CHAPITRE VIII

QUE LE VÉNÉRABLE M. GÉRARD MAGNE OU LE GRAND,
INCITÉ PAR SA RENOMMÉE, VIENT VOIR D. JEAN RUSBROCH.


    Après cette brève notice sur Saint Jean le Cuisinier, reprenons le cours de notre histoire. Il arriva donc que, comme la renommée du bienheureux Père Jean Rusbroch se répandait au loin, (car la beauté de ses écrits et l'excellence de sa vie le rendaient célèbre), cette suave réputation de sainteté parvint aux oreilles de Gérard (Magne) ou Le Grand, qui menait à Deventer une vie religieuse pleine de vertus. C'est pourquoi, embrasé d'un grand désir de voir le saint homme, il se choisit un religieux compagnon de route, et entreprit le voyage. Dès qu'ils furent parvenus à la Valverde, le Père Prieur D. Jean Rusbroch, vénérable par la vieillesse, instruit par l'esprit de prophétie, salua de son propre nom Gérard Magne qu'il n'avait jamais vu auparavant ; et, lui faisant l'accueil le plus respectueux, il l'introduisit avec son compagnon dans le monastère. Comme, après plusieurs jours, ils s'étaient déjà familiarisés avec le saint, Gérard Magne qui était fort docte, commença à interpeller de cette manière le très Saint Père, à propos de certains de ses écrits : J'admire, Père Prieur, que vous écriviez des oeuvres sublimes ; toutefois vous vous préparez par elles de nombreux émules, et de multiples détracteurs pour vous et votre doctine. Entendant ces paroles, l'homme très humble répondit avec beaucoup de mansuétude : Maître Gérard, prenez pour certain et avéré, que je n'ai jamais mis un seul mot dans mes écrits, si ce n'est sous l'inspiration du Saint-Esprit, et la présence singulière et très douce de la Très Sainte Trinité. Certains frères, (qui vivaient encore au moment de cet écrit), rapportent qu'ils ont recueilli ces paroles de la bouche même du Saint, sous forme de Testament, aux derniers moments de sa vie. Il prédit aussi, par l'esprit de prophétie, à Gérard Magne lui-même, qu'il comprendrait bientôt la vérité de ces paroles encore obscures pour lui ; mais que son compagnon ne pourrait nullement les saisir en cette vie. M. Gérard Magne, homme prudent et expérimenté dans la vie spirituelle, ayant pris en considération la constance du saint, eut dans la suite en singulière estime tous ses écrits, et vénéra profondément le très saint Père lui-même ; car il avait reçu de lui une aide puissante, pour un juste établissement de la vie spirituelle et sa réalisation prudente et raisonnable. Mais cependant, comme il était encore auprès du vénérable Père, à la Valverde, et que parfois il avait surpris en lui une
extraordinaire confiance en Dieu conçue, non par témérité, mais dans une parfaite et très ardente charité qui exclut la crainte, il essaya de lui inspirer la peur du jugement et des peines de l'enfer, en lui rappelant de nombreuses sentences de l'Ecriture. Mais plus il s'efforçait de le jeter dans l'épouvante, plus cet homme pieux s'embrasait de l'amour divin ; et comme il l'écoutait parler depuis quelque temps, il finit par lui répondre: Maître Gérard, soyez certain et assuré que mon âme est préparée à supporter tout ce que le Seigneur voudra, la mort ou la vie, et même les peine intolérables des tourments de l'enfer ; et rien ne m'est plus agréable, meilleur, plus salutaire, je ne demande et ne désire rien autre chose, si ce n'est que le très aimable Seigneur, mon Dieu, me trouve toujours disposé et préparé à faire sa volonté. C'est en quoi se manifeste merveilleusement le souverain acquiescement de la volonté du saint avec celle de Dieu, et la parfaite abolition de toute recherche personnelle et de tout amour de soi.