OCT. DE PAQUES I
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PREMIER SERMON POUR LE DIMANCHE DE L'OCTAVE DE PAQUES. De la foi victorieuse et des trois témoignages dans le ciel et sur la terre.

 

1. « Tout ce qui est né de Dieu vainc le monde ( I Joan. V, 4). » Depuis que le Fils unique de Dieu a cru que ce n'était pas une usurpation pour lui d'être égal à Dieu, a daigné, en même temps, se faire fils de l'homme et s'est montré homme par tout ce qui paraît au dehors, le néant de l'homme ne semble pas trop présumer de lui en s'attribuant une filiation divine : il n'est pas, en effet, digne de Dieu, de devenir le Père de ceux dont le Christ s'est fait le frère. Voilà pourquoi saint Jean qui nous rappelle bien souvent et avec plus d'insistance que les autres notre adoption en qualité « d'enfants de Dieu, nous dit dés le commencement même de son Evangile : « Il leur a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu (Joan. I, 12). » Or, ce langage s'accorde très-bien avec celui que nous lui avons entendu tenir aujourd'hui dans sa lettre, quand il disait : « Tout ce qui est né de Dieu vainc le monde. » Car tous ceux qui sont avec le Christ sont haïs du monde, mais le monde est vaincu par le Christ et par eux avec lui. « Ne vous étonnez point, dit-il, que le monde vous haïsse, et sachez qu'il m'a haï avant vous (Joan.. XV, 18). » Et ailleurs il ajoute : « Mais ayez confiance, car j'ai vaincu le monde (Joan. XVI, 33). » Voilà comment s'explique clairement pour nous la vérité de ce que l'Apôtre nous disait quand il s'exprimait ainsi : « Ceux qu'il (sans doute Dieu le Père) a connus dans sa prescience, il les a aussi prédestinés pour être conformes à l'image de son Fils (Rom. VIII, 29). » Vous l'entendez, « pour être conformes, » ils sont donc adoptés après lui, afin qu'il fût lui-même l'aîné de plusieurs frères; et si c'est après lui que le monde les hait, il est également vaincu par eux après l'avoir été par le Christ.

2. Il est donc bien que ce qui est né de Dieu vainque le monde, en sorte que vaincre la tentation soit la preuve qu'on est né de Dieu, et que si celui qui est né de Dieu, et qui est fils de Dieu par nature, a triomphé du monde et de son prince, ainsi nous le vainquions nous tous qui sommes les enfants de l'adoption. Nous le vainquons, en effet, mais ce n'est qu'en celui qui fait notre force et en qui nous pouvons tout. Car « la victoire par laquelle le monde est vaincu est. l'effet de notre foi (I Joan. V, 4). » En effet, c'est par la foi que nous devenons enfants adoptifs de Dieu, et ce que le monde, qui est tout entier adonné au mal, déteste en nous et poursuit, c'est notre foi; mais aussi ce par quoi il est vaincu, c'est notre foi, selon ce mot de l'Écriture : « C'est par  la foi que les saints ont vaincu des royaumes (Hebr. XI, 33). » Pourquoi la victoire ne serait-elle point attribuée à la foi, quand la vie même lui est attribuée? Car il est dit : « Le juste vit de la foi (Abac. II, 4, et Rom. I, 17). » Toutes les fois donc que vous résistez à la tentation, toutes les fois que vous vainquez l'esprit malin, n'attribuez point votre victoire à vos propres forces; non, ne vous glorifiez point en vous-même, mais glorifiez-vous seulement dans le Seigneur. En effet, comment ce Fort armé de l'Évangile céderait-il la victoire à votre faiblesse? Écoutez d'ailleurs, les avis que nous adresse celui que le Seigneur a établi lui-même le pasteur de son troupeau : « Votre adversaire tourne autour de vous comme un lion rugissant, cherchant qui il pourra dévorer, résistez-lui en demeurant fermes dans la foi (I Petr. V, 8). » Voyez-vous comme tous les témoignages de la vérité concordent parfaitement entre eux? Paul dit que c'est par la foi que les saints ont vaincu des royaumes (Hebr. XI, 33) : Pierre nous apprend que c'est par la foi qu'il faut tenir tête au prince de ce monde, et saint Jean ajoute : « La vraie victoire par laquelle le monde est vaincu est l'effort de notre foi. »

3. Le même apôtre continue: « En effet, qui est-ce qui est vainqueur du monde sinon celui qui croit que Jésus est le Fils de Dieu (I Joan. V, 5) ? » Il n'y a rien de plus certain que cela, mes frères, il est bien sûr que quiconque ne croit pas au Fils de Dieu, non-seulement est déjà vaincu, mais jugé même, car sans la foi il n'est pas possible de plaire à Dieu (Hebr. XI, 6). Toutefois, un doute peut-être s'élève dans votre esprit, en voyant que, parmi tant d'hommes qui croient que Jésus est le Fils de Dieu, il y en a si peu qui ne soient pas dans les liens de leurs passions. Pourquoi donc dire . « Qui est-ce qui vaine le monde, sinon celui qui croit que Jésus est Fils de Dieu, » puisque le momie lui-même tout entier le croit maintenant? Est-ce que les démons ne le croient pas aussi, et ne tremblent-ils pas? Je réponds à cela, qu'il ne faut pas croire que c'est regarder Jésus comme le Fils de Dieu, que de ne se sentir ni effrayé de ses menaces, ni attiré par ses promesses, ni obéissant à ses préceptes, ni soumis à ses conseils. Celui qui en est là, quand même il confesserait de bouche qu'il le tient pour Dieu, ne le niet-il point par sa conduite? Or, « la foi sans les oeuvres est une foi morte (Jac. II, 20), » en elle-même. Aussi ne faut-il pas s'étonner qu'une foi pareille ne soit pas le moins du monde victorieuse, puisqu'elle n'est pas même vivante.

4. Vous me demandez quelle est, pour moi, la foi vive et victorieuse? C'est celle par laquelle le Christ habite dans nos cœurs, attendu que le Christ est notre force et notre vie. En effet, selon l'Apôtre : « Lorsque Jésus-Christ, qui est notre vie, viendra à paraître, vous paraîtrez aussi alors dans la gloire (Coloss. III, 4). » Mais d'où viendra cette gloire, sinon de la victoire, et pourquoi apparaîtrons-nous avec lui sinon parce que nous vainquons avec lui? D'ailleurs, s'il n'y a qu'à ceux qui reçoivent le Christ qu'il est donné d'être faits enfants de Dieu, il s'ensuit que ce n'est que d'eux aussi qu'il a été dit : « Quiconque est né de Dieu vainc le monde. » De là vient encore que après avoir dit : « Quel est celui qui vainc le monde si ce n'est celui qui croit que Jésus est le Fils de Dieu. » L'Apôtre, voulant nous rendre encore plus précieuse la foi par laquelle, ainsi que je l'ai dit, le Christ habite dans nos cœurs, nous parle aussitôt de son avènement et nous dit : « C'est ce même Jésus qui est venu nous purifier avec l'eau et avec le sang (I Joan. V, 6). » Il nous montre même une voie plus élevée encore en continuant : « Et c'est l'Esprit aussi qui rend témoignage que Jésus-Christ est le Fils de Dieu (Ibidem). Je pense que par ces mots qu'il place entre le commencement et la fin, de sa phrase, « non-seulement avec l'eau, mais aussi avec le sang, » il veut nous faire sentir la différence qu'il y a entre Jésus et Moïse qui vint dans l'eau seulement, d'où son nom de Moïse.

5. Que ceux qui connaissent l'histoire de l'ancien Testament se rappellent comment, à l'époque où tons les enfants mâles des Israélites étaient tués en Egypte, Moïse fut exposé sur le Nil et sauvé par la fille du Pharaon , et qu'ils me disent s'il n'est pas évident qu'il fut en cette circonstance la figure de Jésus-Christ. En effet, comme Hérode, le Pharaon d'Egypte cède à la crainte lorsqu'il a recours à la cruauté, mais comme lui aussi, il fut déçu dans son attente. Dans les deux cas, bien des enfants périrent à cause de la crainte que ces tyrans avaient conçue d'un seul enfant, et dans les deux cas aussi, c'est celui à qui ils en voulaient, qui échappe à la mort. Bien plus de même que c'est la fille de Pharaon qui reçut Moïse dans ses mains et le sauva, ainsi est-ce l'Egypte qu'on peut regarder avec raison comme la fille du Pharaon qui reçut le Christ et le sauva. Toutefois il est clair qu'il y a bien plus en cet enfant que dans Moïse, puisqu'il ne vient pas seulement dans l'eau, mais dans l'eau et dans le sang. « En effet, les grandes eaux, dit saint Jean, ce sont tous les peuples (Apoc. XVII, 9). » Ainsi celui qui n'a réuni qu'un peuple, mais ne. l'a point racheté, est venu dans l'eau seulement. Quant à la délivrance de la servitude d'Égypte, ce n'est pas à Moïse mais au sang même de l'Agneau qu'elle est due; or, elle est la figure de notre délivrance, de notre sortie de la vie pleine de vanité que nous menions dans le monde, par la vertu du sang de Jésus-Christ, l'Agneau immaculé! C'est lui qui est notre législateur, celui en qui se trouvent une foule de miséricordes, qui n'est pas mort seulement pour son peuple, mais pour tous les enfants de Dieu qui étaient dispersés, afin de les rassembler en un seul peuple. Rappelez-vous que Jean l'évangéliste lui-même a vu ce qu'il nous rapporte, et nous savons que son témoignage est véridique, qu'il a vu, dis-je, le sang et l'eau couler du côté du Sauveur endormi sur la croix, alors que pendant le sommeil de mort de ce nouvel Adam, l'Église naquit et fut rachetée en même temps.

6. C'est donc ainsi qu'il vient aujourd'hui à nous par l'eau et par le sang, de manière que le sang et l'eau soient un témoignage de son avènement et de la victoire de là foi. Mais il est un témoignage bien plus grand que celui-là encore, c'est le témoignage de l'esprit même de vérité. Ce triple témoignage est vrai et certain, heureuse l'âme qui mérite de le recevoir. « En effet, il y a trois témoins qui rendent témoignage sur la terre, c'est l'esprit, l'eau et le sang. » Or dans l'eau, voyez le baptême, dans le sang, le martyre et dans l'esprit la charité, car c'est l'esprit qui donne la vie, et la vie de la foi est la charité. Et si vous me demandez quel rapport il y a entre le Saint-Esprit et la charité, Paul vous répondra : « C'est que l'amour de Dieu a été répandu dans nos coeurs par le Saint-Esprit qui nous a été donné (Rom. V, 5). » Or, il faut absolument que le Saint-Esprit s'ajoute à l'eau et au sang puisque, toujours depuis le même Apôtre, tout ce que nous avons sans la charité ne sert à rien (I Cor. XIII, 3).

7. Mais si je dis que l'eau désigne ici le baptême, et le sang le martyre, cela n'empêche pas que le baptême soit en même temps unique et quotidien, de même que le martyre. Il y a, en effet, un martyre spirituel et un acte d'effusion de sang dans les mortifications journalières de la chair, de même qu'il y a une sorte de baptême dans la componction du coeur et dans l'effusion des larmes. Voilà comment les coeurs faibles et infirmes, qui ne peuvent verser leur sang tout d'un coup pour Jésus-Christ, se trouvent dans la nécessité de le répandre, dans un martyre plus doux, mais beaucoup plus long. Il en est de même du baptême : comme il ne peut se réitérer, il ne reste à ceux qui tombent fréquemment encore dans le péché qu'à le suppléer par de fréquentes ablutions. Voilà pourquoi le Prophète disait : « Je laverai toutes les nuits mon lit de mes larmes et j'arroserai ma couche de mes pleurs (Psal. VI, 7). » Voulez-vous donc savoir qui est celui qui vainc le monde? Remarquez ce qu'il y a à vaincre en lui, c'est saint Jean lui-même qui vous l'apprend en ces termes : « Mes chers amis, n'aimez ni le monde ni ce qui est dans le monde; car tout ce qui est dans le monde est ou concupiscence de la chair, ou concupiscence des yeux, ou ambition du siècle (I Joan. II, 15 et 26). » Voilà ce qu'il faut entendre par les trois colonnes d'attaque qu'ont formées les Chaldéens, mais cela me rappelle que le saint patriarche Jacob marcha aussi sur trois colonnes quand il revint de Mésopotamie, parce qu'il appréhendait le courroux de son frère. A vous aussi, mes frères, il faut trois sortes de remparts contre ces trois sortes de tentations, la mortification de la chair vous fera vaincre la concupiscence, et, si vous vous le rappelez, je vous ai dit que le témoignage du sang ne signifiait pas autre chose que la mortification ; quant à la concupiscence des yeux, c'est par les sentiments de la componction et la fréquence des larmes que vous en viendrez à bout, et pour ce qui est de l'ambition, c'est la charité qui en anéantira la vanité, car il n'y a qu'elle pour châtier l'âme et purifier l'intention. D'ailleurs, vous êtes sûrs d'avoir triomphé du monde si vous mortifiez votre corps, et le conduisez en esclavage, de peur qu'il n'abuse de sa liberté pour s'adonner aux plaisirs; si vous avez des yeux plutôt pour pleurer que pour satisfaire votre dissipation et votre curiosité; si enfin, embrasés d'un amour tout spirituel vous n'ouvrez votre coeur à aucune vanité.

8. C'est avec bien juste raison qu'il est dit que c'est un seul et même esprit qui rend témoignage en même temps dans le ciel et sur la terre ; en effet pour ce qui est de l'affliction de la chair, elle aura un terme, et la source des larmes se tarira un jour; mais quant à la charité, elle ne faillira jamais; nous n'en avons qu'une sorte d'avant-goût dans la vie présente, nous en aurons la plénitude et la consommation dans l'autre. Toutefois, quoique l'esprit demeure après l'eau et le sang, attendu que ni l'eau ni le sang ne posséderont le royaume de Dieu, il est bien rare, en attendant, qu'il se trouve sans eux si tarit est qu'il puisse subsister maintenant sans eux, car, dit saint Jean, « Tous les trois ne font qu'un (I Joan. V, 7, » en sorte que si l'un des trois fait défaut on ne peut dire que les deux autres subsistent. Ensemble ces trois témoignages méritent toute créance, et celui en qui ils se trouvent réunis ici-bas ne saurait manquer d'avoir un bon témoignage dans les cieux. Il confesse le Fils de Dieu devant les hommes, non pas de la voix et en ses paroles seulement, mais par les oeuvres et en vérité, et le Fils de Dieu le confessera à son tour devant les anges de Dieu. Le témoignage du Père pourra-t-il lui manquer s'il a celui du Fils? Non certainement, et le Père certainement rendra témoignage de ce qu'il a vu dans le secret (Matt. VI, 6). Quant au Saint-Esprit, il ne se sépare ni du Père, ni du Fils, puisqu'il est l'esprit et du Père et du Fils. D'ailleurs, comment pourrait-il être privé dans le ciel du témoignage qu'il a mérité de recevoir de lui sur la terre? « Il y en a trois qui rendent témoignage dans le ciel, le Père, le Fils, et le Saint-Esprit (I Joan. V, 7). » N'allez pas croire par hasard que ces trois témoins ne concordent point ensemble, tous trois ne font qu'un. Assurément ceux que le Père recevra dans les cieux avec le titre d'enfants et d'héritiers, que le Fils appellera à lui comme ses frères, et ses co-héritiers, et que le Saint-Esprit confondra en un seul et même Esprit avec Dieu, à qui ils sont étroitement unis, car le Saint-Esprit est le lien indissoluble de la Trinité, celui par qui avec la grâce de Notre-Seigneur Jésus-Christ qui a daigné le demander pour ses disciples à leur Père, nous sommes faits un avec le Père et le Fils de même que par lui aussi le Père et le Fils ne font qu'une même chose, ne saurait recevoir un petit témoignage dans les cieux.

 

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