LETTRE CXXXVI
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LETTRE CXXXVI. (Année 412.)

 

Marcellin, qui avait à coeur ta conversion de Volusien au christianisme, prie saint Augustin de répondre aux difficultés proposées par son ami; il ajoute d'autres difficultés qu'il savait occuper l’esprit de Volusien.

 

MARCELLIN AU VÉNÉRABLE SEIGNEUR AUGUSTIN, A CE PÈRE QU'IL HONORE TANT ET QUI MÉRITE QU'ON LUI RENDE TOUS LES DEVOIRS.

 

1. L'illustre Volusien m'a lu la lettre de votre béatitude; bien plus, je l'ai obligé de la lire à plusieurs; tout ce que vous dites est admirable, mais je n'en suis pas étonné. Humblement paré de la beauté des divins livres, votre langage plait aisément. Ce qui a fait beaucoup de plaisir, ce sont vos efforts et vos bonnes exhortations pour affermir les pas d'un homme encore chancelant. Chaque jour flous disputons ensemble, et je lui réponds dans l'humble mesure de mon esprit. D'après les instances de sa sainte mère, j'ai soin d'aller souvent le visiter, et lui-même daigne à son tour venir me voir. Après avoir reçu la lettre de votre révérence, Volusien, malgré les discours de tant de gens de la ville qui cherchent à l'éloigner de Dieu, a été si ému, que s'il n'avait pas craint de vous écrire longuement, il aurait confié tous ses doutes à votre béatitude, comme il nous l'a assuré lui-même. Toutefois, il vient de vous adresser quelques questions ; il l'a fait, ainsi que vous en jugerez vous-même, dans un style orné et poli, et avec le pur éclat de l'éloquence romaine. Ces difficultés sont bien rebattues; elles servent à montrer les vieilles ruses de nos adversaires, acharnés contre le mystère de l'incarnation. Cependant, comme j'ai la confiance que ce que vous écrirez profitera à plusieurs, je vous prie moi-même de répondre avec un soin particulier aux mensonges par lesquels ils soutiennent que le Seigneur n'a rien fait de plus que ce que peuvent faire les autres hommes. Ils nous citent leur Apollonius et leur Apulée et d'autres magiciens, dont ils prétendent que les miracles sont plus grands que ceux du Sauveur.

2. L'illustre personnage que j'ai nommé plus haut a dit devant quelques personnes qu'il vous aurait adressé beaucoup d'autres questions, s'il n'avait pas cru devoir se borner à une courte lettre. Ce qu'il n'a pas voulu se permettre d'écrire, il n'a pu le faire. Il disait donc que, quand même on lui rendrait raison de l'incarnation du Seigneur, on pourrait bien difficilement lui montrer comment ce Dieu, qu'on affirme être le Dieu de l'Ancien Testament, aime de nouveaux sacrifices et rejette les anciens. Selon lui, on ne peut corriger que ce qui a été mal fait, et ce qui a été une fois bien fait ne doit plus être changé. Il disait qu'on ne pouvait, sans injustice, toucher à des choses bien faites, surtout parce que de tels changements autorisent contre Dieu des reproches d'inconstance. Il ajoutait que la prédication et la doctrine du Seigneur étaient incompatibles avec les besoins des Etats. Ne rendre à personne le mal pour le mal (1); après avoir été frappé sur une joue, présenter l'autre ; donner notre manteau à celui qui veut nous prendre notre tunique; si un homme veut nous obliger à marcher avec lui, faire le double du chemin qu'il nous demande (2): ce sont là, d'après Volusien, des préceptes attribués au Sauveur et contraires au bon ordre des Etats. Car, qui supportera qu'un ennemi lui enlève quelque chose, ou bien qui donc, par le droit de la guerre, ne rendra pas le mal pour le mal au ravageur d'une province romaine? Votre sainteté comprend ce qui peut se dire pour le reste. Volusien pense que toutes ces difficultés peuvent être ajoutées aux autres; on n'oublie pas de dire (quoique Volusien lui-même se taise à cet égard), que les grands malheurs de l'empire sont arrivés parles princes chrétiens, observateurs de la plupart des préceptes évangéliques.

3. Votre béatitude daignera reconnaître avec moi qu'il importe de faire resplendir la pleine vérité en réponse à toutes ces choses, car, sans aucun doute, ce qu'on attend de vous passera en plusieurs mains; il le faut d'autant plus que parmi les personnes devant qui ces objections se sont produites, il y avait un homme considérable du pays d'Hippone, possesseur de grands biens de vos côtés : il donnait à votre sainteté d'ironiques louanges, et prétendait que, vous ayant questionné sur ces mêmes points, il n'avait pas été satisfait de vos réponses. Je vous conjure donc, pour que vous remplissiez une promesse que je n'ai pas oubliée, je vous conjure d'écrire sur ces sujets des livres entiers : ils serviront beaucoup à l'Eglise, surtout dans ce temps-ci.

 

 

1. Rom. XII, 17. — 2. Matth. V, 39-41

 

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