RUYSBROECK - TOME 4 : LE LIVRE DU TABERNACLE SPIRITUEL
CHAPITRE XX
DES RIDEAUX ET DES COLONNES A L'ENTRÉE DU TABERNACLE.
Le Seigneur dit encore : « Vous ferez à l'entrée du tabernacle un rideau couleur d'hyacinthe, de pourpre, d'écarlate et de fin lin retors, tout en ouvrage de broderie. Puis vous ferez cinq colonnes dorées en bois de sétim, avec des chapiteaux tout en or et des bases d'airain : et vous y fixerez le rideau au dehors. »
Comprenez bien maintenant : par les bases d'airain sur lesquelles reposent les colonnes, nous entendons les délices sensibles de la nature. Ces délices sont obtenues par la pureté de la conscience et le dépouillement d'images dans le cœur et l'esprit, dont nous avons parlé plus haut. Car la joie naturelle, le repos et la paix et tout apaisement de la nature nous viennent de Dieu et des vertus, et grandissent sans cesse de l'intérieur vers l'extérieur. En ces délices sensibles de la nature nos cinq sens intérieurs trouvent leur stabilité, ils font un avec la nature et avec les délices ; et c'est pourquoi il y avait cinq bases et cinq colonnes. Car l'ascension simple de notre esprit attire après soi les sens intérieurs et les puissances naturelles, avec tout ce qui vit et est sensible dans la nature. C'est pourquoi les sens intérieurs doivent être toujours élevés d'une façon sensible et simple, et s'unir à l'esprit. Et ainsi avons-nous cinq colonnes à l'entrée du tabernacle.
Ces colonnes sont en bois de sétim et dorées ; car si, dans cette ascension, la partie sensible suit l'esprit, nos cinq sens intérieurs sont libres et pleins d'amour divin. La nature, en effet, qui suit l'esprit est libre comme l'oiseau dans la forêt, et riche d'amour comme un poisson dans l'eau. C'est pourquoi notre nature corporelle doit s'unir à l'esprit en toutes nos pratiques ; et c'est ce qui était figuré par les deux petits ais dressés, à chaque coin, au fond du tabernacle, Dans les anneaux qui y étaient fixés passaient les barres et par leur rainure ces ais étaient reliés à tous les autres.
Nos sens intérieurs doivent de même être élevés de façon sensible et simple, et suivre l'esprit dans tous les modes de vertus ; ainsi faisons-nous toutes nos œuvres avec plaisir ; et tout cela nous est figuré par ces colonnes placées aux coins antérieurs du tabernacle, qui s'unissaient intimement à tout l'assemblage des parois et des barres. Leurs chapiteaux étaient en or, comme ceux des colonnes intérieures du Saint des saints. De même notre ascension simple et sensible, à son sommet, ne rencontre que délectation sans mesure et sans mode : c'est une délectation divine et de jouissance, plus profonde et plus ample que toute pratique.
Vous devez savoir que chez nous il y a trois sortes de délectation : délectation sensible, raisonnable et divine. Si toutes trois se réunissent dans une même vie, il y aura grandes délices dans la délectation inférieure ; clarté, richesses et délices plus grandes dans la délectation moyenne ; jouissance divine, joie et richesse sans mesure dans la délectation supérieure.
Voyez, cette délectation supérieure est élevée sans mesure au-dessus de la délectation sensible et même de la raisonnable. En tant que la délectation sensible est animale, elle doit être soumise aux commandements de Dieu par la raison et la volonté droite ; mais si elle naît de l'unité sensible de notre cœur, elle est alors de grand prix. Car cette unité, lorsqu'elle est élevée et ornée d'un amour affectif pour Dieu, est l'autel du sacrifice, sur lequel nous offrons en holocauste notre nature corporelle, pour le service et l'honneur de Dieu. Et chaque fois que cette nature est touchée de l'amour divin, nous éprouvons un désir de cœur et une tendance à nous y attacher simplement. Ce sont là comme les deux peaux de béliers, l'une rouge et l'autre bleue, qui couvrent notre tabernacle.
Un tel amour affectif pour Dieu est un ornement de toutes nos vertus morales et sans cesse il est excité et renouvelé par la raison éclairée et la charité, qui constitue notre délectation spirituelle. Car alors toute délectation sensible est sous la dépendance de la délectation spirituelle et celle-ci sous la dépendance de la délectation divine. Et ainsi toutes choses sont bien ordonnées, car toute notre vie nous vient d'en haut.
Ainsi, la délectation spirituelle nous rend obéissants et soumis à Dieu, et nous fait accomplir toutes nos œuvres librement ; mais la délectation divine nous unit à, Dieu au-dessus de la raison, et nous met en possession de la liberté, de la sagesse, du repos et de tout bien sans mesure que comporte cette union élevée.
Là notre esprit et notre nature reçoivent motion ordonnée selon la volonté de Dieu, et c'est cause de délices sensibles et de tranquillité que donne la soumission de la nature.
Ce sont là comme les bases d'airain à l'entrée du tabernacle. Sur ces bases sont posées les cinq colonnes, images de nos sens intérieurs, lorsqu'ils s'élèvent librement et par amour, à la suite de l'esprit, qui défaille sans cesse en goûtant le divin, et cela est figuré par les chapiteaux d'or. Ce goût du divin est amour essentiel : et c'est l'or des chapiteaux, semblables à ceux qui ornaient le Saint des saints.
Ces chapiteaux d'or supportaient la barre supérieure ; composée de trois parties qui enserraient les parois latérales par le haut ainsi que l'entrée en avant du tabernacle. À cette barre supérieure demeuraient solidement fixées les colonnes antérieures avec leurs chapiteaux : car c'était la fermeture supérieure du tabernacle, à laquelle s'unissaient les deux barres du côté occidental.
Par cette barre supérieure, nous entendons la liberté immuable que nous possédons en Dieu, au-dessus de toute vertu. Car dans la libre opération intime de Dieu, nous le suivons avec un goût et. un sentiment spirituels, et ainsi notre esprit est uni à Dieu et fixé dans son immuable liberté. C'est dans ce goût et cette expérience de Dieu, en une immuable liberté, que la partie supérieure de notre tabernacle, c'est-à-dire de notre esprit, est unie et fixée à Dieu sans retour. Moïse l'avait figuré par les trois barres, qu'il avait fait placer à la portée supérieure de son tabernacle, et qui retenaient tout l'assemblage des colonnes antérieures et des ais.
Et c'est pourquoi dans l'opération intime de Dieu, notre nature corporelle est mue elle aussi d'un amour sensible et suit librement et amoureusement l'esprit. Et dans cette poursuite elle est pénétrée elle-même de goût et de Sentiment et elle est unie à la liberté divine. Ainsi sommes-nous de l'intérieur vers l'extérieur, et de l'extérieur vers l'intérieur, unis à Dieu et rendus libres, tout en demeurant distincts, c'est-à-dire avec intermédiaire et sans intermédiaire.
De même que les colonnes antérieures du tabernacle étaient fixées avec leurs chapiteaux à la barre supérieure ; de même, tout ce qui est créé étant instable de soi, et notre liberté naturelle étant incapable de nous donner stabilité, il nous faut suivre l'opération intime de Dieu, pour être élevés au-dessus de la nature et être unis à Dieu dans son immuable liberté.
Ensuite vous savez qu'à l'entrée du tabernacle, aux chapiteaux des colonnes antérieures était suspendu, par cinq anneaux d'or, un dernier rideau de quatre couleurs ; qui descendait seulement à mi-hauteur des colonnes ; de sorte que, dans le bas, le tabernacle restait ouvert à hauteur d'homme, pour permettre aux prêtres d'entrer et de sortir librement avec leurs offrandes, et au peuple de voir ce qui se passait à l'intérieur, afin de faire croître sa dévotion.
À l'extérieur, en avant du rideau, il y avait un tapis de poils descendant jusqu'à terre, afin de protéger le rideau et l'entrée du tabernacle contre la pluie, le vent et toutes les intempéries. Ce tapis pendait à des crochets d'airain fixés à la onzième couverture, dont une moitié retombait au-devant du tabernacle. En temps serein, l'on enlevait ce tapis ; mais la nuit, et chaque fois qu'il était nécessaire, on le suspendait de nouveau aux crochets, et le tabernacle avait alors l'aspect d'une pauvre et misérable petite demeure, recouverte de toutes parts de tapis de poils de chèvres. Le tabernacle était ainsi complet.
Comprenez maintenant la signification de toutes ces choses. Nous avons vu déjà que nos puissances sensibles doivent suivre l'esprit dans sa montée simple, et qu'ainsi notre nature inférieure est élevée et unie à l'esprit, dans une délectation divine. Nous en avons trouvé la figure dans les colonnes antérieures avec leurs chapiteaux.
Or, si quelqu'un est rempli de délectation divine, cela se traduit à l'extérieur par des paroles et des actes. Ainsi la vérité intérieure qui anime un tel homme, le rend extérieurement véridique et prudent en ses paroles. La générosité intérieure, lui donne en toutes ses démarches clémence, générosité et dévouement pour toute nécessité. La charité intérieure lui apprend à être miséricordieux et équitable en tous ses actes, et la simplicité intérieure le rend extérieurement sans malice et sage en toute sa vie.
C'est de même, en effet, que le rideau extérieur de quatre couleurs correspondait à celui qui pendait à l'intérieur du tabernacle. Il avait aussi des cordons d'hyacinthe et des anneaux d'or, comme celui de l'intérieur. Et ceci figurait que les vertus intérieures, aussi bien que les bonnes œuvres extérieures se rattachent toutes à la grâce de Dieu, signifiée par les anneaux d'or. Or cette grâce divine, nous la recevons toujours de nouveau, lorsque nous contemplons l'amour éternel et la bonté de Dieu, qui sans cesse répand de nouveaux dons et toute espèce de biens. Mais il nous faut toujours élever nos sens intérieurs, figurés par les cordons, et les unir à la bonté de Dieu : et ainsi comme les cordons s'attachent aux anneaux d'or, nous sommes rattachés à la grâce qui émane de Dieu, et cette grâce retient notre regard intérieur. De cette façon les rideaux, qui représentent nos vertus et nos bonnes œuvres, demeurent toujours suspendus aux anneaux d'or de la grâce divine.
Le rideau extérieur, selon l'ordre de Dieu, devait être aussi orné d'ouvrages de broderie. Ce qui nous apprend que nous devons observer les manières de faire et les œuvres des saints, afin d'imiter leur conduite et qu'ainsi nos actions, comme les leurs, servent d'exemples à tous. Si le rideau extérieur ne devait pas descendre jusqu'à terre, afin que l'entrée demeurât toujours libre, c'est que, dans toutes nos œuvres, nous devons agir d'une façon si libre, que l'entrée dans la raison nous soit toujours ouverte : et ainsi devons-nous continuellement puiser à l'intérieur la droiture, selon laquelle il nous faut agir au dehors. De sorte que quiconque veut savoir pourra recueillir de notre enseignement la manifestation de la droiture absolue que comporte, selon nous, la vraie vertu. Ainsi pourra-t-il apprendre à reconnaître s'il est conforme ou non à la vertu et à la droiture.
Malgré cela, nous devons toujours demeurer humbles et modestes, même si nous étions assez bons et sages pour être capables d'enseigner, par nos paroles et nos exemples, tous les hommes. Car tout enseignement de vérité et toute vertu viennent de Dieu ; et c'est pourquoi nous ne pouvons nous enorgueillir de ce que Dieu manifeste sa bonté et glorifie son nom par qui il lui plaît.
S'il était commandé de suspendre le tapis extérieur en avant du tabernacle, en temps de pluie ou de vent, ce n'était pas pour en soustraire la beauté aux regards du peuple, mais pour maintenir le tabernacle à l'abri de toute souillure. De même quiconque désire s'instruire pour sa propre vie demeure-t-il capable de le faire d'après les enseignements et les œuvres de l'homme éclairé : mais celui-ci devra toujours se mépriser soi-même, afin de se garder de toute tempête d'orgueil. Et plus il se connaît de près, plus il se trouve en vérité méprisable ; car tout ce qu'il y a de défectueux en nous vient de nous-mêmes, et ce n'est point peu de chose : et tout ce qui est vertueux en nous, nous le tenons de Dieu, et si nous le comparons à ce qui pourrait être, avec des dispositions plus droites de notre part, c'est bien peu.
Voilà pourquoi nous devons laisser descendre jusqu'à terre le tapis de poils qui figure l'humilité, lorsqu'on loue nos vertus, afin de ne point penser trop de nous-mêmes. Car une telle louange nous fait tort, l'honneur revenant à Dieu seul, auteur de toute vertu. Et si l'on nous méprise et traite indignement, il nous faut encore laisser pendre devant nous ce même tapis de poils, c'est-à-dire nous cacher dans l'humilité ; parce que nous pouvons ainsi comprendre que nous sommes traités justement, pour n'avoir été justes ni envers Dieu, ni envers nous-mêmes, ni pour personne. Aussi convient-il que nous recevions mépris et de nous-mêmes et de toute créature.
La nuit, le tapis de poils devait toujours pendre en avant, du tabernacle. Et ceci nous apprend à demeurer humbles devant ceux qui vivent sans crainte ni remords de leurs péchés. Ils font volontairement et sciemment le mal, ils sont ténébreux et refroidis comme la nuit. Aussi sont-ils incapables d'être instruits d'aucune vertu, car ils sont aveugles et endurcis dans le péché, et ils ne peuvent porter l'enseignement de la vérité, car ils méprisent les gens de bien et les œuvres vertueuses.
Voyez, il vaut mieux laisser ces gens aller leur chemin, tout en les supportant avec humilité et patience, ce qui est la meilleure manière de se conduire envers eux.
Ainsi s'achève notre tabernacle, en même temps que l'explication du quatrième des sept points principaux.
CHAPITRE XXI
DU CINQUIÈME DEGRÉ.
La cinquième chose, que nous avons à considérer, a trait aux divers objets qui se trouvaient dans la partie antérieure du tabernacle : le chandelier d'or, l'autel d'or, la table des pains de proposition ; puis aux prêtres de la loi juive et aux sacrifices. Tout cela, nous le verrons, était la figure de la réalité qui se trouve maintenant dans la sainte Église.
CHAPITRE XXII
DU CHANDELIER D'OR.
Le Seigneur dit à Moïse : « Vous forgerez un chandelier de l'or le plus pur, avec sa tige et ses branches de chaque côté ; ses ornements en forme de coupes, de pommes et de lis ; le tout s'élevant d'une seule tige. Cette tige doit avoir de chaque côté trois branches d'or, portant chacune trois coupes d'or, en forme de noix, supportées par des pommes et surmontées d'une fleur de lis, le tout en or pur. La tige du milieu elle-même doit avoir quatre coupes avec leurs pommes et leurs fleurs de lis en même façon. Et les branches qui les joignent deux à deux portent une pomme d'or sous leur jointure. De sorte que tout ce qui s'unit à la tige lui appartient et doit être forgé en or pur. Vous ferez encore sept lampes, qui devront être placées sur le chandelier, afin qu'elles éclairent tout à l'entour. Les instruments destinés à nettoyer et à régler les mèches, ainsi que les vases où l'on éteint la mèche enflammée, seront tous d'or pur. Le poids du chandelier, avec tout ce qui lui appartient, doit être de cent vingt livres de l'or le plus pur. Vous ferez tout selon l'exemplaire qui vous a été montré sur la montagne
(1). »
CHAPITRE XXIII
DU CHANDELIER SPIRITUEL.
Le chandelier d'or est pour nous la figure de l'humanité de Notre-Seigneur Jésus-Christ, unie à sa divinité. Car selon son humanité, il est un flambeau lumineux pour le monde entier et en particulier pour la sainte Église et chaque homme de bien. L'or du chandelier représente l'amour par lequel le Seigneur nous a été donné, lui, le fils de l'amour. Et si nous lui sommes unis, nous sommes fils, et dans son Esprit nous crions : Abba, c'est-à-dire Père
(2).
Il est le vrai chandelier d'or, qui a été forgé des mains du Père céleste et de la vierge Marie, par l'opération du Saint-Esprit et l'intermédiaire du ministère de l'ange.
Le chandelier était formé d'une tige, qui s'élevait au milieu, figure de la nature humaine dans le Christ. Car cette nature humaine est élevée au-dessus de tout ; elle ne fait qu'un avec le Verbe éternel, qui en est l'unique hypostase et personnalité.
Trois branches d'or s'élevaient de chaque côté de la tige ; ce sont les puissances sensibles et les puissances spirituelles dans le Christ, lesquelles dès le premier instant ont tendu vers la gloire du Père.
Les branches deux à deux avaient, au point de jointure avec la tige principale, une pomme d'or, ce qui en fait trois pour les six branches. Par là nous entendons que l'Esprit de Dieu s'empara amoureusement de l'humanité de Notre-Seigneur et la fit monter d'une triple façon vers la gloire de Dieu : par la force qu'il lui donna pour surmonter toutes choses, par la sagesse qui lui fit tout savoir, par la docilité à accomplir toute justice. Or, si nous sommes unis au Seigneur, nous éprouverons en nous chose semblable, selon ce que dit saint Paul : « Vous devez éprouver en vous-mêmes ce que vous apercevez dans le Christ Jésus
(3). »
Si donc nous sommes morts à nous-mêmes et vivons en lui, nous monterons avec toutes nos puissances, en tendant sans cesse à procurer la gloire de Dieu. Ainsi aurons-nous force pour nous vaincre nous-mêmes, sagesse pour connaître ce qui nous manque et docilité pour accomplir la vertu. C'est à quoi se rapporte la prière de David, dans le psaume, lorsqu'il demande que Dieu lui donne l'esprit principal, c'est-à-dire la puissance du Père, qui le fortifie et lui donne joie en Dieu ; puis l'esprit droit, ou la sagesse du Fils, qui le renouvelle, l'enseigne et le purifie du péché ; enfin l'Esprit Saint, qui l'empêche de tomber et le rende stable en toute vertu. Nous devons prier et souhaiter qu'il nous soit fait de même.
Contemplons ensuite l'ornementation du chandelier dont chaque branche portait trois pommes d'or, surmontées de coupes du même métal, d'où émergaient des fleurs de lis d'or. Il en était de même pour la tige du milieu. De sorte que ces ornements formaient trois lignes superposées, lorsqu'on regardait le chandelier de biais, la ligne supérieure marquant le sommet des branches.
Chacune de ces branches était disposée de telle façon que du lis supérieur sortait une lampe, à hauteur d'homme, la tige du milieu dépassant encore d'une mesure.
Apprenez maintenant ce que signifient toutes ces choses, et contemplons comment l'humanité de Notre-Seigneur, figurée par ce chandelier d'or, est élevée par l'Esprit de Dieu et ornée d'une triple façon. Nous tâcherons ensuite d'imiter sa beauté : car le Christ est notre Chef et nous sommes ses membres, ce qui nous oblige de lui ressembler autant que nous le pouvons.
Sachez donc que l'Esprit de Dieu uni à l'esprit du Christ, s'empara amoureusement de sa nature sensible, avec toutes ses puissances, et la rendit pleine de dévouement et docile à l'esprit pour supporter toutes choses pénibles et accomplir un service parfait jusqu'à la mort. Or ceci est signifié par les sept pommes d'or de la rangée inférieure, en tant que la nature sensible de Notre-Seigneur Jésus-Christ devait être soumise et prompte à accomplir toutes les vertus, dont les sept principales renferment toutes les autres. Ensuite, les sept pommes supportaient sept coupes d'or, ouvertes par le haut, fermées par en bas, et rondes comme des noix. En cela nous apprenons que le cœur vénérable du Seigneur était toujours ouvert à son esprit au-dessus de lui, pour accomplir toutes les vertus, qui sont au nombre de sept, comme je l'ai dit déjà. Mais en bas son cœur était absolument fermé à toutes les délectations et tout le bien-être de la nature sensible. Les lis d'or enfin, qui surgissaient de ces coupes, étaient une figure de la vie tout aimable de Notre-Seigneur, que ses œuvres nous ont fait connaître dans son infinie pureté et innocence, en tout semblable à la fleur de lis. C'est là la première beauté que nous reconnaissons dans la montée céleste du Christ et de tous les hommes qui veulent le suivre et lui ressembler.
Ensuite nous devons contempler une beauté plus grande encore dans la montée céleste du Seigneur, à savoir comment l'Esprit de Dieu s'était emparé amoureusement de la nature spirituelle du Christ, c'est-à-dire de son âme avec ses puissances supérieures, et comment il la rendit soumise à la justice, à la loi et à toute l'Écriture qui avait parlé de lui dès le commencement du monde, pour qu'Il les accomplît selon la volonté de son Père. Dans ce but Il était, et Il est encore jusqu'au dernier jour, soumis docilement à tout le monde, c'est-à-dire à chacun qui a foi en lui et qui tend vers lui. Il nous a enseignés, Il a vécu pour nous et Il nous a lavés de tous nos péchés, dans son sang.
Voyez, cette soumission docile du Christ est figurée par la deuxième rangée de pommes d'or et c'est en elle que toutes nos vertus depuis le premier homme jusqu'au dernier trouvent leur solidité. Les sept coupes d'or ouvertes par le haut, qui étaient placées sur ces pommes, figurent le désir largement ouvert de son esprit et de toutes ses puissances, dociles et prêtes à accomplir tout ce qui touchait à l'honneur de son Père et ce dont nous avions besoin. Cela Il l'aimait par-dessus tout : car c'était sa nourriture, son breuvage, et sa vie ; et c'est en cela qu'Il plaisait à son Père et que nous aussi avons trouvé la grâce. Si les coupes d'or étaient rondes et fermées par en bas, c'est qu'il n'y avait aucune créature, dans le monde entier, en qui il trouvât son contentement ou sur laquelle il pût faire reposer sa tête : de sorte qu'il était pauvre de tout ici-bas, mais infiniment riche en vertus.
Il nous faut tendre à de mêmes sentiments : car les lis d'or qui s'élèvent des coupes sont une figure de l'intention simple et élevée, par laquelle le Christ offrait à son Père chaque vertu. Ses vertus en effet sont comme des lis d'or qui ont rempli et réjoui le ciel et la terre d'une céleste odeur. Elles étaient solidement enracinées dans son innocence, croissaient et s'élevaient dans la vallée profonde de son humilité, sous l'action du soleil brûlant de son amour et du désir ardent avec lequel Il accomplissait la volonté de son Père. Et ainsi apercevons-nous la deuxième beauté qui apparaît dans la montée céleste du Christ.
Vient enfin l'interprétation de la troisième rangée d'ornements. L'Esprit de Dieu s'était, dans son amour, tellement saisi de l'humanité de Notre-Seigneur, et la possédait tellement sous l'empire de ses attirances intimes, que continuellement, au-dessus de ses œuvres, le Seigneur sentait toutes les puissances de son humanité attirées vers l'unité de son esprit, et toutes ses puissances obéissaient toujours à cette attirance ; car il vivait dans l'état d'innocence, et en même temps qu'en route vers la patrie céleste il la possédait déjà.
Cette obéissance aux attraits intérieurs de Dieu est figurée par les pommes d'or de la rangée supérieure, qui constitue la troisième ornementation. Les sept coupes qui les surmontaient, ouvertes par en haut, signifiaient que l'humanité de Notre-Seigneur avec toutes ses puissances était toujours ouverte à Dieu, toujours prête à recevoir les dons divins. Mais qu'elles fussent rondes et fermées par en bas, cela nous apprend que son humanité ne s'attribuait à elle-même rien de tous les honneurs et de tous les dons qu'elle recevait : car tandis que Dieu l'élevait avec lui jusqu'aux plus grands honneurs, de son côté elle s'abaissait dans l'humilité la plus profonde, et portait la honte et le péché du monde entier. Par là elle accomplit la plus haute justice qui pût plaire au Père, par-dessus tout. C'est donc de cet abaissement le plus profond que surgissaient des lis, c'est-à-dire la plus grande gloire et le plus grand honneur, qui furent jamais offerts à Dieu : car personne ne peut rendre gloire à Dieu s'il n'est humble, de même que personne n'est capable de trouver son bonheur et ses délices et glorifier Dieu sinon dans la vraie humilité. Lors donc que le Christ apparaissait comme le plus humble de tous les hommes, l'honneur qu'il faisait monter vers Dieu était plus grand et plus agréable que tout autre. Les derniers lis qui couronnaient le haut de toutes les branches marquent ainsi que le Christ était toujours élevé avec toutes ses puissances et tous ses actes et tout ce qui était en son pouvoir, pour chercher en tout la gloire de son Père. Et nous devons aspirer à une telle perfection selon notre pouvoir.
Ensuite la tige du milieu s'élevait encore d'une mesure au-dessus de toutes les branches : ce qui signifie que, dans le Christ, la nature humaine a été élevée au-dessus de tout mérite de sa part ou de possibilité de mérite. Car que Dieu soit devenu homme et l'homme-Dieu, c'est au-dessus de tout mérite : c'est là une chose qui dépasse tout et que Dieu seul a opérée dans sa bonté insondable. Aussi personne ne peut comprendre si ce n'est lui seul, combien Dieu s'est abaissé pour se donner, et jusqu'à quelle hauteur il a élevé l'humanité de Notre-Seigneur. C'est ce que signifiait la tige du milieu qui seule s'élevait au-dessus de toutes les branches. Car l'humanité du Seigneur ne subsistait pas en elle-même, mais elle était entraînée d'une façon simple par la Personne du Verbe ; le Christ en effet possédait dans son être personnel une double nature : par sa naissance éternelle du sein de son Père, il est Fils de Dieu et vrai Dieu lui-même ; et par sa naissance dans le temps, du sein de sa mère la sainte Vierge Marie, il est Fils de l'homme et véritablement homme. Cependant chacune de ses deux natures restait ce qu'elle était en elle-même, la divinité ne pouvant devenir humanité, ni l'humanité divinité ; mais elles s'unissaient dans la Personne divine du Fils de manière à être chacune sa propre nature à Lui car Il est véritablement Dieu et homme. Or, moyennant la grâce de Dieu, nous aussi nous devons renoncer sans cesse à nous-mêmes et à notre propre personnalité, et, d'une façon simple, aller à la suite de notre nature, en tant qu'elle est déifiée dans le Christ : alors nous serons transformés par la vérité éternelle qui est le Christ lui-même, et lui vivra en nous et nous en lui.
Mais cette partie supérieure de la tige portait encore une pomme d'or, et au-dessus une coupe d'or et un lis qui en sortait. Nous apprenons par là que, dès la première montée qu'elle faisait en Dieu, l'humanité de Notre-Seigneur fut tellement saisie de l'amour éternel, que sans retour elle dut rester éternellement dans cet amour : ce qui est figuré par la dernière des pommes d'or. La coupe d'or qui surmontait cette pomme, était ouverte par le haut, pour indiquer combien grand ouvert était, dans sa simplicité, l'esprit créé de Notre-Seigneur, qui était et est toujours rempli de la vérité éternelle et de la clarté divine. Et, grâce à sa montée simple, cet esprit créé de Notre-Seigneur avait le regard éternellement fixé en la divinité, de sorte que de l'autre côté il ne regardait ni en arrière ni en bas, ce qui est marqué par le côté fermé de la coupe. Comme effet de ce regard simple nous voyons, dans le lis d'or qui atteignait le sommet de la tige, la fusion et l'anéantissement les plus intimes qui jamais furent pratiqués dans l'amour. Ils ont été pratiqués par le Christ qui lui-même est la noble fleur de lis sortie de la racine de Jesse, et dont le prophète Isaïe a donné la description en ces termes : « Sur cette fleur se reposera l'Esprit du Seigneur : l'esprit de sagesse et d'intelligence, l'esprit de conseil et de force, l'esprit de science et de piété ; et l'esprit de la crainte du Seigneur le remplira
(4). » Ce sont là les sept esprits du Seigneur ou les sept dons du Saint-Esprit.
C'est ce que nous font connaître les sept lampes qui étaient placées sur le chandelier. Car saint jean l'évangéliste, parlant de sept lampes qu'il avait vues brûler devant le trône de Dieu, dit « Ce sont là les sept esprits du Seigneur
(5). » Et lorsque dans le même livre il dit encore avoir vu un agneau debout, comme immolé, portant sept cornes et sept yeux, il ajoute de nouveau : « Ce sont là les sept esprits de Dieu qui sont envoyés par toute la terre
(6). » Cet agneau était l'humanité du Seigneur, immolée bien qu'innocente pour nos péchés. Et selon cette humanité le Christ avait comme sept cornes de force et de beauté, les sept dons ou esprits de Dieu, opérant de sept façons. Par eux il triomphait de l'ennemi et de tout ce qui pouvait nous nuire, et par eux aussi il était conservé dans la beauté qui vient de la vertu. Ces sept dons étaient encore pour lui comme sept yeux par lesquels dans son humanité il connaissait, de façon expérimentale, distinctement, toutes les vertus. Chacun de ces dons, en effet, donne la connaissance expérimentale du fondement de chacune des sept vertus principales et de toutes les vertus qui en sortent. Et c'est pourquoi tous les sept dons font connaître et expérimenter les sept manières dont l'Esprit de Dieu meut l'esprit humain pour l'exercice de toutes les vertus qu'on peut pratiquer. Vous devez donc savoir que les vertus sont absolument inséparables des dons, et les dons des vertus, puisque, sans le don divin, aucune vertu ne peut être méritoire : aussi doivent-ils toujours rester unis.
CHAPITRE XXIV
DES SEPT DONS DU SAINT-ESPRIT.
Ces sept esprits, c'est-à-dire les sept dons, ajoute saint Jean, sont envoyés par toute la terre », pour qu'ils rapportent du fruit : car « le Saint-Esprit, dit Salomon, a rempli le monde entier
(7) ». Ceux qui ne veulent pas écouter sa voix restent éternellement perdus. De cette façon vous pouvez voir dans les sept lampes, les sept dons, en tant qu'ils sont unis aux sept vertus. Les lampes étaient des vases d'or, qu'on remplissait de l'huile d'olive la plus pure, apportée par le peuple d'Israël, pour que la lumière brûlât sans cesse dans le tabernacle de l'alliance, à l'extérieur du voile qui pendait devant le Saint des saints. Or Jésus-Christ, qui est figuré par le chandelier d'or, tendait toujours avec son esprit et avec toutes ses puissances vers la gloire de son Père, accomplissant ainsi toutes les vertus. Par là il était comme le lis d'or, et l'Esprit de Dieu se reposait sur lui avec tous ses dons. Car dans le même principe suprême où commencent les vertus, elles reçoivent aussi leur achèvement, ce qui s'entend du Saint-Esprit qui est la source de tout bien. Si donc nous voulons faire ce qu'indique ce chandelier et porter en nous les lampes des dons de Dieu, notre esprit doit intérieurement s'élever et tendre vers la gloire de Dieu. Alors nous ressentirons dans la partie supérieure la stabilité et le repos de l'esprit, au-dessus de toutes les occupations du monde, au-dessus de toutes les tentations de l'ennemi, et de tous les mouvements qui viennent de notre nature. Et chaque fois que nous nous observons nous-mêmes et que nous élevons toutes nos puissances vers la gloire divine, nous sommes prêts à recevoir les illuminations des dons de Dieu.
Toute lampe comporte nécessairement trois choses : un vase, de l'huile et une mèche brûlante. Par le vase nous entendons une volonté prompte à toutes les vertus ; par l'huile, la plénitude des œuvres vertueuses ; par la mèche, l'intention droite et par le feu qui l'enflamme le don divin qui consume tout à la gloire de Dieu. Car sur l'autel du sacrifice aussi bien qu'à l'intérieur du tabernacle il ne devait y avoir d'autre feu que celui que Dieu avait envoyé du ciel, et qui devait brûler toujours sur l'autel : « un feu perpétuel », avait dit le Seigneur. C'est dans ce feu que, selon l'ordre du même Seigneur, toutes les offrandes devaient être brûlées. Les prêtres devaient l'entretenir sur l'autel, avec le bois qu'ils y mettaient de grand matin ; et ils l'alimentaient dans les lampes avec de l'huile d'olive. Nadab et Abiu, fils d'Aaron et tous deux prêtres, ayant mis un feu profane dans leurs encensoirs pour le culte divin, Dieu envoya un feu d'en haut qui dans un instant les consuma devant sa face. De la même manière Dieu désire que son feu, c'est-à-dire son amour qu'il a envoyé sur terre, brûle toujours dans l'unité de notre cœur et dans l'intention de notre âme. Et il veut que nous entretenions ce feu par une vie austère et pénitente qui devra réprimer et châtier notre corps, et par le désir de pratiques intérieures, que nourrira et fortifiera pleinement notre intention droite. Ce sera là, pour entretenir le feu divin, une matière excellente comme le bois sec et l'huile d'olive. Par l'amour affectif pour Dieu nous devons brûler ainsi notre nature sensible déjà réprimée, afin, de la lui offrir toute purifiée. Notre nature spirituelle, élevée vers Dieu dans un amour véritable et une intention droite, doit brûler toujours et éternellement en amour divin et à la gloire de Dieu : par là elle deviendra plus claire que le soleil et constituera un sacrifice perpétuel. Mais nous devons toujours nous garder de tout feu profane, c'est-à-dire des voluptés corporelles et de tout amour déréglé pour une créature quelconque : nous devons éviter aussi toute simulation, et n'enseigner rien ni ne croire personne qui soit en désaccord avec la doctrine des saints ou des Écritures. Avant tout, nous nous surveillerons en toute œuvre bonne, afin de n'y point rechercher ou poursuivre principalement des choses périssables, mais toujours la gloire de Dieu, qui doit être sans cesse le but de nos désirs. C'est à elle que toutes nos œuvres doivent être ordonnées et notre confiance ne doit s'appuyer que sur la fidélité de Dieu ; c'est pour elle que nous devons renoncer à nous-mêmes et servir Dieu et la justice. Car si nous introduisons dans notre tabernacle un feu profane, c'est-à-dire un amour étranger, et si nous ne voulons pas employer l'amour de Dieu et ses dons pour son service, nous mourons dans le péché devant la face de Dieu. Aussi devons-nous contempler l'amour éternel de Dieu, qui s'écoule comme une source vivante en sept fleuves, et, comme un soleil brillant, projette sept rayons, qui, enfin, comme un feu consumant, opère de sept façons : c'est l'Esprit de Dieu avec ses dons figurés par les sept lampes sur le chandelier d'or.
CHAPITRE XXV
DU DON DE SAGESSE.
Par la lampe la plus élevée, qui occupait le milieu du chandelier, nous entendons le Saint-Esprit et le don de sagesse. Car là où est l'Esprit de Dieu, il y a sagesse, et là où il y a véritable sagesse, là est l'Esprit de Dieu, source vivante de tous les dons. Le fleuve le plus noble qui coule de cette source vivante de l'amour divin, c'est l'esprit de sagesse. L'humanité de Notre-Seigneur en était entièrement inondée, et grâce à sa plénitude, nous pouvons en être remplis nous-mêmes.
Ce premier fleuve réclame de notre esprit qu'il soit simple, dépouillé et sans image, immobile, libre et sans sollicitude, qu'il meure toujours à lui-même et vive en Dieu.
Ainsi exerce-t-il la vertu de justice à son plus haut degré et, dans cet exercice, il obtient l'esprit de sagesse. Car en mourant à nous-mêmes et à toute chose, nous trouvons la sagesse divine ; et dans ce trépas nous offrons une huile de justice pour la lampe la plus élevée, qui est notre libre volonté. Cette huile brûle toujours par la sagesse divine, pourvu que nous y placions la mèche voulue de l'intention simple ; car cette intention est un clair aspect de notre innocence, dans laquelle brille toujours la sagesse divine. Or cette sagesse pénètre notre esprit et notre nature de clarté et d'un goût divin. Si l'on peut saisir cette clarté et ce goût, c'est le don de sagesse ; mais si l'on voit qu'ils sont infinis, c'est l'Esprit de Dieu lui-même, source de tout bien.
Ainsi vous ai-je décrit avec cette première lampe le don divin le plus haut, qui est la sagesse savoureuse.
La première et suprême vertu est la justice. Le premier mode, dans lequel débutent toutes les vertus, c'est l'innocence ; et le dernier mode où elles s'achèvent toutes, c'est aussi l'innocence mais revêtue de charité. Et ainsi se tisse le rideau qui couvre notre tabernacle.
La première couleur de ce rideau est blanche et représente l'innocence. La dernière couleur est également blanche dans le fond de la trame, mais elle se revêt d'écarlate, ce qui signifie la charité. Et pour cela il faut qu'intervienne le don de Dieu, ainsi que nous l'apprend le rideau qui pendait intérieurement dans le tabernacle et qui figure l'ouvre divine et notre coopération.
La première bande de ce rideau que Dieu tisse en nous est de couleur bleu céleste, et la dernière est blanche. Car là où Dieu commence en nous son œuvre, il nous donne tout d'abord une connaissance de la vertu et une connaissance de nous-mêmes ; et il achève en nous son œuvre par une pureté et une innocence spirituelles. Et alors que s'achève son œuvre, nous commençons à collaborer avec lui dans cette même innocence que Dieu nous donne les dons de Dieu nous apparaissent, et nous accomplissons toutes nos œuvres avec une intention simple, en faisant retour à cette même innocence, en laquelle nous avons débuté dans notre collaboration avec Dieu. Alors l'innocence est comme revêtue d'écarlate ; car dans le retour vers Dieu l'intention simple se sent continuellement enflammée d'amour divin, que représente la couleur rouge.
Nous avons encore six autres lampes sur notre chandelier, trois de chaque côté, et ce sont les six autres dons du Seigneur. D'une part nous recevons les trois dons supérieurs, destinés à orner notre vie intérieure ; d'autre part les trois autres dons, d'où notre vie extérieure doit tirer son ornement.
CHAPITRE XXVI
DU DON D'INTELLIGENCE.
De ces six dons le plus noble est celui d'intelligence, parce qu'il nous apprend à contempler Dieu et à le considérer dans sa richesse et sa bonté multiples. Ce don est une lumière surnaturelle, qui veut éclairer notre entendement à son sommet, pourvu que nous consentions à nous élever intérieurement et à être dociles à cette lumière.
Car la lumière réclame de notre homme intérieur qu'il dépasse les sens et toutes images sensibles, que nous mourrions à la nature et que nous vivions selon l'esprit : et ainsi y aura-t-il division entre l'homme intérieur et l'extérieur. Consentons-nous à dépasser ainsi les images sensibles et à mourir à la nature, nous trouvons alors la lumière et nous recevons ce don de clarté au sommet de notre entendement. Si nous mourons de cette sorte, nous recevons le don d'intelligence, et le recevoir c'est mourir à la nature. Et de là naît en nous une vertu spéciale, qui est de Dieu et de nous, un appétit spirituel qui monte vers Dieu et rend notre homme intérieur vigilant et vivant. Cet appétit nous porte à toujours contempler et considérer Dieu en lui-même et en ses dons multiples avec une complaisance toujours nouvelle. Or une telle contemplation fait mourir sans cesse à nouveau notre nature, de sorte que la vie de l'esprit croît dans la grâce et par là même nous demeurons en pleine lumière.
Une tendance vivante qui nous fait monter, voilà l'huile de joie intérieure, que nous devons offrir sans cesse à Dieu dans la lampe très noble de notre libre volonté. La mèche que nous y mettrons sera l'intention droite, c'est-à-dire la complaisance prise en Dieu par-dessus toutes choses. Ainsi s'allumera l'huile d'ardent désir qui s'élève en nous ; elle brûlera et éclairera, grâce au don d'intelligence, et de là pour notre homme intérieur une vie et une contemplation, pour le temps et pour l'éternité. Car ce don nous apprend à contempler clairement et sans labeur la richesse de Dieu, et comment Dieu se répand lui-même avec tous ses dons ; comment enfin nous devons lui répondre intérieurement par nous-mêmes et par toutes les vertus dont nous sommes capables.
Ici donc le don de sagesse nous élève au-dessus de nous-mêmes et nous fait plonger notre regard en Dieu d'une façon simple, fondre devant sa face, être réduits à rien et mourir à nous-mêmes en amour et en unité avec Dieu ; il y a grande différence entre ce premier don, qui nous introduit auprès de Dieu et nous unit à lui, et le don qui le suit immédiatement, l'intelligence, qui nous conduit vers Dieu et éclaire intérieurement notre accès près de lui.
CHAPITRE XXVII
DU DON DE SCIENCE.
Je laisserai pour le moment le troisième don et le quatrième, qui appartiennent encore à notre homme intérieur dans sa continuelle ascension vers Dieu, pour passer au cinquième, qui est le don de science. De même en effet que le don d'intelligence orne et éclaire notre côté droit, c'est-à-dire notre accès intérieur vers Dieu, en nous appelant au dedans et en nous apprenant à contempler Dieu, tant en lui-même qu'en ses dons multiples : de même le don de science orne et éclaire notre côté gauche, c'est-à-dire une sortie guidée par notre raison, en nous dirigeant au dehors et en nous apprenant à nous observer nous-mêmes ainsi que toutes les sortes d'œuvres vertueuses, selon un juste discernement. Et c'est une même vérité qui opère les deux choses, nous appelant intérieurement vers Dieu et nous fixant à l'extérieur sur nous-mêmes. Mais, lorsqu'il s'agit d'accéder vers Dieu surnaturellement, au moyen de formes intelligibles, la lumière dont il est question s'appelle le don d'intelligence, parce qu'elle nous élève, en même temps qu'elle orne et éclaire notre entendement au-dessus de sa nature propre : tandis que là où s'opère par la raison, et au moyen d'images sensibles, une sortie de nous-mêmes pour nous adonner à l'Écriture sainte, aux vies des saints ou au récit des œuvres divines ; lorsque nous contemplons ces choses avec une plénitude de science et de savoir surnaturels : alors la lumière divine est appelée le don de science, parce qu'elle nous enseigne à procéder raisonnablement dans la connaissance des choses extérieures et à les comprendre d'une façon intelligente et spirituelle. Or, autant l'accès vers Dieu l'emporte sur l'attention extérieure donnée aux créatures, autant aussi le don d'intelligence dépasse en noblesse et en élévation le don de science.
Cependant nous devons les posséder tous deux, car sans une vie extérieure vertueuse, nous ne pouvons aller intérieurement vers Dieu. Si donc nous voulons recevoir en nous la science de Dieu, nous devons obéir à ce qu'il demande, c'est-à-dire porter en nous un zèle intérieur à toujours mourir au péché pour vivre de vertus, à saisir toujours plus intimement ce qu'est la vertu et à agir d'une façon conforme.
C'est à cela que nous pousse la science du Seigneur et dans ce but nous ne devons épargner ni frais, ni labeurs, car la vertu vaut tout cela. Dans la mesure où croît en nous le zèle intérieur aux bonnes œuvres, croît aussi intérieurement la science de Dieu, car les deux vont ensemble.
Nous devons donc toujours porter en notre libre volonté une disposition vivante et zélée pour toutes les vertus ; de cette façon notre troisième lampe sera bien garnie d'huile et nous y mettrons la mèche qui convient, c'est-à-dire l'offrande de toutes nos œuvres à l'honneur de Dieu. Ainsi l'huile brûlera-t-elle de la science du Seigneur et nous en recevrons à l'intérieur lumière et chaleur. Portés au dehors vers toutes bonnes œuvres et ramenés au dedans par un attrait intime de Dieu, nous fixerons notre intelligence entre ces deux mouvements, prêts à l'appliquer à l'un et à l'autre. Nous pourrons ainsi nous renouveler sans cesse en clarté, tant à l'extérieur qu'à l'intérieur, doués que nous sommes de chaque côté d'une vertu spéciale et d'un don de Dieu : ce qui nous est représenté par les deux lampes du chandelier, les plus proches de la tige du milieu, de côté et d'autre.
Lors donc que nous nous renouvelons de cette façon en vertus et en clarté, à l'extérieur et à l'intérieur, notre raison s'éclaire et nous recevons révélation du juste discernement, qui est le second mode pour toutes vertus. C'est ce qui est figuré par l'hyacinthe ou bleu céleste, la seconde couleur de notre rideau. Car vous savez déjà comment, par le moyen de la justice et du premier don de Dieu, nous obtenons l'innocence, le premier mode selon lequel nous commençons avec Dieu toutes vertus ensuite vient ce juste discernement, notre raison étant éclairée de Dieu et nous montrant en toutes vertus, à l'extérieur et à l'intérieur, la seconde vérité qui les guide.
CHAPITRE XXVIII
DU DON DE CONSEIL.
Continuons maintenant à avancer toujours plus vers l'extérieur du chandelier, de chaque côté, pour y trouver les lampes qui figurent les dons et les vertus qui s'y rapportent. La lampe la plus proche représente le don de conseil. Or le conseil du Seigneur est une attraction ou motion intérieure de l'Esprit de Dieu, qui touche par l'intime notre puissance affective et réclame de nous que nous évitions et fuyions toute préoccupation du monde, tous les gens qui nous attirent au dehors, ainsi que toute cause de multiplicité au dedans, et que nous aimions l'unité d'esprit. C'est ce que nous conseille aussi Notre-Seigneur Jésus-Christ lui-même, lorsqu'il dit : « Une seule chose est nécessaire ; si vous voulez être parfait, renoncez à vous-même, allez et vendez tout ce que vous avez, c'est-à-dire laissez toutes choses dehors, et rentrez en vous-même, et puis suivez-moi en paix intérieure, en unité et en repos. »
Si nous suivons ce conseil, nous mourons alors à toute multiplicité et nous gagnons ainsi la quatrième vertu principale, qui est une inclination amoureuse vers l'unité ; et en nous inclinant nous entendons le conseil de Notre-Seigneur, et l'entendre nous fait nous incliner amoureusement vers l'unité et oublier toute multiplicité. C'est ce que dit le prophète à notre puissance affective : « Écoutez, ma fille (veut-il dire), le conseil du Seigneur et regardez l'unité ; inclinez votre oreille vers l'unité, oubliez votre peuple et la maison de votre père, c'est-à-dire oubliez toute sollicitude à l'égard de toutes les créatures ; et alors le roi convoitera votre beauté, car il est votre Seigneur et votre Dieu, et toutes vos puissances doivent l'adorer
(8). »
Ainsi offrirons-nous un sacrifice perpétuel, car notre puissance affective s'inclinera pour toujours vers l'unité de notre esprit : et de cette manière elle sera comme une lampe pleine d'huile ; car l'inclination affective vers l'unité, c'est l'huile de notre paix d'éternité, par laquelle nous chassons tous nos ennemis et obtenons en Dieu éternel repos, pourvu que nous mettions dans notre lampe la mèche qui convient et qui consiste à ce que l'unité de notre esprit s'abîme toujours elle-même dans l'unité de Dieu.
De cette façon nous pouvons découvrir que notre unité est fondée en celle de Dieu ; notre huile s'enflamme du conseil de Notre-Seigneur et nous obtenons la simplicité intérieure sur laquelle nous pouvons établir le commerce spirituel éclairé entre nous et Dieu. Ainsi demeurerons-nous tournés vers l'intérieur, Dieu habitera éternellement en nous et nous en Dieu.
CHAPITRE XXIX
DU DON DE PIÉTÉ.
Avec la cinquième lampe qui vient ensuite, nous devons nous tourner vers l'extérieur ; car elle se trouvait de l'autre côté du chandelier, séparée de la tige par une lampe seulement ; et elle est pour nous la figure du don de piété.
De même en effet que Dieu est toujours intérieurement tourné de tout lui-même vers l'unité, de même est-il aussi penché au dehors vers toutes les créatures par sa grâce et sa bonté.
Lors donc que nous recevons en nous-mêmes et que nous sentons cette bonté ou piété, nous devons nous y rendre dociles. Car si le don de conseil nous est donné pour le mouvement de retour à l'intérieur, celui de piété nous est conféré pour nous faire sortir au dehors et à chaque don nous devons être dociles. Car nous devons demeurer entre l'amour de Dieu et celui du prochain, capables ainsi de pratiquer par amour la rentrée et la sortie, selon que l'amour nous en donne la motion.
Grâce à ce don de Dieu et à notre sortie amoureuse qui y répond, naît en nous la cinquième vertu principale, la miséricorde, qui nous rend tendres de cœur et compatissants pour toute misère : et c'est l'huile qui peut guérir toutes nos blessures. Et c'est pourquoi nous devons la porter toujours dans notre cinquième lampe, c'est-à-dire dans notre libre puissance affective, afin d'avoir pitié, pour l'honneur de Dieu, de toute misère. L'intention droite est la mèche que nous mettons dans cette huile, et dès lors nous pouvons contempler amoureusement en toute misère la libéralité débordante de Dieu. Nous devons nous livrer à elle avec amour, et c'est ainsi que s'enflamme et brûle la mèche dont nous venons de parler, sous l'influence du don divin de piété : et de cette façon, nous pourrons croître et nous renouveler sans cesse, tant en don qu'en vertu. Lorsque en effet nous sentons en nous la bonté ou la piété de Dieu, ce sentiment fait naître chez nous la libéralité, qui est le troisième mode de toutes les vertus ; et ainsi apparaît la pourpre, la troisième couleur de notre rideau. Sous l'empire de cette libéralité foncière, nous ne pouvons plus nous contenir et il faut toujours nous plonger intérieurement dans l'unité, et nous répandre au dehors en miséricorde.
L'exemple par excellence nous en vient du Christ, qui se donnait lui-même entièrement et sans réserve à son Père dans l'unité simple ; et de là il allait, suivant le pressant conseil de l'Esprit d'amour, et il se donnait à nous en toute plénitude, dans la vie et dans la mort, et encore dans son Sacrement. Par libéralité il se répand avec toutes ses grâces et sa bonté, et il veut demeurer éternellement avec nous, pourvu que nous demeurions avec lui par notre puissance affective et que nous consentions à habiter au milieu de ces deux mouvements qui consistent à rentrer dans l'unité et à sortir par bonté, soumis à l'un et à l'autre.
(1) Ex., XXV, 31-40. (2) Gal., IV, 6. (3) Philip., II, 5. (4) Is., XI, 1-3. (5) Apoc., IV, 5. (6) Ibid., V, 6. (7) Sap., I, 7. (8) Ps. XLIV. |