RUYSBROECK - TOME 6 : LE LIVRE DES DOUZE BÉGUINES INTRODUCTION
Le livre des Douze Béguines semble être le dernier dans l'ordre de composition des ouvrages de Ruysbroeck. Aussi bien dans la liste donnée par Pomérius, son biographe, que dans celle du fameux codex D de la bibliothèque royale de Bruxelles, qui appartenait autrefois au prieuré de Groenendael, les Douze Béguines forment le dernier traité, et il peut être daté vraisemblablement des environs de l'année 1360. Le saint prieur de Groenendael devait vivre encore une vingtaine d'années, durant lesquelles il demeura dans le silence et la solitude.
Le traité dont nous donnons ici la traduction tire son nom du petit poème que Ruysbroeck a placé en tête et où il met en scène douze béguines, qui disent chacune à leur tour leur pensée sur l'amour de Jésus. C'est le début de la première partie intitulée : De la vie contemplative. L'auteur y parle de la vraie contemplation et de ses diverses manières, ainsi que des quatre modes d'amour.
Dans la deuxième partie intitulée : Les divers exercices de l'amour, faux et vrais, l'auteur dénonce quatre erreurs détestables qui s'élèvent contre Dieu lui-même, Père, Fils et Saint-Esprit, et particulièrement contre l'humanité sainte du Seigneur. Puis il revient aux quatre modes d'amour, selon lesquels se distinguent une vie active, une vie contemplative et une vie également ordonnée à l'action et à la contemplation.
La troisième partie, la plus développée de tout le traité, établit une relation entre l'univers créé et la vie spirituelle de l'homme, et premièrement la vie contemplative. Il s'agit ensuite d'une vie intérieure et cachée, puis d'une vie intérieure et céleste. Les diverses catégories d'hommes bons et mauvais donnent à Ruysbroeck l'occasion de s'élever de nouveau avec sévérité contre les faux mystiques et aussi contre les prélats prévaricateurs.
La quatrième partie est consacrée à la passion de Notre-Seigneur, dont les différentes phases sont mises en relation avec les sept heures canoniales.
L'on retrouve dans ce traité la pensée familière de notre auteur sur la contemplation, qu'il décrit comme un retour vers l'idéal conçu de nous par Dieu de toute éternité. C'est ce que dans les Sept degrés d'amour spirituel en particulier il appelle le retour à la pureté de l'intelligence. La venue du Fils de Dieu en notre nature par l'Incarnation a rapproché de nous cet idéal, vers lequel doit tendre sans cesse l'attention de notre âme.
La distinction entre vie contemplative, vie active et vie adonnée tout à la fois à la contemplation et à l'action, revient à la rentrée en soi-même, à la sortie par les bonnes œuvres et à l'exercice commun de l'une et de l'autre, dont Ruysbroeck parle souvent dans ses autres écrits.
Mais il dénonce de nouveau à ce propos les faux mystiques dont la soi-disant contemplation n'est que rêverie panthéistique
(1). La vérité se trouve en ceci, qui est sa pensée la plus familière, c'est que Dieu dans l'unité de sa nature toujours en repos, et dans la trinité des personnes toujours en action, est le modèle souverain de la vie contemplative et de la vie active, telles qu'il les entend. Les exemples tirés de la nature créée du ciel empyrée et du firmament vont à la même vérité.
Le grand livre d'heures qui doit servir à tous ceux qui aspirent à la vraie vie spirituelle est constitué par la vie, la passion et la mort de Notre-Seigneur Jésus-Christ.
Le manuscrit F, d'après lequel le texte des Douze Béguines a été publié dans la nouvelle édition des Œuvres de Ruysbroeck, porte ce titre : Sequitur liber de duodecim beginis, tractatus de duplici vita hominis, contemplativa videlicet et activa. Tel est bien le contenu du livre, exprimé mieux encore par Surius dans sa traduction latine : De vera contemplatione opus praeclarum. Il est permis de regarder le traité comme un des meilleurs et des plus importants qu'ait écrit Ruysbroeck. Les douze béguines, qui apparaissent au début, représentent les personnes pieuses s'appliquant à une vie chrétienne en vue de la perfection. Et ce que l'auteur leur fait dire résume toute sa doctrine sur les moyens de servir Dieu et de l'aimer de façon à parvenir au sommet de la vie contemplative. Ce but pratique explique le sens particulier qu'il donne au mot de contemplation dans les Douze Béguines, la considérant moins comme l'état le plus élevé de la vie mystique que comme un mode de vie opposé à la vie active et acheminant l'âme vers la plus haute perfection.
À la suite du livre des Douze Béguines, nous donnons un dernier traité de Ruysbroeck qui a pour titre : Les quatre Tentations. Il est dirigé surtout contre la fausse liberté, tentation la plus subtile qui inspirait la secte des Frères et des Sœurs du libre esprit.
Notre traduction a suivi l'édition de David, mais elle a été revue sur l'édition récente du Dr Jan Van Mierlo S. J. : Jan van Ruusbroec's Werken 1932.
Enfin le présent volume s'achève sur une traduction nouvelle de la Vie et les miracles de Jean Ruysbroeck de Pomérius, d'après le texte latin publié par les Analecta Bollandiana t. IV.
Au terme d'un travail de collaboration fraternelle, qui représente trente années d'activité dans la retraite silencieuse du cloître, qu'il nous soit permis de remercier les nombreux lecteurs, qui ont accueilli si favorablement cette œuvre de résurrection en notre langue du mystique admirable trop longtemps oublié ! N'est-ce pas un témoignage éloquent du renouveau de vie spirituelle et de pieuse compréhension des maîtres d'autrefois, qui marque tout spécialement notre époque ? L'école de mystique flamande, dont Ruysbroeck est le chef incontesté, a eu une influence considérable aux XIVe et XVe siècles et l'on doit savoir gré au zèle éclairé des savants membres du « Ruusbroec-Genootschap te Antwerpen » qui ont fait paraître la très belle édition des « Jan van Ruusbroec's Werken ».
Puisse notre humble travail servir pour sa part à la diffusion en langue française des ouvrages du saint prieur de Groenendael, que l'on a si bien nommé Ruysbroeck l'Admirable
Abbaye Saint-Paul d'Oosterhout,
8 décembre 1937. (1) Cf. Dr J. VAN MIERLO, S. J., Ruusbroec en de bestrijding der ketterijen. « Ons Geestelijk Erf », 1932, pp. 3O4-346 |