RUYSBROECK - TOME 4 : LE LIVRE DU TABERNACLE SPIRITUEL


CHAPITRE XI

DES RIDEAUX DU TABERNACLE.


   Le Seigneur dit à Moïse ces paroles : « Vous ferez dix rideaux de fin lin retors, de couleur d'hyacinthe, de pourpre et d'écarlate teinte deux fois. »

   Vous remarquerez que le Seigneur ordonna de faire d'abord le toit du tabernacle et ensuite les parois, qui devaient porter et soutenir le toit. Ceci nous montre que souvent il faut pratiquer longtemps la vertu, avant de reconnaître clairement le fond des vertus, qui porte et soutient la vertu dans sa splendeur.

   Par ces dix rideaux que nous devons faire, nous entendons la plénitude de la loi dans les exercices intérieurs, moyennant notre perception raisonnable qui est douée de cinq sens spirituels se tournant à l'intérieur vers Dieu et à l'extérieur vers tous les hommes, conformément aux dix commandements. Cet exercice raisonnable qui s'applique à l'extérieur et à l'intérieur, selon la loi et les commandements du Seigneur, doit être comme revêtu de quatre couleurs. La première est blanche, comme celle de l'étoffe de byssus, la deuxième d'azur, la troisième violette, la quatrième écarlate teinte deux fois. Par là nous entendons que chaque vertu en nous doit avoir quatre couleurs, c'est-à-dire qu'on doit les accomplir de quatre façons.

   La première couleur doit être celle du byssus à double maille, la blancheur éclatante du fin lin. Cela nous apprend que nous devons être simples et candides, c'est-à-dire ne nous rechercher en aucune chose ni poursuivre notre propre intérêt. Ainsi possédons-nous le commencement de toutes œuvres vertueuses. Et c'est pourquoi la chaîne de tous les rideaux était de byssus à double maille. De même la chaîne de toutes nos vertus doit-elle être dans sa simplicité doublement solide, et ainsi pourrons-nous y tisser toute vertu et pas autrement. Si donc nous voulons être simples et candides, il nous faut composer la trame de toutes les vertus, de telle sorte que nous ne recherchions ni poursuivions comme fin principale notre profit et notre satisfaction, en choses temporelles ou spirituelles quelconques. Ce sera une chaîne de byssus double.

   La première trame à. y insérer doit être de même sorte ; car même si la chaîne, qui représente l'état de vie que nous devons embrasser, est simple, d'une blancheur éclatante et lisse, nous devons pourtant lutter en toutes nos œuvres pour conserver cette même candeur. Car l'ennemi, le monde et notre propre nature nous tentent pour que nous nous recherchions nous-mêmes et que nous poursuivions notre satisfaction. Ainsi la chaîne de nos vertus devient souillée et gâtée par l'insertion de cette trame impure. C'est ce qui arriva à Adam, notre premier père, qui avait été créé par Dieu en état de pureté et d'innocence ; et sous l'effort de la tentation il délaissa Dieu et rechercha satisfaction. Par là même il perdit l'état d'innocence à cause de cette trame impure. C'est pourquoi si nous voulons que notre vie demeure innocente, nous devons résister à nous-mêmes et nous vaincre en toutes choses, et alors nous aurons tendu la chaîne pour toute vertu ; et à chaque victoire par laquelle nous gardons l'innocence, nous tissons un fil de même nature. C'est la première couleur de tous les rideaux, qui figurent toutes nos vertus.

   La deuxième couleur à insérer, c'est l'hyacinthe, c'est-à-dire l'azur. Elle paraît foncée ou claire, selon que l'air est plus ou moins éclairé des rayons du soleil. Par là nous entendons une parfaite discrétion à l'intérieur, que nous devons garder en toutes nos œuvres. Cette discrétion est toujours éclairée par la lumière céleste, c'est-à-dire par la grâce de Dieu, plus ou moins selon que chacun est illuminé par Dieu. Telle est la seconde couleur qui appartient à chaque rideau, symbole de chaque vertu.

   La troisième couleur doit être de pourpre teinte du sang de coquillages qui vivent de la rosée du ciel. Par là nous entendons la générosité foncière, car elle fait courir le sang de l'homme dans toutes ses veines et réchauffe et réjouit toute sa nature. Cette générosité foncière nage dans la grâce de Dieu comme le poisson dans l'eau. Et le cœur généreux vit de la rosée du ciel, c'est-à-dire des visites spéciales du Saint-Esprit. Si donc nous accomplissons toute œuvre vertueuse d'un cœur joyeux et généreux, alors Dieu nous aime, et ainsi nous possédons la troisième couleur qui orne les rideaux du tabernacle, figures de toutes les vertus.

   La quatrième couleur c'est l'écarlate, c'est-à-dire le rouge de feu, qui provient d'une double teinture, empruntée au sang de petits vermisseaux, vivant de la verdure des arbres du désert. Par là nous entendons la charité qui orne et achève toutes les vertus. Elle est doublement rouge et semblable au feu, car elle nous unit à. Dieu et à notre prochain, comme le feu s'unit et s'identifie tout ce qu'il pénètre. Si nous consentons à être d'humbles petits vermisseaux, à fuir ce que le morde recherche et à vivre dans le désert, loin de toute créature, nous prendrons notre nourriture dans le gracieux feuillage vert des exercices célestes. C'est ainsi que nous pouvons produire la noble couleur rouge qui orne toutes les vertus. Car celui qui pratique la charité dans les vertus consume d'amour et de ferveur son propre sang, pour l'honneur de Dieu, au service de son prochain ; et ainsi il a la couleur de feu qu'on appelle flambante, parce que la charité consume tous les défauts et achève toutes les vertus. C'est pourquoi il porte sur les épaules le vêtement nuptial, ce noble man-teau d'écarlate, que le Christ, notre sublime et humble amant, porta au jour de l'amour, quand il consuma son sang par amour et acheva l'œuvre de la plus haute charité, en l'honneur de son Père et pour le service de tous les hommes. Et en signe de son amour il portait le manteau rouge, et en signe de sa générosité une robe de pourpre ; car il était alors Époux au jour de la grande solennité, et il voulait nous faire comprendre qu'il est un roi généreux et un prince de parfait amour.

   Voyez, ainsi chaque rideau était composé de ces quatre couleurs que je vous ai nommées. De la même façon devons-nous accomplir chaque vertu selon un quadruple mode ; car l'état de vie que nous avons embrassé doit être rempli d'innocence, qui est comme la chaîne pour toutes les vertus ; et cette innocence, nous devons la conserver par la lutte en toutes bonnes œuvres, car c'est par l'innocence que l'accomplissement de toutes les vertus est affermi ; et c'est pourquoi elle est la chaîne et la première trame de toute vie vertueuse. De plus en toute vertu nous devons être discrets, généreux de cœur et pleins de charité. Telles sont les quatre couleurs principales qui ornent toutes les vertus suivant la volonté de Dieu.

   Sur ces quatre couleurs le Seigneur ordonna à Beseleel et à Oliab d'appliquer et de coudre des ouvrages divers de broderie. De la même façon notre volonté docile et notre intelligence devront introduire dans les quatre couleurs toute sorte d'ornements de vertus.

   Dans la couleur blanche de l'innocence nous devons insérer des roses rouges, qui signifient que nous devons résister à tout ce qui s'oppose à la vertu ; ainsi conservons-nous la pureté et nous crucifions notre propre nature : ce sont là. des roses rouges d'un parfum agréable, et qui habillent bien la couleur blanche. Dans la même innocence il nous faut broder des boutons d'or, par où nous enten-dons l'obéissance ; car, quand le soleil se lève à l'orient, le bouton d'or s'ouvre vers les rayons du soleil et il tourne toujours, penchant sa corolle vers la chaleur du soleil, jusque vers l'occident. Et la nuit il se referme, et cache ses couleurs, et il attend de nouveau le lever du soleil. De la même façon nous devons par l'obéissance épanouir notre cœur à l'irradiation de la grâce de Dieu, et humble-ment en nous penchant suivre la grâce divine, aussi longtemps que nous ressentons la chaleur de l'amour. Et quand l'irradiation de la grâce cesse de nous toucher à nouveau et que nous ne ressentons plus que peu ou point de chaleur, alors c'est la nuit durant laquelle nous devons fermer notre cœur à tout ce qui peut nous tenter, et ainsi nous cacherons la couleur d'or de l'amour, et nous attendrons qu'à nouveau se lève le soleil, qu'il nous illumine de sa lumière et nous touche de ses rayons. Ainsi pourrons-nous conserver toujours l'innocence dans toute sa beauté.

   Dans la couleur d'hyacinthe qui ressemble à l'azur du ciel, nous broderons des oiseaux aux plumages divers ; c'est-à-dire que nous appliquerons notre raison, avec une attention éclairée, à la vie et aux œuvres des saints, qui sont multiples. Ce sont là comme des plumes diverses, gracieuses et admirables, qui leur servaient d'ornements et grâce auxquelles ils se sont envolés vers la vie éternelle. Nous suivrons au repos éternel ces oiseaux dont nous parlons, si nous voulons bien les imiter dans leur beau plumage.

   Dans la pourpre, qui est violette ou rouge sang, e qui représente notre générosité, nous mettrons la fleur des eaux, le nénuphar, qui signifie une possession libre de toute la richesse de Dieu. Car dans le nénuphar nous remarquons quatre choses : il se tient toujours au-dessus de l'eau ; il a quatre feuilles vertes qui le soutiennent sur l'eau ; il est fixé dans le sol et en haut il s'ouvre au soleil ; il est un remède pour ceux qui sont en fièvre. Ainsi par la générosité nous possédons avec liberté d'esprit les grandes eaux de toute la richesse de Dieu. Et entre cette libre possession de notre esprit et les eaux des libéralités divines, nous devons avoir des feuilles vertes, c'est-à-dire que nous devons contempler avec amour comment la générosité éternelle de Dieu abonde toujours en dons nouveaux, et comment ces dons s'épanchent différemment suivant les bien-aimés qui les reçoivent. Par là nous verrons aussi que la cause principale de tous les dons est le fonds généreux de l'amour de Dieu, et la cause prochaine, le fonds généreux et sage de la créature, qui arrive à ressembler à Dieu. Car nul ne peut connaître ni posséder la richesse des dons de Dieu, si ce n'est l'homme sage et généreux qui, de la richesse de Dieu, peut donner à toutes les créatures avec sagesse et générosité. C'est ainsi que nous pouvons orner la générosité : par là nous sommes affermis dans le sol de tous les dons, c'est-à-dire dans le Saint-Esprit, comme le nénuphar est affermi dans le sol des eaux. Et nous devons au-dessus de toutes choses épanouir notre cœur à la vérité et au soleil de justice ; et ainsi serons-nous comme un remède pour tous, car le cœur généreux qui possède la richesse divine doit enrichir, consoler, désaltérer et rafraîchir tous les affligés. C'est ainsi qu'il nous faut orner la couleur de pourpre.

   Dans l'écarlate, c'est-à-dire dans la charité de feu, nous mettrons des étoiles brillantes, qui signifient une prière intime et dévote pour le bien de notre prochain, ainsi que des exercices dignes et secrets entre nous et Dieu. Ce sont là des étoiles qui, par la clarté qu'elles possèdent, illuminent toute l'étendue du ciel et de la terre, et elles nous rendent nous-mêmes lumineux et féconds à l'intérieur, et elles nous affermissent au firmament de la vie éternelle.

   Enfin en ces quatre couleurs nous mettrons la parure de toutes les vertus, que pourront imaginer notre volonté libre et notre intelligence, dans une parfaite docilité. Et ainsi nous possédons la réalité signifiée par les rideaux ornés du tabernacle des juifs.


*
*   *

   Le Seigneur parla encore comme il suit : « La longueur de chaque rideau sera de vingt-huit mesures et la largeur de quatre. Tous les rideaux auront la même mesure. »

   À ce propos vous devez savoir que chaque rideau avait de chaque couleur sept bandes arrangées et disposées comme je l'ai dit ci-dessus. Ce qui faisait vingt-huit bandes, et chaque bande était large d'une mesure, ce qui faisait vingt-huit mesures. C'était la longueur de chaque rideau.

   Par là nous apprenons que chaque vertu doit avoir semblablement vingt-huit mesures de longueur, car elle doit prendre son point de départ et son terme dans la plénitude des grâces de Dieu. Tout homme de bien, en effet, moyennant la plénitude de grâces que Dieu lui a départies d'une façon particulière accomplit la loi des dix commandements d'une manière qui lui est propre. Ce qui doit se faire par sept vertus principales, accomplies chacune de quatre façons, comme je l'ai dit ci-dessus.

   Et dans la plénitude des grâces, où toutes ces vertus trouvent leur origine et leur terme, elles forment un état spirituel et une vie. C'est pourquoi chaque vertu a dans son fond, la longueur de toutes les autres ; car elle prend son origine dans la couleur blanche de l'innocence et elle demeure innocente, et elle trouve son achèvement dans l'écarlate de la charité.

Chaque rideau avait quatre mesures de largeur, ce qui nous apprend que nous devons étendre nos vertus à l'intérieur vers Dieu, à l'extérieur vers tous les hommes. Et cela doit se faire de quatre façons en chaque bonne œuvre ; car toute bonne œuvre doit avoir nécessairement quatre propriétés : accomplie avec innocence, prudence, générosité et charité. Et chacune de ces quatre propriétés comprend les trois autres, car elles sont inséparables. C'est pourquoi chaque bande de la trame traversant les rideaux avait quatre mesures de longueur, ce qui donnait la largeur de chaque rideau.


*
*   *

   Le Seigneur parla de nouveau et dit : « Vous joindrez ensemble cinq rideaux pour en faire un seul voile, et de même pour les cinq autres. Et vous ferez de part et d'autre cinquante cordons de couleur d'hyacinthe, sur les côtés et en haut des rideaux Ils seront cousus de telle façon que chaque cordon s'ajuste à l'autre et que les cinquante cordons puissent être joints aux autres par cinquante anneaux d'or qui réuniront les deux parties des rideaux, pour n'en faire qu'un seul tabernacle (1). »

   Par là nous entendons qu'il nous faut recueillir nos sens intérieurs, c'est-à-dire notre sens spirituel, et les tenir libres de s'appliquer intérieurement à ce que l'intelligence. éprouve et de rentrer dans la vérité que Dieu montre. Et c'est ainsi que nous sommes instruits intérieurement de la véritable loi des vertus et des commandements du Seigneur. De même devons-nous avec la même liberté, avec une intelligence capable de les goûter, nous appliquer extérieurement aux saintes Écritures et aux exemples des saints. Et ainsi nous est enseignée extérieurement la même règle des vertus et des commandements du Seigneur. Ce double regard qui se tourne à l'intérieur et à l'extérieur est représenté par les deux toiles de dix rideaux, figures de l'union des vertus et des commandements du Seigneur.

   Chacune des deux toiles avait cinquante cordons de couleur d'hyacinthe, pour lesquels étaient préparés cinquante anneaux d'or, destinés à réunir les cordons. Par là nous comprenons qu'il nous faut porter en notre sens spirituel un désir amoureux d'accomplir la loi divine, avec toutes les vertus, pour l'honneur de Dieu. Or il y a pour nous cinq sens spirituels, et chacun d'eux aime et désire accomplir, en l'honneur de Dieu, les dix commandements et toutes les vertus. C'est pourquoi chacun d'eux a ses dix anneaux d'or, ce qui fait pour les cinq sens cinquante anneaux. Et en chaque anneau s'unissent deux cordons, un pour chacune des deux toiles. Chaque cordon représente un regard éclairé porté vers l'extérieur ou vers l'intérieur, pour voir si la vérité qui nous est enseignée extérieurement et celle qui nous vient de l'intérieur concordent entre elles. De la sorte les rideaux qui représentent les vertus n'auront pas de plis, mais seront toujours tendus d'une façon bien unie par les anneaux d'or du désir amoureux.

   Une fois unis en une seule couverture, les rideaux avaient ensemble une largeur de quarante mesures et une longueur de vingt-huit. Et ainsi la largeur des rideaux faisait la longueur de la couverture, et la longueur des rideaux faisait la largeur de la couverture. Par là nous entendons la commune observation de toutes les vertus et de tous les commandements, de façon à former un parfait état spirituel. Car les sept vertus accomplies et possédées de quatre façons font vingt-huit mesures ; elles nous ornent et nous instruisent d'une part en innocence et en tout ce qui peut nous faire avancer, et elles nous protègent d'autre part contre tout ce qui pourrait nous gêner ou nous retarder. C'est ainsi que les sept vertus font la largeur de l'état spirituel.

   Les dix commandements en font la longueur, car les sept commandements accomplis et possédés de quatre façons nous ordonnent extérieurement et d'une façon vertueuse à l'égard du prochain, en vingt-huit mesures ; et les trois autres commandements nous joignent d'une façon vertueuse intérieurement à Dieu par douze mesures. Et ainsi nous avons la longueur de quarante mesures.


*
*   *

   Vous saurez encore que le tabernacle avait la forme d'un carré, sauf pour la longueur. Car les parois avaient dix mesures de hauteur de chaque côté et le dessus formait une surface plane large de dix mesures, aussi bien que le sol à l'intérieur. Ce qui donnait en superficie trente mesures, sans compter le sol. Et il était long de trente mesures, orienté d'est en ouest comme nos églises. À l'est, du côté de l'orient, le tabernacle était entièrement ouvert ; tandis qu'à l'ouest il était complètement fermé. Or la couverture formée par les rideaux n'avait que vingt-huit mesures de largeur, et c'est pourquoi il lui manquait une mesure de chaque côté du tabernacle, et elle ne touchait pas la terre. Par là nous entendons que le fond de notre libre arbitre est simple et sans mode, indéterminé par rapport à toute vertu. Il demeure toujours vide en lui-même, sans jamais recevoir la détermination d'aucune œuvre vertueuse. Et par la force de sa liberté il se porte vers tous les modes de vertus en s'élevant au-dessus de lui-même ; car il cherche toujours l'honneur de Dieu et pas autre chose. Et c'est pourquoi les vertus, figurées par les rideaux du tabernacle, ne peuvent toucher ce fond du libre arbitre. Car en lui-même ce fond n'est autre chose qu'amour et liberté essentiels. Et c'est pourquoi toutes nos facultés avec toutes leurs œuvres sont dans le fond de notre libre arbitre simples et indéterminées et s'identifient avec lui.

*
*   *


   Après cela vous saurez qu'à l'extrémité occidentale du tabernacle, les rideaux de la couverture pendaient par-dessus le tabernacle sur une longueur de dix mesures et une largeur de vingt-huit. Et ce côté de la couverture, de dix mesures de hauteur, était séparé en trois parts, ayant chacune neuf mesures de largeur, tout le long du tabernacle. Mais la partie du milieu, qui pendait tout droit d'en haut, avait dix mesures de longueur et de largeur comme le tabernacle. La partie qui venait du côté droit était repliée sur le côté gauche, et la partie gauche sur le côté droit, de façon à ce que les rideaux fussent en double à l'occident du tabernacle. Et il pendait également une mesure au-dessus de la terre comme sur les côtés, car c'était la même largeur. Mais de ces trois la portion du milieu, qui descendait d'en haut et avait dix mesures de longueur et de largeur, recouvrait les deux autres portions, parce qu'elle descendait jusqu'à terre, une mesure au-dessous de tous les rideaux, et ainsi la couverture des rideaux se trouvait pliée en trois, à la face occidentale du tabernacle.

   Par là nous apprenons que l'état parfait de toutes les vertus est triple dans la partie supérieure de notre tabernacle, c'est-à-dire dans l'unité de nos puissances supérieures. Car notre mémoire possède la vérité et toutes les vertus, en plongeant le regard dans l'entendement, parce que c'est là que s'enseignent tous les modes de vertus. Et l'intelligence s'unissant à la mémoire possède la même vérité avec toutes les vertus, en plongeant le regard dans la mémoire. Car c'est là que tous les modes de vertus sont possédés et conservés. Mais elles ne touchent pas le fond de l'unité, car elles sont toutes deux déterminées par les modes des vertus. Et c'est pourquoi les rideaux qui représentent les vertus descendent seulement de neuf mesures de chaque côté et aussi à la face occidentale du tabernacle. Car tous les modes parfaits des vertus sont compris en neuf modes principaux, correspondant aux neuf ordres ou chœurs des anges et des saints.

   Quant à la troisième puissance dans la haute unité, c'est-à-dire la puissance aimante, elle orne et informe tous les modes de vertus par l'amour, et avec son ornement et toutes les vertus, elle descend une mesure plus bas jusqu'au fond de l'unité, et c'est pourquoi elle a dix mesures et dix bandes descendant tout droit. Car elle achève la longueur parfaite des vertus, en dépassant toutes raisons et tous modes, jusqu'au fond de l'unité. Et en descendant ou dépassant, la puissance aimante fait de la mémoire une pure pensée et de l'intelligence un pur regard. Car dans cette opération, qui consiste à plonger le regard dans l'unité, toutes les vertus arrivent à leur perfection et toutes les puissances deviennent sans mode et sans détermination. Cette opération est en effet au-dessus de la raison et sans le mode de la raison, mais non pas contre la raison. Car c'est l'opération la plus haute de l'amour, et ce n'est autre chose qu'amour sans mode et sans détermination.

   Et dans son être simple et sans mode, elle possède les neuf mesures, c'est-à-dire les neuf modes des vertus, et sa propre essence, c'est-à-dire un transport au-delà de tous les modes, dans un amour sans mode. Telle est la dixième mesure des rideaux qui dépasse seule les autres pour aller jusqu'au sol, sur une mesure de longueur et dix de largeur. Car encore que la mesure soit courte dans l'opération, l'amour est néanmoins constant et se renouvelle sans cesse, et il accomplit la loi en son entier et adhère toujours à Dieu ; et il nous rassemble avec toutes nos puissances dans le fond de l'unité. Et ainsi nous en finissons avec la couverture de dix rideaux et tous leurs ornements.


CHAPITRE XII

DE LA COUVERTURE EN POILS DE CHÈVRES.

   Ensuite le Seigneur dit à Moïse : « Vous ferez onze tapis de poils pour couvrir le toit, et chaque tapis aura trente mesures de longueur et quatre de large (2). » Par ces onze tapis faits de poils de chèvres, nous entendons la parfaite humilité. Car de même que les chèvres ont la vue perçante et cherchent une nourriture piquante, et aiment à grimper et à se reposer sur les rochers et dans les lieux élevés ; de même, plus que toutes autres vertus, l'humilité aiguise notre regard intérieur et nous fait rechercher une vie dure, âpre et méprisée, qui est la nourriture du cœur humble. Et le Christ lui-même, comme un rocher élevé, est l'habitation et le repos des humbles ; car descendre par l'humilité, c'est s'élever au-dessus de toutes les hauteurs des cieux. Et c'est pourquoi nous devons être l'humilité même. Nous devons la porter en nous-mêmes et la pratiquer en toutes nos œuvres. Car tous les dons que nous recevons de Dieu et toutes les bonnes œuvres que nous accomplissons par l'intermédiaire de ces dons doivent être couverts par l'humilité, sous peine de perdre l'éclat de leur beauté et leur valeur vertueuse.

   Or nous avons parlé ci-dessus de dix rideaux, par lesquels nous entendons la loi de Dieu et toutes les vertus ; et ici il y a onze tapis de poils de chèvres, par lesquels nous entendons tous les modes d'humilité. Et tout en accomplissant les vertus, nous devons pratiquer l'humilité qui doit recouvrir nos vertus. C'est pourquoi dix tapis de l'humilité recouvrent les dix rideaux de toutes nos vertus, tandis qu'avec le onzième nous nous couvrons nous-mêmes. Or les tapis ont trente mesures de longueur, alors que les rideaux n'en ont que vingt-huit. C'est pourquoi les tapis descendent jusqu'à terre de chaque côté du tabernacle, une mesure au-dessous de tous les rideaux de vertus. Car l'humilité est le sol sur lequel s'appuient toutes les vertus. Et c'est pourquoi toutes les vertus tirent leur origine du sol de l'humilité, et c'est en elle qu'elles doivent s'achever. Et dans le fond de l'humble renoncement nous possédons le repos et goûtons le fruit de toutes nos vertus, comme il a été dit pour la liberté. Car liberté et humilité, c'est-à-dire hauteur et bassesse, sont égales en noblesse. Là nous pouvons nous reposer et non dans les vertus. Et c'est pourquoi l'humilité est à pratiquer avant et après, en toutes vertus ; car elle soutient toutes les vertus et elle les recouvre. C'est ainsi que les tapis descendaient de chaque côté jusqu'à terre, au-dessous de tous les rideaux. Car sans humilité nous ne pouvons commencer ni achever aucune œuvre bonne qui ne soit mélangée d'intention étrangère, c'est-à-dire du désir de paraître meilleur ou plus parfait. Les tapis qui descendaient jusqu'à terre, une mesure plus bas que les rideaux, indiquaient donc que l'humilité nous fait commencer, achever et conserver toute vertu. Ainsi avons-nous l'explication de la longueur des tapis.

   La largeur était de quatre mesures comme pour les rideaux, car de même que nous devons pratiquer les vertus de quatre façons, nous devons les couvrir de la même manière par l'humilité. Notre confiance en effet doit dépasser nos bonnes œuvres et s'appuyer uniquement sur la grâce de Dieu et non sur nos œuvres.


*
*   *

   Ensuite le Seigneur dit encore : « Vous joindrez cinq de ces tapis ensemble à l'extrémité postérieure du tabernacle, et les six autres leur seront unis, de telle façon que le sixième soit plié en double à la façade du tabernacle. Et de chaque partie, c'est-à-dire de chaque moitié du sixième tapis, une mesure pendra et l'autre mesure sera cousue au-dessus du tabernacle sur l'autre tapis, de façon à ce qu'elles protègent les côtés du tabernacle, c'est-à-dire les quatre angles, contre la violence du vent et toutes sortes d'intempéries (3). »

   Par là nous apprenons que les onze tapis étaient assemblés en deux portions et ces deux portions, étaient étendues en travers et couvraient le tabernacle et tous les rideaux, de l'entrée à l'extrémité postérieure et jusqu'à terre.

   Nous devons comprendre par là que notre humilité doit avoir deux parts : car nous devons être humbles à l'égard de Dieu et à l'égard du prochain. Et c'est pourquoi nous devons rentrer par nos sens spirituels, qui sont au nombre de cinq, entièrement, sans restriction et humblement, avec toutes nos vertus, de façon à ce que nous recevions à l'intérieur, avec humilité, la vérité de Dieu et tous ses dons, et que nous couvrions et conservions toutes nos vertus, sans élèvement et avec humilité.

   Ainsi avons-nous réuni cinq tapis en un seul, à l'extrémité occidentale du tabernacle, c'est-à-dire notre sensibilité et notre raison, humblement devant Dieu.

   Ici vous saurez que ces tapis étaient assemblés en triple, à l'extrémité postérieure du tabernacle, tout comme les rideaux qu'ils couvraient. Car de même que nos vertus sont possédées de trois façons dans l'union de nos puissances supérieures, c'est-à-dire habituellement, avec sagesse et avec amour, de même elles sont couvertes de trois façons par l'humilité, pour que nous puissions toujours les conserver.

   Mais le rideau ne descend qu'une seule fois jusqu'à terre, tandis que le tapis descend trois fois. Car, selon le mode des vertus, la puissance aimante seule, par l'amour sans mode ni détermination, dépasse tous les modes de vertus et arrive jusqu'au fond de l'unité. Et c'est pourquoi le rideau quand il descend est simple. Mais selon le mode de l'humilité plus profonde que toutes les vertus, nos trois puissances supérieures, en mourant à elles-mêmes, descendent : jusqu'au fond de l'humble abandon, et ce fond est vide et simple. Et dans ce fond nous sommes nous-mêmes humilité et amour essentiels, et unité, et liberté, et richesse de toutes vertus, et plénitude de tous les dons. Et c'est pourquoi le tapis est triple et descend jusqu'à terre, car il signifie que nos puissances supérieures descendent tout droit jusqu'à la paix la plus intime.

   Maintenant nous devons réunir les cinq autres tapis et les joindre aux précédents, car nous devons faire rentrer nos sens à l'intérieur et par l'humilité les unir et les maintenir sous la raison, de façon à ce que nous puissions sans entraves montrer aux autres et pratiquer nous-mêmes à l'extérieur la loi et toutes les vertus, sans poursuivre aucune complaisance ni satisfaction en notre sensibilité. Et c'est pourquoi quand nous avons fait tout ce qui est en notre pouvoir à l'extérieur et à l'intérieur, envers Dieu et envers le prochain, nous ne pouvons nous complaire à nous-mêmes en aucune de nos œuvres vertueuses. Et par là nous avons les dix tapis de l'humilité par lesquels nous couvrons tous les rideaux des vertus.

   Par le onzième tapis que nous devons mettre en double, en avant et en arrière sur notre tabernacle, nous entendons le déplaisir de nous-mêmes et de toutes nos œuvres. Car en ne nous complaisant en aucune vertu, nous possédons la couverture simple des dix tapis ; mais par le déplaisir de nous-mêmes et de toutes nos œuvres, c'est le onzième tapis qui recouvre les autres en avant et en arrière. Or ce onzième tapis était divisé en deux dans le sens de la longueur, ce qui signifie que l'homme humble aperçoit en son fond qu'il n'acquitte jamais sa dette envers Dieu ni envers les hommes, et qu'en toutes ses œuvres il ne peut atteindre à la véritable vertu. C'est pourquoi il divise en deux le tapis du déplaisir de soi, et protège et couvre son tabernacle deux fois par-devant et par-derrière, le vrai déplaisir de soi lui faisant croire qu'il manque à Dieu et à tous les hommes en toutes choses. Si le tapis doit pendre d'une coudée en avant et en arrière, c'est que nous devons nous abaisser tellement en humilité devant Dieu, qu'aucune suavité, aucune consolation, aucun don de Dieu ne puissent nous élever, ni qu'aucune tribulation ou désolation intérieure ne puisse nous accabler ni nous abattre. Car encore que l'humilité et la liberté soient opposées en leurs effets, néanmoins elles sont à jamais inséparables, car de même que l'âme s'élève vers Dieu avec une vénération toute libre en repos éternel, de même elle descend librement en humilité et s'abaisse en Dieu dans le même repos éternel ; et ici monter et descendre se valent en noblesse, car c'est le même fonds de vertu qui les fait vivre tous deux et produire leurs effets. Voyez, c'est ainsi que la mesure en surplus est pliée en deux et pend devant Dieu à l'extrémité du tabernacle.

   Le tapis qui pend en avant d'une mesure, au frontispice du tabernacle, signifie que nous devons nous abaisser et humilier au-dessous de tous les hommes, de telle façon que ni honneur, ni richesse, ni tout ce que le monde peut nous offrir de prospérité extérieure ne puisse élever ni réjouir notre âme ; et nous devons être tellement abaissés en humble abandon de nous-mêmes qu'aucune tribulation dans le temps ou dans l'éternité ne puisse toucher notre âme ni l'abattre. Et c'est pourquoi le onzième tapis descendait en avant et en arrière aux quatre coins jusqu'à terre, c'est-à-dire jusqu'au fond de la parfaite paix intérieure, que rien n'arrive à troubler. Voyez, par ce onzième tapis, nous sommes bien protégés contre bonne ou mauvaise fortune et contre tout ce qui peut nous nuire d'un Par là nous apprenons que les onze tapis étaient assemblés en deux portions et ces deux portions, étaient étendues en travers et couvraient le tabernacle et tous les rideaux, de l'entrée à l'extrémité postérieure et jusqu'à terre.

   Nous devons comprendre par là que notre humilité doit avoir deux parts : car nous devons être humbles à l'égard de Dieu et à l'égard du prochain. Et c'est pourquoi nous devons rentrer par nos sens spirituels, qui sont au nombre de cinq, entièrement, sans restriction et humblement, avec toutes nos vertus, de façon à ce que nous recevions à l'intérieur, avec humilité, la vérité de Dieu et tous ses dons, et que nous couvrions et conservions toutes nos vertus, sans élèvement et avec humilité.

   Ainsi avons-nous réuni cinq tapis en un seul, à l'extrémité occidentale du tabernacle, c'est-à-dire notre sensibilité et notre raison, humblement devant Dieu.

   Ici vous saurez que ces tapis étaient assemblés en triple, à l'extrémité postérieure du tabernacle, tout comme les rideaux qu'ils couvraient. Car de même que nos vertus sont possédées de trois façons dans l'union de nos puissances supérieures, c'est-à-dire habituellement, avec sagesse et avec amour, de même elles sont couvertes de trois façons par l'humilité, pour que nous puissions toujours les conserver.

   Mais le rideau ne descend qu'une seule fois jusqu'à terre, tandis que le tapis descend trois fois. Car, selon le mode des vertus, la puissance aimante seule, par l'amour sans mode ni détermination, dépasse tous les modes de vertus et arrive jusqu'au fond de l'unité. Et c'est pourquoi le rideau quand il descend est simple. Mais selon le mode de l'humilité plus profonde que toutes les vertus, nos trois puissances supérieures, en mourant à elles-mêmes, descendent : jusqu'au fond de l'humble abandon, et ce fond est vide et simple. Et dans ce fond nous sommes nous-mêmes humilité et amour essentiels, et unité, et liberté, et richesse de toutes vertus, et plénitude de tous les dons. Et c'est pourquoi le tapis est triple et descend jusqu'à terre, car il signifie que nos puissances supérieures descendent tout droit jusqu'à la paix la plus intime.

   Maintenant nous devons réunir les cinq autres tapis et les joindre aux précédents, car nous devons faire rentrer nos sens à l'intérieur et par l'humilité les unir et les maintenir sous la raison, de façon à ce que nous puissions sans entraves montrer aux autres et pratiquer nous-mêmes à l'extérieur la loi et toutes les vertus, sans poursuivre aucune complaisance ni satisfaction en notre sensibilité. Et c'est pourquoi quand nous avons fait tout ce qui est en notre pouvoir à l'extérieur et à l'intérieur, envers Dieu et envers le prochain, nous ne pouvons nous complaire à nous-mêmes en aucune de nos œuvres vertueuses. Et par là nous avons les dix tapis de l'humilité par lesquels nous couvrons tous les rideaux des vertus.

   Par le onzième tapis que nous devons mettre en double, en avant et en arrière sur notre tabernacle, nous entendons le déplaisir de nous-mêmes et de toutes nos œuvres. Car en ne nous complaisant en aucune vertu, nous possédons la couverture simple des dix tapis ; mais par le déplaisir de nous-mêmes et de toutes nos œuvres, c'est le onzième tapis qui recouvre les autres en avant et en arrière. Or ce onzième tapis était divisé en deux dans le sens de la longueur, ce qui signifie que l'homme humble aperçoit en son fond qu'il n'acquitte jamais sa dette envers Dieu ni envers les hommes, et qu'en toutes ses œuvres il ne peut atteindre à la véritable vertu. C'est pourquoi il divise en deux le tapis du déplaisir de soi, et protège et couvre son tabernacle deux fois par-devant et par-derrière, le vrai déplaisir de soi lui faisant croire qu'il manque à Dieu et à tous les hommes en toutes choses. Si le tapis doit pendre d'une coudée en avant et en arrière, c'est que nous devons nous abaisser tellement en humilité devant Dieu, qu'aucune suavité, aucune consolation, aucun don de Dieu ne puissent nous élever, ni qu'aucune tribulation ou désolation intérieure ne puisse nous accabler ni nous abattre. Car encore que l'humilité et la liberté soient opposées en leurs effets, néanmoins elles sont à jamais inséparables, car de même que l'âme s'élève vers Dieu avec une vénération toute libre en repos éternel, de même elle descend librement en humilité et s'abaisse en Dieu dans le même repos éternel ; et ici monter et descendre se valent en noblesse, car c'est le même fonds de vertu qui les fait vivre tous deux et produire leurs effets. Voyez, c'est ainsi que la mesure en surplus est pliée en deux et pend devant Dieu à l'extrémité du tabernacle.

   Le tapis qui pend en avant d'une mesure, au frontispice du tabernacle, signifie que nous devons nous abaisser et humilier au-dessous de tous les hommes, de telle façon que ni honneur, ni richesse, ni tout ce que le monde peut nous offrir de prospérité extérieure ne puisse élever ni réjouir notre âme ; et nous devons être tellement abaissés en humble abandon de nous-mêmes qu'aucune tribulation dans le temps ou dans l'éternité ne puisse toucher notre âme ni l'abattre. Et c'est pourquoi le onzième tapis descendait en avant et en arrière aux quatre coins jusqu'à terre, c'est-à-dire jusqu'au fond de la parfaite paix intérieure, que rien n'arrive à troubler. Voyez, par ce onzième tapis, nous sommes bien protégés contre bonne ou mauvaise fortune et contre tout ce qui peut nous nuire d'un côté ou de l'autre, c'est-à-dire à l'extérieur ou à l'intérieur, par rapport à Dieu ou à notre prochain.

   Le Seigneur dit encore « Vous ferez cinquante cordons au bord de l'un des tapis et cinquante autres au bord de l'autre tapis, et cinquante agrafes d'airain pour joindre les cordons, de façon à ce que cela ne fasse qu'une seule couverture (4). » Le Seigneur ne dit pas de quoi seront faits ces cordons, d'où nous pouvons conclure qu'ils étaient de la même matière que les tapis. Vous avez déjà appris que pratiquer l'humilité envers Dieu et envers le prochain, c'est réaliser les deux modes d'humilité représentés par les deux tapis, et dans chacun de ces modes il y aura comme cinquante cordons de la même nature que l'humilité. Par là nous entendons des contemplations intérieures inassouvies qui nous tiennent toujours captifs, et sans espoir d'aboutir soit par l'extérieur soit par l'intérieur, et ne nous laissent ni apaisés ni satisfaits, soit de nous-mêmes, soit d'aucune vertu. Dans cette contemplation intérieure, on ne fait cas d'aucune vertu, car elle est toute fixée dans l'humilité. Et du fond de l'humilité l'on contemple la sublimité et la fidélité de l'amour de Dieu ; et en face de cela, la contemplation inassouvie trouve en elle-même et en toutes ses œuvres, soit à l'extérieur, soit à l'intérieur, moins que rien. Et c'est pourquoi l'homme humble gémit toujours dans l'anéantissement de lui-même et de toutes ses œuvres, car sa contemplation et son désir tendent toujours à le faire disparaître et s'effacer pour l'honneur de Dieu ; et tout ce qui est moins que cela lui paraît peu de chose, et pour sa vision et son désir, comme rien.

   Par les cinquante agrafes d'airain nous entendons des désirs intérieurs et sensibles pour toute abjection et bassesse. Ce qui sert à fixer les cordons dans l'agrafe représente, dans la contemplation inassouvie, les pensées multiples accompagnées du désir de toute pauvreté et misère, avec la joie constante de les supporter. Les cinquante agrafes d'airain recouvrent les cinquante anneaux d'or qui se trouvent au tabernacle de Dieu ; de même que les cinquante cordons faits de poils de chèvre recouvrent les cinquante cordons d'hyacinthe dans chaque portion des rideaux. Car de même que nous devons posséder en toutes vertus des désirs amoureux et une intelligence claire, par lesquels nous puissions réunir et maintenir unis tous les rideaux des vertus, de même selon le mode de l'humilité, nous devons posséder des désirs sensibles pour toute abjection et bassesse, par lesquels nous puissions conserver tous les rideaux de nos vertus.

   Enfin la couverture en poils de chèvre était fixée au sol par des piquets d'airain, pour empêcher qu'elle ne soit déplacée et soulevée par les vents impétueux. De même toutes nos puissances, à l'extérieur et à l'intérieur, devront descendre jusqu'au fond de l'humble abandon par un zèle affectif pour l'humilité ; et dans la totale abnégation de nous-mêmes, nous nous reposerons et demeurerons habitant en Dieu, de façon à ce que, avec toutes nos puissances, extérieures ou intérieures, nous puissions travailler et souffrir selon la volonté de Dieu, et non pas selon l'attachement désordonné au moi, ni au gré de la nature. Et ainsi la couverture de l'humilité demeure affermie en nous, aussi bien ici-bas que dans l'éternité.



(1) Ex., XXVI, 3-4.
(2) Ex., XXVI, 7, 8.
(3) Ex., XXVI, 9-13.
(4) Ex, XXVI, II


retour suite