CHAPITRE I

LES DOUZE SENTENCES SUR L'AMOUR DE JÉSUS
 
OU DIALOGUE DES DOUZE VIERGES SAGES

 

Douze vierges, un jour, devisèrent ensemble,
Des charmes infinis de Jésus, leur époux,
Dont l'insigne beauté rend les anges jaloux ; 
Et, comme l'univers n'a rien qui lui ressemble,
Elles louaient l'Amour, l'Amour suave et doux.
 
 

La Première disait: Mon coeur est tout de flamme
Pour le nom adoré de Jésus, mon sauveur ;
Et, comme sa vertu réconforte mon âme, 
Jamais amour humain ne sera mon vainqueur ! 
Jésus seul est parfait ! Jésus seul est aimable
Et sa divinité nous le rend adorable.
 
 

La Seconde disait : Oh ! que je l'aimerai,
Quand je pourrai connaître où son amour commence 
Mais je l'ignore, hélas ma funeste indolence
Me prive de ses dons car je vous avouerai
Que, trop souvent coupable et toujours agitée
De mille soins divers mon âme est tourmentée. 
 
 

La Troisième disait : Il vient toujours à moi
Comme un ami bien tendre, et promet à ma foi 
De merveilleux joyaux, d'ineffables délices ;
Mais, je ne sais comment et par quels artifices 
Il s'évade soudain, tel un hôte inconstant ; 
Et je suis vainement ses lumineuses traces, 
Pour le revoir encore et jouir de ses grâces. . .
Certes, il est peu sage et peut-être imprudent, 
De chanter un beau jour, avant que les étoiles 
Ne brillent dans un ciel tout d'azur et sans voiles, 
 

La Quatrième disait: Il y va de l'honneur 
De n'exiger pour soi, paresseuse et frivole, 
Le prix du pur amour, qu'après que le labeur 
Est enfin terminé... Pour ceindre l'auréole, 
Il faut que tout vainqueur 
Au baiser de la Gloire ait disposé son coeur...
Mais, on voit trop souvent ouvrier mercenaire, 
Refusant le labeur, se plaindre du salaire.
 
 

La Cinquième disait: L'amour de mon Jésus
Me cause tant d'alarmes,
Que mon coeur et mes sens demeurent sous les larmes. 
Et je ne sais à qui parler de ses abus :
J'ai beau me donner toute, il réclame sans cesse! 
Occupé jour et nuit à tromper ma faiblesse,
Il fait à ma candeur mille et mille larcins,
Sans que je puisse au moins déjouer ses desseins.
Ce commerce inégal et le peu de largesse
De mon divin amant, expliquent ma détresse.
 
 

La Sixième disait : O l'étrange discours 
Et la folle requête Ainsi donc, tous les jours
Notre Maître Jésus serait l'hôte prodigue ?
A cet amour sans borne il faut mettre une digue.
Femmes, vous côtoyez la route de l'erreur
Et votre langue impie offense le Seigneur. 
C'est trop de liberté de sens ou de parole
Que le vrai repentir inspire votre rôle !
Car, il faut pour parler de l'amour de Jésus,
De crainte et de respect être moins dépourvus.
 
 

La Septième disait : Mon âme est affamée 
De l'amour que Jésus a pour sa bien aimée !
Mais quand même j'aurais tout le trésor divin
Qu'il peut verser à flots dans une âme qui l'aime,
Il me paraîtrait vain
Et ne suffirait pas, en dehors de lui-même,
Pour apaiser ma faim.
La Mort, lente à venir, me semble nécessaire
A l'essor d'un amour que je veux satisfaire.
 
 

La Huitième disait : Oui, le Seigneur Jésus
Est l'aliment divin qu'on goûte dans la joie.
A son banquet sacré les coeurs purs sont reçus
Et, comme l'amour vrai jamais ne se fourvoie, 
Ses ardents zélateurs ne seront pas déçus. 
Il est mien, ce Jésus, et je suis toute sienne
Rien ne peut. empêcher que mon âme appartienne 
A ce Dieu rencontré par un heureux hasard. 
 
 

Comme on ouvre une noix, je l'ouvris sans retard : 
Il faut être bien fou pour dédaigner l'amande !
Cachée à l'oeil profane, elle est douce et gourmande : 
Elle fait des élus les délices sans fin ;
Et c'est elle qui peut satisfaire leur faim.
Or, je veux sans détour vous dévoiler mon âme : 
Si j'avais tout pouvoir que comporte ma flamme, 
Jésus serait lui seul mon Seigneur et mon Dieu ; 
Tant il fait bon servir son amour en tout lieu, 
Et boire à son calice est, le meilleur dictame.
 
 

La Neuvième disait : Que l'amour de Jésus,
Hélas ! me laisse seule !.. Il me faut à toute heure
Marcher en des chemins qui me sont inconnus ;
Tout me trompe et me leurre ;
Des douceurs de jadis rien ne me reste plus
C'est comme une gageure
Un état si pénible est pour moi plein d'ennui
Jésus m'a pris mon coeur et bien loin s'est enfui
 
 

La Dixième disait : Que l'amour est suave
De mon Seigneur Jésus, dont je reste l'esclave!
Il pénètre mon âme et me donne à goûter
Son vin délicieux... Ma coupe est toute pleine
Dieu bon ! puis-je sans perdre haleine,
Vers de plus hauts sommets tendre encore et monter, 
Lorsque toute ravie en ta face sereine 
L'âme boit à longs traits ce breuvage de reine,
Est-il d'autres amours qui puissent l'enchanter ?
 
 

La Onzième disait : Que désirer encore ? 
Ne suis-je point perdue en celui que j'adore,
Et dont l'attrait fait seul le bonheur des élus ? 
Ne suis-je point plongée en l'insondable abîme,
Où l'on goûte avec Dieu la paix la plus intime ; 
Et dont l'âme ne revient plus ?
 
 

La Douzième disait - Quel bien ne puis-je faire ? 
Ma volonté s'émeut : Il faut la satisfaire ?
Car l'amour ne saurait demeurer inactif...
L'amant de la vertu la pratique sans cesse
Et, loin des passions, toujours contemplatif,
Il adore sans fin la divine sagesse :
Puis, son âme se plonge en l'essence de Dieu 
Et dans ce bain d'amour qui procure l'ivresse, 
Il goûte le bonheur, en tout temps, en tout lieu, 
Dans l'état de quiétude où l'âme satisfaite 
Mène la vie heureuse, ineffable et parfaite.
 
 

Et les Vierges chantaient en l'extase d'amour :
Quand l'Amour nous presse,
Publions sans cesse,
En de doux accords,
Ses divins transports
Chantons le mystère,
Qui voile à nos yeux
L' Amour sur la terre
Et le montre aux cieux !
Oh ! comme il nous aima notre Père céleste,
Qui, des hauteurs des cieux, fit descendre son fils,
Pour guérir les humains de la mortelle peste,
Et, par la mort d'un Dieu, rouvrir le Paradis !
Vivons à notre tour, comme vécut lui-même
Ce divin Rédempteur d'où viennent tous les dons
Il mettra sur nos fronts
L'éternel diadème ;
Afin que, par les pleurs,
Arrivés à la gloire
Et guéris des douleurs,
Nous chantions la victoire
De l'Agneau, Fils de Dieu,
 

Mort pour briser nos fers et occir la mort même
Du sublime géant qui ravit de ce lieu
Vers les divins sommets, l'âme éprise qui l'aime.