RUYSBROECK - TOME 4 : LE LIVRE DU TABERNACLE SPIRITUEL CHAPITRE XIII DE LA COUVERTURE EN PEAUX DE BÉLIERS TEINTES EN ROUGE.
Le Seigneur commanda ensuite de faire pour le toit du tabernacle une autre couverture en peaux de béliers teintes en rouge, et par-dessus une dernière couverture de. peaux de béliers, teintes couleur d'hyacinthe. Et ces deux couvertures étaient exactement de la longueur et de la largeur du tabernacle, de sorte qu'elles le couvraient en haut sans dépasser ni en avant, ni en arrière, ni d'aucun côté.
Par la première couverture en peaux de béliers teintes en rouge, nous entendons une simple et foncière tendance ou aspiration vers Dieu. Et toutes les aspirations simples que nous offrons à Dieu avec un désir affectif sont comme autant de peaux de béliers teintes en rouge, dont nous composons la couverture de notre tendance foncière. Car la simplicité du désir qui nous fait rechercher Dieu uniquement et n'avoir d'autre intention que lui, nous la comparons à la peau de bélier, tandis que le désir lui-même est comparé à la couleur rouge dont la simplicité est teinte selon le commandement de Dieu.
Il y a quatre choses dans le bélier, que nous retrouvons spirituellement dans la tendance simple vers Dieu. Le bélier est plus fort que les brebis, et parmi les autres animaux il est le plus simple et le moins rusé ; et il fut le premier à être offert en sacrifice à Dieu ; et par suite du mouvement des petits vers qu'il sent en sa tête, il devient impatient et se bat contre son semblable.
Voyez maintenant comment nous retrouvons tout cela dans le désir que nous ressentons pour Dieu. Il est clair tout d'abord que ce désir simple de Dieu est plus fort que toutes les vertus, car ni l'humilité ni aucune autre vertu ne peuvent l'empêcher de monter au-dessus de tout vers Dieu. Car l'homme a beau se sentir misérable et dépourvu de vertu, méprisé et indigne de Dieu et de tout honneur qui vient des vertus, son désir foncier demeure en lui sans entrave ni crainte, et s'élève au-dessus de tout vers Dieu. C'est ainsi que le désir de Dieu est plus fort que toutes les vertus, car il a pour effet de vaincre tous les vices et d'engendrer les autres vertus, semblable en cela au bélier qui est le plus fort et engendre les brebis.
Ensuite, parmi toutes les vertus que nous souhaitons pratiquer, c'est le désir simple qui a le plus de prix ; car nous n'entendons par là que le vouloir de nous donner tout entiers à Dieu et de n'être qu'à lui pour l'honorer et le louer. Et c'est pourquoi le désir simple de Dieu est parmi toutes les vertus ce qu'il y a de plus simple dans son opération ; car chaque vertu est pratiquée différemment et selon des modes divers, tandis que le désir et la tendance vers Dieu sont toujours identiques à eux-mêmes et n'ont d'autre mode que d'aspirer sans cesse et uniquement. Ainsi, parmi toutes les vertus, ce désir ressemble-t-il au bélier, parce qu'il est comme lui simple et sans feinte. Il monte toujours vers Dieu par ses aspirations sans regarder en arrière.
C'est pourquoi dès le premier instant où nous nous tournons vers Dieu, nous lui offrons un sacrifice digne de lui, qui consiste en ceci que nous mettons en Dieu notre complaisance par-dessus tout, simplement et sans arrière-pensée. Et cette complaisance est le principe et le fondement du désir simple. De même que les flammes et les étincelles montent du feu, de même le désir et l'aspiration s'élèvent-ils de la complaisance simple qu'on ressent pour Dieu ; et, chaque fois que nous portons nos regards sur nous-mêmes et que nous contemplons notre complaisance simple, notre désir et notre aspiration s'élèvent en tempête et se renouvellent en impatience, car ils ressemblent au bélier qui veut se battre quand il se sent excité. De même façon le désir veut lutter contre toutes les autres vertus, car dans l'impétuosité de son transport, aucune vertu n'arrive à le satisfaire, ni à calmer son ardeur ; toutes lui semblant trop étroites et trop infimes. C'est pourquoi le désir s'élève au-dessus de tout et il embrasse sa propre activité et celle des vertus en un seul acte et en un seul mode. Car le désir et l'aspiration vers Dieu sont en eux-mêmes un désir simple de toute innocence, un conseil de prudence éclairée, un commandement de générosité parfaite et l'opération la plus haute de la charité, selon le mode de l'affection ; et de plus le désir simple vers Dieu est établi d'une façon solide sur l'humilité, et c'est pourquoi nous devons crier avec le prophète David, comme du fond de l'exil : « Mon âme a eu soif du Dieu des sources vives : quand viendrai-je et apparaîtrai-je devant la face de Dieu
(1) ? »
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Vous saurez en outre qu'il y a une grande différence entre notre désir ou aspiration sensible, qui demeure toujours dans les limites de la raison, et notre amour spirituel, qui nous fait dépasser la raison et nous unit à Dieu. Car cet amour spirituel tout intime est un amour sans mode, dont l'activité s'épanche sans cesse et rend l'esprit inconscient de l'amour, c'est-à-dire tout absorbé dans l'amour. Car dans l'excès de son activité, l'esprit devient lui-même amour, un amour essentiel dans le fond de son unité. Et c'est bien ce qui nous est désigné par les rideaux qui, à l'extrémité occidentale du tabernacle, tombaient jusqu'à terre. De plus notre amour spirituel nous abaisse devant Dieu, dans une humble abnégation de nous-mêmes, et ainsi nous nous anéantissons en humilité ; car ce renoncement à nous-mêmes est un abaissement intime et profond, sans mode, qui nous fait trépasser à tout exercice d'humilité et à toute vertu ; et ainsi nous devenons nous-mêmes abîme d'humilité et de toute vertu ; et c'est ce que nous enseigne le tapis, figure de l'humilité, qui dépassait les rideaux et descendait jusqu'à terre.
Ensuite notre amour spirituel et l'humilité font que nous nous livrons nous-mêmes librement à Dieu, de sorte que nous devenons libres et un avec la liberté de Dieu, et après cela nous accomplissons toutes nos œuvres librement et demeurons toujours établis par-delà toutes nos œuvres dans la liberté, où nous sommes unis à Dieu.
Telles sont les opérations les plus hautes de l'amour, qui nous font dépasser la raison et qui dureront jusqu'à l'éternité ; car par elles l'union entre nous et Dieu se renouvelle sans cesse et elles nous méritent en outre la première robe, c'est-à-dire le vêtement principal dans la gloire de Dieu.
En outre l'amour nous fait pratiquer sans cesse, à la lumière de la raison, toutes les formes de la vertu, sous la poussée d'une tendance affective, dont Dieu se sert comme d'un instrument. Car l'amour animé par cette tendance affective aspire à une vie parfaitement réglée à l’extérieur et à l'intérieur, de manière à procurer le bien et l'utilité de tous les hommes. Et l'amour aspire toujours à être enseigné par Dieu et par toutes les créatures. C'est ainsi que par cette tendance humble et affective à la lumière de la raison et en parfaite obéissance, l'amour tisse tous les rideaux des vertus, et il les recouvre depuis le haut jusqu'en bas des tapis de l'humilité.
Mais l'amour lui-même, au milieu de toutes ces œuvres vertueuses, demeure libre et dépouillé de préoccupations, car il n'agit pas pour le sentiment, ni pour la satisfaction du désir, ni en vue d'aucune récompense ; mais il ne cherche et ne poursuit, en toutes vertus, que l'honneur de Dieu, avec sagesse et intelligence éclairée. Et ainsi fait-il comme des cordons d'hyacinthe et des anneaux d'or, destinés à unir ensemble toutes les vertus.
Lorsqu’au contraire l'amour opère à l'extérieur, sous la poussée d'un goût sensible, alors le désir amoureux fait comme des cordons de même étoffe que les tapis, qui représentent l'humilité, et des agrafes d'airain ; car son regard et son désir se portent entièrement et avec force vers tout ce qui rabaisse et humilie.
Or notre tendance affective vers Dieu est élevée au-dessus de toutes les œuvres que nous pouvons accomplir sous l'inspiration du désir ; et c'est pourquoi nous devons nous tenir élevés vers le ciel, au-dessus de tous les modes d'exercice affectif, grâce à cette tendance simple vers Dieu ; car cette tendance est une opération affective du désir, qui, par sa propre nature, monte toujours et ne veut ni ne peut descendre. Et par là elle ressemble bien à la couverture en peau de bélier teinte en rouge qui était étendue au-dessus du tabernacle, sans retomber ni en avant, ni en arrière, ni de quelque côté que ce fût. Et cette tendance, il nous faut la multiplier ; et par là croit en nous une tendance habituelle, qui demeure toujours en nous essentiellement. C'est là comme une couverture simple de toutes les vertus, que nous pouvons pratiquer sous l'inspiration de notre désir affectif.
CHAPITRE XIV
DE LA COUVERTURE SUPÉRIEURE EN PEAUX DE BÉLIERS TEINTES EN BLEU.
Par-dessus, le Seigneur voulait avoir encore la couverture supérieure en peaux de béliers, qui devaient être couleur d'azur. Par cette couverture supérieure nous entendons un état où notre désir, avec toutes nos puissances affectives, est élevé intérieurement, de façon à ce que soit suspendue simplement notre faculté sensible, sans qu'elle puisse redescendre. Là est le dernier sommet où puissent tendre notre désir et nos exercices affectifs et c'est bien ce que nous signifie la couverture supérieure en peaux de bélier, qui recouvrait entièrement le tabernacle.
Mais cette couverture doit être de couleur d'hyacinthe, c'est-à-dire d'azur. Cela nous apprend que nous devons être tellement maîtres, au moyen de la raison, de la partie supérieure de la sensibilité, qu'ainsi nous retenions toujours d'une façon habituelle toutes nos puissances en simple suspension au-dessus d'elles-mêmes ; et ainsi, grâce à notre raison, nous aurons toujours en notre pouvoir tous nos sens extérieurs et intérieurs.
Il nous faut considérer et observer attentivement toutes nos œuvres et tous nos désirs ; et, grâce au désir et à l'aspiration, nous nous élèverons jusqu'à cet état de suspension simple, de façon à ce qu'en chaque action vertueuse nous puissions dépasser par la raison tout désir de notre part et visiter cette région élevée. Et à chaque nouvelle visite, l'élévation de nos puissances affectives est affermie d'une façon plus solide à l'état de simple suspension sans retour. Et chaque fois que, par la raison, nous arrivons à vaincre la partie sensible et que, sans obstacle, nous passons simplement jusqu'à l'élévation de notre sensibilité, nous joignons une nouvelle couverture d'hyacinthe dans la partie supérieure de notre tabernacle spirituel ; et ainsi notre homme extérieur s'unit à l'homme intérieur dans une soumission définitive ; et le repos et la paix croissent sans cesse dans notre partie sensible. Car de même que notre homme intérieur et raisonnable, en se renonçant à lui-même, est élevé en amour et s'unit à Dieu, méritant la première robe de la gloire de Dieu de même notre homme extérieur et sensible, par avidité de son désir, doit être élevé et s'unir à l'homme intérieur, dans un état de suspension simple et raisonnable, et par là nous méritons la seconde robe, c'est-à-dire le second vêtement de la gloire divine, que nous attendons au jour du jugement, alors que nos corps glorifiés seront doués de sens glorieux, tout remplis extérieurement et intérieurement de gloire, selon la mesure de notre noblesse et de nos mérites.
Vous saurez encore que les deux couvertures supérieures en peaux de béliers qui couvraient le tabernacle étaient égales en longueur et en largeur, et de toutes façons, sauf pour ce qui regarde la couleur. Car, dans la mesure où nous aspirons et tendons vers Dieu, toutes nos puissances affectives sont élevées au-dessus d'elles-mêmes et comme suspendues. Et plus nous nous livrons à notre désir simple, plus nous sommes élevés et entièrement suspendus. Car nous ne pouvons faire l'un sans éprouver l'autre. Ce sont en effet les deux couvertures supérieures inséparables de notre tabernacle spirituel, dans notre ascension affective et c'est en elles que toute notre activité affective trouve son dernier achèvement et sa plus haute perfection.
Mais ces deux couvertures ne se ressemblent pas pour la couleur, car la couverture inférieure, c'est-à-dire notre désir, est rouge comme le feu, qui, par nature, monte toujours le plus haut possible ; tandis que notre couverture supérieure, c'est-à-dire cette simple élévation ou suspension, surpasse tout le reste et elle est couleur d'azur. Là toutes nos puissances affectives deviennent simples, oisives et élevées au-dessus d'elles-mêmes, et unies à la partie raisonnable : et la partie sensible ainsi, élevée demeure couverte et informée par l'azur, c'est-à-dire par la lumière de l'intelligence. Car, de même que les puissances supérieures de notre esprit, dans la clarté divine, sont simplifiées, élevées, toutes pénétrées de la clarté de Dieu, à laquelle elles sont unies ; de même nos puissances affectives, dans la lumière de la raison, sont simplifiées et toutes pénétrées par l'intelligence qui les guide. Et là se trouvent l'apaisement et la tranquillité de toute notre partie sensible ; car là tout ce que nos sens peuvent expérimenter ou sentir est couvert et pénétré par la lumière intellectuelle, et toutes nos aspirations et tendances affectives sont pénétrées par l'amour spirituel. Et ainsi toute la partie affective et sensible doit être élevée simplement en la partie intellectuelle, tandis que la partie intellectuelle s'élève en la clarté de Dieu.
Voilà comment nous devons avoir un désir intime et monter toujours par l'aspiration, de façon à être toujours plus solidement suspendus ; et c'est la parure la plus élevée dans notre ascension affective. Tout le toit de notre tabernacle au-dessus des parois y trouve son dernier achèvement.
CHAPITRE XV
DES AIS DU TABERNACLE ET DE LEURS BASES.
Le Seigneur dit encore : « Vous ferez des ais pour les parois du tabernacle, en bois de sétim. » Par ce bois de sétim nous entendons une entière maîtrise de nous-mêmes, c'est-à-dire liberté d'âme, comme je l'ai dit ci-dessus au troisième point. Car, du moment que nous sommes maîtres de nous-mêmes et rendus libres par la grâce de Dieu, nous avons le bois de sétim dont nous devons faire tous les ais de notre tabernacle spirituel.
Mais vous devez savoir qu'il nous faut être tellement maîtres de nous-mêmes que, par la grâce de Dieu, nous puissions mortifier toute propriété de volonté, librement et sans aucune difficulté, pour accomplir la toute aimable volonté de Dieu ; et que nous puissions vaincre tout désir ou tendance désordonnés de notre nature et nous élever nous-mêmes à un désir spirituel et à une tendance surnaturelle vers Dieu.
Voyez, si nous nous possédons ainsi nous-mêmes, nous possédons une âme libre et dégagée, bien ordonnée et toujours également disposée à toute espèce de vertus, représentées par la diversité des ais du tabernacle. Et tous ces ais doivent être verticaux, c'est-à-dire que nous devrons élever librement, en l'honneur de Dieu, notre âme ainsi dégagée avec toutes les bonnes œuvres.
Maintenant chaque ais aura dix coudées de longueur. À ce sujet vous saurez que chaque détermination libre de l'âme vient de Dieu et du fond libre de l'esprit, moyennant la liberté naturelle de l'esprit et une motion particulière de la liberté de Dieu. Or, en chaque détermination ou propos libre, l'âme est tellement maîtresse de tous les sens extérieurs et intérieurs, que ceux-ci sont obligés de lui obéir ; et l'âme les fait agir extérieurement et intérieurement, en parfaite obéissance, dans la mesure où chaque détermination libre est éclairée par Dieu et son propre jugement.
Et c'est pourquoi chaque ais, ou chaque détermination libre, a dix mesures de longueur, car chaque détermination libre est maîtresse des cinq sens extérieurs et des cinq sens intérieurs et les utilise pour le service de Dieu. Car le libre arbitre possède tous les sens comme ses instruments propres, avec lesquels il peut accomplir à l'extérieur et à l'intérieur toutes les formes de vertus, suivant la manière dont il est mû par l'Esprit de Dieu et sa propre liberté. Le libre arbitre est en effet au-dessus de lui-même, dans la partie supérieure de la volonté, comme suspendu à une expérience divine, et de là lui vient la liberté. En lui-même il est perception raisonnable et intellectuelle, qui le fait être plein de bonne volonté et riche de toutes les vertus. Au-dessous de lui il a la perception sensible, qui est soumise à la raison, et par là l'homme est bien ordonné à l'extérieur, en toute vertu et en toutes bonnes œuvres.
C'est ainsi que chaque détermination libre a dix mesures de longueur, car le libre arbitre gouverne et exerce chaque sens dans une opération parfaite, et en lui-même il demeure libre et sans entraves, et il dépasse toute opération, en une expérience divine, qui est le fond inactif de toute liberté.
De plus chaque ais a une mesure et demie de largeur. Par là nous apprenons que chaque détermination libre ressemble à cela, en ce sens que le libre arbitre embrasse l'âme et le corps comme une mesure entière et une demi-mesure, pour servir Dieu par leur intermédiaire. L'âme est la mesure entière, car elle possède une activité parfaite en elle-même, qui consiste dans l'amour et dans la connaissance. Néanmoins elle a besoin de la demi-mesure, car si elle n'était pas unie au corps, elle ne pourrait pas mériter. Pourtant le corps n'est qu'une demi-mesure, car aucune activité corporelle, sans l'opération de l'esprit, ne peut atteindre Dieu, ni mériter la béatitude, et c'est pourquoi l'âme et le corps constituent un seul homme, pour que la nature corporelle de l'homme avec toutes ses activités puisse recevoir noblesse, liberté et immortalité, par la noblesse, liberté et immortalité de la nature spirituelle, avec laquelle elle est une seule personne et un seul homme. Voilà comme chaque ais, qui représente la détermination libre, doit avoir une mesure et demie de largeur, sans quoi il ne s'adapterait pas au tabernacle.
Le Seigneur dit encore : « Vous pratiquerez dans les côtés de chaque ais des rainures, de façon à ce qu'on puisse les joindre l'un à l'autre : et ainsi devront-ils être apprêtés tous. »
Vous comprendrez par là que chaque homme libre possède en lui d'une façon habituelle une inclination spontanée vers Dieu et vers toute vertu. Et cette libre inclination embrasse l'homme tout entier, le cœur, l'âme et toutes les facultés, le libre arbitre et la pensée élevée. Et cette inclination libre naît et s'acquiert à l'instant même où l'homme se recueille tout entier et forme librement le propos de servir Dieu, avec tout ce qu'il est et de tout son pouvoir. Voilà ce que nous appelons une détermination libre.
Et cette détermination doit être précédée et suivie de l'inclination spontanée que nous comparons aux rainures, grâce auxquelles on assemble les ais. Car, après chaque détermination libre, cette inclination spontanée subsiste dans l'homme à l'état habituel, jusqu'à ce que l'homme rentre en lui-même et prenne conscience de son inclination libre. Alors il lui devient manifeste de nouveau qu'il aime ; et par la grâce de Dieu et sa propre inclination libre, l'âme est mue librement de nouveau à aimer. Et ainsi elle prend une nouvelle détermination et s'élève avec toutes les autres vers l'honneur de Dieu. Voilà comment toutes les déterminations libres sont disposées, et toujours l'inclination spontanée doit être l'intermédiaire qui les unit comme la rainure, qui les assemble et les dresse en l'honneur de Dieu.
Ensuite le Seigneur dit encore que de ces ais il devait y en avoir vingt du côté du midi, vers le sud. Par ce nombre de vingt ais, que nous devons dresser au sud, face au soleil, nous comprenons toutes les déterminations libres qui précèdent l'accomplissement des commandements et des conseils de Dieu, en toute œuvre vertueuse. Car chaque œuvre bonne est d'abord conçue librement dans la volonté, avant d'être exécutée à l'extérieur ou à l'intérieur. Et c'est pourquoi si nous nous mettons tout entiers et librement dans ce propos, et si nous nous livrons à toutes les vertus, conformément au commandement de Dieu, nous possédons le nombre parfait de dix ais, à dresser en l'honneur de Dieu. De plus si nous ne cherchons en rien notre plaisir, nous possédons un fond dépouillé ; et ainsi nous pouvons nous livrer tout entiers et librement à Dieu dans un pur silence, et c'est là que Dieu veut se reposer et habiter, et c'est ainsi que nous accomplissons les conseils de Dieu et que nous parachevons le nombre des dix autres ais. Car tous les conseils de Dieu veulent que nous nous renoncions et surmontions nous-mêmes, en nous donnant tout entiers à Dieu et en le suivant en unité et en repos ; tandis que les commandements de Dieu ont pour but de nous faire abandonner et vaincre le péché et de nous livrer tout entiers et librement à toutes les vertus, en parfaite obéissance pour l'honneur de Dieu.
C'est ce que figurent les vingt ais au côté droit du tabernacle.
Pour soutenir ces ais, le Seigneur avait commandé de fondre quarante bases d'argent, de façon à ce qu'il y eût deux bases pour chaque ais, une à chaque angle.
Par là nous apprenons qu'à la base de chaque détermination libre, si nous voulons qu'elle s'élève vers Dieu, nous devons avoir une conscience pure et un cœur libre et dépouillé. Telles sont les deux bases d'argent qui nous sont nécessaires pour soutenir toute action ou détermination libre. Voyez, toutes ces bases, qui appartiennent au, tabernacle, nous les fondons et les coulons réellement, lorsque nous nous dépouillons et libérons du péché et de toute tendance désordonnée ainsi que de tout plaisir en quoi que ce soit de créé, car toute tendance désordonnée et consentie vers une chose qui n'est pas Dieu, lorsque cette tendance n'est ni condamnée, ni désavouée, est toujours occasion de péché.
Nous devons faire encore vingt ais de l'autre côté du tabernacle vers le nord, avec quarante bases d'argent, le tout de la même façon que les premiers. Ceci nous laisse entendre que nous devons nous résoudre librement et du fond du cœur, sans murmurer, à. tout souffrir, et à supporter patiemment tout ce que Dieu nous impose, de quelque façon que cela arrive, intérieurement ou extérieurement, a. nous-mêmes ou à notre prochain. Et ainsi sommes-nous forts du côté gauche, contre l'aquilon, c'est-à-dire contre toutes choses qui peuvent nous tenter ou nous affliger de quelque façon que ce soit. Et ainsi nous sommes libres au milieu de toutes les souffrances, en obéissance aux commandements de Dieu : ce qui nous donne les dix premiers ais du côté gauche.
De plus, si nous voulons suivre les conseils de Dieu, nous ne devons pas seulement nous résoudre à supporter patiemment tout ce qui nous arrive, mais encore nous incliner librement vers Dieu et former la résolution intérieure de souffrir toujours davantage, en nous abandonnant tout entiers au bon plaisir divin, de façon à ce que ce qu'il a décrété éternellement faire de nous devienne notre plus grande joie : et alors nous pourrons souffrir sans souffrir. Car tout ce que nous pouvons endurer dans notre nature, de l'extérieur ou de l'intérieur, deviendra une joie pour notre esprit, si celui-ci s'est donné tout entier à Dieu et s'est fermement résolu à se livrer à. lui sans jamais se reprendre, dans un abandon parfait. Car si nous nous étions renoncés à ce point dans la souffrance, nous aimerions nos ennemis et nous prierions pour ceux qui nous persécutent. Et si notre esprit était d'accord avec Dieu, conforme et pleinement abandonné à sa volonté, il serait bienheureux et inébranlable ; car consolation ou désolation, gain ou perte, toute vicissitude temporelle lui deviendraient commun objet de joie : il posséderait tout ce qu'il veut, et il ne pourrait plus rien vouloir de désordonné.
Ainsi aurons-nous achevé les dix derniers ais à notre gauche et accompli les conseils de Dieu, et ainsi serons-nous vainqueurs de nous-mêmes et de toutes choses et posséderons-nous la richesse où toute résolution libre prend son origine et son terme. Ce que chacune des bases d'argent signifie, comme fondement de chaque résolution libre, vous l'avez entendu ci-dessus, c'est pourquoi je n'en parle plus.
CHAPITRE XVI
DES TROIS VERTUS THÉOLOGALES.
Après cela le Seigneur parle comme il suit : « Du côté ouest du tabernacle, vers l'occident, vous dresserez six ais, et encore deux autres qui se trouveront aux angles, en arrière du tabernacle. Et ainsi ils se trouveront assemblés, depuis le haut jusqu'en bas, de façon à former un tout continu. Aux deux ais qu'on dressera aux angles, on mettra le même assemblage, de façon à ce qu'il y en ait huit, avec seize bases d'argent, deux pour chaque ais
(2). »
Par ces huit ais, qui se trouvent à l'occident, c'est-à-dire en arrière du tabernacle, où les deux parois latérales se rejoignent, nous entendons l'éminence principale de la vie spirituelle. Car les six ais qui se trouvent au milieu signifient pour nous les six déterminations éminentes, d'où dérivent toutes les autres déterminations libres. Car nous trouvons trois vertus qui nous unissent à Dieu et sont la cause et l'origine de toutes les autres vertus, c'est-à-dire la foi, l'espérance et la charité. Et chacune de ces trois vertus doit être précédée des deux déterminations libres sur lesquelles elle est fondée. Ce qui fait trois vertus et six délibérations libres.
La première détermination libre sur laquelle est fondée notre foi, c'est que, par la grâce de Dieu, nous prenions la résolution de nous élever au-dessus de tous les cieux, par un regard simple, jusqu'au Dieu unique en qui nous croyons. Par là notre foi est fondée en Dieu.
La deuxième détermination libre qui nous fait exercer et posséder notre foi sans erreur, c'est que nous formions le propos, dans la liberté de la volonté et de l'âme, de croire distinctement tout ce que la sainte Église croit et enseigne. Et ici nous devons être si dépouillés de curiosité et d'une âme si simple, que ni notre propre sentiment, ni notre raison naturelle n'arrivent à nous faire douter, hésiter, changer d'opinion, et qu'aucune créature, quelque sainte qu'elle paraisse, ou quelque merveille ou miracle qu'elle accomplisse, n'arrive à nous inculquer rien d'étranger ni de nouveau en matière de foi. Telles sont les deux déterminations libres qui nous rendent croyants et nous maintiennent dans la foi sans erreur. Et c'est ce que signifient les deux ais du milieu, à l'occident du tabernacle.
À ces deux ais du milieu en étaient joints encore deux autres, un de chaque côté, et ils signifient les deux déterminations libres qui précèdent l'espérance parfaite. La première détermination libre, sur laquelle est fondée l'espérance parfaite, c'est que nous prenions la résolution, par les mérites de Notre-Seigneur Jésus-Christ, d'aller librement à Dieu, avec une confiance sans borne et d'entrer simplement en Dieu, où espérance et confiance atteignent et possèdent paix éternelle. Voyez, par ces deux actes, l'espérance est apaisée, satisfaite et fondée sur la richesse qu'est Dieu même.
En second lieu nous formerons le ferme propos de confier à Dieu tout ce dont nous avons besoin ici dans le temps, pour le corps ou pour l'âme. Et c'est pourquoi nous devons être si affranchis de toute préoccupation, que nous ne cherchions en aucune créature ni secours, ni consolation, ni refuge, à moins que ce ne soit d'une manière ordonnée, pour un motif raisonnable ou pour l'honneur de Dieu. Et tout ce que nous recevons de n'importe quelle créature, agréable ou pénible, nous le recevons comme venant de la main de Dieu, pour notre plus grand bien. De la sorte nous demeurons dégagés, et nous vivons sans être attristés par rien. Nous devons également nous abandonner si complètement et si simplement à Dieu, soit en maladie, soit en santé, ou en quelque difficulté que nous nous trouvions, que nous n'accordions jamais confiance à aucune trufferie ni aucune sorte de sortilège.
Par là nous avons quatre ais, figurant les quatre déterminations libres, qui nous maintiennent dans la foi et dans l'espérance.
Le cinquième ais et le sixième, qui y est joint, signifient encore deux autres déterminations libres qui précèdent la vraie charité. La première, par laquelle débute la charité, c'est que d'une âme libre et dans la vertu du Saint-Esprit nous formions le propos d'aimer Dieu pour toujours, et dans cette volonté, nous devons nous livrer nous-mêmes par amour à l'amour, si simplement et si complètement que désormais nous ne vivions plus que pour l'amour éternel de Dieu et que, dans notre simplicité, nous ne connaissions et ne sentions plus qu'amour. Car, si nous consacrons toute notre vie à l'amour de Dieu, nous nous immergeons librement par amour dans l'amour. Et c'est ainsi qu'on possède l'amour. Car, si nous suivons l'amour entrant simplement jusqu'au fond de toute simplicité, alors nous arrivons par la foi, au-dessus de la foi, jusqu'à la connaissance ; par l'espérance, au-dessus de l'espérance, jusqu'à la possession ; et par l'amour, à une jouissance sans fin. Telle est la première détermination libre sur laquelle est fondé notre amour et qui l'unit à l'amour éternel qui est Dieu même.
En second lieu nous devons former le ferme propos de nous aimer nous-mêmes et tous les hommes, uniquement pour le service de Dieu. Car du moment que nous nous aimons nous-mêmes, ou quelque créature que ce soit autrement que d'une façon ordonnée au service de Dieu, c'est désordre, et cela nous enlève le mode le plus intime de la vertu, et nous empêche d'entrer simplement en Dieu. C'est pourquoi si nous nous aimons nous-mêmes et toutes choses pour l'amour de Dieu, nous nous servons de nous-mêmes et de toutes choses, suivant l'ordre et la raison, à la louange de Dieu et conformément à sa volonté : et ainsi l'amour se trouve parfaitement ordonné en nous, soit à l'égard de Dieu, soit à l'égard des créatures. Car l'amour nous introduit simplement en Dieu, sans aucun regard pour autre chose, et c'est l'amour désintéressé, qui nous rend essentiellement heureux. C'est également l'amour qui nous pousse en toutes nos vertus et toutes nos bonnes œuvres, et toujours pour l'honneur de Dieu. Ces vertus avec leurs actes nous suivent et nous ornent dans la vie éternelle, différemment, plus ou moins, suivant qu'elles auront été plus ou moins grandes et qu'elles auront été accomplies avec plus ou moins d'amour.
Ensuite les deux ais qui se trouvaient aux angles, où les deux parois latérales rejoignent le fond du tabernacle, n'avaient chacun qu'une demi-mesure de largeur. Par là nous entendons notre nature corporelle, qui n'est qu'un instrument pour agir ou supporter ; car cette nature n'est ni libre, ni vertueuse dans ses tendances, ni elle n'a d'elle-même aucune œuvre vertueuse ; mais, comme elle est unie à l'esprit, dans toutes ses déterminations et ses œuvres libres, elle devient libre grâce aux vertus, et elle se trouve jointe librement à droite et à gauche, dans les actions libres, comme dans les souffrances endurées patiemment, dans les commandements et les conseils de Dieu, pour s'opposer à tout ce qui est agréable mais contraire à l'honneur de Dieu, et se renoncer elle-même en toute tribulation qu'on doit supporter pour Dieu.
Sous l'influence de l'âme libre, cette même nature est saisie et élevée pour faire toutes choses en l'honneur de Dieu, et elle est livrée au bon plaisir de Dieu, afin d'apprendre à se passer de tout ce vers quoi nous sommes inclinés, et cela aussi bien ici-bas que dans l'éternité.
Voyez, c'est ainsi que le Seigneur nous dit de dresser les ais, c'est-à-dire nos déterminations libres, et de les joindre ensemble du haut en bas, et qu'un seul assemblage retienne tous les ais. De cette façon, à la paroi postérieure du tabernacle, il n'y aura qu'un seul assemblage des deux côtés, grâce aux deux ais placés aux angles, qui maintiennent tous les autres. De même aussi longtemps que notre âme libre vivra en cet état de nature mortelle, elle devra se porter des deux côtés librement, afin d'accomplir la vertu et de résister au vice. Ces deux choses sont égales quant à la récompense, car dans la mesure même où nous nous attachons à la vertu, nous sommes capables de vaincre tout ce qui lui est contraire ; et sans la nature corporelle l'âme ne peut avoir de mérites ; et c'est pourquoi le Seigneur dit que, pour ces deux ais des angles, on devrait établir un même assemblage que pour les six autres. Et ainsi il y aurait huit ais et seize bases d'argent. Par là nous apprenons que la nature corporelle doit être unie à son âme, et l'âme à sa nature, dans toutes les déterminations libres et dans toutes les vertus. De cette façon le tabernacle spirituel pourra se tenir debout et plaire aux yeux de Dieu. Quant à ce que signifient les deux bases d'argent sous chaque ais, je vous l'ai déjà dit. Cela veut dire qu'à la base de chaque détermination libre il doit y avoir une conscience pure et une mémoire sans images. Sans ces deux bases nous ne pouvons dresser aucune détermination libre en l'honneur de Dieu.
CHAPITRE XVII
DES BARRES D'ATTACHE ET DES ANNEAUX DU TABERNACLE.
Ensuite le Seigneur dit à Moïse : « Vous ferez cinq barres en bois de sétim pour un des côtés du tabernacle, afin de maintenir les ais, et cinq de l'autre côté, et autant à l'extrémité. Ces barres seront placées devant les ais, du haut en bas. Les ais seront dorés et munis d'anneaux d'or, par lesquels passeront les barres destinées à retenir les ais. Les barres elles-mêmes seront recouvertes de lames d'or. Et vous dresserez le tabernacle d'après l'exemplaire qui vous a été montré sur la montagne
(3). Vous remarquerez que le Seigneur n'indique pas la longueur de ces barres, ni comment elles devaient être placées et disposées pour maintenir les ais. Et c'est pourquoi les saints et les docteurs n'en parlent pas de la même façon, mais chacun en parle selon son propre sentiment. Je puis aussi faire de même et je dis donc que de chaque côté du tabernacle, exactement au milieu, là où les deux ais du milieu se joignent, il y avait cinq anneaux d'or, de haut en bas, et, dans ces cinq anneaux, une barre verticale, de la longueur des ais, semblable à une colonne fixée à une porte, et où les deux battants de la porte se rejoignent. Et les deux barres restaient toujours dans les anneaux, même quand on transportait le tabernacle d'un lieu à un autre.
Quant aux autres quatre barres de chaque côté, elles étaient placées en travers, à mi-hauteur des ais, depuis l'entrée jusqu'à l'angle postérieur du tabernacle, de façon à ce qu'à mi-hauteur de chaque paroi, ils croisent la barre verticale. Cette barre verticale se trouvait au milieu de ces quatre barres transversales, de sorte qu'il y en avait deux vers l'entrée du tabernacle et deux vers le fond. Et, dans chaque ais, il y avait deux anneaux d'or, joints avec des crampons d'or, et par là passaient les barres qui devaient maintenir les ais dans la position verticale.
De plus, à l'ouest du tabernacle, sur le côté du quatrième ais, il y avait également une barre verticale passée dans cinq anneaux d'or, tout comme sur les deux côtés latéraux du tabernacle. À droite et à gauche de cette barre verticale, exactement à mi-hauteur des ais, il n'y avait qu'une seule barre transversale, qui allait jusqu'aux angles ; et c'est là que venaient se joindre les barres qui venaient des côtés ; de façon à s'emboîter parfaitement l'une dans l'autre. De même que les pièces d'une trompette ou d'une crosse d'évêque s'unissent entre elles, de même les barres s'étendaient à travers les anneaux d'or, sur chacun des deux côtés latéraux du tabernacle et à. l'ouest ; car elles formaient une fermeture unique qui entourait tous les ais et les maintenait debout.
Il y avait encore, du côté de l'ouest, deux autres barres transversales qui couraient au sommet des ais, de même façon que celles qui étaient à mi-hauteur ; et elles allaient également jusqu'aux angles des deux côtés. Et de là, à ce même sommet du tabernacle partait une autre barre
(4) qui entourait les deux côtés latéraux, ainsi que la partie antérieure. Et cette barre était en trois morceaux qui s'unissaient aux angles antérieurs du tabernacle, tandis que, aux cieux angles postérieurs, elle rejoignait les barres supérieures qui se trouvaient à l'ouest. Et ainsi, par ces trois barres, le tabernacle était complètement entouré en haut. Et pour cela il y avait au sommet de chaque ais deux anneaux d'or, à l'exception des ais moins larges aux angles, qui n'avaient qu'un seul anneau à mi-hauteur et un en haut. Mais ici vous saurez que le Seigneur n'avait pas commandé de faire la barre qui était en trois morceaux ; cependant du consentement unanime de tous les ouvriers, ils la firent pour la concordance et la beauté de l'ensemble et aussi pour donner plus de solidité au tabernacle. De cette façon, les ais étaient munis à l'extérieur de barres transversales qui se trouvaient à mi-hauteur et en haut, et de plus ils avaient trois barres verticales qui croisaient et unissaient les barres transversales, et ils reposaient sur les bases d'argent dans lesquelles ils s'emboîtaient comme les montants d'un coffre s'appuient sur le fond.
Ces cinq barres que Dieu commanda à Moïse de mettre dans chaque paroi et à l'extrémité du tabernacle, pour l'affermir et l'enserrer, nous apprennent que notre homme intérieur doit s'établir dans une union permanente avec Dieu et une libre conformité avec les opérations libres de Dieu en lui. Et cette union et cette conformité doivent être pratiquées et possédées de trois façons : et c'est là ce qui nous maintient dans un état vraiment spirituel.
La première manière de pratiquer cette conformité, représentée par les ais de la paroi droite, consiste à nous donner tout entiers et docilement à toutes les vertus, et à rester cependant unis avec Dieu dans un repos affranchi de toute préoccupation. La seconde manière de pratiquer cette conformité nous est signifiée par les ais de la paroi gauche ; elle consiste à. nous renoncer et nous abandonner nous-mêmes en toute souffrance sans la moindre préférence, et à nous livrer au bon plaisir de Dieu ; de cette façon nous nous libérons de tout souci et devenons un bien dont Dieu peut disposer à son gré ; et par là il nous possédera seul, sans obstacle, comme il se possède lui-même. Dans les ais qui se trouvaient à l'extrémité occidentale, nous trouvons l'image de la troisième manière, qui consiste à servir Dieu en amour, tant en nous-mêmes qu'en toutes les créatures et à adhérer à lui avec tant de simplicité et d'assurance que notre confiance en Dieu l'emporte infiniment sur celle que nous pourrions mettre dans les créatures, ainsi nous arriverons à nous livrer tout entiers et spontanément par amour à son amour, et à nous établir par amour si profondément dans l'amour, que Dieu devienne nôtre. Voyez, de même que ces trois séries d'ais ne faisaient qu'un seul tabernacle, de même cette triple conformité avec Dieu ne forme qu'une seule et même vie spirituelle.
Vous saurez en outre que chaque série d'ais a cinq barres. De même, de quelque manière que nous nous conformions librement à Dieu, nous devons accueillir de cinq façons les opérations que Dieu se plaît à accomplir en notre âme. Ces cinq sortes d'opérations divines, auxquelles nous donnons intérieurement notre consentement, sont comme autant de barres ou de verrous par lesquels nous devons affermir, protéger et enserrer notre tabernacle, c'est-à-dire notre vie morale, si nous voulons lui assurer la durée.
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Nous avons dit ci-dessus que Dieu appela nommément et élut expressément Beseleel pour diriger les travaux du tabernacle matériel ; et qu'il le remplit de l'esprit de Dieu, de sagesse, d'intelligence et de science, afin que par ces dons, il pût accomplir son œuvre. Beseleel veut dire obéissance spontanée ou conformité avec Dieu. Or, c'est cette conformité, unie aux opérations que Dieu se plaît à accomplir en nous, qui construira notre tabernacle spirituel. Car, si nous nous conformons à Dieu et nous accordons avec lui, nous serons toujours remplis de l'esprit de Dieu, de sagesse, d'intelligence et de science. Ainsi devenue stable cette conformité se traduit au dehors par les vertus selon les trois manières que nous ont signalées les ais, en même temps qu'elle nous fait entrer assidûment en Dieu par l'union et le repos ; ce qui nous est signifié clairement par le nom de Beseleel, qui veut dire ombre de Dieu ou ombrage divin. Car nous sommes l'ombre de Dieu quand nous suivons docilement tous les mouvements intérieurs que Dieu produit en nous ; et nous sommes l'ombrage divin par l'union que nous possédons avec Dieu et dans laquelle Dieu aime à se reposer et à habiter.
Ainsi donc, lorsque nous consentons à nous unir et à nous conformer à Dieu, nous faisons nôtre l'opération de Dieu en nous : ce sont là les barres par lesquelles nous devons maintenir notre tabernacle spirituel.
En effet, à. l'instant même où nous nous donnons à Dieu avec toutes nos œuvres en toute liberté, Dieu se donne lui-même à nous et produit en nous son opération ; et ce don mutuel établit entre Dieu et nous la concorde, le don de l'un appelle celui de l'autre. Pourtant, ce n'est pas notre don qui force Dieu à. se donner, car, s'il se donne, ce n'est pas nécessairement parce que nous nous donnons à lui ; mais son don est antérieur au nôtre de toute éternité et procède de sa pure libéralité. Il attend toujours que nous nous donnions ; et c'est quand nous consentons volontiers à nous donner, que nous sommes libres de recevoir ses dons.
Ainsi son don et le nôtre sont également libres et spontanés, mais le sien vient le premier ; et c'est pourquoi nous ne sommes capables d'aucun bien sans le libre secours de Dieu, pas plus qu'il ne peut nous rendre saints sans notre libre consentement.
C'est pour cela que le Seigneur veut que nous mettions les barres devant les ais ; c'est-à-dire que nous n'entreprenions et ne terminions nos œuvres qu'en sa vertu et dans un complet abandon à lui. Car par lui et par son opération toute libre dans l'intime de nous-mêmes, nous pouvons toutes choses. C'est pour la même raison qu'il se plaît à nous donner son Esprit, sagesse, intelligence et science, pour nous donner la vie et nous faire accomplir librement des œuvres de vie. Car ce souffle divin qui passe en nous et nous vivifie, telle est la véritable barre verticale qui nous dresse debout en Dieu, nous donne la vie et nous permet de nous conformer à Dieu, apportant toujours avec elle plénitude de grâces. Dès l'instant où nous recevons son souffle, nous lui livrons notre esprit ; et cet acte purifie notre conscience du péché et nous rend libres et dégagés de toute image : telles sont les bases d'argent, sur lesquelles nous devons établir les ais, c'est-à-dire tous nos propos de vertus. Cet échange entre Dieu et nous nous établit avec lui dans l'unité et fait que notre esprit se renouvelle sans cesse par cette opération et acquiert une vie plus intense, car c'est le fond vivant de notre conformité avec Dieu ; et ce fond vivant demeure toujours de façon stable et permanente, dans l'union et dans l'action avec une conscience pure et un cœur sans attache déréglée.
C'est dans cette pureté que nous devons mettre debout tous nos ais, en d'autres termes affermir tous nos propos libres de vertu, et sur cette même pureté Dieu appuie l'action qu'il exerce au plus intime de nous-mêmes. Voilà pourquoi les trois barres verticales étaient fixées dans les premières bases d'argent établies sous les ais, représentant le fondement soit des commandements, soit des conseils, soit de la foi. Ceci se rencontre dans cette pleine conformité avec Dieu, où les commandements viennent rejoindre les conseils sous l'action de Dieu au plus intime de nous-mêmes. C'est pour cela enfin qu'une conscience pure est comme ces premières bases qui se trouvaient sous les ais, car elle est le point de départ de tout bien et elle offre à Dieu une demeure largement ouverte.
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Vous saurez en outre que les trois ais. principaux qui figurent notre élévation dans la foi ou dans les conseils divins, avaient à leur bord extérieur cinq anneaux d'or, par lesquels passait la barre verticale. Car, si notre homme intérieur concorde avec Dieu en toute manière, nous serons sans aucune attache et aurons l'âme pleinement libre ; et c'est au sein de cette conformité que Dieu habite et opère par la plénitude de ses grâces ; et cette opération de Dieu en nous est comme la barre verticale qui unissait les ais. En cela il y a jouissance pour notre partie raisonnable et tous nos sentiments intérieurs, c'est-à-dire pour nos cinq sens internes ; ils s'épanouissent et s'ouvrent vers Dieu, et embrassent amoureusement cette libre opération de Dieu en nous comme le principe vivant et le soutien permanent de toute notre vie spirituelle. De la sorte nos sentiments intérieurs restent toujours ouverts devant Dieu, s'inclinant amoureusement vers l'influx divin. Et par là nous restons vivants en Dieu, de même que l'Esprit de Dieu demeure en nous. C'est ce que nous représentent les cinq anneaux d'or fixés toujours à la barre verticale qui se trouvait au milieu de chaque série d'ais.
Je vous ai dit ci-dessus que les barres verticales qui se trouvaient contre les parois latérales, avaient, de chaque côté exactement à mi-hauteur, deux barres transversales qui les croisaient en forme de croix et allaient de l'entrée du tabernacle jusqu'à l'angle postérieur en se suivant et s'ajustant l'une à l'autre ; tandis que la barre verticale qui se trouvait à l'extrémité occidentale n'avait, de chaque côté à mi-hauteur, qu'une seule barre transversale qui allait jusqu'à l'angle postérieur. Là venaient se rejoindre les autres barres transversales des parois latérales. Par là nous apprenons que du libre influx de Dieu, qui est la source de toute notre vie spirituelle, s'écoulent, d'une part, en nous l'intelligence et la science ; ce qui s'entend de la sortie, par laquelle, selon les préceptes de Dieu, nous nous tournons au dehors pour la pratique des vertus.
L'intelligence qui s'écoule de Dieu, c'est-à-dire la révélation intérieure de Dieu, tient l'intime de notre âme ouvert, et élève notre entendement au-dessus de toutes les images et au-dessus de toute préoccupation, dans une tranquillité toute pure. Et, dans cette tranquillité pure, notre entendement perçoit l'inspiration divine, murmure caché qui s'adresse à nos oreilles intérieures et nous rend aptes à entendre et à percevoir, par l'intelligence, toute vérité que l'Esprit de Dieu nous enseigne intérieurement. C'est ainsi que notre intelligence demeure sans cesse élevée et ouverte à l'inspiration divine.
Grâce à cette intelligence élevée, notre raison reçoit de l'influx divin une science divine, qui illumine complètement la partie raisonnable et fait de nous des voyants intérieurs : elle nous apprend à distinguer toute vérité et nous enseigne de quelle manière nous devons correspondre à la vérité par toute notre vie, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur, et comment nous devons nous livrer tout entiers à la vérité si nous voulons être libres et arriver à la possession tranquille de Dieu, et de nous-mêmes.
Quand nous nous tournons ensuite vers Dieu, en exerçant la foi, l'espérance et la charité, nous recevons de l'influx divin l'intelligence et la science, qui nous donnent l'ouïe et la vue intérieures de ce que nous devons croire et espérer, et de ce que nous avons reçu de l'amour, avec ce que nous devons lui rendre. Et quand nous recevons ainsi intérieurement de l'Esprit de Dieu l'ouïe et la vue, nous demeurons éclairés, vivants et dociles à la vérité et aux enseignements de Dieu, à l'intérieur et à l'extérieur. Voyez, ce sont là les barres transversales des deux côtés, ainsi que du fond de notre tabernacle. Elles opèrent du dedans vers le dehors par les vertus et nous apprennent à nous fixer et à nous élever selon les commandements de Dieu.
Ensuite, d'un autre côté, lorsque par libre conformité aux conseils de Dieu, nous rentrons en nous-mêmes et nous unissons à Dieu, lorsque aussi d'une âme libre nous nous élevons vers Dieu par la foi, l'espérance et la charité, alors nous recevons de l'influx de Dieu en nous sagesse divine, et cette sagesse est simple, attirant au dedans ; et à cause de cela elle donne à notre appétit un goût spirituel, qui nous fait rejeter et mépriser tout ce qui est périssable. Car cette sagesse est un fruit de la vie éternelle et par elle est aussi éternel notre désir d'entrer ou de monter vers Dieu. L'entrée est figurée par les deux côtés du tabernacle, tandis que la montée est exprimée par l'extrémité ouest.
Il y a en effet dans cette extrémité ouest une quatrième et une cinquième barre, au sommet des ais, qui veulent dire que nous sommes attirés en haut vers Dieu par la foi, l'espérance et la charité ; tandis que les barres des côtés latéraux signifient notre entrée.
Par là nous comprenons qu'il nous faut toujours suivre avec faim et avidité la sagesse qui coule en nous ; et si nous la poursuivons ainsi, cette sagesse pénètre en nous si profondément et nous fait entrer si intimement, que par elle nous défaillons à nous-mêmes en une expérience spirituelle intérieure, qui nous introduit dans la profondeur de l'union et nous fixe en une paix éternelle.
D'autre part, à l'extrémité ouest du tabernacle, qui figure notre montée vers Dieu, cette même sagesse nous élève si haut que, par faim et avidité, nous nous dépassons nous-mêmes et atteignons la hauteur souhaitée. Là nous rencontrons la même expérience qui saisit et pénètre tout notre intérieur. Et ainsi sont élevés en commun et notre esprit et notre nature sensible ; et dans cette élévation nous apercevons une liberté immuable, que nous ne pouvons jamais ni approfondir ni atteindre. Cette liberté immuable est figurée par la dernière barre, qui entourait par le haut les deux côtés et l'entrée de devant du tabernacle. Le Seigneur n'avait pas commandé de la faire, parce que la liberté, qu'elle représente, se produit en nous par l'exercice, quand d'une âme libre nous montons toujours, par goût intérieur et expérience divine, là où nos puissances supérieures possèdent l'union avec Dieu. Là nous rencontrons libre de tout obstacle l'embrassement de la liberté éternelle de Dieu, qui accueille tous nos libres propos avec toutes nos vertus, et dans lequel nous élevons tous nos sens intérieurs et les fixons dans une expérience divine. L'expérience nous unit et le goût nous attire, mais l'immuable liberté nous fixe en stabilité. Ces trois choses, figurées par les trois barres, sont également nobles et élevées ; car lorsque nous goûtons et faisons l'expérience, par l'infusion de la sagesse divine, nous possédons comme la quatrième barre et la cinquième à l'entrée, c'est-à-dire la montée vers Dieu, et par là est donnée la dernière fermeture, qui est l'immuable liberté de Dieu.
Telles sont les trois barres qui nous tiennent élevés et solidement fixés dans l'unité et dans la vraie conformité aux conseils de Dieu.
Nous devons aussi revêtir d'or tous les ais, c'est-à-dire élever tous nos libres propos en charité et en amour divin. Et de même que chaque ais portait deux anneaux d'or au milieu ainsi qu'à l'extrémité supérieure, par lesquels passaient les barres transversales, de même en chaque libre propos devons-nous embrasser, par amour essentiel, toute l'opération intérieure de Dieu ; ce qui veut dire que notre amour doit être tellement simple et tellement s'enfoncer en Dieu et Dieu en lui, qu'en chaque libre propos cet amour puisse pénétrer toutes nos œuvres et l'opération intérieure de Dieu en nous, ainsi que tous ses dons. Car Dieu est tellement libre dans son amour et il s'enfonce tellement par amour en nous, que traversant ses œuvres et les nôtres, il habite essentiellement en nous. Et nous devons lui répondre de la même manière, si nous voulons habiter en lui : et cette habitation mutuelle et cette immersion de l'un et de l'autre dans l'amour, sont cause d'une inhabitation éternelle.
Ce sont là nos anneaux d'or ouverts, dans lesquels nous saisissons nos œuvres, ainsi que les œuvres de Dieu et tous ses dons ; et dans chaque libre propos des vertus nous devons, par notre amour pénétrant, porter notre regard jusqu'à notre inhabitation en Dieu, tandis que Dieu contemple la sienne en nous. C'est ainsi que nous coulons tous nos anneaux d'or ; car nous devons vivre de telle façon que, dans chaque libre propos, nous puissions sentir en nous un cœur aimant, brûlant et qui se fond en s'écoulant de nous-mêmes en Dieu et dans sa louange. Par là nous coulons un anneau d'or en Dieu, anneau rattaché à notre cœur ouvert, c'est-à-dire à notre nature sensible. Et cet anneau nous maintient dans un désir empressé et toujours disposé à toute vertu, en même temps que dans une inclination constante d'affection envers Dieu. Ainsi devenons-nous semblables et unis à. l'humanité de Notre-Seigneur, selon sa nature corporelle.
Nous devons encore sentir en nous un esprit aimant, qui se réjouit en Dieu et défaille en amour et en béatitude ; et par là nous coulons un autre anneau d'or en Dieu, qui se rattache à notre esprit. Nous devons multiplier ces anneaux à l'extérieur et à l'intérieur, et dans la hauteur vers Dieu, et nous devrons les tenir toujours ouverts pour l'opération intérieure de Dieu ; car notre amour essentiel doit être tellement pénétrant et large qu'il comprenne en soi l'opération intérieure de Dieu et tous nos exercices de vertus. C'est bien là ce que veulent dire les anneaux d'or, qui se trouvaient au milieu et en haut des ais et retenaient en eux toutes les barres.
CHAPITRE XVIII
DE LA SIGNIFICATION DES BARRES COUVERTES DE LAMES D'OR.
Ensuite le Seigneur dit de revêtir les barres de lames d'or. Par là nous apprenons qu'entre nous et Dieu doit toujours exister un amour vivant et actif qui doit transformer, seul, l'opération libre intérieure de Dieu, et notre libre correspondance. Et cet amour ne peut pas être oisif, car il est exercé entre le Dieu vivant et notre esprit vivant ; et à cause de cela, plus nous sentons en nous d'amour actif, plus nous vivons dans la grâce ; et plus nous éprouvons d'amour essentiel qui embrasse en nous l'amour actif, plus nous défaillons en nous-mêmes par amour, et possédons la béatitude. Mais l'amour actif entre nous et Dieu doit transformer et couvrir toutes nos œuvres et l'opération intérieure de Dieu, et ce sont là nos lames d'or, dont nous couvrons toutes nos barres ; et cet amour actif nous l'appelons charité, qui fait vivre notre esprit et le fait croître en la grâce. Ce lien unique de la charité nous donne l'amour, et il exige de nous que nous aimions, et il est lui-même amour : il cause entre nous et Dieu l'influx aimant qui doit toujours agir. Car cet influx mutuel est notre vie spirituelle et notre charité, l'amour de Dieu et le nôtre unis en un seul. Ce sont là nos lames d'or qui transforment et couvrent tous les dons de Dieu et toutes nos œuvres, car Dieu ne donne aucun don surnaturel en vain. Et pour cela nous devons toujours répondre à sa grâce ; nous devons lui donner toutes nos œuvres revêtues de notre amour, si nous voulons recevoir de son amour tous ses dons. Et ce double amour ainsi pratiqué c'est la charité, en laquelle subsiste notre vie spirituelle ; car de même que nous vivons dans la nature entre deux mouvements corporels, de même nous devons vivre aussi dans la grâce entre deux mouvements spirituels.
Le premier mouvement, qui fait vivre tous les hommes dans la nature, agit par la vertu de Dieu : et c'est le mouvement du ciel, que Dieu donne communément à toutes les créatures qui vivent et croissent sous le soleil jusqu'au dernier jour. À ce mouvement notre nature corporelle doit s'accorder, pour que nous vivions ; car il opère en chaque créature, d'après sa capacité. Et à cause de cela nos organes intérieurs vivent, grâce à l'influence et au mouvement du ciel, pourvu que nous y soyons disposés ; car dans notre corps le poumon est mobile et léger ; il agit toujours et se meut, et répond au mouvement du ciel.
Et il s'ouvre exactement comme un soufflet, et tire l'air en lui ; et alors il se ferme, et rend l'air dehors ; et par cela les flots de sang coulent dans toutes nos veines, et portent l'esprit de vie dans tous nos membres. Et ainsi nous avons notre vie sensible, notre ouïe et notre vue opérant au dehors, notre goût et notre tact opérant en dedans. Et pour cela notre poumon vivant doit travailler sans cesse, si nous voulons vivre, car il doit répondre au mouvement du ciel ; et par son opération, c'est-à-dire son mouvement, il tire l'air en nous à toute heure, pendant le sommeil et la veille, que nous le sachions ou l'ignorions ; et puis aussitôt il le rend et ainsi notre cœur demeure vivant, rafraîchi et réconforté. Et nous recevons cet air par lequel subsiste notre vie, au moyen du sens central, qui est notre odorat ; car nous comparons notre odorat et le mouvement intérieur de notre poumon, à la barre verticale qui est fixée au milieu ; ce par quoi nous entendons aussi l'influx entre nous et Dieu ; d'une part il y a un influx de vie naturelle, et de l'autre influx de vie spirituelle. De même que nous vivons par nature, grâce au double mouvement du ciel et de nos poumons qui tirent l'air au dedans ; de même nous vivons aussi par grâce, d'un double mouvement de la bienveillance de Dieu et de notre volonté libre qui concorde avec Dieu et attire ainsi l'esprit de Dieu au dedans.
Et à cause de cela, si nous sommes bien portants dans la nature, si l'air est doux et si nous l'attirons au dedans, notre cœur se nourrit, se fortifie, et se remplit, et il aspire au dehors vers la douceur de l'air ; et par là notre santé croît, notre nature se réjouit, et nos sens deviennent plus subtils et plus clairs, et lorsque nous rendons l'air au dehors, nous devenons intérieurement vides, désireux et avides de recevoir encore de l'air nouveau : car c'est dans le renouvellement de l'air que notre vie naturelle subsiste.
De même pouvons-nous remarquer que toutes les fois que nous donnons avec amour notre esprit à Dieu, et recevons en nous son esprit, nous sommes bien portants, et nous devenons en son esprit plus vivants, plus forts et mieux portants que nous ne l'étions auparavant ; car son esprit est un air céleste et doux, qui attire notre esprit dans sa propre douceur ; et ainsi notre esprit devient vide et largement ouvert, désireux et avide ; et par là. nous attirons de nouveau l'esprit de Dieu en nous avec de nouvelles grâces. Par cette aspiration nous respirons l'odeur céleste, qui chasse tout venin du péché, et par lequel les malades se guérissent, les morts deviennent vivants, et ceux qui sont vivants conservent leur vie. Et ceux qui ne connaissent pas cette odeur sont fétides et morts devant Dieu. Aussi devons-nous nous renouveler à chaque heure en la grâce, et poursuivre intérieurement l'odeur céleste qui attire tout ce qui lui ressemble ; et à cette attraction nous devons donner avec amour notre esprit, notre ouïe intérieure, et notre vue, notre goût et notre tact ; et elle remplira tout de son esprit et de ses dons ; et en cela subsiste notre vie spirituelle, comme vous l'avez entendu plus haut.
Ensuite pour croître en expérience nous devons toujours regarder ce qui peut nuire à notre vie selon la nature ; car, si quelque obstacle venait nous empêcher de recevoir à chaque instant de l'air nouveau, ce serait l'étouffement immédiat, puisque nous avons besoin sans cesse d'air nouveau. C'est pourquoi le mouvement du ciel ne s'arrête jamais, il conserve notre vie naturelle et il opère par la vertu de Dieu qui ne saurait manquer. Mais les éléments dont nous sommes faits sont contraires entre eux ; et à cause de cela l'un opprime souvent l'autre ; de sorte que tantôt il y a trop de chaleur ou trop de froid, tantôt l'humidité l'emporte ou bien la sécheresse et c'est là une cause de trouble pour notre nature corporelle, et de désordre dans. son mouvement, de sorte que maladie s'en suit. Mais quand la maladie s'aggrave tellement, que le mouvement naturel à nous n'agit pas, et ne correspond pas au mouvement du ciel : dans le même moment défaillent tous nos sens et notre vie naturelle. Voyez, nous trouvons tous ces modes dans notre vie spirituelle. Ainsi, lorsque notre esprit attire en soi avec amour quelque image de créature qui nous impressionne et l'emporte sur l'amour de Dieu, nous y trouvons un obstacle, et, à cause de cet obstacle, nous ne pouvons recevoir l'inspiration de Dieu, et nous devons alors mourir dans le péché. Cependant le mouvement céleste de la grâce de Dieu ne s'arrête jamais ; mais si nous ne sommes pas bien d'accord avec la grâce de Dieu, nous devenons trop brûlants, c'est-à-dire trop inclinés vers l'amour, terrestre, trop froids dans l'amour divin, trop chargés d'humidité par la recherche des aises, et trop secs, c'est-à-dire trop tièdes et trop lents dans l'application élevée vers Dieu : et ainsi nous ne répondons pas bien par nos œuvres au mouvement de Dieu, et c'est pourquoi nous perdons l'équilibre et devenons nécessairement malades. Mais, si cette maladie l'emporte tout à fait sur notre libre conformité avec Dieu, notre mouvement spirituel s'arrête complètement, et dans le même moment nous mourons dans le péché. Aussi devons-nous dresser et orner de vertus notre tabernacle spirituel comme vous l'avez entendu plus haut. Le Seigneur l'avait dit à Moïse : « Vous dresserez le tabernacle d'après l'exemple qui vous a été montré sur la montagne. »
CHAPITRE XIX
DU RIDEAU ET DES COLONNES QUI ÉTAIENT DRESSÉS DANS LE TABERNACLE DEVANT LE SAINT DES SAINTS.
Ensuite le Seigneur dit à Moïse : « Vous ferez un rideau d'hyacinthe, de pourpre et d'écarlate deux fois teinte, et de fin lin retors, tout travaillé à l'aiguille avec un tissu d'ornements variés. Ce rideau, on le suspendra devant quatre colonnes dorées de bois de sétim, et leurs chapiteaux seront entièrement en or, mais les bases en seront d'argent. Ce voile sera suspendu par des anneaux d'or devant les colonnes dorées. Par ce voile le Saint sera séparé du Sanctuaire », de la même façon que l'église est séparée du chœur.
Voyez, il y avait quatre bases d'argent, et sur elles posaient quatre colonnes dorées de bois de sétim, lesquelles avaient quatre chapiteaux d'or, munis de quatre anneaux d'or, et de ces anneaux pendait un rideau au moyen de quatre cordons d'hyacinthe ; ce rideau était de quatre couleurs : hyacinthe, pourpre, écarlate et fin lin retors, et se composait de quatre bandes, une bande de chaque couleur.
Vous devez maintenant remarquer ce que nous entendons par là. Vous avez appris ci-dessus que Dieu continue toujours à habiter en nous, pourvu que nous ayons une conscience pure et un cœur sans images : et c'est ce que signifient les deux bases qui se trouvaient posées sous chaque ais. Nous apprenons maintenant que Dieu habite en nous de quatre façons, c'est-à-dire par quatre propriétés : sa propre clarté, sa richesse, son union et son essence. Et lorsque nous nous recueillons avec amour jusque dans la simplicité de notre esprit, nous trouvons en Dieu et possédons ces quatre propriétés. Et de là notre esprit sera dépouillé de quatre façons, et ce dépouillement de notre esprit est signifié par les quatre bases d'argent qui se trouvaient sous les quatre colonnes.
Comprenez-moi bien maintenant dès que nous nous recueillons entièrement et avec amour dans la simplicité de notre esprit, nous rencontrons l'immense clarté divine, et en elle notre intelligence devient tellement pauvre de considérations et tellement vide de toutes images, qu'il semblerait que nous n'ayons jamais vu ni entendu chose quelconque. Ce dépouillement d'images de notre esprit pénétré de la clarté de la lumière divine est notre première base d'argent sur le fondement de notre intelligence.
Deuxièmement, Dieu habite dans la simplicité de notre esprit par sa richesse insondable ; et ainsi, dans ce même recueillement d'amour où nous rencontrons la divine clarté, nous éprouvons cette richesse, et dans cette richesse notre esprit est tellement dégagé et tellement vide de tout vouloir et de tout désir, qu'il semble n'y avoir plus au ciel et sur la terre aucune chose dont nous ayons besoin ; car ici nous sommes unis à la richesse qui est Dieu même. Ce vide de notre volonté recueillie et pénétrée de la richesse de Dieu, c'est notre deuxième base d'argent établie sur le fondement de notre puissance affective.
Ensuite, dès que nous nous trouvons dans la clarté divine et dans la richesse de Dieu, nous ressentons la troisième propriété qui est l'union que Dieu a faite avec notre esprit. Par le moyen de cette union nous sommes tellement détachés, que nous n'avons le désir de plaire à personne, et que personne ne peut ni nous distraire ni nous plaire. Car, dans cette union ne peut se cacher ni habiter aucune créature ; et à cause de cela nous demeurons toujours seuls avec Dieu et détachés en toutes choses. Ce détachement dans l'union avec Dieu est notre troisième base d'argent.
Quatrièmement, Dieu habite dans la simplicité de notre esprit par son essence. Et ainsi, lorsque moyennant la clarté et la richesse divines, et l'union avec Dieu, nous nous quittons nous-mêmes, nous élevant au-dessus de toutes choses, et dépassons toute multiplicité et distinction, nous entrons dans la simple nudité de notre essence, et là nous ressentons l'immense largeur et la profondeur insondable de l'essence divine ; et elle est à notre regard simple comme un désert solitaire où jamais image corporelle ni spirituelle ne peut entrer. Voyez, contempler ce désert solitaire et le posséder dans la nudité dé notre essence c'est la quatrième base d'argent.
Ces quatre bases constituent en nous un fond dépouillé et vide d'images, dans lequel Dieu veut demeurer et habiter éternellement, comme en lui-même. Et sur ces quatre bases, nous devons établir quatre colonnes dorées de bois de sétim. La première colonne posée sur sa base c'est notre entendement nu et recueilli, par lequel nous devons monter librement et sans cesse, fixant toujours d'une façon simple la clarté divine, qui est la révélation de la vérité éternelle. Elle nous illumine et habite en nous toujours, et, moyennant le dépouillement de notre esprit, nous sommes fixés. La deuxième colonne posée sur sa base, c'est notre amour simple et recueilli. Par lui nous devons toujours monter d'une façon simple vers la bonté incompréhensible de l'Esprit-Saint qui a versé sa richesse qu'il est lui-même, dans la simplicité de notre esprit et dans l'élévation libre de notre volonté. La troisième colonne fixée sur sa base, c'est l'unité de notre esprit. Elle doit sans cesse monter d'une façon vivante jusqu'à la souveraine unité de Dieu, qui toujours donne et reprend et qui ne laisse aucun de ceux qui aiment demeurer en soi. La quatrième colonne fixée sur sa base, c'est une montée cachée de notre essence dans l'essence divine, de notre nature dans sa nature. Car toute créature raisonnable doit poursuivre justement son principe. Et l'abîme de la nature divine appelle l'abîme. C'est que tous ceux qui sont unis à Dieu dans l'amour, sont appelés tous par la voix de ses conseils cachés. Ce sont là les quatre propriétés insondables de Dieu par lesquelles Il éclaire et enrichit la simplicité de notre esprit sans mesure, et la garde toujours dans l'unité, la possède et la fixe dans sa propre essence. Voyez, ainsi nous avons quatre colonnes qui nous enseignent une montée simple en Dieu, par le moyen des quatre propriétés de Dieu que vous avez entendues. La montée reste toujours dans la simplicité au-dessus de la raison et elle est pratiquée dans la liberté de l'amour : c'est ce que signifient en effet les colonnes, car elles sont de bois de sétim et dorées. Mais leurs chapiteaux sont entièrement d'or ; car au sommet de la montée, nous ne sentons qu'amour essentiel qui est le sommet de tous les sommets. Et, lorsque nous sommes ainsi dépouillés des images de nous-mêmes et de toutes choses, et entrons avec Dieu d'une façon simple jusque dans la pureté de notre esprit, alors nous éprouvons cet amour.
À ces chapiteaux d'or était suspendu, au moyen de quatre cordons d'hyacinthe passés dans quatre anneaux d'or, un rideau de quatre couleurs, les anneaux étant fixés dans les chapiteaux. Par ce rideau de quatre couleurs nous entendons la plénitude des vertus pratiquées selon quatre modes. Les anneaux d'or signifient la grâce émanée de Dieu, qui découle toujours de l'union que nous possédons en lui par l'amour essentiel. Ces anneaux sont au nombre de quatre, car la grâce de Dieu découle en nous par l'amour de quadruple façon, c'est-à-dire selon quatre propriétés ; et à cause de cela chaque vertu a quatre modes, et cela nous est signifié par le rideau de quatre couleurs. Car de chaque propriété divine qui nous unit avec Dieu au-dessus de la raison, dans la nudité, nous vient une autre propriété qui nous orne de vertus dans la raison. Et c'est pourquoi les colonnes de la simple montée en Dieu étaient cachées derrière le rideau devant l'arche de Dieu ; mais le rideau, figure de la vertu, était suspendu à découvert, de sorte que tout prêtre entrant dans le tabernacle pouvait le voir. Car le rideau séparait le Saint du Sanctuaire : mais les colonnes se trouvaient à l'intérieur. Et ainsi pouvons-nous saisir et comprendre par la raison tous les exercices des vertus : mais la simple montée, qui nous unit avec Dieu, est sans mesure et sans mode ; et à cause de cela elle reste toujours au-dessus de la raison et incomprise ; nous ne pouvons la connaître que par l'amour dépouillé et le regard simple tourné vers la lumière divine. De cette simple montée dans la lumière et la richesse divines découlent tous les dons de Dieu et à ces dons sont attachées toutes nos vertus et toutes nos bonnes œuvres. Ainsi, de même que le rideau était suspendu aux anneaux d'or et que ceux-ci étaient fixés aux chapiteaux d'or qui surmontaient les colonnes, de même nos vertus sont-elles attachées à la grâce de Dieu, et celle-ci à l'union que nous possédons en Dieu par amour essentiel : là nous sommes un par l'amour. Mais, entre les anneaux d'or de la grâce et le rideau des vertus, sont interposés les cordons d'hyacinthe qui fixaient les rideaux aux anneaux. Ces cordons d'hyacinthe sont notre considération raisonnable lorsqu'elle est éclairée de Dieu ; par elle devons-nous contempler comment tous les dons de Dieu découlent d'en haut, pour nous faire ressembler à Dieu, et nous attirent à l'intérieur, pour nous unir à Dieu ; et dans cette contem-plation nos cordons sont fixés en haut dans les anneaux d'or. Il nous faut aussi contempler et expérimenter comment par la grâce de Dieu nous nous répandons en toutes vertus, et entrons dans l'unité. Par cette contemplation nos cordons sont fixés dans le rideau de toutes nos vertus, qui demeure perpétuellement suspendu aux anneaux de la grâce de Dieu, par l'intermédiaire des cordons, c'est-à-dire de notre raison éclairée, par laquelle nous nous contemplons nous-mêmes ainsi que les dons aimables de Dieu. Et par cela nous ressemblons à Dieu. Et cette ressemblance est attachée à l'union que nous possédons en Dieu dans l'amour essentiel, de la même façon que les anneaux d'or sont fixés avec le rideau dans les chapiteaux d'or. Car vous avez bien entendu plus haut, que Dieu habite perpétuellement dans la simplicité de notre esprit par quatre propriétés. Les deux premières propriétés émanent de nature, et les deux autres attirent. Dieu, par nature, s'écoule en la vérité et l'amour, et Il attire par l'unité et l'essence. La vérité éternelle naît du Père, et l'amour éternel émane des deux, c'est-à-dire du Père et du Fils : ce sont les propriétés par lesquelles Dieu se répand. L'unité de la nature divine enserre les trois personnes dans le lien d'amour, et l'essence divine embrasse cette unité en repos par une étreinte de fruition dans l'amour essentiel. Ce sont les deux propriétés d'attirance divine. Et ainsi Dieu possède la simplicité de notre esprit au-dessus de notre entendement raisonnable, et par là nous possédons l'union par le moyen de la montée simple, dont je vous ai parlé plus haut.
Comprenez maintenant comment cette vérité et clarté éternelles qu'est Dieu même, nous donnent l'intelligence, la science et la sagesse, et la vraie discrétion dans toutes les vertus. Cette discrétion est la première propriété qui nous fait connaître toutes vertus ; et c'est comme la première couleur et la première bande de notre rideau, parce qu'elle est l'ornement de toutes vertus. Et cette discrétion est avec raison représentée par la couleur d'hyacinthe, car elle découle en nous sans peine de la vérité de Dieu ; et à cause de cela elle ne peut être trompée, et nous la recevons par grâce, non pas par nature : car tous les anneaux d'or de la grâce sont fixés dans les chapiteaux d'or de l'amour éternel de Dieu. Ensuite de la richesse éternelle de Dieu il nous est donné d'être miséricordieux, cléments et généreux dans le don de nous-mêmes. Cette générosité orne et remplit notre désir, et elle est attachée à la bonté et à la richesse de Dieu : et à cause de cela elle doit toujours pardonner et donner ; et jamais elle ne peut s'épuiser, car elle demeure toujours pleine et riche dans son fond où elle est attachée à la richesse de l'Esprit-Saint. C'est la deuxième propriété en toute vertu et elle nous fait goûter le fruit et la richesse de toutes les vertus ; et cette générosité est figurée par la couleur de pourpre, celle de la seconde bande de notre rideau : et par elle toutes vertus et toutes bonnes œuvres deviennent pour nous éternelles et sont offertes à Dieu. Voyez, ainsi possédons-nous dans la nature deux propriétés qui s'écoulent dans les vertus, et par lesquelles nous nous rendons ressemblants à Dieu.
Ensuite, nous sentons venir en nous, de l'union avec Dieu, une perpétuelle attraction intérieure ou appel, qui meut toujours notre puissance affective, et nous sollicite à aimer. Et, chaque fois que nous nous recueillons et contemplons l'union que Dieu a faîte avec notre esprit, nous ressentons l'invitation à l'union, et nous devons alors y obéir ; car l'union divine attire et exhorte tout notre désir aimant à entrer avec amour, et notre désir y est porté au-dessus de tout et, de cela la charité, le vrai amour, naît en nous, s'exerce et se développe : et c'est la troisième propriété, qui conserve vivantes toutes nos vertus et bonnes œuvres, et elle est aussi la troisième couleur, et la troisième bande de notre rideau, car elle est écarlate, cramoisie comme le feu. Car l'union entre nous et Dieu est un feu dévorant ; et à cause de cela, nous devons, lorsque nous nous tournons vers ce feu, nous renouveler et enflammer en un nouvel amour : et alors nous aimons Dieu, et nous-mêmes pour être un avec Dieu. Ceci, c'est le cramoisi produit par le double amour de Dieu et du prochain ; et par cela toutes les vertus sont bien ordonnées.
La quatrième propriété par laquelle Dieu possède éternellement la simplicité de notre esprit, c'est sa présence essentielle en nous. Cette propriété a aussi comme caractère d'attirer au dedans, car elle nous attire en elle-même et nous fait sortir de nous-mêmes dans des ténèbres insondables et inconnues ; là nous nous perdons dans la solitude déserte, et en nous perdant ainsi nous trouvons la béatitude ; la trouver, c'est l'élire, et cette élection fait que nous sommes élus. Mais entre ces deux choses, élire et être élu, a dû naître l'innocence, qui est la quatrième propriété, en laquelle toutes les vertus prennent leur source et ont leur fin. Car par l'innocence nous nous enfonçons tellement en notre élection et sommes si solidement saisis en Dieu par l'amour, que nous ne pouvons, ne savons, ni ne voulons rien d'autre que demeurer éternellement en lui par amour. C'est ce qui nous rend simples et dépouillés dans tout notre être et toutes nos œuvres. Nous ne pouvons plus en effet chercher ni poursuivre, dans le temps ou l'éternité, que ce qui plaît à Dieu. C'est comme la quatrième couleur de notre rideau, bande blanche de fin lin retors, en laquelle nous possédons toutes les vertus ; car par l'innocence nous portons la palme de la victoire et nous suivons l'Agneau en toutes ses voies de béatitude.
Voyez, de ces quatre modes de vertus nous faisons une vie vertueuse, de même que les quatre bandes de couleur formaient un seul rideau. On y voyait brodés maints ornements divers, oiseaux, fleurs, étoiles d'or, comme on l'a dit plus haut. De même devons-nous en notre vie vertueuse mêler et introduire divers ornements de vertus, comme il a été déjà montré.
De plus, Moïse avait fait broder dans les rideaux du tabernacle, en lettres et en images, les histoires des patriarches et des prophètes, les prodiges accomplis pour eux en Égypte et à leur sortie, ainsi que dès le commencement du monde, le tout pour l'instruction du peuple et son affermissement dans la foi, pour l'attirer à l'espérance et l'unir à Dieu par l'amour. Ainsi pouvaient-ils attendre la venue promise du Seigneur, né de leur race et de leur peuple, Jésus-Christ le Fils de Dieu, incarné en la vierge Marie.
C'est de la même façon, que nous devons tisser notre vie vertueuse, c'est-à-dire contempler attentivement et amoureusement, faire repasser sans cesse dans notre mémoire toutes les merveilles que Dieu a faites pour ses amis, depuis le commencement du monde, et en particulier l'histoire et la vie aimable de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Et lorsque nous regardons tout cela attentivement, le contemplons et le goûtons, nous apercevons comment Dieu et ses amis, par sa grâce, opèrent avec sagesse et générosité, avec charité et simplicité. À cet exemple nous devons orner notre vie et aussi l'enrichir d'images célestes. Cela veut dire que nous devons porter notre regard vers la claire vision qui règne entre Dieu et ses saints, dans la lumière de gloire ; contempler la bienveillance et la fidélité généreuses que Dieu présente à chaque bien-aimé et que chacun lui rend. Nous devons admirer encore l'amour brûlant dans lequel Dieu et ses amis se fondent en une mutuelle complaisance, et enfin la simplicité toute pure, selon laquelle, unis à Dieu, ils possèdent tout bien.
Voyez, c'est ainsi que les saints vivent dans la gloire de Dieu. Et cette vie, nous devons la contempler amoureusement, la souhaiter et l'imiter, et l'attendre toujours avec ardeur ; ce sont là les images qui doivent être brodées dans les rideaux des vertus, et ainsi toute notre vie en sera ornée.
Telle est la signification des colonnes intérieures et du rideau qui y est fixé. (1) Ps. XLI, 3. (2) Ex., XXVI., 22-25. (3) EX., XXVI., 26-30. (4) Ex, XXXVI, 33. |