Syméon le Nouveau Théologien.

Syméon a été surnommé le "Nouveau Théologien" pour marquer son importance, et sa différence, avec Jean l'Évangéliste et Grégoire de Nazianze, les deux autres références de l'Orthodoxie.
De petite noblesse, né vers 949 en Paphlagonie, près de Sinope, dans cette province chargée d'histoire, qui fut hittite avant d'honorer Mithra, le futur Syméon vient très tôt à Constan-tinople, tenté par une carrière politique. C'est alors un jeune hom-me remuant, avide de tous les plaisirs, vite déçu cependant.
Son besoin de spiritualité l'amè-ne à fréquenter le grand monastère du Stu-dion 
(37), où il rencontre un moine, Syméon le Pieux, qui devient son "maî-tre spiri-tuel". Entré comme novice au Studion en 976, à l'âge de vingt-sept ans, il adopte le nom de son maître (38) pour marquer sa "nouvelle nais-sance". Syméon, désormais, consacrera sa vie à l'étude, à l'ascèse et à la spiritualité. Après quatre ans d'apprentissage auprès de son père spirituel, il va se mettre au service de ses frères et est, en 980, élu abbé du monastère de Saint Mamas, près de Constantinople. Pendant vingt-neuf ans, il va diriger son monastère, écrire ses Catéchèses, ses Actions de Grâces, prononcer ses sermons, rénover la vie monastique et prêcher, chez les laïcs, une expérien-ce chrétienne renouvelée. Il dérange...
Après des années de travail, en 1009, Syméon renonce à sa charge d'abbé et se fixe à Chrysopolis, sur la rive asiatique du Bosphore. Certes, ses démêlés avec le patriarche Serge II, si attentif à défendre les "droits de l'Église" contre les prétentions impériales, qui n'approu-ve guère ni l'austéri-té de sa di-rec-tion monastique, ni sa quête de spiritualité, et qui lui fait grief de sa dévotion à son maî-tre Syméon le Pieux, apparaissent com-me le facteur déclenchant ce retrait.
En fait, Syméon a franchi une étape. Il a soixante ans et ce retrait est aussi l'occasion de rentrer en lui-même : dans son hymne XLIII, il deman-de à Dieu s'il doit continuer à lutter pour les "besoins temporels" du monastère ou "cultiver sans relâche le recueillement et lui seul".
A Chrysopolis, redevenu simple moine totalement détaché des affaires du monde, vivant enfin pour Dieu seulement, il rédigera ses Hym-nes de l'amour divin. Il mour-ra dans sa retraite, en 1022, ayant atteint ses soixante-treize ans, accueillant la mort avec la joie de celui qui a écrit
« La mort est délivrance des soucis, la mort est libération des maladies et passions de toutes sortes, la mort est suppression des péchés et de toute iniquité, la mort est affranchissement de tous les maux de la vie, et, pour ceux qui ont bien vécu, condition d'une joie sans fin, des délices éternelles et de la Lumière sans couchant. »
La Philocalie a retenue de son oeuvre les "Chapitres pratiques et théologiques" qui s'adressent à des moines, novices ou confirmés, et qui parlent assez peu, explicitement, de la prière.
 

Citations des Chapitres pratiques et théologiques.

1. La foi, c'est mourir à cause du Christ pour ses commandements; c'est croire que cette mort est une source de vie; c'est considérer la pauvreté comme une richesse, la bassesse et l'humiliation comme une vraie gloire et un réel honneur; c'est croire également qu'on possède tout lorsqu'on n'a rien; et plus encore, c'est posséder l'insondable richesse de la connaissance du Christ et regarder comme de la boue ou de la fumée toutes les choses visibles.
33. Dans les prières et dans les larmes, supplie Dieu de t'envoyer un guide impassible et saint. Mais examine toi-même les divines Écritures et singulièrement les écrits pratiques des saints Pères, afin qu'en leur comparant ce que t'enseigne et ce que fait ton maître et ton supérieur, tu puisses voir et apprendre ces leçons comme dans un miroir, recueillir et retenir dans tes pensées ce qui s'accorde aux divines Écritures, mais discerner et rejeter ce qui est bâtard et altéré, pour ne pas t'égarer. Sache-le, il y a de nos jours beaucoup de trompeurs et de faux maîtres.
46. Les afflictions qui brisent le coeur, lorsqu'elles sont fréquentes et intempestives, enténèbrent et troublent la réflexion de l'intelligence. Elles effacent de l'âme la prière pure et la componction [la prière pure et l'humilité]. Elles fatiguent le coeur, et dès lors le font devenir dur et insensible à jamais. C'est ainsi que les démons s'ingénient à décourager les spirituels.
143. Efforce-toi d'être un modèle utile à toute la fraternité en toute vertu, dans l'humilité et la douceur, la compassion et l'obéissance jusque dans les plus petites choses, l'absence de colère et de passion, la pauvreté et la componction, l'innocence et la discrétion, la simplicité du comportement et la réserve envers tout homme, la visite des malades, la consolation des affligés. Ne te détourne d'aucun de ceux qui ont besoin de ton aide, sous le prétexte de t'entretenir avec Dieu. Car l'amour vaut mieux que la prière. Efforce-toi d'être compatissant envers tous, dégagé de la vaine gloire, discret. Tâche aussi de n'être jamais péremptoire, de ne jamais rien réclamer au supérieur ni à aucun de ceux qui remplissent un office, d'honorer tous les prêtres, d'être attentif dans ta prière, de rejeter l'affectation, d'aimer tous les autres, de ne pas chercher par vaine gloire à scruter et à sonder les Écritures. La prière que tu diras dans les larmes et l'illumination qui te viendra de la grâce t'enseigneront ces choses. Si donc tu es interrogé sur l'une des choses que nous devons faire, enseigne les actions divines -ce que la grâce te donnera de dire avec beaucoup d'humilité, à partir de ta vie, comme si c'était celle, d'un autre, sans nulle vanité, quel que soit celui qui désire ton aide. Et ne te détourne pas de celui qui te demande de l'assister au sujet d'une pensée, mais prends sur toi ses fautes, quelles qu'elles soient, pleurant sur lui et priant pour lui. C'est là aussi une marque d'amour et de totale compassion. N'écarte pas celui qui vient vers toi, ne pense pas qu'il te sera nuisible d'écouter de telles choses. Cependant, pour ne pas nuire à beaucoup, il faut parler de ces choses dans un lieu soustrait aux regards, même si toi-même, n'étant qu'un homme, tu dois être assailli par une pensée. Car si tu en reçois la grâce, tu ne te laisseras pas prendre par cette pensée. Il nous est prescrit en effet de rechercher, non pas notre propre bien, mais celui des autres, afin qu'ils soient sauvés.
Comme nous l'avons dit, il te faut garder une vie paisible et pauvre. Alors tu te considéreras toi-même comme soumis à l'action de la grâce, quand tu te tiendras en vérité pour le plus pécheur de tous les hommes. Je ne peux pas dire comment cela se fait, Dieu le sait.

Sur les trois modes de la prière.

Il y a trois modes de l'attention et de la prière, par lesquels l'âme, ou bien s'élève et progresse, ou bien tombe et se perd. Si elle use de ces trois modes en temps opportun et comme il faut, elle progresse. Mais si elle en use inconsidérément et à contretemps, elle tombe. L'attention doit donc être inséparablement liée à la prière, comme le corps est inséparablement lié à l'âme. L'une ne peut tenir sans l'autre. L'attention doit aller devant et guetter les ennemis, comme un veilleur. C'est elle qui la première doit connaître le péché et s'opposer aux pensées mauvaises qui entrent dans l'âme. Alors vient la prière, qui détruit et fait périr sur le champ toutes ces pensées mauvaises, contre lesquelles en premier lieu a lutté l'attention. Car celle-ci ne peut, à elle seule, les faire périr. Or c'est de ce combat de l'attention et de la prière que dépendent la vie et la mort de l'âme. Car si, par l'attention, nous gardons pure la prière, nous progressons. Mais si nous négligeons de garder pure la prière, si nous ne veillons pas sur elle, si nous la laissons souiller par les pensées mauvaises, nous sommes inutiles et nous ne progressons pas.
Il y a donc trois modes de l'attention et de la prière. Et il nous faut dire quelles sont les propriétés de chacun. Ainsi celui qui aime son salut pourra choisir le meilleur, et non le pire.

Du premier mode de l'attention et de la prière

Telles sont les propriétés du premier mode. Quand quelqu'un se tient en prière, il lève vers le ciel ses mains, ses yeux et son intelligence. Il se représente les pensées divines, les biens du ciel, les ordres des anges et les demeures des saints. Il rassemble brièvement et recueille en son intelligence tout ce qu'il a entendu dans les divines Écritures. Il porte ainsi son âme à désirer et à aimer Dieu. Il lui arrive parfois d'exulter, et de pleurer. Mais alors son coeur s'enorgueillit, sans qu'il le comprenne. Il lui semble que ce qu'il fait vient de la grâce divine, pour le consoler, et il demande à Dieu de le rendre toujours digne d'agir comme il le fait. C'est là une marque de l'erreur. Car le bien n'est pas bien quand il ne se fait pas sur la bonne voie et comme il faut. Quand bien même il vivrait dans une extrême hésykhia, il est impossible qu'un tel homme ne perde pas son bon sens et ne devienne pas fou. Mais même s'il n'en arrivait pas là, il ne saurait parvenir à la connaissance, ni maintenir en lui les vertus de l'impassibilité. C'est ainsi que se sont égarés ceux qui ont vu une lumière et un flamboiement avec les yeux de leur corps, qui ont senti un parfum avec leur propre odorat, et qui ont entendu des voix avec leurs propres oreilles, ou qui ont éprouvé des choses du même ordre. Les uns ont été possédés par le démon, et sont allés de lieu en lieu, hors d'eux-mêmes. D'autres ont reçu en eux les contrefaçons du démon: il leur est apparu comme un ange de lumière, et ils se sont fourvoyés, ils ne se sont jamais corrigés, ils n'ont jamais voulu écouter le conseil d'aucun frère. D'autres encore ont été poussés par le diable à se tuer : ils se sont jetés dans des précipices, ils se sont pendus. Qui pourrait décrire toutes les illusions par lesquelles le diable les égare ? Ce n'est guère possible.
Mais après ce que nous venons de dire, tout homme sensé peut comprendre, à quels dommages expose ce présent mode de l'attention et de la prière. De même, s'il arrive que l'un de ceux qui usent de ce mode n'en reçoive aucun mal, dès lors qu'il se trouve en compagnie d'autres frères (car ce sont surtout les anachorètes qui connaissent un tel mal), cependant, toute sa vie durant, il ne progressera pas.

Du deuxième mode

Tel est le deuxième mode de l'attention et de la prière. Quand quelqu'un recueille son intelligence en lui-même, en la détachant du sensible, quand il garde ses sens et rassemble toutes ses pensées pour qu'elles ne s'en aillent pas dans les choses vaines de ce monde, quand tantôt il examine sa conscience et tantôt il est attentif aux paroles de sa prière, quand à tel moment il court derrière ses pensées que le diable a capturées et qui l'entraînent dans le mal et la vanité, quand à tel autre moment, après avoir été dominé et vaincu par la passion, il revient à lui-même, il est impossible que cet homme, qui a en lui un tel combat, soit jamais en paix, ni qu'il trouve le' temps de travailler aux vertus et reçoive la couronne de la justice'. Car il est semblable à celui qui combat ses ennemis la nuit, dans les ténèbres. Il entend leurs voix et reçoit leurs coups. Mais il ne peut pas voir clairement qui ils sont, d'où ils viennent, comment et pourquoi ils le blessent, dès lors que le dévastent les ténèbres de son intelligence et les tourments de ses pensées. Il lui est impossible de se délivrer de ses ennemis, les démons qui le brisent. Le malheureux peine en vain, car il perd son salaire, dominé qu'il est par la vanité. Il ne comprend pas. Il lui semble qu'il est attentif. Souvent, dans son orgueil, il méprise et accuse les autres. Il s'imagine qu'il peut les conduire, et qu'il est digne de devenir leur pasteur. Il est semblable à cet aveugle qui s'engage à conduire d'autres aveugles.
Il est nécessaire que quiconque veut être sauvé sache le dommage que peut causer à l'âme ce deuxième mode, et qu'il fasse bien attention. Cependant ce deuxième mode est meilleur que le premier, comme la nuit où brille la lune est meilleure que la nuit noire.

Du troisième mode

Le troisième mode est vraiment chose paradoxale et difficile à expliquer. Non seulement ceux qui ne le connaissent pas ont du mal à le comprendre, mais il leur paraît presque incroyable. Il ne croient pas qu'une telle chose puisse exister, dès lors que, de nos jours, ce mode n'est pas vécu par beaucoup, mais par fort peu. Un pareil bien, je pense, nous a quittés en même temps que l'obéissance. Car c'est l'obéissance au père spirituel qui permet à chacun de ne plus se soucier de rien, dès lors qu'il remet ses soucis à son père, qu'il est loin désormais des tendances de ce monde, et qu'il est un ouvrier tout à fait zélé et diligent de ce mode. Encore lui faut-il trouver un maître et un père spirituel véritable, dégagé de toute erreur. Car celui qui, par une vraie obéissance, s'est consacré à Dieu et à son père spirituel, qui ne vit plus sa propre vie et ne fait plus sa propre volonté, mais est mort à toutes les tendances du monde et à son propre corps, par quelle chose passagère peut-il être vaincu ou asservi ? Ou quelle 'inquiétude et quels soucis peut avoir un tel homme ? C'est donc par ce mode, et par l'obéissance, que se dissipent et disparaissent tous les artifices des démons et toutes les ruses qu'ils trament pour entraîner l'intelligence dans toutes sortes de pensées. Alors l'intelligence de cet homme est délivrée de tout. C'est avec une grande liberté qu'elle examine les pensées que lui apportent les démons. C'est avec une réelle aptitude qu'elle les chasse. Et c'est avec un coeur pur qu'elle offre ses prières à Dieu. Tel est le commencement de la vraie voie. Ceux qui ne se consacrent pas à ce commencement peinent en vain, et ils ne le savent pas.
Or le commencement de ce troisième mode n'est pas de regarder vers le haut, d'élever les mains, d'avoir l'intelligence dans les cieux, et alors d'implorer le secours. Ce sont là, nous l'avons dit, les marques du premier mode : le propre de l'illusion. Ce n'est pas non plus de faire garder les sens par l'intelligence, de n'être attentif qu'à cela, de ne pas voir dans l'âme la guerre que lui font les ennemis et de ne pas y prêter attention. Car ce sont là les marques du deuxième mode. Celui qui les porte est blessé par les démons, mais il ne les blesse pas. Il est meurtri, et il ne le sait pas. Il est réduit en esclavage, il est asservi, et il ne peut pas se venger de ceux qui font de lui un esclave, mais les ennemis ne cessent de le combattre ouvertement et secrètement, et le rendent vaniteux et orgueilleux.
Mais toi, bien-aimé, si tu veux ton salut, il te faut désormais te consacrer au commencement de ce troisième mode. Après la parfaite obéissance que tu dois, comme nous l'avons dit, à ton père spirituel, il est nécessaire de faire tout ce que tu fais avec une conscience pure, comme si tu étais devant la face de Dieu. Car sans obéissance, jamais la conscience ne saurait être pure. Et tu dois la garder pure pou trois causes. Premièrement, pour Dieu. Deuxièmement, pour ton père spirituel. Troisièmement, pour les autres hommes et pour les choses du monde.
Tu dois garder ta conscience pure. Pour Dieu, c'est-à-dire ne pas faire ce que tu sais ne pas reposer Dieu et ne pas lui plaire. Pour ton père spirituel : faire tout ce qu'il te demande, ne pas en faire plus, et ne pas en faire moins, mais marcher selon son intention et selon sa volonté. Pour les autres hommes : ne pas leur faire ce que tu as en aversion et ce que tu ne veux pas qu'ils te fassent. Pour les choses du monde : te garder de l'abus, autrement dit user de tout comme il faut, de la nourriture, de la boisson, des vêtements. En un mot, tu dois tout faire comme si tu étais devant Dieu, afin que ta conscience n'ait rien à te reprocher, quoi que tu fasses, et qu'elle n'ait pas à t'aiguillonner pour ce que tu n'as pas fait de bien. Suis ainsi la voie véridique et sûre du troisième mode de l'attention et de la prière, que voici.
Que l'intelligence garde le coeur au moment où elle prie. Qu'elle ne cesse de tourner dans le coeur. Et que du fond du coeur. elle adresse à Dieu ses prières. Dès lors qu'elle aura goûté là que le Seigneur est bon z, et qu'elle aura été comblée de douceur, elle ne s'éloignera plus du lieu du coeur, et elle dira les paroles mêmes de l'apôtre Pierre : "Il est bon d'être ici". Elle n'arrêtera plus de veiller sur le coeur et de tourner en lui, poussant et chassant toutes les pensées qu'y sème l'ennemi, le diable. À ceux qui n'en ont aucune idée et qui ne la connaissent pas, cette oeuvre salutaire paraît pénible et incommode. Mais ceux qui ont goûté sa douceur et ont joui du plaisir qu'elle leur donne au fond du coeur disent, avec le divin Paul: "Qui nous séparera de l'amour du Christ ?"
Car nos Pères, entendant le Seigneur dire dans le saint Évangile que c'est du coeur que sortent les mauvaises pensées, les meurtres, les prostitutions, les adultères, les vols, les faux témoignages, les blasphèmes, et que c'est là ce qui souille l'homme, entendant aussi l'Évangile nous demander de purifier l'intérieur de la coupe, pour que l'extérieur également devienne pur, ont laissé toute autre oeuvre spirituelle et se sont totalement adonnés à ce combat, c'est-à-dire à la garde du coeur persuadés que, par cette oeuvre, ils pourraient aisément acquérir toute autre vertu, dès lors qu'il n'est pas possible qu'aucune vertu perdure autrement. Cette oeuvre, certains parmi nos Pères l'ont appelée hésykhia du coeur, d'autres l'ont nommée attention, d'autres sobriété et vigilance, et réfutation, d'autres examen des pensées et garde de l'intelligence. C'est à cela que tous ont travaillé, et c'est par là que tous ont été rendus dignes des charismes divins. C'est pourquoi l'Écclésiaste dit : "Réjouis-toi, jeune homme, dans ta jeunesse, et marche sur les voies de ton coeur intègre et pur, et éloigne de ton coeur les pensées." L'auteur des Proverbes dit la même chose : Si la suggestion du diable t'assaille, "ne le laisse pas entrer dans ton lieu". Par lieu, il entend le coeur Et notre Seigneur dit dans le saint Évangile : "Ne vous laissez pas entraîner", c'est-à-dire ne dispersez pas votre intelligence ici et là. Il dit ailleurs : "Bienheureux les pauvres en esprit", c'est-à-dire : Bienheureux ceux qui n'ont dans leur coeur aucune idée de ce monde, et qui sont pauvres, dénués de toute pensée mondaine. Tous nos Pères ont beaucoup écrit là-dessus. Quiconque le veut peut lire ce que disent Marc l'Ascète, Jean Climaque, Hésychius et Philothée le Sinaïte, l'Abbé Isaie, le grand Barsanuphe, et bien d'autres.
En un mot, celui qui n'est pas attentif à garder son intelligence ne peut pas devenir pur en son coeur, pour être jugé digne de voir Dieu. Celui qui n'est pas attentif ne peut pas devenir pauvre en esprit. Il ne peut pas non plus être affligé et pleurer, ni devenir doux et paisible, ni avoir faim et soif de la justice. Pour tout dire, il n'est pas possible d'acquérir les autres vertus autrement que par cette attention. C'est donc à elle que tu dois t'appliquer avant tout, afin de comprendre par l'expérience ce dont je t'ai parlé. Et si tu veux savoir comment faire, je te le dis ici, autant qu'il est possible. Sois bien attentif.
Il te faut avant tout garder trois choses. D'abord ne te soucier de rien, tant de ce qui est raisonnable que de ce qui est déraisonnable et vain, c'est-à-dire mourir à tout. Deuxièmement, avoir une conscience pure : que ta conscience n'ait rien à te reprocher. Troisièmement, n'avoir aucun penchant: que ta pensée ne se porte vers rien de ce qui est du monde. Alors assieds-toi dans un lieu retiré, demeure au calme, seul, ferme la porte, recueille ton intelligence loin de toute chose passagère et vaine. Pose ton menton sur ta poitrine, sois attentif à toi-même avec ton intelligence et tes yeux sensibles. Retiens un moment ta respiration, le temps que ton intelligence trouve le lieu du coeur et qu'elle y demeure tout entière. Au début, tout te paraîtra ténébreux et très dur. Mais quand tu auras travaillé sans relâche, nuit et jour, à cette oeuvre de l'attention, ce miracle, tu découvriras en toi une joie continuelle. Car l'intelligence qui mène le combat trouvera le lieu du coeur. Alors elle voit au-dedans ce qu'elle n'avait jamais vu et qu'elle ignorait. Elle voit cet espace qui est à l'intérieur du coeur et elle se voit elle-même tout entière lumineuse, pleine de toute sagesse et de discernement. Désormais, de quelque côté qu'apparaisse une pensée, avant même que celle-ci entre, soit conçue et se forme, l'intelligence la chasse et la fait disparaître au nom de Jésus, c'est-à-dire avec l'invocation "Seigneur Jésus Christ, aie pitié de moi". C'est alors qu'elle commence à avoir les démons en aversion, qu'elle mène contre eux un combat sans relâche, qu'elle leur oppose l'ardeur naturelle, qu'elle les chasse, qu'elle les frappe, qu'elle les force à disparaître. Ce qui advient ensuite, avec l'aide de Dieu, tu l'apprendras seul, par l'expérience, grâce à l'attention de l'intelligence, et en gardant dans ton coeur Jésus, c'est-à-dire sa prière "Seigneur Jésus Christ, aie pitié de moi". Un Père dit en effet : "Demeure dans ta cellule, et elle t'apprendra tout".



(37) A l'époque, vers l'an mil, ce monastère comptait plus d'un millier de moines. Ce centre spirituel entra souvent en conflit avec la hiérarchie ecclésiastique comme avec l'empe-reur, pour la défense des principes fondamentaux du Christianisme. La "Règle de Studion" fut adoptée par de nombreux monastères orthodoxes.
(38) Nous ignorons son "nom de maissance".