CHAPITRE VI
DE LA MERVEILLEUSE PROPAGATION DU CULTE DE SAINTE PHILOMÈNE
Le miracle sans contredit le plus grand de tous ceux que le Seigneur a opérés en faveur de notre sainte martyre, est l'étonnante rapidité avec laquelle s'est propagé son culte. Semblable à la lumière qui, en quelques instants, franchit l'espace immense qu'il y a du ciel à la terre, le nom de sainte Philomène, surtout depuis la sueur miraculeuse de 1823, a parcouru le monde. Les livres qui parlent de ses miracles, les images où elle est dépeinte, ont été portés par de zélés missionnaires dans la Chine, dans le Japon et dans plusieurs établissements catholiques de l'Amérique et de l'Asie. En Europe, son culte va s'étendant chaque jour davantage, non seulement dans les campagnes et les bourgades, mais encore dans les cités les plus illustres et les plus populeuses. Les grands et les petits, les pasteurs ainsi que leurs ouailles, s'unissent pour l'honorer. A leur tête l'on voit des cardinaux, des archevêques, des évêques, des chefs d'ordres religieux et des ecclésiastiques recommandables par leurs dignités, leur savoir et leurs vertus. Du haut de la chaire chrétienne, les orateurs les plus éloquents publient sa gloire ; et tous les fidèles qui la connaissent, dans le royaume de Naples surtout, et dans les pays voisins, où ils se comptent par millions, lui donnent d'une commune voix le nom de Thaumaturge. Le pape Léon XII se plaît à parcourir l'ouvrage de don François de Lucia ; pénétré d'une haute admiration pour Philomène, il la proclame la grande sainte, et bénit, dans les termes les plus affectueux, les jeunes filles qui, sans quitter le monde, se vouent, sous son patronage, à la pratique de la perfection évangélique. Grégoire XVI ne dédaigne pas de bénir lui-même solennellement une de ses images, destinée à recevoir un culte public dans la capitale du monde chrétien ; il autorise dans le diocèse de Nole, dans le reste du royaume de Naples, et même dans les États-Romains, la fête de la sainte martyre, et le clergé peut en dire la messe et en réciter l'office.
La France a aussi une grande vénération pour notre Thaumaturge. On trouve sa statue ou son image dans beaucoup de nos églises ; dans leur confiante piété, les mères aiment beaucoup à donner son nom comme une sauvegarde à leurs petites filles ; on recherche avec empressement ses médailles, et elle est aujourd'hui le refuge de toutes les misères.
Parmi les nombreux sanctuaires dédiés, en France, à sainte Philomène, celui d'Ars, au diocèse de Belley, mérite une mention spéciale. Elle était l'amie de prédilection de ce bon M. Viannay, le vénérable serviteur de Dieu, dont le nom, déjà invoqué par les fidèles avec une inébranlable confiance, sera sans doute bientôt publiquement honoré par l'Église universelle. Il l'appelait toujours sa chère petite sainte. Il avait établi, dans son église, un pèlerinage en son honneur, et rendu son culte populaire dans toute la contrée. La sainte, de son côté, ne voulut point se laisser vaincre en générosité, de sorte qu'il y eut entre eux comme une rivalité d'humilité et de bons offices. C'est toujours à sainte Philomène que le curé d'Ars attribuait les miracles qui se faisaient chez lui ; sainte Philomène, à son tour, multipliait les merveilles à la prière du bon curé, qui s'empressait de les mettre sur son compte, et qui se fâchait quelquefois du retentissement des prodiges opérés dans sa paroisse. Sous cette double influence de vertus, l'église d'Ars était devenue le théâtre de prodiges continuels, et le Seigneur, qui est toujours admirable dans ses saints, se plaisait par eux à consoler son peuple.
Une sainte et noble femme, mademoiselle d'Halewyn, a fondé, à Liettres, au diocèse d'Arras, un pèlerinage fréquenté en tout temps, mais surtout pendant la neuvaine, par les fidèles de la contrée et par les catholiques populations de la Flandre. Sainte Philomène y a laissé déjà bien des marques de sa puissante protection.
Le diocèse d'Arras possède encore plusieurs sanctuaires voués à notre sainte martyre ; ce sont ceux de Notre-Dame, à Saint-Omer ; de Saint-Pierre, à Aire ; de Fruges, de Ruits et de Laires.
Enfin notre sainte vient de prendre possession de notre église de Crépy. Nous avons placé sur un de nos autels sa relique précieuse, cadeau inestimable qui nous avait été fait avec plusieurs autres, par l'un des généreux défenseurs du Pie IX, à Castelfidardo. Le souvenir d'Arthur Guillemin reportera tout naturellement notre pensée vers le Saint-Siège, et, en priant pour le bienfaiteur, nous prierons aussi pour notre bien-aimé Pontife et Père, et nous demanderons à Dieu que la glorification de sainte Philomène soit l'aurore de la paix de l'Église, comme l'avait été son martyre au IIIe siècle.
Si nous ne devions pas avoir d'autres lecteurs que nos paroissiens, nous exposerions ici, ad rei memoriam, le détail des scènes émouvantes dont nous avons été témoin, et des ineffables sentiments dont notre coeur déborde. Qu'il nous soit au moins permis de dire que sainte Philomène a été bien reçue à Crépy, le 10 Août 1862. Toute la paroisse s'était préparée à la fête, en suivant, malgré les difficultés de la saison, les exercices spirituels du Triduum, prêché par le R. P. Raphaël, de l'ordre des frères mineurs capucins ; le tiers de la population commença la journée du dimanche par la réception de la divine Eucharistie, et plus tard, quand la procession déploya dans les rues ses groupes gracieux, tout le pays d'alentour s'était venu joindre à la paroisse pour acclamer le triomphe de sainte Philomène.
Nous n'avons pas encore de statue, mais nous avons une belle toile, sortie des ateliers catholiques de M. Migne. Elle représente le Sacré-Coeur de Jésus, et sainte Philomène à genoux, en face du Sauveur, dans une sorte d'extase. L'artiste a su parfaitement concilier, dans l'attitude et les traits du Sauveur, la douceur et la majesté. Sainte Philomène est plus exposée à des jugements divers. C'est bien là pourtant le profil grec, correct, mais sévère ; et cette sorte de raideur, que quelques-uns voudront imputer à l'artiste, rappelle la pensée de la Minerve antique. L'auteur s'est inspiré de son sujet : une tunique blanche, symbole de la pureté virginale, et, par-dessus, une robe grecque, de couleur pourpre, symbole du martyre, composent le vêtement de la sainte. Sa tête est nimbée ; mais on entrevoit encore la guirlande qui ceint sa chevelure. Elle a les mains jointes et le regard fixé sur le Sauveur son époux. À ses pieds est une couronne renversée, et, devant elle, on voit, sur le pavé, la palme du triomphe et deux flèches disposées en sens inverse.
La combinaison de ce tableau répond bien à la double destination d'un autel qui, dédié au Sacré-Cur de Jésus par Mgr de Pressy, offre, dans un reliquaire apparent, un ossement de sainte Philomène. Elle ne présente rien non plus de contradictoire avec ce que nous savons de la vie de notre nouvelle protectrice.
Espérons qu'à Crépy, comme partout où on lui a érigé des autels, sainte Philomène manifestera sa puissance et sa bonté par de nombreux bienfaits.