé pour l'homme dans cette prière ne tient en rien aux choses terrestres. Le pain que nous demandons, c'est le pain de vie, que Dieu distribue à tous ses enfants, et qui seul peut servir à l'accomplissement de l'œuvre divine. Tout est Esprit, tout est Amour dans cette pensée, car elle a pour objet le contrat divin que nous devons tous observer dans son intégralité.

     « Cherchez premièrement, le Royaume de Dieu, dit l'Évangile, et tout le reste vous sera donné par surcroît ». Lorsque l'homme entre véritablement en communion avec les divins mystères, il se détourne des attractions terrestres, pour tendre vers Dieu et laisser opérer en lui la Foi fondamentale et universelle ; dès lors, toutes les difficultés s'écartent et cet homme ne s'inquiète nullement des besoins de son corps. Il sait que c'est une Loi constante, qu'une région embrasse, domine et régisse celles qui lui sont inférieures dans la hiérarchie cosmique. Alors, comment les secours temporels pourraient-ils lui manquer quand il s'abreuve à la source de tout et que les lumières et les dons de l'Esprit ne lui sont pas refusés ?

     Beaucoup cherchent Dieu au dehors, par les subterfuges du raisonnement, de l'imagination ; et ils tentent d'acquérir la vertu par la prière, l'abstinence, le silence, etc... ils se tiennent en silence en la présence de Dieu, ou bien s'évertuent à lui parler, exacerbant artificiellement leur désir de Lui, croyant, de bonne foi, progresser vers le Centre universel par leurs modifications extérieures et volontaires, ils excitent en eux des sentiments affectifs et des mouvements de ferveur, qui leur semblent les seuls signes valables de la présence du Très-Haut. 

     Tout cela peut quelquefois servir à l'homme animal, lors de l'éveil à la vie spirituelle, mais ne peut jamais mener à la suprême perfection. Après cinquante ans de pratique de tels exercices, ces hommes sont encore vides de DIEU, remplis d'eux-mêmes, et n'ont de spirituel que le nom et les tendances.

     Dans certains cas, ces enfants de la terre peuvent atteindre le voile qui manifeste la Vérité ; mais jamais cette Vérité elle-même ; cependant, les facultés de ces êtres n'en sont pas moins troublées ; et, souvent, les sages de ce monde se méprenant sur la nature de ces facultés anormalement développées, leur confèrent le titre de Saints ou de Visionnaires.

     Gerson, le grand théologien, nous dit :

« Je me suis attaché durant quarante années à la lecture et à la prière, mais je n'ai point trouvé de voie plus courte ni plus sûre, pour retrouver les biens divins que de mettre notre esprit en la présence de Dieu, dans l'état d'un enfant ou d'un malheureux privé de secours. »


     « C'est un aveuglement, dit Saint Thomas, et une folie excessive que celle de ceux qui cherchent toujours Dieu, qui soupirent continuellement vers Lui, qui l'invoquent, tous les jours dans leurs prières, pendant que leur âme est le Temple vivant et la véritable habitation de la Divinité. »

     C'est cependant ainsi qu'agissent beaucoup d'hommes justes rendant alors leurs œuvres imparfaites.

     La Mère Françoise Lopez dit : « Un quart d'heure d'oraison qu'on fait dans le recueillement des sens et des facultés de son âme, avec résignation et humilité, vaut mieux que toutes les années d'exercices pénibles, de silence, de discipline, de jeûne, de coucher sur la dure et de prières en séries ; tout cela ne mortifie que le corps, le non coupable, tandis que le recueillement, purifie l'âme. Dieu ne regarde pas à la multitude des paroles, ni des actes, mais à la pureté d'intention ; Il préfère voir l'âme dans le silence du recueillement, affamée, humble, tranquille, et soumise. »

     À ce sujet, Jésus-Christ dit à Saint Pierre : « Quand vous étiez jeune, vous vous ceigniez vous-même, mais quand vous serez plus avancé, un autre vous ceindra. Alors, pour suivre le Christ, il faut renoncer à soi-même à ses croix ou souffrances volontaires pour prendre la sienne, c'est-à-dire souffrir sans murmurer que les autres nous crucifient.

     Pour rigoureuses qu'elles soient, les souffrances volontaires sont adoucies par l'amour-propre et la vanité, tandis que dans les souffrances involontaires tout est pénible : d'abord les mortifications elles-mêmes, puis leur cause, qui est la volonté et le bon plaisir d'un autre, auquel il faut se soumettre.

     C'est par la purification de notre âme que pénètrent en nous les vertus divines ; et c'est par ces vertus seulement que l'homme attire, reçoit et parvient graduellement à saisir la Vie et qu'il atteint à la perfection indispensable pour son union avec l'Esprit-Saint ; car c'est Lui, c'est l'Esprit-Saint, qui lui fera réaliser l'Amour de tous et accomplir le Bien pour le Bien lui-même ; et c'est là la plus noble et la plus parfaite des œuvres de la Vie humaine.

     Disons pour terminer sur ce sujet, que l'oraison vraie, le véritable sacrifice, c'est de présenter à la justice divine un esprit brisé ; c'est là l'oblation pure, car elle est l'origine de l'impulsion qui nous ramène à Dieu. Tel est le but et la fin de toutes les oraisons.
 
 

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(1) cf. Cant. des cant.