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LIVRE HUITIÈME. LE PARADIS TERRESTRE (1).

 

CHAPITRE PREMIER. LE PARADIS TERRESTRE EST TOUT ENSEMBLE UNE RÉALITÉ ET UN SYMBOLE.

CHAPITRE II. POURQUOI DES EXPLICATIONS ALLÉGORIQUES DANS. LE TRAITÉ DE LA GENÈSE CONTRE LES MANICHÉENS ?

CHAPITRE III. DE LA CRÉATION DES ARBRES DANS LE PARADIS. RETOUR SUR LA CRÉATION DES PLANTES LE TROISIÈME JOUR.

CHAPITRE IV. DE L'ARBRE DE VIE : QU'IL EST TOUT ENSEMBLE UN ARBRE RÉEL ET LE SYMBOLE DE LA SAGESSE (1).

CHAPITRE V. SUITE DU CHAPITRE PRÉCÉDENT.

CHAPITRE VI. L'ARBRE DE LA SCIENCE DU BIEN ET DU MAL.

CHAPITRE VII. DES FLEUVES QUI ARROSAIENT LE PARADIS TERRESTRE.

CHAPITRE VIII. L'HOMME PLACÉ DANS LE PARADIS TERRESTRE POUR S'Y LIVRER A L'AGRICULTURE.

CHAPITRE IX. ENSEIGNEMENT QUE DONNE LA CULTURE DE LA TERRE.

CHAPITRE X. SUR LE SENS ATTACHÉ AUX MOTS cultiver ET garder.

CHAPITRE XI. L'AUTORITÉ DE DIEU RAPPELÉE A L'HOMME (1).

CHAPITRE XII. DE L'IMPUISSANCE DE L'HOMME A FAIRE LE BIEN SANS LE SECOURS DE DIEU.

CHAPITRE XIII. POURQUOI L'ARBRE DE LA SCIENCE DU BIEN ET DU MAL A-T-IL ÉTÉ INTERDIT A L'HOMME?

CHAPITRE XIV. DU MAL : L'HOMME EN A FAIT L'EXPÉRIENCE EN VIOLANT LE PRÉCEPTE DE DIEU.

CHAPITRE XV. POURQUOI L'ARBRE DE LA SCIENCE DU BIEN ET DU MAL A-T-IL ÉTÉ APPELÉ AINSI ?

CHAPITRE XVI. L'HOMME A PU AVOIR L'IDÉE DU MAL AVANT DE LE CONNAÎTRE EN RÉALITÉ.

CHAPITRE XVII. LA DÉFENSE FUT-ELLE FAITE A ADAM ET A EVE EN MÊME TEMPS ?

CHAPITRE XVIII. COMMENT DIEU A-T-IL PARLÉ A L'HOMME.

CHAPITRE XIX. DE L'ACTIVITÉ DIVINE DANS LA CRÉATURE, ET D'ABORD DE DIEU MÊME.

CHAPITRE XX. LE CORPS SE MEUT DANS LE TEMPS ET L'ESPACE, L'AME NE SE MEUT QUE DANS LE TEMPS : DIEU EST EN DEHORS DE CETTE DOUBLE MODIFICATION.

CHAPITRE XXI. COMMENT DIEU EST-IL A LA FOIS IMMUABLE ET PRINCIPE DU MOUVEMENT?

CHAPITRE XXII. DIEU EST SUREMENT ET ABSOLUMENT IMMUABLE.

CHAPITRE XXIII. QUE DIEU FAIT TOUT SANS SORTIR DE SON REPOS.

CHAPITRE XXIV. DES CRÉATURES SOUMISES AUX ANGES.

CHAPITRE XXV. DES LOIS GÉNÉRALES ET PARTICULIÈRES SELON LESQUELLES DIEU GOUVERNE TOUT.

CHAPITRE XXVI.  DIEU GOUVERNE TOUT SANS CESSER D'ÉTRE IMMUABLE.

CHAPITRE XXVLI. COMMENT DIEU PARLA-T-IL A ADAM?

 

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CHAPITRE PREMIER. LE PARADIS TERRESTRE EST TOUT ENSEMBLE UNE RÉALITÉ ET UN SYMBOLE.

 

1. « Et Dieu planta un paradis du côté de l'orient en Eden et il y plaça l'homme qu'il avait fait (2). » Il existe, je le sais, une foule d'opinions sur le Paradis terrestre, mais elles peuvent se ramener à trois principales : la première consiste à ne voir dans le Paradis qu'un jardin ; la seconde, à le considérer comme une allégorie; la troisième, qui concilie les deux autres, admet le sens littéral et le sens figuré. J'avoue en passant que je partage ce dernier sentiment. Ici j'entreprends de parler du Paradis terrestre au sens littéral, selon les grâces que Dieu daignera m'accorder, et de faire comprendre comment l'homme formé du limon de la terre,c'est-à-dire pourvu d'un corps, fut établi dans un véritable jardin. Adam sans doute était la figure et le type de l'Adam futur (3): cependant on voit en lui un homme doué de toutes les facultés de son espèce, lequel vécut un certain nombre d'années et, après avoir laissé une postérité nombreuse, mourut comme le reste des hommes, encore qu'il ne fût issu d'aucuns , parents, mais formé de la terre, en qualité de premier homme : de même on doit voir dans le jardin où Dieu le plaça, un lieu, un séjour terrestre destiné à un être formé de la terre.

2. Le récit de la Genèse ne rentre point en effet dans le genre des allégories, comme le Cantique des cantiques : il est historique comme le livre des Rois et tous ceux qui offrent le même caractère. Les récits historiques contenant les faits ordinaires de la vie humaine, on les explique aisément ou plutôt de prime-abord au sens littéral, afin de déduire des évènements passés le sens allégorique des évènements futurs ; mais comme

 

1. Gen. II, 8-17. — 2. Gen. II, 8. — 3 Rom. V, 14.

 

on ne retrouve point ici le cours ordinaire de la nature, on ne peut se résoudre à voir la réalité et on conçoit tout comme des symboles; on veut même ne faire commencer l'histoire proprement dite qu'à l'époque où Adam et Eve, ayant été chassés du Paradis, s'unirent et eurent des enfants. Mais, en vérité, est-il dans le cours naturel des choses qu'ils aient vécu tant d'années, qu'Enoch ait été enlevé au ciel, qu'une femme ait enfanté malgré la vieillesse et la stérilité, et mille autres prodiges?       .

 

3. Mais, dit-on, il faut distinguer entre un récit de faits miraculeux et l'exposition des lois qui ont présidé à la formation des êtres. Là en effet les prodiges mêmes démontrent que le cours des choses est tantôt naturel, tantôt extraordinaire et par conséquent amène des miracles ; ici on ne fait que révéler la création des êtres. — La réponse est facile. La création elle-même a été extraordinaire par cela seul qu'elle était création. Dans l'organisation des choses du monde, n'y a-t-il pas un fait sans précédent et auquel rien ne correspond, à savoir le monde lui-même ? Faut-il donc admettre que Dieu n'a pas fait le monde, parce qu'il n'en compose plus d'autres, ou qu'il n'a pas fait le soleil, parce qu'il n'en crée pas de nouveaux? Pour mieux déconcerter l'objection, il aurait fallu citer l'homme, au lieu de discuter sur le Paradis. N'admet-on pas qu'il a été formé par Dieu comme jamais homme ne l'a été? Pourquoi alors refuser de croire que le Paradis a été fait de la même manière que se forme aujourd'hui une forêt?

4. Je m'adresse à ceux qui reconnaissent l'autorité des saintes Lettres; il en est parmi eux qui ne veulent voir dans le Paradis terrestre qu'une pure allégorie. Quant aux adversaires de l'Ecriture, j'ai suivi dans un autre ouvrage (1), une méthode toute différente pour leur répondre. Ce

 

1. Gen, cont. les Manich. ci-dessus.

 

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pendant, même dans ce traité, j'ai défendu l’Ecriture au point de vue littéral, autant que je l'ai pu, afin que ceux qui ont l'intelligence, trop émoussée ou trop endurcie pour se rendre à la raison et croire à ces vérités, n'aient du moins aucun moyen de leur donner l'apparence de fables. Mais que des esprits qui ont foi dans l'Ecriture, refusent de croire qu'il a réellement et à la lettre existé un Paradis, c'est-à-dire un parc délicieux où les arbres offraient des fruits et des ombrages, un parc immense arrosé par une immense source, et cela quand ils voient tant de forêts considérables se former sans le concours de l'homme par l'action mystérieuse du Créateur, c'est pour moi un sujet d'étonnement : à quel titre croient-ils donc que l'homme a été créé, puisqu'ils n'ont jamais vu d'exemple d'une pareille formation? S'il ne faut voir dans Adam lui-même qu'un type, quel a été le père de Caïn, d'Abel, de Seth? Ces personnages ne seraient-ils eux-mêmes que des symboles, au lieu d'être fils d'un homme et hommes eux-mêmes? Qu'ils examinent donc de près à quelle conséquence les conduirait un pareil système et qu'ils s'unissent à nous pour interpréter au pied de la lettre le récit des faits primitifs. Dès lors, qui n'accueillera avec sympathie les symboles qu'ils découvrent dans ces événements, et qui révèlent soit les dispositions murales des esprits, soit les choses à venir? Assurément si on ne pouvait entendre littéralement les faits qu'expose l'Écriture sans compromettre la foi, que resterait-il à faire sinon de voir partout des allégories plutôt que de lancer contre la parole sainte des accusations impies? Mais l'interprétation historique de ces faits, loin de compromettre les récits de l'Ecriture, ne sert qu'à les corroborer; il n'est personne, à mon sens, qui après avoir vu les événements de la Genèse expliqués littéralement selon cette règle de foi, poussera l'obstination et l'incrédulité , jusqu'à persévérer dans la fausse opinion que le Paradis terrestre ne peut être qu'une allégorie.

 

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CHAPITRE II. POURQUOI DES EXPLICATIONS ALLÉGORIQUES DANS. LE TRAITÉ DE LA GENÈSE CONTRE LES MANICHÉENS ?

 

5. Les Manichéens ne se bornent pas à mal interpréter les saintes Lettres : ils les rejettent et vont jusqu'au sacrilège. C'est contre eux que j'écrivis deux livres sur la Genèse dans les premiers temps de ma conversion, me proposant à la fois de réfuter leur système insensé, et de leur inspirer le désir de chercher dans les livres même qu'ils détestent la foi chrétienne et évangélique. Comme le sens littéral ne se présentait pas toujours à mon esprit, et même me semblait parfois impossible ou du moins très-difficile, pour ne pas perdre trop de temps, je me mis à expliquer avec toute la netteté et toute la précision dont j'étais capable le sens allégorique des faits que je ne pouvais encore interpréter à la lettre : je craignais d'ailleurs de les rebuter par un long ouvrage ou une discussion obscure, et de leur faire tomber le livre des mains. Toutefois je me rappelle le but principal que je me proposai sans l'atteindre c'était de montrer que les évènements de la Genèse étaient historiques et non de pures allégories. Je désespérais si peu de les voir ainsi entendus que j'établis au second livre le principe suivant : « Si on se résout à prendre au sens rigoureusement littéral tous les récits de la Genèse, on trouvera un moyen infaillible d'éviter bien des blasphèmes sans sortir du domaine de la foi. Loin de voir avec dépit untel travail, il faut le regarder comme une preuve merveilleuse d'intelligence. Mais si nous ne pouvons entendre l'Écriture d'un manière à la fois pieuse et digne de Dieu qu'en prenant les faits pour des figures et des énigmes, appuyons-nous sur l'autorité des Apôtres qui ont donné le noeud de tant d'énigmes dans l'ancien Testament, et poursuivons notre but avec l'aide de Celui qui nous a exhortés à chercher, à demander et à frapper (1). «Expliquons donc d'après la foi catholique les figures que renferment les évènements ou les prophéties, sans préjudice d'un traité plus exact et plus parfait, qu'il vienne de moi ou de tout autre à qui Dieu daignera accorder sa lumière (2).» Voilà ce que je disais alors. Aujourd'hui que le Seigneur m'a inspiré la pensée de considérer avec plus d'attention ces évènements, et que j'ai l'espérance ou plutôt la conviction de pouvoir le interpréter comme des faits historiques et non plus comme de pures allégories, je vais expliquer le Paradis, terrestre; en suivant la même méthode que dans les livres précédents.

 

1. Matt. VII, 7 2 Gen. cont. les Man . liv. II, ch. 2.

 

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CHAPITRE III. DE LA CRÉATION DES ARBRES DANS LE PARADIS. RETOUR SUR LA CRÉATION DES PLANTES LE TROISIÈME JOUR.

 

6. Donc « Dieu planta le paradis d'Eden (c'est-à-dire, de délices), vers l'Orient et y plaça l'homme qu'il avait créé. » Tel est le récit de l'Ecriture et tels sont les faits. L'Ecrivain sacré reprend alors sa pensée pour la développer et pour. montrer comment cette oeuvre s'est accomplie, en d'autres termes, comment Dieu a planté ce parc et y a établi l'homme. Il ajoute en.effet : « Dieu fit encore produire à la terre toute espèce d'arbres beaux à voir et qui donnaient des fruits délicieux. » Remarquez qu'il ne dit pas que Dieu créa des arbres d'une espèce nouvelle ou le reste des arbres. En effet, la terre avait déjà produit les arbres ou plantes de toute espèce qui présentaient une vue charmante et des fruits délicieux ; cette création avait eu lieu au troisième jour, et voilà pourquoi Dieu avait dit au sixième : « Je vous ai donné toute espèce d'herbes portant semence qui est sur la terre, tout arbre fruitier, portant semence, pour vous servir de nourriture (1). »Dieu leur aurait-il donné une chose et voulu ensuite leur en donner une autre ? Je ne puis le croire. Les arbres qui furent créés dans le Paradis appartenant aux espèces de ceux que la terre avait produits le troisième jour, sortirent également de la terre au moment qui leur avait été fixé : en effet, les productions de la terre au troisième jour représentaient dans l'Ecriture la cause virtuelle de ces productions créée au sein de la terre, en d'autres termes, le sol avait alors reçu ce principe de fécondité qui se développe encore aujourd'hui en productions toutes semblables, à l'époque qui leur a été assignée pour apparaître au jour.

7. Par conséquent ces paroles de Dieu au sixième jour : « Voici que je vous ai donné toute espèce d'herbes portant semence, toute espèce d'arbres fruitiers portant semence, afin qu'ils vous servent de nourriture, » n'ont été ni des sons, ni une succession de syllabes : elles ont été prononcées par la puissance créatrice telle qu'elle réside dans le Verbe. Mais pour faire entendre à l'homme ce que Dieu a dit sans employer de sons successifs, il fallait bien recourir à une série de sons. C'était à une époque postérieure que

 

1. Gen. I, 29.

 

l'homme, formé du limon de la terre et animé du souffle divin, devait avec sa postérité prendre pour aliments les productions que la terre ferait sortir de son sein, en vertu du principe de fécondité dont elle avait été déjà enrichie. Ainsi Dieu, en créant les causes qui contenaient en principe tout l'avenir, se parlait comme si l'avenir eût déjà existé, au sein de cette vérité tout intérieure que l’œi1 n'a point vue, que l'oreille n'a point entendue et que l'Esprit-Saint a révélé à l'écrivain inspiré.

 

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CHAPITRE IV. DE L'ARBRE DE VIE : QU'IL EST TOUT ENSEMBLE UN ARBRE RÉEL ET LE SYMBOLE DE LA SAGESSE (1).

 

8. Quant aux expressions qui suivent : « L'arbre de vie au milieu du jardinet l'arbre de la connaissance du bien et du mal, » il faut les peser avec attention, si on ne veut pas être entraîné à voir sous ces mots un symbole en dehors de toute réalité. Il est écrit de la Sagesse « qu'elle est l'arbre de vie pour tous ceux qui l'embrassent . (2) » Cependant, quoiqu'il y ait au ciel une Jérusalem éternelle, il n'en a pas moins existé sur la terre une cité qui la représentait. Sara et Agar, tout en étant les symboles des deux Alliances, n'en ont pas moins été deux femmes (3). Jésus-Christ par les mérites de sa passion sur la croix nous arrose de son sang; mais le rocher dont Moïse fit sortir une source d'eau vive, pour apaiser la soif du peuple, ne cesse pas d'avoir été un rocher véritable, parce qu'il était, selon l'Apôtre, « la figure de Jésus-Christ (4). ». Le sens allégorique de ces évènements est sans doute fort distinct de leur . vérité historique ; mais il n'empêche pas qu'ils aient eu lieu. A l'époque où l'écrivain les racontait, il ne composait pas de symboles ; il faisait un récit exact de faits destinés à figurer ceux qu'ils précédaient. Il y a donc eu un arbre de vie, comme il a existé un rocher figure de Jésus-Christ : Dieu n'a pas voulu que , l'homme vécut dans le Paradis, sans offrir à ses yeux quelques images matérielles des choses de l'esprit. Le reste des arbres fournissaient des aliments, celui-ci contenait de plus un mystère; il représentait la Sagesse dont il a été dit « qu'elle est l'arbre de vie, » au même titre que Jésus-Christ est le rocher d'où jaillit l'eau pour ceux qui l'aiment. Il est le rocher, dis-je,

 

1. Gen.II, 9. — 2. Prov. III, 18. — 3. Gal. IV, 24-26. — 4. I Cor, X, 4.

 

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parce que tout ce qui a précédé. un fait pour le figurer doit servir à le désigner. Il est également l'agneau qui s'immole dans la Pâque; or, le symbole n'est pas un mot, c'était une réalité; l'agneau pascal était un véritable agneau, on l'immolait, on le mangeait (1). Cependant ce sacrifice réel en figurait un autre. Ne le comparons pas au veau gras qu'on tue pour fêter le retour de l'enfant prodigue (2). Là, en effet on développe une allégorie, on ne cherche pas le sens allégorique d'évènements véritables; ce n'est point l'Evangéliste, c'est le Seigneur même qui est l'auteur de cette narration , l'Evangéliste ne fait que la reproduire : le récit est pourtant un t'ait, en ce   sens que le Sauveur a tenu réellement ce langage; mais dans sa bouche ce n'est qu'une parabole et on ne saurait exiger qu'on démontre l'authenticité des faits qui y sont racontés. Jésus-Christ est aussi tout      ensemble la pierre sur laquelle Jacob versa de l'huile (3), et la pierre, qui, rejetée par les architectes, est devenue la principale pierre de l’angle (4). Mais ici la figure n'est qu'une prophétie, là elle implique un fait. Moïse racontait en effet un évènement passé, le Psalmiste ne faisait que prédire l'avenir.

 

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CHAPITRE V. SUITE DU CHAPITRE PRÉCÉDENT.

 

9. C'est ainsi que dans le Paradis tout spirituel où le Larron fut introduit après sa mort sur la croix (5), la Sagesse, ou Jésus-Christ est l'arbre de vie ; mais, pour le représenter, il fut créé un arbre de vie dans le Paradis matériel ainsi le .veut l'Ecriture qui, racontant les évènements dans leur ordre chronologique, nous apprend que l'homme fut formé d'abord, puis, établi dans ce lieu, en pleine possession de la vie des sens. Se figure-t-on que l'âme, une fois dégagée du corps, est renfermée dans un lieu visible, bien qu'elle n'ait plus son enveloppe matérielle? Qu'on avance cette proposition; il ne manquera pas de gens pour l'appuyer, pour soutenir même que le riche altéré par l'Evangile est dans un séjour matériel, et que sa langue desséchée, la goutte d'eau qu'il aspire à recevoir du bout du doigt de Lazare, prouvent une âme unie à un corps. Je ne me hasarderai pas avec eux dans une question aussi difficile. Le doute, quand la vérité est obscure, vaut mieux qu'une

 

1. Ex. XII, 3-12. — 2. Luc, XV, 23. — 3. Genés. XXVIII, 18. —  4. Ps. CXVII, 22-5. — Luc, XXIII, 43.

 

discussion subtile où l'on ne peut arriver à la certitude. D'ailleurs, de quelque façon qu'il faille concevoir la flamme de l'enfer, le sein d'Abraham, la langue du riche, le doigt du pauvre, le supplice de la soif, la goutte d'eau rafraîchissante (1); la vérité peut sortir d'un paisible examen : elle ne jaillira jamais d'une controverse passionnée. Afin de ne pas nous laisser arrêter par une question aussi profonde et qui exigerait de longs développements, nous nous bornerons à cette simple réponse : si les âmes dégagées du corps peuvent être renfermées dans un lieu matériel, l'âme du bon larron a pu être admise dans le Paradis où le corps du premier homme fut introduit. Plus tard, s'il est nécessaire, nous trouverons dans quelque passage de l'Ecriture une occasion plus favorable d'exprimer à ce sujet nos doutes ou notre sentiment.

10. Que la Sagesse n'ait rien de matériel et par conséquent qu'elle ne puisse être un arbre, c'est un point incontestable à mes yeux et qui, je crois, n'est mis en doute par personne : mais pour refuser d'admettre qu'un arbre ait pu dans un parc représenter la Sagesse sous un symbole mystérieux, il faut ou ne pas songer à tous les corps dont l'Ecriture s'est servi pour figurer les choses spirituelles, ou soutenir que l'existence du premier homme a été incompatible avec un pareil mystère. Cependant l'Apôtre répète ces paroles prononcées par Adam sur la femme qui, selon notre croyance, fut tirée de son côté : « L'homme laissera son père et sa mère et s'attachera à sa femme ; et ils seront deux en une seule chair (2), » et il y voit : « un symbole auguste de l'union de Jésus-Christ avec son Eglise (3). » N'est-ce pas une chose étrange, j'allais dire insoutenable, qu'on voie dans le Paradis une peinture allégorique et qu'on ne veuille pas y voir une réalité destinée à devenir une allégorie? Si on admet, comme on le fait pour Agar et Sara, pour Ismaël et Isaac, qu'il y a dans cette création un fait historique aussi bien qu'une figure, pourquoi ne pas admettre que l'arbre de vie fut à la fois un arbre réel et un emblème de le Sagesse? C'est ce que je ne saurais comprendre.

11. Il ne me coûte pas de dire encore que cet arbre mystérieux, tout en offrant à l'homme un aliment matériel, avait une vertu secrète et extraordinaire pour maintenir son corps dans la vigueur et la santé. A coup sûr, il s'ajoutait aux propriétés naturelles du pain une vertu particulière

 

1. Luc, XVI, 24. — 2. Gen. II, 24. — 3. Eph. V, 31, 32.

 

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dans le gâteau qui suffit à Dieu pour préserver un prophète de la faim, pendant quarante jours (1). Comment hésiter à croire qu'avec le fruit d'un arbre, par un bienfait dont la cause nous échappe, Dieu ait mis le corps de l'homme à l'abri des ravages de la maladie, des années et même des atteintes de la vieillesse, quand on voit ce même Dieu empêcher des aliments ordinaires de diminuer par un prodige et renouveler sans cesse la farine et l'huile dans des vases d'argile (2)? Vienne maintenant un dialecticien subtil qui prétende que Dieu a dû faire sur la terre des miracles qu'il n'a point dû faire dans le Paradis : apparemment que l'acte par lequel il forma l'homme du limon, la femme d'une côte de l'homme, n'est pas un prodige plus étonnant que la résurrection d'un mort.

 

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CHAPITRE VI. L'ARBRE DE LA SCIENCE DU BIEN ET DU MAL.

 

12. L'arbre de la science du bien et du mal se présente maintenant à notre attention. Sans nul doute, c'était un arbre réel et visible comme tous les autres. Là n'est point la question : le point à éclaircir est de savoir pourquoi il a été nommé ainsi. Or, plus j'examine, plus je suis porté à admettre que cet arbre n'offrait aucun alignent nuisible. Celui qui n'avait créé que des oeuvres excellentes (3), n'avait rien mis de mauvais dans le Paradis : le mal data pour l'homme de sa désobéissance au commandement. L'homme étant soumis au souverain empire de Dieu devait être assujetti à une loi, afin d'avoir le mérite de conquérir la possession de son Seigneur par l'obéissance. L'obéissance, je puis le dire en toute sûreté, est la seule vertu de toute créature raisonnable, agissant sous la. suzeraineté de Dieu, de même que le premier des vices et le comble de l'orgueil est de faire tourner sa liberté à sa perte, ce qui est proprement la désobéissance. Or l'homme ne pourrait reconnaître ni sentir la souveraineté de Dieu, s'il n'avait un commandement à exécuter. Par conséquent, l'arbre n'avait en lui même rien de malfaisant: il fut appelé l'arbre de la science du bien et du mal, parce que, si l'homme venait à manger de ses fruits après là défense qu'il en avait reçue, il violerait, par la même, l'ordre de Dieu et reconnaîtrait, au châtiment qui suivrait cette .transgression, toute la différence du bien et du mal,

 

1. III Rois, XIX, 8. — 2. Ibid. XVII,16. — 3. Gen. I, 31.

 

de la soumission et de la révolte. Il est donc ici question d'un arbre et non d'un symbole son nom ne vient pas des fruits qu'il devait produire, mais de la conséquence même qu'entraînerait pour l'homme l'infraction au commandement de n'y point. toucher.

 

 

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CHAPITRE VII. DES FLEUVES QUI ARROSAIENT LE PARADIS TERRESTRE.

 

13 « Il sortait d'Eden un fleuve qui arrosait le jardin et delà il se divisait en quatre fleuves. Le nom du premier est Phison; c'est celui qui coule autour de tout le pays d'Evilath, où il y a de l'or : et l'or de le pays-là est bon. C'est là aussi que se trouve le bdellion et la pierre d'onyx. Le nom du second fleuve est Géon ; c'est lui qui coulé autour de tout le pays d'Ethiopie. Le nom du troisième fleuve est le Tigre ; c'est celui qui coule vers l'Assyrie. Et le quatrième fleuve est l'Euphrate (1). »

Faut-il m'évertuer à prouver que ce sont là de véritables fleuves plutôt que des fleuves imaginaires destinés à servir de symboles, quand leur réalité est indiquée par leurs noms seuls, si connus dans les pays qu'ils baignent et répandus pour ainsi dire dans le monde entier? Le temps :. a changé le nom primitif de deux de ces fleuves; de même que le Tibre s'est d'abord appelé l'Albula, le Nil et le Gange sont les noms modernes du Géon et du Phison : quant au deux autres ils portent encore le même nom que dans les anciens temps. Or, si leur existence est avérée, ne devons-nous pas également entendre à la lettre tous les récits de l'Ecriture, et y voir, au lieu de pures allégories, des évènements historiques qui cachaient un sens figuré? Assurément une parabole peut emprunter une couleur historique à des circonstances qui n'ont rien de réel, par exemple, celle où le Seigneur raconte qu'un homme, qui allait de Jérusalem à Jéricho, tomba entre les mains des voleurs (2). Comment ne pas voir que c'est là une parabole et que le langage est allégorique d'un bout à l'autre Cependant les deux villes qui y sont nommées sont véritables et peuvent encore aujourd'hui se voir dans la Judée. Nous expliquerions de la même manière les quatre fleuves, si nous étions obligés d'interpréter au sens figuré tous les détails que l'Ecriture nous transmet sur le Paradis

 

1. Gen. II, 10-14. — 2. Luc, X, 30.

 

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terrestre; mais comme nous n'avons aucun motif pour ne pas prendre à la lettre les faits à leur origine, pourquoi ne pas s'attacher avec simplicité à l'autorité de l'Ecriture, quand elle raconte des évènements d'un caractère éminemment historique, en passant de la connaissance de la réalité au sens figuré qu'elle peut renfermer?

14. Faut-il nous arrêter, à l'objection que, sur ces quatre fleuves, les uns ont une source connue, les autres une source cachée, et que par conséquent il est littéralement impossible qu'ils sortent de l'unique fleuve du Paradis? Loin de là la situation du Paradis terrestre étant une énigme pour l'esprit humain, il faut croire que le fleuve qui arrosait le Paradis se divisait en quatre bras, selon le témoignage incontestable de l'Ecriture; quant aux fleuves dont les sources, dit-on, sont connues, ils ont disparu quelque part sous terre, et,après avoir parcouru un long circuit, ils ont reparu en d'autres pays où ils passent pour prendre leur source. Qu'y a-t-il de plus fréquent que ce phénomène? Mais on ne le connaît que pour les cours d'eaux qui ne restent pas longtemps cachés sous la terre. Ainsi un fleuve sortait d'Eden, c'est-à-dire, d'un lieu de déliées; ce fleuve arrosait le Paradis, en d'autres termes, les arbres magnifiques et chargés de fruits qui ombrageaient tout l'espace compris dans ce parc.

 

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CHAPITRE VIII. L'HOMME PLACÉ DANS LE PARADIS TERRESTRE POUR S'Y LIVRER A L'AGRICULTURE.

 

15. « Dieu prit donc l'homme et le.plaça dans « le jardin d'Eden, pour le cultiver et pour le garder. Puis le Seigneur Dieu commanda à l'homme, disant : Tu mangeras de tout arbre qui est dans le jardin ;  quant à l'arbre de la science du bien et du mal vous n'en mangerez point : car au jour que vous en mangerez, vous mourrez de mort (1). » L'Ecriture après avoir dit brièvement, un peu plus haut, que Dieu avait planté un jardin et y avait placé l'homme sa créature, était revenue sur ces expressions pour décrire la formation de ce parc; elle y revient encore pour raconter comment l'homme fut introduit. Il y fut placé, dit-elle, pour le cultiver et pour le garder. Examinons le sens attaché à ces derniers mots. De quel travail,

 

1. Gen. II, 16-17.

 

de quelle surveillance peut-il être question ? Dieu a-t-il voulu que le premier homme se livrât à l'agriculture? Ne serait-il pas invraisemblable qu'il l'eût condamné au travail avant sa faute ? On pourrait le penser, si l'expérience ne démontrait. pas que l'homme parfois prend un plaisir si vif à travailler la terre, que c'est. un supplice pour lui d'être arraché à cette occupation. Or, l'attrait attaché à l'agriculture était bien plus vif encore à une époque où la terre et le ciel avaient une perpétuelle bénignité. Ce n'était point un travail écrasant, mais comme un épanouissement de l'activité, charmée de voir les créations divines prendre avec son concours un aspect plus vivant et une fécondité nouvelle : c'était un sujet perpétuel de louer le Créateur lui-même, pour ce don de l'activité qu'il avait fait à l'âme unie à un corps, pour cette faculté qui s'exerçait dans la mesure du plaisir et non à contre coeur pour, satisfaire aux besoins inférieurs du corps.

16. Y a-t-il un spectacle plus sublime et plus ravissant pour l'homme, un entretien plus intime pour ainsi dire de sa raison avec la nature, que d'examiner ses semis, ses pépinières, ses boutures, ses greffes, et de se demander quelle est la vertu secrète des germes et des racines; d'où vient leur développement ou leur stérilité; quelle est l'action de la force invisible qui les fait croître au dedans, l'influence de la culture au dehors? Ces considérations n'élèvent-elles pas jusqu'à montrer que celui- qui plante et qui arrose n'est rien, mais Dieu seul qui donne l'accroissement (1) ? Le travail extérieur ne vient-il pas d'ailleurs de l'être même que Dieu a créé et qu'il gouverne selon les desseins secrets de sa providence?

 

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CHAPITRE IX. ENSEIGNEMENT QUE DONNE LA CULTURE DE LA TERRE.

 

17. De là l'esprit porte ses regards sur le monde lui-même comme sur un arbre immense, et il y retrouve la double action de la Providence, l'une naturelle et l'autre volontaire. Je veux parler des mouvements mystérieux que Dieu imprime par lui-même pour donner l'accroissement à tout, même aux plantes et aux arbres, et de l'activité libre qu'il gouverne chez les anges et chez les hommes .A l'action naturelle appartiennent les lois qui régissent les corps au ciel et sur la terre : le

 

1. I Cor. III, 7.

 

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rayonnement des luminaires et des étoiles, la succession des jours et des nuits, le mouvement des eaux à la surface et autour du globe fondé sur elles, l'équilibre de l'atmosphère répandue au-dessus de la terre ; l'origine, la naissance, le développement la vieillesse et la mort des animaux et des plantes;, bref tous les phénomènes qui s'accomplissent chez les êtres par les mouvements naturels de l'organisation. A l'action volontaire se rattachent la création et la transmission des signes du langage, les travaux de la campagne, le gouvernement des états, la culture des arts, enfin tous les actes qui s'accomplissent soit dans la cité céleste, soit dans la société des hommes ici-bas, où les méchants même a leur insu travaillent dans l'intérêt des bons: Cette double action de la Providence éclate chez l'homme considéré en lui-même : physiquement, dans la suite de mouvements qui le font naître, croître et vieillir; moralement, dans les penchants qui le portent à se nourrir, à se vêtir, et à se conserver. L'âme elle-même obéit à une impulsion naturelle pour vivre et pour sentir ; elle agit sous l'influence de la volonté pour apprendre et pour juger.

18. Consacrée à un arbre, la culture a pour but de lui donner par un travail extérieur, tout le développement de ses propriétés intrinsèques chez l'homme, l'hygiène seconde extérieurement le travail que la nature accomplit dans l'intérieur du corps, et la science donne les moyens extérieurs de rendre l'âme heureuse au-dedans. Néglige-t-on la culture d'un arbre? les effets sont analogues à ceux que produit, dans le corps, l'indifférence pour l'hygiène, dans l'âme, la nonchalance à s'instruire; les ravages qu'une humidité maligne cause dans un arbre, des aliments délétères les exercent dans le corps, et les maximes de l'injustice dans l'âme. C'est ainsi que le Dieu qui domine tout, qui a créé et qui gouverne tout, a établi dans la nature des lois excellentes et a soumis fautes les volontés aux règles de la justice. Quelle conséquence y a-t-il donc à admettre que l'homme a été établi dans le paradis pour se livrer à la culture de la terre, si elle entraînait alors pour lui non un travail d'esclave, mais les plus nobles jouissances de l'âme? Y a-t-il une occupation plus innocente,quand on a du loisir, plus féconde en méditations sublimes, quand on est éclairé ?

 

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CHAPITRE X. SUR LE SENS ATTACHÉ AUX MOTS cultiver ET garder.

 

19. « Dieu mit l'homme dans le jardin pour garder. » Mais garder quoi? Serait-ce le jardin lui-même ? Contre qui ? A coup sûr il n'y avait à craindre ni empiétements de voisin, ni chicane à propos de limites, ni attaque de voleur ou de brigand. Comment donc concevoir que l'homme ait réellement gardé un parc véritable L'Ecriture ne dit point qu'il devait garder et cultiver le Paradis; elle emploie les deux mots absolument: « pour garder et cultiver » Une traduction littérale du grec donnerait: posui eum in Paradiso operari eum et custodire. L'homme a-t-il été placé dans le paradis pour travailler, ou, comme semble le croire l'interprète qui a traduit « ut operaretur, » ou pour travailler le Paradis lui-même ? Le tour est équivoque. Il semblerait qu'il eût fallut ici faire du mot Paradis non un complément direct, mais un complément de lieu et dire : « afin de travailler dans le Paradis. »

20. Toutefois, dans la crainte que l'expression « travailler le jardin » ne soit la véritable et ne rappelle le passage : « Il n'y avait point d'homme pour travailler la terre, » examinons ces paroles dans les deux sens qu'elles peuvent offrir. J'admets donc d'abord qu'on puisse dire que l'homme fut introduit dans l'Eden « afin de garder dans le Paradis. » Qu'y avait-il à garder dans le Paradis? Je ne parle pas du travail d'Adam: la question vient d'être traitée. Devait-il garder dans son coeur le principe qui rendait la terre docile à ses travaux; en d'autres termes, devait-il obéir au commandement divin avec la même complaisance que la terre se laissait cultiver par ses mains, afin qu'elle produisit pour lui les fruits de la soumission au lieu des épines de la révolte? En réalité, il ne voulut pas imiter la docilité du jardin qu'il cultivait, et, pour sa peine, reçut un sol ingrat comme lui : « Il te donnera, dit l'Ecriture, des épines et des chardons. »

21. Si on adopte le second sens, d'après lequel Adam aurait travaillé et gardé le jardin, on s'explique la première expression par ses travaux d'agriculture tels que nous les avons exposés mais comment expliquer la seconde ? Il ne gardait pas le jardin contre des voleurs ou des ennemis qui n'étaient point encore apparus: peut-être le (245) gardait-il contre les animaux; mais pourquoi et comment ?Les bêtes faisaient-elles déjà à l'homme cette guerre qui fut la conséquence du péché? Non sans doute: les animaux avaient été amenés devant l'homme qui leur avait donné des noms, comme nous allons bientôt le voir, et le sixième jour une nourriture commune leur avait été assignée par le commandement de la parole souveraine. D'ailleurs, les animaux eussent-ils inspiré quelque crainte, comment un seul homme aurait-il été capable de mettre le jardin à l'abri de leurs ravages? Le parc ne devait pas être renfermé dans d'étroites limites, puisqu'il était arrosé par une source aussi abondante, et l'homme aurait apparemment été obligé de construire autour du parc, à force de travail, une clôture capable d'enfermer l'entrée au serpent : mais il aurait fallu un prodige pour chasser tous les serpents avant que l'enceinte n'eût été achevée.

22. Pourquoi ne pas comprendre une vérité qui crève les yeux? L'homme fut établi dans le jardin afin de le travailler, en se livrant à cette culture qui excluait toute fatigue, comme nous l'avons dit, et qui était tout ensemble féconde en jouissances et en leçons sublimes pour un esprit éclairé : il fut chargé de le garder dans son propre intérêt, c'est-à-dire, en s'abstenant de toute faute qui le condamnerait à en sortir. Bref; il reçoit un commandement qui devient pour lui un motif de garder le Paradis, puisqu'il ne doit pas en être chassé tant qu'il l'observera. On dit avec raison qu'un homme ne sait pas garder son bien, quand il le perd par sa conduite, lors même que cette fortune passe à'un autre qui a su l'acquérir, ou s'est rendu digne de la posséder.

23. Ce texte permet une autre interprétation qui vaut, je crois, la peine d'être exposée : c'est que l'homme même aurait été l'objet de l'activité et de la surveillance de Dieu (1). Si l'homme travaille la terre, non pour la créer, mais pour la rendre belle et fertile, Dieu, à plus forte raison, travaille l'âme humaine, à qui il a donné l'être, pour la rendre juste : seulement l'homme ne doit pas renoncer à. Dieu par orgueil, commettre cette apostasie qui est le premier pas de l'orgueil, selon ce mot de l'Ecriture : « Le commencement de l'orgueil est de s'éloigner de Dieu (2). » Dieu étant le bien immuable, l'homme qui dans son corps et dans son âme n'a qu'une existence contingente, doit être tourné vers le

 

1. Le texte hébreu ne permet guère cette interprétation : le pronom, qui fait en latin et en grec toute la difficulté, est au féminin et se rapporte par conséquent au mot paradis, qui en hébreu est féminin. (Note de l'édition Migne.) — 2. Eccli. X, 14.

 

bien absolu et s'y fixer, sous peine de ne pouvoir se former à la vertu et au bonheur. Par conséquent Dieu crée l'homme, pour lui donner le fond de son être, et tout ensemble le façonne et le garde pour le rendre bon et heureux; l'expression d'après laquelle l'homme cultive la terre, déjà créé, pour l'embellir et la féconder, désigne aussi le travail par lequel Dieu forme l'homme, déjà créé, à la piété et à la sagesse; il le garde, parce qu'en préférant son indépendance à la puissance supérieure de Dieu, et en méprisant la souveraineté du Créateur, l'homme ne peut être en sûreté.

 

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CHAPITRE XI. L'AUTORITÉ DE DIEU RAPPELÉE A L'HOMME (1).

 

24. Ce n'est point par omission, à mon sens, mais pour donner une grande leçon, que l'Ecriture ne dit jamais depuis le début de la Genèse jusqu'au verset où nous sommes arrivés le Seigneur Dieu : le mot Seigneur est absent. Dès qu'elle arrive à l'époque où l'homme est établi dans ce Paradis et reçoit l'ordre de le cultiver comme de le garder, elle s'exprime ainsi : « Et «le Seigneur Dieu prit l'homme qu'il avait fait et le mit dans le jardin pour le cultiver et le garder. » La souveraineté de Dieu s'étendait sans doute sur les créatures qui avaient précédé l'homme; mais ces paroles ne s'adressaient ni aux Anges ni à aucune autre créature que l'homme : elles avaient pour but de lui révéler tout l'intérêt qu'il avait à avoir Dieu pour Seigneur, et à vivre docilement sous son empire, au lieu d'abuser de sa propre puissance au gré de ses caprices. L'Ecriture attend donc pour employer cette expression l'instant où l'homme est placé dans le Paradis pour s'y développer et s'y conserver sous la main de Dieu : alors elle ne dit plus seulement Dieu, comme tout à l'heure, elle ajoute le mot Seigneur. « Le Seigneur Dieu prit l'homme qu'il avait fait et le plaça dans le paradis afin de le façonner » à la justice, « et de le garder, » pour assurer sa sécurité en exerçant sur lui cet empire qui n'est utile qu'à nous-mêmes. Dieu en effet peut se passer de notre soumission; mais nous avons besoin de l'empire qu'il exerce sur nous pour cultiver notre âme et la garder : à ce titre il est seul. Seigneur, puisque notre dépendance, loin de lui valoir quelque avantage, ne sert qu'à nos intérêts et

 

1. Gen. II, 15.

 

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à notre salut. S'il avait besoin de nous, il ne serait plus véritablement Seigneur : il trouverait en nous des auxiliaires dans l'indigence dont il serait l'esclave. C'est donc avec justice que le Psalmiste s'écrie : « J'ai dit au Seigneur: Vous êtes mon Dieu : car vous n'avez pas besoin des biens que je possède (1). » Toutefois en disant que nous le servons dans notre propre intérêt et pour notre salut, nous n'avons pas prétendu qu'il faille attendre de lui une autre récompense que lui-même : il constitue tout seul notre intérêt le plus élevé et notre salut. C'est ce sentiment qui nous fait l'aimer d'un amour désintéressé : « m'attacher au Seigneur, voilà mon bien (2). »

 

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CHAPITRE XII. DE L'IMPUISSANCE DE L'HOMME A FAIRE LE BIEN SANS LE SECOURS DE DIEU.

 

25. L'homme en effet n'est point un être qui, une fois créé, puisse accomplir le bien par lui-même sans l'intervention de son Créateur. La bonté de ses actes consiste à s'attacher au Créateur, et par lui à devenir juste, pieux, sage et heureux. On ne doit pas s'arrêter dans ce travail, ni quitter Dieu, comme on prend congé d'un médecin après avoir été guéri; le médecin n'opère qu'au dehors et seconde la nature dont Dieu fait mouvoir intérieurement les ressorts, parce que Dieu, comme nous l'avons vu, conserve les êtres par la double impulsion que sa providence communique à la nature et aux volontés. L'homme doit donc s'attacher à son Seigneur comme à sa fin, non pour le quitter lorsqu'il sera devenu juste par ses bienfaits, mais pour être sans cesse formé à la justice. Par cela seul qu'il ne s'éloigne pas de Dieu, il trouve dans cette communication justice, lumières, bonheur; il se perfectionne, il est en sûreté pendant qu'il obéit et que Dieu commande.

26. Nous l'avons dit, quand l'homme qui cultive la terre en vue de l'embellir et de la féconder, la laisse à elle-même après les travaux du  labour, des semailles, de l'irrigation, son oeuvre n'en subsiste pas moins; mais il n'en est pas de même de Dieu : l'oeuvre de justification qu'il accomplit dans l'homme ne subsiste plus dès que celui-ci l'abandonne. De même que l'air reçoit de la lumière un éclat qui n'a rien de permanent, puisqu'il ne brille plus dans l'absence de la lumière; de même la présence de Dieu éclaire

 

1. Ps. XV, 2. — 2. Ibid. LXXII, 28.

 

l'homme et son absence le laisse plongé dans les ténèbres : cet éloignement ne se mesure point par la distance; c'est la volonté détachée de son principe.

21. Que l'Etre immuablement bon perfectionne donc l'homme et le préserve. Notre devoir à nous est d'être façonnés sans cesse et perfectionnés par lui en nous attachant à lui, et en lui restant unis comme à notre fin : « Mon bonheur est de m'attacher au Seigneur; c'est en vous, Seigneur que je garderai ma force (1). » Nous sommes son ouvrage, en tant qu'il nous a donné l'être et que de plus il nous donne la vertu. C'est la vérité que proclamait l'Apôtre, quand il faisait sentir aux fidèles arrachés à l'impiété la grâce qui nous sauve : « C'est la grâce qui vous a sauvés par la foi, dit-il; cela ne vient pas de vous; c'est un pur don de Dieu, et non le fruit de vos oeuvres, de sorte que l'homme ne peut s'en rapporter la gloire. Nous sommes son oeuvre ; c'est lui qui nous a créés en Jésus-Christ pour opérer les bonnes oeuvres dans lesquelles il avait réglé d'avance que nous devions marcher (2). » Ailleurs après avoir recommandé d'opérer son salut « avec crainte et tremblement, » il ajoute immédiatement, afin qu'on ne s'attribue pas la gloire de s'être rendu soi-même juste et bon : « C'est Dieu qui opère en vous (3). » Ainsi donc « Dieu plaça l'homme dans le Paradis pour opérer en lui et pour le garder. »

 

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CHAPITRE XIII. POURQUOI L'ARBRE DE LA SCIENCE DU BIEN ET DU MAL A-T-IL ÉTÉ INTERDIT A L'HOMME?

 

28. « Et le Seigneur Dieu fit un commandement à Adam, lui disant : Tu mangeras librement de tout arbre du jardin. Quant à l'arbre de la science du bien et du mal, vous n'en mangerez pas : car du jour que vous en mangerez vous mourrez de mort (4). » Si l'arbre que Dieu interdit à l'homme avait été nuisible, il aurait naturellement contenu un poison mortel. Mais tous tes arbres que Dieu avait plantés dans le Paradis étaient excellents (5), comme toutes ses œuvres; d'ailleurs le Paradis ne renfermait aucun être naturellement mauvais, le mal n'existant nulle part en soi, comme nous le démontrerons rigoureusement, s'il plait à Dieu, quand nous serons arrivés au serpent tentateur. L'homme

 

1. Ps. LVIII, 10. — 2. Eph. II, 8-10. — 3. Philip. II, 12, 13. — 4. Gen. II,16-17. — 5. Ibid. 1, 12.

 

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reçoit donc défense de toucher à un arbre qui n'était point nuisible en soi, afin que le bien consistât pour lui à observer ce précepte, le mal, à l'enfreindre.

29. Le mal attaché à la seule désobéissance ne pouvait être mieux mis en relief ni plus fortement accusé, qu'en faisant peser sur l'homme toutes les conséquences de l'iniquité, s'il touchait malvré la défense de Dieu, à un arbre auquel il aurait pu toucher innocemment sans cette défense. Je suppose qu'on interdise à quelqu'un' de toucher à une plante parce qu'elle est vénéneuse et donne la mort; le mépris de cette recommandation entraînerait la mort, sans aucun doute; mais si on y avait touché sans avoir été prévenu, il n'en aurait pas moins fallu mourir. Qu'il y eût défense ou non, le poison n'en serait pas moins fatal à la santé et à la vie. De même encore, si on interdisait de toucher à une chose, parce que cette prescription serait dans l'intérêt de celui qui la fait et non de celui qui la viole, et qu'on mit la main, par exemple, sur l'argent d'autrui après en avoir reçu la: défense du possesseur même; la faute consisterait à porter préjudice à l'auteur du commandement. Mais il s'agit d'un objet qu'on aurait pu toucher sans se nuire, s'il n'avait pas été interdit, et,sans faire tort à qui que ce soit dans aucun temps. Pourquoi donc fut-il interdit, sinon pour montrer le bien attaché à la pure obéissance, le mal attaché à la simple désobéissance?

30. Le criminel n'aspirait ici qu'à se soustraire à l'autorité de Dieu, puisqu'il aurait dû pour éviter la faute considérer uniquement l'ordre du souverain. A quoi se réduisait cette soumission, sinon à respecter attentivement la volonté de Dieu, à l'aimer, à la mettre au-dessus de la volonté humaine? Le motif qui avait guidé le Seigneur ne regardait que lui; le serviteur n'avait qu'à exécuter son ordre, quitte à en peser les motifs quand il le mériterait. Sans nous arrêter trop longtemps à examiner la raison de ce précepte, on voit bien que l'intérêt de l'homme est de servir Dieu, et que, par conséquent, ses ordres quels qu'ils soient sont un bienfait pour nous, car nous n'avons point à craindre de recevoir d'un tel maître un commandement inutile.

 

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CHAPITRE XIV. DU MAL : L'HOMME EN A FAIT L'EXPÉRIENCE EN VIOLANT LE PRÉCEPTE DE DIEU.

 

31. La volonté ne peut manquer de retomber comme une ruine et comme un poids immense sur l'homme, si celui-ci l'élève et la met au-dessus de la volonté souveraine. C'est l'épreuve que fit Adam en violant le commandement divin : il apprit à ses dépens la différence qui existe entre le bien et le mal, entre les avantages de l'obéissance et les résultats funestes de la désobéissance, c'est-à-dire, de l'orgueil, de la révolte, de la folie à vouloir mal imiter Dieu, de la liberté coupable. L'arbre sur lequel devait se faire cette épreuve, tira son nom, comme nous l'avons remarqué (1), de cette épreuve même. Nous ne saurions en effet connaître le mal que par expérience, puisqu'il n'existerait pas si nous ne l'avions jamais fait : car le mal n'existe point. par lui-même; on nomme ainsi la privation du bien. Dieu est le bien immuable; l'homme considéré dans les facultés qu'il a reçues de Dieu, est bon aussi, mais non d'une bonté absolue. Or, le bien contingent qui dépend du bien absolu, devient plus parfait en s'y attachant avec l'amour et la docilité d'un être intelligent et libre. La faculté même de s'attacher à l'Etre souverainement bon prouve dans un être l'excellence de sa nature. Refuse-t-il? il renonce lui-même au bien; de là le mal pour lui, de là le juste châtiment qui en est la conséquence. Le comble de l'injustice ne serait-il pas devoir le bien-être uni à la désertion même du bien? Cette anomalie est impossible : mais il peut se faire qu'on soit insensible à la perte du souverain bien, parce qu'on possède le bien secondaire dont on s'est épris. La justice divine y met ordre : quiconque a perdu librement ce qu'il aurait dû aimer, doit perdre douloureusement l'objet préféré ; c'est faire éclater ainsi l'harmonie universelle de la création. En effet l'être qui regrette la perte d'un bien, est encore bon : s'il n'avait pas conservé quelque trace de bonté, le souvenir cruel du bien qu'il a perdu n'entrerait pas dans son châtiment.

32. L'homme qui aimerait le bien avant d'avoir fait l’épreuve du mal, en d'autres termes, qui se déterminerait à ne s'en détacher jamais, sans avoir même senti le regret de sa perte, serait au-dessus de la nature humaine. Ce privilège

 

1. Ci-dessus, ch. VI.

 

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doit être extraordinaire, puisqu'il n'appartient qu'à l'enfant qui, sorti de la race d'Israël, a reçu le nom d'Emmanuel, ou de Dieu avec nous (1), et nous a réconciliés avec Dieu; en d'autres termes au Médiateur, entre Dieu et l'homme (2), à celui qui est le Verbe dans le sein de Dieu et l'homme au milieu de nous (3), celui qui s'est interposé entre nous et Dieu. C'est de lui que le prophète a dit: « Avant que cet enfant sache le bien et le mal, il rejettera le mal pour choisir le bien (4). » Mais comment rejeter ou choisir ce qu'on ne sait pas encore, s'il n'y avait une double voie pour connaître, le bien et le mal, la raison et l'expérience? L'idée du bien sert à faire connaître le mal, quand même on n'en ferait pas l'expérience; réciproquement l'idée qu'on acquiert du mal par la pratique donne celle du bien: on connaît. en effet l'étendue de sa perte, quand on en subit les tristes conséquences. Ainsi, avant de savoir par expérience le bien qu'il pourrait sacrifier, ou le mal que lui ferait sentir la perte du bien, l'Enfant dédaigna le mal pour choisir le bien : il ne voulut pas sacrifier son avantage, de peur d'être éclairé sur sa valeur en le perdant. C'est là un exemple unique d'obéissance : aussi cet Enfant, loin de faire sa volonté est « venu faire la volonté de Celui qui l'envoyait (5); » tandis que l'homme a mieux aimé suivre sa volonté que les ordres de son Créateur. « De même donc que par la désobéissance d'un seul tous ont été faits pécheurs, de même par l'obéissance d'un seul tous deviennent justes (6). » Et « si tous meurent en Adam, tous seront vivifiés en Jésus-Christ (7). »

 

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CHAPITRE XV. POURQUOI L'ARBRE DE LA SCIENCE DU BIEN ET DU MAL A-T-IL ÉTÉ APPELÉ AINSI ?

 

33. C'est donc en vain que certaines personnes, qui deviennent inintelligentes à force d'esprit, se demandent comment l'arbre de la science du bien et du mal a pu être nommé ainsi, avant que l'homme n'eût violé en y touchant les ordres Dieu, et appris ainsi par expérience à discerner le bien qu'il avait perdu du mal qu'il avait gagné. Cette expression signifiait que l'homme, en n'y touchant pas selon la défense divine, éviterait la conséquence dont il serait victime, s'il y touchait au mépris de ces commandements. Ce n'est pas pour avoir mangé des fruits de l'arbre défendu que nos premiers parents le virent appelé l'arbre

 

1. Matt. I, 23. — 2. I Tim. II, 5. — 3. Jean, I, 1-14. —  4. Isaïe, VII, 16. — 5. Jean, VI, 38. — 6. Rom. V, 19. — 7. II Cor, XV, 22.

 

de la connaissance du bien et du mal : eussent-ils été obéissants, le terme aurait été exact par cela seul qu'il désignait le malheur qui leur arriverait, s'ils venaient à faire usage de cet arbre. Je suppose qu'il eût été appelé l’arbre du rassasiement parce qu'il aurait eu la propriété de rassasier, le mot aurait-il cessé d'être juste parce que l'homme n'y aurait jamais touché ? Il aurait suffi qu'il y vînt se rassasier pour prouver la justesse de l'expression.

 

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CHAPITRE XVI. L'HOMME A PU AVOIR L'IDÉE DU MAL AVANT DE LE CONNAÎTRE EN RÉALITÉ.

34. Mais, ajoute-t-on, comment pouvait-il concevoir le nom attaché à cet arbre, puisqu'il était dans une ignorance absolue du mal ? Ces habiles gens ne songent guère qu'une foule de choses inconnues se conçoivent par leurs contraires, et cela si nettement, qu’ on peut placer dans la conversation des termes qui ne correspondent à aucune réalité, sans être obscur, pour l'auditeur. Le néant ne représente aucune réalité, et il n'est personne qui ne comprenne le sens attaché à ces deux syllabes. Pourquoi ? C'est que l'idée d'être permet de concevoir la privation même de l'être. Le vide se conçoit également par le plein, son contraire. L'oreille est juge non-seulement des sons, mais du silence. Par la vie dont il jouissait, l'homme pouvait prévoir le contraire, c'est-à-dire l'absence de la vie ou la mort : il pouvait donc concevoir la cause qui lui ferait perdre le bienfait si doux de l'existence, en d'autres termes, l'acte qui aurait pour conséquence de lui ravir la vie, le mal, le péché quelque fût le mot qui traduisit son idée. Nous-mêmes, comment avons-nous une idée de la résurrection, sans en avoir fait l'expérience ? L'idée de la vie ne nous fait-elle pas concevoir la privation de la vie que nous appelons mort ? et ne voyons-nous pas dans la résurrection un retour à l'existence même dont nous avons la consciente ? Quel que soit le terme dont on se serve pour désigner dans une langue la résurrection, la parole fait alors pénétrer dans l'esprit le signe de la pensée, et le son aide à concevoir l'idée qu'on aurait eue indépendamment du signe lui-même. La nature met du reste à éviter la perte de ses avantages, avant d'en avoir été dépouillée, une vigilance qui tient du prodige. Quel maître a donné aux animaux l'instinct (249) d'éviter la mort, si ce n'est l'instinct même de la vie ? Qui apprend à un petit enfant le secret de s'attacher à celui qui le porte, si celui-ci fait semblant de vouloir le précipiter d'un lieu élevé? Ces idées naissent au bout d'un certain temps, mais elles devancent toute expérience analogue.

35. Ainsi les premières créatures humaines aimaient la vie et craignaient de la perdre ; quand Dieu les menaçait de leur ôter l'existence, en employant le langage ou tout autre moyen de communication, elles le comprenaient : l'unique moyen de leur faire concevoir le péché était de les convaincre qu'il les condamnerait à mourir, en d'autres termes à perdre le bienfait si doux de la vie. Qu'on examine, si cette question peut intéresser, comment ils ont reçu, en dehors de l'expérience, les idées que Dieu leur communiquait, les menaces qu'il leur adressait: on reconnaîtra que nous concevons sans effort et sans l'ombre d'un doute les idées qui nous sont le plus étrangères par les idées contraires, si elles en marquent la privation, par les idées analogues, si elles en désignent l'ordre. On ne s'embarrassera pas, j'imagine, dans la question de savoir comment ils pouvaient parler ou entendre une langue, n'ayant j aurais appris l'usage des mots dans la société ou à l'école : apparemment qu'il ne fut pas difficile à Dieu de leur enseigner le langage, après leur avoir donné la faculté de l'apprendre de la bouche d'un autre homme, en supposant qu'il eût existé.

 

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CHAPITRE XVII. LA DÉFENSE FUT-ELLE FAITE A ADAM ET A EVE EN MÊME TEMPS ?

 

36. On se demande avec raison si la défense fut adressée à l'homme et à la femme, ou à l'homme seulement. A cet endroit de l'Ecriture, la formation de la femme n'est point encore décrite. Aurait-elle été déjà créée à. cette époque? L'Écriture reprend plus tard son récit pour exposer en détail l'oeuvre qu'elle n'avait fait d'abord que mentionner. Du reste voici les paroles de l'Ecriture : « Le Seigneur Dieu commanda à Adam ; » il n'est pas question de deux. Elle ajouté : « Tu mangeras de tous les arbres qui sont dans le jardin ; » il ne s'agit encore que d'un seul. Viennent ensuite ces paroles: « Quant à l'arbre de la science du bien et du mal, vous n'en mangerez pas. » Ici on emploie le pluriel; la fin du précepte s'adresse également au premier couple humain: « Car du jour que vous en mangerez vous mourrez de mort. » Etait-ce en prévoyant qu'il allait bientôt donner une compagne à Adam que Dieu formulait son commandement avec tant de précision, afin que l'homme transmît à sa femme les ordres du Seigneur? L'Apôtre a conservé cet usage dans l’Eglise, quand il a dit : « Si les femmes veulent s'instruire de quelque chose, qu'elles interrogent leurs maris à la maison (1). »

 

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CHAPITRE XVIII. COMMENT DIEU A-T-IL PARLÉ A L'HOMME.

 

37. On peut encore se demander quel moyen Dieu employa pour parler à l'homme; à ce moment, en effet, il était formé avec son intelligence et ses sens, il était capable d'entendre et de saisir la parole du Créateur. D'ailleurs une loi dont la violation devait être un crime, ne pouvait lui être imposée sans qu'il ne l'eût entendue et comprise. Mais comment Dieu lui parla-t-il ? Ne s'adressa-t-il qu'à son intelligence, en d'autres termes, ne fit-il qu'éclairer sa raison et lui révéler là loi qu'il lui imposait sans employer ni son ni image? Mais je ne pense pas que Dieu ait ainsi parlé au premier homme. Le récit de l'Écriture laisse plutôt croire qu'il s'adressa à Adam comme il le fit plus tard aux patriarches, à Abraham, à Moïse, c'est-à-dire, apparaissant sous quelque forme corporelle : car nos premiers parents entendirent sa voix pendant qu'il se promenait dans le jardin et coururent se cacher (2).

 

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CHAPITRE XIX. DE L'ACTIVITÉ DIVINE DANS LA CRÉATURE, ET D'ABORD DE DIEU MÊME.

 

38. Ici se présente une question vaste et bien digne de nous arrêter: il s'agit d'examiner dans la mesure de nos forces, on de la grâce et du secours de Dieu, l'activité divine dans la double sphère où elle s'exerce ; c'est un sujet que nous avons déjà effleuré en passant, à propos de la culture du Paradis terrestre, afin que l'intelligence du lecteur s'accoutumât à une théorie si capable d'élever l'esprit au-dessus de toutes les pensées basses qu'on pourrait se former sur l'essence même de Dieu. Pour nous le Dieu souverain, véritable, unique, est le Père et le Fils

 

1. I Cor. XIV, 35. — 2 Gen. III, 8.

 

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avec le Saint-Esprit, en d'autres termes, Dieu, son Verbe et l'Esprit qui leur sert de lien : c'est la Trinité à la fois distincte et indivisible; c'est le Dieu qui seul possède l'éternité et habite une lumière inaccessible, le Dieu qu'aucun homme n'a vu et ne peut voir (1), qui n'est renfermé dans aucun espace fini ou sans bornes, qui ne change jamais avec les révolutions limitées ou indéfinies du temps. Car, il est impossible à la substance divine d'être moindre dans la partie que dans le tout, comme doit l'être tout ce qui se meut dans l'espace autour d'un point fixe, la main, par exemple, dont les parties dépendent d'une articulation principale; il est également impossible que cette substance ait souffert quelque diminution ou reçoive quelque modification nouvelle, comme les êtres soumis aux changements du temps.

 

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CHAPITRE XX. LE CORPS SE MEUT DANS LE TEMPS ET L'ESPACE, L'AME NE SE MEUT QUE DANS LE TEMPS : DIEU EST EN DEHORS DE CETTE DOUBLE MODIFICATION.

 

39. C'est du sein de cette existence éternellement immuable que Dieu à créé simultanément les êtres destinés à marquer le cours du temps et à remplir l'espace ; et c'est grâce aux mouvements des êtres dans l'espace et le temps que leurs générations se succèdent. Dieu a fait les esprits et les, corps en imprimant aux substances créées par sa puissance absolue, sans le concours d'aucun être, les modifications dont elles étaient susceptibles, de façon toutefois que le fond précéda les formes non en date, mais en principe. Il a donné aux esprits la supériorité sur les corps, en ce sens que les esprits ne se modifient qu'avec le temps, tandis que la matière change selon le temps et les lieux. L'âme par exemple se meut avec le temps, quand elle se rappelle ce qui lui était échappé, quand elle apprend ce qu'elle ignorait ou qu'elle veut ce qu'elle ne voulait pas: les corps se meuvent dans l'espace, quand ils sont transportés des airs sur la terre, de la terre dans les airs, de l'Orient à l'Occident, oh subissent des mouvements analogues. Or; tout ce qui se meut dans l'espace, se meut aussi dans le temps par une conséquence inévitable mais il ne s'ensuit pas que tout ce qui se meut dans le temps se meuve aussi dans l'espace. Si donc la substance qui a le privilège de se mouvoir

 

1. I Tim. VI, 16.

 

que dans le temps, l'emporte sur celle qui se meut à la fois dans le temps et dans l'espace, il faut nécessairement qu'elle soit inférieure à celle qui ne varie ni avec le temps ni avec l'espace. Par conséquent, de même que le mouvement du corps dans l'espace et le temps a pour principe l'esprit créé, qui ne se meut que dans le temps, de même l'esprit créé doit son mouvement dans le temps à l'Esprit créateur, dont l'activité est indépendante de l'étendue et de la durée. Ainsi, l'esprit créé se meut lui-même dans le temps, et meut le corps sous le double rapport du temps et de l'espace : tandis que l'Esprit créateur, agissant en dehors du temps et de l'espace, fait mouvoir l'esprit créé dans le temps en dehors de l'espace, et le corps, dans le temps et dans l'espace tout ensemble.

 

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CHAPITRE XXI. COMMENT DIEU EST-IL A LA FOIS IMMUABLE ET PRINCIPE DU MOUVEMENT?

 

40. Veut-on essayer de saisir par quel secret Dieu, l'être éternel, impérissable et immuable, quoique inaccessible à toute mobilité dans l'espace et le temps, meut sa créature dans l'étendue et la durée? Pour atteindre à cette vérité, il faut, selon moi, comprendre d'abord comment l'âme, ou l'esprit créé, n'est muable que dans le temps et néanmoins communique au corps le mouvement dans le temps et l'espace. Si on est incapable de concevoir ce qui se passe en soi-même, pourrait-on découvrir ce qui s'accomplit dans un être plus parfait ?

41. L'âme, dans l'illusion où la jettent les opérations habituelles des sens, se figure qu'elle se meut dans l'espace avec le corps, tandis qu'elle n'y meut que le corps. Qu'elle examine attentivement ces jointures où les membres viennent s'emboîter et s'appuient comme sur des pivots pour y commencer leurs mouvements; elle découvrira que, pour se mouvoir, les membres ont besoin de trouver dans d'autres membres un point, fixe. Le mouvement d'un doigt exige que la main lui serve de point d'appui; celle-ci se rattache à l'avant-bras, qui s'articule avec le bras, fixé lui-même à l'épaule; ce sont-là comme autant de pivots immobiles sui- lesquels tournent les membres mis en mouvement. De même le pied est assujéti au talon, sur lequel il opère son mouvement; la jambe s'articule avec le genou, et-la marche tout entière vient aboutir aux (251) hanches. Bref, aucun membre n'entre en mouvement sous l'impulsion de la volonté, sans trouver un pivot dans son point d'attache : c'est ce point que la volonté commence par fixer, et le mouvement part ainsi comme d'un centre immobile. Enfin, dans la marche, un pied ne se lève qu'autant que l'autre est fixé pour supporter le poids du corps, et le passage s'opère d'un point à un autre, tandis que le pied en mouvement trouve un support dans le pied en repos.

42. Or, si la volonté pour mouvoir un membre . doit l'appuyer sur l'articulation immobile d'un autre membre, quoique l'organe mis en mouvement, comme l'organe fixe qui lui sert de pivot, accusent une étendue proportionnée à leur volume; ne faut-il pas à plus forte raison que l'âme, qui commande aux membres et donne aux uns le signal de rester immobiles pour servir de point d'appui aux autres; que la force immatérielle, qui loin de remplir la, masse du corps comme l'eau remplit une outre ou une éponge, répand son activité toute spirituelle, par une sorte de prodige, dans les organes qu'elle vivifie et dont elle se fait obéir par un signal qui tend leurs ressorts sans peser sur eux; ne faut-il pas, dis- je, que l'âme ait une activité en dehors de l'espace pour y mouvoir le corps, puisqu'elle remue le tout à l'aide des parties, et qu'elle ne met les organes en jeu qu'à l'aide d'autres organes immobiles?

 

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CHAPITRE XXII. DIEU EST SUREMENT ET ABSOLUMENT IMMUABLE.

 

43. Si cette vérité semble difficile à concevoir, il faudra s'attacher par la foi à ce double principe, que l'âme sans se mouvoir dans l'espace y meut le corps, et que Dieu sans se mouvoir dans le temps y meut l'âme. Peut-être ne voudra-t-on pas admettre pour l'âme humaine une vérité que l'on n'aurait aucune peine à croire et même à comprendre, si on était capable de la concevoir comme elle est essentiellement, je veux dire spirituelle : n'est-il pas évident, en effet, que pour se mouvoir dans l'espace, il faut s'étendre sur divers points de l'espace ? Or, tout ce qui occupe divers points de l'espace, est corps; l'âme ne peut donc se mouvoir sur une certaine étendue, puisqu'elle est n'est point corporelle. Cependant, si quelques esprits ne veulent pas reconnaître à l'âme cette faculté, je ne veux pas les presser trop vivement : quant à Dieu, si on refuse d'admettre que son activité est en dehors du temps et de l'espace, on n'a pas encore une idée juste de son immutabilité.

 

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CHAPITRE XXIII. QUE DIEU FAIT TOUT SANS SORTIR DE SON REPOS.

 

44. La Trinité étant essentiellement immuable et par la même éternelle sans qu'il puisse rien exister qui lui soit coéternel, demeure en elle-même en dehors de tous les lieux : c'est elle cependant qui communique dans la sphère de l'étendue et de la durée le mouvement à toutes les créatures qui lui restent soumises; elle leur donne l'être par sa bonté; par sa puissance elle met toutes les volontés à leur place. Ainsi tout être dépend de la Trinité; toute volonté, quand elle pratique le bien, est dirigée par elle; et quand elle fait le mal, tombe sous les lois de sa justice. Mais comme tous les êtres n'ont pas reçu le privilège du libre arbitre, principe de supériorité et de puissance, les êtres qui ne jouissent pas de la liberté sont nécessairement soumis à ceux qui sont libres, et cela, par le sage dessein du Créateur qui, en châtiant la volonté coupable ne lui enlève jamais sa dignité primitive. La matière, l'animal sans raison n'ayant pas le don de la liberté, sont soumis aux êtres qui l'ont reçu; mais cette subordination loin d'être confuse est réglée par la justice souveraine. Ainsi la Providence divine gouverne et dirige la création entière, les êtres, afin qu'ils existent, les volontés, afin qu'elles ne soient pas vertueuses sans récompense, ni coupables sans punition. Dans la hiérarchie qu'il a établi, il a subordonné l'univers à ses lois, puis la matière à l'esprit, la brute à l'être raisonnable, la terre au ciel, la femme à l'homme, la faiblesse à la force, la misère à l'abondance. Quant aux volontés, il les a soumises à lui-même, quand elles sont bonnes, à leurs propres esclaves, quand elles sont mauvaises: par conséquent, la volonté coupable est condamnée à subir le joug contre lequel l'âme juste a lutté pour obéir à Dieu, je veux dire cette domination des corps qui sont naturellement inférieurs aux volontés même coupables. Ce châtiment est extérieur; mais au dedans les volontés criminelles en subissent un autre, je veux dire le ravage de leurs iniquités mêmes.

 

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252

 

CHAPITRE XXIV. DES CRÉATURES SOUMISES AUX ANGES.

 

45. Par suite, les Esprits sublimes qui possèdent Dieu humblement et qui le servent au sein de la félicité, dominent sur la nature physique, sur les animaux sans raison, sur les volontés faibles ou corrompues : ils font régner dans le monde des corps, ils accomplissent chez les êtres libres et avec leur concours, les lois qui président à l'ordre universel, sous l'empire de l'Etre de qui tout relève. Ils découvrent en lui l'immuable vérité et règlent leurs volontés sur ce principe à ce titre ils participent à l'éternité, à la vérité, à la volonté immuable, indépendante des lieux et des temps. Ils exécutent dans le temps ses ordres éternels. Je ne veux pas dire qu'ils cessent ou se lassent jamais de le contempler: ils le contemplent dans son immensité et son éternité; mais, quand ils remplissent ses ordres auprès des êtres d'une dignité inférieure, ils agissent dans le temps, ils ébranlent la matière dans les limites de temps et d'espace qu'exige l'acte à accomplir. C'est un des aspects de la double activité que Dieu exerce souverainement sur la création : il donne l'existence aux êtres, il règle les volontés, afin qu'elles n'accomplissent rien sans son ordre ou sa permission.

 

 

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CHAPITRE XXV. DES LOIS GÉNÉRALES ET PARTICULIÈRES SELON LESQUELLES DIEU GOUVERNE TOUT.

 

46. L'univers physique ne reçoit donc aucune impulsion matérielle en dehors de lui-même car il n'y a pas de corps en dehors de lui, autrement ce ne serait pas l'univers ; au dedans, il obéit à une impulsion spirituelle, je veux dire à l'action par laquelle Dieu donne l'existence, selon celte parole: « C'est de lui, en lui et par lui que tout existe (1). »Quant aux êtres particuliers qui composent l'univers, ils sont au dedans l'objet d'une action spirituelle, ou plutôt acquièrent par là l'existence et tout ensemble trouvent au dehors les moyens matériels d'améliorer leur condition dans les aliments, l'agriculture, la médecine, bref dans les ressources qui assurent la conservation et la fécondité des espèces non moins que leur beauté.

47. Les créatures spirituelles, quand elles sont parfaites et bienheureuses, comme les Saints

 

1. Rom. XI, 36.

 

Anges, reçoivent un secours intérieur et tout spirituel pour posséder l'existence et la sagesse. Dieu se communique à eux par un langage mystérieux et ineffable: il n'emploie pas pour eux une écriture fixée par des moyens matériels, des sons qui frappent l'oreille, des images pareilles aux fantômes que l'esprit se représente dans un songe ou même dans cet état où l'esprit semble sortir de lui-même et que les Grecs ont nommé extase, ex-tasis :les idées de cette sorte se produisent sans doute plus intérieurement que celles qui nous arrivent par le canal des sens ; mais comme elles leur ressemblent si parfaitement qu'on ne peut les distinguer entre elles qu'à grand-peine et fort rarement, et que d'ailleurs elles sont plus matérielles que l'intention pure de l'immuable vérité, dont la lumière éclaire l'intelligence seule et lui sert à connaître toutes choses, on doit à mon avis ranger toutes ces visions parmi les perfections extérieures. Ainsi donc les créatures spirituelles et raisonnables, à ce degré de perfection et de béatitude qui est le privilège des Anges, reçoivent un secours tout intérieur, pour conserver leur être, leur sagesse, leur bonheur, et le trouvent dans la vérité et l'amour éternels du Créateur. Si elles reçoivent une impulsion du dehors, ce ne peut être que de la communauté d'intuition et d'allégresse en Dieu, du concert d'action de grâces de louanges que la vision de tous les êtres en Dieu provoque parmi elles. Quant aux actes qu'accomplissent les Anges pour veiller, selon les ordres de la Providence, sur les êtres de toute espèce et en particulier sur le genre humain, ils constituent un secours extérieur qui se communique au moyen de visions analogues aux formes que l'imagination se représente ou des corps mêmes qui sont soumis à la puissance des Anges.

 

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CHAPITRE XXVI.  DIEU GOUVERNE TOUT SANS CESSER D'ÉTRE IMMUABLE.

 

48. Dieu donc aune puissance souveraine et sans limites ; éternité, vérité, volonté, rien ne change en lui ; au-dessus de tous les mouvements qui s'accomplissent dans la durée et l'étendue, il fait mouvoir les esprits dans le temps, les corps dans le temps et l'espace tout ensemble : après avoir créé chaque être en soi-même, il le gouverne au moyen de forces extérieures, en d'autres termes, au moyen des volontés subalternes qu'il (253) fait agir dans le temps, et des corps qui dépendent à la fois de lui-même et des volontés et à qui il communique le mouvement dans l'espace et le temps, double condition de l'existence finie dont le principe tel qu'il est en Dieu constitue la vie en dehors de tous les temps et de tous les lieux: voilà les modes de l'activité divine. Par conséquent, loin d'imaginer que la substance de Dieu change avec le temps et les lieux, ou qu'elle se meut selon les divers points de l'espace et de la durée, nous devons croire qu'il connaît toutes ces révolutions comme les conséquences de son action providentielle : par là j'entends non-seulement l'acte de créer les substances, mais encore celui de les gouverner en dehors d'elles après leur avoir donné l'être. Car, sans être compris dans aucune division de l'espace, en vertu de sa puissance immuable et absolue, il est. à la fois plus profond et plus élevé que toute chose, en ce sens que tout est en lui et qu'il est supérieur à tout. Il en est de même pour la durée sans être renfermé dans aucune limite de temps, en vertu de son immuable éternité, il est à la fois le plus ancien et le plus nouveau des êtres, parce qu'il préexiste à tout et survit à tout.

 

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CHAPITRE XXVLI. COMMENT DIEU PARLA-T-IL A ADAM?

 

49. Lors donc que l'Ecriture nous dit : « Dieu commanda à Adam en lui disant: Tu mangeras de tous les arbres qui sont dans Paradis; quant à l'arbre de la science du bien et du mal, tu n'en mangeras point. Le jour que vous en mangerez, vous mourrez de mort; » et qu'on se demande comment Dieu tint ce langage à Adam, il est impossible de le déterminer nettement sans doute, mais il n'est pas moins incontestable que Dieu lui parla directement ou par l'entremise d'une créature. Or, quand Dieu parle directement, c'est qu'il crée les êtres, ou qu'il crée éclaire et de plus les intelligences, lorsqu'elles sont devenues capables d'entendre sa parole dans le Verbe qui était en Dieu au commencement, Dieu lui-même, et par qui tout a été fait (1). Quant aux êtres incapables d'entendre le Verbe éternel, Dieu emploie pour leur

 

1 Jean, I, 1-3.

 

parler tantôt un esprit, comme dans les songes, les extases où la vérité apparaît sous une forme sensible ; tantôt un corps, comme il arrive lorsqu'un être se montre aux yeux ou que des sons frappent l'oreille.

50. Si donc Adam était assez parfait pour comprendre la parole que Dieu fait directement entendre aux esprits angéliques, nul doute que Dieu, sans sortir de son éternité, n'ait communiqué dans le temps. à son intelligence une impulsion mystérieuse et ineffable, et n'ait gravé dans son esprit la vérité profonde qui devait à la fois l'éclairer sur la portée de son commandement et sur la peine attachée à sa violation c'est ainsi que tous les préceptes du bien se voient, s'entendent dans l'immuable Sagesse, qui se communique aux âmes saintes 1, à un moment fixé, sans être assujétie aux changements de la durée. Si Adam au contraire n'était point encore assez juste pour être soustrait à l'influence d'une créature plus sainte et plus sage, chargée de lui révéler la volonté de Dieu, comme le font pour nous les prophètes et comme les Anges le t'ont pour les prophètes, pourquoi douter que Dieu ne lui ait parlé par l'entremise d'une créature semblable au moyen des signes du langage N'est-il pas écrit un peu plus loin qu'après leur péché ils entendirent la voix de Dieu qui se promenait clans le jardin (2)? Or, que cette voix sortit de l’organe d'une créature et non de l'essence divine, c'est un point évident pour quiconque a le sentiment de la foi catholique. Je me suis proposé de traiter cette question avec plus de développement contre certains hérétiques (3), qui se figurent que la substance du Fils de Dieu était visible avant son incarnation et qu'il apparut à nos pères sous une forme palpable, si bien que Dieu le Père seul serait désigné par cette expression : « Aucun homme ne l'a vu ni ne peut le voir (4), » parce que le Fils aurait été vu en lui-même avant d'avoir pris les dehors de l'esclave. C'est une impiété que doit repousser tout esprit catholique. Mais nous discuterons ailleurs cette question, s'il plaît au Seigneur.

Terminons ici ce livre et voyons comment la femme fut tirée d'une côte de l'homme.

 

1. Sag. VII, 97. — 2. Gen. III, 8. — 3. Les Ariens. — 4. I Tim. VI, 16.

 

 

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