LETTRE CXXXV
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rte de l'église 38 - CH-1897 Le Bouveret (VS)

LETTRE CXXXV. (Année 412.)

 

On se rappelle en quels termes l'évêque d'Hippone engageait Volusien à faire connaissance avec nos saintes Écritures (1); celui-ci ne communique pas encore à saint Augustin le résultat de ses propres études religieuses, mais il lui rend compte d'une conversation entre amis où l'on avait touché à des sujets divers, et lui soumet des doutes exprimés par l'un d'eux sur le christianisme. Cette lettre est curieuse ; on y voit comment saint Augustin était jugé de ses contemporains. Nous avons dit que Volusien était encore païen.

 

VOLUSIEN AU SEIGNEUR VRAIMENT SAINT, AU VÉNÉRABLE PÈRE AUGUSTIN, ÉVÊQUE.

 

l. Vous demandez, ô homme modèle de probité et de justice, que je m'enquière auprès de vous des choses qui m'auront paru obscures dans mes lectures instructives. J'accepté cette faveur et me mets volontiers sous votre discipline, suivant en cela la maxime d'un ancien, qu'on n'est jamais trop âgé pour apprendre. C'est avec raison que cet ancien n'a assigné ni limites ni fin à l'étude de la sagesse; la vertu, si éloignée de ses origines, ne se découvre pas assez aisément pour qu'on la connaisse d'abord tout entière. Il importe de mettre sous vos yeux, seigneur vraiment saint et vénérable père, une conversation qui a eu lieu dernièrement entre nous. Nous étions quelques amis réunis, et chacun prenait la parole selon son esprit et ses études. C'était cependant la rhétorique qui faisait le principal sujet de l'entretien ; je parle à un connaisseur, car il n'y a pas bien longtemps que vous enseigniez la. rhétorique. On s'appliquait à définir ce que c'est que l'invention ; on disait quelle pénétration elle demande, combien il en coûte polir disposer une couvre, que de grâce il y a dans la métaphore, que de beautés dans les peintures et comment le langage varie selon les talents et les sujets. D'autres portaient bien haut la poétique; c'est une partie de l'éloquence à laquelle vous avez aussi rendu hommage, et l'on pourrait dire avec le poète :

 

« Le lierre s'est mêlé pour vous au laurier vainqueur (2). »

 

On parlait doge de tout ce que l'économie d'un poème lui donne d'ornement, de la beauté des métaphores, de la sublimité des comparaisons; on disait combien les vers sont doux et coulants avec l'harmonieuse variété de leur coupe. La conversation tourna alors vers la philosophie qui vous est si familière, et dont vous avez coutume de traiter les questions avec la pénétration d'Aristote et l'éloquence d'Isocrate. Nous cherchions ce qu'avait fait l'enseignement du Lycée, ce qu'avaient produit les doutes si prolongés et si divers

 

1. Ci-dessus lettre CXXXII.  

2. Virgile, Bucol., églogue VIII.

 

de l'Académie, ce que c'étaient gîte les leçons du Portique, la science des physiciens, la volupté des épicuriens ; nous remarquions que tous ces philosophes, au milieu de leurs disputes infinies et passionnées, n'avaient jamais été plus loin de la Cité que quand ils s’étaient flattés de pouvoir la connaître.

2. Nous étions à ces souvenirs de philosophie dans notre conversation, lorsque l'un de nos anis prenant la parole : « Qui donc, parmi nous, dit-il; serait assez instruit dans le christianisme pour pouvoir éclaircir mes difficultés et affermir l'incertitude de mon assentiment par des raisons vraies ou vraisemblables? » Nous écoutons avec un étonnement silencieux. L'interlocuteur s'abandonnant à la vive liberté de sa pensée, continue en ces termes : « J'admire comment celui qui est le Maître du monde et qui le gouverne est. destendu dans le sein d'une vierge, comment cette mère a eu la longue peine de le porter pendant les dix mois de la grossesse, comment elle l'a enfanté au temps voulu, et comment elle est restée vierge après l'enfantement. » Puis l'interlocuteur ajouta ceci : « Celui qui est plus grand que l'univers a donc été caché dans le petit corps d'un enfant; il a donc souffert comme souffrent les enfants, il a grandi, il s'est fortifié en avançant dans la jeunesse; ce souverain sera resté bien longtemps absent de ses royales demeures, et le soin du monde entier aura été transporté au mouvement d'un petit corps ; ensuite ce Maître de l'univers aura dormi et mangé; il aura éprouvé tons les besoins des mortels, et aucun signe convenable n'aura fait éclater la grande majesté cachée sous cette terrestre enveloppe ; car le pouvoir de chasser les démons, de guérir les malades, de ressusciter les morts, tout cela, si vous songes à d'autres qui en ont fait autant, tout cela est trop peu pour un Dieu. » L'interlocuteur se disposait à pousser plus loin, nous l'interrompîmes ; la réunion se sépara ; nous fûmes d'avis d'en appeler à une pensée plus éclairée que la nôtre, de peur qu'en voulant trop imprudemment pénétrer des secrets, notre erreur, jusque-là innocente, ne devint une faute. Vous venez de recevoir l'aveu de notre ignorance, ô vous qui êtes fait pour toute gloire! vous voyez ce qu'on désire de vous. Votre renommée est intéressée à là solution de ces questions obscures; l'ignorance peut se tolérer en d'autres prêtres sans dommage pour la religion; mais lorsqu'on vient à consulter le pontife Augustin, on est fondé à croire que tout ce qu'il ne sait pas n'est point dans la loi. Que la suprême divinité vous garde sain et sauf, seigneur vraiment saint et bien vénérable père.

 

 

 

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