RUYSBROECK - TOME 4 : LE LIVRE DU TABERNACLE SPIRITUEL PROLOGUE
« Courez de telle manière que vous atteigniez le but
(1) ! » Telles sont les paroles de saint Paul aux habitants de Corinthe ainsi qu'à nous tous.
Nous y pouvons observer trois choses premièrement, lorsqu'il dit : « Courez », il nous commande à tous de courir spirituellement, c'est-à-dire par l'amour. Ensuite, en disant « de telle manière », il nous invite à considérer comment nous courons, afin de pouvoir le faire sagement. Enfin, il veut que nous regardions le terme de notre course et l'objet de notre poursuite, afin que nous ne le manquions pas, mais que nous arrivions à l'atteindre et à le posséder.
Tous les hommes doivent nécessairement courir la course de l'amour, qu'ils poursuivent Dieu ou les créatures. Et rien n'est prompt et subtil comme le mouvement de l'amour. C'est pourquoi l'homme doit s'observer, lui-même et voir si la course de son amour est dirigée vers Dieu : car, s'il en est ainsi, il l'atteindra sûrement. Mais si c'est vers les créatures, elles lui échapperont toujours, car il perdra tout ce qu'il aime. Par là vous pouvez comprendre qu'il nous faut tous courir ; aussi est-il bon que nous ordonnions notre course de telle façon que, suivant l'enseignement de saint Paul, nous trouvions et obtenions tout ce que nous cherchons.
Or nous avons de ceci une figure, qu'il nous faut considérer attentivement dans la description donnée par le prophète Moïse de ce qui lui fut montré par Dieu sur la montagne du Sinaï. Elle se trouve en son second livre, appelé l'Exode d'Égypte des enfants d'Israël vers la terre qui leur avait été promise par Dieu. La figure, dont je veux parler, est celle de l'arche et du tabernacle, avec tout ce qui en faisait partie. Dieu en avait ordonné la construction, et tous les détails devaient en être montrés à Moïse sur la montagne. Et c'est là que Dieu voulait vivre au milieu de son peuple, manifestant son dessein par tout ce que figuraient le tabernacle et les objets destinés à son culte.
Le prophète Moïse nous décrit sept particularités qui se rapportent toutes à une sage course d'amour. Et dans chacun de ces détails on trouve Dieu et on le possède, toujours avec plus d'amour, plus d'intime expérience et plus d'intelligence, à mesure que l'on monte les degrés qui appartiennent à l'amour. Au premier, l'homme est déchargé et délivré de tous péchés, ce qui tient lieu de tout le reste, si le temps vient à manquer. Au second et au troisième, la partie sensible est ornée à l'extérieur et à l'intérieur par les bonnes mœurs et les affections, conformément à la volonté de Dieu et à ses commandements. Au quatrième et au cinquième, l'entendement et la volonté sont ornés d'intelligence et d'amour, pour la louange et l'honneur de Dieu. Au sixième degré, toutes les vertus sont amenées à la perfection, selon la très chère volonté de Dieu. Au septième, on entre dans le repos, et alors on possédera et on saisira ; tout en saisissant, on courra, et tout en courant, on saisira et c'est vie éternelle.
(1) 1ère Cor., IX, 24. |